La relecture : Orion et les pyramides égyptiennes et mésoaméricaines

Il faut conclure cette explication de l’émergence du monothéisme en soulignant que les découvertes ne vont plus cesser, l’humanité ayant progressé matériellement.

Mais le processus est semé d’embûches, comme en témoigne la question d’Orion.

La question est celle de pyramides égyptiennes et mésoaméricaines.

Leurs dispositions ont été choisies méticuleusement, afin de correspondre à un alignement céleste, du moins cela semble-t-il être le cas.

Ainsi, tout comme le swastika indique quatre directions, les pyramides de Khéops, de Khephren à Gizeh et la Pyramide rouge à Dahchour, soit les trois plus grandes pyramides égyptiennes, ont toutes leurs arêtes tournées précisément vers le Nord, l’Est, l’Ouest et le Sud.

Ce résultat n’a pu être obtenu qu’en prenant en compte les étoiles, ou du moins le soleil avec les équinoxes, ce qui revient au même, car pour saisir les équinoxes il faut se tourner vers l’astronomie.

Et la disposition des pyramides de la nécropole de Gizeh (les pyramides de Khéops, de Khephren et celle de Mykérinos) semble également correspondre à la ceinture d’Orion, une constellation semblant représenter, chez les Grecs anciens, un chasseur avec son arc.

Les pyramides de Gizeh et Orion en superposition (wikipedia)

La ceinture du chasseur est formée des étoiles les plus brillantes de la constellation : Alnitak, Alnilam et Mintaka.

Orion comme chasseur grec et son origine : le géant babylonien (wikipedia)

On notera aussi que si on suit l’axe des trois pyramides, on arrive 24 km plus loin au temple du soleil à Héliopolis. Nul hasard à cela, du moins on le dirait, sauf qu’on n’a aucune preuve en l’état.

Et c’est là où l’humanité bute sur les faits. Le problème est ici que ceux qui ont découvert cette « corrélation » des étoiles d’Orion avec les pyramides ont également remarqué qu’elle était la plus parfaite au plus bas du cycle de précession (c’est-à-dire du cycle de visibilité), soit en – 10 500.

Ils en ont déduit… que les pyramides dataient de cette époque et les scientifiques bourgeois en ont profité pour tout réfuter. C’est là une double erreur, car en réalité, le plus vraisemblable est que la disposition des pyramides fait justement référence à l’émergence de la constellation.

Comment peut-on de toutes façons dire qu’il n’y a aucun rapport avec Orion, alors que la nécropole est dédiée au dieu de la mort Osiris, lié dans l’antiquité égyptienne à… la constellation d’Orion ?

Surtout que dans la religion égyptienne, Osiris est l’inventeur de l’agriculture et à l’origine de la religion : il meurt assassiné mais revient à la vie, devenant souverain de l’au-delà. Quoi de plus logique que de faire référence alors à Orion en son « début » ?

Le problème qu’on a ici, bien entendu, c’est qu’il y a une cohorte d’acteurs paranoïaques rêvant d’une science « alternative » où les pyramides du monde entier auraient comme auteur une civilisation extra-terrestre, etc.

Il y a une immense scène « new age » qui trafique l’astronomie et l’astrologie, qui utilise des vraies questions de fond « oubliées » par la bourgeoisie pour diffuser des interprétations petites-bourgeoises fantasmatiques.

On trouve un nombre incalculable d’ouvrages, de films, de série, de documentaires où, de manière très marquée, l’avenir et le passé sont mélangés, à la manière typiquement petite-bourgeoisie de concilier les contraires.

Le plus grand symbole de cette monstruosité, c’est la série de documentaires « Alien Theory », qui existe depuis 2010 avec 238 épisodes et qui continue à aborder de nombreux thèmes de l’Antiquité en massacrant toute réflexion au moyen de la lubie des « anciens astronautes », extra-terrestres venus apporter la « civilisation ».

« Alien Theory » : de pseudos documentaires pour apporter la confusion dans la compréhension de l’Histoire

Ces délires sont néanmoins tout à fait logiques, ils représentent l’action ininterrompue de l’idéalisme pour empêcher une saisie matérialiste dialectique de l’Histoire.

L’humanité ne pense pas, nous sommes des animaux capables de réflexion, par conséquent il est inévitable que la marche de l’humanité en avant, pour inégale qu’elle soit, tende dans la même direction.

Telle est la vraie raison pour laquelle Orion joue un rôle en Égypte, mais également chez les Mayas.

Voici ce que dit la Nasa au sujet du rôle d’Orion chez les Mayas :

« La constellation d’Orion est visible dans le ciel nocturne du monde entier, de décembre à avril de chaque année.

La nébuleuse (également cataloguée sous le nom de Messier 42) est située dans l’épée d’Orion, suspendue à sa célèbre ceinture de trois étoiles.

L’amas d’étoiles intégré dans la nébuleuse est visible à l’œil nu comme une seule étoile, avec un certain flou apparent pour les observateurs les plus perspicaces.

En raison de son importance, les cultures du monde entier ont accordé une importance particulière à Orion.

Les Mayas de Mésoamérique considèrent la partie inférieure d’Orion, sa ceinture et ses pieds (les étoiles Kappa Orionis et Rigel), comme étant les pierres du foyer de la création, semblables au foyer triangulaire à trois pierres qui est au centre de toutes les maisons mayas traditionnelles.

La nébuleuse d’Orion, située au centre du triangle, est interprétée par les Mayas comme le feu cosmique de la création entouré de fumée. »

Orion, plus précisément sa ceinture, joua en fait un rôle dans toute la Mésoamérique. Ainsi, si on prend les pyramides de Teotihuacan, en Mésoamérique, on retrouve Orion. Les pyramides du soleil, de la lune et de Quetzalcoatl sont pareillement alignés sur la ceinture d’Orion, du moins le semble-t-il.

Ce n’est pas qu’il y avait des contacts entre Égyptiens et les Mésoaméricains, bien évidemment.

C’est que le culte des étoiles est le même dans toute l’Humanité, avec les mêmes considérations sur les étoiles les plus brillantes et les phénomènes les plus marquants.

Voici comment on retrouve Orion chez Hésiode, dans son poème Les Travaux et les Jours :

« Commence la moisson quand les Pléiades, filles d’Atlas, se lèvent dans les cieux, et le labourage quand elles disparaissent ; elles demeurent cachées quarante jours et quarante nuits, et se montrent de nouveau lorsque l’année est révolue, à l’époque où s’aiguise le tranchant du fer…

Lorsque [les constellations] Orion et Sirius seront parvenus jusqu’au milieu du ciel, et que l’Aurore aux doigts de rose contemplera [la constellation] Arcture, ô Persès ! cueille tous les raisins et apporte-les dans ta demeure… »

Les premiers êtres humains n’ont pas eu en commun que le culte du soleil et de la lune ; ils avaient également observé les étoiles et leurs mouvements, cherchant à y trouver un sens, une signification par rapport à l’existence du monde et sa nature.

La grande difficulté est bien entendu que nous en savons trop peu sur les religions antiques qui utilisaient massivement l’astronomie. D’une part, on a perdu les documents historiques la plupart du temps ; d’autre part, ces religions antiques se sont effondrées-intégrées dans les parcours historiques qui ont suivi.

Mais nous sommes le prolongement de ce passé et l’humanité qui s’approfondit est capable de saisir sa propre évolution.

Ainsi, paradoxalement, plus on avance dans le temps et plus on s’éloigne de ce passé, plus on peut le comprendre en dépassant ce qui l’a suivi, ce qui produit une mise en perspective. C’est là la dialectique de toute considération historique réelle.

Et c’est cela qui permet d’appréhender les traits généraux du monothéisme, en sachant que la porte est ouverte à d’immenses approfondissements désormais.

=> Retour au dossier sur La naissance du monothéisme

Dieux des étoiles, dieux des planètes, précession des équinoxes

L’exemple chinois témoigne de comment la cartographie du ciel, qui suit la connaissance du soleil et de la lune, des solstices et des équinoxes, a permis à l’humanité une « cosmovision ».

Cependant, les choses ne sont pas si simples que cela. Il y a en effet une problématique énorme, qu’il était impossible à l’humanité de résoudre alors.

Cette problématique, c’est celle de la précession des équinoxes. Pour faire simple, la planète Terre ne tourne pas sur elle-même comme un ballon. Il y en effet une influence du soleil et de la lune, à savoir la force des marées.

Par conséquent, la Terre tourne comme une toupie lancée de manière inadéquate : son axe penche d’un côté, puis de l’autre, et le mouvement se répète, tous les 25 769 ans. C’est comme si l’axe de la terre suivait un cône.

La conséquence est terrible pour l’observation des étoiles. Prenons l’étoile polaire : l’étoile qu’on désigne ainsi change tous les 2200 ans environ.

De – 3 942 jusqu’à – 1 793, ce fut l’étoile Thuban, de la constellation du Dragon (en tant que α Draconis), à 0,1° de distance du pôle céleste en – 2 775.

De – 1 700 à 300 de notre ère, ce fut Kochab, qui n’aura été par contre qu’au maximum à 6,5° du pôle céleste. Cela a-t-il joué ? Nos ancêtres ont-ils vu l’étoile polaire « partir » et remplacé par une étoile moins centrale ? Cela a dû en tout cas forcément marquer les esprits.

Kochab, c’est-à-dire étoile du nord en arabe, forme la fin de la petite casserole avec Pherkad ; ce sont tous les deux des étoiles de la Petite Ourse et elles sont également appelées respectivement Beta Petite Ourse et Gamma Petite Ourse.

Après, c’est Alpha Grande Ourse qui a pris le relais. C’est celle qu’on connaît aujourd’hui et on l’appelle plus communément étoile polaire, mais elle ne le restera pas, puisque de 3 000 à 5 000, ce sera Errai (Gamma Cephei), de la constellation Céphée.

Errai sera le plus proche du pôle céleste en 4 000, puis sera remplacé par Iota Cephei, avec Beta Cephei très proche, les deux faisant partie de la constellation de Céphée. Ensuite, vers 7 500, ce sera Alderamin (de Al Dhira al Yamin, bras droit en arabe), également de la constellation Céphée (Alpha Cephei).

Projection du chemin de précession du pôle Nord sur le ciel fixe du 1er mai 2000 pour l’intervalle de temps de 48 000 avant notre ère à 52 000 notre ère

Tout cela nous intéresse beaucoup, car cela devait poser un problème à l’humanité. Le ciel n’était pas parfait, il se passait des choses. Cela a dû compliquer les choses au niveau de la compréhension dans l’observation, mais cela devait également inquiéter.

C’est là où justement entre en jeu la dialectique des étoiles et des planètes. Initialement, l’humanité les a tous considérés de la même manière. Seulement voilà, déjà que les étoiles sont en mouvement, certaines se déplacent encore plus rapidement et de manière irrégulière.

C’est la raison pour laquelle l’antiquité grecque qualifiait ces astres comme « errant », « en mouvement », ce qui a donné le terme planète étymologiquement.

La compréhension de leur rotation implique un effort considérable de décentrement mathématique du regard pour calculer non depuis la Terre (géocentrisme) mais depuis le Soleil (héliocentrisme).

Cette rationalisation abstraite du mouvement des planètes n’était pas atteignable de manière immédiate par l’Humanité, en conséquence, ces astres se sont vus attribué un rôle signifiant « actif » entre les astres des constellations et la Terre.

Notons qu’on parle au départ de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, car ce sont elles qu’on peut voir à l’œil nu. Uranus sera découvert en 1781 par William Herschel. L’existence de Neptune a été devinée au début du 19e siècle, puis enfin observée au milieu du siècle.

Or, que voit-on historiquement ? Que l’humanité, au cours de son avancée historique, a associé les dieux aux planètes, immanquablement.

En Grèce antique, le soleil est lié à Hélios, la lune à Artémis, Mercure à Hermès, Vénus à Aphrodite, Mars à Arès, Jupiter à Zeus, Cérès à Déméter, Neptune à Poséidon, etc.

On notera qu’Apollon est indubitablement lié à Hélios, comme le prouve l’oracle de la Pythie de Delphes. La prêtresse au service d’Apollon y expliquait, dans un langage sibyllin, le cours des choses dans un temple construit selon le mythe par des marins attirés à cet endroit par Apollon ayant pris la forme d’un dauphin, « cochon de mer » pour les Grecs (d’où le nom de Delphes).

Il a souvent été évoqué des gaz pour expliquer les transes de la prêtresse d’Apollon. Mais l’oracle n’était pas ouvert en été, en raison de l’absence d’Apollon et, justement, le temple est situé à un endroit où la constellation du dauphin est invisible en été, car trop proche du soleil.

C’est intéressant, car on a ici un exemple de culte des étoiles qui n’est pas encore un culte planétaire, mais y conduit en partie.

Les ruines du temple d’Apollon à Delphes (wikipedia)

Pour les dieux romains, ils sont équivalents aux dieux grecs comme on le sait (Jupiter et Zeus, Neptune et Poséidon, Minerve et Athéna, Mercure et Hermès, etc.). Notons ici seulement que les jours de la semaine, en français, ont des noms dont l’origine est la Rome antique.

Ainsi, samedi est le jour de « Saturne » (Saturni dies), le dimanche celui du soleil (Solis dies, remplacé par Dominus dies, le Soleil devenant le Seigneur), le lundi c’est le jour de lune (Lunae dies), le mardi celui de Mars (Martis dies), le mercredi est celui de Mercure (Mercurii dies), le jeudi est le jour de Jupiter (Jovis dies), enfin vendredi est celui de Vénus (Veneris dies).

Dans l’hindouisme, le soleil est lié à Surya, la lune à Chandra, Mars à Mangala, Mercure à Bouddha, Jupiter à Brihaspati, Vénus à Shukra, Saturne à Shani, etc. À Babylone, le soleil est lié à Shamash, la lune à Sin, Mercure à Nabu, Vénus à Innana, Mars à Nergal, Jupiter à Marduk, etc.

En Arménie antique, le dieu Arev est lié au soleil, Lusin à la lune, Luc à Mercure, Yeljeru à Vénus, Ckravori à Mars, Tharaznot à Jupiter, etc. En Égypte antique, le dieu Râ est lié au soleil, Khonsu à la lune, Thoth à Mercure, Isis à Vénus, Anhur à Mars, Amun à Jupiter, etc.

En Chine, les planètes étaient associées à des éléments (le bois pour Jupiter, le métal pour Vénus, le feu pour Mars, la terre pour Saturne, l’eau pour Mercure), ce qui présente une nuance dans la divinisation des planètes, mais qui nous aide beaucoup.

En Chine, en effet, les éléments primordiaux jouent un rôle central. En fait, c’était le cas également en Inde antique et en Grèce antique. Si en Grèce on parle à l’origine de quatre éléments, à la suite d’Empédocle au 5e siècle avant notre ère, il en fut par la suite ajouté un cinquième, l’éther en Inde et la terre en Chine.

Figure traditionnelle du taoïsme représentant l’alchimie universelle, avec au cœur les cinq éléments

Dans tous les cas, le monde est façonné par ces éléments. L’astrologie occidentale (avec les quatre éléments) et chinoise (avec les cinq éléments) prétend justement être dans le vrai, car permettant soi-disant de lire comment les éléments s’agencent entre eux pour quelqu’un.

Et, donc, que nous révèle l’exemple chinois ? L’exemple chinois nous indique que le mouvement actif des planètes était compris comme jouant sur la réalité, la façonnant. L’astrologie occidentale dit la même chose, cependant, elle n’a pas joué un rôle aussi prolongé qu’en Chine, ce qui fait que c’est moins flagrant.

Ce qui veut dire la chose suivante : l’humanité s’est particulièrement tournée vers les planètes, afin de comprendre une agitation historique qui n’existait pas encore lorsqu’elle se contentait de regarder les étoiles.

L’humanité primitive regarde le soleil et la lune. On parle d’une humanité très dispersée.

Elle s’installe de meilleure manière dans la vie quotidienne, elle est en mesure d’observer les étoiles.

Mais ensuite, il y a la confrontation entre ces blocs d’êtres humains qui se sont développés à part. Cette époque de conflits entre êtres humains ayant acquis une certaine surface historique amène à se tourner vers les planètes afin d’essayer de suivre ce qui se passe, d’avoir une grille de lecture des affrontements.

C’est le sens de ce qu’on lit dans le Mul Apin, datant du 7e siècle avant notre ère et qui consiste en un traité approfondi d’astronomie. On est à Babylone ; Mul Apin désigne la charrue, c’est-à-dire la Grande Ourse ; c’est la première constellation décrite dans l’ouvrage, d’où le titre qu’on a donné ensuite à l’œuvre.

Les étoiles de MAR.GÍD.DA = Ṣumbu, « le Chariot », dans la Série MUL.APIN, 627 avant notre ère (wikipedia)

Marduk, associé à Jupiter, est le principal dieu babylonien (qui a vaincu la déesse Tiamat, évidemment une déesse-mère à l’origine) ; voici un horoscope planétaro-divin :

« Si l’étoile de Marduk devient visible au commencement de l’année, cette année-là la récolte sera abondante.

Si l’étoile de Marduk atteint les Pléiades, cette année-là le dieu de la tempête dévastera. »

On est là dans l’anticipation – une chose que ne pouvait pas faire les êtres humains auparavant. Suivre le soleil et la lune, c’était la base, niée par une humanité observant les étoiles et systématisant son mode de vie et sa réflexion.

Cette négation est niée par l’étude des mouvements des planètes.

Pour simplifier, mais c’est une simplification outrancière en ce qu’elle oublie les nuances, les enchevêtrements :

– la déesse-mère, c’est l’humanité primitive ;

– le soleil et la lune, c’est l’époque des chasseurs-cueilleurs ;

– les étoiles, ce sont les Cités-États esclavagistes ;

– les planètes, ce sont les Cités-États se faisant la guerre alors qu’on va aux grands empires.

Et le monothéisme arrive comme couronnement du développement des forces productives permis par les empires, qui ancrent l’agriculture et la domestication des animaux.

=> Retour au dossier sur La naissance du monothéisme

Des quatre directions aux dieux des étoiles: l’exemple chinois

Les étoiles ont permis les quatre directions et l’exemple historique chinois est d’une grande pertinence pour saisir ce qui s’est passé.

L’astronomie en Chine a une très longue histoire ; le « classique des documents », un ouvrage fondamental de la civilisation chinoise pendant 2 000 ans, raconte également comment l’empereur Yao, qui a depuis pris une dimension légendaire, avait pris comme première mesure d’ordonner aux astronomes de mesurer le mouvement du soleil, de la lune des étoiles pour obtenir un calendrier avec la connaissance des saisons.

Un document très connu de l’astronomie chinoise est le fameux atlas de Dunhuang, une cartographie de 1300 étoiles datant du 7e siècle. On l’a retrouvé seulement au début du 20e siècle dans une cave fermée pendant mille abritant 50 000 documents et objets, dans un dispositif immense de grottes bouddhistes taillées à la main, dites de Mogao (soit en chinois « d’une hauteur inégalée »).

La cave 275 des grottes de Mogao (wikipedia)

On a à l’origine le concept chinois de « Tian », qu’on peut traduire par les « cieux ». En fait, il s’agit du dieu impersonnel, arrière-plan cosmique de la réalité, qu’on retrouve dans tous les animismes polythéistes, ce que les commentateurs bourgeois n’ont jamais pu voir.

Tous les dieux existent comme expression, vecteur, aspect de Dieu-impersonnel, cela n’a rien d’original.

Naturellement, le dieu absolu se voyait placé au Nord comme pôle absolu, pivot du monde.

On lit dans les « Écrits du Maître à la Crête de Faisan », datant du 3e siècle et compilant des points de vue de l’époque des « Royaumes combattants » (c’est le moment où apparaît le confucianisme, l’école légaliste, le taoïsme, le moïsme et divers autres courants de pensée) :

« Quand le manche de la [grande casserole, appelée louche en Chine] pointe vers l’est [à l’aube], c’est le printemps pour le monde entier.

Lorsque le manche de la [grande casserole] pointe vers le sud, c’est l’été pour le monde entier.

Quand le manche de la [grande casserole] pointe vers l’ouest, c’est l’automne pour le monde entier.

Quand le manche de la [grande casserole] pointe vers le nord, c’est l’hi-ver dans le monde entier.

Quand le manche de la [grande casserole] tourne au-dessus, les choses se déroulent en dessous. »

Ensuite, avec l’étude des étoiles, la cartographie céleste s’est superposée à Tian. Voici de quelle manière.

On a d’abord, au centre, l’Enceinte pourpre interdite (ziweiyuan 紫微垣), qui recouvre les constellations de la Petite Ourse, de la Girafe, du Dragon, de Céphée, de Cassiopée, du Cocher, du Bouvier, et une partie de la Grande Ourse, des Chiens de chasse, du Petit Lion et de Hercule.

On a ensuite l’Enceinte du palais suprême (Taiweiyuan 太微垣), qui recouvre les constellations de la Vierge, de la Chevelure de Bérénice, du Lion et une partie de la Grande Ourse, du Petit Lion et des Chiens de chasse.

Enfin, on a l’Enceinte du marché céleste (tianshiyuan 天市垣), avec les constellations du Serpentaire et du Serpent, de l’Aigle, de la Couronne boréale et une partie de Hercule.

Toutes ces enceintes sont appelées ainsi, car censées être bordées à droite et à gauche d’une série d’étoiles des constellations qui forment des « murs ». Cela révèle la nature de cette « cosmovision ».

En effet, ces Enceintes célestes reproduisent l’organisation hiérarchique chinoise – évidemment, du point de vue chinois d’alors, c’est l’inverse : les cieux sont ainsi, donc le monde fait pareil.

L’Enceinte pourpre interdite désigne le palais impérial ; l’Enceinte du palais suprême, c’est le gouvernement ; l’Enceinte du marché céleste, c’est le marché et plus globalement là où vivent les gens.

La civilisation chinoise a poussé à fond le parallélisme, dans la mesure où les étoiles au Nord représente la famille royale (le prince, la concubine impériale…), d’autres représentent les quatre conseillers, le juge en, chef, le secrétaire royal, le responsable des archives royales, etc. ; d’autres encore une boucherie, un marché de bijoux, une prison, etc.

L’entreprise faite est très facile à comprendre. La lecture des étoiles est faite avec une interprétation propre à une société esclavagiste.

Cependant, on parle ici du noyau dur de la carte stellaire. Il reste bien d’autres étoiles autour de ces « Enceintes ». D’où un découpage en quatre zones, aux quatre directions, appelées les « quatre gardiens », les « quatre dieux ».

On a alors la tortue noire du nord (associée à l’eau et à l’hiver), le dragon bleu-vert de l’est (associé au bois et au printemps), le tigre blanc de l’ouest (associé au métal et à l’automne) et l’oiseau vermillon du sud (associé au feu et à l’été).

Le nom de ces directions provient d’une « lecture » de la disposition des étoiles, censée correspondre à ces animaux (mythique pour le dragon).

Cela remonte ici à très loin : on a trouvé une tombe de 5300 ans avant notre ère avec des mosaïques dont deux représentaient le dragon vert et le tigre blanc.

On a donc, dans la cartographie chinoise, un « centre » entouré de quatre directions. Les étoiles de ces quatre directions sont elles-mêmes regroupés, en sept groupes par direction, pour un total de 28 « maisons lunaires » (appelées ainsi, car définies selon le parcours de la lune).

On remarquera qu’on a également en Chine les « quatre montagnes », les « quatre animaux bénéfiques » et les « quatre périls », les « quatre mers » (le lac Baïkal au Nord, le lac Qinghai à l’Ouest, la mer de Chine orientale à l’Est, la mer de Chine méridionale au Sud).

On notera également que la division en 28 « maisons lunaires » (« Xiu » en chinois est également la même chez les Arabes (les « Manzils ») et chez les Indiens (avec les « Nakshatras »).

On demandera alors : où sont les fameux animaux du calendrier chinois, si appréciés ? Où sont le Rat, le Buffle, le Tigre, le Lapin (ou Lièvre ou Chat), le Dragon, le Serpent, le Cheval, la Chèvre, le Singe, le Coq, le Chien et le Cochon (ou Sanglier) ?

Mosaïque avec le zodiaque chinois (wikipedia)

C’est justement là où cela devient intéressant, car ils arrivent après historiquement, et ils ne sont pas vraiment un horoscope. Ils aident à une « interprétation » qu’on peut qualifier d’astrologique, dans la mesure où ils aident à voir sa place dans l’univers, mais ils ne fournissent pas de réponse aux questions immédiates.

Les 28 maisons lunaires vont en effet avoir une dimension qui relève du calendrier, alors que vrais horoscopes vont se mettre en place, sur une base toujours plus compliquée et en se fondant toujours plus sur la combinaison de chiffres.

On a ainsi l’astrologie de l’Empereur ou de l’Étoile pourpre (« Ziwei doushu »), qui utilise entre 36 et 118 étoiles. Cette astrologie était réservée au roi et à un moment tout autre divination fut interdite, ce qui rentre dans le cadre de la lutte contre le chamanisme, forcément décentralisé.

On a ensuite l’astrologie dite des neuf étoiles (« Jiuxing »), qui se fonde sur un carré magique de 9 années, s’appuyant sur le mouvement des étoiles autour de la Grande Ourse, pour évaluer la « valeur » d’une personne selon sa date de naissance.

On a également l’astrologie des quatre piliers du destin (« Ba-Zi »), où l’on prend la date de naissance ainsi que l’heure de naissance, pour trouver comment cela joue sur les éléments fondamentaux de l’univers.

Naturellement, tout ce processus de mise en place des horoscopes est horriblement compliqué, dans le cadre d’une Chine divisée et esclavagiste. C’en est au point où même les calendriers se voyaient modifier, en liaison avec les « Enceintes », pour expliquer qu’il y avait eu telle tendance dans le ciel et que le changement politique y correspondait.

Il y a même une entité céleste, Taisui, qui fut « inventée » pour représenter Jupiter parcourant à l’envers (ou plutôt à l’endroit pour les Chinois alors, d’Est en Ouest) les « branches terrestres », c’est-à-dire les « maisons lunaires » devenues jupitériennes (et donnant le calendrier avec les animaux).

Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.

Ce qui compte, c’est qu’on a la mise en place d’une « spatialisation » selon les quatre directions de manière absolue, puis son dépassement par les horoscopes.

Autrement dit, on a eu une « spatialisation » passive, reflet direct des étoiles, où les étoiles servaient à se repérer, où les êtres humains vivaient « sous » le Ciel. Puis on a une « spatialisation » active, les êtres vivants « à côté » du Ciel.

Enfin, on a des tentatives magiques d’utiliser les moments opportuns, ce qui correspond à une décadence de la « cosmovision » en rapport avec les dieux des étoiles ; quand on en arrive là, c’est qu’on est dans une période mûre pour l’émergence, l’affirmation du monothéisme.

Le mouvement est ainsi le suivant :

– observation primitive des étoiles ;

– portrait avancé de l’organisation stellaire comme négation de l’observation primitive ;

– négation de la négation avec les horoscopes.

Dans le cas chinois, on peut considérer que le bouddhisme correspond à une étape très forte dans l’émergence du monothéisme ; à la fin du 3e siècle, il est déjà aussi puissant que le confucianisme et le taoïsme.

Comme on le sait, le monothéisme ne se développera toutefois pas en Chine, de par les conditions historiques arriérées et les divisions, maintenant pendant des siècles, jusqu’à aujourd’hui, l’idéologie des horoscopes et de la numérologie, d’où une immense fascination pour les jeux de hasard.

=> Retour au dossier sur La naissance du monothéisme

Le soleil, les étoiles et les quatre directions

L’importance du mouvement de la Grande Casserole joue fondamentalement sur la question des directions. En effet, la nuit, les étoiles se déplacent à vue d’œil dans une direction commune. On a alors un axe Nord-Sud, dans la mesure où dialectiquement il y a deux contraires.

Que l’humanité ait établi l’axe Nord-Sud est donc compréhensible. Par contre, comment obtient-on l’axe Est-Ouest ?

On ne peut pas scientifiquement se fonder sur le lever du soleil et son coucher, car on obtient réellement l’Ouest du lever et l’Est du coucher seulement aux équinoxes.

Entre-temps, pour l’hémisphère nord, le soleil se « déplace » vers le Nord-Ouest le printemps et l’été, le Sud-Ouest l’automne et l’hiver (pour l’hémisphère sud, il suffit d’inverser les directions).

Néanmoins, l’animisme polythéiste est une pensée émergente, ce n’est pas une pensée scientifique tel qu’on la conçoit aujourd’hui. Qui plus est, l’humanité est dans une situation précaire, avec des carences alimentaires, un cerveau en formation, etc.

De plus, dialectiquement, l’axe Nord-Sud est le contraire de l’axe Est-Ouest. Pour être plus précis, car il y a mouvement, il faut parler d’axe Sud / Nord et d’axe Est / Ouest.

C’est même pour cela que la Grande Casserole est symboliquement essentielle pour l’humanité, elle représente littéralement la contradiction des deux axes.

Mais que voit-on ? Que les étoiles tendent vers le Nord, qu’il apparaît naturel d’y tendre. Si on tend vers quelque chose naturellement, c’est que l’autre direction relève du passé, il y a donc une opposition dialectique entre le Nord qui est « bien » et le Sud qui est « mauvais ».

Mais on parle des étoiles ! C’est l’humanité qui les voit. Tendre au ciel vers le Nord est donc « bien », quant au mouvement inverse… il se dirige forcément vers le bas de la Terre, vers les enfers.

On a l’opposition entre les enfers et les cieux.

Le monde de l’Est et de l’Ouest, c’est par contre celui de l’humanité, où là rien ne semble tendre naturellement vers quelque chose. L’humanité observe avec attention le lever du soleil, craignant qu’il ne revienne pas. D’où la célébration des solstices dans la joie et la crainte, selon leur nature.

D’où l’étude des équinoxes, pour vérifier que les cycles du soleil ne soient pas modifiés.

Calendrier japonais de 1729 (wikipedia), au Japon le « jour de l’équinoxe vernal » est férié depuis 1948

Et avec cette obsession Sud/Nord et Est/Ouest, on obtient les quatre directions, qu’on retrouve pour toute l’humanité.

L’empire inca s’appelle Tahuantinsuyu, « Quatre en un », avec quatre régions ; dans tout le reste de l’Amérique, les quatre directions sont également une composante fondamentale de la vision du monde.

L’empereur chinois vivait, lors des mois des solstices et des équinoxes, dans un bâtiment symbolique tourné vers le Nord, avec à chaque fois dans une pièce orientée dans une des autres directions. On trouve d’ailleurs dans le bouddhisme les Quatre Rois célestes, liés aux quatre directions cardinales.

Si l’hindouisme a multiplié les directions, tout se fonde sur les quatre directions fondamentales, le dieu Brahmā fondateur de l’univers ayant d’ailleurs quatre têtes, censées représentées les quatre vedas.

Voici la prière des quatre vents dans l’Avesta persan :

« De tous les péchés, je me repens. Ashem Vohu [Sainteté – invocation].…

[Puis : récitation une fois face à l’Est, à l’Ouest, au Sud et au Nord respectivement]

Hommage à ces lieux et à ces terres, et à ces pâturages, et à ces demeures avec leurs râteliers à foin, et aux eaux, terres et plantes, et à cette terre et à ce ciel, et au vent propriétaire d’Asha, et pour les étoiles, la lune et le soleil, et pour les étoiles éternelles sans commencement et qui se disposent d’elles-mêmes, et pour toutes les créatures possédant Asha de Spenta Mainyu, mâles et femelles, les régulateurs d’Asha. Ashem Vohu….

Accordez-lui des richesses

Ashem Vohu »

L’intérêt des équinoxes et des solstices est donc, également, un vecteur de la considération de la part de l’humanité de l’existence de quatre directions. On peut également considérer qu’on passe un cap dans l’Histoire quand il y a une conceptualisation de cela.

On en a une forte indication avec une civilisation en Amérique de vers 500-1300 de notre ère, dans le Chaco canyon, là où se trouvent notamment les habitations creusées dans un versant du plateau. Sur une butte (une colline à l’écart, aux côtés raides et avec un petit sommet plat), on trouve deux soleils en spirale traversés d’un « poignard » de lumière aux solstices et aux équinoxes.

Au solstice d’été, le poignard est au centre de la grande spirale, qui est par contre encadré de deux poignards au solstice d’hiver. Aux équinoxes, un poignard se place à la moitié de la moitié droite de la grande spirale, et au centre de la petite.

Habitations souterraines de la civilisation amérindienne du Chaco canyon
Le « poignard » dans le soleil

Pareillement, la lumière vient se poser chaque solstice d’hiver sur les yeux d’un petit chamane rouge dessiné sur un mur d’une caverne, sur le site d’El Vallecito en Basse-Californie mexicaine.

=> Retour au dossier sur La naissance du monothéisme

Le svastika et les étoiles de la grande casserole

Par « svatiska », en fait un mot masculin, on parle d’une croix gammée relevant de l’hindouisme, le mot venant du sanskrit (su pour « bien » et asti « il est »). Néanmoins, ce symbole très ancien est connu de toute l’humanité, depuis l’Amérique jusqu’à l’Extrême-Orient en passant par la culture néolithique dite de Vinča dans les Balkans actuels, ainsi qu’en Afrique.

Coupe peinte de la période de Samarra, Mésopotamie, vers 6200-5800 avant notre ère (wikipedia)

Ce constat a produit des interprétations idéalistes très prononcées, associées à la thèse dominante comme quoi ce serait une représentation du soleil en mouvement.

À suivre le psychiatre et psychanalyste Carl Gustav Jung, ce symbole relèverait d’un « inconscient collectif » propre à toute l’humanité ; tous les êtres humains auraient le cerveau façonné d’une telle manière qu’ils aboutiraient tous aux mêmes symboles.

Le mystique René Guénon, lui emboîtant le pas niveau symbolisme, y voit la preuve d’une sagesse « primordiale » datant des temps anciens. Il y aurait un axe central pour toute chose et, mélangeant un peu tout et n’importe quoi, René Guénon dit qu’il faut voir le swastika comme tournant autour d’un axe perpendiculaire, comme la planète autour de « l’axe du monde ».

Comme on le voit, il y a une base matérialiste à tout cela, mais c’est un idéalisme ; l’idéalisme surinterprète, déforme, modifie, abîme les faits.

« Une des formes les plus remarquables de ce que nous avons appelé la croix horizontale, c’est-à-dire de la croix tracée dans le plan qui représente un certain état d’existence, est la figure du swastika, qui semble bien se rattacher directement à la Tradition primordiale, car on la rencontre dans les pays les plus divers et les plus éloignés les uns des autres, et cela dès les époques les plus reculées ; loin d’être un symbole exclusivement oriental comme on le croit parfois, il est un de ceux qui sont le plus généralement répandus, de l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, car il existe jusque chez certains peuples indigènes de l’Amérique.

Nous avons dit ailleurs que le swastika est essentiellement le « signe du Pôle » [au sens d’un axe du monde] ; si nous le comparons à la figure de la croix inscrite dans la circonférence, nous pouvons nous rendre compte aisément que ce sont là, au fond, deux symboles équivalents à certains égards ; mais la rotation autour du centre fixe, au lieu d’être représentée par le tracé de la circonférence, est seulement indiquée dans le swastika par les lignes ajoutées aux extrémités des branches de la croix et formant avec celles-ci des angles droits ; ces lignes sont des tangentes à la circonférence, qui marquent la direction du mouvement aux points correspondants.

Comme la circonférence représente le monde manifesté, le fait qu’elle est pour ainsi dire sous-entendue indique très nettement que le swastika n’est pas une figure du monde, mais bien de l’action du Principe à l’égard du monde.

Si l’on rapporte le swastika à la rotation d’une sphère telle que la sphère céleste autour de son axe, il faut le supposer tracé dans le plan équatorial, et alors le point central sera, comme nous l’avons déjà expliqué, la projection de l’axe sur ce plan qui lui est perpendiculaire.

Quant au sens de la rotation indiquée par la figure, l’importance n’en est que secondaire et n’affecte pas la signification générale du symbole ; en fait, on trouve l’une et l’autre des deux formes indiquant une rotation de droite à gauche et de gauche à droite, et cela sans qu’il faille y voir toujours une intention d’établir entre elles une opposition quelconque. »

L’utilisation de le swastika par les nazis relève pareillement d’une approche mystique. Officiellement, ce serait un ancien symbole « aryen », choisi par Hitler comme symbole de la « victoire à réaliser ».

En pratique, c’était lié à tout un milieu nazi féru d’occultisme et voyant dans ce symbole la porte ouverte à toutes les interprétations délirantes sur une race aryenne qui aurait vécu en « Hyperborée » tout au Nord du monde.

Là encore, il y a une base réelle, le fait que le swastika ait un rapport avec le Nord, mais l’idéalisme transforme tout de manière subjectiviste.

Si on regarde par contre au moyen du matérialisme dialectique, on doit se fonder sur la chose suivante : une très grande partie de l’humanité connaît le symbole, depuis des milliers d’années.

Cette partie de l’humanité vit dans l’hémisphère nord et les étoiles étaient, de fait, la seule chose qu’avait en commun l’ensemble de l’humanité il y a des milliers d’années.

L’hémisphère nord

Et que voit-on ? Que justement le mouvement de la Grande Casserole, visible toute l’année, établit précisément forme et le mouvement montrés par le swastika.

La Grande Casserole désigne les sept étoiles les plus brillantes de la constellation de la Grande Ourse. Elle est appelée également Grand Chariot et, autrefois, le Septentrion ou encore constellation des Sept Bœufs.

Septentrion signifie nord et on n’utilise plus guère que le mot « septentrional », mais sa racine latine s’appuie justement sur septem (« sept ») et triones, pluriel de trio (« bœuf de labour »).

C’est-à-dire que les étoiles de la Grande Casserole étaient employées pour trouver le Nord et ce toute l’année, car elles sont circumpolaires, elles ne se « couchent » jamais dans l’hémisphère nord.

Concrètement, trois étoiles forment le manche de la casserole (Alioth, Mizar et Alkaïd), quatre la casserole elle-même (Dubhé, Mérak, Phecda et Megrez).

Si on prend les deux dernières étoiles de la casserole et qu’on suit une ligne, on arrive rapidement à ce qui est l’étoile polaire aujourd’hui, qui est l’étoile la plus brillante de la Petite Ourse. La distance jusqu’à l’étoile polaire est de deux fois la distance à l’œil nu des deux étoiles dont on part.

Si on reproduit le mouvement cinq fois, on tombe sur la constellation de Cassiopée, dont les cinq étoiles les plus brillantes forment une sorte de W.

Plusieurs autres étoiles peuvent être trouvées de la même manière. Si on prend le manche de la casserole, en s’éloignant de cette dernière, on tombe directement sur Arcturus, l’étoile la plus visible de la constellation du Bouvier. Si on continue, on a Spica, l’étoile la plus brillante de la constellation de la Vierge.

Si on se tourne maintenant vers les deux premières étoiles de la casserole, on tombe sur l’étoile Régulus, l’étoile la plus brillante de la constellation du Lion.

De manière notable, Arcturus, Spica et Régulus, on obtient un triangle, visible durant le printemps.

Si on reprend les deux premières étoiles de la casserole, mais dans l’autre sens, on a Deneb, l’étoile la plus brillant de la constellation du Cygne.

Tout cela montre très bien l’importance de la Grande Casserole. Et à chaque saison, la Grande Casserole est positionnée selon un axe différent, ce qui fait de la Grande Casserole l’expression même du mouvement dans les quatre directions, le symbole du mouvement du monde, propre à l’animisme polythéiste.

=> Retour au dossier sur La naissance du monothéisme

La déesse-mère et la lune, les mégalithes et le soleil

Pour qu’on puisse passer des dieux des étoiles au Dieu des saisons, il faut qu’il ait eu une base permettant la généralisation des dieux des étoiles. C’est ici qu’il faut se tourner vers le rapport entre les femmes et la lune.

Il y a une équivalence temporelle – qui relève du hasard, car il n’y a pas de lien matériel – entre les cycles menstruels de la femme et les 13 cycles de la lune pendant une année solaire.

Le lien, considéré alors comme plus que symbolique, avait été fait par l’humanité primitive. La Vénus de Laussel, qui date d’il y a 20 000 ans, qui tient une lune, est un exemple parlant de déesse-mère associée à la lune.

La Vénus de Laussel avec une corne de bison en forme de lune et marquée de treize encoches(wikipedia)

C’est que l’humanité primitive, avant de se tourner vers les étoiles, a d’abord observé le soleil et la lune. Les étoiles servent à se repérer, mais leurs passages dans le ciel exigent un certain niveau d’observation, la conservation de ces observations et de nombreux calculs, compliqués qui plus est.

Il a fallu donc une très longue période avant qu’on passe de l’observation du soleil et de la lune à celle des étoiles.

Naturellement, si l’on observe le soleil, il y a deux phénomènes qui s’imposent : le solstice et l’équinoxe. Si la Terre fait en effet le tour du soleil, son plan est incliné, alors qu’elle fait un tour sur elle-même en 24 heures.

Ce décalage aboutit au fait que le jour et la nuit ne sont pas de durée égale. Le jour le plus long dans l’hémisphère nord est appelé le solstice d’été (et se produit en juin, le 20 ou le 21), le jour le plus court est appelé le solstice d’hiver (et se produit en décembre, le 21 ou le 22).

Pour les solstices de l’hémisphère sud, il suffit d’intervenir les dates : le Nord connaît le jour le plus long quand c’est le jour le plus court pour le Sud et inversement.

On remarquera concernant le jour le plus court que la naissance du Christ a été justement placée en conformité avec la fête païenne du solstice d’hiver, moment où le soleil commence à « revenir ». On a ici une convergence « solaire ».

Et il y a les équinoxes. C’est le moment où le jour et la nuit durent chacun douze heures, avec le soleil qui se lève à l’Est et se couche à l’Ouest, car étant à la verticale au-dessus de l’Équateur.

L’équinoxe du printemps se déroule en mars dans l’hémisphère Nord et en septembre dans l’hémisphère Sud ; l’équinoxe d’automne a lieu en septembre dans l’hémisphère nord et en mars dans l’hémisphère sud.

C’est là où on débouche sur la question des mégalithes, qui sont apparus au néolithique. Plus exactement, il faut parler des structures d’apparence religieuse ou mystique, avec un cercle et des mégalithes.

Stonehenge, en Angleterre, avec 165 monolithes, entre 3000 et 1100 avant notre ère
Modélisation en 3D de la disposition de Stonehenge

Le plus connu est Stonehenge ; on peut mentionner le site de Sarmizegetusa en Roumanie, celui du cromlech des Almendres au Portugal, celui de Carahunge en Arménie, celui de Brahmagiri en Inde au Karnataka, ou encore celui de Sénégambie, à la frontière du Sénégal et de la Gambie.

Le phénomène est mondial ; l’humanité a, partout, raisonné en termes de cercle et de grandes pierres dressées, dont on connaît en France les menhirs et les dolmens, notamment à Carnac, bien que dans ce cas-ci il ne semble pas y avoir de cercles pour ce qu’on en sait.

Le site de Sarmizegetusa

D’innombrables analyses ont eu lieu à chaque cas, pour voir dans quelle mesure il y avait vraiment un rapport avec les solstices et les équinoxes. Dans certains cas, comme Carahunge, c’est démontré : des trous sont présents et plusieurs d’entre eux sont tournés vers le lever du soleil au solstice, plusieurs autres au coucher du soleil le même jour.

Le complexe de Chanquillo, au Pérou actuel, qui a 2 200 ans, est ici très intéressant : il consiste en treize empilements formant des petites tours de plusieurs mètres de haut et dans les créneaux formés, on peut suivre toute l’année le mouvement du soleil.

Lors du solstice d’été, le 21 décembre, le soleil se lève à droite de la première tour. On peut ensuite le suivre, jusqu’au 21 juin où, pour le solstice d’hiver, il se lève à gauche de la dernière tour.

Le complexe de Chanquillo (wikipedia)

Et il faut associer à ce phénomène des mégalithes les tumulus, dont l’un des plus fameux est celui de Newgrange, en Irlande. On parle ici de tombes construites comme des tertres artificiels.

On les trouve sur toute la planète, avec par exemple les Kofuns japonais, celui de Krakus en Pologne, celui du grand serpent aux États-Unis d’Amérique dans l’Ohio.

Le grand serpent, dans l’actuel Ohio (wikipedia)

Il n’est pas bien difficile de voir que les pyramides qui vont suivre sont le prolongement direct des tumulus, avec d’ailleurs la même fonction de tombeau en Égypte. Ce n’est pas le cas en Mésoamérique, où par contre on trouve des références aux étoiles.

Cela fait que, si on reconstruit de manière dialectique, les mégalithes et les tumulus relèvent du soleil et de la lune, les pyramides des dieux liés ou assimilés aux étoiles.

Le problème archéologique qu’on trouve ici est que s’il semble évident que les mégalithes sont liés à l’observation du soleil et de la lune, il n’y a jamais eu de preuve permettant de l’affirmer avec certitude.

Il est tout à fait possible ici qu’il ne faille pas surestimer l’humanité primitive dans ses capacités d’observation des solstices et des équinoxes. Cela se voit avec les grottes où l’on trouve des peintures rupestres.

Une hypothèse, là encore non prouvée mais indéniablement intéressante, est que les grottes avaient été choisies de telle manière à « capter » la lumière au moment des solstices et des équinoxes.

Si on prend le grand Temple d’Abou Simbel, construit vers 1260 avant notre ère, on a le soleil qui entre les 21 février et 21 octobre au niveau des statues qui s’y trouvent. Le 21 février, c’est le dieu Amon et le pharaon Ramsès II, et le 21 octobre, en sens contraire, c’est Rê-Horakthy, dieu du soleil, puis Ramsès II de nouveau. À chaque fois, le dieu des ténèbres, Ptah, reste dans l’ombre.

Abou Simbel (wikipedia)

Au temple maya dit des sept poupées de Dzibilchaltún, lors de l’équinoxe de printemps, le soleil qui se lève envoie la lumière sur une fenêtre pour traverser la fenêtre opposée. C’est un exemple parmi bien d’autres de la démarche mésoaméricaine.

Un exemple connu est également le serpent visible chaque équinoxe sur la pyramide mésoaméricaine de Chichen Itza, fruit d’une grande ingéniosité architecturale et d’une connaissance avancée de l’astronomie.

Chichen Itza lors de l’équinoxe de mars 2009

Notons également le site maya d’Uaxactun, dont le nom original était Siaan K’aa (« né dans le Ciel »), qui est ici une petite merveille de construction dans son rapport aux solstices et aux équinoxes. La pyramide fait face à trois temples et depuis celle-ci, on peut voir une partie du soleil à gauche du premier temple lors du solstice d’été, une partie du soleil à droite du troisième temple pour le solstice d’hiver et une partie du soleil au-dessus du temple du milieu lors des équinoxes.

Pour en arriver là, il a fallu tout un très long processus historique, de la part d’une humanité peu complexe. Jusqu’où faut-il remonter, telle est la substance de la question.

Et il est évidemment difficile de savoir ce que les êtres humains pensaient lors de leur installation, il y a plus de 35 000 ans au moins, dans des grottes où ils firent des peintures.

Eyzies-de-Tayac-Sireuil, qui a rejoint d’autres communes de Dordogne en 2019 pour former Les Eyzies, est une capitale mondiale de ces grottes, avec celle de Font-de-Gaume (200 gravures et peintures), celle des Combarelles (600 représentations), celle de Saint-Cirq (dite du Sorcier).

L’expression « homme de Cro-Magnon » pour désigner l’Homo Sapiens du paléolithique dit supérieur (45 000 – 12 000 avant nous) vient précisément d’Eyzies-de-Tayac-Sireuil, l’endroit où des squelettes vieux de plus de 27 000 ans ayant été trouvé étant désigné en occitan comme Cròsmanhon (« cros » signifiant creux en occitan).

On trouve également en Dordogne la très fameuse grotte de Lascaux. On trouve ainsi de très nombreuses interprétations – des plus crédibles aux plus farfelues – concernant l’art pariétal. En ce qui concerne la grotte de Lascaux, il y a des points dessinés aux côtés d’un taureau : s’agit-il d’une représentation des étoiles les plus visibles, appelées la Pléiade, de la constellation du Taureau ?

La grotte de Lascaux (wikipedia)

Néanmoins, la grande question est de savoir si les représentations sont simplement ce qu’elles sont – des images d’animaux surtout – ou bien s’il faut y chercher un lien avec l’astronomie.

Pour la vision bourgeoise du monde, les êtres humains sont des « individus » avec une conscience individuelle ; pour le matérialisme dialectique, ce sont des animaux développant leur cerveau, avec une conscience qui se fonde sur la vision du monde propre au mode de production.

Il est donc évident que les activités humaines de type culturelles sont liées au culte du soleil et de la lune, puis des étoiles.

Le fait que les défricheurs de la question des étoiles soient totalement inégaux dans leurs recherches – si on omet ceux qui émettent la théorie des « anciens astronautes » extraterrestres et qui sont par ailleurs toujours liés à l’extrême-droite occultiste, nazie – ne doit pas étonner. On a là un mur historique, celui de la compréhension de l’humanité par l’humanité, à travers les époques, à travers les modes de production.

C’est un ingénieur britannique, Alexander Thom (1894-1985), qui a, seul puis en compagnie de son fils et de son petit-fils, parcouru pendant 30 ans les sites mégalithiques de son pays. Il a considéré qu’il s’agissait de lieux permettant d’avoir une lecture astronomique des cieux, ce qui apparaît désormais comme juste, alors qu’il a été ridiculisé alors.

Et, en même temps, Alexander Thom avait plongé dans le fantasme d’un Yard mégalithique, de 82,9 cm et toujours à 1 mm près, qui aurait été la base de réalisation des mégalithes dans toute la Grande-Bretagne !

C’est un exemple de développement inégal dans le défrichement dans le domaine de l’Histoire, en particulier pour ces temps si lointains qui mènent à nous et où sans le matérialisme dialectique on fait une boucle et on voit l’avenir dans le passé, d’où la théorie délirante d’une civilisation extraterrestre ayant apporté des connaissances scientifiques fabuleuses, avec des pyramides électriques, etc.

Ouvrage de 1969 d’Erich von Däniken, principale figure de la théorie anti-matérialiste des « anciens astronautes »

C’est pareillement un autodidacte, l’Américain Alexander Marshack (1918-2004), qui a le premier mis en valeur les incisions sur les objets du paléolithique. Pour lui, il s’agit non seulement des traces d’un raisonnement mathématique, mais aussi de calculs relevant de l’observation du ciel.

L’os d’Ishango, datant de 20 000 ans et trouvé au Congo, contient des incisions sur chacune de ses faces; leur disposition laisse clairement penser aux mathématiques. Mais s’agissait-il d’un outil pour compter les mouvements dans le ciel ?

L’os de Lebombo, trouvé dans le Sud de l’Afrique et datant de 40 000 ans, a 29 incisions. Est-ce pour compter la lune, les périodes menstruelles ? Si on considère qu’il manque un bout de l’os, on tombe encore plus dans les conjectures.

L’os de Lebombo et celui d’Ishango (J.D. Loreto and D.H. Hurlbert Smithsonian)

Néanmoins, de manière matérialiste dialectique, si on part du principe que l’être humain est en évolution, alors, dans cette période où il a faim, froid, où il est carencé, où son esprit en formation… il ne pouvait qu’être littéralement happé par le soleil et la lune.

L’humanité était prisonnière d’une vie quotidienne entre la terreur et la joie, dans la survie et la découverte, et ses crises physiques, psychologiques, psychiques, devaient être terribles.

La religion – ici de la lune et du soleil – servait de synthèse des constats faits par l’expérience et de moyen de se rassurer, afin d’être en phase avec le monde.

=> Retour au dossier sur La naissance du monothéisme

De la déesse-mère aux dieux des étoiles, des dieux des étoiles au Dieu des saisons

Jusqu’à présent, la production historique du monothéisme n’a pas été expliquée. Il s’agit de résoudre cette question d’une importance immense, et ce qui est très intéressant, c’est que la réponse apparaîtra autant évidente qu’elle n’a pas été formulée auparavant.

Telle est la nature de l’évolution de l’humanité, qui accumulant des expériences et profitant de forces productives plus développées, peut relire le passé au moyen d’une conscience plus claire, plus profonde.

Figurine féminine en albâtre du site de Tell es-Sawwan, Mésopotamie, 6200-5700 avant notre ère

Expliquons ainsi les choses de manière lisible, en prenant les êtres humains primitifs, qui vivent de la chasse et de la cueillette, qui sont sortis déjà toutefois de la situation d’origine où ils vivaient les uns sur les autres dans une situation de communisme primitif.

On va les comparer à ceux qui ont commencé à instaurer l’agriculture et la domestication des animaux, qui ont établi des regroupements toujours plus importants, avec des temples et des rites bien structurés.

Pour les chasseurs-cueilleurs, la vie est une course éperdue. Les êtres humains sont alors des animaux dont le cerveau se développe, pendant des millénaires ; ils courent après leur existence, ils survivent d’autant plus difficilement qu’ils ne sont plus des animaux et commencent, laborieusement, à modifier leur existence.

L’univers est ici instable, on vit au jour le jour et chaque jour dépend de si telle ou telle action va réussir. Dans un contexte de carences alimentaires, de froid, de manque de sommeil, il n’y a qu’un seul vrai repère : l’alternance des jours et des nuits.

Hache polie en diorite (wikipedia)

Puis, à force d’observation, les étoiles ont un mouvement qui est compris et cela permet de former une carte stellaire, pratique pour se repérer géographiquement mais également pour mesurer le temps.

De cette contradiction entre l’espace et le temps naissent, en un sens, l’agriculture et la domestication des animaux, car l’humanité a acquis une compréhension, même primitive, du rythme des changements dans ce qui l’environne.

Et là, si on avance dans le temps et qu’on va à l’étape où l’agriculture est maîtrisée, la domestication des animaux mise en place avec continuité, alors on a une humanité différente.

Elle sait que ce qui s’est passé hier va revenir, d’une manière ou d’une autre mais en tout cas avec les traits généraux qui sont similaires. Le rythme des saisons l’emporte et c’est précisément là que naît le monothéisme.

La base du monothéisme, c’est la compréhension par l’humanité de la stabilité relative du monde, en lui donnant de façon incomplète et contradictoire une perspective, qui permet de poser la dimension esprit/matière et une trajectoire qui permette de poser la relation espace/temps, alors qu’auparavant, il était considéré que c’est l’instabilité relative qui prédominait.

Akhenaton et sa famille accomplissant une offrande pour le Globe Aton (dalle trouvée dans la tombe royale), entre -1372 et -1355

Les êtres humains primitifs vivaient une vie alternant les joies et les peines, extrêmes de par les conditions de vie, sans les comprendre complètement et avec un cerveau en formation qui plus est.

Il attribuait d’autant plus à la nuit et au jour des caractéristiques divines, avec le monde d’en bas et le monde d’en haut.

La souffrance, la tristesse, la douleur… tout ce qui était négatif se voyait relié à la mort, à la vie sur Terre, à la Terre elle-même, donc au monde sous-terrain où on se voyait attirer, engloutir, par la dépression, la maladie, la mort.

La joie, l’amusement, le bonheur… tout ce qui était négatif se voyait relié à la chaleur, à la vie dans le Ciel, au soleil.

Et c’était une bataille ininterrompue afin de faire en sorte que le bien l’emporte sur le mal. C’est l’époque du dualisme, qui caractérise tous les animismes polythéistes.

Krishna révélant à Arjuna sa forme universelle, vers 1740

Le monothéisme suit ce dualisme, le prolongeant, en le modifiant.

Le dieu impersonnel propre à tous les animismes polythéistes, consistant en le cours du monde, en l’énergie du monde, prend le dessus sur tous les autres dieux, qu’il fait même disparaître de par sa toute-puissance : il assure en effet la stabilité du monde.

C’est ce qui explique pourquoi le paganisme s’est effacé si facilement devant le monothéisme. Il y a continuité et rupture.

Prenons la Kaaba, le « cube » au cœur de La Mecque, autour duquel tournent les musulmans en pèlerinage. On y trouve une pierre noire, censée être tombée du ciel à l’époque d’Adam et Eve. C’est bien évidemment simplement une météorite.

Et comme on le sait, la Kaaba existait avant l’Islam. La tradition islamique affirme qu’on y trouvait auparavant plus de 360 idoles, ce qui rappelle immanquablement les jours de l’année.

Il apparaît également qu’il n’y aurait pas eu de toit à la formation cubique, ce qui pourrait en faire un monument « captant » la lumière, car l’un des phénomènes les plus marquants de la Kaaba, c’est que ses murs ne font pas d’ombre à deux moments de l’année.

Son emplacement a été calculé, afin de réaliser ce phénomène, à l’époque de l’animisme polythéiste.

L’Islam a directement repris l’ensemble, mais en remplaçant les idoles, liés au soleil, à la lune, aux étoiles, par un Dieu unique qui est en réalité le dieu impersonnel qui existait déjà. Il fallait par contre qu’il puisse se personnaliser – d’où le Coran, comme prétendu écrit divin, transmis par l’archange Gabriel à Mahomet.

La Kaaba vu par Adriaan Reland dans son Verhandeling van de godsdienst der Mahometaanen en 1718

On ne saurait toutefois reprendre l’Islam comme modèle de genèse du monothéisme, car Mahomet a réalisé un processus accéléré, afin de « rattraper » le temps perdu pour aller au monothéisme depuis l’esclavagisme.

Cela a donné naissance à un féodalisme militaire, pour combler l’absence de situation historique directement productive du monothéisme.

En pratique, le chemin menant au monothéisme a été immensément long. L’humanité ayant systématisé l’agriculture et la domestication des animaux n’a pas assumé le monothéisme du jour au lendemain.

D’une part c’était impossible car unilatéral ; d’autre part ce qui a joué c’est l’affirmation du patriarcat.

L’humanité a, concrètement, au fur et à mesure de sa sortie du communisme primitif, matriarcal, modifié la hiérarchie des dieux accumulés au sein de l’animisme polythéiste, mettant de côté les déesses, surtout la déesse-mère à l’origine centrale voire unique.

Ce n’est qu’au cours de ce processus de systématisation du patriarcat que l’humanité a tendu au monothéisme – et celui-ci n’intervient pas lorsque l’agriculture et la domestication des animaux commence, mais lorsqu’ils ont fini d’assurer à l’humanité une base relativement stable, passant un cap sur le plan des carences alimentaires, de la précarité de la vie (qui reste immense).

On a ainsi :

MatriarcatDéesse-mèreCosmos stable – naturalisme divinLes êtres humains vivent sur le tasPas d’horizon quant à un changement
Patriarcat, esclavagisme, agriculture, domestication des animaux, Cités-Étatsdieux des étoilesCosmos instable – les dieux s’affrontent, portant le bien ou le mal selon leur nature opposéeL’humanité précaire souffre mais se développe, faisant la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire de la joie et de la peineHoroscopes dans le cadre de l’animisme polythéiste
Agriculture aboutie, domestication des animaux aboutie,
État central organisé (empire)
Dieu uniqueCosmos stable – le Dieu unique assure le cours du mondeL’humanité est en mesure d’assurer une continuité et d’en avoir un réel aperçuMonothéisme avec réfutation de tout sens de changement hors du Dieu unique

=> Retour au dossier sur La naissance du monothéisme