Les « quartiers », base de l’armée de réserve industrielle
Ce qui s’est passé à Dijon pendant plusieurs jours, et surtout plusieurs nuits, révèle l’affirmation d’une contradiction absolument terrible déchirant le tissu populaire des secteurs marginalisés. Cette contradiction est celle entre un capitalisme s’étendant, mais plaçant toujours plus une armée de réserve prolétarienne dans des conditions de précarité et d’isolement social.
L’affrontement de centaines de jeunes d’origine maghrébine et tchétchène, sur une base ethnique et au moyen d’armes allant de la barre de fer au fusil automatique, correspond à une marginalisation, une communautarisation et une aliénation complète de pans entiers du peuple réduits au statut de force de travail éventuelle.
C’est ce que Karl Marx appelle « l’armée de réserve industrielle ». Il explique dans Le Capital que l’approfondissent du capitalisme amenait la formation d’une « armée de réserve » toujours plus grande : « La réserve industrielle est d’autant plus nombreuse que la richesse sociale, le capital en fonction, l’étendue et l’énergie de son accumulation, partant aussi le nombre absolu de la classe ouvrière et la puissance productive de son travail, sont plus considérables. »
Les « quartiers », assemblés par en haut par le capitalisme à partir des années 1960, forment la base de cette armée de réserve industrielle, dont on se sert éventuellement, en s’en servant de soupape également pour pressuriser les salaires. L’origine immigrée prévaut, comme garantie d’un manque de conscience politique et d’expériences des luttes de classe dans le capitalisme, avec aussi un faible niveau d’étude.
L’armée de réserve industrielle est la cinquième roue du carrosse et les « quartiers » sont par essence même marginalisés, avec un pied dans le prolétariat mais, en même temps, un pied dans le lumpenproletariat.
Le tournant des années 1990
Le caractère ultra-violent des événements de Dijon, avec l’absence d’intervention policière voire militaire, a profondément marqué les esprits. Qui observe cela en regardant les années 1990 y voit forcément un écho familier, mais baroque.
Pourquoi les années 1990 ont-elles ici une importance ? A cette époque, le capitalisme français, comme les autres États avancés du capitalisme, a achevé de digérer le contrecoup des soulèvements de 1968. La fin de la décolonisation et l’effondrement du Bloc de l’Est semblaient aussi ouvrir des perspectives désormais illimitées au capitalisme, à quoi il faut ajouter le processus d’unification européenne dans de nombreux domaines : économiques, juridiques, monétaire, etc.
Cette digestion a abouti sur le plan intellectuel à laisser une large place dans les analyses publiques à ce courant de pensée que l’on doit qualifier de « post-moderne ». Par ce terme, on entend ces théories intellectuelles qui se proposent de rendre intelligible les rapports sociaux à l’échelle de l’individu et de son vécu, immédiat ou imaginaire, exprimé à travers des « discours ».
En raison de l’existence de structures de pouvoir qui se pensent utiles au gouvernement des populations, la société constituerait un champ de confrontation de ces discours, les uns dominants, les autres dominés, de manière complexe et « intersectionnelle », ce qui générerait des oppressions au détriment de certains individus.
Il n’est plus alors question de lutte des classes et même de révolution, mais d’émanciper les individus des oppressions qu’ils subissent d’une part et de « gestion » des conflits d’autre part. On ne parle plus de Socialisme mais de « justice sociale ».
Cela accompagne le démantèlement par le capitalisme français de toutes les structures antagoniques relevant du communisme, leur isolement, leur destruction culturelle et idéologique.
L’affirmation de la vision du monde post-moderne
Très intellectuel dans les années 1960-1970, le courant de pensée post-moderne se diffuse plus largement dans les années 1980 dans les médias et dans les structures liés à l’université et l’éducation. Il profite alors largement de la lessiveuse de la pensée « anti-totalitaire » des années 1970, qui s’appuie largement sur la découverte littéraire des « dissidents » de l’Union soviétique de cette époque, comme Milan Kundera ou Alexandre Soljenitsyne.
Puis ce courant fini par gagner les organisations politiques dont les cadres sont progressivement formés dans cette perspective. Après l’épisode de ce que l’on appelé les « nouveaux philosophes » et sur le plan politique la « seconde gauche », la figure du sociologue s’impose dans les représentations culturelles françaises comme la figure par excellence de l’intellectuel à la place de l’écrivain.
C’est à ce moment-là qu’un bourgeois comme Pierre Bourdieu est monté au pinacle de la « contestation », aux côtés du Monde diplomatique et de son prolongement ATTAC, etc. Ce sont les années 1990 et « l’altermondialisme ».
Durant cette décennie, la question des classes populaire prend chez ces gens la forme de celle de la banlieue et de l’immigration, que sociologues et démographes ne cessent de scruter. Bien entendu, tous ne sont pas à l’unisson, mais il y a une véritable dynamique de fond. Depuis les émeutes de Vénissieux (dans le quartier des Minguettes en 1981) dans la banlieue de Lyon et la Marche pour l’égalité (dite « Marche des Beurs », en 1983), les post-modernes ont fait de la banlieue et de l’immigration deux termes symétriques qu’ils analysent comme un « phénomène », selon leurs catégories.
La « découverte » des cités et des « quartiers » dans les années 1990
La vie populaire dans les quartiers « sensibles » des grandes métropoles capitalistes retient grandement l’attention de la société française d’alors, ouvrant un champ sans précédent à l’expression de celle-ci sur le plan culturel.
C’est l’époque où le hip hop décolle en France comme moyen d’expression de ces secteurs des couches populaires françaises, avec tout un style, toute une culture qui marque l’ensemble de la jeunesse de cette génération bien au-delà des celles banlieues et des immigrés ou de leurs descendants. Ainsi, le phénomène des tagueurs a connu dès le départ une nette participation de petits-bourgeois, voire même de bourgeois.
Cependant, avec une certaine justesse, la question des banlieues et de l’immigration a alors été comprise comme une contradiction du capitalisme français et la jeunesse de ces quartiers est allé dans la direction de multiplier de formes relevant de petits soulèvements, à Paris, à Marseille, à Toulouse, partout ensuite.
La nécessité de développer les consciences se fit jour. Sur ce plan, le rap a joué un rôle central, exprimant de manière parfois brutale et vulgaire, mais le plus souvent authentiquement, les contradictions au sein des masses de ces secteurs populaires : la vie morose, la pression permanente des flics et en particulier ceux des organes de répression policier comme la BAC, le vide affectif, l’absence de perspective, les drogues et les trafics, etc…
Les cités et les « quartiers » comme question sociale : 2005
Les sujets s’inspiraient alors très majoritairement de la vie quotidienne et bien peu des questions que l’on appelle « identitaires ». Il n’échappait à personne bien sûr que la questions des migrations était ici centrale, mais cela s’insérait dans une mise en perspective plus globale. Pour preuve, on a deux films emblématiques : La haine de Mathieu Kassowitz en 1995 et Ma 6-T va crack-er de Jean-François Richet en 1997.
Ce dernier était d’ultra-gauche, avant une carrière hollywoodienne, et ainsi le Virgin Megastore des Champs-Élysées était tapissé d’étoile rouges entourées chacune d’une roue dentée et d’un épi de blé. La Bande Originale du film devint un grand classique de par le choix très approfondi de chansons à portée sociale-révolutionnaire, dans une ambiance à la fois très sombre et très antagonique.
La chanson Les flammes du mal, de Passi, reflètent au mieux cette perspective où « c’est certain les plombs vont sauter ma cité va craquer : « Le sang et le feu sont réclamés par la foule / Sur le bitume l’engrenage se déroule / Foutre le dawa, niquer la rhala / Les flammes de l’enfer vu que le paradis n’est pas ».
L’embrasement tant attendu se produira en octobre-novembre 2005, partant de Clichy-sous-Bois pour s’étendre à toute la France. Il y aura pratiquement 10 000 voitures incendiées, 233 bâtiments publics dégradés, l’ensemble des dégâts s’élevant à 250 millions d’euros à peu près.
La révolte de 2005 comme antagonisme
Le noyau allant former le PCF(mlm) salua la révolte et l’encouragea, considérant en janvier 2006, dans « Continuons le processus enclenché, continuons à nous rebeller ! », qu’il y avait une fenêtre de tir pour une affirmation antagonique :
« Nous voulons dire ici quelques mots à propos de la situation issue de la révolte de novembre. Parce que pour nous celle-ci continue.
Pour nous la révolte est dans l’ordre des choses; pour nous il est normal que les masses se révoltent. C’est là-dessus que se fonde notre stratégie communiste (…).
L’une des accusations qui a été faite par ceux qui sont social en paroles, impérialiste dans les faits, est que cette révolte était aveugle, que les révoltés étaient des « lumpen », qu’un tel mouvement était apolitique car n’avait pas de revendications.
Il va de soi qu’un tel discours est celui de représentants de couches sociales opposées à la révolution. Car c’est la jeunesse prolétaire qui s’est révoltée.
Un mouvement révolutionnaire ne peut pas partir de fonctionnaires, dont le poste est garanti à vie, ni des étudiants, qui espèrent tout de même avancer dans le système et s’en sortir individuellement.
Il était inévitable également que les travailleurs subissant le chantage au chômage dans les entreprises capitalistes n’osent pas du jour au lendemain se rebeller, surtout quand tout le monde sait que les syndicats sont opposés aux conflits durs et à la confrontation avec les entreprises.
Il fallait donc que cela soit ceux qui n’ont rien à perdre qui lèvent le drapeau de la révolte et qui rejettent l’ordre social.
« La pauvreté est une force motrice de la révolution, les pauvres sont les plus révolutionnaires, la pauvreté est le plus beau des chants…. La pauvreté n’est pas une opprobre, c’est un honneur. » (Gonzalo)
De plus, une critique de la révolte sincère ne regretterait qu’une chose: qu’il n’y ait pas eu une organisation authentiquement révolutionnaire capable d’approfondir et d’élargir le mouvement (…). Pourtant la jeunesse révoltée a osé, elle n’a compté que sur elle-même. Elle n’a pas écouté ceux qui lui disaient qu’il ne fallait pas le faire, comme les mafias qui préfèrent le calme pour leur business, les religieux qui veulent intégrer l’Etat, etc.
Elle s’est organisée comme les masses s’organisent toujours lorsqu’elles se révoltent.
Il s’agit d’une rébellion authentique (…). La bourgeoisie a d’ailleurs diffusé tous le mensonges possibles sur la révolte.
On a parlé de causes religieuses, ethniques, banlieusardes, etc. On a parlé d’actions violentes pour être violentes, on a parlé d’actions n’ayant aucun sens, de destructions gratuites.
Même ceux qui se prétendaient en opposition au système capitaliste ont repris ce refrain. Leur masque social-impérialiste est tombé : leur discours est social, mais leur pratique impérialiste : en fait ils veulent surtout une France paisible et forte (…).
Le peuple en action, voilà la solution et voilà ce qui s’est passé.
Ce qu’il faut regretter c’est que l’ensemble du prolétariat n’ait pas rejoint la révolte. Le prolétariat aurait dû suivre sa composante la plus opprimée et la plus déterminée : la jeunesse prolétarienne.
Ce qu’il faut critiquer, c’est la soumission des révolutionnaires de salon à la petite-bourgeoisie, révolutionnaires de salon qui ne conçoivent qu’une lutte syndicale et associative, et qui s’enfuient dès que les luttes de classes s’emballent.
Parmi ces gens il y en a aussi pour arriver quand tout est fini et prétendre, eux, « comprendre. » Les masses n’ont pas besoin qu’on les comprenne, elles ont besoin qu’on les organise.
Car oui, c’est vrai, le peuple veut la guerre, oui les masses veulent détruire l’Etat. Seuls les partisans du capitalisme peuvent critiquer cela et la violence qui en découle.
Seuls des petits-bourgeois peuvent préférer un monde paisible, ne dérangeant pas leur commerce. Et seuls des traîtres peuvent rejeter la révolte, ou la passer sous silence, sous prétexte que les formes de la lutte ne sont pas « adéquates » (…).
La révolte de la jeunesse prolétarienne n’est pas une « révolte des banlieues. » C’est une révolte dans la continuité de la révolte des masses contre l’oppression. C’est une rébellion.
Voilà le principe essentiel de la ligne de masses des communistes authentiques.
Et la tâche des communistes, c’est d’accepter le développement inégal de la révolution, le décalage entre la situation sociale et la pratique des masses, pour tout remettre à niveau et développer la conscience révolutionnaire. Voilà les tâches très pratiques des communistes dans les mois à venir. »
La révolte de 2005 et son inaboutissement
Cette fenêtre de tir ne s’est pourtant pas concrétisé et au lieu de contribuer à un antagonisme populaire majeur, la révolte de 2005 s’est transformée en défaite et a amené un recul majeur des positions populaires, prolétariennes.
Le bilan tiré en 2015, dans « 10 ans après les émeutes de novembre 2005 en France », cherche à définir ce qui a empêché l’alliance de la jeunesse révoltée et du prolétariat :
« Il y a des moments dans l’histoire d’un pays où la vie quotidienne, avec son train-train, est bouleversée. Tout s’accélère, brutalement ; les masques politiques et sociaux tombent, tout se révèle à la face de la société.
La crise de mai 1968 a été un tel moment, et d’une manière moins importante mais significative, les émeutes de novembre 2005 ont également consisté en un moment de ce type.
Psychologiquement, cela a été un moment frappant, quasi traumatisant. Si une révolte de banlieues existait comme possibilité aux yeux de la société française, cela restait quelque chose de vague, sans réalité. C’est pourquoi la société française a été frappée de stupeur, littéralement. Il y a ici quelque chose de dommage, et d’inévitable, et d’historiquement très important.
D’inévitable, parce que l’année 2005 était un tournant.
Il y avait alors en au mois de mai le référendum sur la constitution européenne, et le « Non » qui avait gagné apparaissait au PCF(mlm) comme social-chauvin, ouvrant la voie au Front National. Ceux qui réduisent la lutte de classes aux revendications économiques – aidant le fascisme tant en pratique que sur le plan des idées – semblaient avoir gagné.
Si le « Non » avait eu un autre contenu, authentiquement progressiste, réellement de luttes de classes, les émeutes de novembre 2005 n’auraient d’ailleurs pas eu cet effet de division au sein des masses populaires françaises.
Mais comme le « Non » était social-chauvin, les émeutes de novembre 2005 ont été dénoncées, de manière unilatérale. Le Parti Socialiste et le Parti « Communiste » français les condamnaient, pendant que l’extrême-gauche, si prompte à parler de « révolution », était entièrement déboussolée, et n’avait qu’un seul mot d’ordre : se dissocier, à tout prix.
À ce titre, il est significatif que les anarchistes et les trotskystes n’aient pris position qu’une fois que l’état d’urgence a été proclamé. Ils n’ont commencé à parler qu’une fois que l’État avait eu l’initiative, révélant leur nature de supplétif « démocratique » du capitalisme.
Personne ne savait quoi faire de cette violence anti-étatique… personne, bien entendu, à part le PCF(mlm) et les secteurs des militants révolutionnaires autonomes assumant l’antagonisme avec le mode de production capitaliste.
Car pour le PCF(mlm) comme pour les milieux autonomes alors, 2005 aurait pu être une conjonction historique. Les masses populaires avaient connu, dans le secteur de la jeunesse, de multiples expériences de luttes de classe franchement antagoniques avec le capitalisme, notamment avec les luttes anti-CIP (Contrat d’Insertion Professionnelle ou « SMIC Jeunes »), en 1994.
Du côté des travailleurs, les grèves de 1995 avaient été la plus forte vague de ce type depuis 1968 ; il y avait eu de réelles mobilisations de masse tant dans le public que dans le privé contre le « plan Juppé » sur les retraites et la Sécurité sociale.
La culture prolétarienne des assemblées générales était particulièrement vivante et la possibilité d’une vraie émergence d’une autonomie populaire assumant l’antagonisme était considérée comme possible… (…).
Cette révolte n’a, toutefois, abouti à rien et cela est très visible dans le fait qu’elles n’ont justement pas donné lieu à un mouvement d’assemblées générales permettant l’organisation des masses.
En fait, elle a témoigné d’une fracture des masses populaires, entre les secteurs populaires des banlieues, de culture très urbaine et souvent liées à l’immigration, et les masses populaires de la « France profonde ».
L’échec de l’union des masses a provoqué l’émergence d’Alain Soral, de Dieudonné ; cela a renforcé Marine Le Pen.
L’extrême-gauche s’est précipitée dans les thèses d’ultra-gauche, exprimant le point de vue des bobos de centre-ville tentant de gagner les banlieusards.
Les banlieues se sont elles aussi plongées dans les thèses post-modernes, notamment avec l’Islam.
Les masses populaires de province ont, quant à elles, considéré qu’elles étaient seules, abandonnées de tous, et ont choisi de soutenir le Front National.
Tout aurait pu être très différent.
Et la question de l’unité des secteurs populaires doit donc être bien à l’esprit des progressistes : on a là un contre-exemple historique. »
Un rendez-vous raté avec l’Histoire lourd de conséquences
Le bilan, tracé en 2005 par l’avant-garde en France, prévoit de manière admirable le processus allant de 2005 à 2020 : un isolement ouvrier dans le Front National, une basculement dans les idéologies post-modernes, notamment la religion, pour les banlieues, et la transformation de l’extrême-gauche en une ultra-gauche.
On a ici un terrible rendez-vous manqué avec l’Histoire, en raison du refus de reconnaître la signification historique, culturelle et politique de la violence par une gauche française d’un anticommunisme virulent et entièrement inféodée au réformisme, à l’anarchisme et au trotskysme.
En 2002, soit sept ans après une révolte ayant ébranlé le pays, la trotskyste Arlette Laguiller de Lutte Ouvrière fait 5,72% aux présidentielles et le trotskyste Olivier Besancenot de la Ligue communiste révolutionnaire 4,25% des voix, soit plus que Robert Hue du Parti « Communiste » français (3,37%). 2,8 millions de personnes avaient fait le choix pour des partis se présentant comme révolutionnaires !
Il n’en restera pourtant rien, car on est là dans le simulacre, un accompagnement de l’inaboutissement de la révolte de 2005.
Les productions culturelles de cette époque reflètent ce désarroi ; on peut illustrer cela par les ambiguïtés du groupe Sniper, très populaire alors et qui avait cherché à conserver une certaine authenticité, mais qui n’arriva pas à dépasser les incohérences et s’est fait alors rattraper par des séries de polémiques avec les « identitaires ». On a ici en fait un passage la démarche identitaire-communautaire qui s’est généralisée.
Les idéologies post-modernes, qui acceptent le capitalisme mais prétendent révolutionner la société, tout en s’abstenant de faire la révolution, se sont engouffrés dans la défaite de 2005.
Elles ont imposé l’idée de lier la question des migrations non pas aux circulation de population conforme au fonctionnement même du capitalisme, mais au colonialisme français et à ses héritages.
Elles ont imposé l’idée de lier la question des banlieues non pas à la contradiction entre les villes et les campagnes, mais à celle du développement « culturel » des personnes issues de l’immigration, vues d’ailleurs non comme une composante du peuple, mais comme des communautés oppressées par la domination culturelle française et « bourgeoise » au sens que les deux termes seraient synonymes.
Une fuite en avant identitaire et communautaire
Les intellectuels et idéologues post-modernes ont obtenu le soutien de la petite-bourgeoisie d’origine immigrée, mais pas seulement. Les États semi-féodaux semi-coloniaux d’où venaient la majorité des migrants ont joué un grand rôle contre-révolutionnaire dans l’encadrement de ces habitants immigrés ou issus de l’immigration des banlieues et dans l’assaut contre toute compréhension de la lutte des classes.
Des pays comme le Maroc, l’Algérie ou la Turquie notamment ont imposé un encadrement quasi policier fondé sur les superstitions religieuse et la soumission à l’autorité. Ils ont propagé un « anti-impérialisme », une lecture religieuse du monde, un antisémitisme à prétention « révolutionnaire ».
Le salafisme, ce courant de retrait du monde et de refus de la vie politique s’est ici d’autant plus développé qu’il présentait à la fois une expression parallèle, parfois soutenu financièrement, de ces interventions étatiques, et un refus d’avoir affaire à des questions étatiques, institutionnelles.
Son audience a été extrêmement significative, reflétant tout à fait une mentalité de repli, de défaite. Les tenants de « l’État islamique » apparaissent ici comme ceux voulant se replier jusqu’au bout, dans un pays paradisiaque imaginaire défini de manière ultra-romantique.
C’est là une expression de décadence totale, d’effondrement des mentalités sociales et des rapports démocratiques.
C’est l’irruption d’une néo-féodalité au cœur de l’un des pays les plus riches du monde, une chose impensable dont l’existence révèle que tout s’effondre au fur et à mesure.
Tout cela fait qu’à partir de 2005, il est toujours plus marquant que la question des banlieues et de l’immigration telle que formulée dans cette perspective post-moderne, « post coloniale », devient une abstraction de plus en plus éloignée de la vie quotidienne.
C’est la raison de la récupération de la question palestinienne, purgée de sa réalité démocratique, pour en faire un vecteur désincarné d’un anti-capitalisme romantique souvent teinté d’antisémitisme pour disposer d’une « charge » idéologique suffisante. Il s’agit d’une opération de séduction tout à fait calculée, afin d’évincer toute approche communiste.
C’est cette déconnexion, expression d’une crise idéologique extrêmement profonde et d’un désarroi terrible avec une petite-bourgeoisie toujours plus agitée, qui a produit les machines de guerre qu’ont été les « Indigènes de la République » et leur dénonciation des Français « souchiens », l’humoriste Dieudonné et sa « quenelle », Alain Soral et ses succès d’édition autour d’« Égalité et réconciliation », les attentats terroristes islamistes en France, notamment ceux du Bataclan, de Charlie Hebdo et les assassinats antisémites d’enfants juifs à Toulouse.
Une expression de la crise générale de la petite-bourgeoisie et de l’armée de réserve industrielle
Il est marquant que tous ces mouvements identitaire et communautaire produits par la crise ont imaginé être la solution à une crise interprétée selon leurs propres termes. Tous annonçaient un basculement en leur faveur, mais il n’en fut rien, toute tentative de formaliser quelque chose aboutissant à un échec complet. Les « Indigènes de la République » tablaient par exemple « le Bandung du Nord » de 2018, une sorte de colloque international censé élancer « l’anti racisme politique » en France derrière les figures du PIR.
L’événement, qui aurait dû former une « Internationale décoloniale » en tant qu’« alliance politique entre les mouvements décoloniaux d’Occident » se fondant sur les « mouvements sociaux des communautés noires, indigènes, rroms, asiatiques et islamiques », a été en fait sans importance.
Cela n’empêche pas ces « identitaires » et communautaristes de se prétendre au centre de l’Histoire. Lors du colloque « Quelles alliances avec la Gauche ? », Omar Slaouti parle de manière à la fois farfelue et mégalomane de « la centralité du Sud global qui pénètre le Nord par tous les pores » et revendique la « centralité politique ». La déclaration finale affirme que les « diasporas non blanches » seules peuvent frayer « de nouvelles voies politiques ».
C’est en fait une vague petite-bourgeoise, intellectuelle et démagogue, jouant sur l’affect : c’est cela qui explique comment en juin 2020, le collectif « la vérité pour Adama », après avoir été adoubé par la gauche post-moderne en particulier le P«C»F, a pu surfer sur la vague d’émotion anti-raciste en France à la suite du meurtre de George Floyd aux États-Unis par un policier.
Cet empilement de « mouvements » post-modernes a un même fond à vrai dire : il s’agit de mettre à la remorque les masses populaires d’un secteur de la petite bourgeoisie en contournant la lutte des classes pour la désamorcer avec un « nouveau paradigme », qui cible la société et non l’État et la bourgeoisie, afin de mener la lutte des places et non la lutte des classes.
Le cannibalisme social comme agonie de la petite-bourgeoisie et de l’armée de réserve industrielle dans le cadre de la crise générale du capitalisme
C’est cette désintégration sur le mode identitaire et communautaire qui amène un affrontement communautaire entre Maghrébins et Tchétchènes en 2020, là où la révolte de 2005 possédait une dimension sociale évidente de par sa nature même. Et cet a affrontement s’aligne sur la question des clans, menant des trafics, disposant d’armes, cherchant à agir en cannibales sociaux.
On retrouve ici tout un romantisme du semi-féodalisme des masses immigrées de pays semi-coloniaux, notamment en s’appuyant sur les secteurs les plus arriérés du sous-prolétariat urbain des cités.
La famille que serait la mafia, l’honneur dû entre ses membres, l’argent facile, l’idée d’être en « transgression » : cette fascination pour le banditisme a littéralement pourri le rap français dans les années 2000, avec la complaisance des médias et des secteurs de la gauche post-moderne.
Il est dans cette ordre d’idée incroyablement parlant que le réalisateur de Ma 6-T va crack-er se soit installé dans le cinéma hollywoodien avec des films alliant milieu de la criminalité et ultra-violence.
Le crime, le trafic de drogue, la prostitution… sont devenus ni plus ni moins que des éléments « normaux » de la vie des « quartiers », alors que les masses sont incapables de s’y opposer, que ce soit sur le plan moral ou matériel.
Au cours de ce processus, le capitalisme a fait du football, du kebab, du rap, de l’habillement de « rebelle » des quartiers autant d’icônes faussement transgressives.
La marchandisation est bien entendu le grand invisible, la thématique que n’abordent jamais les identitaires, les communautaristes, les post-modernes, car ils sont l’expression du capitalisme le plus extrême, le plus corrosif. Ils expriment sa crise générale, car ils veulent faire vivre un capitalisme différent, entièrement différent, c’est-à-dire redémarré.
Comme c’est impossible, ils sont obligés de charger la barque d’autant plus. L’irrationalisme, le fanatisme et le nihilisme prédominent chez eux toujours plus.
C’est l’agonie de couches sociales portées par le capitalisme, vivant par lui et pour lui, se prétendant contre pour gagner des places, mais indissociablement subordonnée à sa substance et donc condamnées à ne pas pouvoir changer leur condition, seulement à disparaître avec le socialisme.