Le terme « janséniste » fut formé par le camp des jésuites, qui tentaient ainsi de présenter Jansénius comme une sorte de nouveau Jean Calvin, de fondateur d’un nouveau schisme, un danger pour l’Église.
Jansénius, cependant, voulait refonder l’Église, plus que l’abolir ; quant à ses partisans français, ils représentaient un courant aux idées multiples, uni dans l’opposition aux jésuites et la volonté d’une quête spirituelle.
Au sens strict, il ne faut donc pas parler de jansénisme français, car ceux qu’on a qualifié de janséniste n’ont pas assumé ce terme. Ils auraient pu le faire, mais ils ne sont pas parvenus à une synthèse, à une réelle doctrine. Il manquait pour cela des forces sociales pour les soutenir.
C’est tellement vrai qu’Antoine Arnauld lui-même publia en 1686 un ouvrage intitulé Fantôme du Jansénisme, ou Justification des prétendus jansénistes, par le Livre même d’un Savoyard, Docteur de Sorbonne, leur nouvel Accusateur dans Œuvres.
Pourtant, Antoine Arnauld avait publié en 1643 La Théologie morale des Jésuites, puis en 1644 une Apologie de M. Jansenius, évêque d’Ypres, suivi devant les attaques d’une Seconde Apologie de M. Jansenius, en 1645. Son frère aîné avait traduit et publié de son côté en 1642 une œuvre de Jansenius, le Discours sur la réformation de l’homme intérieur.
Le jansénisme apparaît alors comme un outil à Port-Royal: il est davantage justifié de parler de courant religieux de Port-Royal des champs, qui était alors un monastère avec plusieurs bâtiments, à un peu moins de trente kilomètres de Paris, le tout gagné progressivement en s’appropriant des terres environnantes inutilisées, ainsi qu’en asséchant des marais.
Il était dirigé par la sœur d’Antoine Arnauld, Angélique Arnauld, qui établit ainsi à 18 ans la communauté de biens entre religieuses, les veillées nocturnes, les habits pauvres, le travail manuel. Elle rétablit également la clôture monastique : seules les visites au parloir sont acceptées.
Le 25 septembre 1609, lors de ce qui fut appelé la « journée du guichet », elle refusa par conséquent à son père de pénétrer dans le monastère auquel il avait pourtant donné une part significative de sa fortune, dans le prolongement de son activité en tant qu’avocat du Parlement de Paris, anti-jésuite proche d’Henri IV et auteur d’un Plaidoyer pour l’Université de Paris contre les Jésuites (et dont le grand père, de La Mothe-Arnauld, avait été un protestant revenu au catholicisme).
Angélique Arnauld fut par ailleurs initialement nommé « coadjutrice » de l’abbesse de Port-Royal, à l’âge de huit ans seulement, grâce aux pressions de son père. C’est sa soeur Agnès qui lui succédera en 1661, prolongeant l’esprit de Port-Royal en finissant de rédiger le règlement intérieur, les Constitutions, dont le mot d’ordre est l’obligation de la « prière perpétuelle ».
Le rôle des Arnauld est central : Port-Royal connaîtra en tout la présence de 22 membres de la famille Arnauld, alors qu’au total l’abbaye rassemble un peu plus d’une centaine de personnes.
En 1624, un déménagement à Paris fut nécessaire, le temps de réfections, des épidémies s’étant succédé et amené la mort de quinze religieuses en deux ans.
Passé sous la juridiction de l’archevêque de Paris au lieu de l’ordre religieux de Cîteaux, Port-Royal fit alors en sorte en 1629 que sa responsable ne soit plus nommée par le roi, mais élue par les religieuses : cela renforçait le pouvoir d’Angélique Arnauld, qui démissionne dans la foulée, se posant en cheffe spirituelle.
A cet effet, Port-Royal rejoint l’Institut du Saint-Sacrement, fondé en 1647 par Sébastien Zamet (1588-1655), qui était depuis 1622 directeur de conscience de l’abbaye de Port-Royal de Paris. A cet effet, Port-Royal (des Champs) devint Port–Royal du Saint-Sacrement, devenant indépendant de l’ordre cistercien, abandonnant de fait le scapulaire noir pour un le scapulaire blanc avec une croix rouge sur la poitrine.
Le blanc symbolisait le pain, le rouge le vin : on est là totalement dans l’idéologie de la Contre-Réforme, avec « l’adoration du saint-sacrement » représenté par un ostensoir ou un tabernacle.
Le projet d’unité avec deux autres monastères (le Tart, le Lys) échoue cependant, Sébastien Zamet prônant par exemple que soient alphabétisées les nonnes illettrées et leurs initiatives développées, que les bâtiments soient confortables, que tout soit propre et que l’on se serve de fourchettes.
Il fallait sélectionner les femmes postulant pour être religieuses, alors qu’Angélique Arnauld avait supprimé inversement les dots religieuses. La nourriture devait être élaborée, notamment les viandes, alors qu’Angélique Arnauld avait fait carrément supprimer celles-ci.
Port-Royal dit des Champs, qui rouvre en 1652, et Port-Royal de Paris menèrent alors leur vie commune en tant que structure indépendante, avec à l’apogée, 77 religieuses à Paris, 34 à Port-Royal des Champs.
La mise ne valeur de cette dernière, comme lieu isolé du monde, tient à Saint Cyran, qui a été le directeur de conscience de Port-Royal à partir de 1635.
Le cardinal de Richelieu choisit d’ailleurs un thème autour de ce rôle religieux pour emprisonner Saint Cyran : ce dernier considérait que, dans la confession, l’attrition ne suffisait pas, il fallait la contrition, c’est-à-dire non pas seulement le regret d’avoir péché par peur de l’enfer, mais une vraie expression de « l’amour » de Dieu.
Dans ses Provinciales, Pascal défend naturellement la position de Saint Cyran, commune bien sûr à Arnauld.
A côté de l’abbaye abritant 130 religieuses, il y avait des « solitaires » issues des classes dominantes et ayant choisi de rompre avec le monde, attirés par l’atmosphère d’isolement censé aider à la pénitence, à la componction, c’est-à-dire l’esprit de douleur, de regret par rapport aux péchés commis.
La première initiative fut réalisée en 1637 par Antoine Le Maître, neveu d’Angélique, qui renonça à sa fonction d’avocat et renvoya un brevet de conseillet d’État, afin de se retirer dans une petite maison proche du bâtiment parisien de Port-Royal. Il fut rapidement suivi d’autres, avant que la répression ne s’abatte.
Les solitaires s’installèrent alors à Port-Royal en tant que tel, pour s’y faire chasser de nouveau deux mois après. Il s’installèrent alors à la Ferté-Milon chez le chez le grand-oncle de Jean Racine, pour revenir à Port-Royal (des champs) en 1639.
Les solitaires, qui dormaient sur la paille, se levaient à trois heures du matin, pour immédiatement pratiquer des « adorations » ; ils lisaient ensuite chaque un jour un chapitre de l’Évangile en étant à genoux.
A la matinée de prières suivait un « examen de conscience » ; le repas de midi est accompagné de la lecture d’un chapitre du nouveau testament et de la vie des Saints.
L’après-midi était libre, pour se promener, discuter ou se retirer, mais deux heures le matin et deux heures l’après-midi étaient consacrées au travail manuel. Le soir, il y avait une simple collation et durant l’année, plusieurs jeûnes au pain et à l’eau étaient prescrits.
Dans un esprit de mortification, certains portaient le cilice tout le temps, qui est une ceinture enserrant violemment les reins, avec également trois fois par semaine l’utilisation possible de la discipline, qui est fouet à cordelettes. Le sens de cette pratique est de témoigner de l’éloignement des passions, des désirs matériels, des honneurs ; les solitaires de Port-Royal se voulaient morts pour le monde et le monde mort pour eux.
Dans le sens de cette approche mystique, il était considéré que le moyen de vénérer Dieu était non pas de se « rompre la tête dans leur prière par des abstractions qui sont au-dessus de leur porté », mais de se « briser le coeur ». La référence est « Saint » Augustin, qui considère que prier se fait davantage « avec des gémissements qu’avec des discours, et avec des larmes plus qu’avec des paroles ».
Antoine Arnauld sera l’un de ces solitaires pendant douze ans, afin d’éviter la répression générale des institutions étatiques et religieuses à son encontre. Le plus célèbre d’entre eux fut toutefois justement Blaise Pascal, qui après deux crises mystiques abandonna la science pour la religion, faisant plusieurs retraites à Port-Royal.
Sa propre sœur y était elle-même une religieuse ; son directeur de conscience fut un solitaire, Louis-Isaac Lemaistre de Sacy, qui traduisit la Bible en français, connu sous le nom de Bible de Port-Royal et eu un grand succès, à une époque où les seules Bibles sont en latin, à part pour les protestants.
On retrouve une autre figure connue à Port-Royal : Jean Racine, passée quelques temps par les Petites-Ecoles, qui furent ouvertes de 1637 à 1660, sous différentes formes.
Y passèrent également Louis-Sébastien Le Nain de Tillemont (1637-1698), historien catholique, ou encore Pierre Le Pesant de Boisguilbert (1646-1714), économiste très hostile à Louis XIV.
L’approche des Petites-Ecoles s’opposait à celle des jésuites : ces derniers passaient par le latin, s’orientait vers la formation de savants et d’hommes vertueux, alors que les « Petites-Ecoles » passaient quant à elle par le français, avec un encadrement très fort, dans un esprit résolument chrétien spiritualiste.
Jean Racine n’y apprit donc ni la danse ni le théâtre, proscrits par définition ; l’histoire et géographie étaient relégués à l’arrière-plan également. De toutes manières, la centaine d’élèves passées par les Petites-Ecoles ne restèrent jamais très longtemps et l’institution ne dura que peu de temps.
Les Petites-Ecoles ne pouvaient, en effet, prétendre à devenir une institution ouverte et générale, de par la main-mise des jésuites à ce sujet.
Elles consistèrent successivement en une éducation à des petits groupes d’enfants par des solitaires, à Port-Royal même. Ensuite fut ouverte une petite école à Paris, jusqu’en 1650, puis dans les campagnes autour de Port-Royal, avec à chaque fois l’appui de sympathisants de celle-ci pour héberger l’initiative ; enfin, les Petites-Ecoles furent présentes non loin de l’abbaye, à la ferme des Granges, formant chaque année une trentaine d’élèves.
Un de leurs professeurs, Nicolas Fontaine (1625-1709) raconte la chose suivante à ce sujet dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de Port-Royal :
« Il y avait un maître dans chaque chambre, avec cinq ou six enfants. Les lits étaient disposés de manière que le maître les voyait tous du sien. Chacun avait sa table à part, et elles étaient rangées de manière que le maître les voyait toutes ; mais ils ne pouvaient se parler les uns aux autres.
Chacun avait son tiroir, son pupitre et les livres nécessaires, de sorte qu’ils n’étaient point obligés de rien emprunter à leurs compagnons. Le nombre des pensionnaires n’était pas fort grand, parce qu’on n’en donnait à un maître qu’autant qu’il pouvait tenir de lits dans sa chambre.
On se levait à cinq heures et demie, et on s’habillait soi-même. Ceux qui étaient trop petits étaient aidés par un garçon. On faisait la prière en commun dans la chambre, et ensuite chacun étudiait sa leçon, qui était de la prose pour le matin.
A sept heures, chacun la répétait au maître, l’un après l’autre. On déjeunait ensuite, et en hiver on se chauffait. Après le déjeuner, on se remettait à sa table; chaque enfant faisait sa version, qu’on leur recommandait de bien écrire. La version faite, ils la lisaient au maître, l’un après l’autre. S’il restait du temps, on leur faisait expliquer la suite de leur auteur qu’ils n’avaient point préparée.
A onze heures, on allait au réfectoire, et un de ceux qui avaient été confirmés récitait un verset du Nouveau Testament en latin. Les enfants d’une même chambre étaient à une même table avec leur maître, qui avait soin de leur servir à manger, et même à boire. On faisait la lecture pendant le repas.
Au sortir du réfectoire, on allait en récréation au jardin, en tout temps, excepté lorsqu’il faisait mauvais ou qu’il était nuit. Comme le jardin était fort vaste et plein de bois et de prairies, il était défendu de sortir, sans permission, d’un espace qui était marqué.
Les maîtres se promenaient au même lieu sans perdre jamais de vue leurs enfants ; mais leur présence ne les gênait nullement, parce qu’on leur donnait une entière liberté de jouer aux jeux qu’il leur plaisait de choisir.
A une heure, on allait dans une salle commune jusqu’à deux. Les enfants y apprenaient un jour la géographie et un autre, l’histoire. A deux heures, ils remontaient dans leurs chambres pour étudier la poésie, dont ils faisaient la répétition au maître à quatre heures; après quoi, ils goûtaient. Ensuite ils étudiaient le grec de la même manière que les autres leçons, et ils en faisaient la répétition. »
Voici une autre présentation de cette éducation :
« On se levait à cinq heures et demie ; on faisait la prière en commun dans la chambre ; puis chacun étudiait sa leçon, qui était de la prose pour le matin. A sept heures, chacun la répétait au maître, l’un après l’autre. On déjeunait ensuite ; puis on se remettait à sa table : chaque enfant faisait sa version, qu’on leur recommandait de bien écrire. La version faite, ils la lisaient au maître l’un après l’autre.
S’il restait du temps, on leur faisait expliquer la suite de leur auteur, qu’ils n’avaient point préparée (exercice collectif). A onze heures, on allait au réfectoire. Les enfants d’une même chambre étaient à une même table avec leur maître, qui avait soin de leur servir à manger et à boire. La récréation se passait dans le jardin, quand le temps le permettait, et il y avait toujours un des maîtres qui ne quittait pas les enfants, mais sans les gêner en rien dans leurs jeux.
En hiver, ou encore lorsque le temps était mauvais, ils se retiraient dans une grande salle, où il y avait un billard, un trictrac, des échecs, des dames, des cartes. Ces cartes étaient un certain jeu où l’on avait renfermé tout ce qui regarde l’histoire des six premiers siècles.
La récréation terminée, on s’occupait alternativement d’histoire et de géographie [cette leçon devait être commune) ; puis ils remontaient dans leur chambre, où jusqu’à quatre heures, sauf le moment du goûter jugé nécessaire surtout pour les petits, ils s occupaient d’écrire et de préparer leur leçon de poésie, qu’on faisait dire comme la prose le matin, depuis quatre heures jusqu’à six heures. Venait alors le souper ; puis la récréation.
A huit heures ils retournaient passer dans leur chambre une bonne demi-heure pour préparer ce qu’ils avaient à faire le lendemain matin. A huit heures et demie, on faisait la prière en commun : les enfants des différentes chambres, les messieurs et les domestiques y assistaient. Tous étaient couchés à neuf heures. Les jours de congé, on sortait de l’enclos et l’on allait vers Marly, Versailles ou Saint-Cyr. »