La onzième lettre inaugure les messages directs de Blaise Pascal – qui écrit de manière anonyme – aux « Révérends Pères ». On passe ici à l’offensive ouverte, et on devine qu’il y a une véritable théologie pour se le permettre.
Attaquer les jésuites de front est en effet très osé, surtout que le vocabulaire est outrancier : « opinions extravagantes », « décisions si fantasques et si peu chrétiennes » désignent les opinion des jésuites, tandis que Blaise Pascal assume entièrement un « discours de moquerie » une « ironie piquante ».
En apparence, on a là une raillerie tout à fait bien construite, et nombreuses sont les remarques qui existeront par la suite à ce sujet. La langue française a une littérature seulement depuis le XVIe siècle et on aurait là un morceau fameux de l’esprit français dans les lettres.
Il y a toutefois bien plus. Madame de Sévigné, elle-même proche des jansénistes, explique ainsi ainsi dans une lettre à madame de Grignan :
« Quelquefois, pour nous amuser, nous lisons les petites lettres de Pascal : bon Dieu, quel charme ! Je songe toujours à ma fille, et combien cette justesse de raisonnement serait digne d’elle.
Peut-on avoir un style plus parfait, une raillerie plus fine, plus naturelle, plus délicate, plus digne fille de ces dialogues de Platon qui sont si beaux ?
Et lorsqu’après les dix premières lettres, il s’adresse aux révérends pères, quel sérieux ! Quelle solidité ! Quelle force ! Quelle éloquence ! Quel amour pour la vérité et la religion ! Quelle manière de la soutenir et de la faire entendre ! C’est tout cela qu’on trouve dans les huit dernières lettres.
Je suis assurée que vous ne les avez jamais lue qu’en grappillant, par-ci par-là, les endroits plaisants. Mais ce n’est pour cela, quand on les lit à loisir. »
Les Provinciales ne sont donc pas que des critiques des jésuites, il s’agit aussi et même surtout de faire passer des principes théologiques précis.
Et pour Blaise Pascal, il s’agit de souligner qu’il s’agit d’une bataille au nom de la foi, de l’amour de Dieu, de l’Église :
« Car, mes Pères, puisque vous m’obligez d’entrer en ce discours, je vous prie de considérer que, comme les vérités chrétiennes sont dignes d’amour et de respect, les erreurs qui leur sont contraires sont dignes de mépris et de haine, parce qu’il y a deux choses dans les vérités de notre religion : une beauté divine qui les rend aimables, et une sainte majesté qui les rend vénérables ; et qu’il y a aussi deux choses dans les erreurs : l’impiété qui les rend horribles, et l’impertinence qui les rend ridicules. »
Les choses sont très claires : Blaise Pascal parle au nom d’une théologie qui se veut supérieur. Il veut supprimer l’existence des jésuites, ce qui revient à un coup de force au Vatican vu ce que cela sous-tend.
Si l’on suit le raisonnement fanatique, Antoine Arnauld devrait même devenir pape. Cette logique ultra, totalement sectaire, fait que Blaise Pascal, au nom de la vénération du « Corps adorable de Jésus-Christ », tempête toujours plus sur un mode dénonciateur toujours plus vain et incompréhensible, oscillant entre attaques personnelles et théologie générale.
On comprend qu’après le succès du début, les Provinciales aient échoué, se transformant en lutte aigue visant les jésuites pour faire passer une théologie mystique à moitié constituée.
Ainsi, dans la douzième lettre, Blaise Pascal rejette les termes employés à son sujet par les jésuites, « impie, bouffon, ignorant, farceur, imposteur, calomniateur, fourbe, hérétique, calviniste déguisé, disciple de Du Moulin, possédé d’une légion de diables », pour reprendre les mêmes arguments et les ressasser encore et encore.
La dérive sectaire est tout à fait nette et l’hostilité anti-jésuite a basculé dans le fanatisme déjà appuyé par la base mystique.