[Document de l’UCF-ML.]
La tempête révolutionnaire de Mai 68 a mis à nu, en France, la force et la profondeur de la contradiction qui oppose le mouvement de masse ouvrier à ses soi-disantes organisations « légitimes » : les syndicats.
Cette contradiction n’a certes pas été produite par Mai 68. Elle s’accumulait, depuis des années de combat, comme élément constitutif des positions de classe de l’avant-garde ouvrière.
Déjà en 1963, la brutale révolte des mineurs s’était soldée, au moment de la reprise bureaucratiquement contrainte, par quelques notables syndicaux sérieusement bousculés.
En 1967, dans les rues de Caen, les O.S. de la Saviem mènent la vie dure aux C.R.S.: les syndicats dénoncent ces ouvriers « mal éduqués », qui, issus du paysannat pauvre de la région, ignorent les politesses et les cérémonies du syndicalisme de négociation.
L’histoire subjective, longtemps cachée, du prolétariat d’après- guerre, c’est la scission, combat de classe après combat, entre l’avant-garde ouvrière immédiate – les ouvriers de la gauche du mouvement de masse – et le syndicalisme.
En Mai 68, il arriva que ce secret n’en est plus un ; que ce qui se cumulait dans une mémoire ouvrière dispersée se rassemble et éclate dans une orientation qualitative neuve et essentielle : l’anti- syndicalisme ouvrier devient, à l’échelle d’ensemble. un fait idéologique de classe.
Cet anti-syndicalisme, nous montrerons qu’il est la forme de masse primordiale de la critique prolétarienne du révisionnisme moderne.
En 1968, l’anti-syndicalisme ouvrier est certes spontané, confus. Mais il est aussi, déjà, la synthèse, au premier niveau, d’une expérience historique prolongée : celle de la lutte entre les deux voies, entre révisionnisme et position prolétarienne, telle qu’elle se donne, sous une forme pratique, sauvage, dans toute lutte de classe un peu sérieuse. De là que l’anti-syndicalisme, en Mai 68, est massif, global.
C’est sur tous les aspects de la nature de classe du mouvement que les masses ouvrières, levées contre le capitalisme et son Etat, ont rencontré sur leur chemin, en 1968, l’obstacle syndical.
Les syndicats ont brimé l’aspiration essentielle à la démocratie de masse ; ils ont fait barrage, de tout leur poids, à l’irruption de la violence révolutionnaire ; les ouvriers se sont certes battu, durement, et victorieusement, à Flins ou à Sochaux.
Mais en dehors des syndicats, contre le voeu et le gré des syndicats ; mais aux côtés de la jeunesse, que les syndicats essayaient de tenir à l’écart des usines, divisant le mouvement, entretenant l’ouvriérisme borné et réactionnaire de la « revendication » d’usine, quand on était dans la plus grande tempête politique depuis 1947 au moins.
Sur les enjeux mêmes de Mai 68, la discordance entre les ouvriers révolutionnaires, combatifs, ou même simplement décidés, et les syndicats, est totale.
C’est ce qui s’avère au coeur même du mouvement historique, quand les masses ouvrières de Renault- Billancourt noient sous les huées les « positions » de Séguy – les scandaleux accords de Grenelle.
A cet instant décisif, sur les seules ressources de l’anti- révisionnisme spontané le prolétariat de la métallurgie brise la lugubre « fin de grève » cuisinée par Séguy et Pompidou.
Et ce que le prolétariat affirme ainsi, ce n’est pas principalement son refus de tel ou tel résultat de la négociation, mais la conception même d’une négociation de ce type, sans mesure aucune, à ses yeux, avec le souffle politique révolutionnaire du mouvement de masse.
Le prolétariat, levé en tant que classe, affirme brutalement qu’entre ses aspirations immédiates, entre sa force globale, et la conception syndicaliste de la négociation, il y a un fossé infranchissable. Classe contre classe, et les révisionnistes de l’autre côté.
Ce sont là des faits. Et comme le dit Mao Tsé-toung, c’est d’eux qu’il faut partir, sans restriction ni peur.
Or, cette peur de seulement regarder en face Mai 68, voici qu’elle s’est retissée et retapie jusque dans les cervelles de beaucoup, qui se disent marxistes-léninistes.
Voici que l’oubli et la répression des caractéristiques de Mai 68, opération révisionniste s’il en fût, gagne et contamine des pans entiers du « mouvement révolutionnaire » en déconfiture totale depuis son ralliement honteux à Mitterrand.
Et la forme première de cet oubli, de cette répression, c’est le refus de prendre audacieusement appui sur l’anti-syndicalisme ouvrier, c’est la négation abstraite, dogmatique, réactionnaire, du souffle révolutionnaire que véhicule l’anti-syndicalisme.
Voici que de soi-disants marxistes-léninistes, au nom des Principes ou au nom de la Tactique, donnent la main à cette entreprise proprement bourgeoise : rejeter à nouveau l’anti-syndicalisme ouvrier dans le champ de l’expérience aveugle, dispersée, non cumulative, dont la tempête de Mai 68 l’avait fait sortir.
Or, ce qui est en jeu est considérable.
Car l’irruption sur la scène politique d’ensemble de l’anti-syndicalisme ouvrier, c’est un pas essentiel vers la réappropriation, par la classe ouvrière, de son identité propre, de son espace politique révolutionnaire.
C’est l’embrasement de toute la scène politique au feu de la lutte entre les deux voies : révolution prolétarienne contre révisionnisme.
Rejeter ce conflit dans l’obscurité des combats d’usine, dans l’épaisseur insondable de la mémoire ouvrière inorganisée, c’est à quoi s’emploie avec acharnement la bourgeoisie, dans ses variantes pro-américaine, pro-soviétique (révisionniste) et syndicaliste- centriste (C.F.D.T.).
En fait, ce que l’anti-syndicalisme ouvrier fait surgir sur le devant de la scène en 1968, c’est le spectre de la dictature du prolétariat.
Et dans l’effort surhumain des Pompidou, des Chaban-Delmas, des Mitterrand et de Séguy, des Rocard et des Maire pour reconstituer à tout prix les syndicats comme représentants et garants exclusifs de la négociation globale, de la présence d’ensemble, il faut voir le fond de la question : assurer à tout prix, sur la scène politique d’ensemble la dictature des règles bourgeoises, des idées bourgeoises. Étouffer jusqu’au soupçon d’une autre voie, d’une autre dictature.
Nos gauchistes repentis et nos soi-disants « marxistes-léninistes » vont-ils s’enfoncer dans la complicité restauratrice, après que l’anti-syndicalisme ouvrier ait fait entendre, sur la scène politique, les accents inouïs de la nouveauté prolétarienne, et l’exigence du Parti Communiste de type nouveau, l’exigence de la dictature du prolétariat ?
Quelle ingratitude! Car tous ces gens n’ont aujourd’hui un petit droit à la parole que grâce à l’irruption dissonnante de l’antisyndicalisme ouvrier.
De même que l’existence matérielle des exploiteurs n’est assurée que par le travail des exploités qu’ils oppriment, de même nos « révolutionnaires » issus de Mai 68 ne survivent dans leur petite différence que par l’élan donné par le prolétariat révolutionnaire à la grande différence : l’anti- révisionnisme, l’anti-syndicalisme. Et voici qu’ils veulent enterrer cela même qui les a fait naître !
A ceux qui aujourd’hui ne voient de salut que dans l’entrisme syndical, et courent ridiculement vanter les charmes de la CFDT à des ouvriers combatifs qui ont spontanément pour les syndicats un mépris de fer ; comme à ceux pour qui Mai 68, c’est les étudiants du 22 mars, la classe ouvrière ne sortant de ses limbes en 1974 qu’à Lip, sous la houlette – syndicale – de Piaget, nous répondons identiquement : s’il n’y avait eu en 1968, et en 1969, et en 1970, et en 1973 aussi bien (Renault), cette formidable condensation pratique de l’anti-syndicalisme accumulé depuis des années dans la conscience ouvrière, la lutte entre les deux voies au sein du mouvement de masse ouvrier serait encore, à l’échelle d’ensemble, indiscernable, inconstituée.
L’existence historique d’une avant- garde ouvrière révolutionnaire anti-révisionniste serait encore une hypothèse. Et vous-mêmes, partisans attardés de ce que l’avant- garde ouvrière met au rancart, vous n’existeriez même pas.
Si dérisoire soit-elle, votre présence dans ce débat politique s’alimente, fût-ce parasitairement, et à contre-courant de l’histoire, à cette formidable poussée prolétarienne anti-syndicaliste lente d’abord, puis furieuse, qui, dans les dernières décades, entreprend de briser l’hégémonie révisionniste, et d’ouvrir la voie à la question du Parti Communiste marxiste- léniniste de type nouveau.
Et nous leur disons aussi : votre propos syndicalisant actuel, c’est la répétition d’une erreur, répétition soumise à la règle, énoncée par Marx, d’être la farce après l’histoire sérieuse.
En 1967 et 1968, le marxisme-léninisme vivant, celui qui tente d’appliquer aux conditions concrètes françaises les enseignements de la pensée de Mao Tsé-toung et de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, est représenté, au niveau de l’organisation communiste par l’UJCML, au niveau des organisations de masse, par les Comités Vietnam de Base.
Quelle est, en 1967, la ligne de I’UJCML en matière d’organisation du prolétariat ? C’est, justement, l’entrisme syndical. Il s’agit d’organiser la gauche ouvrière en « sydicalistes prolétariens » sur le mot d’ordre : « Vive la CGT de lutte de classe ! »
Et cette ligne, l’UJCML la pratique avec autrement d’audace, de force critique et d’implantation réelle dans les usines, que nos Humanités Rouge à casquette CFDT ou nos pâlichons diffuseurs de Front Rouge animateurs de la fantômatique « Opposition Syndicale Révolutionnaire ».
Seulement cette ligne, qui postule que la gauche ouvrière est syndicaliste, est dès cette époque en contradiction avec l’antirévisionnisme spontané de cette gauche, lequel a justement pour forme pratique et idéologique l’anti-syndicalisme.
Mai 68 développe cette contradiction à une échelle telle que l’UJCML, pourtant seule organisation marxiste-léniniste présente dans le mouvement de masse, seule organisation capable d’enthousiasmer la jeunesse intellectuelle révolutionnaire pour le mot d’ordre maoïste « servir le peuple », ne peut survivre à la tempête : elle se disloque.
Le prolétariat, agent historique décisif, a donné une leçon à tous les marxistes-léninistes.
Dès lors s’ouvre obligatoirement dans tout le mouvement révolutionnaire un débat sur le bilan de cette leçon. Le centre de gravité immédiat de ce débat, c’est la question du syndicalisme. La lutte entre les deux voies, entre marxisme-léninisme et révisionnisme, passe nécessairement par cette question, et ce pour toute la période ouverte par Mai 68.
Face aux positions opportunistes et néo-révisionnistes qui se font jour à nouveau sur la question syndicale, l’UCF développe aujourd’hui, seule, un point de vue à la fois entièrement fidèle au marxisme-léninisme et à la pensée de Mao Tsé-toung, et conforme à la réalité historique, objective et subjective, de l’avant-garde ouvrière.
Articuler correctement la question du Parti sur l’anti-syndicalisme ouvrier, voilà la pierre de touche, aujourd’hui, de toute fusion entre le marxisme-léninisme et le mouvement ouvrier en France.
On peut ramener la question à quatre points :
1. « Militer dans les syndicats réactionnaires » : est-ce là un principe universel du léninisme, ou un choix politique lié à l’analyse de la situation concrète, et donc susceptible de se modifier avec cette situation ?
Nous montrerons que l’application créatrice du léninisme consiste justement, aujourd’hui en France, à refuser tout entrisme syndical. Que telle est l’usage militant, dialectique, de ce texte fondamental de Lénine : « La maladie infantile du communisme : le gauchisme », et en particulier du passage qui concerne les syndicats.
2. Aujourd’hui en France, militer ou ne pas militer dans les syndicats révisionnistes et réformistes, est-ce un choix purement tactique, ou un choix stratégique, un choix de ligne ? Nous montrerons que la réponse à la question syndicale engage aujourd’hui nécessairement l’orientation d’ensemble sur l’édification du Parti. Et que par conséquent, le refus de l’entrisme syndical constitue une ligne de démarcation stratégique etnre marxisme-léninisme et opportunisme.
3. Que sont les syndicats (CGT et CFDT) en France aujourd’hui ? Nous montrerons que leur aspect principal n’est plus d’être des organisations de masse de la classe ouvrière ; leur aspect principal, c’est d’être des organisations politiques, intégrées au projet étatique révisionniste, et dont la virtualité dominante est le social-fascisme.
4. Notre tâche : édifier des organisations révolutionnaires de masse, sous la direction de noyaux communistes, et dans le cadre d’ensemble du mot d’ordre : « Remettre aux mains du prolétariat et des masses populaires la question d’édification de leur Parti communiste de type nouveau. »
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Nouvelle Cause du Peuple, NAPAP, Action Directe