La gymnastique ne correspondait pas à la vision du monde de la bourgeoisie libérale et modernisatrice française de la fin du XIXe siècle. Celle-ci ne voyait pas d’un bon œil l’emprise nationaliste des sociétés de gymnastique, ni leur aspect militariste, qui d’ailleurs se tourneront ensuite largement vers le boulangisme.
La bourgeoisie libérale critiquait également la gymnastique en France comme étant devenue trop scolastique. C’était une grammaire à répéter mécaniquement mais n’ayant pas forcément un impact positif sur la santé et sur l’épanouissement de la jeunesse.
À la même époque, le sport se généralisait en Angleterre, notamment dans les institutions scolaires, et surtout celles les plus modernes qui refusaient un enseignement trop figé. C’était une préoccupation majeure en Angleterre, manifestation de la contradiction entre le travail intellectuel et le travail manuel.
Karl Marx l’évoque d’ailleurs dans le Livre I du Capital (chapitre 15-9) rédigé durant les années 1860, alors qu’il était à Londres depuis 1849 :
« On trouve de plus amples renseignements sur ce sujet dans le discours de Senior au Congrès sociologique d’Edimbourg en 1853.
Il y démontre combien la journée d’école longue, monotone et stérile des enfants des classes supérieures augmente inutilement le travail des maîtres « tout en faisant perdre aux enfants leur temps, leur santé et leur énergie, non seulement sans fruit mais à leur absolu préjudice ».
Il suffit de consulter les livres de Robert Owen, pour être convaincu que le système de fabrique a le premier fait germer l’éducation de l’avenir, éducation qui unira pour tous les enfants au-dessus d’un certain âge le travail productif avec l’instruction et la gymnastique, et cela non seulement comme méthode d’accroître la production sociale, mais comme la seule et unique méthode de produire des hommes complets. »
À la fin des années 1880, les éléments les plus libéraux et les plus modernisateurs de la bourgeoisie française se sont ouvertement tournés vers le modèle anglais, dans la continuité du sport aristocratique du milieu du siècle.
Un moment clé sera l’appel de l’Académie de Médecine mettant à son ordre du jour du 8 mars 1887 la lutte contre le surmenage intellectuel et la sédentarité dans les écoles. Elle critiquait alors la condition de la jeunesse française, le manque d’hygiène, la sédentarité, le peu de place réservée aux activités physiques dans les écoles, ou alors seulement limitées à la gymnastique.
En 1888, elle décerna son prix au Dr Fernand Lagrange pour sa Physiologie des exercices du corps.
Cela servira d’appel d’air a un large mouvement culturel, politique et idéologique, qui consistera en ce que l’on nommera plus tard une campagne pour la renaissance physique.
Trois personnes ont joué alors un rôle majeur, d’abord idéologique puis pratique, pour le développement du sport en France. C’était des intellectuels libéraux ayant connu de prêt la situation en Angleterre :
– George de Saint-Clair, éduqué dans des écoles anglaises, organisateur du premier cross-country en France. Il est le fondateur du Stade Français, puis de l’Union des Sociétés Française de Course à Pied, qui deviendra l’Union des Sociétés Française de Sport Athlétique (USFSA), à l’origine de la plupart des fédérations uni-sport qui verront le jour au XXe siècle.
– Pierre de Coubertin, qui après des lectures et sous l’influence de Hyppolite Taine choisi de rejoindre l’Angleterre où il découvrit le sport dans les institutions scolaires. Il a écrit L’Education en Angleterre et résumera plus tard sa participation à la campagne pour la renaissance physique dans son ouvrage Une Campagne de vingt-et-un ans.
– Paschal Grousset, ancien communard réfugié en Angleterre où il a étudié de prêt la société anglaise et découvert le sport. Auteur du roman à succès La Vie de Collège en Angleterre, il entre en « campagne » en publiant de nombreux article dont la plupart seront compilés dans son livre Renaissance Physique en 1888.
Rapidement, Pierre de Coubertin rejoignit les positions de George de Saint-Clair et deux lignes se sont alors affrontées :
– la première, tournée vers l’amateurisme, c’est-à-dire uniquement vers les classes bourgeoises et aristocratiques, et violemment anti-ouvrière. Le premier article du règlement de l’USFSA était ainsi :
«Nul ne peut être admis comme membre de l’Union s’il n’est amateur. Est amateur : toute personne qui n’a jamais pris part à une course publique ouverte à tous venant, ni concouru pour un prix en espèce – oui pour de l’argent provenant des admissions sur le terrain – ou avec des professionnels pour un prix ou pour de l’argent provenant d’une souscription publique – ou qui n’a jamais été, à aucune période de sa vie, professeur ou moniteur salarié d’exercices physiques – ou qui ne se livre à aucune profession ouvrière ».
– la seconde, celle de Paschal Grousset, qui n’entendait pas s’affronter à la bourgeoisie, mais qui n’entendait pas non-plus mettre de côté les masses populaires. Il incarnait alors une position intermédiaire, assumant d’un côté la modernité et la légitimité républicaine, refusant de l’autre d’être trop ouvertement critiqué par les sociétés de gymnastique.
La Ligue National de l’Éducation Physique qu’il a fondé le 1er juin 1888 comptait parmi ses membres des personnalités républicaines comme Georges Clemenceau, Jean Macé (fondateur de la Ligue de l’enseignement), Michel Bréal et Ferdinand Buisson (des proches de Jules Ferry), Alexandre Millerand ou encore les écrivains Alexandre Dumas et Jules Verne.
Les positions de Pierre de Coubertin et de Paschal Grousset étaient à l’origine assez proche, ces deux personnages ayant même échangé des lettres très cordiales, avant de se dénoncer mutuellement, d’assumer une concurrence ouverte.
Un de leur point commun était une certaine fascination pour la Grèce antique et les Jeux Olympiques.
La différence était que Paschal Grousset voulait les faire renaître sous une forme scolaire, et uniquement nationale : ses « JO » devait-être un grand championnat scolaire et populaire français. Pierre de Coubertin voulait pour sa part en faire une grande compétition internationale strictement amateur, donc réservée aux élites, ce qu’il réussit à faire avec les Jeux Olympiques modernes.
La campagne pour la renaissance physique a été un succès en ce sens où elle a impulsé un large mouvement permettant la généralisation du sport en France, et notamment du sport scolaire. Cependant, ce mouvement est resté longtemps très hétérogène, avec de nombreuses organisations et institutions s’affrontant, en raison des contradictions au sein de la bourgeoisie.
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de la gymnastique et du sport en France