La question de la social-démocratie au sixième congrès de l’Internationale Communiste

Si Boukharine a une conception du « capitalisme d’État » qui substantiellement est la même que celle de la social-démocratie, cela doit également beaucoup au fait que celle-ci ne s’est pas effondrée, comme l’Internationale Communiste l’avait déduit de la situation nouvelle.

D’un côté Boukharine est influencé par la social-démocratie, de l’autre c’est un moyen d’expliquer le maintien de celle-ci.

Selon Boukharine, le capitalisme est désormais caractérisé par des « tendances au capitalisme d’État » dans le cadre d’une centralisation du capital parallèle au développement des forces productives. Cela forme une stabilité réelle qui est, pour lui, la cause du maintien de la social-démocratie.

Boukharine ajoute également un autre aspect à cette question de la corruption par un capitalisme qui fonctionne : il souligne l’imbrication de la social-démocratie dans des institutions nouvelles, dans le cadre du rapport capital-travail.

Or, si l’on regarde bien là, on a la même thèse que la social-démocratie, qui n’a cessé d’affirmer que la situation « à l’ouest » de l’Europe était substantiellement différente de la situation « à l’est », qu’elle serait en mesure de jouer sur l’État et l’économie, etc.

Boukharine

Le problème à l’arrière-plan est en fait très simple à saisir. Comme le fait remarquer au congrès un délégué soviétique, il existe un profond décalage entre l’influence politique des Partis Communistes, qui grandit, et le travail organisationnel qui lui reste arriéré. Il donne plusieurs exemples, dont celui français : la SFIC a reçu en 1928 un million de voix, 300 000 travailleurs ont soutenu sa campagne, mais le nombre de membres n’est que de 52 000.

En comparaison, le Parti Communiste de Tchécoslovaquie, pratiquement le modèle du genre, a obtenu également plus d’un million de voix dans un pays bien plus petit (1/7e des voix), mais lui s’appuie sur 150 000 membres.

Dans les faits, il y a une grande sympathie ouvrière pour les communistes, avec pourtant une incapacité communiste à réaliser une ligne de masses, alors que la social-démocratie est quant à elle parvenue à se maintenir et à verrouiller de très nombreuses structures, notamment syndicales et sportives.

En Allemagne, comme le constate Thälmann, le Parti Communiste a eu 550 000 voix aux élections, la social-démocratie 9 millions, alors que celle-ci se place entièrement dans le cadre constitutionnel et n’a pas hésité à chercher la confrontation physique avec les communistes lors de la campagne électorale.

La maison Karl Liebknecht à Berlin, siège du Parti Communiste d’Allemagne de 1926 à 1933

La social-démocratie parvient dans les faits à se maintenir et cela, du point de vue de l’Internationale Communiste, au moyen de son aile gauche, qui tout en légitimant l’aile droite, diffuse des illusions dans les masses sur les objectifs et la détermination à aller au socialisme.

Les masses sont trompées par la social-démocratie, qui est pourtant un facteur de soutien au régime, voire une institution directe du régime comme en Pologne où avec Pilsudski la social-démocratie s’est convertie en une fraction nationaliste « de gauche » ultra-militariste et anti-communiste.

Dans un tel contexte, Boukharine semble apporter la réponse au problème, en disant que la social-démocratie est devenue un appendice d’un capitalisme désormais organisé.

Cela va produire une ligne dans l’Internationale Communiste qui va chercher la polarisation avec la social-démocratie, au lieu de chercher à dépasser celle-ci en étant plus dense, plus profonde qu’elle. Il faudra attendre le prochain congrès pour que le principe d’engloutissement de la social-démocratie, pour ainsi dire, soit mis en place.

Il se formulera alors avec le Front populaire, puis pendant la guerre avec la Démocratie populaire.

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