Tous les commentateurs sont d’accord pour évaluer la social-démocratie au début du 20e siècle selon le schéma suivant : il y aurait une gauche, un centre et une droite.
La droite préfigurerait la gauche réformiste, acceptant l’État tel qu’il est et ne faisant pas du socialisme un objectif en tant que soi. La gauche préfigurerait le bolchevisme. Le centre consisterait en des tendances aux mêmes objectifs que la gauche, mais céderait aux sirènes de la droite.
Cette lecture est tout à fait formelle. Elle semble d’autant plus vraie qu’après 1917, tant l’Internationale Communiste que l’Internationale formée par la « droite » agiront avec cette grille de lecture, du moins en apparence.
En réalité, l’échec de l’Internationale Communiste dans les années 1920 et, inversement, les grands succès communistes à former des démocraties populaires après 1945, soulignent que c’est un autre aspect qui a joué.
La clef n’est en effet pas tant qu’une gauche s’oppose à une droite, que le fait qu’il existe une contradiction entre la perspective social-démocrate et la démarche socialiste. Cette contradiction était l’aspect principal et elle complique particulièrement l’opposition entre la gauche et la droite.
La perspective social-démocrate était en effet de type rationnelle et idéologique ; le Parti choisit sur la base de discussions internes, agit selon un programme. Les syndicats, souvent formés par le Parti lui-même, sont considérés comme une courroie de transmission.
La démarche socialiste était volontariste, avec un Parti considéré comme une organisation rassemblant des tendances s’exprimant publiquement de manière contradictoire. Les syndicats étaient considérés comme indépendants, voire même intouchables et le but était de toutes façons était de courir derrière les luttes pour proposer une sortie politique socialiste aux questions qui se posent.
En ne comprenant pas cet aspect, le Parti Communiste d’Allemagne ne sut pas arracher la base du Parti Social-démocrate d’Allemagne. Il ne comprit pas la fidélité de cette base, son insistance concernant la formalisation des propositions.
De la même manière, le Parti Communiste d’Autriche resta littéralement une secte marginale politiquement, sans jamais comprendre l’envergure des sociaux-démocrates autrichiens qui organisaient l’écrasante majorité des ouvriers de Vienne tout en soutenant ouvertement l’URSS considérée comme socialiste.
Lorsque la majorité des socialistes français forment la Section Française de l’Internationale Communiste, cela sembla une victoire. Les communistes d’URSS s’aperçurent cependant que leurs traditions étaient socialistes, à rebours des traditions social-démocrates, et ne cessèrent de batailler contre cela, y compris au moyen de purges régulières.
Il ne faut donc pas considérer de manière abstraite comme quoi il y aurait ainsi une gauche, dont les principaux représentants sont Lénine et Rosa Luxembourg, faisant face à une droite de type révisionniste, alors que Karl Kautsky en diffusant le centrisme forme un obstacle à toute avancée réelle.
Cela est juste, mais l’aspect principal est le conflit, jamais apparent de manière ouverte, entre les socialistes et les sociaux-démocrates. La seconde Internationale est d’ailleurs une sorte de compromis, de 1900 à 1914, entre les deux tendances, un compromis se transformant même en une sorte de syncrétisme, qui ajoutera d’autant plus au chaos provoqué par le déclenchement de la guerre mondiale.
La social-démocratie allemande ne cessa jamais de pousser à la direction de l’Internationale le socialiste belge Émile Vandervelde, véritable incarnation de l’esprit de conciliation politique tout en étant inversement solidement ancré dans une tradition culturelle social-démocrate, notamment contre l’alcool.
Et si la social-démocratie allemande considérait Jean Jaurès comme relevant du réformisme, elle ne cessa jamais de pousser à une unité de tous les socialistes français, y compris avec Jean Jaurès. Ce fut même le moteur de la fondation de la Section Française de l’Internationale Ouvrière, en 1905.
Pareillement, en 1908, le Parti du Labour fut intégré à la seconde Internationale, alors que ce parti britannique, une sorte de fédération servant de voix politique aux syndicats, ne reconnaissait même pas la lutte des classes.
Lénine fut extrêmement critique par rapport à cette intégration complète et sans critique du Labour. Car il y avait toutefois une contre-tendance, massive, jouant un rôle historique toujours plus grand : en Russie, dans la social-démocratie, Lénine avait emporté la majorité avec lui et lui faisait se réaliser une ligne authentiquement révolutionnaire.
La direction de la seconde Internationale fit tout pour neutraliser cette affirmation du « bolchevisme », mais Lénine sut tenir tête à ces appels à rejoindre le camp du centrisme, dénonçant toujours davantage Karl Kautsky et récupérant lui-même tous les fondamentaux du marxisme, pour les développer.
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