Le thème de la guerre, considérée comme si important au septième congrès de la seconde Internationale, devint littéralement brûlant lors du huitième congrès, à Copenhague, du 28 août au 3 septembre 1910.
Cependant, le Bureau Socialiste International, qui avait été mis en place pour des réunions entre les congrès et rassemblait 25 pays, ne tenait des conférences qu’annuellement. Il faut attendre 1909 pour qu’il y ait un bulletin d’information, en allemand, en anglais et en français. Ainsi, il n’y avait pas le travail nécessaire à l’arrière-plan pour parvenir à une réelle unité organique.
Le journaliste français Jean Bourdeau y fut présent et il raconte notamment dans la Revue des Deux Mondes, avec son ton à la fois dédaigneux, humoristique et fasciné :
« L’Internationale compte actuellement 33 sections dans tous les pays du globe à développement industriel. Ces sections correspondent moins à des États qu’à des nations. Celles qui luttent pour leur indépendance forment des sections spéciales. La Pologne, la Finlande, etc., possèdent ainsi des partis distincts de ceux d’Allemagne et de Russie (…).
Une animation extraordinaire, des duels oratoires passionnés sur les questions brillantes du Millerandisme, des rapports entre les partis socialistes et la démocratie bourgeoise, entre ces partis et les syndicats ouvriers, de l’attitude des socialistes en cas de guerre, qui mettaient aux prises Bebel et Jaurès, Hervé et Vollmar, avaient signalé les précédents congrès de Paris, d’Amsterdam, de Stuttgart.
L’ordre du jour du Congrès de Copenhague n’offrait rien de bien excitant : relation des coopératives et des partis politiques, chômage, arbitrage et désarmement, résultats internationaux de la législation ouvrière, manifestation à organiser contre la peine de mort, procédés à suivre pour l’exécution rapide des décisions prises par les congrès internationaux, organisation de la solidarité internationale. Le programme du spectacle semblait médiocre.
Ces représentations théâtrales sont d’ailleurs réglées d’une manière monotone comme une tragédie classique ou un vaudeville à tiroirs, avec leurs motions, résolutions, amendements et compromis final (…).
Le total [des délégués] s’élevait à 887 membres, dont 189 allemands, 72 autrichiens [en fait 65], 84 anglais, 49 français, [146 Danois, 86 Suédois, 44 Tchèques, 39 Russes, 31 Norvégiens, 26 Belges, 24 Polonais, 24 Américains, 19 Finlandais, 14 Hollandais, 14 Hongrois, 13 Suisses, 9 Italiens, 7 Bulgares, 5 Espagnols, 3 Serbes, 2 Arméniens de Turquie, 2 Roumains, 1 Argentin] etc. (…).
De tous les États européens, l’Empire allemand est celui qui semble le plus solide. Son organisation militaire, policière et bureaucratique ne laisse apercevoir aucune lézarde. Aussi longtemps qu’il restera debout, la Révolution internationale n’a aucune chance de succès.
Mais, si le socialisme est ailleurs plus bruyant et emphatique, nulle part il n’a de racines plus profondes qu’en Allemagne. Ses partisans sont enflammés du fanatisme de secte, Pas à pas, suivant un plan de campagne, la démocratie sociale s’avance, et nous ne voyons pas ce qui peut la faire reculer (…).
Les séances se tinrent dans la vaste salle des concerts. Le matin de l’ouverture, une cantate composée pour la circonstance et merveilleusement exécutée par 400 choristes souhaitait la bienvenue aux camarades accourus de tous les coins du globe. Puis retentis le chant de guerre de l’Internationale écouté debout, tête nue.
Une procession de 25 000 personnes avait été organisée pour l’après-midi. Elle devait traverser la ville et se rendre au parc de Sondermarken. En avant-garde marchaient les agents de police.
Quinze corps de musique précédaient le premier bourgmestre Jensen, accompagné de sa femme. Suivaient les employés des postes sanglés dans leur redingote rouge, une escouade de femmes coiffées du bonnet phrygien, des sociétés de gymnastique et de chant, en casquettes blanches, les midinettes de la machine à coudre, les employés des chemins de fer, ceux du gaz, etc. : vingt-deux bannières bariolées distinguaient les groupements.
On défilait sous des arcs de triomphe : pressés aux fenêtres, les spectateurs : échelonnaient jusque sur les toits. De jolies blondes jetaient des fleurs. Des soldats en uniforme admiraient le cortège sans y prendre part. Les membres les plus connus de l’Internationale étaient acclamés au passage : pas un cri séditieux ne fut poussé (…).
Il [=le congrès] ne marquera pas une date importante dans l’histoire du socialisme. Le Vorwaerts [allemand] qui, au lendemain de ces congrès, entonne des hymnes d’allégresse, a, cette fois, baissé le ton.
Les délibérations n’étaient pas de nature à exciter un grand enthousiasme, et les Allemands n’y ont pas joué le premier rôle. La solidarité internationale ne parait pas si étroite qu’on le proclame. A mesure que le mouvement s’accroit, il se différencie, selon la loi de tout organisme.
Les querelles entre Tchèques, Italiens et Allemands au sein de la démocratie autrichienne, les divergences d’opinion entre Allemands, entre Français et Anglais sur les mesures à prendre en cas de guerre prouvent que les nations suivent chacune leur chemin, selon le train habituel de la nature humaine. Ce fut en somme un congrès de compromis qui s’acheva par des danses. Une petite fête avait ouvert le Congrès, une grande fête l’a terminé. »
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