Devant l’exigence des « reconstructeurs », les partisans de la IIIe Internationale se posaient comme les défenseurs du passé de la SFIO et réfutèrent le principe d’exclusions. Ludovic-Oscar Frossard expliqua même qu’il n’était pas d’accord avec Zinoviev, que les centristes ne seraient pas « des serviteurs de l’influence bourgeoise ».
Il tenta de jouer sur les sentiments, ne comprenant rien à au terrible coup que les centristes portaient au Parti :
« Camarades de la reconstruction : restez avec nous ! Je le proclame : vous êtes autant que nous de bons ouvriers du Socialisme international.
Restez avec nous, ô vous avec qui j’ai lutté dans les conditions les plus difficiles. Restez avec nous, je vous le demande. Restez avec nous pour l’avenir du Socialisme international !
Il ne se peut pas que vous restiez insensibles à l’appel que je vous adresse de toutes mes forces, presque en désespéré.
Camarades de la reconstruction, à cette heure difficile où nous tenons les destinées de notre parti entre nos mains, élevez-vous, je vous en conjure, comme j’essaie de le faire moi-même, au-dessus de nos déchirements intérieurs, si douloureux qu’ils soient, arrachez-vous aux blessures d’amour-propre et ne songez, comme j’essaie de le faire en cet instant suprême, qu’à l’intérêt qui doit nous unir tous, celui de la classe ouvrière et du Socialisme international. »
Or, tout cela n’avait aucun sens. La position des centristes quant au télégramme de la IIIe Internationale n’était évidemment qu’un prétexte. En les valorisant ainsi, alors qu’ils étaient d’avoir une démarche scissionniste, Ludovic-Oscar Frossard ne faisait que leur donner une légitimité. Les centristes ruèrent ainsi dans les brancards, refusèrent d’en accepter le contenu, Longuet étant ici un très bon acteur.
« Daniel Renoult : Mon cher Longuet…
Longuet : Non ! Non ! Je suis un agent de la bourgeoisie, je ne peux plus vous être cher.
Daniel Renoult : Je vous ai dit, mon cher Longuet… (Bruit au centre.) Vous le savez, nous vous l’avons dit au cours de la discussion que nous avons eue cet après-midi, nous n’acceptons à aucun degré l’interprétation que vous donnez à cette phrase de Zinoviev…
Longuet : Ce n’est pas une interprétation, il y a des mots. »
Et évidemment, la motion proposée par les partisans de la IIIe Internationale fut refusée par les « reconstructeurs », qui argumentaient qu’il faudrait dénoncer le télégramme, la confiance serait rompue, le prestige des centristes critiqués étant perdu ils seraient déshonorés s’ils restaient, etc.
Qui vint alors à la rescousse des « reconstructeurs » ? Bien évidemment Léon Blum et sa tendance de « résistance socialiste ». C’était un admirable coup tactique. En se mettant à la marge au moment du vote, les partisans de Léon Blum n’apparaissaient pas comme des opposants à la bonne marche des choses et ils avaient d’autant plus les mains libres pour venir à la défense d’une minorité prétendument agressée par la nouvelle direction.
Les partisans de Léon Blum affirmèrent ainsi qu’ils soutiendraient la motion des « reconstructeurs », rédigée par Paul Mistral, qui obtint 1398 mandats. La motion de la nouvelle direction s’appuyait de son côté sur 3 247 mandats, alors qu’il y avait 143 abstentions et 29 absents.
Or, cela impliquait la formation de deux nouveaux blocs, une chose qui n’aurait pas pu avoir lieu si les partisans de Léon Blum avaient participé au vote initial.
Ne restait plus alors qu’à porter le coup de grâce. Paul Faure annonça que les « reconstructeurs » se réuniraient le lendemain matin pour examiner la situation, c’est-à-dire évidemment en réalité de former une nouvelle structure, dont les bases avaient été prévues depuis plusieurs mois déjà. Il y a notamment une captation de fonds pour Le Populaire, un quotidien parisien qui deviendra par la suite l’organe de la SFIO « maintenue ».
Il fallait toutefois que la mise à l’écart des « reconstructeurs » tourne à la crise ouverte. Là encore, les partisans de Léon Blum furent à la manœuvre. Dans la foulée de la décision des « reconstructeurs » de se réunir le lendemain, Dominique Paoli annonça le départ des partisans de la « résistance socialiste », officialisant par-là la scission, la déclaration qu’il lut accusant bien entendu la majorité de sectarisme, d’aventurisme, de dogmatisme, etc.
« En dépit de tous les artifices accumulés jusqu’à la dernière heure pour en dissimuler le caractère et les conséquences, l’adhésion sans réserves et sans garanties à la IIIe Internationale crée un Parti entièrement nouveau, nouveau par sa doctrine, nouveau par sa tactique, nouveau par ses règles d’organisation et de discipline.
Il ne dépend pas d’un vote de Congrès de reporter sur le Parti de demain l’engagement qui continue à nous lier au Parti d’hier et d’aujourd’hui ; qu’il ne dépend pas davantage d’un vote de Congrès d’interrompre la vie du socialisme en France ni d’empêcher la participation du prolétariat français à une Internationale qui puisse comprendre l’universalité des travailleurs organisés.
Nous laissons donc le premier Congrès communiste tenir ici ses assises. Le Congrès du Parti socialiste (Section française de l’Internationale ouvrière) continuera ses travaux dans la salle du Démophile, 72 rue de Lariche, demain jeudi, à 10 heures du matin.
Y sont invités tous ceux des délégués qui n’acceptent pas les résolutions du Congrès de Tours transformant le Parti en Parti communiste. »
Non seulement les partisans de l’Internationale Communistes s’étaient fait manœuvrés, mais ils ne virent même pas que les scissionnistes menaient une grande opération de récupération du Parti socialiste SFIO afin de s’en présenter comme le canal historique, les seuls légitimes.
Les partisans de l’Internationale Communiste pensaient avoir à faire face séparément à la droite, les « reconstructeurs », la « résistance socialiste » : tout convergeait en fait contre eux. Leur réussite dans la transformation du Parti socialiste SFIO en Section Française de l’Internationale Communiste commençait par une débâcle politique.