Le piège en deux temps du vote pour l’adhésion au congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920

Le piège s’est immanquablement refermé sur les partisans de la IIIe Internationale, en deux temps trois mouvements. La première étape consista à organiser un petit scandale avant le vote, au cinquième jour, le 29 décembre.

À un moment pendant le congrès, on s’aperçoit qu’il manque des délégués, qui discutent à l’extérieur, apparemment en recherche d’un accord en marge du congrès. C’est le scandale général, il y a des débats pour savoir s’il doit y avoir ou non suspension de séance, ce qui a finalement lieu à 16h45, pour une reprise à 18h15, d’une très courte durée, juste le temps de décider de reprendre à 20h30 !

La reprise a lieu en fait à 21h ; Fernand Le Goïc voulut intervenir en proposant une sorte de motion conciliatrice pour tout le monde, mais n’ayant pas de mandat il en fut empêché tant par le président que par l’ensemble des présents.

Au congrès de Tours

La première étape visait à établir une véritable tension, tout en cassant l’élan naturel allant au vote. Il fallait prolonger le tir et pour cette raison, dans la foulée, Léon Blum intervint alors encore une fois… pour dire que lui et ses partisans ne participeraient pas au vote sur l’adhésion à la IIIe Internationale !

C’était là un coup magistral. Il s’agissait de pouvoir se positionner comme non-réformiste tout en faisant passer les pro-IIIe Internationale pour des sectaires. Ce coup était sorti de nulle part et personne ne protesta devant une telle action dont la nature était pourtant évidente si on réfléchit aux forces en présence.

Les partisans de l’Internationale Communiste étaient piégés par leur volonté d’en finir. Et en apparence, ils triomphèrent, puisque le vote dans la foulée donna 3 208 mandats pour l’adhésion à la IIIe Internationale, à quoi s’ajoutent 44 mandats pour la motion d’ultra-gauche qui se reporta sur celle-ci.

En face, la motion Longuet n’obtenait que 1 022 mandats, alors qu’il y avait 60 mandats pour une motion proposée par Adrien Pressemanne et voulant maintenir le principe de la « défense nationale ». Il y avait également 397 abstentions et 32 absents.

Aux résultats, les partisans de la IIIe Internationale entonnèrent l’Internationale, repris par les partisans de Longuet qui enchaînèrent par « Vive Jaurès ! », ce qui fut repris par les premiers sous la forme « Vivent Jaurès et Lénine ! ».

Dominique Paoli, Jules Blanc et Yvonne Sadoul au congrès de Tours

Vint alors la troisième étape. En ne participant pas au vote les partisans de Jean Jaurès avaient provoqué une scission sans même que cela se remarque. Les « reconstructeurs » se précipitèrent dans la brèche.

Ils exigèrent en effet dans la foulée du vote pour rejoindre la IIIe Internationale que soit votée la motion suivante, qui rejetait le contenu du message reçu par télégramme lors du congrès par cette même IIIe Internationale :

« La Congrès, profondément ému par le télégramme du Comité exécutif de la IIIe Internationale et les violentes polémiques qu’il contient, déclare se refuser à s’engager dans la voie des exclusions demandées par ce télégramme, et proclame sa volonté de maintenir intacte l’unité actuelle du Parti socialiste. »

Cette proposition de motion fut accompagnée d’un ultimatum : si elle n’était pas votée, les reconstructeurs sortiraient du Parti.

Ce n’était évidemment qu’un prétexte pour ne pas se plier à la majorité. Mais celle-ci avait commise l’erreur de permettre à la tendance de Léon Blum de se mettre de côté et d’avoir toléré le scandale de négociations en coulisses en plein congrès.

Qui plus est, les réserves de Ludovic-Oscar Frossard et de Marcel Cachin sur une prétendue brutalité de la part des bolcheviks laissaient un espace pour la présentation du télégramme comme d’un chantage.

Les nouveaux majoritaires continuèrent d’ailleurs en cherchant à se distinguer de l’exigence des bolcheviks. La réponse des partisans de la IIIe Internationale, par la voix de Daniel Renoult, est ainsi… qu’il n’est pas besoin d’une telle motion, car aucune exclusion n’était prévue ! Du moment qu’on accepte les nouvelles règles dans le Parti, personne ne se fera exclure, le télégramme dit une chose mais ce serait négociable, etc.

Une motion en ce sens fut alors proposée, contournant les exigences de la IIIe Internationale en disant que tout cela relève du débat d’idées, qu’il ne faut pas éjecter les centristes, etc.

« Le Congrès ayant pris connaissance de la déclaration du camarade Zinovieff et de la critique qu’elle dirige, dans les termes ardents de la polémique doctrinale contre la politique de la droite et celle de la fraction dite centriste, rappelle que l’indispensable discipline vis-à-vis de l’Internationale communiste n’exclut pas pour celle-ci, ainsi qu’il est dit dans l’article 16 des conditions votées par le dernier Congrès de Moscou, le devoir de tenir compte des circonstances de lutte si variées et de n’adopter de résolutions générales et obligatoires que dans la mesure où elles sont possibles.

Il déclare que la motion d’adhésion signée par le Comité français de la IIIe Internationale, approuvée par le Conseil exécutif de la IIIe Internationale, légifère pour l’avenir, n’impose aucune exclusion pour le passé, et précise, de la manière la plus formelle, que les exclusions prévues à l’article 7 et à l’article 20 des conditions de Moscou ne peuvent s’appliquer à aucun membre du Parti acceptant, dans son principe, la décision du présent Congrès et conformant son action publique à la discipline commune. »

C’était là tenter une conciliation qui était précisément ce que les scissionnistes attendaient. Ils n’avaient qu’à finir le travail.

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