La révolution française, après avoir initialement triomphé, s’enlisa et connut la forme impériale sous la direction de Napoléon Bonaparte, à quoi se succéda la Restauration.
Face à l’aristocratie revenue, il fallait pour la bourgeoisie relancer sa bataille idéologique et culturelle. Mais tout comme l’aristocratie revenue au pouvoir avait modifié sa nature, la bourgeoisie n’était déjà plus la même.
Elle avait connu de grands progrès, elle avait saisi sa force et, surtout, elle découvrait qu’elle avait donné naissance à une force hostile elle-même grandissante : le prolétariat. Les années 1815-1848 furent ainsi marquées par l’apparition des socialistes utopiques.
La bourgeoisie savait qu’elle devait encore utiliser la force populaire pour abattre l’aristocratie. Mais il était hors de question de donner libre-cours à cette force ; la bourgeoisie allemande capitulera d’ailleurs entièrement face à l’emploi de celle-ci.
Cela signifiait également qu’il était hors de question de prolonger les Lumières, leur universalisme et leur démarche matérialiste encyclopédique. Cela aurait été une arme évidente dans les mains du prolétariat.
C’est ici qu’intervient Auguste Comte (1798-1857), qui a élaboré l’idéologie adéquate à la bourgeoisie française dans son combat avec l’aristocratie.
Son idée de base est par ailleurs extrêmement simple. L’humanité aurait connu trois périodes : après « l’âge théologique » et « l’âge métaphysique », on en arrive à « l’âge positif ».
Dans Discours sur l’ensemble du positivisme, il résume cela ainsi :
« L’état théologique, avec ses trois phases : fétichisme, polythéisme et monothéisme, a joué un rôle certain dans la vie mentale et sociale de l’humanité passée en apportant les vues préétablies sans lesquelles aucun départ de la pensée n’eût été possible.
L’état métaphysique n’est qu’un état transitoire essentiellement critique et appelé à dissoudre l’état précédent.
Enfin, l’état positif a pour caractère fondamental d’établir les lois naturelles en subordonnant l’imagination à l’observation ; sa principale destination est la constitution de l’harmonie mentale. »
Auguste Comte, Discours sur l’ensemble du positivisme
L’esprit humain individuel connaîtrait le même parcours intellectuel : aux explications surnaturelles succède une lecture dogmatique, puis enfin une approche expérimentale, concrète.
Il est évident, du point de vue du matérialisme dialectique, qu’Auguste Comte procède ici à la liquidation des Lumières, au bannissement du matérialisme propre à la bourgeoisie dans sa période progressiste.
Ce qui compte, ce sont les initiatives tous azimuts, la tolérance mutuelle de toutes ces initiatives, la remise en cause de toutes les anciennes structures, afin de libérer la voie au capitalisme.
Voici comment l’ancien pasteur Edmond Schérer, chantre du libéralisme, résume admirablement bien cette vision du monde, tout en témoignant de l’incompréhension complète de la dialectique de Hegel en France :
« Il est un principe qui s’est emparé avec force de l’esprit moderne et que nous devons à Hegel. Je veux parler du principe en vertu duquel une assertion n’est pas plus vraie que l’assertion opposée (…).
La loi de la contradiction, tel est, dans ce système, le fond de cette dialectique qui est l’essence même des choses.
Cela veut dire que tout est relatif et que les jugements absolus sont faux. Cette découverte du caractère relatif des vérités est le fait capital de l’histoire de la pensée contemporaine.
Il n’y a pas d’idée dont la portée soit plus étendue, l’action plus irrésistible, les conséquences plus radicales.
Aujourd’hui, rien n’est plus parmi nous vérité, ni erreur. Il faut inventer d’autres mots.
Nous ne voyons plus la religion, mais des religions ; la morales, mais des mœurs ; les principes, mais des faits.
Nous expliquons tout ; et comme on l’a dit, l’esprit finit par approuver ce qu’il explique. »
Ce point de vue est exactement celui du « positivisme » élaboré par Auguste Comte. Ce qui compte, c’est ce qu’on peut constater concrètement, ce qui ressort donc de manière positive. Il faut savoir relativiser, car cela promeut le libéralisme. Il faut savoir se focaliser sur le concret, car on vit à l’époque du triomphe de l’industrie.