Il y a en France 20 850 000 actifs en 1921. 43 % de ces actifs relèvent de l’industrie et des transports, 43 % relèvent de l’agriculture, des forêts et de la pêche, 10 % du commerce, un peu moins de 3 % des professions libérales et un peu plus de 5 % des services publics.
La part des femmes dans la population active est passée de 32,8 % à la veille de la guerre mondiale à 40,5 % en 1918. Et on peut dire qu’un peu plus de la moitié de ces actifs consiste en des ouvriers et des employés.
Il n’est ainsi pas possible de parler d’une France réellement industrialisée, mais cela la CGT ne le voit pas du tout. Elle ne le peut de toutes façons pas, car elle raisonne en termes d’atelier, en termes de travail pratiquement artisanal, très petit-bourgeois.
La CGT d’avant 1914 a ainsi toujours assumé un positionnement de minorité agissante et même au pic de 1920, avec 2,4 millions d’adhérents, on reste dans une part très minoritaire des travailleurs.
De toutes manières, ce chiffre est gonflé et il est en réalité autour de 1,5 million d’adhérents, regroupés en 32 Fédérations.
Et ce qui est marquant, c’est que les bases de la minorité sont très localisées. Le cœur, c’est la région Rhône-Alpes, la Provence, à quoi s’ajoute le Centre-Ouest. Ou, si l’on préfère le département du Rhône, celui de la Loire, l’Isère, la Drôle, la Savoie, la Haute-Savoie, la Saône-et-Loire, les Bouches-du-Rhône, le Gard, les Basses-Alpes, le Var, les Alpes-Maritimes.
En ce qui concerne les majoritaires, ils dominent tout le Nord et le Nord-Est du pays, l’Ouest, le Sud-Ouest, la Corse. Surtout, l’afflux de nouveaux syndicats va initialement en leur direction et cela leur permet d’asseoir leur hégémonie puisqu’ils sont à l’initiative de ceux-ci, ce qui ancre leur propre démarche.
En 1918-1919, les minoritaires ne profitent pratiquement pas de cet afflux : ils ont comme base des syndicats déjà existant et solides.
Les minoritaires profitent en fait massivement de l’année 1920. Exactement comme pour le Parti Socialiste SFIO, l’année 1920 marque une modification en profondeur du rapport de force.
Congrès de la CGT | Syndicats | Votes pour le rapport de la direction | Votes contre le rapport de la direction | Votes pour la motion de la majorité | Votes pour la motion de la minorité |
14e | 1966 | 1325 | 555 | 1530 | 297 |
15e | 2163 | 1432 | 640 | 1446 | 561 |
16e | 2779 | 1477 | 1231 | 1486 | 1205 |
Ainsi, les minoritaires, en 1920, élargissent considérablement leur domination, aux dépens des majoritaires, et ce dans tout le pays, de manière uniforme.
Il y a cependant un arrière-plan à saisir. Le noyau dur des minoritaires, en 1918-1919, ce sont les syndicalistes révolutionnaires et les anarchistes syndicalistes, s’appuyant sur leurs bastions.
Par exemple, la Fédération des Cuirs et des peaux a en 1918 une forte présence anarchiste ; la Fédération des postes tout comme celle de la coiffure a une forte tradition syndicaliste révolutionnaire.
Afin d’améliorer une mise en réseau de ces milieux sont formés au sein de la CGT, en octobre 1920, des « Comités syndicalistes révolutionnaires », alors que paraît depuis 1918 l’hebdomadaire La Vie ouvrière.
Toutefois, les minoritaires qui sont issus de la vague de 1920, où la CGT double ses adhérents par rapport à 1919, s’orientent quant à eux vers les partisans de l’Internationale Communiste, tournés vers la Russie Soviétique.
Ainsi, on a des minoritaires dont les cadres historiques sont syndicalistes révolutionnaires, mais dont la base est tournée vers l’Internationale Communiste. Il va de soi que cela formait une contradiction devant être explosive à un moment.
Le panorama se complique encore si l’on regarde par secteurs. Dans la Fédération de l’Agriculture, la majorité avait par exemple les 2/3, dans celle du Bois de moitié, dans celle des Allumettes seulement 1/3.
On peut dire que les majoritaires ont comme bastions les Fédérations de l’agriculture, des allumettes et des tabacs, de la chapellerie, de l’éclairage, du livre et du papier, des inscrits maritimes, de la manutention, des postes, de la santé, du spectacle, du transport, des services publics.
Les minoritaires ont comme bastion l’alimentation, le bois, le bâtiment, le bijou, la blanchisserie, la brosserie et le sciage, la chimie et la céramique, le chemin de fer, la coiffure, l’enseignement, la Fédération métaux-voiture-aviation.
Oscillent entre les deux les Fédérations des cuirs et des peaux, des employés de l’État, de l’habillement, des préparations en pharmacie, du sous-sol, du textile, du tonneau, de la verrerie.
Il y a là une forte division, mais on peut voir une règle apparaître : plus une Fédération se densifie, plus elle est forte, plus elle s’oriente vers les minoritaires. Cela ne veut pas dire que la Fédération soit forte dans son secteur, mais qu’elle s’approfondit en tant que sa structure.
En fait, l’opposition accompagne la recomposition de classe.
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