es attentats de groupes fascistes dans les cités américaines et contre des officiers et des soldats américains dans la région de Francfort dans la seconde moitié de l’année 1982, nous ont d’abord été attribués par la Sécurité de l’Etat, puis, après l’arrestation du groupe Hepp, par les réformistes de gauche qui nous ont considérés comme responsables moralement.
Une journaliste de TAZ a mis une fois de plus dans le mille en remerciant le BKA d’avoir arrêté ces fascistes, permettant ainsi que les groupes de la gauche armée ne soient plus rendus responsables de ces actions, soulignant de ce fait qu’un doute pouvait exister : la guérilla aurait bien été capable de ce genre d’actions d’après elle.
Le journal Radikal [la principale revue clandestine du mouvement autonome, d’une centaine de pages, sortant à intervalles irréguliers] même s’il se situe dans une toute autre perspective, prend les bombes des fascistes comme prétexte pour ouvrir une discussion sur les « cas limites » quelque part entre RZ, flics et fascistes et critique dans un seul et même contexte « les maladresses et erreurs » commises lors d’actions qui font bel et bien partie de notre mouvement.
Aussi nécessaire que soit justement en ce moment un débat sur les objectifs et l’organisation d’une politique armée de gauche, les attentats anti-américains de groupes fascistes sont une mauvaise base de discussion.
La désorientation et l’incertitude concernant ces attentats ne sont pas explicables par un « actionnisme diffus » ou une légèreté de la politique de la gauche militante et armée qui aurait provoqué cela.
On ne saurait discuter de la même façon de quelques attentats problématiques par le choix de l’objectif ou la réalisation technique, qui ont eu lieu en partie lors de l’expulsion des squats à Berlin, et la série des attentats des fascistes.
Ceux qui lès amalgament ne passent pas seulement négligemment au-dessus des motivations politiques différentes de ces actions, ils empêchent que soient nommées les véritables raisons de cette désorientation : un anti-américanisme latent existant aussi au sein de la gauche allemande, une légèreté et un désintérêt qui ont fait ignorer les développements dans le spectre fasciste et les moments communs réels entre actions fascistes et opérations des services secrets et ce malgré le bain de sang de Munich en 1980, malgré Bologne, malgré les campagnes meurtrières contre des ouvriers immigrés ou des juifs.
Au-delà de tout jugement moral des actions du groupe Hepp, il aurait dû devenir évident, au plus tard après les attentats dirigés contre des membres isolés de l’armée américaine, que ceux-ci se mouvaient sur une vague d’anti-américanisme que nous refusons et que nous combattons en tant que conception politique.
Il est malveillant d’insinuer que les attentats dirigés contre l’année américaine, contre des installations américaines, contre la logistique de l’OTAN, contre les réseaux de communication et contre les entreprises multinationales US, revendiqués par les Cellules Révolutionnaires, la RAF et de nombreux groupes autonomes aient pu ressortir de la même ligne politique anti-américaine ou d’une ligne comparable ou encore qu’ils aient pu la favoriser.
Ces actions furent toutes sans exception des actions à caractère anti-impérialiste et contenaient en elles la possibilité d’approfondir les failles et les contradictions existant au sein de l’armée américaine et de soutenir la résistance des minorités nationales et raciales.
Nous avons attaqué les mess d’officiers, pas ceux des simples soldats ou pas des supermarchés.
Nous avons fait exploser des bombes contre des filiales des multinationales US sans qu’aucun petit employé allemand ou américain n’ait jamais eu le moindre dommage à subir.
Le quartier général de l’armée américaine à Francfort fut plusieurs fois la cible d’attentats, des actions furent dirigées contre des dépôts militaires de carburant, mais jamais contre des -stations-services dans des zones d’habitation américaines.
Finalement, ce n’est pas sans raison que nous avons pris la visite de Reagan en Europe et la rencontre au sommet de l’OTAN comme prétexte à une série d’actions – et non pas quelque chose comme un concert de Sammy Davis Jr ou la prolongation de la diffusion de Dallas.
Les derniers attentats contre SEL à Düsseldorf et contre IBM à Reutlingen ne laissent aucun doute sur les différences.
Celui qui a suivi notre pratique comme nos prises de position politiques sait que nous refusons une politique diffuse, dirigée contre des parties du peuple, que nous refusons le terrorisme.
Les stratégies de la tension, du bain de sang, sont le terrain de groupes fascistes ou des services secrets pour qui les êtres humains ne sont de toute façon que des pions qui peuvent être sacrifiés pour un maigre profit.
Ils utilisent la peur de la population au profit de leur politique visant à influencer ou à modifier les institutions.
Nous nous considérons par contre comme une partie d’un faible courant courant anti-impérialiste et social-révolutionnaire en RFA et à Berlin-Ouest, à l’extension et à la stabilisation politique et militaire duquel nous continuerons à contribuer.
Notre long combat pour la libération vient d’en bas et ne joue pas avec la vie des individus ni avec celle de nos propres camarades.
Nous nous trouvons encore dans une première phase de ce processus, où il s’agit essentiellement de mener le combat pour gagner « la tête et les sentiments » des gens et justement pas une guerre.
Que nous employions dans cette lutte, de même que la droite et les flics, des armes et des explosifs, ne doit pas conduire à la conclusion que tout cela est du pareil au même !
Armes ou explosif, machines à écrire ou à imprimer, appareils-photos ou instruments de musique peuvent être des instruments de nos luttes : cela dépend de comment nous les employons et à quel contenu ils sont rattachés.
La responsabilité politique des attentats antiaméricains n’est pas à faire porter aux groupes de la gauche armée mais bien plutôt à une certaine partie du mouvement pacifiste qui s’adonne à un nationalisme diffus, qui propage l’idée absurde que la RFA est un « pays occupé », qui rend de bon ton le réveil du patriotisme allemand et abandonne le terrain d’une politique de gauche lorsqu’il ramène la question du stationnement des missiles à une question d’identité nationale.
La frontière entre l’anti-impérialisme et la mobilisation du ressentiment anti-américain fond forcément lorsque les matadors du mouvement de la paix appuient leur protestation contre le surarmement et les Pershings en en appelant au sentiment de l’honneur des Allemands contre un esclavage quasi colonial.
Il y a une énorme différence entre considérer Mac Donald comme un cartel alimentaire américain qui a imposé des normes d’organisation intensive du travail aussi bien que des dégradations extrêmes des salaires et a mis en place dans le monde entier un business agro-alimentaire, et le considérer comme l’expression d’une culture « yankee ».
Celui qui fait de Coca Cola ici un synonyme de génocide et la forme principale d’un impérialisme culturel et le place sur le même plan que le soutien du gouvernement américain à presque toutes les dictatures militaires, se retire à lui-même la possibilité de comprendre l’origine fasciste des actions nationalistes ou anti-américaines.
Le scandale politique n’est pas le fait que les fascistes aient transformé en actions militaires rentables pour eux ces positions courantes aussi dans le mouvement de la paix.
Le scandale est que ces positions puissent exister et qu’elles aient pu s’imposer dans le processus de démarcation et de combat des positions social-révolutionnaires et anti-impérialistes, mené par les réformistes de gauche de toutes tendances, dans les cartels appelant à la signature de pétitions passant par le TAZ et jusqu’aux Verts.
Et qu’ainsi la volonté d’alliances du mouvement pacifiste ait conduit en partie consciemment, en partie naïvement à des positions nationalistes ou fascistes.
Le passage de groupes fascistes, d’actions antisémites ou de terreur contre les travailleurs immigrés ou les réfugiés, à des attentats anti-américains n’est surprenant qu’au premier abord.
Ils opèrent en premier lieu sur une seule et même ligne : racisme et haine des étrangers.
La phrase d’Hitler : « Dans une seule symphonie de Beethoven il y a plus de culture que tout ce que l’Amérique a produit à ce jour » résume tous les sentiments et aversions obscurs contre l’a-culture américaine, à la même notion que celle que l’on retrouve aujourd’hui dans la campagne contre les américanismes dans la langue allemande.
C’est à cette tradition que se rattachent les groupes fascistes.
[Le leader nazi] Michael Kühnen dit à propos de la signification de l’anti-américanisme de la droite : Historiquement, c’est un ancien courant, car nous avons dû faire la seconde guerre mondiale, c’est connu, autant contre les Etats-Unis que contre l’Union Soviétique.
C’est la vieille histoire de l’Europe du centre (!) qui se tourne aussi bien contre les puissances étrangères à l’Est qu’à l’Ouest.
Pour nous, le problème de l’impérialisme de l’Ouest est plus important que celui de l’Est.
Aujourd’hui, au-delà de cet aspect historique, il y a le point de vue de la décadence de notre culture, de notre langue, de notre musique importée chez nous par l’Amérique – et nous refusons catégoriquement cela.
Il faut aussi rappeler le problème de la drogue.
Le fait est que tout ce que nous combattons peut être identifié totalement par le terme d’américanisme. »
Il est important de pouvoir discuter ici plus longuement les buts de la droite – sa programmatique : création d’un bloc européen sous hégémonie allemande – est manifeste et annonce une extension des actions anti-américaines sur le même principe dans l’avenir que le modèle déjà éprouvé. Haine de l’immigré, aversion pour tout ce qui est étranger, désignation et persécution de tout ce qui est autre, sont maintenant comme avant en RFA les motifs profondément ancrés que les fascistes intègrent dans leurs calculs.
Justement dans la région Rhin-Main, dans les villes et les communes où sont stationnées les troupes américaines, il y a contre les soldats américains et surtout les noirs, des sentiments racistes semblables à ceux que l’on trouve ailleurs contre les Turcs et les Arabes.
« Jamais depuis la guerre de trente ans, la ville a connu une telle insécurité : vols, meurtres, viols jour et nuit…
La vieille ville de Fribourg est un terrain d’entraînement civil pour nos protecteurs américains qui se saoulent, se bagarrent et violent… »
Ce sentiment sourd de peur avec sa composante raciste – de nombreux cafés sont interdits aux soldats américains noirs – est la base des actions antiaméricaines. Ceci est d’autant plus regrettable que nous avons pris cette citation dans le TAZ du 8 avril 1982 sous le titre « Oui à l’antiaméricanisme ».
Ce développement dans le camp fasciste a lieu parallèlement aux modifications dans l’appareil d’Etat confirmées par les élections du 6 mars.
Dans cette situation, les massacres comme à la fête de la bière en 80, qui était le point culminant d’une campagne de plusieurs services secrets voulant démontrer l’incapacité de la coalition à contrôler l’appareil d’Etat et favoriser l’élection de Strauss comme chancelier, ne sont plus à l’ordre du jour (voir Colère Révolutionnaire n° 6).
Aujourd’hui on intensifie plutôt les efforts pour discréditer la résistance légale et illégale par des actions diffuses, pour contribuer à désorienter et à noyer les buts de la politique armée par le mélange d’actions anti-américaines avec des actions anti-impérialistes ; pour construire des groupes terroristes contrôlés par la police et qui opèrent en notre nom ou sous un autre ou même sans revendiquer.
C’est ainsi que les propagandistes de l’appareil policier ont essayé de nous attribuer les attentats fascistes, bien que les services de la Sûreté de l’État aient su dès le début que ce n’était pas nous.
Plus qu’étrange est aussi le fait que Odfried Hepp, qui aurait séjourné à Beyrouth dans les camps des phalanges et de l’OLP, qui a été ramené en RFA par une difficile opération du BND, qui est le principal témoin à charge contre Hoffmann, qui s’est tiré du procès avec une peine ridicule qu’il n’a dû accomplir qu’à moitié, serait le principal instigateur de ce groupe. C’est justement lui aussi le seul qui ait pu se soustraire à l’arrestation .
L’intérêt que la Sûreté de l’État porte aux groupes fascistes et à leurs actions comme la protection dont ils bénéficient de la part d’une partie de l’appareil d’État ne signifie pas, loin de là, que la Sûreté de l’État ait mis en scène elle-même ces attentats.
Nous considérons comme absurde cette affirmation de cette soi disant RZ, comme quoi derrière les actions contre-insurrectionnelles » (de toute façon trop « professionnelles » pour les RZ) il y aurait obligatoirement le Parquet et que c’est sous ses ordres que le BND et le BKA auraient frappé dans les cités américaines.
1) Nous ne voyons pas ce qu’il y a de si professionnel dans un interrupteur et un mélange de désherbant…
2) Une telle construction nie l’existence de groupes fascistes et permet ainsi que le débat sur leurs positions comme après Munich, soit occulté dans la gauche.
3) Une telle affirmation suppose la transformation d’une domination institutionnelle et d’un pouvoir légalisé en un terrorisme mis en scène par l’État – développement que nous n’excluons pas dans des cas isolés et que nous considérons comme possible – mais pour lequel il n’y a actuellement aucun élément.
Expliquer un tel développement par la dangerosité des RZ ou de la guérilla diffuse est l’expression d’une surestimation.
Le gouvernement CDU-FDP ne laissera passer aucune occasion d’enterrer la crédibilité de la résistance légale et illégale et de la prendre, encore plus en tenailles par l’augmentation de mesures répressives.
La lenteur des poursuites contre le groupe Hepp sont un exemple type, les attaques policières contre Radikal ou l’Atom express [revue anti-nucléaire victime de la répression pour ses activités ainsi que la publication de documents des RZ / Cellules Révolutionnaires) en sont le revers : là où l’on proclame qu’il y a désorientation, on veut boucher les canaux qui cherchent à la clarification.
Nous ne pouvons pas empêcher les actions fascistes.
Mais nous pouvons nous efforcer de préciser nos positions politiques et de rendre plus claire notre pratique.
Mais cela implique dans d’autres parties de la gauche, la volonté et la capacité de mener le débat sur notre politique et sur la leur.
En ce sens, joyeuses Pâques !
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