La question allemande disparaît pratiquement complètement au bout de deux semaines après la nomination d’Adolf Hitler comme chancelier. Symbole terrible de cette incompréhension française du drame allemand, Le Populaire, l’organe de la SFIO, publie seulement en troisième page, dans une colonne de côté, le 21 février 1933, l’appel de l’Internationale Ouvrière Socialiste intitulé « Debout, pour la lutte contre le fascisme : Debout, pour la lutte contre la guerre! ».
Il commence ainsi :
« C’est en un moment de danger suprême pour la classe ouvrière, pour la liberté et la paix, pour la civilisation, nous nous adressons à vous !
Allié à la réaction du grand capitalisme et de la féodalité, Hitler a pris le pouvoir en Allemagne. La lutte décisive est actuellement engagée entre le fascisme et la classe ouvrière en Allemagne. L’enjeu est énorme.
Si le fascisme réussissait se maintenir et à se fortifier en Allemagne, alors, avec la démocratie allemande, avec la République allemande, se perdraient les résultats d’un demi-siècle de lutte de classe prolétarienne.
Si l’assaut du fascisme devait anéantir les organisations ouvrières en Allemagne, le prolétariat de toute
l’Europe centrale se trouverait dans le grave danger, et la réaction du monde entier se sentirait encouragée à attaquer tout ce que la classe ouvrière a réalisé dans le domaine social.Aussi avons-nous pleine confiance que les travailleurs d’Allemagne dont la lutte est si dure et pleine de sacrifices, et dont les socialistes de tous les pays sont solidaires, infligeront une défaite au fascisme et à la contre-révolution.
C’est pourquoi nous appelons les travailleurs de tous les pays à aider de toutes leurs forces le prolétariat d’Allemagne en pensant à l’importance historique mondiale de sa lutte. »
Et la suite du document, appelant à l’unité socialiste-communiste, explique en fait pourquoi le document a été relégué à la page 3. C’est qu’en Europe centrale, il y a une tradition social-démocrate historique, d’une part, et une compréhension concrète et non pas abstraite du fascisme, d’autre part.
Le document est donc formel dans son exigence d’unité et cela va totalement à rebours de ce qu’a toujours fait la SFIO depuis 1920. On peut voir ici qu’on a dans l’Internationale Ouvrière Socialiste une expression hégémonique temporaire de la très puissante social-démocratie autrichienne, qui formait son aile gauche et est pro-URSS (considérée comme socialiste) tout en rejetant le bolchevisme.
Ce qu’on lit ensuite est non seulement acceptable pour une discussion avec les communistes, mais cela converge même entièrement avec eux.
« L’Internationale ouvrière socialiste a toujours reconnu que la lutte fratricide du prolétariat est la principale raison de son affaiblissement et, partant, la meilleure alliée du fascisme.
Aussi, l’Internationale Ouvrière Socialiste a-t-elle toujours été convaincue que la fin de la scission et l’unité du prolétariat sont les conditions préalables du déploiement complet de la force prolétarienne.
En face du terrible danger qui menace la classe ouvrière d’Allemagne et du monde entier, les conséquences tragiques de la scission apparaissent plus évidentes que jamais auparavant.
Les maux engendrés par une quinzaine d’années de scission ne peuvent malheureusement pas être abolis d’un moment à l’autre. Mais l’expérience historique de l’heure présente ne doit pas seulement servir à stimuler dans l’avenir la volonté de réédifier une organisation de, combat unique de la classe ouvrière, mais, dès à présent, elle doit conduire à l’effort pour accroître autant que possible la puissance combative du prolétariat.
Les dangers sont trop grands pour que l’aspiration unanime des travailleurs à l’unité du prolétariat dans la bataille soit exploitée pour des manœuvres de partis. L’Internationale Ouvrière Socialiste vise à l’organisation d’une action commune sur la base d’une entente sincère et honnête.
En face des dangers tragiques qui les menacent, nous exhortons les prolétaires allemands, les prolétaires de tous les pays à mettre fin à toutes les attaques réciproques et à lutter ensemble contre le fascisme. L’Internationale Ouvrière Socialiste a toujours été prête à négocier, au sujet d’une telle communauté de lutte, avec l’Internationale Communiste, dès que celle-ci se déclarerait prête à le faire.
Travailleurs du monde entier !
Tandis que le capitalisme vous précipite en masse dans la misère et la détresse, tandis qu’il organise les hordes fascistes contre vous, il prépare l’immense catastrophe d’une nouvelle guerre.
Déjà, nous nous trouvons devant le fait sanglant de la guerre en Extrême-Orient, mais aussi devant le danger qu’en Europe également s’accomplisse une évolution de plus en plus rapide qui menace d’aboutir à une nouvelle guerre mondiale.
L’impérialisme japonais triomphe. Au mépris des traités qu’il a solennellement signés, le Japon a occupé à main année le territoire chinois, il a créé l’État-pantin de Mandchourie et il s’apprête à conquérir encore d’autres provinces chinoises.L’apparence soigneusement gardée jusqu’ici, qu’il n’y a pas guerre entre la Chine et le Japon, s’évanouit.
Les plans monstrueux des impérialistes japonais deviennent de plus en plus clairs et la Société des Nations a été impuissante à les arrêter.
Tandis qu’en Extrême-Orient la guerre sévit et menace de s’étendre indéfiniment, en Europe même se préparent les événements qui, tôt ou tard, finiront par compromettre la paix en Europe.
Depuis plus d’un an, la Conférence du désarmement se prolonge sans aucun résultat. Transformés en gigantesques camps armés, groupés en alliances puissantes, les États européens armés de pied en cap, se trouvent en face les uns des autres.
Le danger s’aggrave que non seulement la Conférence n’aboutisse pas au désarmement, mais qu’elle donne prétexte à de nouveaux armements.
Le progrès du fascisme met à la tête des nations les forces nationalistes et militaristes. Hitler en Allemagne, Mussolini en Italie, Pilsudski en Pologne, Horthy en Hongrie, la dictature royale en Yougoslavie, des dictatures ouvertes ou dissimulées dans tous les autres pays des Balkans, tous sont prêts à diriger vers l’extérieur les forces sur lesquelles ils s’appuient à l’intérieur et à transformer de nouveau l’Europe en un champ de bataille.
Les fascistes en Italie, la Hongrie contre-révolutionnaire, la dynastie détrônée des Habsbourg, s’efforcent d’exploiter, pour leurs fins respectives, le mouvement des races yougoslaves dont la dictature militaire a aggravé les antagonismes ; ils suscitent ainsi dans l’Europe centrale une zone de graves dangers pour la paix.
Les projets de former un bloc des États fascistes et de l’opposer à la France et à ses alliés de l’Est menacent désormais de partager l’Europe en deux camps ennemis s’armant l’un contre l’autre. L’Europe sait, par sa sanglante expérience, où conduit la politique des alliances.
Si les antagonismes des grandes puissances paralysent la Société des Nations, si la direction de la bourgeoisie tombe de plus en plus dans les mains des groupes fascistes, il est évident que seule la force du prolétariat est capable d’empêcher la catastrophe mondiale, qui sinon s’abattra fatalement sur l’humanité et anéantira de nouveau des millions de jeunes vies humaines.
L’Internationale Ouvrière Socialiste n’a jamais manqué de mettre en garde contre la catastrophe menaçante et de mener la lutte la plus énergique contre la guerre et la préparation de la guerre. Aussi a-t-elle le droit, dans cette heure décisive, d’élever une fois encore la voix pour avertir des événements terribles qui se préparent.
L’Internationale Ouvrière Socialiste appelle tous les travailleurs à s’unir afin de repousser en une lutte solidaire le danger imminent d’une nouvelle guerre mondiale !
L’Internationale Ouvrière Socialiste invite tous les hommes qui veulent empêcher un nouveau massacre, préserver la paix et les progrès de la civilisation, à prendre place dans l’armée du prolétariat.
Travailleurs du monde entier !
La responsabilité des dangers terribles qui menacent la liberté et la paix incombe aux classes dominantes de tous les pays. D’une part, la bourgeoisie capitaliste des pays vainqueurs a, par sa politique impérialiste, entravé et paralysé dans les pays vaincus la jeune démocratie naissante et l’ascension de la classe ouvrière. De l’autre, la bourgeoisie des pays vaincus a utilisé les conséquences de la défaite pour attiser les passions nationalistes et pour reconquérir, sous la forme du fascisme meurtrier et belliqueux, le pouvoir qui lui échappait.
C’est pourquoi il importe de lier la lutte de défense contre le fascisme et contre le danger de guerre à la lutte contre le capitalisme, pour la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, pour le socialisme.
La victoire est à nous, si nous nous unissons pour la remporter !
Vive la liberté !
Vive la paix !
Vive le socialisme !
Zurich, le 19 février 1933.Le Bureau de l’Internationale Ouvrière Socialiste »
La publication en page 3 d’un tel document historique représente une faillite sans pareille. Cela montre que la prise de conscience par les ouvriers socialistes (mais aussi communistes) de la victoire du nazisme en Allemagne ne fut que tardive.
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