Lorsque le Parti socialiste SFIO tient son congrès à Toulouse en mai 1934, c’est pour lui une réussite. Il a surmonté la grande crise néo-socialiste, il a réussi à s’affirmer politiquement lors de la crise fasciste de février 1934.
Comme le Parti Communiste ne parvient pas à le déborder dans cette situation, cela va provoquer une crise interne, sous la forme d’une capitulation ultra-opportuniste, avec Jacques Doriot.
Né en 1898, il devient ouvrier métallurgiste, et rejoignant les Jeunesses Socialistes devenant les Jeunesses Communistes, il devient rapidement leur dirigeant de fait dès 1921 en raison des arrestations, puis officiellement en 1923-1924. Il représente d’ailleurs les Jeunesses Communistes à Moscou au congrès de l’Internationale communiste des Jeunes en 1921, ainsi qu’en 1922, faisant partie désormais de la direction internationale du mouvement.
Dans ce cadre, il est poursuivi et condamné à la prison pour ses activités et c’est en prison qu’il est élu député et libéré en 1924, année où il devient membre du Bureau Politique du Parti Communiste. Un colosse physiquement, il obtient une réputation virile lorsque en 1925, dans le cadre d’un mouvement de grève, il affronte avec succès plusieurs policiers devant le siège parisien de la CGTU, rue de la Grange-aux-Belles.
Il devient alors maire de Saint-Denis en 1931, qu’il transforme en royaume séparé, faisant même en sorte le 12 février 1934 que la section du Parti Communiste ne participe pas à la manifestation, mais mène une action localement, avec 10 000 personnes. Qui plus est, cela se fit sous la forme de la mise en place d’un Comité de Vigilance antifasciste, ouvert aux socialistes, aux radicaux et à la CGT.
Dans la foulée fut tirée le 9 avril 1934 une brochure à 30 000 exemplaires, au nom de la section de Saint-Denis : « Les communistes de Saint-Denis et les événements du 6 au 12 février. Pour l’unité d’action ! Lettre ouverte à l’Internationale communiste ».
C’était une tentative ouverte de putsch au sein du Parti Communiste. L’Internationale Communiste est censée ni plus ni moins que liquider la direction et placer Jacques Doriot à la tête du Parti. On lit ainsi :
« La majorité des délégués à notre Conférence a adopté cette importante résolution pour les raisons suivantes :
1° Elle est convaincue que les résolutions du C. C. ne correspondent pas aux nécessités de la lutte révolutionnaire actuelle.
2° Elle est convaincue que les propositions formulées par Doriot au Comité Central du Parti correspondent à l’étape actuelle de la lutte, à la volonté et aux aspirations de la classe ouvrière et peuvent permettre son rassemblement rapide pour l’action.
3° Elle est convaincue — ayant discuté profondément dans le Parti et avec les larges masses de travailleurs — que la tactique suivie par le Comité Central rend plus difficile le rassemblement contre le fascisme des masses laborieuses ;
4° Parce que le Comité Central ne veut pas ouvrir dans le Parti une discussion approfondie sur tous les problèmes de tactique, alors qu’une telle discussion exprimerait le véritable sentiment de la base du Parti et renforcerait nos organisations ;
5° Parce qu’au lieu d’accepter la discussion, le Secrétariat du Parti a, de toute évidence, déformé les propositions faites au Comité Central dans le but de montrer que l’unanimité du Parti (mal informé sur les véritables propositions faites) était contre l’union sans principe avec les chefs du Parti socialiste.
Nous considérons que tous ces faits paralysent le fonctionnement normal du Parti, empêchent le sentiment de la base d’être connu, détruisent l’initiative, affaiblissent le Parti au lieu de le renforcer et entravent la mobilisation des masses contre le fascisme. Ce sont les raisons pour lesquelles nous avons décidé de nous adresser à vous. »
Jacques Doriot aurait obtenu d’excellents résultats à Saint-Denis, alors que le Parti Communiste multiplie les échecs nationalement ; le journal local L’Émancipation serait un succès, ainsi que les activités syndicales et des anciens combattants, le recrutement en général, etc. La direction du Parti bloquerait toute discussion et entraverait les progrès.
L’accusation principale qui justifierait un grand changement serait le péril fasciste, que la direction du Parti sous-estime, comme le refléterait l’article « pas d’énervement » du 1er février 1934, qui récuse les initiatives appelées par Jacques Doriot comme visant à « ressusciter la vieille théorie anarcho-syndicaliste des « minorités agissantes » condamnées par le marxisme et par les faits » .
Le document dénonce qui plus est le Parti Communiste pour avoir, dans la foulée du 6 février, dénoncé également le gouvernement au lieu de se focaliser sur la menace fasciste. Constatant alors que les milliers d’initiatives du 12 février 1934 ont été réalisées dans un esprit commun, il faut en déduire qu’il faut entièrement renverser la ligne du Parti.
Ce qui est ici fascinant, bien entendu, c’est qu’on sait ce que Jacques Doriot est devenu après : le fondateur en 1936 du Parti Populaire Français, un mouvement fasciste, alors que Jacques Doriot devint l’une des grandes figures de la collaboration avec l’Allemagne nazie au nom de l’anticommunisme le plus acharné.
Mais c’est que le mouvement de Jacques Doriot est une ligne opportuniste de gauche, visant à liquider de l’intérieur le Parti, au nom d’un dépassement victorieux. Le document « Les communistes de Saint-Denis et les événements du 6 au 12 février. Pour l’unité d’action ! Lettre ouverte à l’Internationale communiste » présente en effet les comités antifascistes qui se sont mis en place comme les embryons des soviets à venir :
« Durant ces journées, les masses ont imposé au Parti Socialiste et aux syndicats réformistes l’Unité d’Action et elles ont spontanément trouvé les moyens de la réaliser. Sous des noms divers (Comités d’Action, de Vigilance, d’Unité) elles ont créé des organismes de Front Unique.
Ces Comités ont joué un rôle considérable pendant les journées de Février. En de nombreux cas, ils ont dirigé. les grandioses manifestations du 12. Cette multitude de comités se formant spontanément et prenant en mains la direction politique et technique des manifestations, formés des représentants des partis et des syndicats, élus avec enthousiasme par la masse, prenaient l’aspect d’organes du pouvoir révolutionnaire.
Sous une forme embryonnaire et très imparfaite, ces comités représentent les ort3anes de direction des combats révolutionnaires de demain. Ils ont été, en fait, les premiers organes de direction du mouvement de masse au début de la vague révolutionnaire. C’est leur rôle révolutionnaire immense.
Certes, on peut adresser à ces comités beaucoup de reproches ; leur programme n’a pas toujours été clair et net. Les communistes n’ont pas toujours su trouver les mots d’ordre justes. Parfois, ils ont accepté des mots d’ordre condamnés par notre Parti comme la défense de la République. Au reste, ils ont quelquefois aussi accepté le mot d’ordre d’Unité organique avec le Parti Socialiste.
Par contre, des communistes ont, dans certains endroits, refusé d’entrer dans ces comités. Ces erreurs inévitables et qui peuvent parfaitement être rectifiées, n’enlèvent rien au rôle considérable joué par ces comités de Front Unique.
Or, la direction du Parti n’a pas compris tout de suite le rôle important de ces comités. Elle a pris contre eux une position sectaire et parfois hostile. »
Le document ne cache d’ailleurs pas qu’il faut considérer de manière unilatérale le Parti socialiste comme relevant du mouvement ouvrier et de la perspective révolutionnaire.
C’est là très véritablement l’aspect principal, reflétant une capitulation sous la forme d’une convergence avec l’aile gauche du Parti socialiste SFIO qui en a pris le contrôle après l’éviction des « participationnistes » qu’ont été les néo-socialistes, mais qui reste sur une base « socialiste française » hostile au communisme.
« L’acceptation du Parti Socialiste et la participation de toutes ces organisations à ce Congrès détermineraient un grand courant d’enthousiasme dans la classe ouvrière.
L’organisation d’une vaste campagne d’agitation et la formation de comités d’action dans tout le pays ferait monter la vague révolutionnaire en France.
La participation officielle du Parti Socialiste entraînerait des conséquences extrêmement favorables pour le développement de l’action révolutionnaire.
L’union de ces forces et des forces inorganisées renforcerait considérablement la capacité d’action révolutionnaire des masses laborieuses de France. Elle créerait clans le pays une situation pré-révolutionnaire (…).
Il faut faire, à propos de la social-démocratie française, les remarques suivantes : contrairement aux autres sections de la IIe Internationale, elle n’a jamais participé ouvertement au pouvoir.
Ces actes de collaboration gouvernementale ont été faits sous la forme de soutien souvent interrompus par la pression de la base du Parti. Une scission s’est produite sur cette question. »
L’aspect secondaire, qui va devenir principal par la suite, est l’insistance sur les « classes moyenne », un concept totalement étranger aux principes du communisme, pour qui il s’agit de la petite-bourgeoisie constituant une couche sociale oscillante entre prolétariat et bourgeoisie. Le document propose ainsi de mettre en place une « organisation et défense des luttes des classes moyennes (révision des baux commerciaux, moratoire des dettes, révision sur les patentes) ».
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La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français