Le 12 février 1934 et son impact

C’est en province que tout se joua. Dans les jours qui suivirent la tentative fasciste de coup d’État du 6 février 1934, il y eut de très nombreux rassemblements et une cinquantaine de manifestations antifascistes. Une dizaine de ces manifestations furent appelées par le Parti Communiste Français, une autre dizaine par la SFIO, 12 par les deux organisations (de manière commune ou pas), 17 par les syndicats ou comme unité antifasciste générale, une par la Ligue des Droits de l’Homme.

Et c’est cela qui produit une tendance à la mobilisation générale des socialistes, des communistes et de leurs sympathisants, avec un appel systématique à manifester le 12 février. Il y a alors 347 manifestations dans tout le pays ce jour-là, celle à Paris rassemblant 150 000 personnes en partant de Vincennes, les cortèges socialistes et communistes étant séparés, mais se réunissant de fait lors de l’aboutissement place de la Nation. Un million de personnes ont fait grève en région parisienne.

200 000 personnes se rassemblent alors le 17 février 1934 pour l’enterrement au cimetière parisien du Père-Lachaise de six ouvriers morts tués par la police. Il s’agit de l’ouvrier ajusteur communiste Vincent Perez, du sympathisant communiste Marc Tailler, de l’ouvrier du bâtiment syndiqué CGT Louis Lauchin, du membre du Comité de lutte contre la guerre Maurice Buleau, du sympathisant communiste Ernest Scharbach, de l’ouvrier Vincent Moris.

De fait, la répression policière n’a, depuis le 6 février, jamais cessé d’être extrêmement violente, faisant de nombreux morts, des centaines de blessés, des milliers d’arrestations. C’est particulièrement vrai en région parisienne où les initiatives fascistes se voient opposés des actions lancées par les communistes ; même le cortège funéraire, avec plus de 100 000 personnes, du jeune ouvrier parisien Henri Willemin, tué par la police, est attaqué par cette dernière.

A la mi-mars, lors d’un meeting communiste avec 8 000 personnes à Paris, un provocateur se suicida également après avoir échoué à assassiner Marcel Cachin.

Il y a alors, dans les faits, une convergence des actions des socialistes et des communistes, mais avec une sorte de division du travail, même si en théorie chacun entend l’emporter sur l’autre en se présentant comme le garant de l’unité générale des travailleurs.

Du côté communiste, la ligne est simple : le paquet est mis dans le style volontariste pour apparaître enfin comme l’organisation la plus active, la plus activiste, la plus sincère. Le souci est que s’il a décidé d’abandonner sa ligne « ultra » portée par le groupe Barbé-Celor, il reste poussé au sectarisme de par un style substitutiste issu du syndicalisme révolutionnaire.

Il n’est capable de lui-même que de mobiliser quelques milliers de personnes dans ses bastions, le plus souvent de la banlieue parisienne. Les rassemblements anti-guerres du traditionnel premier août 1933 furent un fiasco, la fête de la jeunesse ouvrière deux semaines plus tard à Garches en banlieue parisienne rassembla 25 000 personnes, un meeting international en rassembla six mille à Paris à la fin du mois, puis 80 000 à Garches début septembre pour la fête de l’Humanité, et encore 30 000 contre la guerre le 11 novembre 1933.

C’est peu, d’autant plus que lorsque les mairies communistes inaugurent en 1933, le même jour, une piscine à Saint-Denis et un groupe scolaire à Pierrefitte, ce ne sont pas moins de 30 000 travailleurs qui se rassemblent pour l’événement. Et lorsque la mairie communiste de Monitngy-en-Gohelle ouvre un groupe scolaire, elle le dénomme Marcel Cachin, du nom d’un de ses dirigeants, ce qui sera refusé par l’État.

On reconnaît ici une démarche syndicaliste « dure » considérant que ce qui est réel, c’est ce qui s’installe concrètement, même si de par l’assimilation des principes marxistes-léninistes, il accepte l’importance de la dimension morale et intellectuelle, et ce d’autant plus qu’il y a eu le succès du mouvement anti-guerre d’Amsterdam et du mouvement antifasciste de Pleyel.

Ainsi, le Parti Communiste Français est une grande bulle séparée du reste de la société, formant un milieu à part dans le prolongement du syndicalisme révolutionnaire, se proposant somme toute comme le Parti du syndicalisme, avec des réformes municipales comme seul argument parlant à des travailleurs français soutenant mais ne saisissant pas substantiellement ce qui se passe en URSS. Il n’est pas capable d’une initiative politique réelle.

Le 25 février 1934, l’Humanité parle d’ailleurs de « seconde vague d’assaut fasciste », alors que le gouvernement « d’union nationale » de Gaston Doumergue peut gouverner sans contrôle plusieurs mois, et début mars, le Parti socialiste est toujours présenté comme le « principal soutien » de la bourgeoisie, alors que les colonnes de l’Humanité ne parlent pas tant de la menace fasciste que des suites sans fin du scandale Stavisky.

Ce faisant, il ne comprend pas comment le processus de fascisation n’est pas mécanique mais implique une rupture, et il ne voit pas que la SFIO se présente comme désormais libérée de l’aile droite « participationniste », se prétendant dédouanée de tous ses soutiens passés aux gouvernements.

Or, le Parti socialiste SFIO, s’il n’a pas mené l’action systématique et vigoureuse du Parti Communiste cherchant à ce que le mouvement déborde dans un sens violemment contestataire, a une capacité de proposition et de programme bien plus élaborée.

Le concept clef qui apparaît ici dans le discours socialiste, c’est la « République », désormais systématiquement associé au terme « ouvrier », tout comme le terme « royaliste » se voit associé à celui de « fasciste ». C’est là non seulement un retour assumé à l’idéologie de Jean Jaurès, mais également l’adoption du style germano-autrichien, où face aux monarchistes encore extrêmement puissants il y avait la mise en avant de la République comme ne pouvant être, de manière authentique, qu’ouvrière.

Cela permet ici politiquement surtout une latitude très grande au niveau des propositions, en se tournant à la fois vers les communistes sur la gauche et les radicaux sur la droite. Les communistes n’ont pas encore d’autre ligne que celle de pousser, pousser et encore pousser, pour parvenir à un moment de rupture. Ils tentent de mettre à tout prix la direction du Parti socialiste SFIO derrière eux, et sont ainsi dénoncés comme sectaires par celle-ci.

Il y a également sur ce plan pour les socialistes le prestige du fait que la grève générale du 12 février 1934 a été appelée par la CGT, liée au Parti socialiste SFIO, ce qui accorde à ce tandem une réelle légitimité. Et comme le Parti socialiste SFIO a qui plus est coupé court aux initiatives de sa tendance pro-gouvernementale dite « néo-socialiste », il apparaît largement coupé de ses péchés.

Le Parti socialiste SFIO, loin d’avoir été ébranlé au point de s’effondrer et qui s’appuie sur 130 000 membres (avec comme bastion le Nord et la région parisienne), s’est restructuré ; il n’a eu aucun mal, dès le 7 février, à prendre l’initiative politique, et ce non seulement au niveau de la direction, mais également de l’appareil lui-même. Dès le 8 février il fut également en mesure de s’aligner sur la CGT et son appel pour le 12 février.

Il faut ici souligner l’importance de sa presse, avec de très nombreuses variantes locales : L’Eclaireur de l’Eure, Le Travailleur de l’Ain, Le Maroc socialiste, Le Populaire de l’Est, L’Eclaireur du Roannais, Alger socialiste, L’Eveil de la Meuse, Le Réveil socialiste du Cher, Le Travailleur des Alpes, Le Progrès social du Centre, Le Populaire de Corbières, Le Rappel du Morbihan, L’Auvergne socialiste, Le petit Limousin, La République socialiste de l’Ouest, Le Jura, Le Gers socialiste, Le Cri du Laonnais, Le Réveil Soissonnais, Le Socialiste savoyard, L’Ardèche socialiste, Le Midi socialiste, Le Socialiste ardennais, Le Socialiste de la Haute-Saône, etc.

Enfin, de manière secondaire mais marquante, les socialistes autrichiens, qui forment le cœur de la gauche des socialistes à l’internationale et dont Vienne est un bastion formant une forteresse rouge, sont écrasés par le coup d’État austro-fasciste en février 1934. Cela propulse le Parti socialiste SFIO au premier plan à l’internationale, avec la hantise en plus de subir le même sort que les socialistes allemands et désormais les socialistes autrichiens.

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La séquence de février 1934 pour le Parti Communiste Français