Dans l’Égypte ancienne des pharaons, la déesse Maât est l’équivalent direct du Brahman du brahmanisme ou du Teotl aztèque. Elle conceptualise l’arrière-plan cosmique auquel les êtres doivent tout, qu’ils soient humains ou divins.
C’est la raison pour laquelle, lorsqu’un être humain meurt, il passe en jugement et son cœur est placé sur une balance, le second poids étant la plume de Maât.
Si la balance est déséquilibrée, la personne décédée a contribué au déséquilibre de l’univers et doit être condamnée. La plume de Maât est d’ailleurs une plume d’autruche qui a comme caractéristique d’être symétrique le long de son axe. On doit cependant également raisonner en termes de dualité : pour l’animisme cosmique, tout relève de la dualité.
Maât est typique de cet univers vénéré par l’animisme cosmique, mais seulement à l’arrière-plan, « invisible » si on lit les choses en termes de « polythéisme ». Maât se voyait offrir une offrande par le pharaon chaque matin – en fait, comme dans les autres polythéismes, elle n’est qu’un dieu suprême à l’arrière-plan, dans un au-delà inaccessible.
Il y a 42 divinités épaulant Maât, correspondant à 42 lois à ne pas transgresser pour ne pas modifier l’ordre cosmique. Voici comment ces lois sont présentées dans le papyrus composant le « livre des morts » reposant dans le tombeau du scribe royal Ani ; le papyrus fait 23 mètres de long sur 39 centimètres de hauteur et date de la 18e dynastie (-1550/-1292).
1. Je n’ai rien fait de mal
2. Je n’ai pas été une personne malhonnête
3. Je n’ai pas volé
4. Je n’ai tué personne
5. Je n’ai pas détruit de nourriture destinée aux offrandes
6. Je n’ai pas triché sur les mesures
7. Je n’ai pas volé la propriété des Dieux
8. Je n’ai pas dit de mensonges
9. Je n’ai pas volé de nourriture
10. Je n’étais pas maussade
11. Je n’ai pas forniqué avec le fornicateur
12. Je n’ai fait pleurer personne
13. Je n’ai pas dissimulé
14. Je n’ai pas transgressé les lois
15. Je n’ai pas fait de profit avec la nourriture cultivée
16. Je n’ai pas volé de parcelle de terre
17. Je n’ai trahi aucun secret.
18. Je n’ai pas intenté d’action en justice
19. Je n’ai pas cherché à m’approprier le bien d’autrui
20. Je n’ai pas convoité une femme mariée.
21. Je n’ai pas tué de bête sacrée
22. Je n’ai pas eu de relations sexuelles à tort.
23. Je n’ai pas semé la terreur
24. Je n’ai pas transgressé la Loi
25. Je ne me suis pas mis en colère
26. Je n’ai pas contredit la parole divine
27. Je n’ai maudit personne
28. Je n’ai pas été violent
29. Je n’ai pas égaré autrui
30. Je n’ai pas été impatient
31. Je n’ai pas eu de litige
32. Je n’ai pas été inutilement bavard
33. Je n’ai trompé personne, Je n’ai rien fait de mal
34. Je n’ai pas contesté le Roi (ou les Dieux)
35. Je n’ai pas souillé l’eau d’autrui
36. Je n’ai pas parlé avec arrogance ou avec colère
37. Je n’ai pas maudit une Divinité.
38. Je n’ai pas fait preuve de vanité.
39. Je n’ai pas nui à la nourriture réservée aux Divinités
40. Je n’ai pas volé la nourriture réservée aux morts (Khenfu)
41. Je n’ai pas volé la nourriture réservée aux jeunes (Hefnu)
42. Je n’ai pas entravé les divinités de ma ville
On pense tout de suite au décalogue de Moïse et on voit ici très bien comment le monothéisme prolonge le polythéisme. En fait, le décalogue de Moïse date nécessairement d’avant le monothéisme lui-même.
Et là on trouve un aspect très intéressant : qui dit loi religieuse universelle dit religion universelle. Or, le polythéisme va de pair avec une poly-lecture des cultes, ce qui implique une relative décentralisation. On voit ici comment la contradiction entre centralisation administrative / décentralisation religieuse a joué en rapport avec la question du droit général exigé par l’État central.
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