Reconstruction a posé une dynamique qui est essentielle pour la CFTC en développant une idéologie syndicale qui lui est propre. Il faudra du temps cependant avant que la mutation ne se réalise pleinement.
Car si Reconstruction fait bien partie du camp où se retrouvent non-gaullistes et non-communistes, la CFTC penche à droite de ce camp et non à sa gauche.
Au lendemain immédiat de la guerre, la CFTC a surtout été un vivier pour la reconstitution des centristes. Ainsi, un tiers des députés du MRP, le grand mouvement centriste, soit une cinquantaine de parlementaires, vient de la CFTC, de nombreux cadres ont la double casquette.
Il faut savoir ici qu’il a existé au début du 20e siècle un parti catholique en Allemagne, le Zentrum ; l’Église catholique a toujours fait en sorte d’éviter cela pour la France.
Un tel tandem MRP-CFTC posait donc un changement de ligne, pour un choix qui avait toujours voulu être évité. Aussi, dès la fin de la guerre, la dynamique est-elle cassée.
Si en juin 1945, en raison des succès du tandem, la tentative faite au Congrès de la CFTC de séparer le syndicat de la politique avait encore échoué (par 62 % des voix contre 38%), en février 1946, le Comité national de février 1946 décida par contre, par 110 voix contre 43, de rendre impossible le cumul de mandats politiques.
Paul Vignaux, porte-parole du Syndicat général de l’Éducation nationale, fait alors immédiatement voter à l’unanimité par le Comité national une résolution pour souligner le découplage.
Il est très clairement souligné qu’un échec gouvernemental risquait d’emporter la CFTC. Autrement dit, la CFTC risquerait d’être « grillé » aux yeux des masses et d’échouer par rapport à la CGT…
« Considérant
– la gravité de la situation économique et morale du pays,
– le danger que la masse déçue ne perde confiance dans le syndicalisme et les institutions libres,
– l’obligation pour le mouvement syndical de dégager les leçons de l’expérience,
Le Comité national constate
– que les travailleurs, qui n’ont point marchandé leur confiance au précédent gouvernement, subissent aujourd’hui les effets de l’absence de politique économique, cohérente et suivie,
– que la représentation du mouvement syndical dans de nombreux organismes officiels, de caractère consultatif, n’a pu empêcher le développement de cette situation,
– qu’une participation de ce genre comporte le risque permanent de faire endosser au syndicalisme des responsabilités qu’en réalité il ne partage pas.
En conséquence, le Comité national déclare
– qu’ayant affirmé dès novembre 1940 que notre défaite, au seuil de la guerre, ne tenait pas à l’exercice de la liberté des citoyens, le syndicalisme chrétien se doit aujourd’hui d’affirmer que la reconstruction économique et morale du pays exige un climat de liberté, de contrôle et de responsabilités démocratiques.
Dans cet esprit, le Comité national précise
– que la C.F.T.C. détermine son action dans une indépendance totale à l’égard des partis,
– que cette indépendance interdit ait mouvement toute formule de confiance politique globale à un homme ou à un gouvernement, à un ou plusieurs partis, et l’oblige à donner seulement son approbation et son concours à des mesures définies,
– que la même indépendance exige que les positions adoptées par les représentants syndicaux dans leurs relations avec les pouvoirs publics soient nettement définies et devant leurs mandants, et devant l’opinion publique, afin que, dans chaque cas, le syndicalisme chrétien prenne ses responsabilités et seulement les siennes. »
Le congrès de la CFTC de juin 1946 avalisa par 4 006 voix contre 1 255 ce choix de séparation du MRP.
C’était là une reconnaissance de la nature purement syndicale de la CFTC et, fort logiquement, la tendance de fond se prolongea. En octobre 1946, les Comités Nationaux durent se prononcer sur deux formulations devant remplacer l’ancienne au sujet de l’inspiration sociale.
Le premier article des statuts affirmait en effet que la CFTC se fondait sur la doctrine sociale de l’Église, et les expériences corporatistes directement catholiques, surtout autrichienne et espagnole, avaient largement décrédibilisées ce rêve clérical.
La direction proposa une modification, exprimée comme suit :
« La C.F.T.C. s’inspire, dans son action, des principes de la doctrine chrétienne, et notamment des commentaires et précisions apportés par les encycliques pontificales relatives aux questions sociales et économiques. »
François Henry, au nom du Syndicat général de l’Éducation nationale, proposa une version plus ambiguë :
« La Confédération se réclame et s’inspire, dans son action, des principes de la morale sociale chrétienne. »
La seconde proposition l’emporta et le Congrès de 1947 sépara formellement le syndicat des textes officiels de l’Église catholique.
C’était là un véritable saut, puisque la CFTC, officiellement, ne faisait que se réclamer et s’inspirer de la « morale sociale chrétienne ».
Cela ne se fit pas sans heurts. En 1952-1953, le conflit interne fut assez important et le président Gaston Teissier remit au pas les forces cherchant à laïciser trop fortement le mouvement ; ce qu’il dit dans une réponse à Eugène Descamps, un des principaux responsables de Reconstruction, illustre bien la nature du conflit :
« Mon ami, notre maison n’est pas socialiste. Nous ne sommes pas socialistes, nous n’avons rien à voir avec eux. Ce n’est pas à vous de définir l’orientation de notre centrale. C’est à nous, Bureau confédéral ! Pas à un dirigeant de fédération qui n’a pas de mandats. »
C’était pour Gaston Teissier l’occasion de parler comme « président » dont la fonction était d’assurer le « maintien de la doctrine ». Cependant, du moment que le lien organique était coupé avec les centristes et l’Église, il était évident que cela n’avait plus de sens.
Inévitablement, la CFTC se devait d’assumer une autre orientation, de fait une ligne « syndicaliste anti-autoritaire » dans le style « socialiste démocratique » établi par Reconstruction.
En 1961, Eugène Descamps, que dénonçait Gaston Teisser, devint secrétaire général de la CFTC ; c’était un métallurgiste : pour la première fois le poste de secrétaire général ne revenait pas à la Fédération des employés issus du SECI. C’en était fini de l’ancienne CFTC.
L’année 1964 couronna alors le processus avec la transformation de la CFTC en Confédération française démocratique du travail (CFDT).
Les 6 et 7 novembre à Paris, 70,1 % des mandats des 2300 délégués soutiennent la transformation qui est largement acceptée, 10 % des effectifs seulement décidant de maintenir l’ancienne forme et de continuer en parallèle, en tant que CFTC maintenue.
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