Le principal problème du Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) en février 1935, c’est d’avoir raison. Les masses considèrent qu’ils ont raison d’agir contre le fascisme et de s’unir. Cependant, le souci est que cela ne change pas fondamentalement grand-chose.
Le Parti communiste (SFIC) connaît ainsi toujours la répression, même si elle n’a pas l’ampleur des années précédentes. Le 6 avril, son siège est perquisitionné, pour des motifs d’espionnage officiellement, bien qu’il soit très clair que c’était une réponse à la nouvelle campagne menée contre l’instauration d’un service militaire de deux ans. Les responsables de L’Humanité affrontent également régulièrement les foudres de la justice prompte à accuser le quotidien.
Mais surtout, les masses restent encore à l’écart. On a l’image d’un Front populaire produit par un engouement de masses ; en réalité, c’est le Front populaire qui va produire cet engouement. Les masses ne participeront au Front populaire que lorsque sa légitimité sera complète.
En 1935, on est encore dans l’affirmation de l’unité antifasciste, sa constitution en proposition de Front populaire. Et il est clair que ne sachant pas quoi faire, le Parti communiste (SFIC) a l’idée d’intégrer les radicaux, afin d’intégrer enfin le paysage politique, de se voir valider, de trouver un débouché au front populaire que lui-même n’entrevoit pas.
Concrètement, le 13 avril, un meeting antifasciste du Parti communiste (SFIC) attire 30 000 travailleurs, puis le lendemain 10 000 à Ivry-sur-Seine, 5 000 à Bezons, 2500 à Sevran, 1000 à Montreuil, alors qu’il y avait seulement 2500 manifestants à Carpentras. C’est révélateur : l’unité Parti socialiste (SFIO) – Parti communiste (SFIC), c’est avant tout celle faite par les sections de Paris et de banlieue des deux partis.
C’est là le noyau dur de la classe ouvrière organisée, la seule zone géographique où il y a vraiment suffisamment de densité pour que soit ouvert un réel espace politique, finalement assez restreint malgré son impact.
Cela se lit très bien avec l’échec complet du premier mai 1935. On trouve deux meetings à Paris (avec 8 000 personnes à Japy et 6 000 à Huyghens), cinquante meetings en banlieue (dont 6 000 à Gennevilliers), dont douze de syndicats unitaires, mais… pas de manifestation.
Et cela, car le régime l’a interdit. Autrement dit, le Parti socialiste (SFIO) et le Parti communiste (SFIC) n’ont pas les moyens d’imposer une manifestation parisienne pour une date pourtant hautement symbolique, et ce malgré l’élan et l’esprit unitaire.
Il y a, au moins, eu la grève générale dans le bâtiment, une grève importante dans la métallurgie, ainsi que dans l’aviation.
Mais s’il y a des manifestations dans le reste du pays, elles sont tout sauf massives : 35 000 à Marseille, 20 000 à Lille, 12 000 à Lyon, 12 000 à Mulhouse, 6 000 à Toulouse, 6 000 à Saint-Étienne, 5 000 à Douai, 4 000 à Lens, 4 000 à Tours, 4 000 à Sidi Bel-Abbès (Algérie française), 3 000 à Grenoble, 3 000 à Amiens, 3 000 à Limoges, 2 500 à Arles, 2 500 à Montceau-les-Mines, 2 000 à Hénin-Liétard, 1500 à Neuves-Maison (non loin de Nancy avec une importante mine de fer).
Au total, 156 000 travailleurs ont fait grève, et il y a eu des meetings dans 63 villes. Ce n’est pas rien, mais c’est en décalage avec l’idée d’une classe ouvrière mobilisée et sur des charbons ardents.
Maurice Thorez est ici la grande figure du Parti communiste (SFIC), car il exprime la réponse à cette question, même si de manière opportuniste, car pour lui il faut accepter de jouer jusqu’au bout le jeu de l’intégration.
Il ne s’en cache pas et toutes ses positions le reflètent. Il le dit même ouvertement lors de son Discours au 7e congrès de l’Internationale communiste le 3 août 1935, intitulé « Les succès du front unique antifasciste ».
Son but, c’est de faire en sorte non pas qu’il y ait une unité antifasciste contre le régime, mais en lui, et cela passe par les radicaux. C’est une ligne de soutien au régime car républicain, avec les centraux, donc de fait la franc-maçonnerie et toute l’idéologie des « droits de l’Homme » propre à la bourgeoisie française.
« Le Parti mena une campagne soutenue dans la presse, par affiches, dans les meetings et à la tribune de la Chambre.
À la veille de chacun des deux congrès du parti radical, à Nantes, en octobre [1934], et à Lyon en mars [1935], le Parti communiste organisa de grands meetings où les représentants du Comité central exposèrent notre conception du Front populaire, en s’adressant tout particulièrement aux délégués radicaux.
Une longue discussion publique s’engagea avec le parti socialiste. Mais les ouvriers et les petites gens acclamaient le Front populaire. La formule et son contenu triomphèrent dans les masses au cours des dernières élections municipales. Les adversaires bourgeois fascistes eux-mêmes n’emploient plus d’autre expression pour désigner le large rassemblement antifasciste qui s’opère peu à peu sous l’influence de notre politique.
À la fin du mois de mai, le Parti décida d’étendre encore le Front populaire et de s’adresser aux partis de gauche en vue d’une action contre les ligues fascistes, pour déposer au Parlement une résolution exigeant du gouvernement le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.
La fraction communiste, alors composée de 9 députés sur 615 que compte la Chambre, prit l’initiative d’une réunion des groupes parlementaires de gauche. Le parti socialiste, invité, s’associa à notre initiative.
Le parti radical, le parti républicain-socialiste, le parti socialiste de France (néo-socialiste), le groupe des indépendants de gauche et le groupe pupiste (composé de dissidents de notre Parti communiste) répondirent à la convocation. La réunion eut lieu le 30 mai [1935].
La discussion s’engagea sur la déclaration faite par le représentant du Parti communiste. Nous avons, nous communistes, avons-nous dit, la volonté de battre le fascisme. Les élections municipales et cantonales montrent que la majorité du pays est contre la politique dite d’Union nationale qui fraye la voie au fascisme.
Cette majorité peut trouver une expression ici même, à la Chambre, les groupes qui ont répondu à notre invitation constituant la majorité de cette Chambre. Si cette majorité veut appliquer un programme frappant les riches et les spéculateurs, soulageant les pauvres et les chômeurs, nous, communistes, nous soutiendrons cette mesure.
Si cette majorité veut défendre les libertés démocratiques, non pas en paroles mais en prenant des mesures efficaces, telles que le désarmement et la dissolution des ligues fascistes, l’arrestation de leurs chefs, nous soutiendrons ces mesures.
Une telle politique, avons-nous ajouté, créerait, en outre, les conditions les meilleures pour le maintien de la paix et elle aurait notre appui non seulement au Parlement, mais dans tout le pays.
L’impression fut considérable. Nos déclarations furent renouvelées en séance publique, à la tribune de la Chambre.
Le soir même, le gouvernement Flandin était renversé.
Nous avions donné un peu plus d’audace aux députés radicaux. »
Il y a effectivement une instabilité terrible sur le plan gouvernemental. Édouard Daladier avait été éjecté à peine nommé à la suite du 6 février 1934 ; Gaston Doumergue qui l’avait suivi dura neuf mois.
Le gouvernement Flandin, dont parle Maurice Thorez, est rejeté au bout de six mois par le parlement (353 voix contre 202), et immédiatement dans la foulée le gouvernement Bouisson tombe début juin (264 voix contre 262), au bout de quelques jours. Pierre Laval va s’installer au poste pour six mois, en convergeant avec les ligues d’extrême-droite et en gouvernant à coups de décrets-lois.
Et, au cours de ce processus, un phénomène majeur se produit est avec les élections municipales des 5 et 12 mai 1935, ce qui marque un tournant.
En effet, si les socialistes et les communistes progressent, les radicaux reculent et cela va les forcer à prendre la décision de se rapprocher ou non des premiers. C’est ce dont parle Maurice Thorez dans son compte-rendu à l’Internationale communiste.
Pour les 858 communes de plus de 5 000 habitants et chefs-lieux d’arrondissements, les résultats sont les suivants :
– pour le Parti communiste (SFIC) (y compris les « dissidents » définis par le ministère) 90 communes, soit 43 de plus ;
– pour le Parti socialiste (SFIO) 169, soit 6 de moins mais le chiffre reste élevé.
Le « Parti d’unité prolétarienne » obtient une commune, les Socialistes indépendants 3, les Socialistes de France du néo-socialiste Déat, 15.
Les Républicains-socialistes en obtiennent 33, soit 9 de moins ; le Parti Radical en a 222, en perdant 4 ; les Radicaux indépendants 51, soit 4 de moins ; l’Alliance démocratique composée des républicains de gauche en a 146, soit 11 de moins.
Le Parti démocrate populaire en obtient 9, la Fédération républicaine 103, les conservateurs 10.
Ce n’est pas pour rien que L’Humanité assume le 13 mai, le lendemain du second tour, le slogan « Vive la ceinture rouge de Paris ! » sur sa page de garde.
Et on lit :
« Dans la Seine, où nous avions avant les élections 9 municipalités, nous sommes actuellement à la tête de 27, comptant 718.000 habitants.
— Les socialistes ont 9 mairies (234.000 habitants), les pupistes et le groupe de Saint-Denis, 5 (206.000), les néo.socialistes, 5 (153.000).
— Les divers partis réactionnaires et fascistes, en recul très sérieux, ne conservent que 35 municipalités (749.000 habitants) contre 52. »
Ce n’est pas tout : suivent immédiatement les élections du conseil général de la Seine. Il est composé de 90 conseillers municipaux de Paris et de 50 conseillers généraux élus de banlieue ; Paris a alors 2,8 millions d’habitants, le reste du département de la Seine, soit la banlieue, a 2,1 millions d’habitants.
Dès le premier tour fin mai 1935, le Parti communiste (SFIC) obtient 12 élus (Ivry-sur-Seine, Asnières, Montreuil, Pantin, Vanves, Noisy, Villejuif, Puteaux, Aubervilliers) ; 13 élus viennent s’ajouter au second tour début juin.
Ces élus s’ajoutent aux élus du Conseil municipal de Paris, ce qui fait que le Parti communiste (SFIC) devient le premier parti au Conseil général de la Seine. Il s’appuie sur 33 élus au total, contre 12 aux socialistes, 9 au Parti d’unité prolétarienne, 1 élu antifasciste, 4 radicaux, 1 socialiste indépendant, 7 radicaux et républicains socialistes, 5 néo-socialistes, 68 réactionnaires et fascistes dont 1 doriotiste.
C’est donc Georges Marrane, Parti communiste (SFIC), qui devient président du Conseil général de la Seine.
Autrement dit, les radicaux reculent et s’écartent de la droite, au moment où les socialistes et les communistes profitent d’une dynamique.
L’unité entre les trois, qui consiste en le Front populaire, va alors être possible pour deux raisons. La première, c’est que les radicaux veulent supprimer les ligues, et que le Parti communiste (SFIC) accepte de basculer dans l’idéologie républicaine afin d’assurer l’alliance.
Ensuite, en mai 1935 est signé un traité franco-soviétique d’assistance mutuelle. Cela pousse d’autant plus le Parti communiste (SFIC) à accepter des compromis, alors que les radicaux, expression de la bourgeoisie ne voulant pas s’aligner sur l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste (alors encore concurrentes l’une de l’autre), ont tout à gagner d’une telle séquence pour conserver leur place centrale.
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et la construction du Front populaire en 1934-1935