Plotin est la grande figure du néo-platonisme et il a frappé si fort dans l’idéalisme qu’il a, en fait, fermé les portes du paganisme. Après Plotin, c’est le christianisme qui se charge de développer les thèses du néo-platonisme, les adaptant aisément au cadre religieux chrétien.
La falsafa arabo-persane reprendra également le néo-platonisme, mais pour l’épurer et rétablir la démarche de l’aristotélisme authentique.
Il y eut pourtant d’autres néo-platoniciens à la suite de Plotin, essaimant le monde gréco-romain. Plotin, qui venait d’Égypte romaine, s’était installé à Rome où son disciple, le phénicien Porphyre, prit le relais. C’est d’ailleurs lui qui amena Plotin à écrire, Porphyre compilant et publiant ce qui sera connu sous le nom d’Ennéades.
On trouve ensuite Jamblique, d’une famille princière d’Emèse en Syrie actuelle, où il fonda une école, et enfin, à Athènes, Syrianos et Proclos (connu en France sous le nom de Proclus).
Tous les néo-platoniciens, après Plotin, basculèrent dans un mysticisme païen outrancier, auquel Plotin était lié mais en tentant d’en synthétiser une forme nouvelle.
Sa tentative ne fut pas reprise (à part par le christianisme, notamment avec Pseudo-Denys l’Aréopagite), le culte des dieux et la magie devenant des vecteurs essentiels de la sagesse mystique.
Le néo-platonisme apparaît alors comme un mouvement idéologique tentant à la fois de prolonger son opposition formelle au matérialisme d’Aristote, tout en cherchant à éviter d’avoir à assumer le christianisme.
Alors que Plotin a tenté de renouveler le platonisme, ses successeurs se cantonnent à un platonisme renouvelé, piochant de manière éclectique et confuse pour sauvegarder l’idéalisme païen.
Voici un exemple avec ce que dit Porphyre dans un Traité sur le précepte Connais-toi toi-même, adressé à Jamblique :
« Platon a raison de nous recommander dans le Philèbe de nous séparer de tout ce qui nous entoure et nous est étranger, afin de nous connaître nous-mêmes à fond, de savoir ce qu’est l’homme immortel et ce qu’est l’homme extérieur, image du premier, et ce qui appartient à chacun d’eux.
À l’homme intérieur appartient l’intelligence parfaite ; elle constitue l’homme même, dont chacun de nous est l’image.
À l’homme extérieur appartient le corps avec les biens qui le concernent.
Il faut savoir quelles sont les facultés propres à chacun de ces deux hommes et quels soins il convient d’accorder à chacun d’eux, pour ne pas préférer la partie mortelle et terrestre à la partie immortelle, et devenir ainsi un objet de pitié et de risée dans la tragédie et la comédie de cette vie insensée, enfin pour ne pas prêter à la partie immortelle la bassesse de la partie mortelle et devenir misérables et injustes par ignorance de ce que nous devons à chacune de ces deux parties. »
Voici comment il formule les choses encore dans le Traité de l’Âme :
« D’un côté, il y a l’homme qui n’a d’autre occupation que la bonne chère, comme les brutes.
D’un autre côté, il y a l’homme qui, par son talent, sauve le navire dans la tempête, ou rend la santé la ses semblables, ou découvre la vérité, ou trouve la méthode qui convient à la science, ou invente des signaux de feu, ou tire des horoscopes, ou, par des machines, imite les œuvres du créateur. »
Dans le cadre de cet éclectisme, Porphyre écrivit de très nombreux ouvrages ; celui intitulé Introduction aux Catégories d’Aristote et connu sous le nom d’Isagogè (Introduction, en grec) eut un grand succès de par sa problématique, mais contribuant grandement à la confusion et l’incompréhension des différences essentielles entre platonisme et aristotélisme.
C’est avec son disciple Jamblique (vers 242-325) qu’a ensuite lieu le basculement dans le mysticisme le plus total. Rien ne change bien sûr dans les fondamentaux, avec les considérations fascinées sur le « Un » parfait, comme ici dans une lettre à Macédonius sur le destin :
« Tous les êtres doivent à l’Un leur existence : car l’Être premier dérive immédiatement de l’Un.
À plus forte raison, les causes universelles doivent à l’Un leur puissance efficace, sont contenues dans un seul enchaînement et se rapportent au Principe qui est antérieur à la multitude.
De cette manière, comme les causes qui constituent la Nature sont multiples, qu’elles appartiennent à des genres différents et dépendent de plusieurs principes, la multitude dépend d’une Cause unique et universelle, toutes choses sont enchaînées ensemble par un lien unique, et la liaison des causes multiples remonte à la puissance unique de la Cause la plus compréhensive (…).
L’essence de l’âme est par elle-même immatérielle et incorporelle, non-engendrée et impérissable ; elle possède par elle-même l’être et la vie, elle se meut par elle-même, elle est le principe de la nature [végétative] et de tous les mouvements du corps.
Tant que l’âme reste ce qu’elle est par son essence, elle a en elle-même une vie libre et indépendante.
Lorsqu’elle se donne aux choses engendrées, et qu’elle se subordonne au mouvement de l’univers, elle est soumise au Destin et devient l’esclave des nécessités physiques. Lorsqu’elle s’applique à l’acte intellectuel, qui est libre et indépendant, elle fait volontairement ce qui est de son ressort, elle participe réellement de Dieu, du bien et de l’intelligible. »
Toutefois, Jamblique est celui qui a insisté, en rupture avec Plotin et Porphyre, sur la nécessité de la magie, l’œuvre la plus connue qui lui soit attribuée étant Les mystères des Égyptiens, des Chaldéens et des Assyriens.
Jamblique insiste en fait sur la source des savoirs de Socrate et Platon, c’est-à-dire tant Pythagore d’un côté, que les mysticisme orientaux, en particulier égyptiens, de l’autre.
S’il est ainsi vrai que l’Un est l’objectif et qu’il est le seul à exister, il y aurait pour autant une « science » magique de la réalité.
Les prières et les sacrifices, les exercices de purification et les oracles, le culte des images et l’intégration dans un parcours initiatique, les sacrifices à dates précises et la croyances aux génies et aux démons, tout cela aurait un sens, relevant du déchiffrement mystique du monde.
Le mot à employer ici est celui de « théurgie ».
Chez Plotin, on est dans une démarche contemplative : on s’élève jusqu’à « l’Un » et on bascule dans l’extase. Dans la théurgie au sens strict, c’est-à-dire ce qu’on appelle la magie, les pratiques mystiques (prières, rites comme les sacrifices, vénération d’objets sacrés, etc.) permettent de rentrer en contact avec le divin, d’en acquérir certains pouvoirs (la divination, la lévitation, etc.).
Ce courant « magicien » était, en fait, inhérent au platonisme depuis l’effondrement d’Athènes. Il accompagne d’autant plus l’effondrement du mode de production esclavagiste ; il témoigne de la fin d’une époque.