La proposition incessante de réformes révolutionnaires en Amérique latine

La transformation par en haut est au cœur du style latino-américain proposé par Ariel, et qui a eu son succès dans toutes les élites criollos.

On a là une clef de la fuite en avant à la latino-américaine.

Au-delà de toute considération sur les rapports internes, les contradictions particulières propres à ces fuites en avant, ce qu’il s’agit de voir est que dans la logique d’Ariel, la démarche des régimes latino-américains est toujours de tout changer pour ne rien changer.

Comme on a des pays, en effet, fondés par en haut, on ne peut pas profiter d’une base réactionnaire traditionnelle, de quelque chose de pesant permettant de faire revenir les compteurs à zéro.

Une telle entreprise ne peut que réussir dans un pays qui s’est construit par le bas, autrement dit un pays où une petite-bourgeoisie s’est installée progressivement, entre la bourgeoisie et le prolétariat, avec une défense de la petite propriété, un style de vie « traditionnel », etc.

Dans les pays capitalistes, cette petite-bourgeoisie dans sa variante des villes (de « gauche » mais loyaliste à l’État) et dans sa variante des campagnes (hostiles à l’État mais de « droite ») forme un vaste obstacle historique à la révolution.

Dans les pays latino-américains, il n’y a pas un tel calme petite-bourgeois, ou du moins certainement pas dans de telles proportions. I

l faut donc toujours, pour un régime, proposer une réforme de dimension « révolutionnaire », qui permette un engouement massif.

Il suffit de se tourner vers l’histoire de n’importe quel pays d’Amérique latine pour voir qu’il y a toujours un projet à la fois révolutionnaire et institutionnel qui se propose, qui profite d’une large base populaire, qui gouverne triomphalement avant, finalement, de s’effacer.

On est dans le cycle permanent proposé par Ariel.

En ce sens, Ariel est un constat très objectif du fait que les pays latino-américains sont construits par en haut et ne peuvent se maintenir que par un renouvellement systématique de l’idéologie dominante.

Le modèle du genre, de par sa stabilité, c’est bien entendu le « Parti révolutionnaire institutionnel », dont le nom ne s’explique pas autrement que par cette idée exposée dans Ariel.

Ce parti politique a dominé pratiquement toute l’histoire du Mexique du 20e siècle.

Par quoi a-t-il été remplacé ? Bien sûr, par d’autres projets de grande envergure, transformateurs, etc., comme avec Andrés Manuel López Obrador qui se fait élire président en 2018 en proposant la « quatrième transformation » (« 4T »), qui prolongerait celle de l’indépendance (1810), de la réforme libérale de Benito Juárez (au milieu du XIXe siècle) et la révolution mexicaine (1910).

Un autre exemple très connu d’une telle « révolution » dans l’idéologie est le « programme des objectifs » de Juscelino Kubitschek au milieu des années 1950, avec comme but de réaliser « 50 ans de progrès en 5 ans ».

La construction de la ville de Brasilia est le grand marqueur symbolique de cette réforme « révolutionnaire ».

Portrait officiel de Juscelino Kubitschek

On ne saurait pareillement comprendre le programme d’Unité populaire du socialiste Salvador Allende élu en 1970 au Chili sans voir qu’il tablait sur la cybernétique pour « gérer » l’économie de manière moderne !

L’ordinateur du projet Synco de gestion cybernétique
de l’économie chilienne sous la présidence de Salvador Allende

De la même manière, Javier Milei n’a jamais été un simple « Trump de la Pampa », mais bien quelqu’un proposant un plan de modernisation, de transformation, etc. (et d’ailleurs Donald Trump a en fait lui-même un intense projet de modernisation du capitalisme).

En ce sens, au-delà des différences de projet, Javier Milei n’est qu’un équivalent moderne, même si au contenu fondamentalement différent, du « justicialiste » Juan Domingo Perón qui proposa en Argentine un plan quinquennal en 1946.

Car ce qui compte, c’est qu’il n’y a jamais en Amérique latine d’absence d’un programme de renouvellement absolu, de proposition d’un renouvellement fondamental des états d’esprit, du fonctionnement de l’idéologie dominante.

L’histoire des élections latino-américaines, c’est l’histoire des propositions de réformes révolutionnaires – une contradiction en soi, qui puise sa source dans la réalité des parcours nationaux élaborés par en haut.

L’excitation permanente pour un projet d’envergure est la constante de la réalité de l’Amérique latine, en raison de la constitution artificielle initiale, par les criollos, des différents pays.

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L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)