[Deuxième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]
2. Restructuration social-capitaliste et lutte de classe
Marx écrit dans Les luttes de classe en France de 1848 à 1850 : « A l’exception de quelques chapitres, chaque section importante des annales de la révolution de 1848 à 1849 porte le titre de : « « Défaite de la révolution ! »
Mais dans ces défaites, ce ne fut pas la révolution qui succomba. Ce furent les traditionnels appendices pré-révolutionnaires, résultats des rapports sociaux qui ne s’étaient pas encore aiguisés jusqu’à devenir des contradictions de classes violentes : personnes, illusions, idées, projets dont le parti révolutionnaire n’était pas dégagé avant la révolution de Février et dont il ne pouvait être affranchi par la victoire de Février, mais seulement par une suite de défaites.
En un mot : ce n’est point par ses conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s’est frayé la voie; au contraire, c’est seulement en faisant surgir une contre-révolution compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment révolutionnaire. »
Syndicat et parti du front au mouvement autonome des masses
Le mouvement syndical s’est articulé – à partir de 1967, quand les premières luttes spontanées d’importance ont commencé – en trois moments:
– Au début, il y avait une tentative d’exploiter la nouvelle potentialité de lutte de la classe ouvrière afin de pouvoir obtenir une incidence organisationnelle majeure et un plus haut pouvoir contractuel. En général, les luttes spontanées ont été sous-estimées et attribuées aux déficiences syndicales locales.
C’est le moment où se tente l’intégration, au sein des syndicats et des partis, des éléments les plus « jeunes » et les plus combatifs.
– La seconde phase, caractérisée principalement par les grandes luttes chez Pirelli et à Porto Marghera, voit le syndicat s’engager dans une course derrière les comités de base, dans un positionnement purement défensif.
C’est le moment de la désorientation, où les militants syndicaux passent des tentations répressives aux fuites avant-gardistes et démagogiques. Dans les situations les plus arriérées, l’initiative autonome de la classe ouvrière et l’action syndicale se mélangent de manière ambiguë.
Par exemple, au cours de cette période, le groupe dirigeant FMI s’est consolidé au sein de la CISL, ce qui constitue un peu l’aile marchante pour une future récupération syndicale.
– C’est pendant la période contractuelle que les syndicats mettent tout leur poids organisationnel et politique dans la balance pour transformer une tactique défensive en une stratégie offensive.
Les éléments sur lesquels ils appuient sont essentiellement :
1) Unité syndicale : c’est la forme par laquelle l’unité à la base, le contenu essentiel du mouvement spontané des masses, est exploitée et combattue.
« C’est uni qu’on gagne » est un slogan qui interprète une profonde exigence de la classe ouvrière, mais en inversant le sens: l’unité se réalise à son point le plus bas, isolant les vraies avant-gardes, ciblant simultanément les illusions maximalistes des vieux militants du PCI et l’indifférence de la droite ouvrière.
Au nom de l’unité, la lutte est contrôlée et limitée, les manifestations extérieurs à l’usine sont affaiblis, souvent réduits à des processions vides, accusant les noyaux extra-syndicaux d’être « vendus » au patron, dénonçant toute action politiquement créative comme extrémiste.
2) La démocratie syndicale : c’est l’alternative arriérée, réformiste à la démocratie directe. De même que la démocratie directe est la forme qui assume l’autonomie ouvrière et qui tend à se transformer en démocratie révolutionnaire, la démocratie syndicale est la forme de contrôle, d’institutionnalisation et de cristallisation d’un pouvoir verticalisé et centralisé, l’étouffement de la démocratie ouvrière dans la spirale de la démocratie bourgeoise formelle.
Ce n’est pas par hasard qu’en même temps que le lancement des instruments de démocratie syndicale, les formes de répression les plus dures se développent contre les comités de base, les groupes extérieurs, les «Chinois ». Simultanément, la démocratie syndicale a alimenté l’illusion d’une utilisation ouvrière du syndicat.
La CGIL et la CISL se partagent les tâches : tandis que la première mène la ligne du « centralisme démocratique » qui semble la mise à jour de l’État corporatiste (une démocratie de type nouveau, dit [le haut responsable du PCI Pietro] Ingrao, qui se développe sur une ligne ininterrompue allant des délégués de chaîne jusqu’à la présidence de la république), la CISL récupère, dans ses points les plus avancés, les contenus autonomistes et anarcho-syndicaliste.
3) La socialisation des luttes : c’est la transposition de la tension ouvrière de l’intérieur des usines à l’environnement social, où l’autonomie et la démocratie directe semblent se trouver privées des outils adéquats.
Mais c’est aussi, et surtout, l’abandon d’un rôle radicalement nouveau du syndicat. Au-delà de la signification contingente de ces « luttes sociales », on suppose la construction d’une organisation de masse unitaire de la classe ouvrière (et encore « syndicale »). C’est une hypothèse qui donnerait un sens politique stratégique à cette réunification des gauches mise en avant par [le haut responsable du PCI Giorgio] Amendola et la droite du PCI.
Mais le terrain même de la socialisation peut être miné et très dangereux pour le projet politique, encore délimité de manière incertaine dans ses moments tactiques, de la classe réformiste au pouvoir. Parce que sa mise en œuvre entraîne une transformation radicale de toute la structure socio-politique italienne, provoquant ainsi des conflits de plus en plus vifs entre les forces (syndicat – partis – patronat – bureaucratie entrepreneuriale) qui sont impliquées.
C’est ainsi qu’apparaît superficiel le pessimisme de ces groupes extraparlementaires, qui il y a quelques mois à peine apparaissaient si optimistes quant à la fonction « révolutionnaire » des luttes contractuelles.
Les mots d’ordre triomphalistes sur la classe ouvrière qui devrait « balayer » les syndicats pour « attaquer jusqu’au bout » le système des patrons et donc « faire la révolution en 80 jours », se sont transformés – précisément à cause de l’incohérence de l’hypothèse et de la pratique de ces groupes – en une reddition politique imdans un rendement politique plein de démotivation.
Que le syndicat se soit renforcé numériquement, que la logique contractuelle a nécessairement abouti à la gestion syndicale du contrat, que le poids organisationnel des syndicats a bloqué l’initiative des Comités Unitaires de Base, des groupes d’étude et des groupes externes ne signifie pas que la lutte des classes ait reflué, mais seulement qu’elle a assumé et tendra toujours plus à assumer de nouvelles formes d’expression.
C’est justement au cours des contrats que les syndicats ont été soumis à des contradictions irréconciliables dans une logique interne: la contradiction entre la mobilisation de la droite ouvrière et la tentative de récupération de la gauche, entre la prétendue délimitation revendicative de la lutte et la proclamation de sa signification politique, entre la manipulation de la démocratie ouvrière et son véritable élan subversif, entre la nécessité de garantir au patronat des périodes de trêve syndicale et la « conquête » de la négociation articulée, etc.
Les contradictions conflictuels, entre les forces qui régissent le système, et les contradictions antagoniques, constituent aujourd’hui, dans le monde du travail, un enchevêtrement, la tâche de la gauche ouvrière organisée étant de le faire exploser.
Au cours des luttes contractuelles, le PCI a gardé le silence, se limitant à appuyer l’initiative syndicale, fournissant avec ses militants une aide massive à la répression dans l’usine, qualifiant l’Unità [l’organe du PCI] de journal syndical, se faisant porteur, dans les situations concrètes, d’une attitude substantiellement modérée.
Cette ligne a provoqué une certaine controverse à l’intérieur, surtout parmi les cadres intermédiaires et les dirigeants locaux, craignant que la prédominance des syndicats et des syndicalistes ait vidé la fonction du Parti et de son appareil.
À la base, le discours unifié rencontra la résistance amère des vieux staliniens, incompatible avec la collaboration avec les « traîtres » d’hier. Mais en cette période de faible initiative externe du parti, elle a consolidé l’unité interne en vue du cycle des luttes politiques qui l’attendent en vue de la nouvelle majorité et de l’opération complexe qui la sous-tend.
L’occasion a été principalement offerte par le débat sur la question du Manifesto, qui a eu lieu à tous les niveaux et dans toutes les instances. Ainsi, le groupe hégémonique du PCI a défini sa stratégie qui, si elle exclut la participation gouvernementale à court terme, pose la question d’une nouvelle majorité dans le cadre d’une restructuration du système qui devrait éviter des mésaventures comme celle qui arrive aux socialistes.
Le PCI est indisponible, c’est-à-dire indisponible pour une opération purement parlementaire mais déclare, dans cette position quasi unanime de manière interne, sa pleine disponibilité à un changement de régime qui devrait remplir certaines des exigences historiques du mouvement ouvrier italien et qui pourrait permettre au capital avancé de rapidement s’insérer dans le nouveau cadre économique international.
Se prépare ainsi le bloc entre exploitation économique et exploitation politique de la classe ouvrière, à l’intérieur d’un système qui, pour souligner les différences par rapport aux précédentes expériences social-démocrates classiques, pourrait être défini comme le social-capitalisme.
L’Italie et l’aire européenne
Ce serait une grave erreur de considérer les éléments fondamentaux de la stratégie syndicale: l’unité, la démocratie syndicale, la socialisation, comme de simples outils répressifs et défensifs.
Le mouvement spontané des masses qui monte impétueusement en puissance dans la zone européenne ces deux dernières années a forcé le système à accélérer le processus de restructuration économique, politique et culturelle que les parties les plus avisées du capitalisme international ont depuis longtemps jugé nécessaire et fonctionnel au développement des structures productives.
Comprendre les dimensions, la portée historique, les lignes de développement, et surtout les contradictions que ce processus est destiné à susciter, signifie sortir du remâchage générique des analyses « historiques » du mouvement ouvrier et de l’angoisse des évaluations strictement « nationales ».
La «symétrie sociale» de [Willy] Brandt [le chancelier allemand], la « société entreprise »» de [Woodrow] Wilson, les propositions gaullistes de gestion sociale et la « voie italienne au socialisme » de [Luigi] Longo sont les formes spécifiques et nationales de la restructuration générale de l’espace économico-politique européen.
Pour cela, sont appelés à collaborer les forces politiques hétérogènes qui, dans la lutte contre les mouvements de masse spontanés, ont proprement découvert de bout en bout l’affinité de leurs intérêts et la nécessité et la possibilité de converger pour un temps limité.
La partie la plus avancée du capital international et les organisations du mouvement ouvrier ont entamé un processus d’alliance objective qui a comme fait émergé une nouvelle assisse structurelle de la société et de l’État.
Un processus qui se développe à travers des contradictions sérieuses, qui déforment verticalement le corps social tout entier et qui tend à créer des tensions – pensez à toute « l’affaire » de la bombe de place Fontana [attentat fasciste faisant 16 morts et 88 blessés] – qui peut amener la société au bord de la guerre civile, et peut-être au-delà.
Ainsi un processus – imposé au capital par les lois objectives mêmes de son développement – visant à garantir la paix sociale par l’utilisation sociale des salaires et l’institutionnalisation de la lutte des classes tend à se renverser dialectiquement en son contraire : dans la crise des structures politiques de l’État, Énoncer, dans le déséquilibre des institutions, dans la conflictualité interne la plus radicale du haut jusqu’à la base du système.
Assumer aujourd’hui l’espace politique européen comme un espace politique unitaire ne signifie pas faire une abstraction idéologique, mais reconnaître la réalité d’une situation tendanciellement homogène, tant sur le plan du développement des forces productives que sur le plan général de la société politique.
Il y a, indubitablement, quelques différences importantes, mais elles semblent plutôt correspondre à différents stades de développement qu’à des lignes de tendance divergentes.
Sont connus les principes de la politique étrangère régissant l’administration Nixon : à la bipolarité militaire (États-Unis, URSS) correspond à la multipolarité politique, par laquelle relève de l’Europe de l’Ouest la gestion des rapports économiques et politiques avec l’Europe de l’Est et certains des pays africains.
Cela devrait permettre aux États-Unis et à l’Union soviétique d’établir une relation de coopération afin de garantir « l’ordre international ».
Ce qu’on entend par ordre international en ce sens est bien connu : unification du marché mondial, division contrôlée des zones d’exploitation, blocage de la tension révolutionnaire, programmation de la répression.
Dans le contexte de cette sainte-alliance États-Unis-URSS et de ses fonctions en Europe, quel est le poste confié à l’Italie?
Les dernières années ont accru la force politique du parti communiste : la mise en place de l’unité syndicale, la pression de l’autonomie ouvrière, la flexibilité tactique du parti, son enracinement dans les centres de pouvoir fondamentaux comme les autorités locales, la faiblesse de la classe politique directement liée à la bourgeoisie, le retard structurel même de l’Italie par rapport aux exigences du capitalisme avancé, posent de manière objective l’exigence d’une « nouvelle majorité » axée (avec participation directe ou l’appui extérieur diversement configuré) sur le PCI.
Cela pourrait servir de banc d’essai pour une coopération plus étroite entre les États-Unis et l’URSS, une expérience qui aurait beaucoup plus d’importance que la coopération finlandaise et qui contribuerait de manière décisive à la mise en œuvre du projet politique décrit ci-dessus.
Une fonction analogue, mais dans un mode et une époque différentes, peut avoir le rapprochement entre la République Fédérale Allemande et la République Démocratique Allemande, entre [le chancelier ouest-allemand Willy] Brandt et [le dirigeant est-allemand Walter] Ulbricht.
Mais c’est en Italie que les contradictions semblent exploser avec le plus de violence. L’effondrement de la droite politico-économique (de Costa au PSU) et de la gauche (d’Agnelli à Longo), ou plutôt aux tendances dont ils sont les représents, parce qu’il est clair que les camps sont loin d’être définis et irréversibles, étant violent et tendant à se radicaliser de plus en plus.
Une petite idée de la dureté de l’affrontement ont été les événements liés à la mort du policier Annarumma [mort parallèlement à une manifestation étudiante] dans la Via Larga et le déclenchement de la bombe à la Piazza Fontana. Les coups ne sont pas épargnés.
La vieille droite se déplace pour les funérailles des flics, tendant à créer un climat de lynchage des « extrémistes», mais visant principalement le Parti Communiste. La bombe a explosé et une incroyable chasse à l’homme a été faite, tandis qu’on reparler d’un coup d’État. Le PCI et ses alliés ont recours à un haut « esprit de la Résistance ».
Les voix partant du président de la république (article de l’Observer) commencent par des dénégations indignées, la même enquête sur l’attaque semble montrer l’incertitude, les fractures et les contradictions qui passent à l’intérieur des institutions étatiques.
Viennent ensuite les dénonciations des grévistes et des syndicalistes, qui à part leur aspect « spectaculaire », révèlent les tensions existantes et menacent de créer des tensions encore plus graves.
Ce sont les formes d’une guerre civile latente, implicite ; ce sont les aspects initiaux d’une période politique qui sera caractérisée, pas besoin d’être un prophète pour le prédire, d’un combat qui va investir l’ensemble de l’Europe, mais principalement l’Italie, entre une ligne de droite qui est inspirée des méthodes de la droite internationale (du coup des colonels grecs aux attentats contre Kennedy, aux solutions juridiques autoritaires) et une ligne « de gauche » engagée dans la restructuration social-capitaliste de la société.
Caractéristiques essentiels du projet social-capitaliste
Cette nouvelle phase de l’organisation sociale capitaliste tend à créer une vieille utopie de la bourgeoisie: la capacité de planifier le travail de la main-d’œuvre à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine au moment de la production, de la consommation et de toutes les expressions de la vie sociale et les relations humaines.
Dans la phase actuelle du développement capitaliste, l’ancienne combinaison de réforme et de répression, composée au sein de la démocratie formelle bourgeoise, ne suffit plus.
Cette nouvelle phase de l’organisation sociale capitaliste tend à réaliser une vieille utopie de la bourgeoisie : la possibilité de planifier le comportement des prolétaires tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’usine, au moment de la production comme dans celui de la consommation et dans toutes les expressions de la vie sociale et des rapports humains.
Dans la phase actuelle de développement, la vieille combinaison de réforme et de répression, composée à l’intérieur de la démocratie formelle bourgeoise, ne suffit plus.
La centralisation du pouvoir nécessaire à la gestion du capitalisme avancé réduit toujours davantage les espaces de pouvoir réel à « concéder » aux cadres dirigeants subordonnés, le dynamisme vertical élimine les couches intermédiaires et le choc de classe tend à se produire sur un mode net et radical entre une bourgeoisie qui a épuisé toute possibilité d’expression sociale globale (c’est-à-dire ne plus plus se présenter comme « porteuse » des idéaux démocratiques, nationaux, de valeurs éthiques ou culturelles) et un prolétariat urbain qui s’étend à la majorité de la population active.
Sur ce point il est nécessaire pour le système que la contestation sociale soit organisée et canalisée, préparant une solution qui sauvegarde les présupposés non renonciables de la société de l’exploitation et accueille en même temps les exigences populaires de mutation du cadre institutionnel général.
Cela signifie d’un côté la reconnaissance ouverte de la dynamique de classe, et de l’autre l’institutionnalisation de la lutte de classe, la réduction des intérêts antagoniques dans le cadre d’une logique de conflictualité interne.
Le conflit est ensuite mené selon des règles précises (réglementation des grève, des manifestations, tolérance envers la contestation et à la dissidence) pour maintenir le conflit de classe dans les canaux de la contractualisation du prix économique, politique et culturel de la force de travail.
Au réformisme passif mis en place pour atténuer les contradictions lorsqu’elles se sont déjà transformés en lutte sociale, se substitut un réformisme actif qui favorise les luttes, sollicitant le développement en contrôlant son résultat.
Le réformisme ne se pose plus comme un résultat des luttes (plus ou moins possibles), mais en est la condition même.
Cela signifie que les luttes doivent avoir lieu (et ont déjà été partiellement réalisées pendant les luttes contractuelles) sur une scène [de théâtre] fixe avec des parties et des protagonistes fixes.
Cette restructuration globale de l’agencement sociopolitique capitaliste, qui a comme agent la dynamique contrôlable du réformisme actif, se manifeste comme une extension artificielle des limites de la « légalité » bourgeoise, jusqu’à la récupération formelle des instances produites par l’autonomie ouvrière.
En ce sens, le projet social-capitaliste coïncide avec la stratégie « révolutionnaire » du PCI : l’extension progressive des limites de la légalité jusqu’à l’imposition d’une utilisation sociale des structures capitalistes.
Alors le parti et le syndicat se préparent à mettre en place une série de luttes au niveau social, réformiste dans le contenu, radical dans la forme : lutte pour une politique des transports publics (nous ne payons pas le ticket sur le tram), lutter pour restructurer le système de sécurité sociale(nous ne payons pas le médecin) ou encore la grève des loyers pour obtenir le juste prix.
Il apparaît comme évident que de telles luttes, plutôt que d’affecter la substance des conditions d’exploitation des masses travailleuses, tendent à rendre adéquate la société du capitalisme tardif au développement des forces productives et à insérer de plus en plus les masses dans l’aire du consensus.
Le système peut en fait tranquillement décider aujourd’hui que le transport et l’assistance médicale soient gratuits, établir des prix équitables pour le logement ou pas d’inflation pour les prix : c’est le prix qui doit être payé pour garantir la paix sociale.
Ce qui ne peut absolument pas être toléré, c’est que la forme de la lutte se transforme en contenu (que l’attaque « violente » contre les briseurs de grève se transforme en attaque violente à la structure du pouvoir), car à ce stade, ce serait… la révolution.
L’attaque contre le réformisme est aujourd’hui la seule condition pour la défense et le développement de l’autonomie prolétarienne : quand le réformisme devient l’instrument principal (à côté de la répression) pour bloquer le développement de l’autonomie prolétarienne, cesse alors toute justification pour une stratégie tactiquement « réformiste ».
C’est ce que n’ont pas encore compris beaucoup de gens qui continuent à cultiver l’entrisme syndical (surtout dans la FIM-CISL, aile contestatrice des syndicats) mais aussi une partie de [l’organisation étudiante] Movimento Studentesco, qui derrière un langage marxiste-léniniste-maoïste cache une tendance opportuniste qui doit être combattue de la manière la plus radicale.
Ce qui assure au capitalisme la survivance de sa substance est, d’une part, une organisation plus capillaire du consensus, d’une part la centralisation du pouvoir qui s’exprime principalement par la répression globale.
Les vieilles formes d’organisation du consensus, de la publicité aux instruments de communication de masse, ne sont en soi plus suffisant plus pour un tel contrôle capillaire et direct de ce qui est requis par la phase capitaliste actuelle.
La centralisation extrême du pouvoir (pour laquelle la grande majorité des gens sont aliénés de toute possibilité réelle de décider de la vie individuelle et publique) risque d’isoler les gestionnaires et de créer un abîme que seule la révolution pourrait combler.
L’organisation du consensus doit donc résoudre ce problème, acquérant toujours davantage un caractère dynamique.
Il ne s’agit plus seulement d’assurer un consensus ou une acceptation passive à l’égard de l’organisation sociale existante, mais d’utiliser les instances de base pour mettre en œuvre les « réformes structurelles profondes » qui trouvent consentants et objectivement alliés le Parti Communiste, les syndicats, les classes entrepreneuriales progressistes, le capital financier international « avancé ».
Les objectifs fondamentaux sont de créer une fracture profonde entre le contenu politique propre à l’autonomie prolétarienne et le faux mirage de la société du bien-être, d’empêcher que la démocratie directe se développe vers des formes de démocratie révolutionnaire, en la manipulant dans des structures de démocratie formelle, de réaliser une alliance structurelle entre exploitation économique et exploitation politique, entre capital et réformisme.
La tendance est donc vers une société totalitaire où la centralisation du pouvoir, l’organisation du consensus, la rébellion institutionnalisée, la légalité répressive se combinent parfaitement en tant que parties d’une mosaïque.
Mais, comme on l’a déjà dit, il ne s’agit que d’une utopie grotesque.