Le structuralisme utilise donc la déconstruction structuraliste du langage en linguistique pour la généraliser à tous les phénomènes sociaux, mentaux, culturels, économiques, etc. Tout est analysé selon l’angle de la recherche d’une structure.
La question de la mise en perspective est ainsi toujours fondamentale dans le structuralisme. Il ne s’agit jamais d’une analyse visant une synthèse, mais toujours d’un regard posé, d’une lecture en termes d’approche, d’une vision opératoire.
Pour cette raison, le structuralisme va de paire avec ce qui est appelé le « constructivisme » dans les pays anglo-saxons, c’est-à-dire une compréhension empiriste des relations humaines, ces dernières se formant sur le tas, niant la nature sociale ou culturelle pour tenter d’accéder à une lecture purement individuelle.
Ainsi, si le structuralisme a toujours une prétention à avoir une dimension sociologique, une lecture en termes de système, il revient toujours à l’individu, considéré comme un « agent ».
Voici comment Pierre Bourdieu, dans Choses dites en 1987, expose cette perspective :
« Par structuralisme ou structuraliste, je veux dire qu’il existe, dans le monde social lui-même (…) des structures objectifs indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui sont capables d’orienter ou de contraindre leurs pratiques ou leurs représentations.
Par constructivisme, je veux dire qu’il y a une genèse sociale d’une part des schèmes de perception, de pensée et d’action qui sont constitutifs de ce que j’appelle habitus, et d’autre part des structures sociales, et en particulier de ce que j’appelle des champs. »
Pierre Bourdieu a joué un rôle central dans l’établissement de la sociologie comme méthode de « critique » de la société, au moyen du structuralisme ; il est une figure majeure de la bourgeoisie intellectuelle dans son rapport d’« analyse » de la société.
Voici ce qu’il disait, en 1964, dans un ouvrage connu intitulé Les Héritiers :
« Utilisateurs de l’enseignement, les étudiants en sont aussi le produit et il n’est pas de catégorie sociale dont les conduites et les aptitudes présentes portent davantage la marque des acquisitions passées.
Or, comme nombre de recherches l’ont établi, c’est tout au long de la scolarité, et particulièrement lors des grands tournants de la carrière scolaire, que s’exerce l’influence de l’origine sociale : la conscience que les études (et surtout certaines) coûtent cher et qu’il est des professions où l’on ne peut s’engager sans un patrimoine, les inégalités de l’information sur les études et leurs débouchés, les modèles culturels qui associent certaines professions et certains choix scolaires (le latin, par exemple) à un milieu social, enfin la prédisposition, socialement conditionnée, à s’adapter aux modèles, aux règles et aux valeurs qui régissent l’École, tout cet ensemble de facteurs qui font que l’on y perçu comme tel, déterminent, toutes aptitudes égales d’ailleurs, un taux de réussite scolaire inégal selon les classes sociales, et particulièrement dans les disciplines qui supposent tout un acquis, qu’il s’agisse d’instruments intellectuels, d’habitudes culturelles ou de revenus. »
La longueur de la seconde phrase va avec une pseudo découverte des différences sociales, qui sont ici sont non seulement individualisées, mais coupées de toute vision d’ensemble, c’est-à-dire du mode de production, des rapports entre les classes, de leur conscience en rapport avec le travail.
Ici, la structure, c’est « l’héritage ». Le structuraliste sociologue cherche donc des structures, qui seraient des leviers sociaux anonymes qu’il faudrait éventuellement critiquer ou contrecarrer. C’est une lecture entièrement idéaliste et au service de la bourgeoisie intellectuelle.
Voici un extrait de La reproduction, de 1970, où Pierre Bourdieu donne un exemple parlant de son approche :
« L’analyse des transformations du rapport pédagogique confirme que toute transformation du système scolaire s’opère selon une logique où s’exprime encore la structure et la fonction propres de ce système.
Le foisonnement déconcertant des conduites et des propos qui marque la phase aiguë de la crise de l’Université [avec mai 1968] ne doit pas incliner à l’illusion du surgissement ex nihilo d’acteurs ou d’actes créateurs : dans les prises de position les plus libres en apparence s’exprime encore l’efficacité structurale du système des facteurs qui spécifie les déterminismes de classe pour une catégorie d’agents, étudiants ou professeurs, définie par sa position dans le système d’enseignement (…).
Tout oppose l’expérience de l’univers scolaire que prépare une enfance passée dans un univers familial où les mots définissent la réalité des choses à l’expérience d’irréalité que procure aux enfants des classes populaires l’acquisition scolaire d’un langage bien fait pour déréaliser tout ce dont il parle parce qu’il en fait toute la réalité : le langage « châtié » et « correct », c’est-à-dire « corrigé », de la salle de classe s’oppose au langage que les annotations marginales désignent comme « familier » ou « vulgaire » et, plus encore, à l’anti-langage de l’internet où les enfants originaires des régions rurales, affrontés à l’expérience simultanée de l’acculturation forcée et de la contre-acculturation souterraine n’ont de choix qu’entre le dédoublement et la résignation à l’exclusion. »
Il n’y a ici aucune analyse de la substance de la réalité, de la nature du phénomène, seulement de son expression. Ce qui aboutit à des possibilités innombrables de pseudo-explication, où un aspect est stylisé comme forme majeure, absolue.
Cette haine de la notion de totalité, de synthèse, est typique de la petite-bourgeoisie intellectuelle cherchant à s’intégrer dans le mode de production capitaliste, en se prétendant « réaliste », utile, etc.