Le structuralisme s’est d’autant plus développé qu’il profitait des intellectuels bourgeois faisant carrière et à qui on donnait du prestige s’ils fournissaient une conception à la fois utile pour les connaissances, mais surtout sans encadrement historique, matériel.
Un exemple très parlant de ce type de démarche est celle de Georges Dumézil (1898-1986), qui va développer la conception clairement racialiste des « fonctions tripartites indo-européennes ».
Les sociétés des peuples indo-européens s’appuieraient, indépendamment de leur réalité, sur une division sociale en trois parties, trois castes suprêmes, les producteurs, les guerriers, les religieux.
Tous les peuples indo-européens de l’antiquité, de la Grèce à l’Iran, mais cela y compris jusqu’à travers le moyen-âge, jusqu’à la révolution française même, porteraient ces « fonctions tripartites » dans leur mythologie et leur organisation sociale.
En ce qui concerne l’Allemagne nazie, Georges Dumézil peut pareillement imaginer un prolongement « indo-européen », comme ici en 1939 dans Mythes et dieux des Germains :
« Le troisième Reich pas eu créer ses mythes fondamentaux peut-être au contraire est-ce la mythologie germanique ressuscitée au XIXe siècle qui donné sa forme son esprit ses institutions une Allemagne que des malheurs sans précédent rendaient merveilleusement malléable ; peut-être est-ce parce il avait abord souffert dans des tranchées que hantait le fantôme de Siegfried qu’Adolf Hitler pu concevoir forger pratiquer une Souveraineté telle qu’aucun chef germain en connue depuis le règne fabuleux d’Odhin.
La propagande néo-païenne dans Allemagne nouvelle est certes un phénomène intéressant pour un historien des religions : mais elle est volontaire, à quelque degré artificielle.
Beaucoup plus intéressant en tout cas est le mouvement spontané par lequel les chefs et la masse allemande, après avoir éliminé les architectures étrangères, ont coulé naturellement leur action et leurs réactions dans des moules sociaux et mystiques dont ils ne savaient pas toujours la conformité avec les plus anciennes organisations les plus anciennes mythologies des Germains. »
Il va de soi que Georges Dumézil ne participa pas à la Résistance.
C’est Claude Lévi-Strauss, figure majeure du structuralisme, qui fera la réponse au discours de réception de Georges Dumézil à l’Académie française. On y lit ces propos hallucinés, où le structuralisme va tellement loin dans le subjectivisme qu’il bascule dans l’individualisme racialisé :
« Passant à ce que les ethnologues appellent, dans leur jargon, les générations —1 et —2, je note que vous avez une fille sévrienne, agrégée et astrophysicienne qui épousa M. Hubert Curien (dont nous sommes nombreux à nous rappeler le passage à la tête du CNRS et de la Délégation générale à la Recherche). Un fils médecin psychanalyste ; et plusieurs petit-fils, l’un polytechnicien comme votre père, un autre artiste peintre, un troisième normalien comme vous, agrégé de mathématiques, et voyageur comme son arrière-grand-oncle le marin.
Il est trop tôt pour savoir ce que fera le quatrième ainsi que votre arrière-petit-fils. Mais on peut déjà relever qu’à l’instar de la famille indo-européenne, la vôtre préserve bon nombre de traits invariants. »
Un peu plus loin, Claude Lévi-Strauss fait allusion au structuralisme de Georges Dumézil :
« Pour qualifier ce corps de doctrines, un terme viendrait immédiatement à l’esprit si, en 1973, dans l’introduction au troisième volume de Mythe et Épopée, vous ne l’aviez rejeté avec une certaine brusquerie en annonçant que, pour prévenir toute équivoque, vous banniriez désormais les mots « structure » et « structural »de votre usage.
Vous n’êtes pourtant pas allé jusqu’à les effacer de la seconde édition très remaniée de Mythe et Epopée I, parue en 1974.
Je note aussi que les vocables proscrits continuent de couler des jours paisibles dans Mariages indo-européens, votre tout dernier livre. Davantage encore me rassure — et ce m’est une raison de plus pour vous en remercier — votre choix de celui, parmi vos confrères, à qui revient l’honneur de vous accueillir aujourd’hui.
Il récuserait, s’il en était besoin, l’exploitation que des médiocres en mal de publicité ont voulu faire de votre résistance à vous laisser enrégimenter dans une école, à supposer, ce dont je doute, qu’une telle école ait jamais existé… »
Puis vient l’éloge de la conception de Georges Dumézil, qu’il résume à une analyse structuraliste, dont le contenu est secondaire par rapport à sa nature de structure.
« Unique par son inspiration, sa démarche et son ampleur, votre œuvre l’est aussi par la nature exceptionnelle des données qu’elle exploite. « Dans aucun autre cas, avez-vous noté, on n’a l’occasion de suivre, parfois pendant des millénaires, les aventures d’une même idéologie dans huit ou dix ensembles humains qui l’ont conservée après leur complète séparation. » (…)
Toutes ces trouvailles, si riches et si fécondes, ne doivent pas faire oublier la vision d’ensemble, et à bien des égards prophétique, qui se dégage de votre œuvre. Car le problème qu’elle pose et sur lequel elle projette tant de lumières, c’est, en définitive, celui du rôle de l’idéologie dans la vie des sociétés humaines : idéologie dont, après des siècles voués à la raison triomphante, nous observons le foudroyant retour.
En 1939, à la veille de la guerre, votre livre Mythes et dieux des Germains soulignait à quel point les chefs et la masse allemande ont, sans toujours s’en rendre compte, « coulé naturellement leur action et leurs réactions dans des moules sociaux et mystiques hérités d’un passé très lointain ».
Nous sommes aujourd’hui témoins de phénomènes du même ordre en Iran et en Asie du Sud-Est.
C’est sous la poussée d’idéologies que les peuples doutent d’eux-mêmes ou s’affrontent, que prolifèrent les sectes, que se réveillent les querelles religieuses.
Pour insuffler un regain de vitalité à notre vieux continent affaibli par les guerres, les révolutions et les crises économiques, on s’inquiète même d’entendre çà et là des voix qui prônent un recours aux inspirations de l’âme indo-européenne.
Nulle œuvre, mieux que la vôtre, ne peut mettre en garde contre ce genre d’illusion.
Car cette idéologie indo-européenne dont vous avez minutieusement démonté les ressorts, vous savez qu’elle n’a survécu au cours des siècles et même des millénaires que comme une forme vide ; ou plutôt, une forme que les rêveries philosophiques, les prétentions dynastiques, et autres péripéties de l’histoire intellectuelle ou sociale, ont remplie à chaque époque de contenus différents. »
C’est un excellent exemple de comment les positions structuralistes se répondent les unes aux autres, comme vision du monde en tant que telle.