Les confréries musulmanes et les marabouts furent inévitablement happés par la machinerie coloniale, qui se chargea de les corrompre. La nation algérienne n’existait pas, car il n’existait pas d’étape pré-capitaliste, permettant le dépassement de l’économie villageoise locale, la formation d’un marché plus vaste.
Pour cette raison, Maurice Thorez, à Alger le 11 février 1939, formula de la manière suivante le point de vue du Parti Communiste :
« Il y a la nation algérienne qui se constitue historiquement et dont l’évolution peut être facilitée, aidée par l’effort de la République française.
Ne trouverait-on pas ici, parmi vous peut-être, les descendants de ces anciennes peuplades numides civilisées déjà au point d’avoir fait de leurs terres le grenier de la Rome antique ; les descendants de ces Berbères qui ont donné à l’église catholique saint Augustin, l’évêque d’Hippone, en même temps que le schismatique Donat ; les descendants de ces Carthaginois, de ces Romains, de tous ceux qui, pendant plusieurs siècles, ont contribué à l’épanouissement d’une civilisation attestée encore aujourd’hui par tant de vestiges, comme ces ruines de Tebessa et de Madaure que nous visitions il y a quelques jours ?
Sont ici maintenant les fils des Arabes venus derrière l’étendard du Prophète ; les fils aussi des Turcs convertis à l’Islam venus après eux en conquérants nouveaux, des Juifs installés nombreux sur ce sol depuis des siècles.
Tous ceux-là se sont mêlés sur votre terre d’Algérie, auxquels se sont ajoutés des grecs, des Maltais, des Espagnols, des Italiens et des Français, et quels Français !
Les Français de toutes nos provinces, mais en particulier les Français de terres françaises de Corse et de Savoie, deux de la terre française d’Alsace venus en 1871 pour ne pas être Prussiens.
Il y a une nation algérienne qui se constitue, elle aussi dans le mélange de vingt races. »
C’était là la considération en large partie démocratique comme quoi l’Algérie allait passer par l’étape capitaliste sous l’impulsion de la France impérialiste, mais que le socialisme permettrait d’unifier réellement en raccourcissant également l’étape capitaliste.
C’était là, cependant aussi, une vision idéaliste, car sous-estimant le poids des masses arabes dans le « mélange de vingt races ».
Or, la ligne ultra-gauchiste du Parti Communiste des années 1920 avait aidé à l’émergence d’un fondamentalisme arabo-islamique.
En effet, dans le cadre de son activité anti-coloniale, le Parti Communiste avait généré en 1926 un organisme appelé l’Étoile nord-africaine.
Mais la tendance fondamentaliste, dirigé par Messali Hadj, l’emporta et dès 1928 la rupture avec les communistes fut consommée.
Cependant, le fondamentalisme adopta alors une partie des revendications communistes et de manière générale le discours anti-colonial, qu’auparavant il était absolument impossible de formuler, en raison de sa base religieuse.
Il en va de même pour les question d’organisation, le principe des manifestations, des protestations, etc.
C’était là un hold-up d’une importance historique capitale, allant jouer un rôle historique sur le destin de l’Algérie. Sans cette étape, il ne put pas y avoir de rébellion féodale – bureaucratique pouvant avoir une apparence anti-impérialiste et populaire.
Voici les revendications de l’Étoile nord-africaine, entièrement reprises comme on le voit facilement au programme de révolution démocratique de l’Internationale Communiste.
« L’indépendance de l’Algérie :
- Le retrait des troupes françaises d’occupation ;
- La constitution d’une armée nationale ;
- La confiscation des grandes propriétés agricoles accaparées par les féodaux, agents de l’impérialisme, les colons et les sociétés capitalistes privées, et la remise de la terre confisquée aux paysans qui en ont été frustrés ;
- Respect de la petite et moyenne propriété ;
- Retour à l’Etat algérien des terres et forêts accaparées par l’État français.
Ces revendications essentielles pour lesquelles nous combattons n’excluent pas l’action énergique immédiate pour arracher à l’impérialisme français :
- L’abolition immédiate du Code de l’indigénat et des mesures d’exception ;
- L’amnistie pour ceux qui sont emprisonnés, en surveillance spéciale, ou exilés pour infraction à l’indigénat ;
- Liberté de presse, d’association, de réunion ;
- Droits politiques et syndicaux égaux à ceux des Français qui sont en Algérie ;
- Le remplacement des Délégations financières élues au suffrage restreint par une Assemblée nationale élue au suffrage universel.
- Assemblées municipale élues aux suffrages universels ;
- Accession à l’enseignement à tous les degrés ;
- Création d’école en langue arabe ;
- Application des lois sociales ;
- Élargissement du crédit agricole au petit fellah, etc. »
L’Étoile nord-africaine fut interdite par le Front populaire en 1937 et Messali Hadj fonda alors le Parti du peuple algérien, qui fut lui-même interdit en 1939 pour collusion avec l’Allemagne nazie.
La seconde guerre mondiale allait par la suite jouer un rôle clef pour le fondamentalisme en Algérie.