Le problème historique de la France est qu’elle a été influencée tant par l’humanisme et le protestantisme d’un côté, que par la Renaissance italienne et le baroque de l’autre. Or, cela est résolument contradictoire, de par les bases historiques de chaque mouvement, le premier étant progressiste, le second ancré dans le catholicisme, l’aristocratie, la réaction.
Pire encore, la nation française étant née à travers l’unification de ces deux pôles antagoniques, leur antagonisme est pour cette raison profondément masqué, inconnu, alors qu’il est justement à la source de profonds déséquilibres et fournit la base à maints événements historiques de notre pays.
De ce fait, il est en tout cas impossible de saisir la question de la prise de position politique des protestants au XVIe siècle sans voir qu’en plus de l’affrontement entre le protestantisme et le catholicisme, le camp catholique est lui-même divisé entre une tendance espagnole (qui sera représenté par la Ligue) et une tendance italienne, dont la figure centrale en fut bien sûr Catherine de Médicis (1519-1589), héritière de la fortune des Médicis.
Le père de celle-ci était le florentin Laurent II de Médicis, à qui Machiavel dédia son fameux Prince ; son mariage avec le second fils de François Ier était entièrement arrangé, organisé dans le cadre d’un rapprochement diplomatique entre la France et le Pape. L’histoire voulut que son mari devint Roi, en tant que Henri II et ainsi Catherine de Médicis fut la mère de plusieurs rois de France morts jeunes : François II (1544-1560), Charles IX (1550-1574), Henri III (1551-1589).
Elle fut également la mère d’Elisabeth reine d’Espagne et de Marguerite, dite la reine Margot, épouse du futur Henri IV ; au cœur du pouvoir, elle mena de telles actions au point de récolter ce qui fut appelé une « légende noire », lui étant attribués manigances, crimes divers dont l’empoisonnement, superstitions allant jusqu’à une croyance complète en l’astrologie et les prédictions de l’italien Côme Ruggieri, etc.
C’est elle qui fit en sorte que son fils devenu Roi en tant que François II s’allie étroitement à la famille des Guise, venant de la Lorraine tout récemment ajoutée à la France et cherchant à conquérir l’hégémonie dans le royaume, au point de voir ses deux dirigeants assassinés par le roi Henri III.
Entre-temps, de par le jeune âge de Charles IX, Catherine de Médicis fut officiellement Régente du Royaume de France de décembre 1560 à août 1563, mais par la suite elle contrôlait également encore les choix de son fils.
C’est ainsi elle qui, tout en s’alliant aux Guise, chercha d’abord à temporiser par rapport au protestantisme, puis devant l’impossibilité de maîtriser cela, fut au cœur de la tentative de son écrasement avec la Saint-Barthélemy.
Par la suite, Henri III gouverna de lui-même et amena à une rupture avec les Guise, Henri IV venant sceller une sorte de compromis historique visant, en fait, à étouffer le protestantisme.
La figure de Catherine de Médicis fut donc particulièrement honni par les protestants, qui voyaient en elle la représentation de la faction italienne tentant de prendre le contrôle du royaume, parallèlement à la famille des Guise.
De fait, le tiers des évêques étaient italiens ; quasiment la moitié des personnes naturalisées françaises étaient d’origine italienne et 12 000 Italiens vivaient à Paris ; environ 10% des postes à la Cour étaient occupés par des Italiens, qui avaient pratiquement le monopole sur les postes de médecins et de maréchaux-ferrants.
Le nombre d’Italiens présents à la Cour passa lui-même de 90 à environ 180 entre 1560 et 1589 et il faut nommer ici trois figures principales, qui furent au cœur de la décision de mener la Saint-Barthélemy.
On a le cardinal italien René de Birague, issu par ses parents de riches familles milanaises, qui, surintendant des finances en 1568, garde des sceaux en 1570, chancelier de France en 1573, étant bien entendu un très proche conseiller de Catherine de Médicis.
On retrouve également l’italien Albert de Gondi, d’une famille patricienne et banquière de Florence, qui devint maréchal de France, premier gentilhomme de la chambre de Charles IX, et Louis IV de Gonzague-Nevers, dont la famille régnait à Mantoue, qui devint duc de Nevers et fut le principal conseiller du roi Henri III avec le maréchal Gaspard de Tavannes, qui joua aussi un rôle très important dans l’organisation de la Saint-Barthélemy.
On a ainsi toute une véritable faction. Mentionnons également le surintendant général des finances françaises de 1551 à 1556 ainsi que munitionnaire des armées du royaume, le banquier florentin Albisse Del Bene, marié à Lucrèce Cavalcanti appartenant à la suite de Catherine de Médicis.
Est également florentin Horatio Rucellai, par l’intermédiaire de qui Catherine de Médicis organisera la dot de sa petite-fille Christine de Lorraine, atteignant 200 000 écus d’or (pratiquement le double de son propre mariage déjà faramineux), pour son mariage avec le grand-duc de Toscane.
Soulignons, de fait, l’importance de la question financière : si les aristocrates ne pouvaient normalement être des financiers, la faction néo-aristocratique italienne était en mesure de cumuler les deux aspects par ses relations. Albert de Gondi était ainsi très proche de son cousin banquier Jean-Baptiste de Gondi, ainsi que du financier Sébastien Zamet.
Il s’agit en fait de Sebastiano Zametti, fils de cordonnier venu faire le valet à Paris avant de devenir « seigneur de 1 700 000 écus », jouant les financiers ppur les rois Henri III et Henri IV. De la même ville italienne de Lucques (en Toscane) viennent l’important banquier Bathélemy Cenami, mais aussi Scipion Sardini, membre d’une famille de financiers italiens qui devient le banquier du roi et du clergé français.
Les financiers italiens s’appropriaient des impôts comme gages : Scipion Sardini reçut la perception de taxes sur les importations d’alun et les auberges et cabarets, Ludovic Dadiacetto les péages de Lyon et de Picardie, Gondi et Sardini les taxes sur les soieries et les toiles à Paris.
Une phrase parisienne d’alors, faisant allusion au nom de Scipion Sardini et à ses armoiries (avec trois sardines d’argent) disait :
« Naguère sardine, aujourd’hui grosse baleine ; c’est ainsi que la France engraisse les petits poissons italiens. »
La position italienne était démesurée : Scipion Sardini, en 1587, publia même un faux édit royal augmentant les impôts, l’amenant à être arrêté pour cela par le président de la cour des aides et un procureur royal, avant que le roi Henri III n’intervienne de manière extrêmement brutale contre eux.
Les financiers italiens étaient intouchables, alors qu’en même temps il n’y avait aucune possibilité pour des Français d’avoir des perceptions en location ou même un poste de fonctionnaire en Italie, en Espagne, au Portugal, en Angleterre, en Ecosse, en Flandres, en Allemagne.
Avec un tel arrière-plan, le massacre de la Saint-Barthélemy apparaissait comme une opération « machiavélique », soit prémédité, soit réalisé sur le coup en saisissant l’occasion, mais dans tous les cas conformes aux intérêts du pape et dans l’esprit de la méthode « italienne ».
L’opération, ciblée et visant les dirigeants protestants tous présents à Paris, eut un écho qui fut, rappelons le, dévastateur, les pogroms anti-protestants se déroulant pendant toute une saison, commençant le 24 août 1572 à Paris, pour continuer dès le lendemain à Meaux, le surlendemain à Bourges et Orléans, à partir du 28 août à Angers et Saumur, à partir du 31 à Lyon, puis à Troyes, Rouen, Bordeaux, Toulouse, Gaillac, Albi, etc.
On comprend la haine farouche des protestants pour Catherine de Médicis. Un document fameux, publié en 1575 et en 1576, la présentait sous le jour le plus noir : Discours merveilleux de la vie, actions et deportemens de Catherine de Medicis royne mere : auquel sont recitez les moyens qu’elle a tenu pour usurper le gouvernement du royaume de France, et ruiner l’estat d’iceluy.
A la fin, on y trouve ces vers, qui furent également publiés dans le Réveille-Matin : Catherine de Médicis y est comparée à Jezabel, une princesse phénicienne mariée au roi d’Israël Achab et particulièrement opposée au judaïsme, avant de mourir violemment.
« S’on demande la convenance
De Catherine et Jezabel.
L’une ruine d’Israel,
L’autre ruine de la France :
Jeazabel maintenoit l’idole
Contraire à la saincte parole :
L’autre maintient la Papauté
Par trahison et cruauté :
L’une estoit de malice extreme,
Et l’autre est la malice mesme.
Par l’une furent massacrez
Les Prophetes à Dieu sacrez :
L’autre en a fait mourir cent mille
De ceux qui suyvent l’Evangile. »
À l’affrontement entre le catholicisme et le protestantisme, il faut donc ajouter le jeu de la faction italienne, autour de Catherine de Médicis, jouant un rôle particulièrement trouble, cherchant à renforcer non pas tant la religion catholique, que la royauté, sur un mode de parasitisme complet.