En considérant la matière vivante comme un bloc unifié, Vladimir Vernadsky basculait inéluctablement dans une problématique matérialiste dialectique, puisque la matière ne peut avoir un rapport qu’avec elle-même dans son existence, puisqu’il n’y a rien d’autre.
En supprimant une source, une origine extérieure à la matière, en se passant de l’hypothèse de Dieu, Vladimir Vernadsky place la matière face à elle-même. De fait, dans son article sur l’autotrophie humaine de 1925, Vladimir Vernadsky affirme qu’un être humain qui ne trouverait plus d’autres matières vivantes pour satisfaire ses besoins en termes de nutrition serait condamné.
Les êtres humains ne peuvent pas produire leurs aliments « tout seul », ils doivent anéantir d’autres êtres vivants ou bien profiter de leur activité biochimique. De manière flagrante, Vladimir Vernadsky tombe ici sur la notion de reproduction de la vie humaine, que Karl Marx analyse en détail, avec le concept de mode de production.
Vladimir Vernadsky ne part toutefois pas dans la direction de l’économie et de toutes manières ne comprend rien du tout à cette problématique, puisque dans le même article il rejette la Russie soviétique comme un exemple de chaos, de situation de la civilisation comme au bord du précipice, etc.
En scientifique bourgeois progressiste, il attribue toutes les mauvaises situations à une incompréhension par l’humanité du rôle essentiel de la science et donc des scientifiques.
Il cite, comme incompris ou dévalorisés, les britanniques Henry Cavendish (1731-1810) et Joseph Priestly (1733-1804), Antoine Lavoisier (1743-1794), le Suisse Nicolas Théodore de Saussure (1767-1845), le néerlandais Jan Ingen-Housz (1730-1799), pionniers qui auraient été compris seulement une ou deux générations après, avec Jean-Baptiste Boussaingault (1801-1881), Jean-Baptiste Dumas (1800-1884), Justus von Liebig (1803-1873).
Il faudrait donc céder la préséance sociale aux scientifiques ; Vladimir Vernadsky ne quittera jamais cette conception, même s’il considérera que la science peut être assumée par la société toute entière. Il est à noter par ailleurs que né en 1863, il a alors déjà un certain âge.
La direction que prend donc Vladimir Vernadsky, c’est la géologie, dans sa dimension chimique. Il constate que pour se construire, exister et reproduire leur existence, les plantes s’appuient sur leur propre capacité à puiser les ressources dans leur environnement immédiat, ce que l’Allemand Wilhelm Pffefer appelle des organismes autotrophes.
Vladimir Vernadsky constate alors que sans cette activité chimique des plantes, qui s’appuie sur l’énergie solaire, ni les champignons, ni les animaux, ni les êtres humains ne pourraient exister.
Il considère alors, fort logiquement, que la vie ne consiste pas en un assemblage d’individus isolés, et il note également l’existence numériquement massive des bactéries, découvertes par le Russe Sergueï Nikolaïevitch, qui sont également autotrophes, c’est-à-dire capables de synthétiser leur matière organique à partir d’éléments minéraux.
Or, par la raison, l’humanité est capable d’une action toujours plus importante sur cet ensemble du bloc du vivant, bien plus que sa masse physique ne pourrait le laisser penser.
Reprenant le concept d’Homo Faber de Henri Bergson, il explique que l’humanité, avec la découverte de l’agriculture il y a de cela 600 générations, modifie de manière toujours plus contrôlée son environnement, la composition chimique et minéralogique de la matière.
En utilisant l’énergie des courants marins et des vagues, l’énergie atomique et l’énergie solaire, l’humanité pourra être en mesure de synthétiser son alimentation indépendamment de la matière vivante, formant un schisme avec elle. L’être humain deviendrait alors un animal autotrophe, en tant que manifestation d’un long processus naturel.