L’ALF se posait initialement comme affirmation morale. Lors d’une intervention clandestine dans un laboratoire, une importante somme d’argent fut trouvée, mais elle ne fut pas emportée. Les billets furent déchirés, afin de souligner la supériorité morale de l’action.
Il n’existait pas encore un esprit d’organisation et, pour cette raison, un grand débat se fit sur la nécessité ou non d’atteindre aux biens, notamment par l’intermédiaire de l’incendie comme moyen d’action.
Une scission apparut dans l’ALF pour cette raison, alors qu’une autre structure émergea, la Northern Animal Liberation League (NALL). Celle-ci prônait les raids organisés contre les laboratoires au moyen de l’irruption de plusieurs centaines de personnes. Leur point de départ véritable fut l’opération contre la Babraham Agricultural Research Centre de Cambridge, révélant au moyen de photographies et de film la vivisection se déroulant là-bas.
L’ALF avait pris une autre direction : aux actions de libération d’animaux – sa tâche principale – devaient s’associer des actions devant porter atteinte aux intérêts économiques de l’exploitation animale.
Cela impliquait la clandestinité et la décentralisation, à l’opposé des actions de la NALL. Cette dernière connut, de par ses activités « en surface », un large écho à l’initial, se déclinant en plusieurs autres structures : la EALL (pour l’Est), la WALL (pour l’Ouest), la CALL (pour le centre du pays) et surtout la SALL (pour le Sud), qui devint la plus importante. Cependant, le succès avait comme prix une répression toujours plus forte.
Un commando de la SEALL libéra un macaque et filma les autres singes subissant la vivisection dans l’université royale des chirurgiens à Downe, rééditant l’opération dans les locaux de Bios laboratorium, filmant et libérant 13 chiens beagles.
Mais l’action contre le centre de recherche de Wickham fut éventé, les activistes se retrouvant face à des hommes armés, des arrestations nombreuses s’ensuivant et le procès, en septembre 1983, aboutissant à la dissolution de la SEALL.
Une logique similaire se produisit avec l’échec de l’action du 24 avril 1984 menée par la NALL contre le centre de recherche ICI à Alderly Edge. Il fallut affronter la police, détruire des installations pour arriver jusqu’aux animaux, pour finalement subir des arrestations nombreuses et brutales.
A cet échec marquant la disparition de la NALL succéda celui de l’EALL. Ses 300 activistes agissant contre le centre de recherches d’Unilever à Bedford étaient munis de marteaux et d’engins afin de se tronçonner un passage, mais se perdirent dans les locaux, l’action durant plus d’un quart d’heures et amenant de très nombreuses arrestations. Le procès de cette action en 1986 amena la dissolution de l’EALL.
Plusieurs dizaines de personnes eurent des peines de quelques années de prison ; le principe d’une action publique apparaissait comme impossible. Seule la CALL se maintint, mais sans chercher à de mobilisations de masse, cherchant seulement à obtenir des enregistrements vidéos.
L’ALF, opérant de l’illégalité, ne connaissait pas ces déboires ; l’action significative de la seconde vague d’intervention de l’ALF fut, en août 1979, une attaque incendiaire des bureaux des fournisseurs de laboratoires Tuck and Sons, dans l’Essex, provoquant d’importants dégâts.
Une autre action d’importance fut dans ce cadre fut la dégradation au moyen de peinture du garage et du véhicule de Georges Sabey, des laboratoires Wellcome. Ce fut la première action ne visant plus qu’indirectement l’exploitation animale, en s’en prenant à un individu y jouant un rôle considéré comme important.
Cette étape semblait se placer dans le prolongement direct des autres actions, mais elle posait une question politique de la plus haute importance, formant d’ailleurs un point d’achoppement très important au sein du mouvement, une frange considérant qu’il était stratégiquement nécessaire de passer au stade de l’agression contre de telles personnes.
L’ALF, historiquement, a refusé cela, contrairement à d’autres organisations lui étant très proches, voire composant pratiquement des tendances en son sein. Toutefois, sous l’égide de Ronnie Lee, l’ALF conserva une démarche facile et portée par n’importe qui, sur une base très simple, devant permettre une vague de sabotages qui forcerait l’exploitation animale à plier.
L’ALF produisit en ce sens une charte, qui consistait en les points suivants :
a) Libérer les animaux des endroits où l’on abuse d’eux, c’est-à-dire les laboratoires, les fermes usines, etc., et de les amener dans de bons endroits où ils auront de grandes chances de vivre leur vie naturelle, libres de souffrances.
b) Infliger des dommages économiques à ceux et celles qui profitent de la misère et de l’exploitation des animaux.
c) Révéler les horreurs et atrocités commis contre les animaux derrière les portes fermées à clef, en menant des actions directes non violentes et des libérations.
d) Prendre toutes les précautions nécessaires afin de ne mettre en danger aucun animal, humain et non humain.
Avec cette approche rejetant la violence contre des humains, l’ALF rejetait, par définition, toute révolution, qui présuppose la violence dans la mesure où il y a un renversement social. La raison est qu’elle considérait son approche comme révolutionnaire en soi.
L’ALF se voyait comme une vague de réforme radicale au sein de la société elle-même ; elle prônait une morale quotidienne nouvelle, des actions éminemment révolutionnaires de par leur contenu tant illégal qu’exigeant des changements économiques, sociaux et culturels profonds, mais en contournant ouvertement la question de l’État.
L’ALF ne voyait, en fait, que la société : il ne s’agissait pas d’un mouvement anarchiste, refusant la société et prônant une certaine marginalité, mais d’un mouvement contestataire moraliste cherchant à soulever le peuple. Le parallèle avec le protestantisme des origines – Thomas Müntzer – est inévitable dans un pays où la religion officielle, l’anglicanisme, est un protestantisme ayant échoué et sombré sous la forme d’une sorte de catholicisme royal combattant ardemment les « puritains ».