Que veut François de La Rocque, que compte-t-il faire des Croix de Feu ? En fait, tout comme avec les dirigeants nationalistes de l’époque, il n’a pas d’idéologie bien définie. Il agit, parce qu’il considère qu’il doit le faire, pour le bien de la Nation. Il transporte quelque chose qui est inhérent à la Nation, qui est nécessaire. C’est pourquoi il a pu affirmer que :
« Le but est l’existence nationale. Un régime est un moyen. »
Et, de par sa base idéologique et culturelle, François de La Rocque a une certitude : s’il y a des problèmes sociaux, il est possible de les résoudre en se fondant sur une approche chrétienne et nationale, car les deux sont liés.
Le marxisme est ici le danger absolu, car il tend à contribuer au déséquilibre à l’intérieur de la Nation. François de La Rocque pense ne pas raisonner politiquement, ni même économiquement : à ses yeux, la nation forme le cadre social. Voici comment il formule sa conception :
« La question sociale pose, au-dessus des nécessités économiques et politiques, des problèmes d’ordre spirituel et mortel.
Or, le marxisme, basé sur une conception matérialiste de l’humanité, néglige volontairement l’existence de la personne et la prééminence de l’âme.
Aucun souci de justice humaine n’apparaît dans sa doctrine. Tout y repose sur une sorte de recherche de l’équilibre mécanique des forces en présence.
D’ailleurs, le socialisme révolutionnaire fait appel à la violence, à la loi de la masse et du nombre, donc à l’injustice. »
Cette conception est tout à fait proche de celle du fascisme italien, avec la philosophie de Giovanni Gentile. On retrouve le même souci de la question de la civilisation, qui est toujours relié chez ces réactionnaires à une question de spiritualité.
Reprenant le mot d’ordre chrétien comme quoi l’homme ne vit pas que de pain, il y a une présentation de la spiritualité comme nécessaire et s’exprimant dans l’ordre national. Voici ce que dit François de La Rocque à ce sujet, dans le rapport entre la société, la famille, la spiritualité, l’État :
« La famille ne vit pas seulement de pain. Elle vit aussi de traditions, jalousement entretenues et transmises, qui doivent être protégées, au moins respectées.
Les parents doivent être libres de maintenir et de développer chez leurs enfants les convictions qui sont les leurs.
L’enseignement public, s’il est tendancieux à l’égard des croyances professées par les familles, trahit sa mission.
L’enseignement libre ne saurait être inquiété s’il reste soumis au contrôle de l’État en ce qui concerne l’application des lois ; dans ce cas, l’État lui doit son soutien, au moins sa bienveillance.
Par contre, tout enseignement contraire aux principes sur lesquels reposent la famille et la patrie doit faire l’objet des plus graves sanctions.
Neutralité ne veut pas dire neutralisation des forces spirituelles. »
François de La Rocque est dans le même esprit que Giovanni Gentile, car il souligne l’importance de l’individu, censé se réaliser par l’État.
Le fascisme n’a jamais nié l’individu, mais toujours affirmé que sa réalisation présupposait son intégration complète dans le cadre national. Il ne s’agit pas d’un État républicain qui est l’objectif, mais d’une Nation républicaine, l’État n’étant qu’une administration censée être apolitique, neutre, gérant les affaires courantes.
Le parti que va vouloir fonder François de La Rocque, c’est le même parti qu’a voulu fonder Benito Mussolini.
Et dans ce rapport individu / nation, François de La Rocque place la famille comme clef, comme liaison, comme dynamique nationale. Il dit cela de la manière suivante :
« Les familles et cette association des familles qu’est la patrie ne peuvent subsister, s’épanouir si des conditions normales d’existence ne sont pas assurées à leurs membres.
C’est la raison pour quoi les problèmes du travail occupent dans notre programme une place si importante ; ils commandent la vie du pays.
Mais la société n’est pas seulement l’association d’un certain nombre d’individus ; c’est une chaîne à travers le temps. Améliorer la condition de l’homme est impossible si ce qu’il y a de durable et d’éternel dans l’homme n’y trouve point sa part, la première.
La famille est à la fois le but, la justification et la récompense de l’effort humain. Le Parti Social Français revendique les droits de la famille. »
Défendre le travail, la famille, la patrie – le régime de Vichy reprendra ce mot d’ordre de François de La Rocque – revient à maintenir l’ordre. Cet ordre fait la stabilité et la croissance de la Nation, sa continuité historique.
François de La Rocque est pour la réalisation de la Nation, et l’existence de celle-ci dans le futur passe par l’ordre présent, qui est lui-même issu des valeurs du passé. La Nation vit, c’est un être vivant : voilà la position vitaliste de François de La Rocque, tout à fait dans l’esprit de l’idéalisme français à la Henri Bergson.
François de La Rocque peut ainsi dire que :
« D’un côté la catastrophe, la décadence et la mort. De l’autre la Vie, l’Honneur, la Prospérité, l’Âme de nos Enfants. Nous avons choisi : aucun sacrifice ne sera trop grand pour justifier et imposer ce choix. »
Pour cette raison, François de La Rocque est un grand théoricien, sans l’être. Il a synthétisé le fascisme français et il est frappant de voir que ses exigences, sa perspective, sont exactement celles du gaullisme et du néo-gaullisme. En France, le fascisme fait de la France un être vivant par essence républicain, dont l’administration doit être neutre, régulant les rapports entre les classes sociales organisées en corporations à tous les niveaux.
Voici la conception de François de La Rocque à ce sujet, qui théorise le principe de la réforme permanente de l’administration de l’État, associé au principe d’un exécutif fort pour assumer la stabilité :
« C’est un ciel, un climat, un genre de vie, une culture, une civilisation qui appartiennent en propre aux habitants de cette patrie. C’est le bien commun de tous les Français. Le Parti Social Français revendique les droits de la patrie (…).
L’État est le fondé de pouvoirs de la patrie, le serviteur de la chose publique. Pour remplir sa tâche, il doit être indépendant, assez fort pour se faire obéir (…).
Le Parti Social Français ne met pas en cause le régime républicain. Il veut lui donner des institutions rajeunies, reclassant et séparant les pouvoirs, hiérarchisant et restaurant les responsabilités, éliminant les parasitismes, permettant la prévision, assurant la continuité des efforts dans chaque domaine (…).
Le Président de la République, chef effectif de l’État, cessera d’être le personnage effacé qu’il est devenu par l’effet d’une longue coutume, contraire à l’esprit de la Constitution elle-même.
Il exercera réellement le droit de désignation des ministres, de dissolution, de message. »
Avec François de La Rocque, l’extrême-droite a pour la première fois une figure républicaine. Cela en fait une figure historique d’importance.
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