Lorsque de Gaulle mit en place son gouvernement le 31 mai 1958, il n’y a aucune opposition parlementaire franche à part celle du Parti Communiste Français.
L’assemblée capitula par 329 voix en faveur du nouveau gouvernement et 224 contre, seul le PCF faisant bloc avec 141 députés votant contre.
Le dirigeant de la SFIO Guy Mollet avait voté pour, faisant partie des 42 socialistes sur 95 soutenant de Gaulle ; le plus connu des opposants socialistes étant Gaston Defferre.
Juste avant la capitulation, le 27 mai 1958, 112 députés SFIO contre 3 avaient pourtant voté une motion où ils disaient :
« Ils ne se rallieront en aucun cas à la candidature du Général de Gaulle qui, dans la forme même où elle est posée et par les considérants qui l’accompagnent est un défi à la loi républicaine. »
C’était là une faillite.
Félix Gaillard fit partie des 24 radicaux sur 42 votant pour, 18 votant contre dont Pierre Mendès France (« je ne voterai pas le pistolet sur la tempe »).
L’Union démocratique et socialiste de la Résistance se scinda également : 10 députés sur 20 votent pour, 4 votent contre, le plus célèbre des opposants étant François Mitterrand.
Le gouvernement intégra toutes les forces qui avaient capitulé pour mieux asseoir sa base, à savoir les centristes et les socialistes. Le chef de la SFIO, Guy Mollet, fut nommé ministre d’État, bientôt chargé du statut des fonctionnaires.
Comble de l’ironie et de la capitulation, l’ancien chef du gouvernement renversé, le chrétien-démocrate Pierre Pflimlin, fut lui aussi nommé ministre d’État. C’était également le cas du futur président ivoirien Félix Houphouët-Boigny et du centriste Louis Jacquinot. Le ministre des finances fut le centriste Antoine Pinay.
C’était là toutefois cependant uniquement symbolique et les ministères obtenus au départ par des socialistes et des centristes étaient subalternes. Le ministre de la justice, Michel Debré, était gaulliste, tout comme le ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville. C’était également le cas du ministre de l’Intérieur Émile Pelletier.
Surtout, dès le premier juin, le général de Gaulle demanda lors de son discours d’investiture qu’on lui donne les pleins pouvoirs pour six mois : il devait être en mesure de gouverner par ordonnance tout en mettant en place une nouvelle constitution.
Voici comment il justifie cela devant les parlementaires :
« La dégradation de l’État qui va se précipitant. L’unité française immédiatement menacée. L’Algérie plongée dans la tempête des épreuves et des émotions. La Corse subissant une fiévreuse contagion.
Dans la métropole des mouvements en sens opposé renforçant d’heure en heure leur passion et leur action. L’armée, longuement éprouvée par des tâches sanglantes et méritoires, mais scandalisée par la carence des pouvoirs. Notre position internationale battue en brèche jusqu’au sein même de nos alliances. Telle est la situation du pays. En ce temps même où tant de chances, à tant d’égards, s’offrent à la France, elle se trouve menacée de dislocation et peut-être de guerre civile.
C’est dans ces conditions que je me suis proposé pour tenter de conduire une fois de plus au salut le pays, l’État, la République, et que, désigné par le chef de l’État, je me trouve amené à demander à l’Assemblée nationale de m’investir pour un lourd devoir.
De ce devoir, il faut les moyens.
Le Gouvernement, si vous voulez l’investir, vous proposera de les lui attribuer aussitôt. Il vous demandera les pleins pouvoirs afin d’être en mesure d’agir dans les conditions d’efficacité, de rapidité, de responsabilité que les circonstances exigent. Il vous les demandera pour une durée de six mois, espérant qu’au terme de celte période l’ordre rétabli dans l’État, l’espoir retrouvé en Algérie, l’union refaite dans la nation, permettront aux pouvoirs publics de reprendre le cours normal de leur fonctionnement.
Mais ce ne serait rien que de remédier provisoirement, tant bien que mal, à un état de choses désastreux si nous ne nous décidions pas à en finir avec la cause profonde de nos épreuves.
Cette cause – l’Assemblée le sait et la nation en est convaincue – c’est la confusion et, par là même, l’impuissance des pouvoirs. Le Gouvernement que je vais former moyennant votre confiance vous saisira sans délai d’un projet de réforme de l’article 90 de la Constitution, de telle sorte que l’Assemblée nationale donne mandat au Gouvernement d’élaborer, puis de proposer au pays par la voie du référendum, les changements indispensables.
Aux termes de l’exposé des motifs qui vous sera soumis en même temps que le texte, le Gouvernement précisera les trois principes qui doivent être en France la base du régime républicain et auxquels il prend l’engagement de conformer son projet. Le suffrage universel est la source de tout pouvoir.
Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument, chacun pour sa part et sous sa responsabilité, la plénitude de ses attributions. Le Gouvernement doit être responsable vis-à-vis du Parlement. L’occasion solennelle d’organiser les rapports de la République française avec les peuples qui lui sont associés sera offerte au pays par la même réforme constitutionnelle. Cette organisation nouvelle, le Gouvernement prendra l’engagement de la promouvoir dans le projet qu’il proposera aux suffrages des Françaises et des Français.
À partir de ce double mandat, à lui conféré par l’Assemblée nationale, le Gouvernement pourra entreprendre la tâche immense qui lui sera ainsi fixée. Quant à moi, pour l’assumer, il me faut assurément et d’abord votre confiance. Il faut ensuite que sans aucun délai – car les événements ne nous en accordent pas – le Parlement vote les projets de loi qui lui seront soumis.
Ce vote acquis, les assemblées se mettront en congé jusqu’à la date prévue pour l’ouverture de leur prochaine session ordinaire. Ainsi le Gouvernement de la République, investi par la représentation nationale et pourvu d’extrême urgence des moyens de l’action, pourra répondre de l’unité, de l’intégrité, de l’indépendance de la France. »
C’est là demander les pleins pouvoirs pendant six mois, en liquidant l’assemblée. Cette dernière capitula pourtant, par 322 voix contre 232.
On a ici toutes les caractéristiques d’une prise du pouvoir ayant peut-être partiellement l’apparence de la légalité, mais correspondant à tous les niveaux à un coup d’État. Et ce coup d’État s’assuma dès le départ avec la liquidation du parlement et une période de « remise à plat » devant servir, on l’aura compris, à nettoyer l’appareil d’État.
L’historiographie bourgeoisie n’étudia évidemment jamais cette question.
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