Albert Treint et Suzanne Girault

Deux figures sont en première ligne dans la période de reprise en main du Parti Communiste (SFIC) par l’Internationale Communiste. Il y a Suzanne Girault, qui était en Ukraine comme enseignant de français pendant quatorze ans, avant de revenir en France au début des années 1920.

Il y a Albert Treint, né en 1889, qui à la suite du départ de Ludovic-Oscar Frossard en janvier 1923, devient secrétaire général par intérim pendant un an aux côtés de Louis Sellier, ce dernier étant remplacé par le syndicaliste Pierre Semard.

Ces deux derniers étaient des centristes et Albert Treint représentait lui les partisans de la stricte application des exigences de l’Internationale Communiste.

Voici ce qu’il écrit dans son article « Lutter sans cesse pour la bolchevisation », dans le numéro de la fin décembre 1924 dans les Cahiers du Bolchevisme :

« La démocratie, y compris le socialisme, passent ouvertement dans le camp du fascisme.

Répression des grèves à Douarnenez, campagne de calomnies et de faux contre le Parti communiste, expulsion d’ouvriers étrangers suspects d’être des révolutionnaires, expédition policière contre l’école léniniste de Bobigny, tout cela montre que la démocratie, loin de combattre le fascisme, s’allie avec lui contre le prolétariat et les masses travailleuses (…).

Pour combattre le fascisme, nous devons, non pas traîner le prolétariat à la remorque des chefs du Bloc des Gauches, mais organiser sur des mots d’ordre politiques clairs les masses travailleuses trompées par le Bloc des Gauches autour du prolétariat et de son Parti communiste (…).

Le fédéralisme et l’esprit anarchisant ne s’éliminent pas en quelques semaines par un coup de baguette magique dans un Parti où ils régnèrent souverainement pendant près de vingt années (…).

L’esprit du bolchevisme commence à pénétrer les cerveaux et à produire des actes. Mais le tempérament demeure, chez trop de camarades, anarchisant et fédéraliste.

Il faut un effort constant, une vigilance constante de tout le Parti et de chaque membre pour vaincre les vieilles survivances et pour éviter les rechutes. »

Voici, de la même époque, une Lettre aux membres du Parti Communiste signée par Alfred Rosmer, Pierre Monatte, Victor Delagarde. Datant de fin novembre 1924, elle dénonce Albert Treint et la bolchevisation menée par l’Internationale Communiste :

« Depuis un an, on agite le spectre d’une droite dans le Parti et dans l’Internationale. On accuse cette droite de nuire, de désagréger, de décomposer le Parti ; on l’accuse d’entraver son travail politique et de susciter des obstacles à sa réorganisation sur la base des cellules d’entreprise.

Nous sommes bien sûrs de ne pas appartenir à la droite du Parti.

Quand Treint publia sa première édition de la géographie des tendances, Monatte lui répliqua avec raison que s’il voulait à tout prix nous classer quelque part il devrait nous loger dans une toute autre tendance, qui s’appellerait, la gauche ouvrière. Dans sa deuxième édition, revue et corrigée, des tendances du Parti, Treint paraissait donner satisfaction à cette juste revendication ; il parlait récemment du « néogauchisme ouvriériste, teinté de syndicalisme pur », de Monatte.

Nous n’étions toujours pas plus orthodoxes qu’avant ; nous sentions toujours le roussi; mais enfin c’en était fini de l’imbécile qualification de droitiers ; nous étions reconnus et proclamés gauchistes, néogauchistes.

Mais sous la plume et dans la bouche de Treint et de ses amis, les mots changent rapidement de sens. Dès le lendemain, nous redevenions la droite pestiférée. Il suffit sans doute de ne pas bailler d’admiration devant les cabrioles de Treint pour être rangé dans la droite (…).

Qu’il y ait un malaise grave dans l’Internationale, depuis la mort de Lénine et depuis sa retraite forcée par la maladie, c’est un fait trop visible, mais il est bien indépendant de la crise que traverse le Parti français (…).

La réorganisation sur la base des cellules est une œuvre capitale pour le Parti. S’il la réussit, c’est-à-dire s’il sait déterminer les tâches pratiques des cellules, éviter qu’elles tournent à vide et se découragent, il disposera réellement d’une base de granit.

Mais le granit pourrait bien se changer en sable mouvant si les cellules, au bout de quelques semaines, n’apercevaient pas le travail qui leur incombe, si on leur refusait, en outre, le droit élémentaire de désigner leur secrétaire et leur délégué de rayon, sans crainte d’un veto d’en haut.

Il est beaucoup question d’homogénéité, d’alignement, de discipline. Du haut en bas du Parti, on établit une cascade de mots d’ordre auxquels on doit obéir sans comprendre et surtout sans murmurer autre chose que le sacramentel : Capitaine, vous avez raison !

Une mentalité de chambrée se crée et les mœurs de sous-offs s’installent. Il n’est question que d’appareil à faire fonctionner, de permanents à instituer. Bientôt la bureaucratie du Parti fera la pige à celle de l’État français.

On dit que le Parti doit être une cohorte de fer. En réalité, quiconque fait preuve de caractère doit être brisé. »

La Conférence nationale extraordinaire du Parti de début décembre 1924 vota à l’unanimité l’exclusion des auteurs de la lettre. Albert Treint et Suzanne Girault furent ainsi les vecteurs du succès de l’Internationale Communiste face aux anti-centralisateurs, qui convergeaient toujours plus vers Léon Trotsky qui menait une opération du même esprit en Russie.

Cela permit une véritable orientation vers les usines, avec une prolétarisation générale du Parti par la constitution de cellules d’entreprise. Cela bouscula énormément le Parti socialiste SFIO, notamment avec les « comités d’unité prolétarienne » et le groupe « Clarté », qui visaient l’intégration des ouvriers socialistes.

Il y eut d’ailleurs une série de congrès ouvriers durant l’été 1925, notamment à Paris, Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg et Béziers ; y participèrent 7 230 délégués dont 200 socialistes, 320 syndiqués réformistes, 31 syndiqués autonomes, 1 173 sans-parti et plus de 200 sont des délégués de villages.

En décembre 1923 le Parti Communiste (SFIC) proposa au Parti socialiste SFIO de former un Bloc ouvrier et paysan, ce qui fut refusé (au profit du soutien aux radicaux dans le « Cartel des gauches »).

Et pour les municipales de 1925, le Parti Communiste (SFIC) annonça :

« Nous proposerons des listes communes avec des candidats socialistes en posant comme condition de prendre un certain nombre d’engagements comme celui de défendre en toute occasion les revendications les plus immédiates des travailleurs, de mener au sein des municipalités une lutte énergique en organisant au besoin des milices municipales antifascistes. »

On est toutefois là dans la perspective de se présenter comme le plus combatif, le plus activiste ; à l’arrière-plan, il reste un sectarisme terrible, fondé sur un style entre affirmation communiste et esprit syndicaliste révolutionnaire parisien.

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et la bolchevisation du Parti Communiste
Section Française de l’Internationale Communiste