L’activisme débridé du jeune Parti Communiste SFIC

Avant la période de « bolchevisation », au milieu des années 1920, le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste a mené une activité débridée, marquée par de nombreuses répressions et des condamnations à la prison.

C’est l’âge d’or du Parti Communiste gauchiste et volontariste formant une image d’Épinal utilisée par la suite pour prétendre que la « bolchevisation » a brisé le Parti qui était auparavant vraiment révolutionnaire, etc.

En réalité, le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste submergeait ses militants.

Ils ne devaient pas que distribuer des tracts, laisser traîner des « papillons », coller des affiches, discuter avec les gens ; il leur fallait également appartenir en même temps au syndicat, à une coopérative, au secours rouge, ainsi qu’à l’Association républicaine des anciens combattants (ARAC).

Cette dernière précision est importante, car le Parti, alors, n’a que 1 % de ses membres qui sont des femmes. On est dans une démarche typique du syndicalisme révolutionnaire, avec son côté vindicatif, rentre-dedans.

C’est pas tout : à chaque niveau est créé une commission ceci, une commission cela, faisant que chaque militant se noie dans les pôles d’intervention, les meilleurs étant en plus engloutis dans les liaisons à réaliser entre les cellules et les « sous-rayons » les chapeautant, entre les « sous-rayons » et les « rayons », entre les rayons et les régions (au nombre de 24), entre les régions et la direction.

Mais il y a surtout la répression. Le patronat licencie, les préfets convoquent, la police perquisitionne, la justice condamne à la prison ferme. La surveillance du Parti communiste français par la direction de la Sûreté nationale du ministère de l’Intérieur sous la IIIe République, ce sera 51 mètres d’archives.

Il y a un isolement qui s’ajoute à cela : en Février 1922 la direction de la CGT provoque la scission et force les communistes à s’unir avec les syndicalistes révolutionnaires, au sein d’une CGT Unitaire.

Un autre isolement est qu’en 1924, le Cartel des Gauches remporte les élections, le Parti socialiste SFIO soutenant un gouvernement composé des Radicaux indépendants, des radicaux-socialistes, des républicains-socialistes et des socialistes indépendants.

Enfin, le nombre de grèves se tasse fortement, dérobant le sol sous les pieds des communistes.

AnnéeNombre de grèvesNombre de grévistes
19192 0262 151 000
19201 8321 317 000
1921475405 000
1922665290 000
19231 068331 000
19241 034256 000
1925895241 000
1926723338 000
1927436122 000

Mais cette noyade dans la formation de structures et l’isolement social, politique et culturel fit justement du Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste une sorte d’îlot ultra-radical, immédiatiste.

S’il a quasi immédiatement perdu la moitié de ses adhérents en quelques années, c’est secondaire par rapport au fait suivant : l’écrasante majorité des membres du Parti restant étaient en fait des arrivants. Ils sont jeunes et volontaires… mais sans aucune formation.

Leur cible privilégiée est l’armée, avec un énorme travail contre celle-ci, à destination des conscrits, avec notamment les revues La Caserne, Le Conscrit, Le Réserviste. Il y a un certain fond syndicaliste révolutionnaire qui s’exprime dans le style rentre-dedans et on n’est pas nécessairement loin des conceptions de George Sorel.

Cela se voit très bien dans les slogans des pancartes utilisés lors du transfert au Panthéon des cendres de Jean Jaurès, le 23 novembre 1924. Au nombre de 300, ces pancartes accompagnaient 180 drapeaux rouges (sans inscription) dans un cortège communiste de 150 000 personnes.

On y lisait : « Guerre à la guerre par la révolution prolétarienne », « Instituons la dictature du prolétariat », « Aux ligues fascistes, opposons les centuries prolétariennes ».

Il n’y avait pas d’esprit politique, on était dans une affirmation immédiatiste, rentre-dedans et sans réflexion sur les modalités concrètes de réalisation des objectifs.

De toute façon, en 1924 le Parti expliqua dans l’Humanité qu’il ne publiera pas le Capital de Karl Marx, car cela coûterait trop cher !

Cela en dit long sur le grand n’importe quoi régnant ; aux yeux de Zinoviev, qui alors dirige l’Internationale Communiste, le Parti Communiste Section Française de l’Internationale Communiste c’est :

« 20% de jauressisme, 10% de marxisme, 20% de léninisme, 20% de trotskysme, 30% de confusionnisme »

Toutefois, ce n’importe quoi laisse libre-cours à des interventions d’autant plus rentre-dedans, conflictuelles, oscillant des choses sans lendemain et des marqueurs très forts.

En 1923, lorsque la France et la Belgique occupent la Ruhr, une région allemande ouvrière, afin de forcer l’Allemagne à payer les indemnités de guerre qu’elle remettait en cause, il y a un grand activisme, avec notamment des manifestations illégales de 2 à 3 000 membres du Parti à Paris.

Pareillement, lorsqu’au Maroc, Abd el-Krim proclame en 1921 la République du Rif en triomphant de l’Espagne, le gouvernement Poincaré intervient pour aider celle-ci, ce qui aboutit à une « pacification » française en 1924-1925 ; cela est marqué par une mobilisation générale du Parti Communiste (SFIC), avec une très grande agitation confrontée à une répression sévère.

Voici le texte d’un télégramme de septembre 1924 à ce sujet :

« Groupe parlementaire, Comité directeur du PC et Comité national des J.C. saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les impérialistes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abd-El-Krim.

Espèrent qu’après la victoire définitive sur l’impérialisme espagnol il continuera, en liaison avec le prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialistes, français compris, jusqu’à la libération complète du sol marocain.

Vive l’indépendance du Maroc ! Vive la lutte internationale des peuples coloniaux et du prolétariat mondial. »

Voici l’appel à une grève pour le 12 octobre 1925, qui fut un immense succès avec 900 000 grévistes, avec notamment pratiquement tout le bâtiment ainsi que souvent la majorité des mineurs :

« Travailleurs et travailleuses L’Heure de la démonstration prolétarienne a sonné. Lundi 12 octobre, vous cesserez le travail pour 24 heures. Désertez en masse votre travail, manifestez avec le comité central d’action. A bas la guerre ! Vive la grève générale de 24 heures ! »

La répression s’abattit au total sur 274 communistes (120 années de prison au total), alors qu’un ouvrier communiste, André Sabatier, fut tué dans son usine à Puteaux, en région parisienne, son enterrement rassemblant 100 000 personnes.

C’est que la région parisienne est le terrain privilégié du Parti. Comme auparavant pour le Parti socialiste SFIO, celle-ci est le bastion, avec le Nord. Ces deux sections sont de loin les plus nombreuses, avec en 1925 16 674 membres en région parisienne et 9440 dans le Nord (suit la région de Lyon avec 4215 membres).

Aux élections de 1924, sur 877 000 voix, 300 000 viennent de la région parisienne. C’est le terreau de l’activisme, du style. C’est l’endroit où les communistes ont une densité suffisante pour former un monde parallèle.

Un événement significatif est l’opération contre une réunion électorale dans le 18e arrondissement parisien du conservateur Raoul Sabatier ayant les Jeunesses patriotes comme service d’ordre, en avril 1925. Le Parti Communiste (SFIC) mobilisa ses groupes de combat de la région de Boulogne pour la briser. Cela termina en bagarre et en tirs au pistolet rue Damrémont, quatre fascistes étant tués.

Propagande anticommuniste à la suite des tirs de la rue Damrémont

La pression sur le Parti fut alors immense, dans un contexte émaillé de violence. Lors de la grève très suivie nationalement des sardinières de Douarnenez de novembre 1924 – janvier 1925, le maire communiste de la ville se fit tirer dessus par les briseurs de grève, il est démis à un moment de ses fonctions.

Les sardinières de Douarnenez

En février 1925, dans le cadre d’une réunion publique du général catholique Édouard de Castelnau, deux membres de la Fédération nationale catholique sont tués lors de l’intervention communiste.

En janvier 1924, un meeting communiste rue de la Grange-aux-Belles à Paris fut perturbé par les anarchistes et cela termina à coups de pistolet, faisant deux morts.

Il ne faut cependant pas croire que le Parti opère comme en Allemagne. On est dans une sorte de spontanéisme teinté de volontarisme.

Lors de la mise en place par l’ARAC des Groupes de défense antifasciste au début de 1926, avec un uniforme, un béret et une canne pour ses membres, l’écho est très restreint, tout comme pour les Jeunes gardes antifascistes formés par les Jeunesses Communistes. Un Front rouge est formé en 1927 avec ces structures et les services d’ordre, mais pareillement sans effet.

Les membres du Parti Communiste (SFIC) ne supportent en effet pas le style paramilitaire, les uniformes ; le style est celui de l’ouvrier chahuteur parisien, aisément turbulent. On est très clairement ici encore dans le style syndicaliste révolutionnaire culturellement.

=>Retour au dossier sur la mise en place
et la bolchevisation du Parti Communiste
Section Française de l’Internationale Communiste