Alexandre d’Aphrodise se heurte forcément à l’un des problèmes fondamentaux de la philosophie d’Aristote : la question du déterminisme. Le stoïcisme était un prolongement cohérent d’Aristote, au sens où si tout est cause et conséquence, alors tout est déterminé et la psychologie doit se conformer à ce qui apparaît comme étant le destin.
Seulement, Alexandre d’Aphrodise sait que s’il accepte cela, alors la philosophie d’Aristote devient une reconnaissance passive de la réalité. Or, Aristote exprimait non pas la mentalité du citoyen romain se conformant à ce que sa situation implique, mais celle de l’esclavagiste grec choisissant telle ou telle réalisation.
Par conséquent, Alexandre d’Aphrodise réactive la notion de production qui avait été perdue avec les Romains. Il dit : soit la production de quelqu’un se tourne vers une satisfaction naturelle, soit elle se tourne vers ce qui relève d’un choix de la raison.
On a ici soit la nature directement animale de l’être humain, soit sa capacité à se tourner vers l’intellect agent, reflet de l’univers, qui guide alors la réflexion.
Or, si on peut mal raisonner, une orientation simplement animale est implacable. Ce sont donc deux choses différentes.
Ce qu’on appelle destin relève par conséquent de la dimension directement naturelle, alors que l’autre aspect, non déterminé, relève de la délibération faite par les êtres humains, de manière juste ou pas.
Il va de soi qu’il faut ici relativiser cela : si Alexandre d’Aphrodise ne connaît bien entendu pas le principe de mode de production façonnant les esprits, il considère en fait que soit on pense bien et qu’on est conforme à l’ordre du monde, soit que l’on pense mal mais alors qu’on ne pense pas vraiment, on s’égare en fait, et cela ne tient pas.
Il y a ainsi d’un côté ce qui arrive inéluctablement, car de manière naturelle, et de l’autre ce qui relève d’un certain relativisme, d’alternatives.
Dans son traité sur la providence, Alexandre d’Aphrodise dit ainsi que :
« La puissance divine que nous avons appelée également nature constitue les choses qui existent en elle et les façonne avec proportion et ordre, et non par délibération.
Car la nature n’appartient pas à chacun des êtres qu’elle produit en tant qu’elle le penserait et le méditerait rationnellement – du fait que la nature est une puissance irrationnelle [en fait non rationnel, au-delà du rationnel] – mais du fait de l’être de chacun ; c’est de cette manière que chacun se produit en conformité avec son être à partir de l’animal et du corps divin, ce dernier étant l’engendreur de son principe.
Puisqu’en effet son existence provient de ce corps et qu’il vient à être une chose procédant et émanant de lui, il se trouve qu’en raison de son analogie avec lui, il est de sa nature de produire tout mouvement ordonné de telle sorte qu’il agit selon des nombres et des rapports déterminés.
Il n’est en effet pas possible qu’apparaissent dans les actes et les mouvements des rejetons des animaux mortels des indices et des signes de leur race, tandis que ce qui est engendré des dieux ne conserverait pas, entre autres choses qui lui appartiennent, la bonne ordonnance provenant des choses divines.
Et il faut savoir que le mouvement qui provient de la nature ressemble d’une certaine manière à ce qui apparaît dans ce que suscitent les faiseurs d’automates.
Nous voyons souvent de tels mouvements inanimés se produire, de manière artificielle, lorsque le faiseur d’automates leur procure un principe de mouvement. Ainsi, certains paraissent danser, d’autres lutter, d’autres se mouvoir d’autres mouvements suivant un ordre et un rythme, du fait que leur artisan leur a prodigué une telle constitution. »
L’être humain a une essence, comme les automates sont déterminés à telle ou telle action. La marge de manœuvre de la délibération est ainsi calibrée par définition même. Le déterminisme ne s’exprime qu’en rapport avec l’essence de l’être humain, avec une opposition entre le particulier et l’universel.
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