Le TKP/ML a réussi à se réorganiser après la mort héroïque d’Ibrahim Kaypakkaya et la vague de répression, mais ce fut très difficile. L’organisation est de nouveau active sous une forme élémentaire à partir de 1974, au moyen d’un comité de coordination des activités régionales ; en 1976 sont publiés le journal légal Halkin Birliği (Unité populaire) et la revue clandestine Proleter Birlik (Unité prolétarienne).
Mais l’année 1976 a pour cadre une situation idéologique particulièrement troublée.
Si en effet l’ensemble des organisations révolutionnaires en Turquie s’appuient inévitablement, d’une manière ou d’une autre, sur les démarches de Kaypakkaya, Mahir Çayan et Deniz Gezmiş, la tendance est à l’éclectisme afin de trouver une voie pour surmonter la défaite initiale, ou du moins l’expliquer.
Une partie du TKP/ML remit ainsi en cause pas moins que l’analyse de la Turquie comme semi-féodale semi-coloniale, reprenant l’idée révisionniste d’une Turquie comme pays dépendant. Cela donna ainsi naissance au groupe Halkin Birliği (Unité du peuple), du nom du journal mis en place.
Il y eut une petite scission, avec un Devrimci Halkın Birliği (DHB, Unité du peuple révolutionnaire), cependant cela aboutit à la mise en place du TKP/ML Hareketi (Mouvement).
Le TKP/ML Hareketi s’éloigna toujours plus de Mao Zedong, jusqu’au rejet définitif au profit d’Enver Hoxha et l’Albanie en 1979. Entre-temps, il avait connu une petite scission donnant naissance à la TKP/ML Yeniden inşa Orgutu (TKP/ML (YIO), TKP/ML Organisation pour la reconstruction). Il fut pratiquement écrasé avec le coup d’État de 1980 et ne réapparaît en tant que tel qu’à partir de 1986, en tant que mouvement et non en tant que parti.
Cette dérive vers la ligne d’Enver Hoxha et l’Albanie était alors tendancielle. On a ainsi eu une frange du THKP-C fondant en 1974 un THKP-C/ML, qui se tourna à partir de 1975 vers la Chine populaire de Mao Zedong. Une grande partie rejoignit cependant la ligne « tiers-mondiste » du TIIKP et rejoignit cette organisation, d’autres minoritaires choisissant de suivre finalement Enver Hoxha et l’Albanie pour former en 1984 le Türkiye Komunist Isci Hareketi (TKIH, Mouvement communiste des ouvriers de Turquie), actif réellement à partir de 1987.
Du côté de la THKO, une partie minoritaire devint pro-soviétique et fondit en 1974 la Mücadele Birlik (Unité dans la lutte), la majorité mettant en place en 1978 une Türkiye Devrimci Komunist Partisi – İnşa Örgütü (TDKP-IO, Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie – Organisation de Construction) numériquement assez nombreux, une fraction formant la Türkiye Ihtilalci Komunistler Birliği (TIKB, Ligue Communiste Révolutionnaire de Turquie).
Ces deux dernières organisations, qui se tournaient tous deux vers Enver Hoxha et l’Albanie, s’affrontèrent militairement ; le TDKP se forma en tant que tel en 1980.
Le coup d’État militaire du 12 septembre 1980 fut alors un coup meurtrier pour toutes ces organisations. Le TDKP agissait ainsi de manière entièrement légale et s’effondra d’autant plus rapidement que ses dirigeants collaborèrent avec la répression.
Le TDKP se réorganisa à partir de 1987, mais connut immédiatement deux départs. Il y eut en 1988 le Türkiye Devrimci Komünist Partisi – Leninist Kanat (TDKP/LK, Parti Communiste Révolutionnaire de Turquie – Groupement léniniste), qui prit le nom de Ekim (Octobre), puis en novembre 1998 celui de Türkiye Komünist İşçi Partisi (TKOP, Parti Communiste Ouvrier de Turquie).
Et il y eut en 1989 le Türkiye Devrimci Komunist Isci Hareketi (TDKIH, Mouvement Communiste Révolutionnaire des Ouvriers de Turquie), qui dès 1991 rejoignit le TKIH.
Le TDKP, en 1996, devint un parti totalement légaliste sous le nom de Emek Partisi (Parti du Travail).
Le TKP/ML, après les scissions dont le départ du TKP/ML Hareketi en 1976, organisa une première conférence en février 1978, mais connut le départ d’un groupe dénommé « Comité de coordination temporaire » en mai 1980, puis une nouvelle scission à l’organisation de sa seconde conférence, en 1981.
Là encore, il s’agissait d’une tendance pro-albanaise qui s’exprimait. Elle s’était particulièrement organisée en Europe, parmi les réfugiés et les émigrés, et consistait ainsi en une déviation opportuniste-intellectuelle. Cela donna naissance au TKP/ML Bolşevik, qui devint par la suite le Bolşevik Parti (Kuzey Kürdistan-Türkiye) (BP – KKT, Parti Bolchevik de Turquie et du Kurdistan du Nord).
Le TKP/ML Hareketi et le TKIH finirent par la suite par se rapprocher, décidèrent à l’automne 1993 de s’unifier pour former en 1994 le Marksist Leninist Komünist Parti – Kuruluş (MLKP-K, Parti Communiste Marxiste-Léniniste – Fondation). Cela devint le MLKP, alors que participa également désormais au processus le TKP/M-L (YIO), avec une scission dès le départ, le Komünist Parti-İnşa Örgütü (KP-İÖ, Organisation de construction du parti communiste) avec qui la contradiction fut très violente.
Il faut noter ici que les scissions entre organisations révolutionnaires turcs furent parfois effectivement émaillées de violences fractionnelles sanglantes. Il faut également savoir que le Partiya Karkerên Kurdistanê (PKK, Parti des Travailleurs du Kurdistan) en 1978, dont la lutte armée commencée en 1984 eut un succès très important dans les masses kurdes, ciblait sans hésitation également les organisations révolutionnaires considérées comme « concurrentes ».
Les interventions particulièrement violentes ou armées du PKK eurent lieu tant en Europe, notamment à Bâle en Suisse en 1985 contre le TKP/ML, ou encore dans le camp de réfugiés de Lavrion près d’Athènes en Grèce où vivaient 500 réfugiés politiques, que de manière récurrente contre des associations proches du DHKP/C en Turquie durant les années 2000.
Par la suite, tous les mouvements révolutionnaires de Turquie furent en pratique satellisés par le PKK, sauf le DHKP-C s’assumant totalement à l’écart. Le MLKP fut le mouvement qui accepta le plus la satellisation, afin de se poser comme organisation constructive en permanence, ce qui est typiquement la ligne hoxhaiste dans les faits : il faut unifier tout le monde, il faut l’unité à tous les niveaux, etc.,
Pour cette raison, le MLKP rejette idéologiquement le kémalisme, tout en ayant une valorisation unilatérale de tous les courants idéologiques du mouvement étudiant des années 1960, qui somme toute se rejoindraient en fin de compte au-delà des différences pourtant fondamentales.
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