August Bebel contre Jean Jaurès au sixième congrès de la seconde Internationale

August Bebel critiqua de manière brutale Jean Jaurès, défendant la social-démocratie contre Jean Jaurès.

Le contenu est très clair et pourtant, ni August Bebel ni les autres sociaux-démocrates ne comprirent qu’au-delà de Jean Jaurès, il y avait un problème français et que ce problème reflétait celui de toute la tradition « socialiste » résolument étrangère, dans ses fondements, à la social-démocratie.

August Bebel

Voici un extrait des propos d’August Bebel.

« Si fort que nous vous envions, à vous Français, votre République et que nous la désirions pour nous, nous ne nous ferons pas cependant casser la tête pour elle : elle n’en vaut pas la peine. (Tonnerre de bravos)

Monarchie bourgeoise, République bourgeoise, l’une et l’autre sont des États de classe; l’une et l’autre sont nécessairement, par leur nature, faites pour le maintien de l’ordre social capitaliste.

L’une et l’autre doivent travailler de toutes leurs forces à ce que la bourgeoisie conserve toute la puissance dans la législation.

Car, du moment qu’elle perdrait le pouvoir politique, elle perdrait aussi sa situation économique et sociale. La monarchie n’est pas aussi mauvaise, et la République bourgeoise n’est pas rien plus si bonne que vous les faites. (Vifs applaudissements )

Même dans notre Allemagne de militarisme, de hobereaux, de bourgeoisie, nous avons des institutions qui pour votre République bourgeoise sont encore un idéal. Regardez la législation de l’impôt en Prusse et dans d’autres Etats fédérés et regardez-la en France.

Je ne connais pas de pays en Europe qui ait un système d’impôts aussi misérable, aussi réactionnaire, aussi exploiteur que la France. En face de ce système de succion, avec un budget de trois milliards et demi de francs, nous avons au moins l’impôt progressif sur le revenu et la fortune.

Et quand il s’agit de réaliser les revendications de la classe ouvrière, la République bourgeoise elle-même déploie toutes ses forces contre les travailleurs. Où les travailleurs pourraient-ils être traités de façon plus brutale, plus cynique et plus vile que dans la grande République bourgeoise d’au-delà l’océan, qui est l’idéal de tant de gens ?

Même en Suisse, une République de beaucoup plus démocratique que n’est votre France, rien que dans ce court été, les milices ont été six fois convoquées contre les ouvriers, qui faisaient usage de leur droit de coalition et d’association, même dans de toutes petites grèves.

Je vous envie votre République particulièrement pour le suffrage universel appliqué à tous les corps élus. Mais je vous le dis sans mystère : Si nous avions le droit de suffrage dans la même extension et avec la même liberté que vous, nous vous aurions fait voir tout autre chose (Vifs applaudissements) que vous ne nous avez fait voir jusqu’ici (Nouveaux applaudissements).

Mais lorsque chez vous, ouvriers et patrons viennent en conflit, c’est d’une façon odieuse qu’on procède contre les prolétaires français. Qu’est-ce aujourd’hui que l’armée sinon le meilleur des instruments de la domination de classe ?

Il n’y a pas eu de lutte un peu importante dans ces quatre dernières années, ni à Lille, ni à Roubaix, ni à Marseille, ni à Brest, ni à la Martinique, ni tout récemment encore en Normandie contre des grévistes verriers (Vifs applaudissements), où le ministère Waldeck-Rousseau-Millerand, où le ministère Combes, n’ait fait donner l’armée contre les travailleurs.

En novembre dernier, la police a envahi de la manière la plus honteuse et la plus violente la Bourse du Travail de Paris ; elle a blessé, elle a frappé soixante‑dix ouvriers. Et à cette occasion, il y a une partie de nos amis socialistes à la Chambre qui n’ont pas voté pour que le préfet de police fût puni (Nombreuses réprobations).

Jaurès nous a donné une leçon sur ce que nous devrions faire.

Pour maintenant, je ne réponds qu’une chose : si en Allemagne quelqu’un s’avisait de voter un ordre du jour en faveur du gouvernement, qui abandonnât les intérêts les plus considérables du prolétariat, le lendemain il perdrait son mandat (Vif assentiment), il ne pourrait pas rester une heure représentant du peuple ; nous sommes trop disciplinés pour cela (…).

Si, dans ces dernières années, en France, la République a été mise en danger ‑ j’admets cela comme un fait ‑ vous avez eu parfaitement raison si vous l’avez sauvée de concert avec ses défenseurs bourgeois. Nous aurions fait de même.

Nous ne vous faisons pas non plus un reproche de la lutte contre le cléricalisme. Alliez-vous, si vous êtes trop faibles contre lui tout seul, avec les libéraux; nous la faisons aussi, mais après le combat, nous sommes des étrangers.

Et où donc, dans ces dernières années, en Europe, était menacée la Paix universelle, que Jaurès a aussi sauvée ? (Grande hilarité). Parler pour la paix universelle nous l’avons fait aussi.

Mais, contrairement à nous, vous votez le budget de l’armée et de la marine (Les jaurésistes : Non !), le budget colonial (Les jaurésistes : Non !), les impôts indirects (Et vous ?), les fonds secrets (Bruit chez les jaurésistes) et, par là, vous donnez votre appui à tout ce qui peut menacer la paix (Vifs applaudissements).

Le vote de confiance qui est dans l’approbation du budget, nous ne pouvons pas, nous, le donner à un gouvernement bourgeois (Vifs applaudissements).

Jaurès espère encore, de cette collaboration avec les partis bourgeois, l’étatisation des chemins de fer et des mines. Un des points les plus importants de son programme a donc été réalisé par l’Allemagne, gouvernée monarchiquement (Rires).

Si nous voulons, en Allemagne, obtenir un progrès de ce genre, nous sommes naturellement amenés aussi à soutenir les partis bourgeois, mais une alliance permanente avec ses éléments, nous la rejetons résolument (…).

Jaurès a encore parlé de l’impuissance politique de la démocratie socialiste allemande. Qu ‘a t-il donc attendu de nous après la victoire des trois millions de suffrages ? Devions nous mobiliser les trois millions d’hommes et les amener devant le château royal ? (Rires).

J’ai dit immédiatement après cette victoire, qui ne m’a pas surpris du tout, que provisoirement elle ne changerait pas grand’chose. Chez nous, ces trois millions ne suffisent pas. Mais laissez-nous avoir quatre et huit millions, et alors nous verrons (vifs applaudissements). »

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