L’Histoire est l’Histoire de la lutte des classes : la bourgeoisie a été révolutionnaire, elle est devenue réactionnaire.
Elle célébrait l’universalisme avec les Lumières, elle valorise désormais les particularismes afin d’élargir les marchés (l’art contemporain, le relativisme historique, les obsessions identitaires, l’idéologie LGBT, la religiosité à la carte, le polyamour, etc.).
C’est pourquoi le cambriolage du Louvre d’octobre 2025 correspond au dédain bourgeois pour le Louvre, ce lieu initialement mis en place par la bourgeoisie révolutionnaire comme « palais des arts et asiles des sciences ».
Le grand génie de la bourgeoisie française en 1791 a été, en effet, de transformer en un musée le palais des rois de France commencé au 12e siècle.
Plus précisément, la Révolution, qui à cette époque n’entendait pas renverser la monarchie mais simplement la garder sous contrôle de l’Assemblée nationale, a décidé de placer le Roi au Louvre avec la science et les arts.
Le Roi ne devait plus être à Versailles, il devait être subordonné au peuple, et l’État devait servir la nation.
C’était une reconnaissance de la continuité historique issue de la monarchie formant la France, mais en même temps, et surtout, une réduction de la monarchie à un rôle patrimonial.
C’était la reconnaissance du parcours de la monarchie comme relevant du patrimoine et d’une continuité historique, mais cependant plus d’un pouvoir absolu.
Ce n’est pas tout. Il y avait le risque, avec une révolution bourgeoise trop libérale, que le patrimoine national soit entièrement privatisé, et donc dilapidé.
Il a alors été défendu le maintien large du domaine royal (des châteaux, mais aussi des manufactures) contre l’éparpillement, car seule la monarchie pouvait à ce moment assumer cette charge, alors que l’État bourgeois était encore faible, mal défini, plein de contradictions à peine lisibles à l’époque, et que la bourgeoisie n’avait pas encore suffisamment confiance en son pouvoir révolutionnaire.
Sur le plan historique, ce fut une compréhension absolument brillante de la situation de la part de la bourgeoisie française.
Le choix de faire du Louvre un musée est donc le produit d’une réflexion très aboutie assumant la civilisation, avec les arts et les sciences comme meilleure expression de la civilisation, de manière « éclairée » selon l’idéologie française des Lumières (à laquelle Louis XVI n’était pas farouchement hostile, d’ailleurs).
C’est Bertrand Barère, député de Bigorre (correspondant au département des Hautes-Pyrénées aujourd’hui, avec Tarbes comme préfecture), qui a assumé cette tâche historique dans son rapport du 26 mai 1791 à l’Assemblée nationale.
Il y était question du domaine royal et de ce qui devait finalement revenir à Louis XVI. De manière très habile, il fut décidé comment le Roi devait revenir à Paris (en quittant Versailles), avec les arts et les sciences comme justification.
On le comprend très bien dans son discours : Bertrand Barère entendait assumer le Louvre à la place de la monarchie, dépassée historiquement, mais utilisée temporairement (probablement de manière sincère).
« Les premiers objets à réserver au roi sont le Louvre et les Tuileries, monument de grandeur et d’indigence dont le génie des arts traça le plan et éleva les façades, mais dont l’insouciance dissipatrice de quelques rois et l’avarice prodigue de tant de ministres dédaignèrent l’achèvement ou plutôt oublièrent l’existence.
Chaque génération croyait voir finir ce monument digne de Rome et d’Athènes ; mais il fut un temps où nos rois, fuyant les regards du peuple, allèrent loin de la capitale s’environner de luxe, de courtisans et de soldats.
C’est le besoin, c’est le secret du despotisme de s’enfermer dans un palais lointain, au milieu d’un luxe asiatique, comme autrefois on plaçait les divinités dans le fond des temples et des forêts, pour frapper plus sûrement l’imagination des hommes.
Il fallait une grande révolution qui ramenât les peuples à la liberté, et les rois au milieu des peuples.
Cette révolution est faite, Messieurs, et le roi des Français fera désormais son séjour habituel dans la capitale de l’Empire. Ce séjour, en embellissant Paris, le consolera de ses pertes.
« C’est le consentement que Sa Majesté a exprimé plusieurs fois, de rester au milieu des citoyens de Paris, consentement qu’elle devait accorder à leur patriotisme, même à leurs craintes, et surtout à leur amour. »
Voici les projets de vos comités sur ce monument.
Les Tuileries et le Louvre réunis seront le palais national destiné à l’habitation du roi, à la réunion de toutes les richesses que possède la nation dans les sciences et dans les arts, et aux principaux établissements de l’instruction publique.
Ne croyez pas que le roi vous ait demandé le Louvre habitation, mais le Louvre palais des arts et asiles des sciences.
Il n’a pas voulu s’enfermer dans un grand palais pour chasser les arts qui l’ont élevé et les sciences qui l’honorent par leur séjour.
Louis XIV lui-même avait consacré la plus grande partie du Louvre pour cette belle destination ; des fonds étaient destinés chaque année à récompenser des ouvrages de sculpture et de peinture en l’honneur des hommes dont les talents ou les vertus ont servi et illustré la France.
Le Louvre est devenu jusqu’à ce moment, par la munificence royale, le théâtre des sciences, des lettres et des arts.
Il est, à titre de récompense, la demeure de plusieurs artistes célèbres et de plusieurs hommes de lettres. Il renferme des richesses précieuses ; les statues de plusieurs grands hommes y sont déposées; de riches galeries de tableaux sont entassées sans ordre ; et ces trésors immenses peuvent être perdus pour la nation, si vous n’en décorez un de vos édifices.
Enfin, un jour la bibliothèque nationale pourra y être transportée ; et ce vaste monument, ce Louvre antique, ouvrage de tant de rois, concourra à donner une patrie à la liberté et aux arts dans Paris, qui fut si longtemps le trône du despotisme et des abus.
Décréter simplement que le Louvre sera dans le tableau des domaines réservés au roi, a paru à vos comités une disposition funeste, propre à rappeler les abus dans ce qu’on appelait la surintendance des bâtiments, à provoquer autour du roi des demandes indiscrètes, à peupler son palais de parasites dangereux et de courtisans perfides ; enfin, à intervertir et à profaner même l’usage et l’emploi des domaines nationaux.
Mais autant il fallait éviter une disposition trop vague et trop arbitraire, autant il fallait déterminer le véritable esprit de votre décret.
Non, ce n’est pas pour le roi, ce n’est pas pour la superstition du trône que vous établirez cette représentation magnifique du pouvoir qui a si souvent corrompu le cœur des rois et subjugué l’imagination des peuples ; c’est pour la nation même que vous agirez.
Le roi, chef ou agent du pouvoir délégué par la Constitution, n’est sans doute que le premier des fonctionnaires publics.
Mais assis sur le trône, habitant au milieu de la capitale de l’Empire, il représente en quelque sorte la dignité nationale ; il est le signe visible de la majesté de la nation : il faut donc l’entourer d’objets qui appellent les hommages publics.
Sans doute, un peuple libre ne confie ses destinées qu’à lui-même, la formation de ses lois qu’à des représentants ; mais il charge un roi d’une partie de sa dignité.
Ainsi votre projet, conforme au désir du roi, sera d’élever le palais des sciences et des arts à côté du palais de la royauté, et vous aurez ainsi placé dans la même enceinte les bienfaits de la civilisation et l’institution qui en est la gardienne.
Les révolutions des peuples barbares détruisent tous les monuments, et la trace des arts semble effacée.
Les révolutions des peuples éclairés les conservent, les embellissent, et les regards féconds du législateur font renaître les arts, qui deviennent l’ornement de l’Empire, dont les bonnes lois font la véritable gloire.
Ainsi la restauration du Louvre et des Tuileries, pour donner au roi constitutionnel une habitation digne de la nation française, et pour y faire un muséum célèbre, demandera des mesures ultérieures qui seront concertées entre l’Assemblée nationale et le roi.
Le génie des artistes, témoins de ce que vous faites pour les arts, ouvrira un concours libre pour en former les plans, et nos successeurs en jugeront, en décréteront l’exécution à mesure des besoins, et des sommes que la nation pourra y consacrer. »
Voici la nature du Louvre, qui n’est historiquement pas un simple musée, mais une expression nationale française en tant que musée.
En procédant ainsi, la bourgeoisie française était parvenue à empêcher un grand pillage du Louvre, car il aurait pu dans le cas contraire être accaparé, ou pire démembré.
L’article 1er du décret du 26 mai 1791, rédigé après avoir entendu le rapport de ses comités des domaines, de féodalité, des pensions et des finances, est ainsi l’acte fondateur du grand musée français du Louvre, par une dialectique très habile entre la mise sous tutelle de la monarchie et sa reconnaissance historique comme reflet de la civilisation.
« Art. 1er. Le Louvre et les Tuileries réunis seront le Palais national destiné à l’habitation du roi et à la réunion de tous les monuments des sciences et des arts, et aux principaux établissements de l’instruction publique ; se réservant, l’Assemblée nationale, de pourvoir aux moyens de rendre cet établissement digne de sa destination, et de se concerter avec le roi sur cet objet. »
On notera de manière intéressante que l’article 8 de ce décret consacrait le même sort au château de Pau, qui attisait de nombreuses convoitises.
Bertrand Barère a cherché à convaincre de l’importance de sa préservation dans le domaine royal, ce qui revenait tendanciellement à une nationalisation, et surtout qui le préservait d’une privatisation.
« D’après cette même considération vous ne séparerez pas du tableau des domaines que vous lui réservez le château de Pau, dans lequel est conservé avec un respect religieux le berceau d’Henri IV.
Cette propriété, que l’amour des Français a rendu sacrée, est l’objet de ses désirs : comme si les hommages que Louis XVI a si souvent rendus à la mémoire de son aïeul ne l’eussent pas acquitté de tout ce qu’il lui doit, il vous a demandé expressément de conserver ces mêmes lieux où est né le vainqueur de la Ligue [catholique partisane de la guerre des religions].
Et vous aussi, vous voulez honorer la mémoire d’Henri IV, en exceptant de l’aliénation le château où il a vu le jour ; c’est le vœu des habitants du département des Basses-Pyrénées; c’est le vœu de tous les Français : il sera donc le vôtre. »
La référence à la Ligue catholique n’est pas un hasard. Il y a tout un parcours historique national aboutissant aux Lumières, puis qui a permis à la Révolution française.
Le Louvre comme musée est le produit de ce parcours historique.
La suite des événements le prouve.
La monarchie a été très rapidement décapitée et la création du Muséum central des arts de la République au Louvre a été décidée le 10 août 1793, justement pour célébrer la chute du pouvoir royal et assumer un changement radical d’époque.
La mise à disposition du peuple des collections royales et des œuvres d’art confisquées aux émigrés et aux religieux devait exprimer cet écrasement révolutionnaire ; c’est de cette ferveur qu’est né concrètement le musée du Louvre en 1793, après être né idéologiquement en 1791.
La prétention a immédiatement été universelle et les collections ont profité directement des campagnes napoléoniennes pour se développer, notamment par des saisies en Italie, mais aussi dans ce qui deviendra les Pays-Bas et l’Allemagne.
La fameuse Expédition d’Égypte fut prolifique à ce niveau en posant les bases de l’égyptologie et en conférant au musée sa mission d’envergure mondiale, à la fois scientifique et culturelle (toutefois, ce n’est qu’en 1826 qu’a été créé le département des Antiquités égyptiennes du Louvre, surtout sur la base de vastes collections privées provenant de consuls européens en poste en Égypte).
En 1803, Napoléon Bonaparte, devenu Premier Consul, a nommé le baron Dominique Vivant Denon comme directeur général du muséum central des arts, avec l’ambition d’en faire « le plus beau musée de l’univers ».
Jusqu’en 1815, celui-ci accompagnait directement Napoléon Bonaparte en campagne et organisait des convois d’œuvres d’art en direction du Louvre, notamment des peintures de Maître et des sculptures antiques.
Parallèlement, c’est lui qui a véritablement créé l’institution du Louvre, posant directement les bases de ce que doit être un musée moderne, et influençant jusqu’à aujourd’hui partout dans le monde la conception de ce qu’est un musée d’art.
En particulier, il a délogé des galeries les marchands et les artistes, afin qu’elles ne soient plus réservées qu’aux collections, à destination du public. Il a structuré leur présentation avec notamment le principe des écoles nationales (italienne, flamande, française, etc.).
Avec la fondation du Louvre, l’art a pris une nouvelle dimension pour l’humanité, qui s’est élevé au point de prendre du recul sur ses propres œuvres et de chercher à les comprendre, en plus de les apprécier.
Bien entendu, cela s’est produit par en haut, avec une logique bourgeoise d’accumulation unilatérale. Seul le prolétariat, dans le socialisme, peut porter réellement l’universalisme et assumer l’art de manière correcte.
D’ailleurs, la bourgeoisie française a dû payer son trop grand enthousiasme révolutionnaire et ses prétentions universelles trop brusques lorsqu’elle fut stoppée par la réaction européenne.
En 1815, lors du congrès de Vienne il a été décidé pas moins que la restitution d’environ 5000 œuvres, surtout en Italie.
Néanmoins, le Louvre s’était structuré et avait trouvé sa vocation, qu’il développera tout au long du 19e siècle, porté par une bourgeoisie ascendante, entendant assumer pleinement la civilisation.
Les acquisitions et donations se sont produites à un rythme soutenu jusqu’à la première crise générale du mode de production capitaliste et la guerre mondiale de 1914-1918.
Le programme communiste, sur la base de la compréhension de l’Histoire grâce au matérialisme dialectique, implique d’assumer la continuité et de refaire du Louvre ce qu’il a été, ce qu’il doit être : un lieu de connaissances et de compréhension historique, d’émerveillement et d’admiration pour tout le parcours du matériau humain à travers les siècles, les millénaires.
Nous avons besoin du Parti Matérialiste Dialectique afin de préserver l’héritage historique !



























