Le matérialisme dialectique et la conceptualisation comme quête à l’infini de la réalité en transformation éternelle

Nous sommes en mars 1895 et Friedrich Engels écrit au social-démocrate Conrad Schmidt, avec qui il a une correspondance régulière. La lettre, datée du 12 mars, fut par la suite très connue dans le mouvement communiste, car son contenu fait deux précisions.

Il y souligne d’un côté l’inévitable développement inégal dans un concept – autrement dit, il y a toujours un décalage entre le concept et la réalité conceptualisée.

Il y définit également au plus près le mode de production féodal, en soulignant justement que cette définition la plus proche possible se rapproche, de ce fait, d’une abstraction.

Ce second aspect n’a jamais été analysé en tant que tel pour une compréhension du mode de production féodal.

Quant au premier, il y a malheureusement eu la tendance à souligner simplement le décalage entre une réalité et son concept, une chose bien connue déjà depuis des centaines d’années, voire plus de deux mille ans.

En réalité, Friedrich Engels ne dit pas simplement que la réalité est trop mouvante, trop changeante, pour être définie précisément en général. Il souligne que l’infini est présent dans cette transformation, et que pareillement la tentative de définition se rapproche à l’infini de cette transformation.

C’est ce qu’on appelle le matérialisme dialectique : l’infini est présent dans la réalité, mais la compréhension de la réalité est elle-même une quête « à l’infini ».

Cela repose sur le fait que l’univers est un océan de matière, où les vagues se répondent et interagissent les unes sur les autres, et que la conceptualisation est elle-même porte un reflet de la transformation, portée par des êtres en transformation.

D’où le primat de la pratique, l’importance de la subjectivité révolutionnaire, de la révolution culturelle.

« Cher Schmidt,

Vos deux lettres, du 13 novembre de l’année précédente du 1er de ce mois, sont devant moi. Je vais commencer par la seconde comme la plus actuelle.

Quant à [Peter] Fireman, laissez tomber. [Wilhelm] Lexis avait seulement posé la question, toi aussi avec ∑ m / ∑ ( c + v ).

[∑ représente la somme ; m désigne la plus-value, c le capital constant (les moyens de production), v le capital variable (le capital employé pour utiliser des salariés]

Lui seul a fait un pas de plus dans la bonne voie, dans la mesure où il a classifié la série mise en somme par vous, en sommant la série m’ / ( c’ + v’ ) + m » / ( c » + v » ) + m »’ /( c »’ + v’  » ) … etc., en les rangeant en les groupes de branches de production après la composition différente du capital, entre lesquelles n’a lieu que l’égalisation par la concurrence.

Que ce pas était le suivant à faire de manière la plus importante, cela vous est montré par le texte de Marx lui-même, où jusqu’à présent exactement la même procédure a été suivie.

L’erreur de F[ireman] a été qu’il s’est arrêté ici, s’est posé avec ça, et que donc cela a dû rester inaperçu jusqu’à la parution du livre lui-même.

— Mais tranquillisez-vous. Vous pouvez être vraiment satisfait. Vous avez trouvé tout de même indépendamment la cause de la chute tendancielle du taux de profit et de la formation du profit commercial, et cela non pas aux 2/3, comme Fireman l’a fait avec le taux de profit, mais complètement.

La raison pour laquelle vous prenez une voie secondaire en ce qui concerne le taux de profit, je pense que votre lettre m’en donne une idée.

Je retrouve le même type de déviation dans les détails et je l’attribue à la méthode philosophique éclectique, effondrée dans les universités allemandes depuis [18]48, qui perd toute vue d’ensemble et se transforme trop souvent en un tapage plutôt interminable et infructueux sur les détails.

Mais auparavant vous vous êtres préoccupés principalement de Kant parmi les classiques, et Kant a été plus ou moins contraint par l’état de la philosophie allemande de son temps et par son opposition au leibnizianisme wolfien pédant de faire d’apparentes concessions sous la forme de ce bavardage dispersé wolfien.

C’est ainsi que j’explique votre tendance, qui transparaît également dans votre exposé épistolaire sur la loi de la valeur, à entrer dans les détails, où précisément il me semble que le contexte global n’est pas toujours pris en compte, de sorte que vous dégradez la loi de la valeur à une fiction, une fiction nécessaire, un peu comme Kant avec l’existence de Dieu amené à un postulat de la raison pratique.

Les reproches que vous faites à l’encontre de la loi de la valeur s’appliquent à tous les concepts, envisagés du point de vue de la réalité.

L’identité de la pensée et de l’être, pour le dire en termes hégéliens, coïncide partout avec votre exemple du cercle et du polygone.

Dit autrement : les deux, le concept d’une chose et sa réalité, se côtoient comme deux asymptotes, se rapprochant toujours et pourtant ne se rencontrant jamais.

[Une asymptote est une ligne droite qui s’approche indéfiniment d’une courbe sans jamais la couper, elle tend de manière infinie vers elle, sans la rejoindre.]

Cette différence entre les deux est précisément celle qui fait que le concept n’est pas simplement, directement, déjà la réalité, et que la réalité n’est pas immédiatement son propre concept.

C’est en raison du fait qu’un concept ait la nature essentielle du concept, c’est-à-dire qu’il ne coïncide pas immédiatement prima facie [à première vue] avec la réalité dont il a d’abord dû être abstrait, qu’il est davantage qu’une fiction, à moins d’expliquer que tous les résultats de la pensée soient des fictions, parce que la réalité ne leur correspond que par un grand détour, et même alors seulement de manière asymptotiquement approximative.

En va-t-il autrement pour le taux général de profit ?

Il n’existe qu’approximativement à un instant donné. Si cela se réalise dans deux établissements jusque dans le détail, si tous deux réalisent exactement le même taux de profit une année donnée, alors c’est une pure coïncidence.

En réalité, les taux de profit changent d’une entreprise à l’autre et d’une année à l’autre selon, selon les circonstances, et le taux général n’existe que sous la forme d’une moyenne de nombreuses affaires et d’une plage d’années.

Mais si nous voulions exiger que le taux de profit – disons 14,876934… soit exactement le même jusqu’à la 100ème décimale dans chaque entreprise et chaque année, sous peine sinon de le dégrader au rang d’une simple fiction, alors nous comprendrions sérieusement erronée la nature du taux de profit et des lois économiques en général – ils n’ont tous d’autre réalité que dans l’approximation, la tendance, en moyenne, mais pas dans la réalité immédiate.

Cela s’explique pour une part par le fait que leur action est contrecarrée par l’action simultanée d’autres lois, mais aussi en partie par leur nature de concepts.

Ou bien prenez la loi des salaires, la réalisation de la valeur de la force de travail, qui seulement, et même là pas toujours, se réalise en moyenne et, dans chaque localité, voire dans chaque industrie, varie selon le niveau de vie habituel.

Ou bien la rente foncière, qui représente le surprofit résultant d’une force naturelle monopolisée au-dessus du taux général. Ici aussi, le surprofit réel et la rente réelle ne coïncident nullement, mais seulement en moyenne approximativement.

C’est exactement ainsi que fonctionne la loi de la valeur et la répartition de la plus-value à travers le taux de profit.

1. Les deux ne parviennent à leur réalisation la plus complète qu’à la condition préalable que la production capitaliste s’effectue partout, c’est-à-dire que la société est réduite aux classes modernes de propriétaires fonciers, des capitalistes (industriels et commerçants) et des ouvriers, tous les niveaux intermédiaires étant effacés .

Cela n’existe même pas en Angleterre et cela n’existera jamais, nous ne le laisserons pas ça aller aussi loin.

2. Si le bénéfice, pension comprise, est composé de différentes composantes 

a) le bénéfice venant de la tricherie – qui s’annule dans la somme algébrique;

b) le bénéfice provenant de l’augmentation de la valeur des stocks (le reste, par exemple, de la dernière récolte en cas d’échec de la suivante);

Théoriquement, cela devrait finalement s’équilibrer, voire être annulé par la baisse de la valeur des autres biens, dans la mesure où soit les capitalistes acheteurs doivent ajouter autant que ceux qui vendent gagnent, soit, dans le cas de la nourriture pour les travailleurs, les salaires doivent augmenter à long terme.

Les plus importantes de ces plus-values ne sont toutefois pas présentes dans la durée, aussi la péréquation ne s’effectue-t-elle qu’en moyenne au fil des années, et de manière très imparfaite, notoirement aux dépens des travailleurs ; ils produisent plus de plus-value parce que leur travail n’est pas entièrement payé;

c) le montant total de la plus-value, dont la part donnée à l’acheteur est perdue, en particulier dans les crises où la surproduction est réduite à son contenu réel de travail socialement nécessaire.

Il en résulte d’emblée que le bénéfice total et la valeur ajoutée totale ne peuvent coïncider qu’approximativement.

Si vous ajoutez cependant également que la plus-value totale et le capital total ne sont pas des quantités constantes, mais plutôt des quantités variables qui changent de jour en jour, alors toute couverture du taux de profit par ∑ m / ∑ ( c + v ) apparaît comme une série approximative, puis une autre, tendant toujours vers l’unité du prix total et de la valeur totale, et s’en éloignant toujours, telle une pure impossibilité.

En d’autres termes, l’unité du concept et de l’apparence se présente comme un processus essentiellement infini, et c’est ce qu’elle est, dans ce cas comme dans tous les autres.

La féodalité a-t-elle jamais été fidèle à son concept ?

Fondée dans l’Empire franc occidental, continuée de manière plus développée plus en Normandie par les conquérants norvégiens, et approfondie par les Normands français en Angleterre et en Italie du Sud, elle s’est rapprochée le plus de son concept dans le royaume éphémère de Jérusalem, qui a laissé derrière lui l’expression la plus classique de l’ordre féodal avec les Assises de Jérusalem.

Cet ordre était-il une fiction parce qu’il n’a eu une existence, en tant qu’expression la plus classique, qu’éphémère en Palestine, et cela uniquement en grande partie sur papier ?

Ou bien encore : faut-il dire que les concepts qui dominent dans les sciences de la nature sont des fictions parce qu’il s’en faut de beaucoup qu’ils coïncident toujours exactement avec la réalité ?

À partir du moment où nous acceptons la théorie de l’évolution, tous nos concepts de la vie organique ne correspondent plus que de façon approximative à la réalité.

Sinon il n’y aurait pas de transformation ; le jour où concept et réalité coïncideront absolument dans le monde organique c’en sera fini de l’évolution.

Le concept de poisson implique l’existence dans l’eau et la respiration par les branchies ; comment voulez-vous passer du poisson à l’amphibie sans briser ce concept ?

Et effectivement il a été brisé, et nous connaissons toute une série de poissons dont la vessie natatoire s’est développée jusqu’à devenir poumon et qui peuvent respirer de l’air.

Comment voulez-vous passer du reptile ovipare au mammifère qui met au monde des petits vivants sans faire entrer en conflit avec la réalité l’un des deux concepts, ou les deux à la fois ?

Et effectivement nous avons avec les monotrèmes [= qui pondent des œufs mais allaitent leurs petits] toute une sous-catégorie de mammifères ovipares.

J’ai vu à Manchester en 1843 les œufs de l’ornithorynque et je me suis moqué, avec autant d’étroitesse d’esprit que d’arrogance, de cette stupidité : comme si un mammifère pouvait pondre !

Et voilà qu’aujourd’hui c’est prouvé!

Ne faites donc pas au concept de valeur ce que j’ai fait qui m’a obligé à aller après coup demander des excuses auprès de l’ornithorynque !

Mais votre article [sur le troisième tome du Capital] dans le « Centralblatt » est très bon, et la démonstration de la différence spécifique entre la théorie du taux de profit de Marx – à travers sa détermination quantitative – et celle de l’économie ancienne est très bien menée.

L’illustre [économiste italien Achille] Loria, dans son ingéniosité [NDLR les remarques sont en fait ironiques], voit dans le troisième tome un abandon direct de la théorie de la valeur, et votre article est la réponse toute faite.

Maintenant, deux personnes sont intéressées, [l’Italien Antonio] Labriola à Rome et [le Français Paul] Lafargue, qui est en polémique avec Loria dans la « Critica Sociale ».

Donc si vous pouviez envoyer un exemplaire au professeur Antonio Labriola, Corso Vittorio Emmanuele 251, Rome, celui-ci de son mieux pour en publier une traduction italienne ; et un deuxième exemplaire à Paul Lafargue, Le Perreux, Seine, France, celui-ci apporterait l’appui nécessaire et il vous citerait.

Je leur ai écrit à tous les deux justement parce que votre article contient la réponse au point principal. Si vous ne pouvez pas obtenir les exemplaires, faites-le moi savoir s’il vous plaît.

Je dois ici conclure là-dessus, sinon je n’en terminerai jamais.

Meilleures salutations

Votre F. Engels »

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Les narcotrafics comme expression du cannibalisme social dans le cadre de la seconde crise générale du capitalisme

La désorganisation issue de la pandémie de Covid-19

Avant les années 2010, le trafic de drogue était essentiellement composé de gens agissant à la marge. Il s’agissait surtout de se faire un peu d’argent par la contre-bande, puis très vite on réintégrait une vie normale, sauf pour les noyaux durs des mafias.

À partir des années 2010 commence à se structurer des réseaux militarisés, disposant d’une main d’œuvre fiable et agissant par terreur pour contrôler et étendre leurs points de distribution. Un des faits qui marque le basculement est la mort d’un jeune guetteur de 16 ans à la cité du Clos la rose à Marseille, à la fin novembre 2010, tué de plusieurs balles de kalachnikov tirées par un commando à bord d’une voiture. Lors de cette « expédition punitive », un jeune de 11 ans revenant du centre-ville et à l’écart des trafics est lui aussi pris pour cible, s’en sortant par chance malgré qu’il ait reçu 5 balles.

Comme pour le reste de l’économie, l’irruption du Covid-19 est venu perturber de plein fouet les réseaux structurés et stabilisés dans les années 2010. Lors du premier confinement mis en œuvre face à la première vague de Covid-19 en mars 2020, l’État n’a pas pu faire face à la pression opérée à l’intérieur des prisons.

De fait, des très nombreuses personnes condamnés pour trafic de drogue ont été libérées et se sont revenues dans leur quartier d’origine. Sur les près de 6600 prisonniers libérés, une partie était concernée par les trafics de drogue ; ceux pour terrorisme, acte criminel ou violence intra-familiale étant exclus des modalités de libération anticipée.

C’était là ouvrir la boîte de pandore car dans le contexte de désordre général occasionné par la pandémie, il ne pouvait que se produire un bond qualitatif vers une nouvelle situation.

La rupture des chaînes d’approvisionnement et l’explosion de la production de drogues, notamment de cocaïne qui a suivi, appelait à la renégociation des marchés de distribution.

Cet enjeu avait bien été souligné par la revue Crise en avril 2020. Il y était écrit :

« Le marché de la drogue est plus que tout autre conditionné par le flux-tendu. La rupture d’approvisionnement a été fatale, et cela d’autant plus que de nombreux consommateurs ont constitué des stocks juste avant le confinement. On a là aussi un aspect de la profonde décomposition morale, psychologique, d’une partie de la jeunesse masculine française, littéralement paralysée par la crise.

L’effondrement de l’offre s’est donc réalisée en parallèle d’une explosion de la demande, avec une chute d’au moins un tiers du trafic. Le résultat a été que les prix ont explosé, avec une hausse estimée entre 30 à 60 %.

La barrette de 100 grammes de cannabis est par exemple passée de 280 à 500 euros en une semaine, augmentant les rivalités entre bandes de dealers. »

De ce fait, les associations de criminels formés avant la crise du Covid-19 ont du revenir à la charge de manière plus affirmée, tant dans leur capacité d’approvisionnement que dans celle du contrôle de la main d’œuvre et des points de distribution.

Il a fallu garantir les anciens points de distribution mais aussi et surtout en conquérir de nouveaux, occasionnant de nombreux règlements de compte, participant à la réorganisation-désorganisation générale des anciens réseaux. L’affrontement le plus connu étant à Marseille entre la « Yoda » et la « DZ Mafia » pendant l’année 2023.

Un autre aspect a été l’explosion de la production consécutive à l’explosion de la consommation, notamment de cocaïne et de drogues de synthèse. En 2023, on parle de cinq millions de consommateurs de cannabis, mais aussi de près de 600 000 de cocaïne.

Cette nouvelle tournure est marquée par l’implication croissante de jeunes, voir de très jeunes personnes recrutées sur les réseaux sociaux pour occuper les postes du bas de l’échelle du trafic mais aussi pour remplir des missions de liquidation de concurrents ou d’intimidation de tout un point de deal.

Dans le contexte de crise générale du capitalisme, il a fallu reconquérir les anciens points de deal, tout autant que s’élargir. Cela a débouché sur le renforcement des réseaux, allant jusqu’à la cartellisation, la transformation en véritable cartel ou du moins un grand pas en ce sens, comme l’illustre la « DZ Mafia ».

Tout cela n’aurait pas été possible sans avoir au préalable un état d’esprit favorable, tout à la fois du côté des consommateurs et du côté des « travailleurs » (« charbonneurs », « charkleurs »…).

La décompression psychique d’après les confinements a ainsi produit un terrain social et culturel propice à l’éclosion de personnalités mi-zombies, mi-gangster ainsi qu’à banaliser la consommation généralisée de drogues dans la société allant jusqu’au relativisme le plus complet quant aux conséquences du trafic.

Lumpenprolétaires et zombie life-style

Les « émeutes » de juin 2023 à la suite de la mort du chauffard Nahel ont rappelé à la France le poids social et culturel pris dans la société par le lumpenprolétariat. Ce poids se caractérise par le triomphe de la mentalité du « petit seigneur » qui permet à des individus décomposés de se relancer dans la vie capitaliste par la terreur anti-sociale.

C’est un retour en arrière en ce qu’il remet au goût du jour la mentalité esclavagiste. C’est-à-dire dans une société capitaliste développée où l’individu-égocentré doit se valoriser sur les marchés de la société de consommation en utilisant et exploitant les autres par des moyens de truquage, de combine, de mensonge, voir pour certains la violence. C’est le cannibalisme social ou « l’art » de manger les autres pour favoriser sa propre existence, sa propre valorisation sociale.

Si l’on ajoute à ce contexte historique le fait que certains pans du lumpenprolétariat se trouvent d’ores et déjà ancrés dans des mécanismes de reproduction sociale permettant une certaine stabilisation autour du trafic de drogue, ainsi que le climat général de fatigue psychique sur fond d’esprit récréatif-libéral, on a alors les conditions historiques pour que l’extension du narcotrafic se réalise sans obstacles de taille.

Plus généralement, l’individualisme, l’entrepreneur conquérant, la survivance d’une mentalité à moitié féodale dans une immense partie du monde, « l’happycratie » récréative permanente, l’oubli de soi et d’autrui forment autant de valeurs issues d’une société bourgeoise en putréfaction qui produit en retour des horreurs, des monstres.

Car dans la couche du lumpenprolétariat, ces valeurs qui accompagnent le modèle de la réussite bourgeoise ne peut que prendre une tournure morbide et mortifère.

C’est là que se joue le retour en arrière comme moyen de parvenir à gagner de grosses sommes d’argent : c’est la quête de l’argent rapide que l’on espèce obtenir à peu de frais dans une société qui a abandonné toute envergure morale et culturelle.

Cela aboutit à des faits terribles comme ce 6 octobre 2024 où le chauffeur VTC Nassim Ramdane est abattu par un adolescent de 14 ans sur la route d’une mission visant à liquider des concurrents pour le compte d’un donneur d’ordre de 23 ans agissant depuis sa prison.

Cet adolescent avait lui-même des parents incarcérés pour trafic de drogue, errant par conséquent entre familles d’accueil, foyers et points de deal, avant donc de devenir « charcleur » (tueur à gage, sorte de sicario à la française). On a là de très jeunes personnes en décrochage total avec la réalité, totalement désensibilisées au contact d’autrui et du réel.

Ainsi comme l’a souligné à plusieurs reprises les précédents numéros de la revue Crise, les débuts de la seconde crise générale du capitalisme se matérialise par une spécificité historique, celle d’un lumpenprolétariat en roue libre.

À la différence des XIXe et XXe siècle, notre époque est marquée par l’inexistence d’une classe ouvrière organisée, au sens où c’est une classe irresponsable quant à sa mission historique, et par une bourgeoisie décadente qui ne porte plus rien de positif, de constructif. Il n’y a donc plus d’encadrement social effectif qui tienne.

Dans un tel contexte, le lumpenprolétariat cannibalisé devient l’agrégateur d’un style, d’une mode valorisée et valorisante pour des tas de zombies de la métropole. Ce mode de vie, car c’en est un, se propage alors à tous les étages de la société, avec donc son attitude, ses codes, ses habits, sa musique, son mode de déplacement. On pensera ici à bon nombre de clips de rap valorisant ce mode de vie.

Ce mode de viese nourrit du pire de la bourgeoisie « moderniste » et du pire des restes du passé féodal.

Pour la bourgeoisie, la valorisation typique des comportements lumpen est un miroir inversé de sa propre condition cosmopolite, anti-sociale, ultra-individualiste, de la même manière que la mentalité de petit seigneur agissant pour sa propre compte sans égard pour autrui est le reflet de l’ultra-riche ayant coupé les ponts avec le reste de la société.

En mettant en avant une telle attitude qu’elle qualifie de « populaire » car ayant une lecture misérabiliste et populiste du monde, la bourgeoisie espère se protéger du feu de la lutte des classes en paralysant la classe ouvrière. En ce sens, la substance de la seconde crise générale ne diffère pas ici de la première crise générale avec un lumpenprolétariat qui joue toujours ce rôle de supplétif culturel de la bourgeoisie.

En somme, on peut résumer un des aspects de la seconde crise générale comme suivant : crise du capitalisme + décadence de la bourgeoisie = valorisation du lumpenprolétariat = banalisation du cannibalisme social.

L’État bourgeois dépassé par la situation

Comme on le sait, la bourgeoisie ne pense pas, elle ne planifie pas. Lorsque la crise du Covid-19 a tout désorganisé, elle n’avait pas conscience du phénomène, moins encore des conséquences. C’est tout à fait vérifié avec la question des prisonniers libérés lors du premier confinement et de manière plus générale sur le délitement de la prison comme moyen d’isoler les éléments anti-sociaux.

De nombreux réseaux de trafic sont ainsi pilotés directement par des détenus emprisonnés, la prison ne jouant plus aucun rôle contre l’extension des mafias. Car au-delà du fait que des dealers continuent leur business malgré leur emprisonnement, la prison est une plateforme de rencontre où des alliances se nouent, permettant aux réseaux de se transformer progressivement en des cartels.

Une des raisons à ce processus réside dans le déploiement de nouveaux moyens technologiques tels que l’usage de drones pour se faire acheminer des téléphones portables.

Bien qu’infiltrés et craqués en 2020 par la gendarmerie, il faut citer les EncroPhone, des téléphones sécurisés aux messageries cryptées, déjà utilisés par certains cartels mexicains ayant permis d’éviter de trop grosses saisies policières.

Mais c’est surtout dans le relâchement du personnel pénitentiaire et de tout l’appareil d’État que réside le problème, avec une tendance à laisser-faire, laisser-passer dans le but de gagner la paix civile dans des prisons surchargées.

Un fait marquant illustrant ce processus est sans aucun doute l’exfiltration par un commando ultra-militarisé du détenu Mohammed Amra dans le département de l’Eure au péage d’Incarville lors d’un de ses déplacements à bord de véhicules de l’administration pénitentiaire d’une prison de Normandie vers une autre. Outillés d’armes de guerre, le commando est parvenu à localiser le convoi et à le bloquer en sens inverse à la sortie du péage, faisant directement feu et tuant deux agents.

En décembre 2024, soit sept mois plus tard, le fugitif Mohammed Amra n’a toujours pas été retrouvé, ni même les membres du commando. C’est dire la capacité d’intervention des mafias en France contre, ou plutôt face à l’État lui-même.

Bien que des signaux étaient au rouge, et que des évènements hallucinants tels que l’affrontement tribale et armée à Dijon en juin 2020 sur lesquels la revue Crise s’était penché alors, l’État n’imaginait pas qu’un convoi pénitentiaire puisse être attaquer par un commando ultra-militarisé. La faillite est ici palpable et le réveil douloureux avec une société qui a brutalement pris conscience des enjeux réels.

Cette déliquescence du rôle de la prison est un témoin directe de l’érosion des capacités de direction de la bourgeoisie, devenue incapable de faire appliquer correctement des peines en visant la protection de la société dans son ensemble.

Car dans les faits, cette relative prise de contrôle des dealers sur les prisons aboutit à renforcer leur emprise sur les territoires, et donc à déliter les liens sociaux.

La sécurité n’est plus garantie dans certaines parties du territoire du pays avec pour conséquence le quasi remplacement de l’État par les réseaux criminels dans la gestion des affaires courantes. On parle ici d’immeubles, voir de quartiers tout entier. Le réseau prend ainsi en charge ses salariés sur un mode féodal, avec notamment des dommages et intérêts versés à la famille de jeunes « guetteurs » ou « charbonneurs » assassinés.

De manière plus générale, ce sont les jeunes les plus décomposés qui se retrouvent pris en charge par ces réseaux, devenant ainsi de la main d’œuvre disponible pour l’ensemble du réseau, c’est-à-dire évoluant au gré des jours sur plusieurs points de deal de la région.

De fait, une telle « socialisation » n’aurait pas été possible sans la diffusion des téléphones portables et des réseaux sociaux qui rendent la communication pour les recrutements sécurisées et fiables. On est plus dans le dealer vivant et évoluant dans son propre quartier, mais dans un secteur économique qui a réussi à « salarier » une partie de la jeunesse lumpen.

Cette prise de contrôle social s’étend maintenant vers le contrôle des flux légaux locaux et la remise en question de la présence étatique elle-même En valent pour preuve les rackets d’épicerie et de petits commerces à Marseille, l’intimidation débouchant sur la fermeture d’une agence d’office HLM dans un quartier à Nantes en 2023, la déviation de lignes de bus en banlieue lyonnaise la même année, la suspension du distribution du courrier postal dans un quartier de Saint-Nazaire ou bien la fermeture d’une cantine scolaire à Échirolles en 2024.

Ce qui se passe, c’est bien la tendance à la « mexicanisation » de la France, avec des poches territoriales où les mafias imposent un « nouvel » ordre fondé sur un retour en arrière fait de racket, de règne de la terreur de type seigneuriale, mais aussi d’encadrement social et culturel d’une partie de la jeunesse.

La bourgeoisie avait établi un « deal » avec les trafics en tant qu’expression historique : l’État devait laisser relativement la drogue circuler pour garantir la paix sociale, mais cela ne devait pas déborder un cadre délimité. Par-exemple, les bailleurs HLM acceptent le paiement en cash des loyers, ce qui en dit long sur la tolérance envers les revenus du narcotrafic.

Mais depuis l’irruption de la crise en 2020, de nombreux faits attestent d’agissements de trafiquants débordant du cadre et impactant la vie civile elle-même : la société française est au début de la prise de conscience du poids considérable pris par les agissements des réseaux de drogue.

Pourri par le libéralisme et par un nivellement vers le bas de ses propres cadres salariés dirigeants, la bourgeoisie est dépassée par la situation. Quoi qu’elle fasse, elle ne peut plus grand-chose contre le narcotrafic et cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il y a la situation financière d’un État au bord de la faillite, devant forcément chercher à limiter le budget en faveur des forces régaliennes comme la police et la gendarmerie, et cela même dans un contexte où ces mêmes forces sont accaparées par le travail administratif et la gestion des violences intra-familiales ne restant plus dans le silence des vies privées.

Mais là n’est pas l’aspect principal. La question de fond réside dans la nature d’un capitalisme en crise qui a trop laissé couler les choses, avec une corruption de basse intensité qui agit comme le meilleur corrosif. L’État a laissé faire en ne bousculant pas trop les choses afin de garder un peu de calme civil, se retrouvant vite pris au piège des sommes colossales en jeu, permettant une masse de corruption.

On parle ici de rémunérations folles pour réaliser des « petits faits » opérés aux bons endroits des maillons des trafics : fermer les yeux sur le déplacement d’un conteneur transportant de la drogue dans un port, faire traîner la rédaction d’un acte juridique le rendant caduque, faire fuiter par erreur des données d’un fichier de police permettant la fuite ou le déplacement des « nourrices », conserver quelques kilos de drogues chez soi, participer à l’investissement dans un bail commercial légal pour faciliter le blanchiment…

Enfin, on notera ici le rôle important joué par la monnaie fiduciaire, dont l’économie légale qui pourrait être définitivement remplacé par la monnaie scripturale mais cela entraverait les trafics et son rôle dans l’accumulation capitaliste.

C’est la raison pour laquelle l’institut de statistique (INSEE) de l’État bourgeois a intégré en 2018 le trafic de drogue dans le calcul du PIB. C’est là le reflet de l’intégration du trafic de drogue comme secteur du capitalisme, jouant un rôle particulier dans la circulation du capital tout autant dans la métropole impérialiste que dans certains pays semi-coloniaux, semi-féodaux.

L’imbrication des têtes de réseau dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux

Le trafic de drogue ne pourrait exister dans son ampleur actuel sans qu’il n’y ait une imbrication profonde avec des pays tels que le Maroc, l’Algérie, la Thaïlande, Dubaï.

D’abord parce que ce sont des zones arrières éloignées des ennuis immédiats du trafic, ensuite parce que les têtes se trouvent au plus près de la production de la drogue. On sait comment la vallée du Rif au Maroc est le premier producteur de cannabis illégal à destination de l’Europe. Enfin, surtout, ces pays sont importants car ils regorgent de facilités pour le blanchiment de l’argent.

On parle de pays aux traditions féodales, favorisant les échanges contractuels informels sans être trop regardant sur l’origine des sommes en jeu. Aussi Dubaï et la Thaïlande forment des espaces de vie typique pour satisfaire ces gros capitalistes cherchant à dépenser leur argent dans la décadence la plus totale. Cela alimente en retour les aspirations régressives des salariés d’exécution du réseau, cherchant à atteindre au plus vite ce train de vie.

Ces pays sont également des points d’appui pour le blanchiment de l’argent. Le chiffre d’affaire d’un point de deal se partage en frais fixes, comme payer les salariés du réseau, les voitures, les armes, etc., et le reste revient au gérant-propriétaire qui se doit donc de trouver une solution pour réutiliser des sommes astronomiques disponibles seulement en liquide.

Pour ce faire, un trafiquant peut jouer la carte du réinvestissement de sommes de moyenne importance dans des petits commerces comme des épiceries, des kebab, « barber shop », etc.

Il y a aussi la prise de contrôle des boites de nuit pour générer ensuite des fausses factures facilement dissimulables du fait des sommes dépensées en liquide lors de soirées spéciales. La mort de Nicolas devant la discothèque Le Seven à Saint-Peray le 31 octobre 2024 relevait d’une de ces tentatives de prise de contrôle.

Mais il y a d’autres moyens plus complexes. Ce sont par-exemple les partenariats avec des entreprises de construction qui emploient une main d’œuvre non déclarée issue de l’immigration, et a donc besoin de cash. Les trafiquants interviennent dans le blanchiment par ce biais là, et les patrons des entreprises montent des sociétés écrans générant des fausses factures pour rembourser les sommes en cash. Cette forme de blanchiment ne pourrait exister sans le processus d’émigration-immigration des pays semi-coloniaux, semi-féodaux vers les métropoles impérialistes.

Enfin et surtout, il y a le rôle joué par les « sarrâfs » qui signifie « agent de change » en arabe. Un « sarrâfs » est une sorte de financier occulte, dont l’origine vient du Moyen-Age lorsque des banquiers facilitaient les échanges le long des routes commerciales du Moyen-Orient en pratiquant l’hawala.

L’hawala est une méthode de transfert d’argent informel qui repose entièrement sur la confiance entre les contractants qui se connaissent sur une base le plus souvent communautaire. L’argent de la drogue est ainsi remis à des collecteurs agissant pour le compte du « sarrâfs » qui dispose d’équivalents dans d’autres pays et remet cette somme à la tête de réseau dans le pays où il réside.

Très difficile à tracer et fonde sur une confiance interpersonnel, le système des « sarrâfs » permet de blanchir des sommes très importantes… Cela peut également fonctionner sous la forme de « compensations » immobilières ou foncières. Ce système de l’hawala est central pour le blanchiment des sommes les plus importantes du trafic, notamment pour acquérir des terrains ou des immeubles.

Le développement de pays tels que le Maroc ou bien Dubaï, ayant bénéficié du développement capitaliste de ces trente dernières années, permet d’offrir une base arrière aux têtes de réseaux tout en continuant à proposer des relations aux mœurs semi-féodales essentielles au maintien des formes de blanchiment.

Un exemple : les prétentions « républicaines »
de Fabien Roussel du PCF contre les narcotrafics

À Grenoble en septembre 2024, Lilian Dejean, un agent public en service était abattu par balles par un meurtrier issu du narcobanditisme. C’est que la narcotrafic à Grenoble s’est emparé de nombreux endroits de la ville et de ses banlieue, faisant régner un climat de terreur insupportable pour bon nombre de gens.

C’est le cas notamment du quartier Saint-Bruno dans le centre-ville régulièrement touché par des règlement de compte par armes à feu, la direction de l’école situé aux abords de la place centrale modifiant parfois les itinéraires de sortie scolaires des enfants. Face au pourrissement de la situation, 300 habitants organisés dans un collectif se sont rassemblés samedi 23 novembre 2024 pour exiger une prise en charge de la sécurité. On parle de fusillades régulières dans une ambiance délétère de terreur, certaines balles ayant récemment atteint des logements et avec des itinéraires de sortie scolaire devant être déviés pour éviter la place centrale du quartier.

Or Grenoble, c’est aussi sa banlieue avec une tradition liée à l’implantation du PCF, ce qui avait fait une ceinture rouge. Échirolles relève de cet héritage avec un mairie tenue par le PCF depuis 1944. Dans un de ses quartiers de la ville, le narcobanditisme pratique une terreur quotidienne, avec notamment un point de deal devant l’école Elsa-Triolet, poussant dernièrement le maire à fermer la cantine scolaire. À Saint-Martin-d’Hères, commune limitrophe d’Échirolles dirigée par un maire soutenu par le PCF, c’est un « drive » pour la drogue qui est installé au cœur d’une aire de jeu pour enfants….

C’est la raison pour laquelle Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, s’est rendu en Isère mardi 26 novembre 2024 en mettant en avant cette thématique. Après s’être rendu à un rassemblement de 400 personnes à l’appel de la maire d’Échirolles pour demander l’installation d ’un commissariat de plein exercice, il s’est rendu à Pont-de-Claix pour apporter son soutien aux salariés de l’industrie chimique Vancourex menacée de fermeture, avant de terminer par un meeting à Fontaine sur le thème de la sécurité et de la lutte contre les narcotrafics.

Fabien Roussel a joué le tribun populaire, avec la prétention de « prendre la tête de ce combat à gauche dans tout le pays ». Il y a distillé des formules chocs, comme « Barrons la route à la drogue », « Délinquants en col blanc, en prison comme tout le monde ». Et la maire PCF d’Échirolles Amandine Demore de parler du trafic d’armes et de drogues comme le « pire du système capitaliste ».

Des formules qui frappent mais sont totalement vaines… Car pour le PCF, l’expansion du narcobanditisme serait seulement la faute de l’État, rien que de l’État avec la perte d’effectifs dans les instances régaliennes (police, justice, douanes, enquêteurs…). Le combat contre le narcobanditisme serait le « combat de tous les républicains » , « au-delà des clivages ».

En bon élève le PCF veut présenter un projet de lutte contre le narcotrafic au Ministère de l’intérieur début janvier 2025, dont on sait déjà qu’il ne sera guère différent de ce que contient finalement le rapport du Sénat de mai 2024. En effet, selon Fabien Roussel, il s’agirait d’avoir p lus de policiers et douaniers en lien avec une traque des réseaux bancaires du blanchiment pour en finir avec le narcotrafic.

Évidemment, ce sont là des aspects de la bataille, mais qui en néglige la nature fondamental : celle de la mobilisation du peuple sur des valeurs nouvelles. Ce que ne dit pas le PCF c’est que le pourrissement du capitalisme engendre forcément un pourrissement des mentalités, une moisissure de l’esprit fait de passivité et de fuite en avant dont la drogue est un des exemples les plus morbides et mortifères. Le problème est ainsi historique et culturel et non pas seulement « sécuritaire ».

Le PCF s’est laissé couler et ses anciens bastions se sont transformés en des pointes avancées du deal. C’est vrai de la banlieue de Grenoble comme de la Seine-Saint-Denis. Il faut se souvenir ici de la mort en juin 2020 par règlement de compte à Saint-Ouen d’un jeune homme présenté comme chef du point de deal local tout en étant sympathisant du PCF, apprécié de ce parti lui-même !

Le PCF a continué sa vie tranquille marquée par la sociabilité associative « pépère ». Ainsi Fabien Roussel peut-il encore parler lors de son meeting à Fontaines d’une vie pleine de rêves à Grenoble car elle serait une ville entourée des montagnes et de la chartreuse (alcool local très fort) et des « meilleures vins rouges ». Le PCF peut donc avancer un combat « républicain », cela est carrément démagogique car en diffusant l’idée d’une possible « vie tranquille » à l’ombre d’un État déliquescent, il dessert la prise de conscience populaire de l’ampleur des tâches à réaliser.

Le poids pris par les narco-trafics impose la construction d’un nouvel État

La lutte contre la place prise par les narco-trafics en France ne peut donc se passer d’une lutte des classes aiguisée. La faillite de l’État bourgeois dans le contexte de la seconde crise générale ne pourra pas endiguer réellement l’extension des narcos car il y a un besoin de répression absolue tant de la bourgeoisie décadente que du lumpenprolétariat.

Le business de la drogue a trouvé à se nourrir de la destructuration du tissu prolétarien, en exploitant habilement des pans du lumpenprolétariat se retrouvant en errance totale. Une errance favorisée par une situation sociale marquée par la paupérisation absolue du fait d’un pays n’ayant plus de base industrielle en mesure de socialiser par le travail l’ensemble de la population.

De fait, la Révolution visant le Socialisme en France se doit de prendre en compte cette problématique avec en ligne de mire le changement moral. Car ce dont il va s’agir, c’est de modifier les consciences pour éradiquer le poids croissant de la consommation de drogue. Il va falloir combattre les consommateurs qui permettent à de tels trafics de prospérer car l’offre n’existe que parce qu’il y a une demande. À cela s’ajoute un pouvoir d’État planifiant l’industrialisation du pays pour réintégrer grâce à des camps de travail les errements du lumpenprolétariat tout autant que pour mater sévèrement les responsables de la bourgeoisie décadente. ■

Série de faits de violence anti-sociale issus du narco-banditisme impactant la vie civile en France depuis mars 2023

  • 4 mars 2023 : dans le quartier Nord de Nantes, le bailleur social Nantes Métropole Habitat est fermé depuis plusieurs semaines après des intimidations et menaces de mort proférées par des dealers à proximité.
  • 24 avril 2023 : à Marseille, cité La Busserine, un homme d’une soixantaine d’années meurt après avoir reçu des balles de kalachnikov alors qu’il jouait aux cartes à la table d’un café
  • 10 mai 2023 : à Marseille, cité Saint-Joseph, une femme de 43 ans meurt tuée par balle alors qu’elle se trouvait dans sa voiture.
  • 22 août 2023 : à Nîmes, quartier Pissevin, un enfant de 10 ans est tué par balles alors qu’il rentrait en voiture avec son oncle d’une sortie au restaurant.
  • 10 septembre 2023 : à Marseille, cité Saint-Thys, une jeune étudiant de 24 ans est tuée d’une balle de kalachnikov dans la tête alors qu’elle se trouvait dans sa chambre.
  • 19 octobre 2023 : à Montpellier, cité Saint-Martin, un homme tir au fusil à pompe à l’aveugle vers 21h. Une balle pénètre la salle de bain d’un appartement du 5e étage de l’immeuble, blessant une femme de 25 ans.
  • Nuit du 25 au 26 novembre 2023 : À Dijon, quartier de Stalingrad, un homme de 55 ans meurt après avoir reçu des balles de kalachnikov alors qu’il dormait dans sa chambre de son appartement situé au 1er étage. L’immeuble a été mitraillé, avec près de 60 douilles retrouvées sur place.
  • 14 mai 2024 : au péage d’Incarville dans l’Eure, un commando armé de kalachnikov extirpe d’un convoi pénitentiaire le détenu impliqué pour trafic de drogue Mohammed Amra. Deux agents pénitentiaires sont tués, trois sont blessés.
  • 8 juin 2024 : à Marseille, cela fait un an qu’un centre médico-psychologique (CMP) est fermé à cause des violences de dealers exercées à proximité.
  • 13 juin 2024 : à Rennes, la mairie ferme la bibliothèque du quartier de Maurepas le samedi car la sécurité n’est pas assurée pour les agents du fait d’un point de deal à proximité.
  • 22 juin 2024 : à Cannes, deux individus cagoulés sur une moto tirs des balles de kalachnikov dans le quartier de la Frayère. Une balle traverse la cuisine d’une habitante.
  • 2 juillet 2024 : à Nice dans le quartier Bon Voyage, des individus masqués patrouillent en plein après-midi dans le quartier armés de kalachnikov.
  • 6 juillet 2024 : à Cahors, un père de famille d’origine russe de 36 ans est battu à mort par des dealers après s’être opposé à l’installation d’un point de deal en bas de chez lui.
  • 17 juillet 2024 : à Nice, sept membres d’une même famille, dont trois enfants de 5, 7 et 10 ans, meurent dans l’incendie de leur appartement après que deux individus ait mis le feu à plusieurs étages de l’immeuble dans le cadre d’une « guerre de territoire ».
  • 8 septembre 2024 : À Grenoble, un dimanche matin, l’agent municipal en fonction Lilian Dejean est abattu par des balles de petit calibre tirées par un trafiquant sorti de boite de nuit et en délit de fuite après avoir causé un accident de voiture.
  • 21 septembre 2024 : à Villeurbanne, plusieurs impacts de balle sont constatés sur la façade d’un immeuble. Des balles traversent un appartement, endommageant une télévision et un canapé du salon.
  • 24 septembre 2024 : la mairie PCF d’Échirolles ordonne l’évacuation d’un immeuble habité par une vingtaine de familles exposées à un « danger de mort permanent » du fait de la dégradation avancée des parties communes par les dealers
  • 25 septembre : les professeurs du collège Mallarmé à Marseille exercent leur droit de retrait après des tirs d’armes de guerre sur l’établissement (87 impacts) et un tag « coffee » (signifiant un point de deal) sur l’un des murs de l’enceinte scolaire.
  • 27 septembre 2024 : à Caluire-et-Cuire, les habitants cherchent à déloger des dealers venus s’installer dans le quartier. Certains sont blessés par des coups de couteau.
  • 3 octobre 2024 : le chauffeur de VTC Nassim Ramdane est tué par un jeune « sicario » car il aurait refusé de le conduire lui et un de ses complices pour aller assassiner un concurrent.
  • 9 octobre 2024 : une vidéo est diffusée sur les réseaux sociaux où l’on voit des individus armés, habillés de noir et cagoulés devant une table orné d’un banderole « DZ Mafia » dans un but de « non-revendication » du meurtre du chauffeur VTC Nassim Ramdane et d’un autre concurrent.
  • 12 octobre 2024 : à Marseille, un bus de la ligner 23 est contraint de s’arrêter après qu’un individu armé à bord d’un scooter ait visé le bus car recherchant de passagers. La zone est connue comme l’un des plus gros point de deal de la ville, avec des bus forcés de zigzaguer entre les barrages filtrants construits par les trafiquants.
  • 20 octobre 2024 : à Marseille, la direction de la RTM fait dévier une ligne de bus passant à proximité de points de deal pour protéger les chauffeurs d’une « balle perdue » issue de règlements de compte.
  • 24 octobre 2024 : à Bordeaux, à 17h, un groupe de migrants liés au trafic de drogue attaque avec du mobilier urbain des commerçants sur un cours du centre-ville.
  • 26 octobre 2024 : à Rennes, un père, probablement lié au trafic de drogue, avec son fils de 5 ans, est pris en chasse par un véhicule avec des individus armés à bord qui font feu. L’enfant de 5 ans est touché par balles à la tête.
  • 31 octobre 2024 : à Poitiers, un affrontement violent oppose plusieurs dizaines d’individus après que certains soient venus mitrailler un « fast-food » sur la place Coimbra du quartier des Couronneries. Cinq blessés sont constatés.
  • 31 octobre 2024 : à Saint-Peray en Ardèche, un jeune homme venu faire la fête est tué à l’arme de poing devant la discothèque Le Seven dans le cadre d’une tentative de prise de contrôle par la « DZ Mafia » de la boite de nuit.
  • 1er novembre 2024 : dans le quartier nord de Nantes, un tir de kalachnikov traverse les pièces d’un appartement.
  • 13 novembre 2024 : à Marseille, une supérette des quartiers de nord est ciblée par un commando armé de la « DZ Mafia » en vue de son extorsion.
  • 18 novembre 2024 : Au quartier la Trébale à Saint-Nazaire, un pompier en tournée de vente de calendriers est agressé par une dizaine de jeunes liés au point de deal, l’obligeant à prendre la fuite.
  • 20 novembre 2024 : à Saint-Nazaire, la direction de la poste suspend la distribution du courrier à une adresse impactée par le trafic de drogue et ses violences régulières. Il est envisagé de continuer la distribution du courrier « en dehors des horaires d’ouverture du point de deal ».
  • 25 novembre 2024 : à Marseille, un individu asperge d’essence la porte d’un appartement où résidait une policière récemment licenciée, quelques jours après une autre tentative d’incendie du même appartement et des coups de feu sur l’immeuble. Le même jour, un commando armé attaque le bureau de l’Office anti-stupéfiants de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle pour récupérer une vingtaine de kilogramme de cocaïne géolocalisée par les trafiquants.

Présentation du panarabisme et de son échec

Panarabisme, panafricanisme, panaméricanisme

Il existe des courants de pensée qui considèrent que l’Amérique latine, le monde arabe, l’Afrique… seraient forcément « socialiste », de par leur nature ; il n’y aurait nul besoin d’ajouter le communisme, qui par ailleurs serait « occidental ». On est dans l’idéalisme, où des propriétés magiques sont attribuées à une sorte de civilisation imaginaire qui existerait sans exister. Il suffirait de les rétablir pour que tout aille bien. D’où un grand volontarisme communautaire, un culte de l’élan vital : ce sont le panaméricanisme, le panarabisme, le panafricanisme.

C’est naturellement là une démagogie qui ne fait que servir une idéologie nationaliste, masque de différents intérêts locaux tant qu’expansionnistes. Ce sont les idéologies de la grande Syrie, de la grande Turquie, de la grande Colombie, etc.

En Amérique latine, cette démarche a littéralement pourri toute la gauche, tout le marxisme, à l’exception notable du Pérou. Dans ce pays, José Carlos Mariátegui a affirmé la nécessité d’une analyse matérialiste historique de la réalité nationale, ce qu’il a fait pour son pays en 1928 avec ses Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne. Il s’oppose ainsi à son époque à Víctor Raúl Haya de la Torre et son « Alliance populaire révolutionnaire américaine » (APRA).

Le fameux Ernesto Che Guevara se situait, en pratique, dans la perspective de Haya de la Torre. Il se revendiquait du marxisme-léninisme, mais il avait une conception panaméricaine du monde. C’est qu’il agissait dans le cadre de Cuba, pays où le « Parti Communiste » a été mis en place de manière artificielle après l’indépendance conquise sur la superpuissance impérialiste américaine.

Aligné sur le le social-impérialisme soviétique, Cuba a mis en avant le panaméricanisme comme vecteur de l’influence soviétique. En fait, tous ceux qui dans le tiers-monde se plaçaient dans l’orbite soviétique, que ce soit des pays ou des partis, étaient des diffuseurs du panaméricanisme, du panarabisme, du panafricanisme.

Avec le révisionnisme triomphant, l’URSS avait abandonné toute critique des vestiges féodaux, de la formation d’une nouvelle féodalité avec des grands propriétaires terriens, du développement d’un capitalisme bureaucratique. C’est la Chine populaire de Mao Zedong qui va assumer cette ligne et la développer.

Le social-impérialisme soviétique parlait de capitalisme, d’un capitalisme opprimé qui existerait dans les pays du tiers-monde.

Il faudrait donc soutenir la « bourgeoisie nationale ». Le but était en réalité de faire en sorte qu’une nouvelle bourgeoisie bureaucratique remplace l’ancienne, pour passer dans l’orbite soviétique et non plus américaine.

L’appui au panaméricanisme, au panarabisme, au panafricanisme était donc très utile, car cela permettait de promouvoir des coups d’État de la part de jeunes officiers, de donner une ligne à une bourgeoisie bureaucratique concurrente à celle dominante.

On est ici dans une idéologie artificielle : le panaméricanisme, le panarabisme, le panafricanisme sont produits en laboratoires par des intellectuels, ayant par ailleurs eu une éducation dans les pays occidentaux. Il en va de même somme toute pour l’idéologie du FLN en Algérie, pour l’islamisme, pour le panislamisme qui se développent au même moment.

Ces courants rencontrent un grand succès, de par leur idéalisme « volontaire », dans les différentes couches petites-bourgeoise urbaines ; elles sont totalement à l’écart des masses ouvrières et paysannes.

Et l’URSS social-impérialiste valorise ces courants, afin de faire décrocher le plus de pays possibles de l’orbite américaine, pour avancer elle-même vers l’hégémonie mondiale.

Le panarabisme étatique, de Nasser à Saddam Hussein

La plupart du temps, le Front Populaire de Libération de la Palestine est présenté comme étant marxiste, voire marxiste-léniniste. En réalité, son idéologie est le nationalisme arabe, et le nationalisme arabe considère qu’il est naturellement « socialiste ». On chercherait en vain pourtant une analyse matérialiste historique, des références scientifiques aux œuvres de Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

Il y avait à la fin des années 1960 une certaine attirance pour le communisme, effectivement, de la part de certains courants nationalistes arabes, comme effectivement le Front Populaire de Libération de la Palestine. Cela fut toutefois éphémère et superficiel, et de toutes façons marginal.

Le noyau dur du panarabisme resta, en effet, soigneusement à l’écart du « marxisme ». Ses grands acteurs prenaient bien soin de ne jamais avoir l’air de s’aligner, d’une manière ou d’une autre, sur une idéologie prônant l’athéisme.

Pour autant, ils défendaient en même temps la laïcité. Le paradoxe s’explique ainsi : ils voyaient en l’Islam un idéalisme propre à la nation arabe. C’était naturellement en réalité un prétexte pour auto-justifier leur propre ligne et leurs actions de petits-bourgeois cherchant à prendre les commandes d’un pays.

Le FLN algérien est exemplaire d’une telle approche, mais les figures les plus connues sont l’égyptien Gamal Abdel Nasser, le syrien Hafez al-Assad, l’Irakien Saddam Hussein, le Palestinien Yasser Arafat, le Libyen Mouammar Kadhafi.

Concrètement, n’ont été concernés que l’Égypte, l’Irak, la Libye et la Syrie, ainsi que le Yémen. Cela n’empêche pas qu’il existe des liens forts entre les pays arabes, au-delà du panarabisme : la ligue arabe est ainsi fondée en mars 1945, avec l’Égypte, l’Irak, la Syrie, le Liban, la Transjordanie, l’Arabie saoudite et le Yémen.

Du côté panarabe plus directement, il y a d’abord une République arabe unie qui naît en 1958, composée de l’Égypte et de la Syrie. Deux référendums eurent lieu en ce sens, dont les résultats reflètent bien la nature des régimes. On est dans le bourrage de crâne et la dictature militaire.

Sur la République arabe unieVoix pourVoix contre
Égypte6 102 128247
Syrie1 312 859139
Sur Nasser comme présidentVoix pourVoix contre
Égypte6 102 116265
Syrie1 312 808190

Le Liban a failli intégrer cette République arabe unie, mais il y eut une intervention américaine pour l’empêcher. Le Royaume-Uni envoya également des troupes en Jordanie pour s’assurer de la stabilité du pays.

Une Fédération arabe de l’Irak et de la Jordanie fut également mise en place par l’impérialisme occidental, pour faire contre-poids. Elle ne dura que six mois par contre, l’Irak connaissant un coup d’État militaire, panarabe et pro-soviétique. L’Irak ne rejoignit toutefois pas la République arabe unie, préférant temporiser.

Le Yémen du Nord, s’en rapprocha par contre, se plaçant à ses côtés pour former les États arabes unis. Cette partie nord du pays, en tant que République arabe issu d’un coup d’État militaire panarabe et pro-égyptien, affrontait la partie sud soutenue par l’Arabie Saoudite.

La fusion syro-égyptienne en tant que République arabe unie ne dura toutefois pas, en raison de la prise de contrôle de la Syrie par l’Égypte, ce qui fut considéré comme inacceptable et provoqua dès 1961 un coup d’État militaire, mené par Haydar al-Kouzbari qui était lié à l’Arabie Saoudite.

C’est révélateur : le panarabisme de Gamal Abdel Nasser, qui avait pris le pouvoir en 1952 en étant à la tête du « mouvement des officiers libres », n’était qu’un prétexte à l’expansionnisme égyptien ; ses propres réformes « anti-impérialistes » telles les nationalisations ne servaient que les intérêts d’un capitalisme bureaucratique se mettant en place.

Un contre-contre coup d’État eut lieu ensuite en Syrie en 1963, dirigé par Amine al-Hafez, rétablissant le panarabisme comme idéologie dominante, mais sans dépendance égyptienne. Le social-impérialisme soviétique poussa alors ses pions et, en 1966, Salah Jedid prend le pouvoir, encore par un coup d’État.

Le panarabisme est alors relativisé au profit de la ligne de la « grande Syrie » et il y eut de nouveau un coup d’État en 1970, par Hafez el-Assad, allié initialement à Salah Jedid mais qui envoya celui-ci 23 ans en prison. Hafez el-Assad représente une faction moins directement liée à l’URSS, tout en étant dans son orbite.

Malgré le départ de la Syrie de la République arabe unie en 1961, l’Égypte conserva la perspective, et même le nom de République arabe unie jusqu’en 1971.

La Libye se lança alors dans le processus ; elle avait connu un coup d’État militaire, en 1969, avec Mouammar Kadhafi. Celui-ci proposa la création d’une Union des Républiques arabes, avec son pays, l’Égypte, la Syrie.

Un référendum vint approuver cette union, avec 99,96 % de oui en Égypte, 98,6 % en Libye, 96,4% en Syrie. Les pays ne purent jamais se mettre d’accord cependant, et le projet disparut officiellement au bout de quelques années.

D’autres projets virent le jour entre-temps, dans la même perspective, avec une union entre l’Égypte et la Libye au sein de cette Union, puis entre l’Égypte et la Syrie au sein de cette Union.

La Libye se tourna également vers la Tunisie, pour la formation d’une République arabe islamique. Les propos de Mouammar Kadhafi à Tunis en décembre 1972 sont un bon exemple de son approche générale, très ambitieuse.

« Les luttes de libération nationale doivent maintenant déboucher sur un combat pour l’édification d’une nation arabe unifiée, du Golfe à l’Atlantique.

Les dirigeants doivent répondre aux aspirations des masses, et les monarchies sont moins à même de le faire que les régimes républicains qui doivent savoir briser avec le passé.

En Tunisie, la frontière avec la Libye est artificielle, elle a été inventée par le colonialisme. »

Ayant entendu ce discours à la radio dans son palais présidentiel, le président tunisien Habib Bourguiba s’était alors précipité sur les lieux du discours pour monter sur la scène et prendre le micro.

Il insista sur le fait que la Tunisie est née d’une longue lutte anti-coloniale et que le pouvoir en place ne vient pas d’un coup d’État. Habib Bourguiba se ralliera finalement à l’idée d’une République arabe islamique avec la Libye, mais le projet échoua dès le départ, en 1974.

Mouammar Kadhafi ne cessa jamais ses tentatives d’union, et son panarabisme se mêla au panafricanisme. Toutes les entreprises tentées – union avec le Tchad en 1980, le Maroc en 1984 – échouèrent par contre.

Finalement, Mouammar Kadhafi s’aligna sur le panafricanisme seulement, alors qu’il propageait sa « troisième théorie universelle », où l’Islam est interprété dans son « livre vert » pour une sorte de socialisme autogestionnaire.

Il finança nombre de groupes armés (comme l’IRA, les factions palestiniennes ou divers groupes terroristes transnationaux), tenta de jouer un rôle sur la scène diplomatique internationale à travers une figure particulièrement excentrique (venant dormir dans une tente lors de ses visites notamment à Paris, changeant régulièrement de costumes particulièrement tapageurs, etc.).

La dernière tentative d’union pan-arabe fut réalisée par Saddam Hussein, avec l’invasion du Koweit en 1990, qui échoua devant l’intervention militaire occidentale. Saddam Hussein avait également proposé sa propre version du panarabisme, appelé « saddamisme », où l’Irak prenait naturellement une place centrale, comme l’ Égypte auparavant dans le « nassérisme ».

La théorie : le ba’thisme

Le panarabisme a profité d’une théorie très développée, en laboratoire. Ses acteurs furent trois syriens : le chrétien Michel Aflaq, le musulman chiite alaouite Zaki al-Arsouzi, le musulman sunnite Salah Eddine Bitar.

Comme il se doit, ils sont le produit de la pensée capitaliste occidentale. Michel Aflaq et Salah Eddine Bitar ont étudié ensemble à la Sorbonne dans les années 1930, et c’est dans ce cadre qu’ils fantasment sur un concept qu’ils ont forgé, celui de « renaissance » ou « résurrection » (al-ba’th).

Cela va donner naissance au parti Ba’ath, plus exactement Hizb al-Ishtiraki al-Ba’ath al-Arabi – Parti socialiste de la résurrection arabe, qui va parvenir au pouvoir en Syrie et en Irak.

Cependant, la théorie panarabe pure de Michel Aflaq et Salah Eddine Bitar exigeaient des adaptations, notamment dans un sens pro-soviétique, qu’eux-mêmes refusaient.

Salah Eddine Bitar, après avoir été premier ministre, est obligé de s’exiler en catastrophe en 1966 ; il décédera assassiné à Paris en 1980, sans doute par les services secrets syriens. Michel Aflak est obligé de s’enfuir aussi, lui aussi condamné à mort par le régime, d’autant plus qu’il avait fait procéder à la dissolution du Parti Ba’ath au moment de l’unité avec l’Égypte. Il se réfugiera alors en Irak, comme conseiller idéologique de Saddam Hussein.

Zaki al-Arsouzi joua le même rôle, mais en Syrie. Il avait évolué initialement parallèlement à Michel Aflak et Salah Eddine Bitar, dans une perspective tout à fait similaire.

Il est d’ailleurs le premier à affirmer le concept de « ba’th », fondant un « parti » en ce sens, Michel Aflak et Salah Eddine Bitar suivant peu après avec un « mouvement ». La tendance « syrienne » du Ba’ath considère d’ailleurs que c’est Zaki al-Arsouzi le vrai fondateur du mouvement, ce que bien sûr la tendance « irakienne » réfute.

Quels sont justement les fondements du ba’thisme ? Le ba’thisme ne dit pas, comme le socialisme le fait, que les pays arabes ont des traits communs facilitant leur fusion, leur dépassement en tant que nations, dans une forme supérieure, avec au bout du processus la république socialiste universelle.

Le ba’thisme est un romantisme, qui affirme que l’unité arabe a existé au préalable, qu’elle a été perdue, qu’il faut la récupérer. Il met en avant ce mythe, afin de chercher à mobiliser les masses pour les faire soutenir une « élite » militaro-culturelle formant le parti dirigeant unique.

Cela a clairement fonctionné, avec les coups d’État militaire réguliers dans plusieurs pays, mais à chaque fois c’était dans le contexte de la concurrence des superpuissances.

Avec l’effondrement de l’URSS, l’idéologie panarabe s’est donc effondrée, alors qu’elle était de toutes manières déjà profondément affaiblie lorsqu’il était claire que l’URSS des années 1980 ne pouvait pas suivre le rythme.

L’Islam est devenu pour cette raison toujours plus prévalent. Initialement, l’Islam est pour le ba’thisme la preuve du caractère national arabe unifié originel et original, et aussi une source d’inspiration « socialiste ».

On est, en fait, dans une démarche fasciste, avec un État central puissant utilisant le corporatisme pour asseoir un rapport censé être « équilibré » entre les classes sociales, classes sociales qui n’existent de toutes façons que dans le cadre de la communauté nationale unifiée.

On comprend, avec cet arrière-plan, le slogan de Michel Aflaq : « Une seule nation arabe avec un éternel message », allusion à la nature censée être éternelle du Coran.

C’est le paradoxe d’un Arabe chrétien célébrant « la mémoire du prophète arabe », comme ici lors d’un discours prononcé dans l’amphithéâtre de l’Université syrienne le 5 avril 1943 :

« Messieurs, l’Islam, incarné dans la vie du prophète, n’est pas aux yeux des Arabes un simple événement historique qu’on expliquerait en terme, de temps et d’espace, de causes et d’effets.

C’est un mouvement si profond, si impétueux et si vaste qu’il est directement lié à la vie intrinsèque des Arabes prise dans l’absolu. Autrement dit, c’est une image fidèle et un symbole complet et éternel de la nature, des riches possibilités et de l’orientation authentique de l’âme arabe.

C’est pourquoi, nous pouvons considérer qu’il est constamment apte à se renouveler, non pas dans sa forme et dans sa lettre, mais dans son essence. L’Islam est l’élan vital qui actionne les forces latentes de la Nation arabe et qui fait que s’y déchaîne la vie ardente qui emporte les barrages du traditionalisme et les entraves du conventionnalisme et rétablit le lien avec les notions profondes de l’univers.

Prise de saisissement et d’enthousiasme, elle traduit ses sentiments en concepts nouveaux et en actions glorieuses. »

Saddam Hussein dira, à la mort de Michel Aflaq, que celui-ci s’était converti à l’Islam ; il n’existe toutefois pas de réelle preuve à ce sujet. C’est toutefois secondaire, car l’Islam est pour les ba’thistes non pas tant une théologie qu’un élan national, une mystique.

C’est pour cette raison que les ba’thistes sont républicains et laïcs : la religion doit rester une inspiration, une force mobilisatrice. Michel Aflaq soulignera de la manière suivante ce point dans Les Arabes entre leur passé et leur avenir en 1950 :

« La religion est une source jaillissant de l’âme. En souhaitant la laïcisation de l’Etat, nous visons surtout à libérer la religion des exigences et des contingences de la politique. Ainsi pourra-t-elle librement s’exprimer dans la vie des individus et de la société, imprégnant chaque esprit de manière profonde et authentique, condition préalable et nécessaire de la renaissance de la nation. »

Cette obsession mystique pour la « créativité » religieuse-communautaire s’accompagne systématiquement d’une dénonciation du « matérialisme » porté par le communisme. Le socialisme arabe est toujours considéré comme une entente entre les classes, une soumission à la nation comme communauté.

On peut résumer finalement toute cette idéologie fasciste avec ce propos de Michel Aflaq : « L’arabisme est le corps dont l’âme est l’islam ».

Il faut également mentionner le Syrien Constantin Zureik, passé par l’université américaine de Beyrouth, les universités de Princeton et du Michigan aux États-Unis. Il est le premier à avoir parlé de « nakba » (catastrophe) pour parler du drame palestinien en 1948.

Tenant d’une « mission arabe » sur le plan de la civilisation, il prônait l’éducation, avec l’Islam comme toile de fond – bien que lui-même était chrétien. Il a fondé en 1951 le Mouvement nationaliste arabe avec le Palestinien Georges Habache, qui va ensuite fonder et diriger le Front Populaire de Libération de la Palestine.

Cette dernière organisation n’a jamais été communiste ; elle est alignée sur le nationalisme arabe. Il en va de même pour le Parti Communiste en Syrie, qui eut comme dirigeant Khalid Bakdash de 1937 à 1995.

Si Khalid Bakdash a tenté de forcer les choses dans les années 1950, et a dû fuir temporairement en URSS, il est revenu en Syrie de manière officielle, où son « Parti Communiste » participe au front mis en place par le régime ba’thiste dès 1972.

Khalid Bakdash, laquais du social-impérialisme soviétique, a reçu à ce titre l’Ordre de la révolution d’Octobre en novembre 1972 et l’Ordre de Lénine en novembre 1982.

C’est un exemple excellent, car les « communistes » en fait révisionnistes se sont toujours soumis aux idéologies nationalistes panarabes, panaméricaines, panafricaines, reflet de leur soutien aux tentatives de former une nouvelle bourgeoisie bureaucratique en remplacement de l’ancienne.

Afin d’avoir une nouvelle bourgeoisie bureaucratique passant dans le camp soviétique, il fallait un justificatif idéologique : c’est là la fonction de ces idéologies, qui prétendent que la « bourgeoisie nationale » prenait son « indépendance » au moyen d’un front large, pour aller dans le sens d’enfin s’unir aux autres pays frères.

C’est ce qui a pourri la Cause révolutionnaire dans le tiers-monde, et ce jusqu’à aujourd’hui. Sans analyse concrète de la réalité nationale, sans pensée-guide, rien n’est possible, et ce n’est certainement pas en utilisant des constructions artificielles panaméricaines, panarabes, panafricaines qu’il est possible d’avancer.

La Russie a-t-elle réussi à contourner la dissuasion nucléaire, et va-t-elle être la première à employer une arme nucléaire tactique ?

La Russie a modifié sa doctrine de l’emploi de l’arme atomique, et ce n’est pas dû simplement à la situation militaire dans le conflit armé l’opposant au régime ukrainien soutenu par l’Otan. On est ici dans un redéploiement stratégique, qui correspond au rapport étroit de la Russie avec la Chine.

Il faut absolument comprendre cette question, car ce qui est en jeu, c’est l’emploi d’une arme nucléaire tactique. Son emploi apparaît, en fait, comme relativement inéluctable.

La quête du contournement de la destruction mutuelle assurée

Dans un ancien numéro de Crise, il était expliqué que les grandes puissances cherchaient à contourner le principe de la « destruction mutuelle assurée », car il fallait bien parvenir à une expansion, d’une manière ou d’une autre, sans pour autant déboucher immédiatement sur un conflit nucléaire généralisé.

L’article se trouve dans le numéro 18, datant de février 2022 ; son titre est « Les stratégies impérialistes de contournement de l’équilibre de la terreur à l’époque de la seconde crise générale du capitalisme : l’asphyxie comme approche de la superpuissance américaine, le délitement comme approche sino-russe ».

L’article a été publié juste avant le début du conflit armé en Ukraine, mais il était déjà annoncé depuis plusieurs mois dans Crise que cela se produirait immanquablement, de par les contradictions existantes.

Citons ici un passage sur la destruction mutuelle assurée.

« Il n’est guère possible de contourner le MAD à moins de disposer d’une supériorité technique tellement avancée qu’elle submerge l’adversaire. Les superpuissances ont bien entendu tout essayé en ce sens, mais leurs tentatives ont toutes échoué. L’idée de base, la plus élémentaire, est de pilonner de manière si massive que l’ennemi n’a pas le temps de réagir.

Le plan « Half Moon » de la superpuissance américaine visait en 1948 à lancer des bombes atomiques massivement sur 70 cibles soviétiques, vitrifiant 28 millions d’habitants. L’URSS n’avait alors pas l’arme atomique, qu’elle posséda en 1949. Mais au-delà de la question de l’arme ce qui est en jeu c’est bien entendu aussi voire surtout la capacité à faire accepter à l’opinion publique une telle offensive.

Avec le MAD, le principe de pilonner massivement se maintint, mais en raison de la réaction totale qu’implique le MAD et de l’équilibre technologique régnant, ce n’était pas possible, à moins de trouver des missiles qui aillent si vite et qui contournent tellement les défenses que l’adversaire n’ait aucunement le temps de réagir. »

Citons ici un passage sur la quête de contournement de cette destruction mutuelle assurée.

« Les impérialistes sont coincés, parce qu’ils aimeraient prolonger certaines situations, en profiter pour « déborder » militairement, mais ils ne le peuvent pas. Il a fallu trouver une parade. C’est là qu’il faut étudier l’asphyxie comme approche de la superpuissance américaine, le délitement comme approche sino-russe. »

Tel est le problème : comment avancer en termes d’expansion si un conflit lancé peut déboucher sur une guerre nucléaire devenant forcément généralisée ?

L’article dit que chaque camp a son approche. La superpuissance impérialiste américaine et l’Otan cherchent à profiter de leur suprématie militaire, économique, financière, culturelle… pour asphyxier.

On peut considérer que l’effondrement en douze jours de la Syrie en décembre 2024 est une expression d’une telle asphyxie. Le pays était sous embargo occidental, une opposition armée majeure existait au Nord soutenue par la Turquie, une partie du pays était géré par les forces armées kurdes directement soutenu par l’armée américaine, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis ont fait miroiter une ré-intégration internationale.

Du côté de la Chine et de la Russie, on vise le délitement. Comme le dit l’article,

« Il s’agit de provoquer des fissures, des failles, de systématiser les petits chocs, afin que soient provoquées des situations qui échappent à l’ordre impérialiste dominant dans sa substance et empêche l’équilibre de la terreur de s’imposer. »

Un exemple, idiot mais pas tant que ça, est le soutien russe aux « gilets jaunes » en France, notamment au moyen d’un média comme RT. Il s’agit de faire caisse de résonance à ce qui est contestation, remise en cause, troubles, etc.

La situation a changé : la possibilité de l’emploi d’une arme tactique

Les pratiques de contournement – asphyxie ou délitement – prennent un nouveau sens avec l’escalade militaire en Ukraine. C’est Emmanuel Macron qui a ouvert ici une nouvelle période historique, le 26 février 2024, en affirmant qu’était possible un envoi français de troupes au sol pour soutenir l’armée ukrainienne.

C’était là ouvrir la boîte de Pandore de l’intervention occidentale en termes militaires, chose qui va bien plus loin que la fourniture d’armements et d’informations.

Le second moment a été l’autorisation donnée par la superpuissance impérialiste américaine de mener des frappes en profondeur en Russie, au moyen de missiles américains. Le Royaume-Uni est sur la même ligne, la France ne le dit pas mais c’est le cas, seule l’Allemagne refuse encore.

C’est que l’emploi de tels missiles exige un calibrage, qui par définition ne peut être réalisé que par des experts formés dans les pays qui les ont fabriqués.

Cela veut dire qu’un missile américain envoyé en profondeur en Russie a forcément été paramétré par des cadres militaires américains. C’est pareil pour les Britanniques et les Français. Cela fait forcément passer un cap dans la belligérance.

Le troisième moment, cela fut la « rumeur » selon laquelle le régime ukrainien pourrait mettre en place une arme atomique. Cette rumeur d’octobre 2024 a amené le président ukrainien Volodymyr Zelensky à souligner que l’Ukraine n’envisageait pas de produire des armes nucléaires.

Cette hypothèse d’une éventuelle fabrication est indéniablement due aux factions ultras si puissantes en Ukraine, et qui sont confrontées aux graves revers sur le front, la Russie commençant à l’emporter.

Le quatrième moment, ce fut l’emploi du missile « Oreshnik » par la Russie, le 21 novembre 2024, contre une usine d’armement à Dnipropetrovsk (devenu « Dnipro » en raison de la loi ukrainienne sur la « décommunisation »).

En pratique, c’est un missile balistique intercontinental capable de transporter plusieurs ogives nucléaires, remplacées cette fois-ci par un armement conventionnel.

La Russie a modifié le missile pour qu’il soit de moyenne portée, mais cela ne change rien à la nature de « l’avertissement » à l’encontre des pays occidentaux. Il y a ici une démonstration de la capacité à « appuyer sur le bouton », sans ambiguïté : un tel missile coûte très cher pour un résultat qui n’a rien de spécial comparé aux missiles classiques.

Le paradoxe qu’on affronte alors fin 2024, c’est qu’on retombe alors à la case départ. La Russie, en affrontant l’Ukraine, qui n’est pas membre de l’Otan, ne provoque en théorie pas une situation où il y a un risque de destruction mutuelle assurée.

Et pourtant, la problématique est apparue de nouveau, poussée par les contradictions à tous les niveaux de ce qui est, somme toute, l’affrontement pour l’hégémonie mondiale entre les superpuissances impérialistes américaine et chinoise.

La modification de la doctrine russe de l’armement atomique

Le 19 novembre 2024, le président russe Vladimir Poutine a annoncé la modification de la doctrine russe concernant l’emploi de l’arme atomique. Ce n’était pas une surprise : il avait déjà affirmé le 25 septembre 2024, dans le cadre d’une réunion du Conseil russe de Sécurité, que de par « l’évolution de la situation militaire et politique actuelle », il s’agissait désormais « d’adapter en conséquence les dispositions du document de planification stratégique aux réalités actuelles ».

C’était néanmoins plus un avertissement qu’autre chose ; dans les faits, le changement de doctrine en novembre a été annoncé dans la foulée de l’emploi par l’armée ukrainienne de missiles américains à longue portée (les missiles MGM-140 ATACMS). Le rapport à faire entre les deux événements est évident.

Quelles sont les modifications apportée ? Normalement, la Russie considérait que l’emploi d’une arme atomique répondait à la remise en cause même de son existence, remise en cause soit au moyen d’armes nucléaires, soit au moyen d’armes conventionnelles. Ce second point n’était pas formulé formellement dans la doctrine, mais il a toujours été considéré que c’était implicite.

Désormais, il y a trois nouveaux cas de figure :

– une attaque conjointe contre la Russie, par des moyens conventionnels d’envergure, de la part d’un « État non nucléaire, mais avec la participation ou le soutien d’un État nucléaire » ;

– une attaque aérienne massive (au moyens d’avions, drones, armes hypersoniques, missiles, etc.) ;

– une « menace critique à leur souveraineté et (ou) leur intégrité territoriale » concernant les Etats de l’Union (de la Biélorussie et de la Russie).

La doctrine nucléaire russe est également concernée par des thématiques nouvelles : une attaque provoquant des catastrophes environnementales, des exercices militaires à grande échelle aux frontières, une action provoquant la séparation d’une partie du territoire russe, de nouvelles coalitions visant la Russie.

Concernant ce dernier point, la doctrine précisé maintenant que l’attaque par un membre d’une coalition sera considérée comme relevant de celle-ci dans son entièreté. 

L’emploi du missile « Oreshnik » date, on l’aura compris, de deux jours après cette modification de la doctrine nucléaire russe.

Les pays occidentaux ont immédiatement considéré que tout cela relevait d’un vaste bluff, se moquant des avertissements du Kremlin depuis 2022, des « lignes rouges » posées sans que jamais il n’y ait rien, etc.

L’une des cibles des moqueries en particulier est Dmitri Medvedev, le Vice-président du Conseil de sécurité de Russie (le président étant Vladimir Poutine), ancien président et premier-ministre, et actuel président de « Russie unie », le parti au pouvoir. Dmitri Medvedev ne cesse, en effet, depuis 2022, de faire des commentaires à la fois provocateurs et en même temps plein d’avertissements concernant l’emploi de l’arme atomique.

En réalité, tout cela relève d’un contournement de la destruction mutuelle assurée, sur la base de l’escalade pour la désescalade.

Sergueï Karaganov interviewé par Le Figaro

Le 3 décembre 2024, Le Figaro publiait une interview de Sergueï Karaganov. C’est une surprise, car il est très largement inconnu du grand public : seuls les experts du monde russe, pour les questions de « géostratégie », en ont entendu parler.

C’est d’autant plus étonnant qu’en plus de laisser parler un Russe dans le plus grand média français, celui-ci tient des propos absolument explosifs. On aborde directement la question de l’emploi d’une arme nucléaire tactique, que Sergueï Karaganov appelle de ses vœux !

Avant de voir ce qu’il dit, regardons la présentation de celui-ci par le Figaro :

« Écouté au Kremlin, président d’honneur du très influent Conseil de politique étrangère et de défense (SVOP) qu’il a cofondé en 1992, Sergueï Karaganov est une figure clé de la pensée stratégique russe. »

Le Figaro avertit : il faut écouter ce qu’il a à dire. Et que dit Sergueï Karaganov ?

« LE FIGARO. – Que pensez-vous des changements apportés récemment par Vladimir Poutine à la doctrine nucléaire russe ?

Sergueï KARAGANOV. –L’objectif de la politique de la Russie est d’abaisser le seuil d’utilisation des armes nucléaires et de barrer la route à une guerre nucléaire majeure.

Poutine a précisé que la Russie a le droit d’utiliser des armes nucléaires, y compris contre des puissances non-nucléaires qui mènent la guerre contre nous avec le soutien de puissances nucléaires. Il s’agit d’une innovation importante, mais il existe également d’autres changements. Je m’en félicite car cela fait plusieurs années que je plaide pour de tels changements (…).

La dissuasion nucléaire ne fonctionne plus. Il faut réintroduire un fusible nucléaire dans l’ensemble du système international et cela ne s’applique pas seulement aux relations entre la Russie et l’Occident.

Vos propositions risquent de mener à une escalade…

Oui, il est nécessaire de conduire à l’escalade. J’encourage la Russie à progresser sur l’échelle de l’escalade vers la dissuasion et l’intimidation.

Des pas ont déjà été faits en ce sens mais il faut aller plus loin pour dégriser tout d’abord nos voisins européens qui, de mon point de vue, ont perdu la raison.

Comme il y a cent ans, ils sont en train de pousser le monde vers une guerre mondiale tandis que les Américains misent cyniquement sur une guerre entre la Russie et l’Europe en espérant qu’un tel conflit épuise la Russie et dépouille en même temps l’Europe (…).

Toute attaque à grande échelle contre la Fédération de Russie, toute utilisation de la force armée contre ses citoyens, pourrait être à l’origine d’une frappe nucléaire.

Naturellement, la doctrine ne le dira pas comme cela. Mais je pense qu’elle devrait délier les bras de notre président pour lui permettre d’utiliser ces armes en cas d’attaque contre la Fédération de Russie et les citoyens russes, ainsi que contre nos alliés les plus proches, notamment la Biélorussie.

Le seuil doit être abaissé le plus possible.

Deuxièmement, nous devons modifier la doctrine pour que notre population soit préparée à une telle politique. Troisièmement, des changements sont nécessaires pour ajuster la production des forces de dissuasion, à la fois stratégique et non stratégique. »

Sergueï Karaganov est effectivement connu pour proposer cette ligne. Et ce qui est clair, c’est que Le Figaro n’est pas allé le chercher tout seul. Est-ce la Russie ou la France qui a demandé que son point de vue soit connu ?

Peu importe, voyons donc en détail sa lecture stratégique, ce qui va permettre d’éclairer la question de l’emploi d’une arme nucléaire tactique.

Sergueï Karaganov et la « Russie forteresse » tournée vers la Chine

Sergueï Karaganov considère que les deux prochaines décennies vont être celles de grands bouleversements. Il faut donc une « Russie forteresse ».

Ce que cela veut concrètement dire, c’est qu’elle soit auto-suffisante à tous les niveaux – ce qui n’est pas, selon lui, l’autarcie. Il s’agit simplement d’éviter tout alignement sur une « échelle de valeurs » qui a été posée en-dehors de la Russie, car cela implique son encadrement, sa soumission.

Il s’agit également, à tout prix, de ne pas s’impliquer dans des conflits au niveau mondial. Cela paraît paradoxal avec l’intervention contre l’Ukraine, qu’approuve Sergueï Karaganov. Mais c’est là une question de sécurité et de profondeur stratégique, car en pratique l’Ukraine est un simple fardeau, considère-t-il.

L’avenir, c’est pour lui la Sibérie, et tout se joue donc avec la Chine et les pays d’Asie centrale. Il dit ouvertement que la Russie doit être « sibérianisée », qu’il faut en finir avec l’Europe :

« Il aurait été préférable de terminer notre odyssée occidentale et européenne un siècle plus tôt. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose d’utile à emprunter à l’Occident, même si de nombreux déchets s’y infiltrent.

Mais en achevant tardivement le voyage, nous conserverons la grande culture européenne qui est aujourd’hui rejetée par la mode post-européenne. Sans elle, nous n’aurions pas créé la plus grande littérature du monde. Et sans Dostoïevski, Pouchkine, Tolstoï, Gogol et Blok, nous ne serions pas devenus un grand pays et une grande nation. »

L’occident est de toutes façons condamné à être rejeté à une place bien moindre, de par les efforts de la majorité mondiale :

« L’Occident devrait être relocalisé à une place plus modeste, mais digne, dans le système mondial. Il n’est pas nécessaire de l’expulser : étant donné le vecteur de développement de l’Occident, il partira de lui-même. Mais il est nécessaire de dissuader fermement toute action d’arrière-garde de l’organisme encore puissant de l’Occident. Des relations normales peuvent être partiellement rétablies dans une vingtaine d’années. Mais elles ne sont pas une fin en soi. »

Cela s’accompagne d’un alignement total sur la Chine, qui va prendre une place essentielle dans le monde :

« Si la Russie reste forte (et nous devrons nous battre pour cela), si la Chine reste un géant épris de paix et si leurs dirigeants et leurs peuples approfondissent leur amitié, ces deux pays deviendront le rempart de la paix et de la stabilité internationales. »

Quel rapport alors avec l’emploi de l’arme nucléaire tactique ?

C’est que justement, suivant cette perspective, la rupture avec l’Europe doit être consommée. Et la Russie suit déjà cette ligne, puisqu’elle rompt à tous les niveaux avec l’Europe, coupant les ponts, se définissant désormais comme asiatique.

Cela pose un énorme problème aux Russes, qui eux savent bien que ce n’est pas vrai, et que s’ils sont asiatiques, ils sont également européens. Mais la ligne dominante en Russie est celle du « grand départ » de l’Europe.

Sergueï Karaganov et la théorie de l’emploi de l’arme atomique pour l’éviter

Tout cela amène à la stratégie de l’abaissement du seuil de l’emploi de l’arme atomique. Comme la dissuasion est devenue une abstraction, il faut la réinscrire dans la pratique – c’est l’escalade pour la désescalade.

Sergueï Karaganov est à ce titre le théoricien de la frappe justifiée contre les pays de l’Otan, et il est interdit pour lui de venir dans l’Union européenne à cause de ces propos d’ailleurs.

« La politique de la Russie devrait se fonder sur l’hypothèse que l’OTAN est un bloc hostile qui a prouvé son agressivité par sa politique antérieure et qui mène de facto une guerre contre la Russie. Par conséquent, toute frappe nucléaire sur l’OTAN, y compris préventive, est moralement et politiquement justifiée (…).

Je pense qu’il serait souhaitable de limiter la puissance des têtes nucléaires à 30-40 kilotonnes, par exemple, soit une bombe d’Hiroshima et demie ou deux, afin que les agresseurs potentiels et leurs populations comprennent ce à quoi ils sont confrontés (…).

Dieu a frappé Sodome et Gomorrhe, plongées dans l’abomination et la débauche, d’une pluie de feu. L’équivalent moderne : une frappe nucléaire limitée sur l’Europe. »

Tout cela est dit, bien entendu, au nom de l’optimisme :

« Si nous survivons aux deux prochaines décennies, si nous évitons un autre siècle de guerres, comme l’a été le vingtième siècle, en particulier sa première moitié, nos enfants et nos petits-enfants vivront dans un monde multicolore, multiculturel et beaucoup plus juste. »

C’est justement pour arriver à ce monde-là que l’emploi de l’arme nucléaire tactique, donc, prend son sens. Le principe est le suivant : la Russie pense qu’au long cours, elle est bien placée. Pour se couvrir, elle tourne le dos à l’occident.

En partant, elle ferme la porte, et la verrouille : cette porte, c’est l’Ukraine. L’arme nucléaire tactique, c’est pour verrouiller.

La propagande occidentale selon laquelle la Russie veut envahir l’Europe est, en plus d’être absurde car infaisable, d’autant plus erronée que ce n’est pas du tout l’optique russe.

La Russie sait bien qu’elle ne parviendrait pas à gérer un pays capitaliste développé conquis, et même l’Ukraine serait un cauchemar, alors que le pays est culturellement proche et dans une situation économique terriblement arriérée.

Gagner serait de toutes façons extrêmement difficile, même si en même temps la Russie, et en première ligne d’ailleurs Sergueï Karaganov, pense que jamais les États-Unis ne lanceront une arme atomique sur la Russie simplement pour défendre l’Europe.

L’arme nucléaire tactique ne viserait justement pas à ouvrir des portes pour avancer tactiquement vers l’ouest, mais à la fermer, pour aller stratégiquement vers l’est !

L’emploi de l’arme nucléaire tactique apparaît comme inévitable

Le problème de fond de la Russie, c’est que les occidentaux considèrent que l’utilisation de l’arme atomique ne se fera pas, et que toutes les menaces russes sont du bluff. Comme les Russes sont des Russes, ils en ont trop fait à ce sujet pour que cela soit lisible du point de vue occidental, et le fil de la compréhension a été rompue.

Il apparaît donc que l’emploi de l’arme nucléaire tactique semble inévitable du point de vue russe. Il ne s’agit pas de l’utiliser pour avancer sur le champ de bataille, et il ne s’agira pas non plus réellement de faire face à une menace immédiate de grande ampleur.

Cela sera utilisé comme moyen de geler une situation, non pas sur le court terme, mais dans une perspective stratégique. Logiquement, cela se produira au moment maximum de la poussée russe en Ukraine, lorsque la Russie considérera qu’elle n’est pas en mesure d’aller plus loin sans des dommages irréparables.

L’utilisation d’une telle arme finira les hostilités sur le champ, elle gèlera tout. En même temps, on se doute qu’il faut arriver à une tension énorme pour arriver jusque-là.

C’est là tout le paradoxe du contournement de la destruction mutuelle assurée. En fait, c’est assez simple si on regarde les choses ainsi : l’arme nucléaire a perdu sa nature stratégique, alors elle acquière une portée tactique, qui reste à « découvrir ».

C’était en fait déjà le cas à Hiroshima et Nagasaki. Seulement, à l’époque, cela n’avait pas été compris, pour deux raisons :

– le Japon a capitulé, donc il a été attribué une valeur stratégique à l’arme nucléaire ;

– l’arme nucléaire employée alors équivaut à une version « tactique » aujourd’hui, mais à l’époque c’était le maximum possible et cela a été interprété comme une arme « stratégique » (les armes nucléaires de 1945 étaient de 20 kilotonnes, aujourd’hui c’est 100, 300 kilotonnes).

Il ne faut pas aller jusqu’à dire que l’arme nucléaire tactique est à mettre sur le même plan que les drones, néanmoins cela va dans le même sens. Cela devient un outil nécessaire pour les affrontements modernes. C’est en quelque sorte le déséquilibre de la terreur de la première partie du 21e siècle, par opposition à l’équilibre de la terreur de la seconde partie du 20e siècle. ■

Le  21 novembre 2024, à l’occasion du lancement du missile « Oreshnik » sur une usine militaire de Dnipropetrovsk, le président russe Vladimir Poutine est intervenu à la télévision dans la soirée pour tenir un discours. Ce dernier est ici reproduit.

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Je voudrais informer le personnel des forces armées de la Fédération de Russie, les citoyens de notre pays, nos amis dans le monde entier et ceux qui continuent à se faire des illusions sur la possibilité d’infliger une défaite stratégique à la Russie des événements qui se déroulent aujourd’hui dans la zone où se déroule l’opération militaire spéciale, à savoir [la situation ]après l’utilisation d’armes de longue portée fabriquées par l’Occident sur notre territoire.

Poursuivant l’escalade du conflit en Ukraine provoquée par l’Occident, les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ont déjà annoncé qu’ils autorisaient l’utilisation de leurs systèmes d’armes de précision à longue portée sur le territoire de la Fédération de Russie.

Les experts savent bien, et la partie russe l’a souligné à plusieurs reprises, qu’il est impossible d’utiliser de telles armes sans l’implication directe de spécialistes militaires des pays qui les produisent.

Le 19 novembre, six missiles opérationnels-tactiques ATACMS de fabrication américaine et, le 21 novembre, au cours d’une attaque combinée de missiles, des systèmes Storm Shadow de fabrication britannique et HIMARS de fabrication américaine ont frappé des installations militaires sur le territoire de la Fédération de Russie – dans les régions de Briansk et de Koursk.

À partir de ce moment, comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises, le conflit régional en Ukraine provoqué par l’Occident a pris une dimension mondiale.

Nos systèmes de défense aérienne ont repoussé ces attaques. Par conséquent, les objectifs manifestement fixés par l’ennemi n’ont pas été atteints.

Une fois de plus, je tiens à souligner en particulier que l’utilisation de telles armes par l’ennemi n’est pas en mesure d’affecter le déroulement des opérations de combat dans la zone d’opération militaire spéciale.

Nos troupes progressent avec succès sur toute la ligne de contact. Toutes les tâches que nous nous sommes fixées seront accomplies.

En réponse à l’utilisation d’armes à longue portée américaines et britanniques, les forces armées russes ont lancé, le 21 novembre dernier, une frappe combinée sur l’une des installations du complexe défense-industrie ukrainien.

Dans des conditions de combat, elles ont également testé l’un des plus récents systèmes de missiles russes à moyenne portée, en l’occurrence un missile balistique à configuration hypersonique non nucléaire.

Nos ingénieurs en missiles l’ont baptisé « Oreshnik ». Les essais ont été couronnés de succès et l’objectif du lancement a été atteint. Sur le territoire ukrainien, dans la ville de Dniepropetrovsk, l’un des complexes industriels les plus importants et les plus connus depuis l’époque de l’Union soviétique, qui produit encore aujourd’hui des équipements de missiles et d’autres armes, a été touché.

Nous développons des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée en réponse aux projets des États-Unis de produire et de déployer des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée en Europe et dans la région Asie-Pacifique.

Nous pensons que les États-Unis ont commis une erreur en mettant unilatéralement fin au traité sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée en 2019 sous des prétextes fallacieux.

Aujourd’hui, les États-Unis ne se contentent pas de produire de tels équipements, mais, comme nous pouvons le constater, ils ont réglé les questions liées au déploiement de leurs systèmes de missiles avancés dans différentes régions du monde, y compris en Europe, lors d’exercices d’entraînement pour leurs troupes. En outre, au cours de ces exercices, elles s’entraînent à les utiliser.

Permettez-moi de vous rappeler que la Russie s’est volontairement et unilatéralement engagée à ne pas déployer de missiles de moyenne et de courte portée tant que les armes américaines de ce type n’apparaîtront dans aucune région du monde.

Je le répète : nous procédons à des essais réels du système de missiles Oreshnik en réponse aux actions agressives des pays de l’OTAN à l’encontre de la Russie.

La question de la poursuite du déploiement de missiles à moyenne et courte portée sera décidée par nous en fonction des actions des États-Unis et de leurs satellites.

Nous déterminerons les cibles des nouveaux essais de nos derniers systèmes de missiles en fonction des menaces qui pèsent sur la sécurité de la Fédération de Russie.

Nous nous considérons autorisés à utiliser nos armes contre les installations militaires des pays qui autorisent l’utilisation de leurs armes contre les nôtres, et en cas d’escalade des actions agressives, nous répondrons de la même manière décisive et en miroir.

Je recommande aux élites dirigeantes des pays qui envisagent d’utiliser leurs contingents militaires contre la Russie d’y réfléchir sérieusement.

Il va sans dire que lorsque nous choisirons, si nécessaire et à titre de mesure de rétorsion, des cibles à frapper par des systèmes tels que « Oreshnik » sur le territoire ukrainien, nous proposerons à l’avance aux civils et demanderons également aux citoyens des États amis qui se trouvent sur place de quitter les zones dangereuses.

Nous le ferons pour des raisons humanitaires, ouvertement, publiquement, sans craindre l’opposition de l’adversaire, qui reçoit également ces informations.

Pourquoi aucune crainte ?

Parce qu’il n’existe aujourd’hui aucun moyen de contrer de telles armes.

Les missiles attaquent des cibles à une vitesse de Mach 10, soit 2,5 à 3 kilomètres par seconde.

Les systèmes de défense aérienne actuellement disponibles dans le monde et les systèmes de défense antimissile créés par les Américains en Europe ne peuvent pas intercepter ces missiles, c’est impossible.

Je voudrais souligner une fois de plus que ce n’est pas la Russie, mais les États-Unis qui ont détruit le système de sécurité internationale et qui, en continuant à se battre et à s’accrocher à leur hégémonie, poussent le monde entier vers un conflit mondial.

Nous avons toujours préféré et sommes désormais prêts à résoudre tous les différends par des moyens pacifiques. Mais nous sommes également prêts à faire face à toute évolution des événements.

Si quelqu’un en doute encore, c’est en vain : il y aura toujours une réponse.

Le matérialisme dialectique et les étapes de l’étude d’une chose, d’un phénomène

Comment aborder une chose, un phénomène, du point de vue du matérialisme dialectique ?

1. La première chose à bien comprendre, c’est qu’il est impossible d’avoir un regard scientifique sur une chose, un phénomène, sans reconnaître la dignité du réel.

La thèse bourgeoise de l’observateur « neutre » est bien connue. Sous des apparences d’objectivité, cette approche implique en réalité un regard partial. Il y a, en effet, une mise de côté de la dignité de la chose, du phénomène.

Si une chose, un phénomène existe, ce n’est pas pour rien. Prétendre l’aborder de manière neutre, c’est passer à côté de la reconnaissance de son existence et de la nécessité de son existence.

Cela ne veut pas dire qu’il faille apprécier cette chose, ce phénomène. Néanmoins, rien n’existe de manière suspendue dans le vide ; si une chose, un phénomène existe, c’est comme produit de beaucoup d’autres choses, et en rapport avec beaucoup d’autres choses.

C’est ce que nous appelons la dignité du réel.

Il faut ici souligner une erreur très grave dans la traduction d’une des thèses fondamentales de Karl Marx, qu’on connaît sous le nom de « thèses sur Feuerbach ». Ludwig Feuerbach (1804-1872) est un très important penseur matérialiste allemand.

Se plaçant à la suite de Hegel, il affirme la primauté de la sensation et le caractère central de la Nature. Karl Marx se positionne directement dans son prolongement, le corrigeant en ajoutant la dimension pratique, transformatrice.

Voici la traduction « classique » de la première thèse de Karl Marx sur Feuerbach, puis la version rétablie. Karl Marx ne reproche pas la subjectivité, bien au contraire il affirme qu’elle n’est pas présente alors qu’il le faut.

« Le principal défaut, jusqu’ici, du matérialisme de tous les philosophes – y compris celui de Feuerbach est que l’objet, la réalité, le monde sensible n’y sont saisis que sous la forme d’objet ou d’intuition, mais non en tant qu’activité humaine concrète, en tant que pratique, de façon non subjective. »

« Le principal manquement de tout matérialisme jusqu’ici – celui de Feuerbach y compris – est que l’objet, la réalité, la sensibilité, n’est saisi que sous la forme de l’objet ou de la vue, mais pas comme activité humaine relevant des sens, comme pratique, pas subjectivement. »

Il est impossible d’aborder une chose, un phénomène de manière « neutre ». On a forcément un certain rapport avec lui déjà. C’est là-dessus qu’il faut se fonder.

Karl Marx n’a pas écrit Le capital, ce monument scientifique, comme un ouvrage fondé sur une lecture « neutre », mais bien en portant une haine au capitalisme justement, en se plaçant dans une démarche prolétarienne.

2. Une fois qu’on a compris pourquoi on se tourne vers une chose, un phénomène, il faut étudier l’histoire passée. Il s’agit de connaître le contexte de la naissance de cette chose, de ce phénomène.

Plutôt que de naissance, il vaut mieux parler de production. Il s’agit de connaître le cadre productif.

Il y a ici deux aspects. Tout d’abord, il s’agit de saisir quel est l’environnement qui fait que cette chose, ce phénomène existe. Ensuite, l’usage est de délimiter le domaine concerné : s’agit-il de médecine, d’économie, de mathématiques, de musique, de physique nucléaire, d’émotions, etc.

Le matérialisme dialectique, au sens strict, ne légitime pas un découpage en domaines. Ce serait contraire au principe de la dignité du réel, et le réel possède un nombre infini de facettes.

Néanmoins, le matérialisme dialectique reconnaît justement la dignité du réel et partant de là il reconnaît celle de quelqu’un se tournant d’une certaine manière vers une chose, un phénomène.

Même si le sculpteur a tort de se tourner vers une sculpture en particulier en se fondant sur la sculpture comme pratique artistique générale, et non pas sur le matérialisme dialectique, le fait qu’il le fasse relève de la dignité du réel.

Tout cela revient à dire, somme toute, qu’il est nécessaire de connaître l’environnement général d’une chose, d’un phénomène.

3. La chose à faire après s’être tournée vers une chose, un phénomène et son environnement, ce n’est surtout pas de se précipiter et de chercher à procéder à une « dissection ». C’est là une démarche qui relève du naturalisme et qui fait un fétiche de la chose particulière dans une situation particulière, qu’il s’agirait de tenter de généraliser.

La dissection et l’expérimentation naturaliste cherchent au hasard, en multipliant les essais, en essayant de faire « réagir » la chose, le phénomène. C’est une manière qui vise à « forcer » la vérité.

Ce qu’il s’agit de faire, c’est en réalité de regarder le mode de fonctionnement, le mode opératoire. Que fait cette chose, ce phénomène ? En quoi consistent les actions, les réactions, les transformations ?

L’immense Aristote (384-322 avant notre ère) est arrivé jusqu’ici. Ne pouvant saisir la dialectique dans une société esclavagiste, il a été obligé de faire un fétiche de ces actions, de ces réactions, de ces transformations.

Il les a assimilées, en présentant cela comme la matrice de toute chose, de tout phénomène. La science consisterait en l’analyse de ces matrices et leur répartition (d’où son affirmation qu’il existe des « espèces » animales justement).

Il appelle « entéléchie » le processus dans la matrice de toute chose, en combinant entelēs (ἐντελής – complètement grandi, mature), telos (τέλος – perfection, accomplissement), echein ( ἔχειν – avoir, tenir).

Dit plus simplement : chaque chose, chaque phénomène obéit à une matrice interne donnant potentiellement la réalisation complète d’une chose. La chenille, par exemple, possède dans sa matrice sa transformation accomplie en papillon.

4. Peut-on alors, enfin, se tourner vers la chose elle-même et ses contradictions internes ? On le peut, mais il vaut mieux procéder à une étape intermédiaire, même si on peut la décaler à pour après. En réalité, il vaut mieux la commencer à ce niveau et y revenir.

Une fois en effet qu’on a reconnu la dignité du réel, qu’on a circonscrit le contexte, qu’on a analysé le mode opératoire, il faut déterminer la chose.

En fait, tout scientifique réel, s’il n’emploie pas le matérialisme dialectique, parvient à ce niveau, quitte à effectuer beaucoup de contorsions en raison des influences de l’idéalisme.

Encore est-il que le scientifique, s’il agit dans un cadre bourgeois, cherche une définition positive. Nous, ce que nous voulons, c’est bien au contraire une négation.

Nous suivons ici le principe de Spinoza, repris par Karl Marx : toute définition est négation.

Ce qu’il faut faire ici, c’est se tourner vers tout ce qui n’est pas la chose, le phénomène, pour définir négativement ce qui se passe. En délimitant tout ce que la chose, le phénomène, n’est pas, on avance dans la définition de cette chose, de ce phénomène.

Dit différemment : on découvre les nuances, les différences avec le reste des choses, des phénomènes.

5. On peut maintenant se tourner directement vers la chose, le phénomène. Il faut chercher les contradictions, qui caractérisent son existence.

Les mots-clefs sont ici : tension, torsion, deux points, opposition, équilibre, écho, reflet, avancée et recul, tendance et contre-tendance, etc.

Il faut ici bien saisir quelles sont les contradictions secondaires et quelle est la contradiction principale, et il faut peut-être moduler, car une contradiction secondaire peut devenir principale ; cela dépend de s’il existe des phases, des périodes, des cycles, etc.

Résumons donc : il y a cinq étapes. Elles consistent en :

a) reconnaissance de la dignité du réel ;

b) compréhension du cadre productif ;

c) saisie du mode opératoire ;

d) déterminer la chose, le phénomène négativement par opposition au reste ;

e) étudier les contradictions.

Prenons un exemple concret, avec le tout début du Capital de Karl Marx.Voici ce qu’on lit.

« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste apparaît comme une ‘gigantesque collection de marchandises’, dont la marchandise individuelle serait la forme élémentaire.

C’est pourquoi notre recherche commence par l’analyse de la marchandise.

La marchandise est d’abord un objet extérieur, une chose, qui satisfait, grâce à ses qualités propres, des besoins humains d’une espèce quelconque. La nature de ces besoins, qu’ils surgissent dans l’estomac ou dans l’imagination, ne change rien à l’affaire.

Pas plus qu’il importe de savoir comment la chose en question satisfait ce besoin humain, si c’est immédiatement en tant que moyen de subsistance, c’est-à-dire comme objet de jouissance, ou par un détour, comme moyen de production. »

Maintenant, voyons dans quelle mesure les cinq points mis en avant correspondent à ce que fait Karl Marx. Les étapes sont placées entre crochets.

« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste apparaît comme une ‘gigantesque collection de marchandises’ [reconnaissance de la dignité du réel], dont la marchandise individuelle serait la forme élémentaire [compréhension du cadre productif].

C’est pourquoi notre recherche commence par l’analyse de la marchandise.

La marchandise est d’abord un objet extérieur, une chose, qui satisfait, grâce à ses qualités propres, des besoins humains d’une espèce quelconque [saisie du mode opératoire].

La nature de ces besoins, qu’ils surgissent dans l’estomac ou dans l’imagination, ne change rien à l’affaire [déterminer la chose, le phénomène négativement par opposition au reste].

Pas plus qu’il importe de savoir comment la chose en question satisfait ce besoin humain, si c’est immédiatement en tant que moyen de subsistance, c’est-à-dire comme objet de jouissance, ou par un détour, comme moyen de production [étudier les contradictions]. »

On remarquera que pour les deux dernières étapes, Karl Marx procède par négation. C’est là sa nature de titan que d’être capable de parvenir aux définitions positives par l’intermédiaire des négations.

Là où on va souffrir pour avancer, Karl Marx progresse de manière exceptionnelle en se précipitant sur les contradictions et en parcourant l’infini pour obtenir des déterminations par la négation.

Dans le futur, l’humanité entière sera capable de faire cela et nous apparaîtrons comme des êtres profondément arriérés, pratiquement une humanité différente.

On notera ici le paradoxe intéressant que c’est « pire » pour les éléments les plus avancés. Car dans le futur, l’humanité regardera son propre passé en disant qu’alors, personne ne comprenait rien ou presque, à part quelques-uns.

Et on se souviendra par contre plus précisément de ces quelques-uns, en disant d’eux qu’ils avaient compris des choses, mais de manière encore restreinte, élémentaire, faible, etc. !

Mais c’est là le prix à payer quand on est scientifique.

Prenons un autre passage, du même ouvrage, cette fois le tout début de la section intitulée La Production de la survaleur absolue, cinquième chapitre Procès de travail et procès de valorisation, première partie Procès de travail.

« L’usage de la force de travail, c’est le travail proprement dit. L’acheteur de la force de travail la consomme en faisant travailler son vendeur. Celui-ci devient ainsi en acte une force de travail en action, alors qu’il ne l’était auparavant qu’en puissance.

Pour représenter son travail dans des marchandises, il faut d’abord qu’il le représente dans des valeurs d’usage, dans des choses qui servent à satisfaire des besoins d’une espèce quelconque.

C’est donc une valeur d’usage particulière, un article déterminé que le capitaliste fait fabriquer par le travailleur.

Mais la production de valeur d’usage, ou de denrées, ne change pas de nature générale du fait qu’elle a lieu pour le capitaliste et sous son contrôle. Il faut donc considérer d’abord le procès de travail indépendamment de toute forme sociale déterminée. »

Voici le même passage, avec les étapes ajoutées.

« L’usage de la force de travail, c’est le travail proprement dit [reconnaissance de la dignité du réel]. L’acheteur de la force de travail la consomme en faisant travailler son vendeur [compréhension du cadre productif].

Celui-ci devient ainsi en acte une force de travail en action, alors qu’il ne l’était auparavant qu’en puissance [saisie du mode opératoire et on remarquera que l’opposition en puissance / en acte est la définition de la matrice, de l’enthéléchie chez Aristote].

Pour représenter son travail dans des marchandises, il faut d’abord qu’il le représente dans des valeurs d’usage, dans des choses qui servent à satisfaire des besoins d’une espèce quelconque. C’est donc une valeur d’usage particulière, un article déterminé que le capitaliste fait fabriquer par le travailleur [déterminer la chose, le phénomène négativement par opposition au reste].

Mais la production de valeur d’usage, ou de denrées, ne change pas de nature générale du fait qu’elle a lieu pour le capitaliste et sous son contrôle. Il faut donc considérer d’abord le procès de travail indépendamment de toute forme sociale déterminée [étudier les contradictions, ce qui suit]. »

Il ne faut bien entendu pas être formel. Il s’agit bien sûr ici de présenter les étapes de l’étude, d’un phénomène, mais il est hors de question de fournir une méthode. Ce serait incompatible avec la reconnaissance de la dignité du réel, première étape qui justement permet d’ajuster les choses, de rentrer dans le vif du sujet.

Il s’agit ici de montrer les modalités fondamentales de l’approche scientifique. On reconnaît la dignité de ce qui existe, on observe le cadre, on voit comment cela marche, on différencie du reste, on étudie les contradictions.

Pour finir sur une note romantique : quand on tombe amoureux, on reconnaît qu’il y a une personne qui s’est immiscée dans la vie, on ne peut pas le nier.

On cherche à comprendre le cadre où s’est déroulée cette rencontre, pour saisir ce qui s’est passé ou plus exactement l’ampleur de ce qui s’est passé.

On découvre la personne et on voit ce qui a interagi entre les deux personnes, c’est la fameuse alchimie amoureuse.

On détermine alors que c’est une vraie relation, car la personne s’oppose à toutes les autres. On étudie les contradictions pour avancer (la personne manque, l’affection naît quand elle est présente, etc.).

Cet exemple romantique n’est toutefois pas pris au hasard. La grande erreur de l’approche bourgeoise, c’est de penser que lorsqu’on étudie quelque chose, tous les problèmes sont du côté de cette chose, et seulement de cette chose.

C’est erroné. En réalité, toute étude scientifique part de la dignité du réel et il faut être à la hauteur des deux côtés.

Tout comme dans une relation amoureuse, les deux personnes doivent être au niveau du processus de rencontre, le scientifique ne doit pas attribuer tous les défauts à la chose, au phénomène, en le considérant comme lui mettant des bâtons dans les roues.

Si un scientifique étudie une chose, c’est une situation concrète, ce n’est pas une abstraction où on peut agir de manière neutre.

Voilà pourquoi, même si absolument tout le monde peut être un grand cinéaste, un chimiste d’envergure, un excellent électricien… il faut être porté par les choses pour y arriver.

La dignité du réel fait que pour exceller, on ne choisit pas vraiment, on est amené à cela. On ne peut jamais forcer les choses. C’est bien pourquoi il ne s’agit pas d’une « méthode ».

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Le matérialisme dialectique et le reflet comme base matérielle de la contradiction

De manière étonnante, il n’a jamais été jusqu’ici présenté la base matérielle de la contradiction. Il a bien été compris la nature contradictoire de la matière, le principe de contradiction inhérente à la matière, mais la loi de la contradiction semble « flotter » dans l’univers.

C’est d’ailleurs l’un des arguments bourgeois à l’encontre du matérialisme dialectique : ce serait une interprétation para-religieuse, car relevant d’un même idéalisme puisqu’il y a un concept central qui irradie tout le reste, sans que ce concept soit prouvé pour autant.

De manière tout aussi étonnante, l’explication de la base matérielle de la contradiction est très facile à comprendre. Elle est très facile à comprendre… aujourd’hui. Il fallait atteindre un certain développement des forces productives.

Allons droit au but. Prenons quelqu’un qui marche sur une plage. Ses pas restent sur le sable, ils ont imprimé le sol. Peut-être que la mer viendra effacer ces traces, ou bien que de fines couches de poussière s’y poseront et qu’on les retrouvera bien plus tard, à l’instar des fossiles.

Ce n’est pas la question : ce qui compte, c’est que la matière est imprimable. Tout a un effet sur tout, tout a un impact sur tout. Aucun élément matériel n’échappe à l’action de l’environnement sur lui.

Cela peut être un environnement proche, comme lointain : cela peut être la pluie comme la lumière du soleil, ce n’est pas cela qui compte. Ce qui est essentiel, c’est de voir que la matière est toujours sensible, elle est un sens malléable, on peut écrire avec elle, on peut imprimer des choses.

Et cette même matière qui est imprimable imprime elle-même ; elle a pareillement un effet, un impact sur le reste.

L’idéalisme a une obsession, justement, celle d’éviter les choses imprimables et imprimées. D’où un Dieu omnipotent, omniscient, à l’écart de tout « impact », ou bien encore l’ADN qui serait un code purement figé décidant de tout (du moins c’est ce que la thèse dite néo-darwiniste affirma au début).

Le premier matérialisme, celui des immenses Aristote, Avicenne, Averroès, Spinoza, à qui il faut ajouter Démocrite et Épicure, a justement affirmé le caractère sensible de la matière, le fait que la matière soit « inscrite » en son sein, écrie avec des principes, des règles, le tout venant de la Nature.

Ces penseurs se méfiaient ici particulièrement de l’esprit, car l’esprit peut être « troublé » et cela nuit à la compréhension de ce qu’on est réellement sur le plan naturel.

Puis vint le second matérialisme, qui partit du fait que l’esprit lui-même était finalement de la matière, qui était façonnée pareillement par son environnement. Ce sont les Francis Bacon, John Locke, Condillac, Denis Diderot, Emmanuel Kant, Ludwig Feuerbach…

L’esprit lui-même est sensible et modifié, façonné, imprimé par l’environnement – cela le premier matérialisme l’avait vu. Mais le second matérialisme affirme qu’en même temps, l’esprit a lui-même un impact sur l’environnement, de par l’activité qu’il décide.

On retrouve ici la clef du marxisme, puisque l’esprit menant une activité, c’est du travail, et le travail modifie la réalité. C’est en comprenant cela que Karl Marx a compris le principe du mode de production.

L’humanité a atteint un stade où elle a compris que l’environnement « imprimait » et que la pensée « imprime » également lorsqu’elle se transforme en activité déterminée.

La loi de la contradiction comme conception est le produit de cette rencontre du premier matérialisme et du second, au sens où l’interaction a enfin été comprise. C’est Hegel qui le premier constate le phénomène dialectique, en se tournant vers l’esprit, qu’il imagine en développement « pur ».

Et Karl Marx renverse la thèse, en soulignant justement que le travail est l’aspect principal, pas l’esprit, même si le travail est porté par l’esprit. La compréhension de la dialectique humaine a permis de constater que la dialectique était vraie partout : c’est la dialectique de la Nature.

Désormais, à la fin du premier quart du 21e siècle, on peut ajouter un élément à cela. En effet, il a été compris que les choses sont imprimées et impriment elles-mêmes.

Mais qu’impriment-elles ?

Les matérialistes ont toujours compris qu’elles ne pouvaient imprimer qu’une seule chose : elle-même. C’est la théorie du « reflet », qu’on retrouve chez tous les auteurs matérialistes.

Ce n’est pas seulement que les choses s’impriment les unes les autres – elles se reflètent les unes les autres.

Louis Pasteur est d’ailleurs ici un savant de la plus haute importance, comme l’a souligné le fondateur de la géochimie (et du concept de Biosphère) Vladimir Vernadsky, car il a constaté le premier la chiralité, autrement dit la dissymétrie moléculaire. Tous les êtres vivants portent en eux la dissymétrie moléculaire, ils portent des éléments qui ne sont pas superposables à leur image dans un miroir.

Mais ce n’est pas ce qui joue ici. En pratique, chaque chose se reflète dans les autres choses – or, le reflet d’une chose, c’est elle-même mais en aspect contraire.

C’est là la base matérielle de la contradiction.

Et comme tous les reflets ne se déroulent pas au même moment, cela produit des développements inégaux, c’est-à-dire en définitive le mouvement.

Ce n’est même pas que la matière est en mouvement, elle est elle-même le mouvement. Cela, le matérialisme dialectique l’a toujours souligné.

Car le matérialisme dialectique est la négation de la négation, il dépasse le second matérialisme qui lui-même dépassait le premier.

Mais le second matérialisme avait mis de côté la question cosmique, qui était primordiale pour le premier.

Le matérialisme dialectique rétablit la question cosmique, mais cette fois le cosmos n’est plus statique, figé, se répétant lui-même à l’infini. Il est en mouvement.

Si on veut, le premier matérialisme a apporté le temps, en affirmant l’éternité, et le second mouvement a apporté l’espace infini, en constatant la transformation ininterrompue parallèlement à la transformation de l’esprit humain.

Le matérialisme dialectique pose ainsi que la matière se reflète en elle-même, à l’infini et d’une infinité de matière, ce qui provoque partout des échos, des reflets.

Ce jeu d’échos, de reflets, produit des nuances, des décalages, des différences. La chose et son reflet se heurtent alors, cela devient une contradiction mise en mouvement de par la déchirure que cela provoque de manière interne.

Telle est la base matérielle de la loi de la contradiction.

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Le matérialisme dialectique et le cercle

L’existence même du cercle pose en apparence un problème. En effet, la dialectique implique les contraires. Or, le cercle ne semble pas en posséder. Qui plus est, il semble parfaitement continu, au point d’être autosuffisant : si on suit la ligne qui forme le cercle, on ne s’arrête jamais, on revient de manière cyclique au même point.

Le cercle semble donc réfuter la dialectique. Il présente la continuité parfaite, ainsi que l’infini associé à une chose en particulier.

Un nombre associé au cercle est également celui représenté par la lettre grecque π (pi).

π est égal à la circonférence (soit le tour du cercle, si on veut) divisé par son diamètre. Le rapport donne 3,141592653589793… Le nombre semblant être infini derrière la virgule.

Cela considéré, il y a deux options. On peut se tourner vers le diamètre pour l’opposer au cercle. Le souci, c’est qu’il faut alors prendre en compte le centre.

On peut également se tourner vers le centre. Le souci est alors qu’il faut prendre en compte le diamètre.

Ces deux options ne semblent donc pas être ce qu’il faut pour appréhender la dialectique du cercle.

Il ne reste alors plus que le cercle lui-même. Quelle est d’ailleurs sa définition exacte ? C’est une figure géométrique, consistant en une ligne qui est courbe, avec tous les points à la même distance d’un point central.

Mais on a vu que si on s’intéresse au point central, alors on a le diamètre, ce qui nous éloigne du cercle, et nous ramène au disque. Or, on veut en rester au cercle, on veut rester dans la géométrie pure, avec un objet abstrait, on ne veut pas aller vers la surface, vers le disque, vers quelque chose déjà plus proche du réel.

Il faut bien pourtant que le cercle soit réel, puisqu’il existe, au moins comme concept.

La solution est la suivante : il ne faut pas prendre en considération le point central. Il faut considérer le cercle non pas de manière géométrique, mais algébrique.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Si on prend le cercle de manière géométrique, tous les points sont équivalents. Selon le matérialisme dialectique, cela n’est pas possible. Ils sont donc différents.

Ils relèvent également d’une courbe, ce qui implique qu’il y a un mouvement.

On dépasse ainsi les points équivalents, relevant de la quantité, pour avoir des points en transformation relevant de la qualité.

Que fait cette courbe ? Elle avance dans un sens… et elle recule. Mais elle ne peut pas reculer par là où elle est passée. Si elle le faisait, il y aurait identité de l’avancée et du recul.

Il faut ainsi considérer le cercle comme étant, en quelque sorte, la projection d’un mouvement, un peu comme si on lançait une pierre et qu’elle retombait.

On dira alors que la pierre ne retombe pas au même endroit. C’est là où cela devient intéressant, justement. Le mouvement de la courbe dans un sens… est le reflet en miroir du mouvement de la courbe dans l’autre sens.

C’est là où on doit se tourner vers le concept de torsion qui a été avancée ; il est notamment dit :

« Il n’y a pas un phénomène paralysé par deux pôles contradictoires, mais connaissant à un endroit en particulier une situation de tension.

[On aurait précisément cela avec un cercle « statique », avec une situation de tension en son point central.]

Raisonner ainsi serait faire un fétiche du développement inégal et l’établir comme loi universelle en lieu et place de la contradiction. Or, le développement inégal est une caractéristique de la loi de la contradiction, c’est une expression qualitative de l’existence quantitative des choses.

Par torsion, on peut considérer le principe suivant lequel une chose est travaillée par deux pôles, que la contradiction « force » à un mouvement dans une certaine direction.

Si l’on prend comme base le mouvement en spirale, on peut considérer que le mouvement spiralaire est induit par la contradiction interne, obligeant le mouvement à s’orienter dans une certaine « direction ».

Il faut dire s’orienter, et non pas se diriger, car se diriger serait unilatéral ; aucun phénomène ne peut se produire, s’établir, exister sous la forme d’une ligne droite. »

(Le matérialisme dialectique et la torsion comme évaluation dialectique)

Ce qui revient à dire que le cercle est en réalité à concevoir comme une spirale. Naturellement, cela ne se voit pas quand on regarde le cercle. Mais, en réalité, on le devrait, même s’il n’y a pas trois dimensions.

C’est un regard erroné que de voir en le cercle un mouvement unilinéaire revenant sur lui-même.

Un cercle relève d’un phénomène de torsion : il va dans une certaine direction, forcément de manière inégale, car rien ne va en ligne droite.

Cette torsion obéit à la loi de la contradiction et le reste du cercle qu’on voit est le reflet en miroir de la torsion elle-même.

Aller dans un sens implique en même temps l’autre sens, aller en haut implique un bas, il y a du bas dans le haut et inversement, il y a l’inverse d’un sens dans chaque sens, etc.

Et la torsion en contradiction avec elle-même est, concrètement, le phénomène lui-même dans son existence réelle, contradictoire, car tout est contradiction dans son existence même.

On pourrait dire qu’il s’agit là de philosophie ou d’une vue de l’esprit, car quand on dessine un cercle, on revient bien au point de départ.

C’est un argument qui ne marche pas, pourtant. En effet, quand on trace un cercle au compas, on fait en sorte que le cercle soit complet, mais en théorie on ne repasse pas sur le point de départ. Il y a donc bien un point de départ et d’arrivée et le cercle n’est plus « parfait ».

En pratique, personne n’est assez maniaque ou précis pour éviter de repasser sur le point initial dessiné au compas, seul un ordinateur est en mesure d’éviter cela. Cela signifie qu’on redessine sur le point et… ce n’est donc plus le même point.

Reste alors l’argument du cercle comme vue de l’esprit, ou bien d’un regard contemplatif porté sur un cercle existant. Quand on le regarde, on ne voit ni point de départ, ni point d’arrivée, et ce qui s’impose, c’est la continuité.

Mais sous quelle forme se présente cette continuité ? Elle va dans un sens, puis dans un autre, et à chaque fois on a le mouvement contraire.

Cela signifie qu’on retrouve le mouvement, et que même s’il y a continuité du mouvement du cercle, le mouvement est perpétuellement en contradiction avec lui-même.

Ce mouvement perpétuel, c’est l’infini, et les mouvements dans un sens puis dans l’autre qui se confrontent de manière ininterrompue correspondent à la quantité. L’infini et la quantité vont produire la qualité. Cette qualité ramène au mouvement en spirale.

Comme on le voit, le cercle est clairement dialectique, il est trompeur de s’imaginer qu’il représente une forme statique, revenant à elle-même de manière linéaire.

Pour résumer, soit on le voit en deux parties s’opposant, représentant une torsion au sein d’une spirale, même si « aplatie » en deux dimensions, soit on le voit comme une accumulation quantitative de mouvements dans un sens et dans l’autre, de manière infinie, ce qui correspond à la déchirure du quantitatif dans l’infini, ouvrant la voie au qualitatif.

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L’opposition des dissidents dans l’URSS social-impérialiste

La non fondation d’un mouvement marxiste-léniniste et l’incapacité gauchiste permit à la « dissidence » d’apparaître comme la seule réelle opposition en URSS sociale-impérialiste. De par sa dimension purement intellectuelle et ses liaisons ouvertes avec la superpuissance impérialiste américaine, il va de soi qu’aucun soutien populaire n’était possible.

Les dissidents sont des intellectuels et des scientifiques, le plus souvent des littéraires particulièrement tournés vers la littérature occidentale moderniste.

On parle, pour forcer le trait, de gens souvent favorables à un communisme « démocratique », ou du moins à un humanisme socialisant, mais n’ayant pas de scrupules à se voir soutenu par toutes les officines occidentales, que ce soit les maisons d’édition ou les services secrets.

En URSS même, le principal mode opératoire consistait en le samizdat, c’est-à-dire l’auto-édition, réalisée soit de manière manuscrite, soit en tapant à la machine, dans la mesure où tous les appareils de reproduction de documents étaient surveillés.

Le vrai début du mouvement des dissidents date de 1965, avec l’arrestation des écrivains Andreï Siniavski et Iouli Daniel, condamné à plusieurs années de prison pour agitation anti-soviétique.

Cela provoqua un grand émoi dans les milieux intellectuels soviétiques, avec notamment un rassemblement de 200 personnes sur la place Pouchkine à Moscou le 5 décembre 1965 ; les pays occidentaux en profitèrent pour commencer un soutien massif.

Une figure très connue est ici le physicien Andreï Sakharov, qui obtint le prix Nobel de la paix en 1975. Initialement, c’est un des principaux responsables de la mise en place des armes nucléaires en URSS ; il passa ensuite dans l’activisme promouvant un humanisme pro-occidental.

Andreï Sakharov

En lien avec des journalistes occidentaux, il organisa ainsi une conférence de presse à Moscou en 1974, expliquant qu’il y avait un danger mondial avec une « URSS sur-militarisée entre les mains d’une bureaucratie officielle d’État ».

L’année suivante, son ouvrage Mon pays et le monde est publié dans les pays occidentaux, ce qui lui vaut d’être arrêté finalement en 1980 et assigné à résidence dans la ville de Gorki jusqu’en 1986.

Cette même année, deux agents du KGB intervinrent en pleine nuit avec deux employés du téléphone ; le téléphone installé sonna rapidement : ce fut Mikhaïl Gorbatchev qui appelait pour dire qu’il pourrait retourner à Moscou s’il le voulait.

Un autre exemple de dissident réhabilité par Mikhaïl Gorbatchev fut Alexandre Soljenitsyne, écrivain auquel l’occident remit le prix Nobel de littérature en 1970. Il fut expulsé en 1974 ; ses romans Une journée d’Ivan Denissovitch et L’archipel du goulag sont des œuvres extrêmement militantes dans l’anticommunisme.

Alexandre Soljenitsyne

Lui-même est par contre d’extrême-droite et ne relève pas de l’humanisme à prétention socialiste qu’on a chez la plupart des dissidents ; le poète Joseph Brodsky, de facture moderniste, obtint également le prix Nobel de littérature en 1987.

Les dissidents mirent en place en mai 1976 un « Groupe de Moscou pour l’assistance à la mise en œuvre des accords d’Helsinki » ; sa fondation officielle devant la presse internationale eut lieu dans l’appartement moscovite de l’académicien Andrei Sakharov.

Les accords d’Helsinki, signés en 1975, avaient été signés par les pays ouest-européens et les États-Unis (ainsi que le Canada) d’un côté, les pays est-européens et l’URSS de l’autre ; ils soulignaient la nécessité de bons rapports entre le pays, de l’intégrité territoriale, et contenaient un volet sur les droits humains.

Le Groupe de Moscou n’existait de fait que dans le cadre d’un soutien purement occidental, et nombre de dissidents furent expulsés ou forcés à l’immigration. La mise de force en hôpital psychiatrique était une méthode généralisée pour les forcer au silence ou au départ, avec donc de pseudos bilans médicaux permettant de « justifier » un internement et un traitement forcé, visant de fait à rendre réellement fou.

L’écrivain Vladimir Boukovski fut le premier à passer à l’ouest des documents sur l’enfermement psychiatrique des dissidents ; on notera qu’il fut échangé en 1976 contre le prisonnier politique chilien Luis Corvalán (à la tête du Parti Communiste pro-soviétique), qu’il sera l’une des principales figures du Brexit et qu’il eut des soucis avec la justice britannique pour possession d’une immense quantité de films et photographies à caractères pédophiles et zoophiles.

Cette méthode d’enfermement psychiatrique concerna des centaines de personnes, pas seulement les dissidents ; furent ciblés des candidats à l’émigration, des nationalistes des républiques non-russes, des religieux.

C’était également une méthode pour éviter les procès. Un exemple significatif fut Victor Fainberg, qui avait participé à un rassemblement de quelques personnes sur la Place Rouge pour protester en août 1968 contre l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Il eut toutes les dents de devant cassés par la police et pour éviter qu’il ne témoigne au procès des manifestants, il fut envoyé quatre ans en psychiatrie.

Un autre milieu où l’opposition de ce type se recruta beaucoup fut la communauté juive, travaillée au corps par le sionisme très largement appuyé par la superpuissance impérialiste américaine.

Le climat délétère de l’URSS social-impérialiste et un retour significatif de l’antisémitisme poussaient les Juifs à essayer de quitter le pays, les réponses souvent négatives des autorités aboutit à ce qu’ils furent surnommés les « refuzniks ».

Deux affaires sont ici emblématiques de la question. Il y eut ainsi la publication en 1963 d’un ouvrage intitulé Le judaïsme sans embellissement, écrit par Trofim Kichko, un nationaliste ukrainien.

Officiellement philosophe, celui-ci a commencé une activité d’intellectuel antisémite, en étant utilisé ensuite sous le masque d’antisionisme à partir de 1967 et de la rupture nette entre l’URSS et l’État israélien (que l’URSS est historiquement le premier à avoir reconnu).

Le judaïsme sans embellissement, publié officiellement dans le cadre de l’Académie ukrainienne des sciences est une caricature de délire complotiste et provoqua un scandale international, obligeant l’URSS à supprimer l’ouvrage. D’autres ouvrages du même esprit furent néanmoins publiés.

Couverture de la première édition, en ukrainien, du pamphlet antisémite « Le judaïsme sans embellissement »

La seconde affaire concerne les études de mathématiques, où il est apparu que l’accès était largement bloqué aux étudiants Juifs. Cela perdura tout au long de la période 1960-1980.

C’est le contexte de la tendance au départ. 259 500 Juifs ont cependant quitté l’URSS entre 1967 et 1982, dont par contre seulement autour de 161 000 pour Israël. Parmi les autres émigrants, il y a les Allemands de la Volga, avec 82 600 quittant le pays entre 1971 et 1985.

Le mouvement se tarit massivement par la suite ; en comptant les protestants, les Allemands de la Volga, les Juifs, etc., 51 333 personnes reçurent des visas de sortie en 1979, 2 688 ont été délivrés en 1982, 1 315 en 1983 et seulement 896 en 1984.

Du côté des Juifs, le mouvement fut très marqué avec l’effondrement de l’URSS : 330 000 départs en 1990-1991, 490 000 pour la période 1992-1999, 104 000 pour la période 2000-2002.

Enfin, le troisième milieu d’opposition dissidente, mais sans recherche de confrontation fut les milieux touchés par l’irrationnel et le nationalisme.

Il y avait toute une fascination en URSS social-impérialiste pour les pouvoirs paranormaux, pour les interprétations mystiques et complotistes, les délires nationalistes raciaux, etc.

Cela va s’exprimer de manière massive sur le plan populaire dans les années 1990, une fois que l’encadrement soviétique aura définitivement disparu, avec le pullulement des groupes nationalistes et des structures néo-païennes, dans un contexte où la moitié du pays vit sous le seuil de pauvreté et que le PIB a chuté de moitié.

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L’opposition de gauche « néo-marxiste » dans l’URSS social-impérialiste

Incapable de se tourner vers le marxisme-léninisme en tant que matérialisme dialectique, l’opposition interne à l’URSS social-impérialiste a eu une tendance substantielle à se tourner vers le gauchisme.

C’était la solution « idéale » pour contourner la question de Staline, de l’URSS des années 1930, 1940, 1950. Il suffisait de dire que la révolution russe était une bonne chose, mais qu’elle s’était enlisée et qu’une bureaucratie avait pris le dessus.

La question de savoir si cette bureaucratie agissait dans un cadre resté socialiste ou bien si le capitalisme avait pris le dessus n’était pas vraiment répondu, ou bien avec des nuances plus qu’autre chose.

Le strict équivalent de cette approche sur le plan des idées, ce sont les partis communistes occidentaux liés à l’URSS, les courants marxistes-léninistes tournés vers Che Guevara.

Il y a également, par contre, une certaine influence de l’esprit de la « nouvelle gauche » liée aux événements de l’année 1968, avec notamment Herbert Marcuse et la dénonciation d’une société moderne tournée vers l’administration et la consommation.

Dans tous les cas, on est dans une approche de recomposition du marxisme, de relecture, de néo-marxisme.

Il faut dire ici que cette opposition « gauchiste » se fonde systématiquement sur la base de jeunes liés aux universités, et ayant des connaissances à propos de ce qui se passe comme révoltes dans les pays occidentaux.

De par les difficultés d’accès à ces connaissances, de par la répression impitoyable, il faut par contre bien considérer que ces gauchistes sont restés très faibles quantitativement, en restant totalement à la marge de la société soviétique, à part très relativement dans quelques milieux artistiques et littéraires dans les grandes villes.

On a ainsi la Fédération des forces démocratiques d’orientation socialiste, basée à Moscou, consistant un cercle touchant grosso modo 300 personnes entre 1977 et 1982. Ces jeunes étaient alignés sur la social-démocratie occidentale et les partis communistes occidentaux.

On a le Groupe du communisme révolutionnaire, touchant des centaines d’étudiants à Saratov, Riazan et Petrozavodsk, mêlant marxisme-léninisme, réformisme, humanisme occidental.

Ce fut également l’approche du Parti révolutionnaire des intellectuels de l’Union soviétique, de Sverdlovsk, démantelé en novembre 1971, qui insista par ailleurs sur le néo-marxisme occidental (notamment Herbert Marcuse).

Tel était le cas d’une Opposition de gauche à Leningrad, en 1976-1978, et dans la même ville de l’Union des communards révolutionnaires (1975-1979) qui avait comme modèle le mai 1968 français.

Une autre organisation très similaire était la Jeunesse pour le communisme, présente à Moscou, Toula et Iaroslavl, et active 1979 à 1981 ; elle se revendiquait du marxisme révolutionnaire et de Che Guevara. Il y eut également une « Brigade Internationale Che Guevara » fondée à Moscou par des étudiants latino-américains.

Il y eut également, de manière bien plus marquante, le Parti néo-communiste de l’Union soviétique, qui exista de 1974 à 1985 avec une grande pratique clandestine (encre sympathique « boîte aux lettres » pour les messages codés…).

C’était le fruit d’une rencontre entre deux structures déjà clandestines, le Parti des Nouveaux Communistes et l’École de gauche, dont des membres se rencontrèrent. Comme la ligne était conspiratrice, il fallut des mois d’approche avant que chaque structure ne révèle son existence à l’autre.

La première organisation était très marquée par le gauchisme européen, Herbert Marcuse, Che Guevara, la seconde était très influencée par l’existentialisme (Jean-Paul Sartre, mais également Albert Camus).

La fusion des deux structures, davantage une unité complète initialement en réalité, produisit une vraie tentative d’analyser l’URSS et de proposer une relance du processus révolutionnaire.

Car toutes deux considéraient que l’URSS des années 1930 avaient bien mis en place le socialisme, mais que la situation était perverse de par la formation d’une bureaucratie prenant le dessus. On est ici dans un mélange de gauchisme, de trotskisme, d’eurocommunisme propre aux partis communistes des pays occidentaux liés à l’URSS.

Comme on était par contre en URSS même, trouver la réponse pour avancer était impérative. Et si les deux organisations s’entendirent si bien, c’est que toutes deux appuyaient la dimension subjective, l’esprit de rupture.

Elles considéraient que les étudiants seraient en première ligne pour réactiver la cause révolutionnaire, lorsque la bureaucratie témoignerait de son incapacité à être autre chose que parasitaire dans une société se développant malgré tout économiquement.

Eux n’auraient rien à perdre, se retrouvant bloqués dans leur vie, alors que dans le cadre de l’URSS, les ouvriers pouvaient grimper les échelons dans la bureaucratie.

La répression s’abattit toutefois immédiatement, avec de multiples arrestations, en 1975. L’auteur des thèses de ce mouvement, à la tête du premier groupe, Parti des Nouveaux Communistes Alexandre Tarassov, parvient à échapper initialement à la répression et parvient à détruire les documents.

Il n’y aura alors pas de procès, le KGB ne parvenant pas à trouver l’existence du Parti néo-communiste de l’Union soviétique.

Alexandre Tarassov, âgé de 17 ans alors, n’échappe par contre pas à une année dans un hôpital psychiatrique. Il y a reçu des coups, des prises forcées de neuroleptiques, des électro-chocs, des comas hypoglycémiques artificiels, des injections de médicaments particulièrement douloureux, etc.

Le résultat fut l’hypertension, les rhumatismes, une inflammation chronique des articulations, des maladies du foie et du pancréas, l’incapacité de bouger sans douleur sans analgésiques.

Cela ne l’a pas empêché, à sa sortie (obtenue en simulant d’avoir été brisé), de reprendre son travail militant, le mouvement ayant été sauvé grâce à la dirigeante Natalya Magnat, décédée à 42 ans en 1997,en raison de la maladie de Crohn, incapable alors de trouver de l’argent pour une troisième opération.

Elle écrivit alors :

« Nous avions peur d’un tel développement de les événements, nous l’avions prévu, que c’est ainsi que tout se terminera. Je pense que s’il y avait eu beaucoup de gens comme nous, bien plus, l’histoire aurait pu se dérouler différemment, sans l’effondrement de l’Union soviétique, sans massacres interethniques, sans pauvreté, sans amertume générale et sans ossification. »

Natalya Magnat

Car le mouvement, qui a réussi à tenir jusqu’en 1985, a fini par s’autodissoudre, considérant qu’il n’était pas en mesure d’avoir une influence sur les choses.

Le plus étonnant, c’est que lorsqu’il procède à cette capitulation, il est considéré que l’URSS allait d’effondrer d’ici la fin du 20e siècle !

Cependant, la désillusion a triomphé dans les rangs de cette organisation, réduite à une vingtaine de personnes, mais avec un bon réseau et de nombreux cadres éprouvés.

Toutes ses activités l’amenaient à se confronter à des gens vivant leur vie, happés par la vie quotidienne, se désintéressant totalement d’une perspective révolutionnaire.

L’auto-dissolution de 1985 correspond à cet esprit qu’un petit parti clandestin qui ne pourrait pas avoir d’effet lors de l’effondrement du régime, en raison de l’imprégnation fondamentalement petite-bourgeoise des masses.

Le paradoxe d’une prévision correcte de l’effondrement mais de la capitulation qui triomphe s’explique par le fait que le Parti néo-communiste de l’Union soviétique considérait toujours l’URSS comme socialiste.

Il finit par rejeter cette conception, mais considéra alors que la marche était trop haute pour lui, puisqu’il fallait non seulement une révolution politique pour se débarrasser d’une couche petite-bourgeoise – bureaucratique, mais en fait une révolution générale.

Alexandre Tarassov est resté sur cette position gauchiste, en tant que « post-marxiste » hyper-actif dans la publication d’articles et l’édition d’ouvrages (notamment Cornelius Castoriadis, Alain Badiou), ainsi que sur l’antifascisme (il fut régulièrement menacé par l’extrême-droite activiste et même agressé).

On notera qu’il dénonça violemment le coup de force du Maïdan en Ukraine (« eux qui se disent « gauchistes », mais ne soutiennent pas la guerre du peuple du Donbass contre le régime de Kiev sont soit des imbéciles, soit des agents directs de l’impérialisme occidental »).

Parmi les autres structures notables, il faut mentionner le « Parti de la Dictature du Prolétariat », actif à Kouïbychev (aujourd’hui Samara) de 1976 à 1981, qui s’était par contre tourné vers les ouvriers, sur une base gauchiste cependant.

C’était également le cas de l’« Union des communistes », fondé en 1986 sur la base d’un groupe fondé en 1983, et écrasé en 1988, mais continuant ensuite de manière non clandestine.

Cette tendance au gauchisme produisit, finalement, le retour de l’anarchisme et de l’anarcho-syndicalisme.

Il y eut ainsi un cercle léniniste clandestin fondé en 1980 à Moscou, qui donna naissance à une « Organisation – Comité du parti marxiste révolutionnaire de toute l’Union », qui cependant stoppa tout de suite son activité, pour donner naissance à une structure légale se transformant au fur et à mesure pour former une « Union des socialistes indépendants », et ensuite la Confédération des anarcho-syndicalistes en 1988, qui fut relativement connue en Russie les années suivantes.

Cette confédération a également été rejointe par le Détachement de Che Guevara formé en 1978 à Moscou dans la clandestinité, qui a réussi à se maintenir en ne faisant pas de propagande ouverte et en agissant clandestinement à l’Institut pédagogique d’État de Moscou.

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L’opposition marxiste-léniniste dans l’URSS social-impérialiste

La tentative de coup d’État d’août 1991 représente le seul moment où l’URSS a connu un véritable moment de basculement.

Lors du triomphe du révisionnisme dans les années 1950, il n’y eut que deux réactions très fortes. La première fut celle des membres du Parti Communiste de Grèce, avec à leur tête Níkos Zachariádis.

Réfugiés dans les pays de l’Est européen et en URSS, notamment à Tachkent, à la suite de la défaite provoquée par la trahison de la Yougoslavie, ils ont levé une vraie opposition frontale, qui a été écrasé.

Si on a ici une expression de cadres isolés, la seconde eut un caractère de masse, en Géorgie, avec des émeutes dans la capitale Tbilissi, en mars 1956, qui furent réprimés dans le sang.

Pour le reste, on a quasiment aucune information, de par la répression terrible et sa dimension secrète. Deux faits marquants sont cependant à noter. Le premier, c’est l’apparition d’un « appel des communistes révolutionnaires soviétiques (bolcheviks) », en 1966. Il fut diffusé par l’intermédiaire de l’Albanie et est censé avoir circulé en URSS.

L’appel est relativement optimiste quant à la classe ouvrière et à l’armée en URSS. On y lit notamment :

« Aujourd’hui, un moment décisif est survenu dans le développement du mouvement communiste.

Dans une situation où chaque parti communiste doit décider lui-même quelle voie suivre – la voie du marxisme révolutionnaire ou la voie de l’opportunisme, il est important que les communistes du monde entier entendent la voix de leurs camarades soviétiques.

Aujourd’hui, l’opinion de ces derniers est présentée comme telle qu’elle est exprimée dans les décisions et les déclarations publiées par les dirigeants actuels du PCUS.

Mais quiconque connaît au moins un peu la situation intérieure de notre pays, qui au moins parfois communique avec les masses et les membres ordinaires du parti, ne peut s’empêcher de savoir que toutes ces décisions et déclarations non seulement ne reflètent pas les véritables aspirations et les objectifs de l’écrasante majorité du peuple soviétique, comme de l’écrasante majorité des membres du PCUS, mais sont en contradiction flagrante avec ces aspirations et ces objectifs.

Les communistes chinois et albanais ont fait preuve d’une loyauté inébranlable envers les principes et d’un dévouement révolutionnaire en dénonçant l’opportunisme moderne.

Les documents du Parti communiste chinois et du Parti du travail albanais ont complètement révélé la voie de trahison des intérêts de la révolution socialiste, suivie par les dirigeants du PCUS après la mort de Staline.

C’est pourquoi nous répéterons souvent les thèses des camarades chinois et albanais.

Mais même dans ces cas-là, en règle générale, nous exprimerons notre propre point de vue, afin que chacun sache : c’est le point de vue d’un communiste soviétique, c’est le point de vue de millions de communistes soviétiques.

Cependant, nous considérons que notre objectif le plus important est de révéler les raisons qui ont donné naissance à l’antagonisme entre la direction du PCUS, d’une part, et l’écrasante majorité des communistes soviétiques, d’autre part.

Il faut arracher les masques des dirigeants opportunistes du PCUS en révélant leur position sociale au sein de l’URSS, où ils ne peuvent cacher leurs entrailles pourries sous aucun masque, où ils ont réellement usurpé tout le pouvoir et se sont opposés au peuple (…).

Immédiatement après le XXe Congrès, lors des assemblées générales des organisations primaires du PCUS, les membres ordinaires du parti ont demandé massivement que le Comité central donne une évaluation véritablement marxiste des activités de Staline.

Cette revendication était si persistante que la direction du PCUS fut contrainte de recourir à la persécution de certains membres du parti et à la dissolution d’un certain nombre d’organisations du parti agissant de concert. Plus tard, en 1957, lors des réunions du parti, tous ceux qui critiquaient les décisions du XXe Congrès furent contraints de renoncer à leurs opinions (…).

Y avait-il une différence dans la nature des activités de Lénine et de Staline ?

Oui, c’était le cas. En comparant ces deux dirigeants révolutionnaires, les opportunistes (en plein accord avec leur vision bourgeoise du monde) réduisent tout aux qualités personnelles de ces personnes.

Cependant, il est tout à fait clair que les activités de Lénine et celles de Staline en tant que dirigeants du parti et de l’État appartiennent à deux étapes différentes du développement de la révolution, étapes fondamentalement différentes l’une de l’autre.

La mort de Lénine a presque coïncidé avec la fin du début de la révolution européenne, de sorte que la tâche de gouverner le premier État prolétarien incombait à Staline à une époque d’encerclement total sur la scène mondiale, face à une base faible pour la construction du socialisme.

La percée d’un maillon faible de la chaîne capitaliste impliquait la faiblesse de la révolution elle-même (…).

Créant et unifiant l’appareil d’État et accomplissant simultanément la tâche d’une grande importance historique d’assurer le succès économique de notre pays pendant toute la période de construction des fondations du socialisme, Staline s’est appuyé sur l’appareil bureaucratique dans ses actions, il a lutté contre l’appareil bureaucratique avec son aide.

Et c’était précisément pour cette raison qu’il ne pouvait pas l’écraser complètement. Il a vu comment l’hydre bureaucratique grandissait, et malgré le fait qu’il lui coupait impitoyablement les têtes, elle les relevait encore et encore.

Dans sa lutte pour préserver la pureté révolutionnaire, il ne faisait confiance (et on peut difficilement dire qu’il n’avait aucune raison de le faire) à aucun de ceux qui l’entouraient (seul Molotov se montrait son digne compagnon d’armes).

La personnalité de Staline est véritablement une personnalité héroïque et sacrée. Staline apparaît dans l’histoire comme un exemple pour les révolutionnaires, comme un avertissement pour ceux qui hésitent et comme une terreur pour les ennemis.

La mort de Staline a libéré les mains de la bureaucratie (…).

Pour briser le système bureaucratique en URSS, il faut une organisation de révolutionnaires, il faut canaliser la colère du peuple vers la lutte des classes. Mais il n’est nul besoin de faire de découvertes pour cela.

Devant nous se trouve une voie bien tracée : celle de la restauration du parti prolétarien.

Après tout, le PCUS est aujourd’hui devenu une organisation tout à fait formelle, un magnifique canevas qui crée une apparence démocratique à travers laquelle la bureaucratie exerce réellement son pouvoir. Il est tout à fait clair que le nouveau parti véritablement prolétarien ne sera rien d’autre que le Parti communiste de toute l’Union (bolcheviks) restauré.

Quiconque est prêt à lutter contre la bureaucratie, quiconque apprécie de manière désintéressée les grandes victoires révolutionnaires de notre peuple doit s’engager avec audace et irrévocablement dans cette voie.

Notre heure a sonné.

De la création de cellules locales du PCUS(b) à leur fusion en une puissante avalanche invincible qui balayera la bureaucratie, telle est la voie que les communistes doivent suivre. Les activités des cellules du PCUS (b), la distribution de ses slogans et tracts devraient aboutir à une véritable lutte partisane.

La terre doit brûler sous les pieds des bureaucrates. Inutile de dire que cette lutte fera naître ses héros !

Les opportunistes, avec leur cynisme petit-bourgeois et leur méfiance à l’égard des gens, ne voient rien d’autre dans ce monde que leur propre intérêt matériel.

Cependant, l’héroïsme communiste et l’honnêteté de notre peuple sont sans limites. Suffoquant dans l’atmosphère suffocante de la pourriture bureaucratique, certains Soviétiques ont perdu leurs repères dans la vie.

Mais montrez-leur le bon chemin et ils commenceront à faire des miracles.

Aussi petites et impuissantes que puissent paraître les cellules du PCUS(b) au début de leurs activités, les organisateurs doivent clairement comprendre l’importance de leur propre initiative.

Leur persécution scandalisera sans aucun doute le peuple tout entier et opposera les masses aux bureaucrates ; et la bureaucratie ne sera pas en mesure d’y faire face. »

Il n’y eut pas d’autres informations sur cette organisation, qui sans doute fut écrasé dès le départ.

On voit cependant facilement que si la position est anti-révisionniste, il n’y a pas de compréhension de la dimension culturelle, du rapport villes-campagnes, du matérialisme dialectique, etc.

On en reste à une position de refus d’une tendance qui a déjà triomphé, ce qui ne permet pas d’avancer une perspective en propre.

Plus symptomatique sans doute, il y eut la mutinerie de la frégate lance-missile Storojevoï (Le Vigilant), en novembre 1975, conduite par le commissaire politique Valery Sabline. L’objectif de celui-ci était d’arriver à Leningrad au niveau du croiseur Aurora, d’où partit le tir à blanc d’un coup de canon indiquant la prise du palais d’Hiver en Octobre 1917.

Valery Sabline

Il entendait alors s’adresser à la presse et à la télévision pour dénoncer la corruption des dirigeants du pays et affirmer les valeurs léninistes. Le contenu de la déclaration est à peu près celui-ci :

« La direction du parti et le gouvernement soviétique ont trahi les principes de la révolution. Il n’y a ni liberté ni justice. La seule issue est une nouvelle révolution communiste.

Une révolution est un puissant mouvement de pensée sociale, c’est une poussée colossale de fluctuations ionosphériques, qui provoquera inévitablement l’activité des masses et s’incarnera dans un changement matériel dans l’ensemble de la formation socio-économique.

Quelle classe sera l’hégémonie de la révolution communiste ? Ce sera la classe de l’intelligentsia ouvrière et paysanne. La question centrale de la révolution est la question du pouvoir.

On suppose que l’appareil d’État actuel sera nettoyé et, à certains moments, démantelé et jeté dans les poubelles de l’histoire. Ces problèmes seront-ils résolus par la dictature de la classe dirigeante ? Nécessairement! Ce n’est que par la plus grande vigilance nationale que l’on pourra accéder à une société du bonheur ! »

Les mutins demandèrent à ce que le navire soit considéré comme indépendant de l’État et du Parti pour une année, qu’un des membres de l’équipage puisse prendre la parole à la télévision et à la radio chaque jour de 21h30 à 22h, que le navire puisse diffuser en permanence sur une chaîne de radio, que des provisions soient régulièrement apportées et que s’ils débarquent, les membres de l’équipage ne soient pas inquiétés.

Le navire a été bombardé et le capitaine du navire a pu reprendre le contrôle ; Valery Sabline a ensuite été rapidement fusillé et l’affaire bien entendu passé sous silence.

Cette affaire reflète indéniablement plus le sens de l’opposition qu’il y eut en URSS social-impérialiste.

On est dans l’incompréhension de ce qui se passe, on est dans la ligne de Nikita Khrouchtchev mais sans Nikita Khrouchtchev ; on ne veut pas de Staline qui semble déjà lointain, mais on voit bien que depuis sa mort les choses ont profondément changé.

C’est là qu’on voit que le révisionnisme, lorsqu’il a triomphé, a immédiatement obscurci toute possibilité d’une réaffirmation scientifique du marxisme-léninisme.

Le Parti était en effet porté par les cadres et la corruption de ceux-ci a abouti au sentiment d’installation ; lorsque Nikita Khrouchtchev dénonce Staline en 1956 au 20e congrès, l’affaire est pliée.

C’est en 1952, au 19e congrès, que la lutte des deux lignes était possible, lorsque le Parti a été réduit à une fonction « mécanique » dans la société, avec l’idée d’une paix mondiale générale. Mais là il n’y avait déjà plus que la droite et le centre, la gauche étant finalement épuisée, enlisée dans les activités de maintien en fonction du Parti et de l’État.

Sans une compréhension correcte de ce processus, on se focalise sur le 20e congrès et le développement d’une couche parasitaire, dont on ne sait pas trop s’il faut la dénoncer comme capitaliste ou comme bureaucratique.

C’est la raison pour laquelle le seul espace politique restant était une lecture gauchiste, à moins de se tourner ouvertement vers les pays occidentaux.

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La fin juridique de l’URSS

L’élection de Boris Eltsine à la présidence de la Russie en juin 1991 suivait un référendum en mars de la même année. La question posée demandait de répondre s’il fallait maintenir l’URSS ou non.

Paradoxalement, le succès du oui fut immense. Sur les 185 647 355 de citoyens ayant le droit de vote, 148 574 606 personnes (80,03 %) ont voté, 113 512 812 ont répondu « Oui » (soit (76,4 %), et seulement 32 303 977 personnes ont répondu « Non » (21,74 %). Il y a eu 2 757 817 bulletins de vote nuls soit 1,86 %.

Le vote en faveur du maintien fut de 97,9 % au Turkménistan, 96,2 % au Tadjikistan, 93,3 % en Azerbaïdjan, 94,1 % au Kazakhstan, 93,7 % en Ouzbékistan, 82,7 % en Biélorussie, 70,2 % en Ukraine.

Plusieurs républiques n’ont par contre pas organisé le référendum, car elles avaient déclaré leur indépendance quelques mois auparavant déjà : l’Arménie, la Moldavie, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Géorgie ; on y trouve par contre une part significative de personnes qui auraient voté oui.

Et ces chiffres sont d’autant plus importants pour les pays d’Asie centrale que de nombreuses émeutes avaient eu lieu en 1989 dans le cadre d’affrontements inter-ethniques. Pour l’Azerbaïdjan, c’est de grande signification également puisque l’armée soviétique était intervenue pour réprimer de manière sanglante des pogroms anti-arméniens à Bakou en janvier 1990.

On a ici une situation contradictoire où il y a une volonté populaire de maintenir l’URSS, alors que dans la pratique, les forces centrifuges l’emportaient de plus en plus, dans une atmosphère de fin d’empire.

Cette situation fit que les forces conservatrices se dirent qu’il fallait tenter le tout pour le tout. Ce fut la tentative de coup d’État du « Comité d’État pour l’état d’urgence » en août 1991.

Ce coup d’État visait à empêcher la signature d’un nouveau traité entre les républiques, qui mettait de facto fin à l’existence de l’URSS. Le référendum indiquait bien qu’il y avait une base populaire favorable à l’URSS et les putschistes espéraient au moins un soutien passif.

On trouvait qui plus est dans les rangs putschistes les plus hautes figures de l’appareil en place. On avait le chef du KGB Vladimir Kryouchkov, le ministre de l’Intérieur de l’URSS Boris Pugo, le ministre de la Défense de l’URSS Dmitry Yazov, le président du Soviet Suprême Anatoly Loukianov, le premier vice-président du Conseil de défense de l’URSS Dmitrievitch Baklanov, le premier ministre de l’URSS Valentin Pavlov, etc.

Voici la déclaration du Comité.

« DÉCLARATION

daté du 18 août 1991

En raison de l’impossibilité pour des raisons de santé de Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev d’exercer les fonctions de président de l’URSS et du transfert, conformément à l’article 127 7 de la Constitution de l’URSS, des pouvoirs du président de l’URSS au vice-président de l’URSS Gennady Ivanovitch Yanaev ;

afin de surmonter la crise profonde et globale, la confrontation politique, interethnique et civile, le chaos et l’anarchie qui menacent la vie et la sécurité des citoyens de l’Union soviétique, la souveraineté, l’intégrité territoriale, la liberté et l’indépendance de notre patrie ;

sur la base des résultats du référendum national sur la préservation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques ;

guidé par les intérêts vitaux des peuples de notre patrie, de tout le peuple soviétique,

Nous déclarons :

1. Conformément à l’article 127-3 de la Constitution de l’URSS et à l’article 2 de la loi de l’URSS « sur le régime juridique de l’état d’urgence », et répondant aux exigences de larges couches de la population quant à la nécessité de tirer le meilleur parti possible de l’état d’urgence. des mesures décisives pour empêcher la société de sombrer dans une catastrophe nationale, pour garantir l’ordre public, instaurer l’état d’urgence dans certaines régions de l’URSS pour une durée de 6 mois à partir de 4 heures, heure de Moscou, le 19 août 1991.

2. Établir que sur tout le territoire de l’URSS, la Constitution et les lois de l’URSS ont une suprématie inconditionnelle.

3. Pour gouverner le pays et mettre en œuvre efficacement l’état d’urgence, former le Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS (GKChP URSS) dans la composition suivante : Baklanov O. D. – Premier vice-président du Conseil de défense de l’URSS, Kryuchkov V. A. – Président du KGB de l’URSS, Pavlov V.S. – Premier ministre de l’URSS, Pugo B.K. – Ministre de l’Intérieur de l’URSS, Starodoubtsev V.A. – Président de l’Union paysanne de l’URSS, Tizyakov A.I. Président de l’Association des entreprises d’État et de l’industrie, de la construction, des transports et des communications de l’URSS, D. T. Yazov – Ministre de la Défense de l’URSS, G. I. Yanaev – Par intérim Président de l’URSS.

4. Établir que les décisions du Comité d’État d’urgence de l’URSS doivent être strictement exécutées par tous les organes gouvernementaux et administratifs, les fonctionnaires et les citoyens sur tout le territoire de l’URSS.

Membres du Comité d’urgence de l’État
G. Yanaev,
V. Pavlov,
O. Baklanov »

Voici « l’appel au peuple soviétique » du même jour.

« Compatriotes ! Citoyens de l’Union soviétique !

Dans une heure difficile et critique pour le sort de la Patrie et de nos peuples, nous nous tournons vers vous ! Un danger mortel menace notre grande Patrie ! La politique de réformes lancée à l’initiative de M. S. Gorbatchev, conçue comme un moyen d’assurer le développement dynamique du pays et la démocratisation de la vie publique, est dans une impasse pour plusieurs raisons.

L’enthousiasme et les espoirs initiaux ont été remplacés par l’incrédulité, l’apathie et le désespoir. Les autorités à tous les niveaux ont perdu la confiance de la population. La politique a écarté de la vie publique la préoccupation pour le sort de la Patrie et du citoyen. On se moque de toutes les institutions de l’État. Le pays est devenu fondamentalement ingouvernable.

Profitant des libertés accordées, piétinant les nouveaux germes de la démocratie, des forces extrémistes ont émergé, ouvrant la voie à la liquidation de l’Union soviétique, à l’effondrement de l’État et à la prise du pouvoir à tout prix.

Les résultats du référendum national sur l’unité de la Patrie ont été piétinés. Les spéculations cyniques sur les sentiments nationaux ne sont qu’un écran pour satisfaire les ambitions.

Ni les troubles présents de leurs peuples ni leurs lendemains ne dérangent les aventuriers politiques. En créant un climat de terreur morale et politique et en essayant de se cacher derrière le bouclier de la confiance populaire, ils oublient que les liens qu’ils ont condamnés et rompus ont été établis sur la base d’un soutien populaire beaucoup plus large, qui a également passé l’épreuve de siècles d’histoire.

Aujourd’hui, ceux qui mènent essentiellement la cause du renversement de l’ordre constitutionnel doivent répondre devant leurs mères et pères de la mort de plusieurs centaines de victimes des conflits interethniques. Ils sont responsables du sort mutilé de plus d’un demi-million de réfugiés. À cause d’eux, des dizaines de millions de Soviétiques, qui hier encore vivaient dans une seule famille, ont perdu la paix et la joie de vivre et se retrouvent aujourd’hui exclus de leur propre foyer.

Ce que devrait être le système social devrait être décidé par le peuple, et ils tentent de le priver de ce droit.

Au lieu de se soucier de la sécurité et du bien-être de chaque citoyen et de la société dans son ensemble, les personnes aux mains desquelles se trouve le pouvoir l’utilisent souvent dans des intérêts étrangers au peuple, comme moyen d’affirmation de soi sans principes. Des flots de paroles, des montagnes de déclarations et de promesses ne font que souligner la pauvreté et la misère des affaires pratiques. L’inflation du pouvoir, plus terrible que toute autre, détruit notre État et notre société. Chaque citoyen ressent une incertitude croissante quant à l’avenir et une profonde anxiété quant à l’avenir de ses enfants.

La crise de l’électricité a eu un impact catastrophique sur l’économie. Le glissement chaotique et spontané vers le marché a provoqué une explosion d’égoïsmes – régionaux, départementaux, collectifs et personnels.

La guerre des lois et l’encouragement des tendances centrifuges ont abouti à la destruction d’un mécanisme économique national unique qui se développait depuis des décennies. Le résultat fut une forte baisse du niveau de vie de la grande majorité de la population soviétique, ainsi que l’essor de la spéculation et de l’économie souterraine.

Il est grand temps de dire la vérité aux gens : si vous ne prenez pas de mesures urgentes et décisives pour stabiliser l’économie, alors dans un avenir très proche, la famine et un nouveau cycle d’appauvrissement sont inévitables, dont un pas conduit à des manifestations massives de pauvreté spontanée. mécontentement aux conséquences dévastatrices.

Seules les personnes irresponsables peuvent espérer une aide de l’étranger. Aucune aumône ne résoudra nos problèmes ; le salut est entre nos mains. Le moment est venu de mesurer l’autorité de chaque personne ou organisation à l’aune de sa contribution réelle à la restauration et au développement de l’économie nationale.

Depuis de nombreuses années, de toutes parts, nous entendons des incantations sur l’engagement en faveur des intérêts de l’individu, le souci de ses droits et de la sécurité sociale. En réalité, la personne s’est retrouvée humiliée, privée de droits et d’opportunités réels et plongée dans le désespoir.

Sous nos yeux, toutes les institutions démocratiques créées par la volonté populaire perdent de leur poids et de leur efficacité. C’est le résultat des actions délibérées de ceux qui, en bafouant grossièrement la Loi fondamentale de l’URSS, mènent en réalité un coup d’État anticonstitutionnel et aspirent à une dictature personnelle effrénée. Les préfectures, les mairies et autres structures illégales remplacent de plus en plus les soviets élus par le peuple.

Il y a une attaque contre les droits des travailleurs. Les droits au travail, à l’éducation, aux soins de santé, au logement et aux loisirs sont remis en question.

Même la sécurité personnelle fondamentale des personnes est de plus en plus menacée. La criminalité croît rapidement, est organisée et politisée. Le pays plonge dans l’abîme de la violence et de l’anarchie. Jamais dans l’histoire du pays la propagande sexuelle et violente n’a été d’une telle ampleur, menaçant la santé et la vie des générations futures. Des millions de personnes réclament des mesures contre le poulpe du crime et de l’immoralité flagrante.

La déstabilisation croissante de la situation politique et économique en Union soviétique mine notre position dans le monde. Dans certains endroits, des notes de revanchisme ont été entendues et des demandes ont été faites pour réviser nos frontières. Des voix s’élèvent même sur le démembrement de l’Union soviétique et la possibilité d’établir une tutelle internationale sur des objets et des régions individuels du pays. C’est la triste réalité. Hier encore, un Soviétique qui se trouvait à l’étranger se sentait comme un digne citoyen d’un État influent et respecté. Il est aujourd’hui souvent un étranger de seconde zone, dont le traitement porte le sceau du dédain ou de la sympathie.

La fierté et l’honneur du peuple soviétique doivent être pleinement restaurés.

Le Comité d’État pour l’état d’urgence et l’URSS est pleinement conscient de la profondeur de la crise qui frappe notre pays, il assume la responsabilité du sort de la Patrie et est déterminé à prendre les mesures les plus sérieuses pour amener l’État et la société sortir de la crise le plus rapidement possible.

Nous promettons d’organiser un large débat national sur le projet de nouveau traité sur l’Union. Chacun aura le droit et l’opportunité, dans une atmosphère sereine, de comprendre cet acte très important et de prendre une décision à ce sujet, car de ce que deviendra l’Union dépendra le sort de nombreux peuples de notre grande Patrie.

Nous avons l’intention de rétablir immédiatement l’ordre public, de mettre fin à l’effusion de sang, de déclarer une guerre sans merci au monde criminel et d’éradiquer les phénomènes honteux qui discréditent notre société et humilient les citoyens soviétiques. Nous débarrasserons les rues de nos villes des éléments criminels et mettrons fin à la tyrannie des pilleurs de biens populaires.

Nous défendons des processus véritablement démocratiques, une politique cohérente de réformes conduisant au renouveau de notre patrie, à sa prospérité économique et sociale, qui lui permettront de prendre la place qui lui revient dans la communauté mondiale des nations.

Le développement du pays ne doit pas reposer sur une baisse du niveau de vie de la population. Dans une société saine, l’amélioration continue du bien-être de tous les citoyens deviendra la norme.

Tout en restant déterminés à renforcer et à protéger les droits individuels, nous nous concentrerons sur la protection des intérêts des segments les plus larges de la population, ceux qui sont les plus durement touchés par l’inflation, les perturbations industrielles, la corruption et la criminalité. En développant la nature multistructurelle de l’économie nationale, nous soutiendrons également l’entreprise privée, en lui offrant les opportunités nécessaires au développement de la production et du secteur des services.

Notre première priorité sera de résoudre les problèmes de nourriture et de logement. Toutes les forces disponibles seront mobilisées pour répondre à ces besoins les plus pressants de la population.

Nous appelons les ouvriers, les paysans, l’intelligentsia ouvrière et l’ensemble du peuple soviétique à rétablir au plus vite la discipline et l’ordre du travail, à élever le niveau de production, puis à avancer de manière décisive. De cela dépendent notre vie et l’avenir de nos enfants et petits-enfants, le sort de la Patrie.

Nous sommes un pays épris de paix et nous respecterons strictement toutes nos obligations. Nous n’avons aucune réclamation contre qui que ce soit. Nous voulons vivre avec tous dans la paix et l’amitié, mais nous déclarons fermement que personne ne sera jamais autorisé à empiéter sur notre souveraineté, notre indépendance et notre intégrité territoriale. Toute tentative de parler avec notre pays dans le langage de la dictature, d’où qu’elle vienne, sera résolument réprimée.

Notre peuple multinational a vécu pendant des siècles dans la fierté de sa patrie ; nous n’avons pas honte de nos sentiments patriotiques et considérons qu’il est naturel et légitime d’élever dans cet esprit les générations actuelles et futures de citoyens de notre grande puissance.

Ne pas agir à cette heure critique pour le sort de la Patrie signifie assumer la lourde responsabilité de conséquences tragiques et véritablement imprévisibles.

Tous ceux qui chérissent notre Patrie, qui veulent vivre et travailler dans une atmosphère de calme et de confiance, qui n’acceptent pas la poursuite de conflits interethniques sanglants, qui voient leur Patrie à l’avenir comme indépendante et prospère, doivent faire le seul bon choix.

Nous appelons tous les vrais patriotes et toutes les personnes de bonne volonté à mettre un terme à la période de troubles actuelle.

Nous appelons tous les citoyens de l’Union soviétique à prendre conscience de leur devoir envers la patrie et à apporter leur plein soutien au Comité d’État pour l’état d’urgence en URSS et aux efforts visant à sortir le pays de la crise.

Les propositions constructives des organisations sociopolitiques, des collectifs de travail et des citoyens seront acceptées avec gratitude comme manifestation de leur volonté patriotique de participer activement à la restauration de l’amitié séculaire au sein d’une seule famille de peuples frères et à la renaissance de la Patrie. »

Ce fut toutefois un échec lamentable, en trois jours, avec notamment Boris Eltsine qui prit la tête de l’opposition populaire, massive à Moscou.

C’est que les forces conservatrices avaient perdu toute assise réelle, d’une part, dans le cadre de l’effondrement économique du pays. Et leur seul programme réel était le maintien de l’URSS, sans perspective concrète, d’autre part.

Les forces armées n’ont donc pas résisté à la pression dans les rues de Moscou, alors qu’ils faisaient face à des dizaines de milliers de personnes. Les dirigeants du coup d’État ont également tergiversé et ainsi contribué à la désintégration du mouvement, sans compter qu’ils n’ont jamais osé décider de lancer l’assaut armé pour capturer Boris Eltsine.

Mikhaïl Gorbatchev, lui, était au courant de la tentative de coup d’État et avait sans doute été du parti d’attendre sa victoire, afin de pouvoir apparaître comme une force centriste et modérée si le coup d’État avait réussi.

Dans la pratique, il s’était en fait surtout effacé politiquement, ce que le « Comité d’État pour l’état d’urgence » comprit trop tard.

La nostalgie, tout ce qui restait finalement, ne suffisait pas. On a ici un exemple parlant de soutien au coup d’État fut celui de Sergueï Akhromeïev. Il fut un héros pendant la seconde guerre mondiale impérialiste, il fut ensuite une figure dirigeante de premier plan, notamment le chef d’état-major général des forces armées de l’URSS, de 1984 à 1988, date où il démissionna.

Sergueï Akhromeïev ne fut pas mis au courant de la mise en place du Comité et il était en vacances à Sotchi au moment du coup d’État. Il rejoignit Moscou de sa propre initiative pour le soutenir, sans croire aux possibilités de victoire pour autant, et se suicida à la suite de l’échec.

Ce fut alors la fin du Parti Communiste d’Union Soviétique. Il s’ensuivit, en effet, la dissolution de son Comité Central et la suspension de toutes ses activités. L’État russe dirigé par Boris Eltsine prenait en même temps le commande sur tous les organes de sécurité.

Boris Eltsine obtint alors en novembre 1991, pour un an et un mois, des pouvoirs d’urgence, qu’il utilisa pour mettre en place une série de décrets. Et en décembre 1991, il signa ainsi l’Accord sur la création de la Communauté des États indépendants, prévu pour août initialement mais bloqué par la tentative de coup d’État.

Cela mettait un terme à l’existence de l’URSS.

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L’effondrement économique de l’URSS à la fin des années 1980

Lors de sa crise finale, à la toute fin des années 1980, l’URSS social-impérialiste dut en catastrophe généraliser le système des bons alimentaires jusqu’ici employés seulement dans certaines villes et régions du pays.

Le succès était très relatif : les pénuries se sont généralisées dans le pays, à l’exception de Moscou et de Leningrad, et encore car on y vient parfois de loin pour essayer de s’approvisionner.

Tout manquait : le papier toilette, les fruits importés, des fruits non importés tels les raisins et les poires, le lait concentré, le beurre, la viande et notamment les saucisses, le café instantané, le cacao et le chocolat, le papier peint, le carrelage, la plomberie, les meubles, les tapis, les vases en cristal (un « classique » soviétique), le papier toilette, les journaux et les magazines, les préservatifs et les pilules contraceptives, les chaussures, les montures de lunettes, les télévisions et les magnétoscopes, les cassettes audios et vidéos, les aspirateurs, les machines à laver, les réfrigérateurs, les pièces de rechange pour voiture et les principales voitures, le savon et le dentifrice, les médicaments…

À la fin des années 1980, on en est à vendre individuellement ou dans des pots d’un litre des mégots de cigarettes récupérés par terre.

Timbre célébrant en 1988 la coopération spatiale franco-soviétique

Mikhaïl Gorbatchev avait tenté de redresser la barre, en accentuant la décentralisation pour essayer de régénérer le capitalisme existant depuis 1953 mais étouffé par le cadre général monopoliste d’État.

Une loi Sur l’activité de travail individuelle fut ainsi adoptée le 19 novembre 1986, qui admettait pour la première fois l’activité d’auto-entrepreneur. Celle-ci était jusque-là violemment réprimée lorsqu’elle se faisait remarquer.

On peut désormais travailler comme auto-entrepreneur pour les produits artisanaux, tout ce qui est service aux consommateurs, les formations, les arts et métiers populaires.

Il y eut ensuite un décret du Présidium du Soviet suprême de l’URSS Sur les questions liées à la création sur le territoire de l’URSS et aux activités de coentreprises, d’associations et d’organisations internationales avec la participation des Soviétiques et organisations, entreprises et organes directeurs étrangers, le 13 janvier 1987.

Cela permettait la mise en place, à condition que la participation soviétique soit d’au moins 50 %, d’entreprises « mixtes » avec des fonds d’autres pays : d’occident, du tiers-monde ou du bloc de l’Est.

Mikhaïl Gorbatchev

La loi Sur les entreprises d’État du 30 juin 1987 fit en sorte que les entreprises n’aient plus à suivre les exigences de la planification, et qu’en accord avec l’État elles puissent mener des activités économiques en toute indépendance.

Finalement, la loi Sur la propriété fut mise en place en mars 1990, légalisant la propriété privée à tous les niveaux, et le 13 juin 1990 le Conseil suprême de l’URSS adopta une résolution Sur le concept de transition vers une économie de marché réglementée.

S’ensuivit le 8 août 1990 une résolution du Conseil des ministres de l’URSS Sur les mesures visant à créer et à développer les petites entreprises, légalisant toutes les petites entreprises avec toutes les formes de propriété dans tous les secteurs économiques.

Il y eut alors la tentation de forcer le passage au capitalisme. Une figure importante ici est Boris Eltsine. Il a le même profil que Mikhaïl Gorbatchev, il est d’ailleurs né la même année.

Boris Eltsine

Boris Eltsine est rentré au Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1981, et lorsque Mikhaïl Gorbatchev a été nommé à la tête du PCUS en 1985, lui-même est devenu responsable du Comité municipal du Parti à Moscou.

En octobre 1987, il a tenu un discours de cinq minutes dénonçant la lenteur de la « perestroïka » et demandant à ce qu’on le démette de son poste à Moscou, ainsi que d’une candidature pour le Bureau Politique.

Boris Eltsine se présenta ainsi comme le chef de file de l’aile la plus réformatrice ; il fut effectivement mis de côté. S’il resta un cadre éminent, il eut des « mésaventures » comme un accident d’avion ou le fait d’être jeté dans un fleuve depuis un pont ; à cela s’ajoute des épisodes d’alcoolisme.

Le résultat fut qu’en mai 1990, il fut élu président du Conseil suprême de la République soviétique de Russie. En juin 1990, cette dernière se déclare indépendante des décisions de l’URSS, et en juillet Boris Eltsine démissionne du PCUS.

Mikhaïl Gorbatchev n’était pas fondamentalement opposé à Boris Eltsine, qu’il aurait aimé avoir à ses côtés comme représentant de l’aile la plus radicale dans les réformes. Néanmoins, Boris Eltsine ne cessait de dénoncer Mikhaïl Gorbatchev, y voyant une opportunité et considérant que les carottes étaient cuites.

Une tentative d’accord fut effectué en 1990 entre les deux, avec la nomination de Grigori Yavlinski , président de la Commission d’État pour la réforme économique, pour mettre en place un programme de 500 jours.

Cela prévoyait un passage brutal au capitalisme, tout en maintenant une URSS se résumant à une monnaie unique, un droit commun, une défense commune.

Mikhaïl Gorbatchev, qui tentait de concilier l’aile conservatrice, refusa le projet et Boris Eltsine précipita les choses. Une élection présidentielle eut lieu en Russie le 12 juin 1991, emporté par 58,56 % des voix contre le candidat du PCUS Nikolaï Ryjkov, qui n’obtint que 17,22 % des voix.

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Mikhaïl Gorbatchev, l’alcool et la catastrophe de Tchernobyl

Quelques jours après que Mikhaïl Gorbatchev devient secrétaire général du Parti Communiste d’Union Soviétique le 11 mai 1985, commence une campagne de grande envergure. C’est la campagne anti-alcool qui s’ouvre le 17 mai 1985.

Quelques jours auparavant, le 7 mai 1985 avaient été adoptées la résolution du Comité Central du PCUS Sur les mesures visant à vaincre l’ivresse et l’alcoolisme et celle du Conseil des ministres de l’URSS Sur les mesures visant à vaincre l’ivresse et l’alcoolisme, l’éradication de l’alcool de contrebande.

On a affaire ici à un phénomène très particulier, ayant un double caractère très prononcé. En effet, si on regarde les chiffres, l’URSS n’affronte pas un réel problème avec l’alcool puisque sa consommation par habitant en litre pur n’est pas pire que celle d’autres pays. La France consomme bien plus d’alcool par exemple.

Pays19751980
URSS9,9 litres10,5 litres
Autriche11,1 litres11,0 litres
Italie14,9 litres13,9 litres
France17,3 litres15,8 litres

Mais il faut avoir un regard idéologique et culturel. Et là on voit que l’alcool est consommé massivement depuis le triomphe du révisionnisme. En 1952, on en était à la consommation de deux litres purs par habitant, soit cinq fois moins.

L’explosion de la consommation d’alcool correspond donc à une mentalité décadente, liée à l’absentéisme, au dédain dans le travail, voire au crime.

Entre 1973 et 1983, les crimes violents ont bondi de 58 %, les vols de 100 %, les cambriolages et la corruption de 200 %, et on parle ici de statistiques officielles.

C’est une véritable mentalité qui se développe en URSS social-impérialiste alors. Tout le monde en avait conscience et l’existence d’une production clandestine d’alcool était alors tout à fait connue. On est donc plus à 14 litres que 10,5 de litre pur par habitant.

Affiche dénonçant la « honteuse association entre la fainéantise et la vodka »

Ce n’est pas tout. L’alcool consommé en URSS social-impérialiste, c’était la vodka. Si on prend la fin des années 1970, en France on consommait 6 litres de boissons fortes, 90 litres de vin, 44 litres de bière, et en URSS au même moment 11 litres de boissons fortes, 19 litres de vin, et 23 litres de bière.

Ce que cela sous-tend, si on prend l’opposition entre quantité et qualité, c’est que l’alcool fort était en URSS l’apanage d’une minorité en pleine déroute sociale, par opposition à un alcool de masse diffus en France.

Néanmoins, dans la période 1980-1984, l’alcool fort recule un peu, alors que la consommation de vin et de bière augmente.

Cela étant, les mesures de mai 1985 eurent un effet énorme. Déjà, la production d’alcool a grandement reculé, de moitié entre 1985 et 1988.

Si c’est une bonne chose, de par la hausse nette de l’espérance de vie qui est notable, il y a un problème pour l’État : les recettes fiscales sur l’alcool ont naturellement connu un effondrement. Or, cela constituait autour de 12 % des revenus de l’État !

Et parallèlement, la production illégale d’alcool et sa contrebande se sont renforcées. On parle ici d’une activité clandestine formant autour de 2,2 % du PIB. Preuve de son développement, entre 1985 et 1987, la consommation de sucre passe 7, 85 millions de tonnes à 9,28 millions de tonnes (le sucre renforce la teneur en alcool lors de la fermentation – le fait d’en ajouter dans l’alcool déjà produit en pensant le renforcer en est le fétichisme ).

« Et personne ne sait raisonner un tel expert »

Il faut ajouter à cela une grande croissance de la consommation de colle de la marque BF (sous le surnom de « Boris Federovitch »), de produits pour nettoyer les vitres, d’eau de Cologne, de dentifrice (qui est séchée sur le pain qui absorbe l’alcool), d’insecticide de la marque Dichlorvos.

La conséquence du maintien grandissant du trafic clandestin fit que, à partir de 1987, la campagne anti-alcool est obligé de reculer et de céder de nouveau à la consommation de masse.

Cette question de l’alcool posait bien sûr un problème de fond, affaiblissant le tissu social ; la catastrophe de Tchernobyl vint véritablement poser un clou dans le cercueil des ambitions du social-impérialisme soviétique.

Le 26 avril 1986, un accident majeur se produisit en effet dans le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire V.I. Lénine de Tchernobyl, à quelques kilomètres de la ville de Pripyat, en Ukraine. Une zone d’exclusion a été mise en place, le réacteur ayant été détruit et des substances radioactives rejetées dans l’environnement.

115 000 personnes ont été déplacées, 500 000 ont participé à différents degrés aux opérations pour stopper la catastrophe, qui s’est déroulé lors d’un test majeur, alors qu’il y avait un défaut de conception majeur dans le processus de refroidissement.

Cela a eu comme conséquence de provoquer une réaction incontrôlée du réacteur, avec une explosion défonçant les 2 000 tonnes de la dalle de béton le recouvrant, le cœur du réacteur se fracturant ensuite avec les débris.

Plus de quinze jours plus tard, Mikhaïl Gorbatchev prononça une allocution télévisée de 45 minutes racontant l’ampleur du drame. Entre mai et novembre 1986, un abri recouvrant le quatrième réacteur est construit, au moyen de 400 000 mètres cubes de mélange de béton et de 7 000 tonnes de structures métalliques.

De manière délirante, les trois autres réacteurs ont continué d’être utilisés jusqu’en décembre 2000. Commencé en 2010 et fini en 2019, financé par la Commission européenne et réalisé conjointement par Vinci et Bouygues, un nouveau sarcophage a été mis en place. Coûtant 1,5 milliard d’euros, il pèse 31 000 tonnes.

La catastrophe a porté un coup fatal à l’URSS social-impérialiste. Outre les centaines de milliers de cas de cancers sur plusieurs décennies dans une zone contaminée allant par ailleurs jusqu’à la France, s’occuper de la centrale pour l’isoler a coûté une fortune et fourni une exigence se présentant pour une longue période.

Il faut ajouter à cela que cinq millions d’hectares de terres ont été retirés de l’agriculture, alors qu’ont été suspendues la construction et la conception de dix nouvelles centrales nucléaires.

L’URSS social-impérialiste vivait déjà à crédit, la catastrophe de 1986 scellait son destin.

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Mikhaïl Gorbatchev et la visite à Londres en 1984

Mikhaïl Gorbatchev a reçu le prix Nobel de la paix en 1990, une preuve de son excellente image dans les pays occidentaux. Il est par contre du point de vue de l’URSS l’accompagnateur de l’effondrement.

Cependant, il ne faut pas considérer que Mikhaïl Gorbatchev est arrivé au pouvoir en 1985 et a constaté une situation qui l’a dépassé, notamment avec la catastrophe de Tchernobyl. Sa nomination même est le fruit de la fin de la génération de Léonid Brejnev.

La preuve de cela, c’est que sa démarche a été présentée dès 1984, lors d’un voyage à Londres. Mikhaïl Gorbatchev y est allé en tant que président de la Commission des Affaires étrangères, à la tête d’une délégation, mais c’était Margaret Thatcher, à la tête du gouvernement britannique, qui avait tout fait pour le faire venir spécifiquement.

Margaret Thatcher cherchait un jeune responsable soviétique, et Mikhaïl Gorbatchev, né en 1931, était présenté du côté de certains « soviétologues » comme le principal chef de file de la nouvelle génération.

Mikhaïl Gorbatchev fut accueilli comme un vrai chef d’État, et la rencontre entre Margaret Thatcher fut à la fois pleine de confrontation et de recherche de convergence. Cela se déroula à Chequers, la résidence de villégiature du Premier ministre du Royaume-Uni non loin de Londres.

Du côté britannique, outre Margaret Thatcher, il y avait notamment le ministre de l’Intérieur William Whitelaw, le ministre des Affaires étrangères Geoffrey Howe, le secrétaire à la Défense Michael Heseltine.

Du côté soviétique, Mikhaïl Gorbatchev était venu avec toute une série de hauts responsables divers, mais surtout le théoricien militaire membre de l’état-major Nikolaï Chervov, tourné vers la réduction des armements, et de Léonid Zamyatin, secrétaire de la Commission des affaires étrangères du Conseil des nationalités, chef du département du Comité central du PCUS, futur ambassadeur à Londres.

Mikhaïl Gorbatchev eut un succès extraordinaire auprès de Margaret Thatcher, qui s’empressa de le mettre en avant auprès de Ronald Reagan. Trois mois plus tard, ce dernier prenait la tête du Parti Communiste d’Union Soviétique, et il est évident que le jeu d’ouverture à l’occident qui avait ici réussi avait grandement contribué à sa nomination.

De manière très notable, cet épisode est totalement passé sous silence du côté occidental. Il montre pourtant, historiquement, que le social-impérialisme soviétique a capitulé en décembre 1984, ce qui a été avalisé par la nomination de Mikhaïl Gorbatchev.

Celui-ci, dès la visite à Londres, mit en avant une « nouvelle pensée politique », dont les idées principales sont les suivantes.

Il faut rendre transparent les niveaux de décisions et cesser les interventions intempestives dans la société, les sciences, les arts, l’enseignement, etc. Il faut aller plus loin dans l’autonomisation des entreprises en leur accordant de suivre une « comptabilité analytique » consistant à s’aligner sur la loi du marché.

C’est la glasnost (transparence) et la restructuration (perestroïka).

Il faut s’ouvrir résolument aux pays occidentaux, cesser totalement toute ligne d’opposition idéologique, promouvoir une ligne d’accord mondial pour les différents problèmes.

C’est parce qu’il représentait cette ligne que Mikhaïl Gorbatchev a été nommé à la tête du Parti Communiste d’Union Soviétique.

C’était une expression de capitulation : l’URSS social-impérialiste cessait toute ambition à l’hégémonie mondiale, mais demandait le maintien de son existence.

Mikhaïl Gorbatchev formula ces principes dans un ouvrage publié en 1987, La perestroïka et la nouvelle pensée politique, et tint un discours à l’ONU en 1988 pour les réaffirmer.

Lors de ce discours, il annonça également le retrait pratiquement global des forces armées soviétiques des pays de l’Est européen. On est clairement dans une perspective d’accord avec les pays occidentaux : l’URSS recule, mais en échange elle demande une place.

« Aujourd’hui, je peux vous dire ceci : l’Union soviétique a décidé de réduire ses forces armées. Au cours des deux prochaines années, leur nombre diminuera de 500 000 personnes et le volume des armes classiques sera également considérablement réduit.

Ces réductions seront effectuées unilatéralement, sans lien avec les négociations au titre du mandat de la réunion de Vienne.

En accord avec nos alliés du Pacte de Varsovie, nous avons décidé de retirer d’ici 1991 six divisions blindées de RDA, de Tchécoslovaquie et de Hongrie et de les dissoudre.

Des groupes de troupes soviétiques situés dans ces pays, des unités d’assaut aérien et un certain nombre d’autres formations et unités, y compris des unités de transport aéroporté, dotées d’armes et d’équipements militaires seront également retirées.

Les troupes soviétiques dans ces pays seront réduites de 50 000 personnes et les armes de 5 000 chars.

Toutes les divisions soviétiques restant sur le territoire de nos alliés seront réorganisées. Ils reçoivent une structure différente de celle d’aujourd’hui qui, après un retrait important de chars, devient sans ambiguïté défensive.

Dans le même temps, nous réduirons le nombre de soldats et le nombre d’armes dans la partie européenne de l’URSS.

Au total, dans cette partie de notre pays et sur le territoire de nos alliés européens, les forces armées soviétiques seront réduites de 10 000 chars, 8 500 systèmes d’artillerie et 800 avions de combat.

Au cours de ces deux années, nous réduirons également considérablement la taille des forces armées dans la partie asiatique du pays. En accord avec le gouvernement de la République populaire mongole, une partie importante des troupes soviétiques temporairement stationnées là-bas retourneront dans leur pays d’origine. »

Cette capitulation du social-impérialisme soviétique était assumée et il n’y a pas eu d’opposition. La figure principale aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev fut Alexandre Iakovlev, qui comptait aller le plus rapidement possible dans les réformes.

C’est que le régime est alors à bout de souffle, et pour les gens comme Alexandre Iakovlev, le réformer est pratiquement impossible : il faut s’en sortir d’une manière ou d’une autre.

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La tentative d’expansion militaire de l’URSS social-impérialiste

Les pénuries étaient déjà une difficulté, la crise fondamentale de l’agriculture présentait par contre un défi. Il fallait donc élargir le champ opératoire du capitalisme monopoliste d’État pour le maintenir.

Le social-impérialisme soviétique a en ce sens été très actif à l’extérieur du pays. Il y a deux raisons à cela.

La première, c’est que l’URSS profite de tous les rapports qui ont existé auparavant dans le cadre socialiste.

L’URSS socialiste était au cœur du Mouvement Communiste International, et celui-ci s’aligne d’ailleurs sur le révisionnisme. Il y a donc une implication directe dans des affaires internationales et l’URSS social-impérialiste va profiter de tous les réseaux existants pour influencer en sa faveur.

La seconde, c’est que l’URSS développe des ambitions toujours plus grandes. Il va y avoir au fur et à mesure un étalage toujours plus massif des activités soviétiques.

Le défi se pose de toutes façons dès le départ. L’insurrection de 1956 à Budapest était clairement portée par les forces anticommunistes en Hongrie, même s’il y avait le soutien du traître Imre Nagy et d’autres au sein du Parti là-bas.

Il fallait ainsi soit accepter de se faire éjecter du pays, avec un régime anti-URSS se formant, soit écraser militairement avec célérité. Et cela posait tout de suite le paradoxe : Nikita Khrouchtchev avait supprimé la ligne socialiste, instauré le libéralisme, et cela produisait tout de suite des troubles massifs.

Il y eut exactement le même cas de figure en 1968 en Tchécoslovaquie, sauf que cette fois les forces antisoviétiques relevaient du Parti Communiste de ce pays, se tournant vers un libéralisme prononcé.

Cela donna naissance à ce qui fut appelé la « doctrine Brejnev », qui consiste à poser une souveraineté limitée aux pays du bloc de l’Est. Et l’URSS ne parvint jamais à établir d’autres types de relations que difficiles ou conflictuelles avec l’ensemble de ces pays.

La Roumanie, avec Nicolae Ceaușescu, condamna par exemple ouvertement l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie. Mais plus généralement, il y avait une grande méfiance générale, surtout pour savoir si des pays comme la Pologne ou la Tchécoslovaquie agiraient comme on pourrait s’y attendre en cas de conflit avec l’Otan.

Un fait marquant fut la loi martiale en Pologne, de 1981 à 1983, instauré par Conseil militaire de salut national avec à sa tête le général Jaruzelski. Si l’URSS s’était abstenue d’intervenir directement, le régime militaire en place était clairement son émanation.

Il y avait ici une dimension très problématique dans les rapports avec les autres pays du bloc de l’Est, qui tient clairement à ce que le KGB en soit le principal agent. C’est d’ailleurs lui qui supervise tant l’intervention à Budapest en 1956 que celle à Prague en 1968.

Seule la Bulgarie, dont l’armée fut massivement armée pour faire face éventuellement à la Grèce et à la Turquie, ainsi que la République Démocratique Allemande, furent réellement considérées comme relativement fiables. Cela ne pouvait suffire.

À la question militaire se joignait la question économique. Il y avait le Pacte de Varsovie (en fait le Traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle), mais également le Comecon, le Conseil d’assistance économique mutuelle ou Conseil d’aide économique mutuelle.

Le symbole du Comecon

Ce réseau économique des pays liés à l’URSS, le bloc de l’Est plus Cuba à partir de 1972 puis le Vietnam à partir de 1978, devait initialement permettre une meilleure coordination de la planification. En pratique, cela devint progressivement un outil de dépendance forcée par rapport aux productions soviétiques.

Cela ne profita toutefois pas réellement à l’URSS social-impérialiste, pour deux raisons. Tout d’abord, même si elle était gagnante, elle n’avait rien à acheter dans ces pays. De 1975 à 1985, elle amassa 15 milliards de roubles transférables, sans pouvoir rien en faire.

Ensuite, elle leur fournissait du pétrole à un prix moindre que le marché mondial, ce qui ne l’arrangeait pas alors que cela devenait une source majeure de revenus.

Qui plus est, les faiblesses du Comecon appuyèrent d’autant plus la dépendance avec les pays occidentaux. En 1975, ceux-ci représentaient 25 % des exportations totales et plus de 35 % des importations du Comecon. En 1979, 800 multinationales étaient présentes dans les pays du Comecon.

En URSS même, la même année, 600 centres économiques (gaz, pétrole, chimie, charbon, papier, métallurgie…) étaient liés pour entre 30 et 60 % à la vente de biens aux pays occidentaux. L’URSS devait 19 milliards de dollars aux pays occidentaux, les pays du Comecon 56 milliards.

Avec l’effondrement général, le Comecon représentait seulement 9 % de la production mondiale, contre 57 % pour les pays occidentaux.

Le dirigeant palestinien Yasser Arafat et Léonid Brejnev

L’URSS social-impérialiste se tournait, de toutes façons, davantage vers le tiers-monde. Le grand espoir de Léonid Brejnev, c’était le basculement de plusieurs pays du côté de l’URSS.

L’idée était que l’URSS social-impérialiste, profitant de son aura « révolutionnaire », reçoive l’appui de nouveaux « États nationaux » en quête d’indépendance et passant, dans les faits, dans l’orbite soviétique.

De là vient le soutien généralisé en Afrique, en Asie et en Amérique latine à différents mouvements de guérilla, en plus du soutien aux Partis Communistes agissant par contre légalement dans les situations « calmes ».

L’URSS misa notamment beaucoup sur deux zones particulières : l’Amérique centrale, avec le FSLN au Nicaragua et le FMLN au Salvador, et le Sud de l’Afrique, avec l’ANC en Afrique du Sud, le MPLA en Angola et la SWAPO en Namibie.

Dans les deux cas, on retrouve Cuba, une caricature de pays semi-colonial soumis au social-impérialisme soviétique, avec son Parti Communiste fondé par Fidel Castro après seulement que le gouvernement pro-américain ait été chassé.

Cuba servit en effet d’interface, soit avec des conseillers et des armes, soit avec des troupes puisque 300 000 soldats cubains allèrent en Angola pour soutenir le régime du MPLA contre l’intervention militaire sud-africaine.

Soldats cubains et soviétiques en Angola

Cela ne produisit cependant jamais les résultats escomptés. Si les guérillas à travers le monde s’alignaient toujours sur l’une ou l’autre des superpuissances – sauf si elles suivaient la ligne d’indépendance et d’autosuffisance, en adoptant le maoïsme – la superpuissance impérialiste américaine avait suffisamment de moyens pour geler les situations ou provoquer des contre-guérillas.

C’est le cas par exemple au Mozambique, où le FRELIMO pro-soviétique l’emporta en 1977, mais dut affronter pendant 15 ans le RENAMO pro-américain. Un autre exemple fut le Cambodge, qui fut envahi par le Vietnam et passa sous orbite soviétique, mais connut alors la guérilla des khmers rouges soutenue par la superpuissance impérialiste américaine et la Chine révisionniste.

Même lorsque l’URSS social-impérialiste décida en 1979 directement d’envahir l’Afghanistan, afin de s’en assurer totalement le contrôle par sa propre armée, la superpuissance impérialiste américaine fut en mesure d’alimenter une guérilla, celle des Moudjahidines, qui fut suffisamment puissante pour empêcher un réel contrôle du pays.

Si l’URSS ne perdit que 15 000 soldats en Afghanistan, avec plus de 50 000 blessés, son prestige militaire fut particulièrement touché, et le bourbier s’étala de 1979 à 1989, provoquant d’effroyables pertes civiles (entre 600 000 et 2 millions de morts).

L’armée soviétique en Afghanistan

S’ajoute à cela que sa nature social-impérialiste fut désormais flagrante, ce qui avait déjà été net pour beaucoup avec les accusations chinoises, menant par ailleurs à une situation à deux doigts de la guerre généralisée lors d’accrochages à la frontière sino-soviétique en 1969.

La visite du président américain Richard Nixon à Pékin en 1972 enfonçait d’ailleurs le clou à ce niveau, la Chine populaire de Mao Zedong parvenant à échapper à son isolement et à éviter que les deux superpuissances ne se tournent contre elle.

Du point de vue soviétique, la problématique sur sa façade orientale commençait donc à être sérieuse, alors qu’il y avait l’espoir d’avoir les mains totalement libres pour agir du côté occidental.

On a ici la question des moyens employés et le poids américain en termes militaires, économiques, diplomatiques, idéologiques, financiers… était tout simplement trop grand. Un autre exemple était l’Égypte. L’URSS l’avait massivement soutenue lors d’une prise de contrôle semi-féodale, mais en 1976 la superpuissance impérialiste américaine reprit le dessus et en chassa les Soviétiques.

On est là dans les révolutions de palais, les batailles de factions au sein de la bourgeoisie bureaucratique, pour une allégeance à telle ou telle superpuissance. Les moyens américains étaient incommensurablement plus grands.

Si un mouvement avait besoin de matériels pour commencer des troubles du type armé ou un parti déjà au pouvoir avait besoin d’un appui militaire, il pouvait compter sur l’URSS social-impérialiste.

Il y a par exemple, pour les fournitures soviétiques, la Libye dont le nombre de tanks et de véhicules blindés passa de 175 en 1971 à 4 400 en 1983, et le Yémen du Sud ont le même matériel passe de 50 en 1975 à 750 en 1982.

Fidel Castro avec Léonid Brejnev dans une image de propagande

Encore que cela ne suffit pas forcément en soi en raison des rapports terribles entre les pays du tiers-monde. La Somalie était soumise à l’URSS social-impérialiste, mais fit la guerre à l’Éthiopie, également passée sous la coupe soviétique. L’URSS social-impérialiste sauva alors l’Éthiopie de l’offensive somalienne, mais la Somalie quitta l’orbite soviétique pour s’inféoder à la superpuissance impérialiste américaine.

On reste, finalement, aux marges du tiers-monde. La vague des « libérations nationales » amenant les pays dans l’orbite soviétique n’eut pas lieu.

Cela rejoint l’aspect de la dynamique mondiale. Les pays occidentaux maintenaient leur avance économique, idéologique et technologique, ils l’accentuaient même.

Dès qu’on passait un certain cap, qu’il fallait des investissements, que le pays avait une certaine taille, que la bourgeoisie bureaucratique comptait s’insérer dans l’économie mondiale de manière un peu prononcée… Alors la soumission semi-coloniale à la superpuissance impérialiste américaine apparaissait comme plus rentable.

Aller faire ses courses à New York, Londres et Paris apparaissaient comme davantage prestigieux pour les couches capitalistes bureaucratiques des pays du tiers-monde, prompt à parasiter la vente de leur propre pays.

Or, jamais les investissements soviétiques ne purent se comparer à ceux américains. Le tiers-monde devait 120 milliards de dollars à l’URSS social-impérialiste en 1988, et dix fois plus aux pays occidentaux.

Et encore les dettes soviétiques ne concernaient-elles pratiquement que Cuba, la Syrie, le Vietnam, l’Inde, la Mongolie, l’Irak, l’Éthiopie, l’Angola, l’Algérie et l’Égypte, avec la moitié pour des achats d’armement.

Affiche pour la paix, avec une citation de Léonid Brejnev : « L’exigence de l’époque est l’unification de toutes les forces de l’humanité aimant la paix »

L’exemple indien est significatif, car c’est un pays qui était passé en partie sous la coupe soviétique, tout en restant en partie soumis à la superpuissance américaine.

En 1971, l’URSS contrôlait par exemple en Inde 30 % de la production d’acier, 20 % de celle de l’électricité, 35 % du raffinage de pétrole, 60 % de la production d’équipements électriques, 75 % de la production de moteurs électriques, 25 % de la production d’aluminium. Le remboursement de la dette indienne à l’URSS formait pas moins que 28 % des revenus indiens à l’exportation.

Mais tout cela restait bien trop faible par rapport aux pays occidentaux enserrant toujours plus les pays du tiers-monde sous dépendance semi-coloniale. L’Afrique, l’Asie et l’Amérique latine restaient encadrés par la superpuissance américaine et les autres puissances impérialistes lui étant liées.

La perspective de passer en force, en profitant de sa masse, apparaissait donc comme vaine. Pour la génération de Léonid Brejnev, le rêve pouvait encore tenir, mais plus pour celle d’après, représenté par Mikhaïl Gorbatchev.

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