Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Les salutations du livre des morts tibétain

    Concluons sur la question du rapport au paradis, avec un passage d’une importance centrale dans le livre des morts tibétain : « les obéissances ». Elles consistent en plusieurs salutations d’introduction, qui reflètent la vision du monde propre à l’œuvre.

    « Au Divin Corps de Vérité, à l’Incompréhensible, à la Lumière sans limites.

    Au Divin Corps du Don Parfait qui est le Lotus, les Divinités de la Paix et les Divinités de la Colère.

    À l’Incarnation du Lotus, Padma Sambhava qui est le protecteur de tous les êtres conscients.

    Aux Gurus, aux Trois Corps, est due obéissance. »

    Il y a une hiérarchie qui est impliquée dans l’ordre choisi, commençons par la quatrième salutation, la moins importante hiérarchiquement.

    Les Gurus (ou Gourous), ce sont les maîtres spirituels. Les Trois Corps, c’est la Trikaya en sanskrit, le « triple corps » des bouddhas, composé du Bouddha matériel – historique, spirituel – intellectuel et enfin de ses enseignements ayant une portée mystique.

    Pour faire simple, c’est ici la déification de la figure de Bouddha. Celui-ci se voit démultiplié : il a initialement un corps physique, mais aussi un corps spirituel avec son apport personnel, et enfin un corps immatériel consistant en ses enseignements qui flottent pour ainsi dire dans l’air comme vérité « vraie ».

    Samantabhadra et Samantabhadri, pour certains du bouddhisme tibétain formant le Bouddha primordial, Tibet, 17e siècle

    Avec l’expansion du bouddhisme et sa transformation en religion « pure », les caractéristiques ont pris des proportions démesurées, en particulier dans le bouddhisme professant une voie ouvertement mystique, comme au Tibet.

    Le corps physique devient le corps d’incarnation, le corps immatériel le corps parfaitement doué, et au lieu des enseignements, on a une sorte de super-pouvoir, de super-transcendance consistant en le Bouddha et tous les autres qui l’ont rejoint en tant que Bouddhas.

    Le Bouddha s’incarne ici de plusieurs manières, sur plusieurs plans, afin d’aider à s’arracher à la matière. C’est un peu raccourci, mais c’est le principe : il y a la dimension matérielle, la dimension spirituelle (l’âme si on veut) et la super-zone libérée et divine, qui intervient parfois dans le but d’aider.

    Tout le parcours du mort à la suite de son décès, dans le livre des morts tibétains, vise justement à accepter de se séparer de son corps, pour ensuite éviter d’avoir envie d’en retrouver un, en fusionnant justement avec la super-zone libérée et divine des Bouddhas.

    La salutation dit ainsi qu’il faut accorder son obéissance à la vérité du Bouddha et à la super-zone libérée et divine des Bouddhas, et à elle seule (sans quoi on retombe en arrière).

    Juste avant cette première salutation, on a :

    « Àl’Incarnation du Lotus, Padma Sambhava qui est le protecteur de tous les êtres conscients. »

    Padma Sambhava, « celui qui est né d’un lotus », est le fondateur du bouddhisme dans sa variante tibétaine ; il a une dimension légendaire, il vient sans doute d’Inde et a vécu au 8e siècle, peut-être jusqu’au début du 9e siècle.

    Il est connu également, voire surtout, comme le Guru Rinpoche, le Gourou Précieux ; c’est vers lui qu’on se tourne pour parvenir à aller dans le sens du Bouddha. C’est une figure essentielle du dispositif bouddhiste tibétain.

    Padma Sambhava,, Tibet, fin 19e siècle

    Ce qu’il faut comprendre ici, c’est l’image du lotus, qu’incarne Padma Sambhava. Le lotus est une fleur qui pousse à partir de la vase. De la boue sort quelque chose de beau et, pareillement, l’âme doit s’arracher à la matière.

    Le Bouddha est associé au lotus et depuis le 13e siècle au Tibet, le mahakaruṇa – mantra de la grande compassion – joue un rôle essentiel : c’est le fameux Om maṇi padmé hoûm.

    Ce mantra est souvent traduit par « Salut au joyau dans le lotus ». C’est en réalité plus compliqué que cela, même si l’esprit est là. Le missionnaire jésuite Ippolito Desideri, le premier Européen à s’installer au Tibet et à apprendre le tibétain (dans sa forme standardisée mais également classique), au 18e siècle, donne la signification suivante :

    « Om n’est pas un terme significatif ; ce n’est qu’un ornement de style, le mot d’ouverture usuel de tout charme [= formule magique].

    Le second mot, Mani, signifie joyau tel qu’une perle, un diamant ou toute autre pierre précieuse.

    Le troisième, Padme, est composé des deux mots Padma et E. Padma signifie une fleur, celle qui pousse dans l’eau, dans les étangs et les lacs (…) [= le lotus].

    Le E est une particule d’adresse ou d’invocation comme chez nous la particule O.

    Quant au dernier mot, Hum, comme le premier il n’a pas de signification propre. C’est un simple ornement terminant toute parole magique. »

    On peut également considérer que Padmé est au locatif, pour indiquer le lieu : dans le lotus. Mais Le mot joyau devrait être alors au nominatif, comme sujet, et il ne l’est pas.

    On peut associer joyau et lotus, en considérant que c’est un vocatif, on parler de quelqu’un. La forme est alors féminine et ce serait d’une femme ou d’une entité féminine dont on parlerait.

    On connaît le « om » de l’hindouisme et on a le même ici, grosso modo ; quant à « hum », il sert de valorisation du propos.

    Tout cela est bien obscur, ce qui n’empêche pas le mantra de se retrouver partout dans le bouddhisme tibétain, avec d’autant plus d’interprétations mystiques.

    Il est ensuite parlé du :

    « Don Parfait qui est le Lotus, les Divinités de la Paix et les Divinités de la Colère. »

    On monte ici d’un cran, puisqu’on passe au lotus lui-même, le Bouddha en tant que tel.

    Et ce lotus, donc, est associé aux « Divinités de la Paix et les Divinités de la Colère ». Ce sont les divinités paisibles et courroucées dont on a vu qu’elles servaient de guide et de d’opposants au défunt lors de son périple.

    Stèle de 1348 des grottes de Mogao, avec Om mani padme hum en écriture ranjana (du Népal), en tibétain, en ouïghour, en écriture phagpa (de Mongolie), en écriture tangoute (des Tangoutes tibéto-birmans) et en Chinois

    Maintenant, regardons bien une chose. Ces divinités existent-elles ? Le bouddhisme tibétain dit que non. Elles apparaissent réellement, mais ce sont des projections.

    Ces divinités définissent la nature des projections, projections pouvant prendre une infinité de formes.

    Pour le bouddhisme tibétain, ces Divinités sont le fruit de notre mental, pas des entités réelles (naturellement la décadence religieuse cléricale et la superstition masqueront ce fait).

    Cela rejoint l’idée posée ici : l’entre-deux d’après la mort concerne en fait l’entre-deux avant la mort.

    On a compris que l’humanité primitive était traumatisée par la découverte du bien et du mal : l’être humain sortant de la conscience purement animale connaît la joie et la souffrance, et attribuent leur existence à des forces extérieures.

    Le Livre des mots tibétain dit que l’esprit du défunt est impacté après sa mort par tout ce dont il a été impacté en termes bénéfiques et maléfiques. Sa vie lui revient à la figure, avec ses actes bons et mauvais.

    Suivant le matérialisme dialectique, il faut renverser cette proposition idéaliste. C’est avant la mort que la personne est impactée par tout cela.

    Staline était notamment le spécialiste des questions nationales auprès de Lénine, lui-même venant du Caucase, dans une Russie qui connaissait de multiples religions

    C’est que le matérialisme dialectique affirme que la réalité tend au Communisme, alors que le bouddhisme appelle, en fait, à une annulation de notre esprit, à l’écrasement des sentiments de joie et de souffrance, à un retour à la conscience animale.

    C’est un appel au retour à l’Éden tel que dans le judaïsme, ou au Royaume de Dieu avec Jésus, ou encore au Paradis de l’Islam.

    Ce n’est pas différent dans la religion de l’Égypte antique, qui vise à atteindre le paradis, comme tous les chamanismes-polythéismes.

    D’où la première salutation, la plus importante, au :

    « Divin Corps de Vérité, à l’Incompréhensible, à la Lumière sans limites »

    Ce qui fait dire : la religion exprime le besoin historique du Communisme de l’humanité s’éloignant de la Nature, de sa situation tourmentée et apparemment désespérée, de sa nécessité d’y retourner, à tout prix, pour mettre un terme au traumatisme vécu intérieurement par les forces bénéfiques et maléfiques extérieures qui viennent « l’envahir ».

    Mais la religion exprime ce besoin en s’appuyant sur une nostalgie : celle de la période où l’être humain, encore dans l’animalité, ne connaissait pas les agressions extérieures, les impacts de la réalité sur son cerveau en expansion (formant une réalité nouvelle et encore incomprise).

    Les joies et les maladies étaient considérées comme des expressions venant de l’extérieur, provenant de forces bénéfiques ou maléfiques.

    Ce n’était pas tant ses propres joies, ses propres souffrances, que la participation à quelque chose d’autre, existant sur un autre plan : celui du ciel ou de l’enfer.

    Mourir, c’est ainsi alors être happé de manière définitive par une de ces forces. Le paradis et l’enfer sont les expressions mystiques de ces appels d’air, de ces « aspirations » effectuées par le Bien ou par le Mal, soit vers le Ciel lumineux soit vers les profondeurs ténébreuses.

    La religion prône dans cette situation l’effacement ; elle veut geler, cesser, bloquer… Là où le Communisme, lui, affirme la production. La religion veut empêcher l’Histoire, trop traumatisante ; le Communisme veut la terminer.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • Le vitalisme et l’esprit-fantôme en Égypte antique et au Tibet

    Il faut bien cerner que le bouddhisme tibétain est particulièrement halluciné, comme en témoigne naturellement les nombreuses œuvres d’art qui lui sont relatives. Il y a une vraie croyance en l’âme fantôme, en l’âme qui flotte au-dessus du corps, en une psychologie qui existe de manière immatérielle.

    On lit par exemple dans le Livre des morts tibétain que le mort s’aperçoit qu’on lui laisse un plat pour manger, mais qu’il ne peut pas le saisir.

    « Vers ce moment, le défunt voit que la part de son repas est mis de côté, que son corps est dépouillé de ses vêtements, que la place de sa couverture de repos est balayée.

    Il peut entendre les pleurs et les gémissements de ses amis, de ses parents, surtout il peut les voir, entendre leur appel, mais comme ils ne peuvent savoir qu’il leur répond, il s’en va mécontent.

    A ce moment, des sons, des lumières, des rayons se manifestent à lui, occasionnant crainte, peur et terreur et lui causant beaucoup de fatigue. Alors cette confrontation avec le Bardo [= intervalle] de la réalité doit être appliquée.

    Appelez le mort par son nom et correctement, distinctement, donnez-lui les explications suivantes.

    Ô fils noble, écoute avec attention et sans distraction.

    Il y a six états de Bardo qui sont :

    – l’état naturel du Bardo pendant la conception [car on ne sait pas où on va re-naître],

    – le Bardo de l’état des rêves,

    – le Bardo de l’équilibre extatique dans la méditation profonde,

    – le Bardo du moment de la mort,

    – le Bardo de l’expérience de la réalité,

    – le Bardo du processus inverse de l’existence samsarique [de saṃsara, « ensemble de ce qui circule », le monde où on se réincarne en permanence, et dont il faut sortir en suivant l’enseignement du Bouddha].

    Tels sont les six états.

    Ô fils noble, maintenant tu vas expérimenter trois Bardos : le Bardo du moment de la mort, le Bardo de l’expérience de la Réalité et le Bardo de la recherche de la renaissance.

    De ces trois états tu as expérimenté jusqu’à hier le Bardo du moment de la mort.

    Bien que la Claire Lumière de Réalité ait lui sur toi tu n’as pu y demeurer et maintenant tu dois errer ici.

    A présent tu vas expérimenter le Chönyid Bardo et le Sidpa Bardo. observe avec une attention parfaite ce que Je te présenterai et demeure ferme.

    Ô fils noble, ce qu’on appelle la mort est venu maintenant.

    Tu quittes ce monde, mais tu n’es pas le seul ; la mort vient pour tous. Ne reste pas attaché à cette vie par sentiment et par faiblesse.

    Même si par faiblesse tu y restais attaché, tu n’as pas le pouvoir de demeurer ici. Tu n’obtiendras rien d’autre que d’errer dans le samsara [« ensemble de ce qui circule », le monde où on se réincarne en permanence, et dont il faut sortir en suivant l’enseignement du Bouddha].

    Ne sois pas attaché, ne sois pas faible.

    Souviens-toi de la précieuse Trinité [les trois « composantes » du Bouddha]. »

    Cette conception se retrouve dans l’Égypte antique. On peut l’illustrer par un conte datant de mille ans avant notre ère, où un fantôme est rencontré par un homme qui doit passer la nuit près d’une tombe dans la nécropole de Thèbes.

    Inquiet, il va voir le prêtre Khonsuemheb (« Khonsu en jubilation », Khonsu étant une divinité lunaire). Celui-ci monte alors sur le toit de sa maison et demande aux dieux de faire venir le fantôme.

    Ce dernier arrive, se présente et le prêtre lui propose de lui fournir une tombe. Le fantôme n’a pas confiance ; le prêtre tente de le convaincre en partageant son sort et en s’abstenant de manger, boire, respirer et voir la lumière du jour.

    Le fantôme, du nom de Nebusemekh, raconte alors son histoire. Ancien gardien des trésors du pharaon, sa tombe s’est brisée et le vent atteint la chambre funéraire. Il y a déjà eu des promesses de la réparer, mais personne n’a rien fait.

    Khonsuemheb propose d’envoyer une dizaine de serviteurs faire des offrandes chaque jour, mais le fantôme se lamente que cela ne servirait à rien. Un autre fragment de l’histoire parle de la découverte par Khonsuemheb d’un nouvel endroit pour construire la tombe.

    Représentation japonaise d’un démon de la tradition bouddhiste tibétaine, 12e siècle

    On a ici un aspect fondamental, qu’on retrouve dans tout le chamanisme-polythéisme : il y a des ratés et des « fantômes » se retrouvent dans un entre-deux (en fait dans l’entre-deux entre un entre-deux).

    Cette croyance en les esprits est incontournable de la conception même d’un entre-deux, d’une non-séparation radicale entre la vie et la mort. On la trouve dans le judaïsme, l’hindouisme, le catholicisme, etc., à chaque fois comme reste du chamanisme-polythéisme.

    Mais toute conception d’un « sas » entre la vie et la vie éternelle présuppose et conditionne la notion de fantômes.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • L’âme impersonnelle et la démocratisation de la mort avec l’Égypte et le Tibet

    S’il y a des rites pour l’enterrement, alors il y a une norme à ce sujet. Ce qui fait ici la force des Livres des morts égyptien et tibétain, c’est qu’ils présentent la conception initiale de l’humanité au sujet de la mort.

    Il n’y a pas la vie, puis la mort, mais la vie et la mort s’entremêlant, car au sein même de l’existence on trouve l’affrontement entre les forces bénéfiques et maléfiques.

    En ce sens, le paradoxe dialectique veut que l’entre-deux où se retrouve le défunt… est également celui de l’être humain avant son propre décès. Lorsqu’il vit, il se trouve déjà dans un entre-deux, celui où il est la victime du jeu dialectique des forces bénéfiques et maléfiques.

    Kali, déesse de la préservation et de la destruction dans l’hindouisme

    C’est pour ça justement qu’il a besoin de la religion. Un besoin absolu, et non relatif : l’humanité n’a pas su se passer de religion, et c’est vrai jusqu’au Communisme, jusqu’à son retour comme animal social dans le giron de la Nature.

    Ici, un devient deux : les religions ont pris deux chemins différents, un rejetant le « jugement » à un moment relevant de l’entre-deux, un autre où le jugement s’établit comme exigence en permanence sur le plan mental ou légal.

    Les Livres des morts égyptien et tibétain célèbrent, quant à eux, l’entre-deux comme le grand moment, le grand aboutissement. Bien entendu, tout ce qui a été fait pendant la vie compte. Cependant, l’entre-deux a une valeur en soi, il est une quête, avec tout un parcours.

    Un parcours qui reflète cependant, pour nous, la vie réelle ; quant à la quête, c’est celle du Communisme par l’humanité sortie de la nature et en quête du grand retour à celle-ci.

    Version verte de la déesse Tara, Tibet, 13e siècle

    Ainsi, dans les Livres des morts égyptien et tibétain, le défunt qui arrive dans l’entre-deux n’est pas réellement mort. Il porte encore la vie en Égypte antique par son corps non détruit, et dans le bouddhisme tibétain parce qu’il est encore relié à la réincarnation.

    Dans les deux cas, la mort n’est pas la mort, et nous pouvons comprendre dialectiquement que la vie n’est pas la vie non plus. Et c’est un processus que d’arriver à une telle conception.

    Dans l’Égypte antique, le rituel était initialement réservé au pharaon, puis le processus s’est ensuite généralisé. Des textes dans les pyramides uniquement destinés au roi, au pharaon, on est passé au texte dans les sarcophages, à destination de l’élite.

    On en arrive alors au Livre des morts égyptien, servant tout le monde, ce qui ne veut pas dire que certains textes n’étaient pas réservés aux classes dominantes, comme le Livre de l’Amdouat, appelé parfois Livre de la salle cachée,ou encore Livre des demeures secrètes (Amdouat = ce qu’il y a dans le Douat, terme désignant le « monde souterrain »).

    Il y a une « démocratisation » de la mort, de la vraie mort, par « l’entre-deux ». C’est là ce qui fait l’intérêt essentiel de la question.

    On n’est pas dans une approche divine où quelques-uns seulement parcourent la mort de manière mythique ou mystique. On est dans une approche qui concerne tout le monde ; c’est une vision du monde absolue, universelle.

    Dans le bouddhisme tibétain, le rapport à la mort est différencié. Chez un vrai bouddhiste parvenu à « l’éveil », il y a un accès direct au plan supérieur : pendant une trentaine de minutes à la suite du décès, les enseignements du Bouddha apparaissent comme lumière « pure ».

    Ce n’est pas le cas pour tout le monde, bien entendu. Et cette réussite immédiate des éveillés est un reste de l’époque où seule une minorité accédait réellement à l’au-delà.

    Le dieu de la mort Mictlantecuhtli et le dieu créateur Quetzalcoatl dans un texte aztèque, au 15e siècle

    C’était donc le cas justement en Égypte antique. Non pas que le pharaon n’ait pas à subir des épreuves lorsqu’il meurt : c’est pour lui à la base, et pour lui seulement, qu’on formulait justement des incantations et des conseils pour que son périple aboutisse.

    Ce que cela veut dire, c’est qu’initialement l’humanité considérait que l’âme ne parvenait sur le plan supérieur que chez certains. Pour les autres, c’était bien plus compliqué ou bien impossible.

    Autrement dit, l’accès à la vie après la mort s’est démocratisé, au cours d’un long cheminement.

    Le bouddhisme originel, présent encore dans le sud de l’Asie, maintient d’ailleurs cette position que seule une poignée de gens peuvent s’arracher du cycle des réincarnations. C’est le « petit véhicule » (qui transporte dans l’au-delà). Les autres bouddhismes relèvent du « grand véhicule » : tout le monde peut être sauvé dans cette vie même.

    Néanmoins, au-delà des complications que tout cela pose, on doit bien voir que les livres des morts égyptien et tibétain relève d’une systématisation démocratique de l’accès à l’au-delà.

    Il y a ici un aspect à creuser. Ce qui est sans doute en jeu, c’est la question « personnelle » : le pharaon gardait sa personnalité après la mort, les autres se fondaient dans l’absolu, forcément relativement flou.

    Et avec la croissance des forces productives, la personnalité de chacun a pu se développer, faisant que même les esclaves pouvaient connaître un certain développement de leurs facultés. Cela induit que, pendant toute une période, les esclaves étaient purement considérées comme des outils et se voyaient démolir psychologiquement et moralement de manière quasi totale.

    L’humanité revient de très loin.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • Le rapport au corps

    La question de l’entre-deux a beau être ce qu’elle est, il n’en reste pas moins qu’il y a un corps et qu’il faut bien en faire quelque chose.

    La religion de l’Égypte antique est ouvertement un chamanisme-polythéisme ; le bouddhisme tibétain s’en rapproche très fortement, après un détour par le bouddhisme qui était lui un pas vers un mono-théisme.

    Pour les deux, l’univers est un vaste « composé ». Tout ce qui existe est relié, mélangé, composé. C’est le propre du chamanisme que de voir les choses ainsi ; c’est un matérialisme panthéiste.

    Le Livre des morts égyptien maintient par conséquent le rapport au corps ; c’est le sens de la momification, qui a lieu sous l’égide du dieu Anubis. Les embaumeurs étaient à ce titre des prêtres, dont l’activité restait secrète pour sa procédure.

    Ceux-ci n’ont eu de cesse d’améliorer leur pratique d’embaumement. Concrètement, on incise le flanc gauche de l’abdomen du décédé, pour permettre à l’âme de monter au ciel. Après l’éviscération et la momification, la bouche est légèrement ouverte par les prêtres, ainsi que le nez, les oreilles, les yeux.

    Cela est fait afin de permettre au défunt d’utiliser ses sens dans le monde des morts. Le Livre des morts égyptien propose une incantation à prononcer par le défunt lui-même :

    « Ma bouche est ouverte par Ptah,

    Les liens de ma bouche sont relâchés par ma cité-dieu.

    Thot est venu entièrement équipé de sorts,

    Il libère les liens de Seth de ma bouche.

    Atoum m’a donné mes mains,

    Elles sont placées comme gardiennes.

    Ma bouche m’est donnée,

    Ma bouche est ouverte par Ptah,

    Avec ce ciseau de métal

    Avec lequel il a ouvert la bouche des dieux.

    Je suis Sekhmet-OuadJet qui habite à l’ouest du ciel,

    Je suis Sahyt parmi les âmes d’On. »

    Cependant, quand on parle d’éviscération, on ne parle pas du cœur. Celui-ci reste en place. Le second cœur, qui a été enlevé (et qui consiste en les autres organes comme le foie, la rate, les poumons, etc.), doit être rétabli de manière magique.

    Le Livre des morts égyptien présente comment le défunt doit aller le chercher lors de son périple dans l’entre-deux :

    « Tu entres dans la maison des cœurs-ib et dans la place remplie de cœurs-haty, tu prends le tien et le mets à sa place. Ta main n’est pas détournée, ton pied n’est pas dévié de sa marche, tu ne vas pas la tête en bas, tu marches debout. »

    Alors, le cœur est pesé, avec en contre-poids la plume de Maât, la déesse de la vérité et de la justice ; une version tardive du Livre des morts égyptien dressera par la suite la liste suivante de l’innocence à justifier.

    Le prêtre Padiouiset offre de l’encens au dieu Râ-Horakhty-Atoum, vers 900 avant notre ère

    Quelle est la position du bouddhisme tibétain ? Les trois-quatre premiers jours, on pose un drap blanc sur le corps, sans le toucher. C’est la période où il ne faut pas déranger l’âme qui, si elle reconnaît la lumière, fuit la réincarnation.

    Un prêtre vient vérifier que l’esprit est sorti, au niveau de la tête, par « l’ouverture de Brahma » ; un astrologue vient prévoir les funérailles et les rites. On pose ensuite le corps en position assise dans le coin de la chambre du mort ; de la nourriture est placée devant lui.

    Le corps est ensuite enlevé au bout de quelques jours : on le transporte comme un paquet, car on va l’abandonner pour le donner aux vautours, après l’avoir découpé et ajouté du lait de yak, de la farine d’orge, etc.

    Transport d’un cadavre pour l’abandonner, Tibet, 1920 (la pratique est encore la norme)

    La tradition bouddhiste implique la crémation, mais il y a trop peu de bois au Tibet ; le sol est trop dur pour des enterrements et on reconnaît ici l’influence du chamanisme régional.

    Cette pratique de « l’inhumation céleste » a encore massivement cours au Tibet.

    On remarquera que l’Égypte antique apparaît ici comme un parallèle décalée, car la momification semble être la fétichisation du fait qu’un corps se dessèche dans une environnement désertique. Néanmoins, il semble que la momification ait été pratiquée en différents endroits du monde à la préhistoire.

    Pour en revenir à la cérémonie tibétaine, là où il y avait le corps, on place une effigie du défunt, au moyen d’un assemblage permettant de poser des habits du défunt et, à la place du visage, on met une feuille imprimée représentant une figure en adoration.

    De la nourriture est placée devant lui pendant 49 jours, la durée maximale de « l’entre-deux ».

    Le Livre des morts tibétain est lu pour chaque partie de « l’entre-deux » concernée, avec également un service de chants. Cela dure une semaine, puis les prêtres repassent une fois par semaine.

    La feuille imprimée est brûlée au bout des 49 jours ; de la manière dont elle brûle, les prêtres prétendent pouvoir dire quel a été le sort du défunt.

    On a ainsi deux approches inverses : dans l’Égypte antique, le corps est conservé, à tout prix. Dans le bouddhisme tibétain, on s’en débarrasse, à tout prix.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • La nature de l’entre-deux égyptien et tibétain

    Il ne faut jamais oublier que lorsqu’il est parlé du défunt devant effectuer un bon parcours après sa mort, on n’est pas dans la mort, mais dans un entre-deux.

    Cet entre-deux peut être pris de deux manières. Soit on le considère comme une séparation idéaliste, avec deux qui deviennent un. Soit on considère qu’il y a une dialectique à l’œuvre, avec un devient deux.

    Soit l’entre-deux est la vie devenant mort et restant pourtant dialectiquement la vie, soit on considère que l’entre-deux n’est plus la vie, mais pas encore la mort, unifiant les deux pour l’annuler.

    Les divinités paisibles et courroucées, Tibet, 19e siècle

    Quel rapport avec la question de savoir pourquoi l’humanité considère comme possible l’arrivée au paradis, faisant de la chute en enfer une anomalie, une erreur de parcours ?

    Cela tient aux modalités de la synthèse effectuée par l’humanité, lorsque l’esprit a appréhendé les sensations bonnes et mauvaises nouvellement ressenties.

    Il y a, en effet, nécessairement une inégalité de développement entre les impacts bénéfiques et maléfiques sur l’esprit. Cela est vrai à la fois en général et pour chaque séquence. Ici, on peut se douter que l’hiver présentait un caractère terrible, alors que le printemps s’annonçait libérateur.

    L’été apportait un épanouissement dont l’automne annonçait la décadence. On comprend le culte des solstices, et plus généralement la peur du non-retour quotidien du soleil.

    C’était un puissant traumatisme que la constatation de phénomènes de telle ampleur, sans disposer d’une compréhension rationnelle ni de la moindre possibilité de jouer sur les événements.

    Et, pourtant, le soleil et le printemps reviennent à chaque fois. La vie persiste, c’est donc que les forces de la vie sont supérieures aux forces de la mort.

    Détail du Livre des Demeures Secrètes relatant le périple quotidien de Râ, ici dans sa barque, alors qu’on voit également le serpent Apophis, 1000 ans avant notre ère

    Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de dire que la religion exprime, au fond, une appréhension de la mort, et qu’elle existera tant que les gens mourront. Ce que reflète réellement la religion ne concerne malgré les apparences pas ce qui se passe après la vie, mais pendant.

    C’est parce que l’humanité souffre de la même manière que dans « l’entre-deux » qu’il y a la religion. En ce sens, l’invention du purgatoire par l’Église catholique romaine était une obligation, afin de réaliser l’existence d’un « sas ».

    On constatera ici que l’Église orthodoxe, le protestantisme, le judaïsme et l’Islam ne reconnaissent pas le purgatoire. C’est tout simplement que ces religions sont extrêmement strictes. Les deux premières exigent une purification mentale permanente, les deux autres se fondent sur une dimension purement juridique (il suffit de reconnaître la conception générale et de suivre les lois communautaires, le reste est secondaire).

    Pour l’Église catholique, pour la religion de l’Égypte antique, pour les peuples méso-américains (Mayas, Aztèques, etc.), pour le bouddhisme tibétain, tout se joue après la vie et la mort. Dans l’Église orthodoxe, le protestantisme, le judaïsme et l’Islam, tout se joue avant.

    Le pharaon Ramsès II entouré par le dieu Amon et la déesse Mout, 13e siècle avant notre ère

    Cela ne doit pas surprendre : ce sont les deux seules possibilités dialectiques dans cette perspective. Soit l’humanité plaçait le paradis et l’enfer à l’extérieur de la réalité, soit à l’intérieur.

    En fait, l’humanité n’a pas choisi l’une ou l’autre option, les deux ont été choisies. Ce qui fait la différence, au-delà des nuances, c’est là où est place le poids central… par rapport à l’entre-deux.

    Pour l’Église catholique, pour la religion de l’Égypte antique, pour les peuples méso-américains (Mayas, Aztèques, etc.), pour le bouddhisme tibétain, l’entre-deux est radicalement séparé de ce qui se passe après, dans le « paradis ».

    Le monde réel est par conséquent, si on veut, tout à fait secondaire.

    Pour l’Église orthodoxe, le protestantisme, le judaïsme et l’Islam, l’entre-deux n’est pas séparé radicalement de la suite, il se situe dans le prolongement. On compte tout ce qui se passe au sein du monde réel : surtout dans l’esprit pour certaines religions, principalement dans la pratique pour les autres.

    Le « jugement » de l’entre-deux est ramené dans la réalité et la réalité elle-même devient l’entre-deux. Pour l’Église orthodoxe, le protestantisme, le judaïsme et l’Islam, on est comme en suspension dans le monde. Dieu est là sans être là tout en étant là.

    Pour l’Église catholique, pour la religion de l’Égypte antique, pour les peuples méso-américains (Mayas, Aztèques, etc.), pour le bouddhisme tibétain… le dieu-univers est loin, à l’écart.

    Naturellement, en réalité, tout est tendanciel. Cela explique cependant les évolutions de certaines religions par rapport à d’autres. Le judaïsme et l’Islam ne peuvent connaître que des fuites en avant juridiques, le protestantisme et l’Église orthodoxe des fuites en avant « purificatrices ».

    Thoutmôsis III tétant le lait de la déesse-sycomore, vers 1500 ans avant notre ère

    Cependant, le mysticisme islamique (et juif aussi d’ailleurs) purificateur existe aussi. Donc il y a des tendances de tendances et des divergences, mais tout cela ne sont que des complications inévitables qui révèlent, de toute manière, que les religions sont en roue libre même selon leur logique interne (très relative donc).

    Une logique interne qui ne peut être comparée en ce sens à la logique interne d’une idéologie de type moderne, car ce sont des idéologies trop arriérées (semi-féodale, au mieux pourrait-on dire si ou considère que le bouddhisme tibétain est presque semi-esclavagiste donc).

    Pour l’Église catholique, pour la religion de l’Égypte antique, pour les peuples méso-américains (Mayas, Aztèques, etc.), pour le bouddhisme tibétain, la fuite en avant est facile à deviner : elle est dans le dédain du monde, dans la grande mise à l’écart, dans le pessimisme absolu quant à la réalité.

    Une religion comme l’hindouisme, avec ses multiples courants, se retrouve à la fois dans une tendance et dans l’autre ; on trouve des yogis refusant catégoriquement le monde et d’autres hindous basculant dans la tentative d’instaurer une société entière suivant juridiquement les préceptes hindous.

    Il y a ici beaucoup à réfléchir sur le point de vue de l’humanité quant à la vie, la mort, l’entre-deux. Il suffit pour l’instant de comprendre que l’humanité a conçu un entre-deux et que cette notion est d’une importance fondamentale pour certaines religions.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • Les dieux et démons, reflet de la fragilité de l’esprit humain

    La religion de l’Égypte antique et le bouddhisme tibétain du moyen-âge sont fondés sur la magie ; ils visent à permettre le grand passage dans l’au-delà, à partir de « l’entre-deux ».

    La vie compte moins que la réussite, la mort arrivée, du grand saut vers la réalité suprême : celle du dieu-univers impersonnel, éternel, où tout est pacifié.

    La clef de la compréhension des dieux et démons des Livres des morts égyptien et tibétain ne réside donc pas dans l’affirmation positive, mais dans la négativité.

    Il n’y a pas un affrontement entre le bien et le mal, mais le bien comme appel vers l’au-delà et le mal comme épreuves pour avancer vers l’au-delà.

    Livre des Morts du scribe Nebqed, qui agit sous le règne d’Aménophis III (1391-1353 avant notre ère)

    Il ne s’agit pas de faire le bien et de ne pas faire le mal. Il s’agit de ne rien faire qui puisse contrarier l’ordre cosmique fondamental, la substance du dieu-univers.

    Tout se révèle si on constate ce qui se passe lorsque le défunt arrive chez Osiris, le dieu de la mort.

    Il va être jugé, et pour se protéger, il dit qu’il n’a pas fait quelque chose de mal. Il a bien agi, dans la mesure où il n’a pas fait quelque chose qui contrarie.

    Voici la liste des déclarations d’innocence du défunt de l’Égypte antique, lorsqu’il se retrouve jugé.


    Nom du jugeLieu d’origine
    du juge
    Déclaration d’innocence
    1Celui qui marche à grandes enjambéesHéliopolisJe n’ai pas commis l’iniquité
    2Celui qui étreint la flammeKher-âhaJe n’ai pas brigandé
    3Celui qui est muni
    d’un long nez
    HermopolisJe n’ai pas été cupide
    4Avaleur d’ombreCaverneJe n’ai pas dérobé
    5Terrible de visageRo-setaouJe n’ai tué personne
    6RoutyLe CielJe n’ai pas diminué le boisseau
    7Celui dont les deux yeux sont de flammeLétopolisJe n’ai pas commis de forfaiture
    8l’IncandescentKhetkhetJe n’ai pas volé les biens d’un dieu
    9Briseur d’osHéracléopolisJe n’ai pas dit de mensonge
    10Celui qui
    active la flamme
    MemphisJe n’ai pas dérobé de nourriture
    11TroglodyteOccidentJe n’ai pas été de mauvaise humeur
    12Celui aux
    dents blanches
    FayoumJe n’ai rien transgressé
    13Celui qui
    se nourrit de sang
    Place d’abattageJe n’ai pas tué d’animal sacré
    14Avaleur d’entraillesPlace des TrenteJe n’ai pas fait d’accaparement de grains
    15Maître d’équitéMaâtyJe n’ai pas volé de ration de pain
    16l’ErrantBubastisJe n’ai pas espionné
    17le PâleHéliopolisJe n’ai pas été bavard
    18le VilainAndjtyJe ne me suis disputé que pour mes propres affaires
    19OuamemtyPlace de jugementJe n’ai pas eu commerce avec une femme mariée
    20Celui qui regarde ce qu’il apporteTemple de MinJe n’ai pas forniqué
    21Chef des GrandsImouJe n’ai pas inspiré de crainte
    22Le RenverseurHouyJe n’ai rien transgressé
    23Le Causeur de troublesLieu saintJe ne me suis pas emporté en paroles
    24L’EnfantHéqa-âdjJe n’ai pas été sourd aux paroles de vérité
    25Celui qui annonce la décisionOunsyJe n’ai pas été insolent
    26BastyLa ChâsseJe n’ai pas cligné de l’œil
    27Celui dont le visage est derrière luiLa TombeJe n’ai été ni dépravé, ni pédéraste
    28Le Brûlant de jambeRégions crépusculairesJe n’ai pas été faux
    29Le TénébreuxTénèbresJe n’ai pas insulté
    30Celui qui apporte son offrandeSaïsJe n’ai pas été brutal
    31Le Possesseur de plusieurs visagesNedjefetJe n’ai pas été étourdi
    32L’AccusateurOutjenetJe n’ai pas transgressé ma condition au point de m’emporter contre les dieux
    33L’EncornéAssioutJe n’ai pas été bavard
    34NefertoumMemphisJe suis sans péchés, je n’ai pas fait le mal
    35Tem-sepBusirisJe n’ai pas insulté le roi
    36Celui qui agit
    selon son cœur
    TjebouJe ne suis pas allé sur l’eau de quelqu’un
    37Le FluideNounJe n’ai pas été bruyant
    38Le Commandeur des hommesSaïsJe n’ai pas blasphémé les dieux
    39Celui qui procure le bienHouyJe ne me suis pas donné de l’importance
    40Neheb-kaouLa VilleJe n’ai pas fait d’exceptions en ma faveur
    41Celui à la tête prestigieuseLa TombeJe n’ai été riche que de mes biens
    42In-diefLa NécropoleJe n’ai pas calomnié de dieux dans ma ville


    Maintenant, reprenons les divinités paisibles et courroucées du bouddhisme tibétain. Que visent-elles, dans leur fonction négative ? Leur rôle est de briser la peur et l’ignorance, de permettre au défunt de s’arracher à ses entraves.

    Dans leur fonction positive, elles appellent à empêcher d’agir de manière erronée. Les valeurs mises en avant sont la sagesse, la compassion.

    Tout ce qui est peur, souffrance… est considéré par le bouddhisme tibétain comme parasitant l’esprit. Le bouddhisme tibétain dit alors : cette forme de parasitage est ce qui empêche de voir la « vraie » réalité.

    Le désir relève d’un tel parasitage, parce qu’il propulse l’esprit dans une certaine direction.

    Ici, on a la clef du vrai bouddhisme. Il ne s’agit pas d’une philosophie de la vie qui serait froide et calculerait que les désirs insatisfaits perturbent.

    Il s’agit d’une lecture des choses qui expriment une nostalgie de l’esprit humain non travaillé par les forces « bénéfiques » (nécessaires pour pousser dans le bon sens) ou « maléfiques » (nécessaires pour empêcher d’aller dans le mauvais sens).

    D’où le rejet de la colère, de l’attachement, de tout ce qui pousse l’esprit dans une direction donnée.

    Le bouddhisme pose la négation de la direction, tout comme les 42 formules égyptiennes d’innocence expriment le sens de la vie par des non-actions.

    Palden Lhamo, divinité courroucée protectrice des enseignements du Bouddha, ainsi que du Tibet, Tibet, 18e siècle

    Les dieux et démons sont le reflet de la fragilité de l’esprit humain ; ils sont là comme expression de l’existence d’émotions perturbatrices, et pour l’esprit de l’être humain primitif, toute émotion est perturbatrice, car non prévue, non comprise, envahissante au point d’engager tout l’être.

    C’est ce qu’on appelle la « possession » dans les religions ; aux yeux du chamanisme – polythéisme, le risque de possession est permanent. Il faut donc le conjurer : c’est le rôle de la magie.

    Reste un problème évident. Pourquoi l’être humain a-t-il considéré que, finalement, le bonheur l’emportait possiblement sur le malheur, le paradis sur l’enfer ?

    Pourquoi les divinités tibétaines aident-elles malgré leur forme négative, et pourquoi dans le Livre des morts égyptiens les forces malfaisantes servent-elles en fait d’acteurs positifs du point de vue du bien, avec leurs épreuves ?

    Tout tient à la question de l’entre-deux.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • La force de la parole : la magie en Égypte antique et au Tibet

    Le livre égyptien est écrit – mais pas forcément écrit en entier – sur des papyrus, des linceuls, des bandelettes du linge funéraire. C’est que le livre consiste en des formules, et c’est le défunt qui en a choisi certaines (leur écriture impliquant également un certain coût, ce qui joue nécessairement dans la capacité d’acquisition).

    Une fois mort, il est considéré qu’il va les réciter pour réussir à passer les différentes étapes menant à la réunification avec le dieu-soleil Râ. Dans le rituel existant précédemment et réservé au pharaon, c’est un grand prêtre qui lisait le livre devant la momie.

    Cette dernière approche est celle du livre des morts tibétains : un prêtre se charge de lire l’ouvrage en se plaçant à côté du mort. Il le guide ainsi dans « l’entre-deux ».

    Ra et la déesse Imentet dans la tombe de Nefertari, 13e siècle avant notre ère

    Que le texte soit lu par un prêtre dans la pyramide, qu’il soit « lu » par le défunt de manière mystique alors qu’il est déjà mort, ou bien que le texte soit lu par un prêtre tibétain à côté du cadavre, dans tous les cas il faut lire, et lire adéquatement.

    La lecture a une portée magique : c’est un aspect essentiel. Le bouddhisme tibétain accorde une valeur fondamentale au son ; on ne peut pas prier si on ne connaît pas la bonne tonalité, qui naturellement est enseignée par les maîtres religieux, en plus de dépendre de la qualité personnelle du récitant.

    Il ne pouvait qu’en être de même chez les Égyptiens de l’antiquité ; c’est un principe qu’on trouve dans toutes les visions chamaniques de la prière.

    On est dans la magie. Les hymnes ou incantations égyptiennes jouent ainsi sur les homophonies, et utilisent des jeux de mots. L’association des mots et des sons éveillent des « forces » qui agissent alors.

    Stèle de la dame Tapéret, 8-7e siècle avant notre ère

    Et les mots prononcés ont une portée, les symboles en ont une également. Voici un exemple remarqué par l’égyptologue Bernard Mathieu : dans la pyramide d’Ounas, le symbole hiéroglyphique du dernier taureau de la séquence suivante a été burinée, pour se conformer à l’esprit de ce qui est dit à son sujet.

    N’ignore pas Ounas, Dieu, puisque tu le connais et qu’il te connaît !
    N’ignore pas Ounas, Dieu, puisqu’il te connaît, ou l’on dira de toi: Celui-qui-a-péri !

    N’ignore pas Ounas, Rê, puisque tu le connais et qu’il te connaît !
    N’ignore pas Ounas, Rê, ou l’on dira de toi: le Grand seigneur de tout est anéanti !

    N’ignore pas Ounas, Thot, puisque tu le connais et qu’il te connaît !
    N’ignore pas Ounas, Thot, ou l’on dira de toi: l’Unique est couché !

    N’ignore pas Ounas, Horus Sopdou, puisque tu le connais et qu’il te connaît !
    N’ignore pas Ounas, Horus Sopdou, ou l’on dira de toi: le Misérable !

    N’ignore pas Ounas, Celui qui est dans la Douat, puisque tu le connais et qu’il te connaît !
    N’ignore pas Ounas, Celui qui est dans la Douat, ou l’on dira de toi: Celui-qui-s’est-éveillé-sauf !

    N’ignore pas Ounas, Taureau du ciel, puisque tu le connais et qu’il te connaît !
    N’ignore pas Ounas, Taureau du ciel, ou l’on dira de toi: Vieillard-que-voici !

    Le dernier « Taureau du ciel » est disqualifié : son symbole est buriné. Le mot est la chose, le symbole est la chose, et l’inverse est vraie, voilà pourquoi on peut « appeler » des forces divines.

    Naturellement, le cannibalisme n’est pas loin, et on trouve un « hymne cannibale » dans certaines anciennes pyramides, où hommes et dieux sont sacrifiés pour que le pharaon puisse se nourrir et intégrer leur « énergie ».

    Statue du dieu Khonsou, 712-332 avant notre ère

    Car on en est là : dans un monde permis par un dieu-univers insufflant un souffle énergétique divin, on peut « pirater » la répartition de cette énergie.

    D’où justement les invocations et les incantations des Livres des morts égyptien et tibétain. Elles agissent de par leur tonalité et leurs références, faisant basculer les rapports d’énergie dans les situations auxquelles fait face le défunt.

    Le bouddhisme tibétain a poussé à l’extrême cette question du son, au point qu’il existe une grande mode commerciale des « bols chantants tibétains » qui n’ont en réalité rien de tibétain et sont de simples bols destinés à l’alimentation dans cette partie du monde, et donc pas du tout pour relaxer ou guérir.

    Il y a néanmoins une inspiration qui a sa justification dans la fascination du bouddhisme tibétain pour le son, la fréquence, la résonance. Une figure majeure est ici le second grand personnage de cette religion, après son fondateur Padmasambhava, est Jetsün Milarépa (Jetsün Mila le « répa » c’est-à-dire le yogi vête de coton), qui a vécu au croisement des 11e et 12e siècles.

    Milarépa est souvent présenté avec une main derrière une oreille, en train de chanter ; on lui attribue une œuvre dénommée Cent Mille Chants.

    Milarépa, Tibet ou Népal, 19e siècle

    Dans le bouddhisme tibétain, les voix peuvent appeler des divinités, les syllabes combinées dans les mantras ont des effets bénéfiques, le tambour est frappé au rythme pour se placer en phase avec les rites, les cors permettent d’appeler la population.

    Les instruments composés d’os humains permettent une chanson « appelant » des esprits mauvais ; on a par exemple le kangling, une trompette faite d’un fémur, pour pratiquer le rituel de purification dit Chöd élaboré par Machik Labdrön, qui a vécu à la même époque que Milarépa et qui a depuis été divinisée.

    Elle est représentée en train de danser, avec un tambour sans sa main droite et une cloche dans sa main gauche.

    Pour autant, il ne faut pas considérer qu’il existe des notations musicales systématisées ; en réalité, il y a de nombreuses variantes, propres à une lecture somme toute magique – chamanique, donc incapable d’une réelle unification.

    Machik Labdrön, Tibet, 19e siècle

    On est dans la fuite en avant permanente, puisqu’on court littéralement derrière le monde pour être « en phase » avec lui et qu’on adapte les pratiques en fonction des échecs qui, immanquablement, se produisent régulièrement.

    C’est une fièvre mystique et ici, il faut absolument mentionner le chant « de la gorge ». En fait, il s’agit d’un chant diphonique, si présent dans toute la zone touchée par le chamanisme de type altaïque, turc, mongol, tibétain, ouzbek, kazakh, coréen, etc.

    On parle ici d’un double son, prononcé d’une part par les cordes vocales, d’autre part par les parties de notre corps servant de résonance (le pharynx, la bouche…).

    Naturellement, toute cette conception du son s’appuie sur la notion idéaliste d’analogie : la fréquence de ce qui est prononcé, jusqu’à la disparition finale du sens du mot lui-même, est censée être analogue à la chose appelée, que ce soit dans la Nature ou chez les divinités.

    Dans la religion de l’Égypte antique et dans le bouddhisme tibétain, il est imaginé réellement s’adresser aux divinités et à la Nature, qui toutes relèvent de la même réalité, celle permise par le souffle vital du dieu-univers.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • La dimension tantrique du bouddhisme tibétain (« le véhicule du diamant »)

    L’Égypte antique était une société esclavagiste ; l’empire égyptien est né du triomphe d’une Cité-État et son développement. Le Tibet du Livre des morts était, au 8e siècle, un pays coincé entre l’esclavagisme et le féodalisme.

    On en sait en fait très peu sur le Tibet alors, mais des signes ne trompent pas : une loi instaurée au 13e siècle fixe des punitions tels le fait de couper les pieds, les mains, les oreilles, les bras, les jambes, ou encore de faire sortir les yeux des orbites. Cette loi ne sera abolie… qu’en 1913.

    Le fouet est, qui plus est, une punition habituelle et régulière. On s’imagine quelle pouvait être la situation, plus de mille ans auparavant, dans une partie du monde renfermée sur elle-même (sauf pour les affrontements avec les voisins), aux mains d’une religion ayant instauré une théocratie.

    Cela étant, la société tibétaine était elle-même puissamment fragmentée et le Tibet désigne plus une zone géographique qu’autre chose, qui fut indirectement et vaguement sous la coupe mongole puis chinoise à partir de la fin de l’éphémère empire tibétain (618-842), qui s’appuyait sur la religion locale bön et avait interdit le bouddhisme venant alors d’arriver.

    On sait à ce titre qu’au 17e siècle, les terres se divisaient comme suit : 30,9 % appartenaient au gouvernement, 29,6 % aux aristocrates, 39,5 % aux moines, en considérant que cette triple élite représentait 5 % de la population.

    Il n’y a jamais eu de capitalisme pour se développer et commencer à installer une base nationale ; la nature du territoire faisait que de nombreuses parties étaient de facto indépendantes du pouvoir central.

    Le palais du Potala à Lhassa

    Cela implique que le patriarcat existait de manière massive, jusqu’à la frénésie. Il est considéré que les 25 disciples principaux du fondateur du bouddhisme tibétain se « réincarnent », ce qui assure un statut divin au sommet de l’élite religieuse.

    C’est en particulier vrai pour le Dalaï-Lama, le chef spirituel, considéré comme un dieu-vivant. Mais il y a également le principe des Tertön, des figures qui trouvent des textes ou des enseignements prétendument cachés (Terta), en attente d’être révélés !

    On est ici dans la superstition au service du clanisme et cela joue pleinement sur la théorie « sexuelle » du bouddhisme tibétain.

    D’un côté, il y a une base matérialiste du couple fusionnel ; c’est ce qu’exprime le concept de Yab-yum, soit père-mère, où une divinité mâle s’accouple avec une divinité femelle.

    Dans le contexte patriarcal-féodal, quasi esclavagiste, qui s’étale du début au 8e siècle jusqu’à 1959 lorsque la Chine populaire écrase la révolte féodale de la région autonome tibétaine, cela implique l’esclavage sexuel.

    Même dans la première partie du 21e siècle, les scandales sont encore récurrents concernant le bouddhisme tibétain et des femmes occidentales utilisées pour les cérémonies mystiques.

    C’est le fondement même du bouddhisme tibétain de considérer que des choses négatives comme la colère ou la sexualité transportent une énergie qui peuvent être « déviées » positivement, à condition d’un contrôle mental suffisant.

    C’est ravageur dans des monastères où il n’y a que des hommes vivant à l’écart des femmes et ayant rejoint la religion dès leur prime enfance.

    On conçoit la contradiction présente. D’un côté, on a une base chamaniste, matérialiste panthéiste en partie, avec la découverte de la notion d’« union » homme-femme symbiotique et égalitaire, qui a une réelle dimension populaire et matérialiste, voire franchement féministe, dans son émergence.

    De l’autre, on a le cadre bouddhiste tibétain qui a transformé cette démarche appelée « Karmamudra » en prétexte à l’exploitation sexuelle.

    Cette démarche, qu’on appelle tantrisme en général, a beaucoup d’autres aspects et est très présente dans toute cette partie du monde, où les montagnes isolent et façonnent les mentalités. On a ainsi le fait de manger de la viande, de chasser, de prendre des drogues, de boire de l’alcool, etc.

    Méditation et « transfert de conscience », 10-12e siècle, dans un temple « secret » sur une toute petite île sur un lac derrière le Palais du Potala

    Le bouddhisme tibétain est totalement schizophrène dès sa base et non seulement il combine des courants très différents, mais en plus il a toujours reconnu les « aventures » de yogi vivant à l’écart et trouvant d’eux-mêmes, à travers les choses mauvaises, l’énergie pour devenir « bons ».

    Tsongkhapa (1357-1419), qui a fondé l’école dite des bonnets jaunes (à laquelle appartiennent les dalaï-lamas), dénommé gelupga (les « vertueux »), revendique un célibat strict, et en même temps de coucher avec « neuf compagnes, âgées de 12 à 20 ans ».

    À cette occasion, le « maître » doit récupérer le produit de son éjaculation auprès de chaque femme, afin que le « nectar » soit mangé par ses disciples dans un rituel secret.

    Les nonnes ont dû ainsi connaître le même sort que les femmes du début du 21e siècle, mais en bien pire : l’esclavage sexuel, les menaces de mort ou d’exil hors de la communauté en cas de protestations.

    Un autre aspect du Tibet est la polygamie, la polyandrie, où plusieurs frères se marient à la même femme, voire la polygamie bi-générationnel, où un père et le fils se mariaient à la même femme.

    La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne chinoise mit fin à ces pratiques, qui cependant ressurgirent dans les années 1980 après la défaite de la révolution en 1976.

    Le bouddhisme tibétain est, avec un tel arrière-plan, considéré comme à part dans le bouddhisme en général. Il faut ici voir que :

    – le bouddhisme tibétain est issu du bouddhisme indien ;

    – le bouddhisme indien est issu de l’hindouisme ;

    – l’hindouisme est issu d’une synthèse entre les conceptions « védiques » des envahisseurs indo-aryens et le chamanisme des peuples envahis.

    Si on voit les choses ainsi, le bouddhisme est l’expression d’un grand éloignement du chamanisme.

    Sauf que le bouddhisme tibétain est issu du bouddhisme indien, mais avec des modifications. Il a été puissamment marqué par le courant tantrique se développant alors en Inde, et il a été massivement influencé (bien qu’on ne sache guère précisément comment) par la religion chamanique tibétaine appelée « bön ».

    Tonpa Shenrab, le fondateur de la religion bön, qui vécut il y a 18 000 ans et dont la vie décrite ici a été « révélée » au 14e siècle, Tibet, 19e siècle

    On a ainsi un mouvement qui part du chamanisme… pour y revenir. C’est la particularité du bouddhisme tibétain, qui a modifié le bouddhisme au moyen de la magie chamanique.

    On l’appelle pour cette raison bouddhisme tantrique, bouddhisme ésotérique, bouddhisme guhyayana (« véhicule secret ») et plus couramment bouddhisme vajrayana (soit « le véhicule du diamant », car permettant un accès « fulgurant » à la vérité suprême).

    Cette dimension « fulgurante » est essentielle pour comprendre le Livre des morts, car dans le bouddhisme tibétain, n’importe qui peut littéralement quitter la « fausse » réalité en une seule vie, chose pratiquement impossible pour le « grand véhicule » et relevant de l’absurdité pour le « petit véhicule ».

    Le moyen est de type chamanique, puisqu’on « pirate » les énergies mauvaises. On lit dans le Hevajra Tantra, formé de 750 quatrains censés en résumer 500 000 mythiques :

    « Par la passion le monde est lié, par la passion aussi il est libéré. »

    « Celui qui connaît la nature du poison peut dissiper le poison par le poison. »

    Le terme de « diamant » vient de l’origine du bouddhisme tantrique, avec Vajrapaṇi : Bouddha, au moment de son grand départ, serait resté sept jours (sous la forme de Vairocana, la Grande Lumière) pour enseigner les secrets du bouddhisme à celui-ci.

    L’épisode est raconté dans le Soutra [= livre canonique] Vairocanabhisaṃbodhi ; Vajrapaṇi veut dire « celui qui porte le Vajra », le Vajra étant la foudre aux propriétés du diamant (initialement on le retrouve chez l’ancien dieu de l’hindouisme Indra).

    Dans le Vairocanabhisaṃbodhi, on lit la chose suivante, essentielle pour comprendre le rapport du bouddhisme à la sonorité :

    « La lettre A est l’essence de tous les mantras, et d’elle jaillissent partout d’innombrables mantras.

    Toutes les discussions futiles cessent, et elle peut engendrer la sagesse habile.

    Seigneur des Mystères, pourquoi [la lettre A] est-elle l’essence de tous les mantras ?

    Le Bouddha, honoré parmi les êtres bipèdes, a enseigné que la lettre A est appelée la graine.

    Par conséquent, tout est ainsi, [ayant la lettre A comme graine], et elle repose dans tous les membres.

    L’ayant attribuée comme il se doit, distribuez-la partout conformément aux règles.

    Parce que cette lettre primordiale (c’est-à-dire A) imprègne les lettres augmentées,

    Les lettres forment les sons, et les membres naissent de là. »

    Il y a une dimension magique permanente dans le bouddhisme tibétain, tout ce qui est sonorité est une composante majeure de cette approche où le Livre des morts en est un dispositif essentiel : c’est pour cela qu’il doit être lu à haute voix.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • Les divinités paisibles et courroucées du bouddhisme tibétain

    Regardons les divinités qu’on a dans le Livre des morts tibétain. Elles sont de la plus haute importance, car elles personnifient des aspects positifs ou négatifs de l’existence ; certaines appuient les choses bonnes, les autres aident à combattre les choses mauvaises.

    Le bouddhisme tibétain leur accorde une grande importance, puisqu’on peut s’y « identifier » par la méditation. On « construit » puis on « déconstruit » cette fusion mentale avec la divinité choisie, avec comme support une représentation visuelle (c’est là où on retrouve les fameux « mandalas »).

    Il y a déjà les divinités paisibles, qui apparaissent en liaison avec le cœur, qui est l’un des « centres énergétiques ». Elles sont au nombre de 42.

    Il y a ensuite les divinités courroucées, qui sont elles produites par le sommet de la tête, c’est-à-dire ce qui est considéré comme le point nodal du cerveau et du système nerveux. Elles sont au nombre de 58.

    Il y a enfin dix divinités intermédiaires, les Vidyadhara, qui proviennent de la gorge, à la croisée du cœur et du cerveau.
    Ce sont des figures historiques divinisés, puisqu’on parle de disciples du fondateur du bouddhisme tibétain.

    C’est là qu’on bascule dans la psychologie que le bouddhisme, dans tous ses courants, toutes ses écoles, dans toutes ses variantes, a développé de manière exponentielle. Tous les aspects de l’existence sont personnifiés, comme dans le chamanisme, par des divinités ou des manifestations différentes de la même divinités.

    Guhyasamāja en union « tantrique » avec sa « parèdre » Sparshavajr, Tibet, 18e siècle,

    On a bien cent divinités paisibles ou courroucées, en plus des dix « neutres » (ou à la fois paisibles et courroucées), mais la croissance du nombre total va en fait, à l’arrière-plan, être immense.

    Il va de soi que la dimension pittoresque de ces divinités est elle-même aussi puissante qu’halluciné. Palden Lhamo a ainsi été largement mis en avant au Tibet, comme divinité courroucée se chargeant justement de protéger celui-ci. Elle a trois yeux, la peau bleue, les cheveux rouges, boit du sang dans un crâne humain et traverse une mer de sang sur un mulet blanc !

    La raison de cet aspect halluciné, c’est que le bouddhisme tibétain est la variante mystique du bouddhisme en général. Il y a eu des associations avec la religion chamanique tibétaine, appelée bön,très puissante et qui s’est d’ailleurs maintenue parallèlement au bouddhisme.

    Il y a également eu des mélanges ou des inspirations massives dans les dieux et déesses de l’hindouisme. De manière typique du chamanisme-polythéisme, et le processus n’a pas été différent en Égypte antique, les dieux s’ajoutent, se combinent, multiplient leurs manifestions, etc.

    Heureusement pour nous, dans le Livre des morts tibétain, on n’a affaire qu’à une série bien déterminée. Les principales divinités paisibles sont Vairocana, Aksobhya, Ratnasambhava, Amitabha et Amoghasiddhi. Ce sont tous des bouddhas.

    Aksobhya, Tibet, 13e siècle

    Vairocana est le « Grand Soleil », la « Grande Lumière » ; il représente la vérité suprême du Bouddha. Aksobhya est « l’impassible », « l’inébranlable » ; il est le maître de la Terre de l’Est, Abhirati, qui est celle de la joie.

    Amitabha est, lui, le maître de la Terre de l’Ouest, celle de la béatitude. Ratnasambhava est le maître de la Terre du Sud ; il représente le dépassement de l’orgueil et de l’avidité.

    Amoghasiddhi, dont le nom veut dire « accomplissement sans faille », est le maître de la Terre du Nord ; il représente le dépassement de l’envie, par la pensée conceptuelle (non-liée aux sensations).

    Ces cinq Bouddhas, dans le bouddhisme tibétain, composent le « Bouddha primordial », Adi Bouddha. On est là dans la mise en place d’une sorte de principe monothéiste qui ne s’assume pas en tant que tel.

    On trouve à leur côté des bodhisattvas, qui sont des gens qui auraient pu devenir des Bouddhas. Ils se sont toutefois arrêtés au dernier moment, afin de continuer à participer au monde des réincarnations, pour propager le message bouddhiste. On a ici Samantabhadra, Manjushri, Avalokiteśvara, et Maitreya.

    Mandala de Manjushri, Tibet, 14e siècle

    Samantabhadra a vécu à l’époque du Bouddha ; il est le « tout excellent » qui représente la pratique, le principe.

    Manjushri, c’est sa « Gloire gracieuse », qui personnifie la sagesse. Toute une série de grands prêtres tibétains sont considérés comme des réincarnations de ce Bodhisattva qui s’empêche d’atteindre le Nirvana pour aider l’humanité. Il est également très connu au Népal, où il est le protecteur du pays ; en Chine, on le prie pour réussir ses études.

    Avalokiteśvara représente la compassion ; son nom signifie « le Seigneur qui nous observe ». Très populaire et connu sous une forme féminine en Chine, en Corée, au Japon, au Vietnam, il a une grande importance au Tibet, puisque le Dalaï-lama est considéré comme sa réincarnation.

    Il est également tendanciellement considéré qu’on fait référence à lui dans le mantra Om mani padme hum, car il est également appelé Maṇipadmā.

    Maitreya représente la bienveillance ; il est le Bouddha qui se prépare, pour advenir de la manière la plus parfaite qui soit et revenir dans le monde matériel « à la fin des temps ». Il joue le rôle du Messie.

    Maintenant, si on prend les principaux représentants des divinités paisibles, on a comme valeurs : le Grand Soleil, la joie, la béatitude, le dépassement de l’orgueil et de l’avidité, le dépassement de l’envie, la pratique, la sagesse, la compassion, la bienveillance.

    On remarque tout de suite une chose : toutes ces notions sont de type psychologique.

    Il faut maintenant se tourner vers divinités courroucées. Et là on doit s’apercevoir d’une chose marquante.

    On retrouve chez les divinités courroucées des divinités paisibles, mais dans une version « Heruka », c’est-à-dire « buveurs de sang ».

    Les noms de ces divinités se fondent sur une variante du nom d’une divinité paisible, auquel on ajoute Heruka. Vairocana est ici le Bouddha Heruka, décrit comme suit dans le Bardo Thödol.

    « Le glorieux Bouddha Heruka t’apparaîtra, de couleur brun foncé, à trois têtes, six bras et quatre jambes.

    Son visage de droite est blanc, celui de gauche est rouge et celui du milieu est brun foncé. Son corps est une masse resplendissante. Ses neufs yeux d’une fixité terrifiante te regardent dans les yeux. Ses sourcils tremblent comme l’éclair et ses canines sont luisantes comme le cuivre, il profère un éclat de rire: A-la-la haha.

    Il siffle puissamment: Chou-ou! Ses cheveux roux se dressent comme des flammes! Le soleil, la lune et des crânes humains couronnent ses têtes !Son corps est orné de guirlandes de serpents et de têtes fraîchement coupées !

    De ses six bras, le premier à droite porte une roue, celui du centre une hache et le dernier une épée, tandis que le premier bras à gauche tient à la main une cloche, celui du centre un soc de charrue et le dernier un crâne. »

    Ce n’est pas tout. Les autres divinités courroucées ont un aspect démoniaque, mais leur rôle est positif ; elles combattent le feu par le feu, ce qui est une grande particularité du bouddhisme tibétain.

    Certaines permettent de regarder la sagesse en face (Vajrasattva, Vajradhara…), d’autres visent à briser les passions et dépasser les émotions (Tara, Mahakala…), d’autres de surmonter les peurs et les attachements (Ratnasambhava, Kurukulle…), d’autres encore de ne pas s’accrocher aux souffrances (Yama, Brahmani…), etc.

    À leur côté, on a des dakinis, des divinités féminines, typiquement nue en train de danser ou dans une posture de guerrière, avec un cadavre sous leurs pieds, une arme telle un gourdin en forme de fémur, une coupe à boire formé à partir d’un crâne et rempli de sang.

    Et, pour compliquer encore plus les choses, on a le concept tibétain de Yab-yum, soit père-mère, ou une divinité mâle s’accouple avec une divinité femelle. Cela représente l’alliance de l’amour et de la compassion.

    Manjushri et Prajñāpāramitā Devī, Tibet, 13e siècle

    Or, cela semble absurde puisque le bouddhisme tibétain est censé repousser la sexualité. Sauf que le bouddhisme tibétain est « tantrique », il s’appuie sur le magie.

    Ce qui amène à comprendre comment le Livre des morts tibétain du 8e siècle ramène à une conception datant de la haute antiquité égyptienne.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • Le périple tibétain dans le Bardo Thödol

    Le Livre des morts tibétain, qui date du 8e siècle,a comme titre réel La libération par l’écoute dans les états intermédiaires. Le titre en tibétain est Bardo Thödol : thö = entendre, dol = libérer, bardo = l’intervalle, la période intermédiaire.

    Dans le bouddhisme tibétain, on est toujours dans une période intermédiaire : entre la naissance et la mort, entre la mort et l’émergence de la lumière réelle du monde non masqué, entre la fin de cette lumière (qu’on ne parvient pas à atteindre) et les visions (dues à une vie incorrecte), entre la fin des visions et la renaissance.

    Les rêves et les méditations sont aussi des périodes « intervalles ». On l’aura compris, le Livre des morts tibétain s’intéresse plus particulièrement à l’état intermédiaire entre la mort et la renaissance (ou bien la libération du cycle des renaissances si on parvient à atteindre « l’éveil »).

    Yama, dieu de la mort de l’hindouisme, se retrouve dans le bouddhisme, Tibet, fin du 17e siècle

    On notera que Bardo Thödol se prononce « bar do thos grol », ou bien si on préfère à peu près p-h-àr-t-h-ò t-h-ö ḍöl.

    Le « b » se prononce tendanciellement « ph » au sens où le b et le h se prononcent séparément. le « t » et le « h » se prononcent séparément également. Le « s » à la fin de « thos » sert à monter la voyelle précédente et ne se prononce lui-même pas.

    Le « g » devant un « r » se prononce « d ». Le « r » après le « g » (prononcé « d ») se prononce très légèrement, et comme le son « d » a une dimension rétroflexe dans sa prononciation, on ne l’entend pratiquement plus.

    Qu’est-ce que le Bardo Thödol ? C’est un ouvrage qu’on lit au mort ; idéalement, c’est le guide spirituel du défunt qui effectue la lecture Le but est de « guider » le mort – qui n’est en fait pas mort – alors qu’il se situe dans un état intermédiaire entre la mort et la vie, et la vie et la mort.

    Il y a plusieurs étapes et à chaque fois il faut aider le défunt qui se retrouve dans cette situation en lui donnant des consignes. C’est le sens du nom de l’œuvre : Bardo Thödol, La libération par l’écoute dans les états intermédiaires.

    Un manuscrit du Livre des morts tibétain

    La première étape dure quatre jours, c’est le bardo du moment de la mort, le Chikhai Bardo, avec l’installation d’un « néant ». C’est, aux yeux du bouddhisme, la seule réalité et ceux qui l’ont compris en profitent pour le rejoindre. Naturellement, seule une infime minorité y parvient.

    Ce qui veut dire qu’à la mort de quelqu’un, le principe de conscience perd sa liaison au corps, est en mesure de remarquer cela et de choisir de ne pas se réincarner.

    Dit autrement : l’être humain connaît un « reset » avec son décès, il y a un processus de redémarrage, aboutissant à une nouvelle réincarnation, en raison du trop grand attachement au monde matériel, ou bien à un refus de celle-ci à l’exemple du Bouddha.

    S’il rate la première étape, s’il ne comprend pas la grande lumière des premiers jours, le défunt passe dans un deuxième entre-deux : c’est là le bardo des expériences intermédiaires (Chönyi Bardo).

    Voici ce qu’on lit dans le Bardo Thödol, tout à fait représentatif de l’atmosphère de l’œuvre.

    « Le premier de ces sept jours est fixé par le texte au moment où normalement il réalise le fait qu’il est mort et sur le chemin de la renaissance, ce jour tombe à peu près trois jours et demi ou quatre jours après sa mort.

    Premier jour

    Ô fils noble, tu es resté évanoui pendant les quatre derniers jours. Dès que tu sortiras de ce néant, tu te demanderas : « Qu’est-il arrivé ? »

    Agis de telle sorte que tu puisses reconnaître le Bardo.

    A ce moment le saṃsāra [« ensemble de ce qui circule », le monde où on se réincarne en permanence, et dont il faut sortir en suivant l’enseignement du Bouddha] sera en révolution, et les phénomènes apparents que tu verras seront des radiations et des déités.

    Les cieux te paraîtront d’un bleu foncé.

    Alors du Royaume Central appelé « la force projective de la semence », le Bhagavan Vairochana [dieu Grand Soleil, le Bouddha de la vérité absolue, le troisième de la trinité après le corps du Bouddha et l’esprit du Bouddha] de couleur blanche, assis sur le trône du Lion, portant dans sa main la roue à huit rayons [la fameuse roue symbole du bouddhisme] et enlacé par la Mère de l’Espace du Ciel, se manifestera à toi.

    Il est l’agrégation de la matière constituée en état primordial qui est la lumière bleue.

    La sagesse du Dharma-Dhatu [= la réalité ultime, celle justement aperçue par le Bouddha] de couleur bleue brillante, transparente, splendide, éblouissante, jaillira vers toi du cœur de Vairochana, le Père-Mère te frappera d’une lueur si brillante que tu seras à peine capable d’en soutenir la vue. »

    Le défunt est donc sous le choc ; il est mort depuis plusieurs jours et il vient d’en prendre conscience. Il a raté la lumière absolue au moment de sa mort, et il se retrouve avec toute sa vie passée qui se précipite sur lui.

    Interviennent alors des divinités « paisibles » et « courroucées », pendant quatorze jours. Ce sont des projections personnelles de sa vie d’avant.

    Les divinités paisibles, 19e siècle (on remarquera au centre la figure sexuelle « tantrique »)

    Les sept premiers jours émergent dans le défunt des ondes positives portées par des « divinités paisibles ». Il s’agit en fait de l’impact des mouvements, des élans du cœur que le défunt a vécu.

    Le défunt étant en transe (malgré qu’il soit mort), il perçoit comme des « divinités » ces retours, ces flashbacks de ces élans de compassion. Ces divinités sont ici bienveillantes.

    Puis, pendant sept autres jours, c’est la même chose, mais pour tout ce qui a relevé du calcul, du raisonnement, de l’intentionnalité. Cela s’exprime par l’irruption des « divinités colériques », mais encore une fois le bouddhisme ne dit pas que ce sont de réelles divinités.

    Ce sont des ondes négatives qui prennent des formes particulières, ici maléfiques, mauvaises.

    Personne ne les « visualise » donc de la même manière et il n’y a pas de description détaillée comme en Égypte, si ce n’est comme allégorie.

    On a atteint ici quinze jours et il faut savoir accepter, dépasser ses peurs et ses attaches, pour « fusionner » avec le dieu-univers ; cela donne une seconde chance (après la lumière initiale au moment de la mort) de sortir du cycle des réincarnations, avec une « lumière » montrant la sortie qui est moins forte qu’au moment du décès, mais tout de même présente.

    Si on échoue, la réincarnation se produit au bout de plusieurs semaines, après un dernier état intermédiaire (plus ou moins douloureux) où la vie passée décide du sort futur – c’est le principe du karma.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • La mort : le périple égyptien

    Sur plan du périple du point de vue égyptien, tout se complique, dans des proportions incommensurables. Essayons de décrire dans les grandes lignes ce qui se passe tendanciellement.

    Dans l’Égypte antique, la religion est du type chamaniste-polythéiste. L’univers est donc considéré comme dieu-univers impersonnel, infini, éternel, souffle de vie ; cette conception est valable pour toutes les religions de ce type.

    Cette force suprême est dénommée ânkh ; elle est symbolisée par le fameux symbole de la croix ansée, ainsi qu’un ibis chauve pour le hiéroglyphe.

    Horus remet ânkh au pharaon

    Cet univers permet aux choses d’exister grâce à la fourniture d’un souffle vital, le ka. Celui-ci s’inscrit temporairement dans chose, qui a une forme particulière.

    Chaque forme dans le monde a une sorte de porteur, de pilote, appelée ba, l’équivalent de l’âme, de l’esprit personnel, si l’on veut.

    Ce ba est symbolisé par un oiseau du type cigogne, le Jabiru d’Afrique, avec une tête humaine. Si un dieu est capable de prendre plusieurs formes, il a alors plusieurs ba.

    Dans le Livre des morts égyptien, voici ce qui se passe. Lorsque l’âme se sépare du corps, le souffle d’énergie (= ka) s’en va. Il pourra revenir dans le corps si celui-ci est conservé (par momification).

    Pendant ce temps-là, le ba part faire son voyage, placé sous l’égide du dieu Anubis, le grand maître des secrets (de la mort).

    Objet de vénération d’Anubis (il manque son sceptre), vers 680-660 avant notre ère

    Ce voyage se déroule dans le monde souterrain (appelé Douat) et le ba – la personnalité du défunt – se voit confronter à différentes portes, avec un gardien essayant d’empêcher le passage.

    Ce gardien prend des formes visant à impressionner, pour bloquer le passage. Ce sont des monstres, des serpents, des crocodiles, etc. On a exactement la même approche dans le Livre des morts tibétain.

    Mais attention – et cela est essentiel – ces gardiens ont beau être démoniaques, consister en des créatures monstrueuses, des esprits maléfiques – leur rôle est de tester la loyauté, la fidélité du défunt.

    Leur nature est démoniaque, mais pas leur fonction. Il est très important de voir cela, car on a exactement la même chose dans le Livre des morts tibétain.

    Le bien est un appel, le mal est une épreuve. Il faut suivre l’appel, surmonter l’épreuve.

    On a également à ce titre, et de manière commune aux deux ouvrages, en plus des êtres maléfiques venant tester le défunt, des esprits bienveillants qui donnent des conseils, fournissent des aides.

    De plus, encore de manière commune aux deux ouvrages, des invocations et des incantations sont fournies pour aider à passer les moments difficiles. C’est de la magie.

    Pour résumer, on a une personne qui doit suivre un appel, franchit des épreuves où un être démoniaque vise en fait à protéger l’accès au bien des personnes indignes. Il y a des conseillers divins, tout comme il y a eu des conseillers depuis la réalité.

    Livre des morts des 10e-9e siècles avant notre ère, avec Osiris qui lui-même a été assassiné mais a connu une renaissance

    Pour la mort dans l’Égypte antique, le ba franchit donc les différents paliers, qui sont en fait différentes régions du monde souterrain. Ces régions sont divisées en douze sections, qui correspondent à douze heures, le temps étant divisé dans l’ancienne Égypte en douze heures du jour et douze heures de la nuit.

    On aura compris ici qu’on va traverser les douze heures de la nuit, pour douze portes, afin de parvenir à rejoindre la lumière, celle du dieu soleil Râ.

    Râ lui-même fait cela : il parcourt les douze heures du jour dans une barque, appelée mandjet, puis il traverse les douze heures de la nuit dans une autre barque, appelée mesektet.

    Durant la nuit, il doit affronter le serpent infernal Apophis, qui est l’ennemi de l’ordre cosmique.

    Le parcours du défunt est ainsi un écho du parcours de Râ (et inversement). S’il réussit son cheminement, il passe dans le camp de Râ, il devient parallèle à la lumière triomphante. S’il échoue, il sera dispersé dans le chaos, avec Apophis.

    La fameuse pesée du cœur, Livre des morts, 1275 avant notre ère

    D’ailleurs, au moment final, le défunt, au bout des douze heures, doit lui-même prendre une barque pour aller affronter, comme étape finale, le dieu des morts Osiris.

    C’est le moment de la fameuse pesée du cœur, avec le défunt qui est accueilli par Anubis (au corps humain et à tête de chacal), alors que Thot (au corps humain avec une tête d’ibis) sert de scribe.

    Pour les Égyptiens de l’antiquité, le cœur était le lieu de la pensée, des choix, d’où le fait qu’on le pèse avec de l’autre côté une plume, elle de Maât, la déesse de la vérité, de la justice et de l’ordre cosmique.

    Avant la pesée, le défunt procède alors à une série de justifications par la négative, expliquant qu’il n’a pas tué, pas volé, pas commis de péchés majeurs. Ensuite, si le cœur et la plume sont à l’équilibre, le défunt rejoint le paradis, appelé Aaru.

    Ce paradis est vu de manière très bucolique, une sorte de vaste champ de roseaux toujours luxuriant, où l’on vit passivement dans l’abondance et la tranquillité, pour l’éternité.

    Le scarabée symbolisait la renaissance du soleil ; on le trouve ici pour donner la forme à une amulette posée sur le cœur, afin que celui-ci ne témoigne pas contre son porteur lors de l’épreuve de la pesée (cette méthode magique est indiquée dans Le livre des morts)

    En cas d’échec, l’âme est dévorée par une figure dont c’est le rôle : Âmmout, la dévoreuse des morts, aux pattes arrières d’hippopotame, au corps et aux pattes avant d’un lion, à la tête de crocodile.

    L’âme est alors détruite, elle rejoint le chaos.

    C’est ce qui arrive également le Livre des morts tibétain, sauf que cette destruction consiste en la réincarnation. Il faut ici se souvenir que dans le bouddhisme, on ne conserve pas sa personnalité dans la réincarnation.

    Une renaissance équivaut ainsi à une nouvelle séquence où on va être le jouet de forces extérieures à nous. Inversement, contrairement à la religion égyptienne, on a ainsi une infinité de chances de parvenir à réussir à aller au paradis.

    Le périple est donc décrit non pas positivement comme dans l’Égypte ancienne, avec des séries de déplacements, de rencontres et d’actions à mener, mais négativement, avec des situations passives où justement il ne faut pas agir.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • Les cheminements égyptien et tibétain

    Dialectiquement, on comprend immédiatement que les textes égyptien et tibétain destinés aux défunts… sont en réalité destinés aux vivants. Ils parlent de l’entre-deux entre la vie et la mort afin de parler réellement de la vie, ce qui n’est possible qu’en parlant en même temps de la mort.

    Ce n’est pas qu’il n’y a pas de vie sans mort, et inversement. L’humanité n’a pas ici encore la possibilité de saisir le matérialisme dialectique et de voir la dialectique des contraires.

    C’est bien plutôt qu’il n’y a pas de mort sans vie. La mort n’est pas du tout la fin et son existence n’est pas fantasmée à partir de la vie, avec une humanité s’interrogeant simplement sur ce qu’elle va devenir.

    En pratique, c’est bien le cas, mais l’humanité envisage à l’époque les choses de manière inversée.

    L’humanité se dit que l’univers est infini, éternel, impersonnel, que c’est là la vraie vie. La « vie » sur Terre est donc une anomalie, quelque chose de tout à fait temporaire.

    Le Bouddha Vairocana, Tibet, 14e siècle

    La vie se termine donc, et heureusement, afin de permettre de revenir au dieu-univers (ce qui est pour nous la nostalgie de l’être humain encore animal dans la Nature et en même temps l’anticipation de l’être humain comme animal social socialisé dans le Communisme).

    Le Livre des morts des Anciens Égyptiens et le Livre des morts tibétain, c’est-à-dire leLivre pour sortir au jour de l’Égypte antique et La libération par l’écoute dans les états intermédiaires du Tibet, présentent donc le cheminement ramenant au dieu-univers.

    Malheureusement et en même temps inévitablement, on ne doit pas s’imaginer que de tels documents forment des résumés clairs, lisibles et synthétiques de l’entre-deux faisant passer de la vie à la vie éternelle, avec la mort comme sas.

    C’est que, en réalité, ces œuvres reflètent le grand traumatisme vécu par l’humanité avec son esprit naissant, interprété comme une existence fragile et frappé par les forces extérieures, bénéfiques ou maléfiques.

    On est appelé par ces forces. Ces œuvres sont des fétiches : elles naissent malgré l’humanité, voire contre elle. Elles visent à comprendre comment ces forces aspirent chaque être humain, pour l’amener dans le paradis ou l’enfer.

    Elles visent à combler l’entre-deux, à essayer de l’appréhender : puisqu’on cesse de vivre, c’est bien qu’on va vers le bien ou le mal, le paradis ou l’enfer. Comment est-ce que cela se passe ?

    Ce sont ainsi des œuvres hallucinées, chaotiques, remplies de dieux et de démons, de conseils mystiques et d’incantations magiques.

    On peut néanmoins formuler une sorte de découpage général des deux livres. On est dans les grandes lignes générales, car les œuvres fourmillent de remarques, d’allers-retours, de considérations diverses, etc.


    Livre pour sortir au jour égyptienLa libération par l’écoute dans les états intermédiaires tibétain
    La première étapeLa personne est déjà morte. Son corps est momifié.On est au moment de la mort.
    La deuxième étapeReformulation mystique de la personne morte afin qu’elle puisse être présente lors de son jugement.Adresse au mort afin qu’il saisisse sa situation et qu’il fasse les choix à faire en toute intelligence
    La troisième étapeC’est la sortie au jour.La lumière intervient.
    La quatrième étapeL’âme rejoint le dieu-soleil Râ, ou bien est anéantie.Dans le cas où la lumière n’est pas suivie, l’obscurité émerge.

    Là est la caractéristique éminente des deux ouvrages : ces deux livres des morts ne parlent pas de la mort, mais de l’entre-deux entre la vie et la mort.

    C’est une tentative incroyable, anti-dialectique, de combiner deux en un, de séparer et la vie et à la mort en les combinant.

    C’est un fétiche d’une vie vécue comme consistant en des interventions divines ou maléfiques – et ce sont seulement ces forces qui comptent : c’est la vie après la mort qui compte réellement, et elle seulement.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • Les Livres des morts égyptien et tibétain

    On trouve en Égypte antique de nombreux ouvrages traitant de « la vie après la mort » : on est dans l’élaboration permanente, rendue inévitable de par la transformation de l’humanité.

    Plus l’humanité quitte son passé d’animal, plus elle s’éloigne du « calme » animal (calme marqué d’une inquiétude constante), plus les excitations nerveuses deviennent nombreuses et se systématisent (en permettant en même temps, dialectiquement, de poser son esprit).

    La religion s’adapte ainsi en fonction et les textes apparaissent, nuançant, modulant, modifiant, bouleversant les conceptions de « l’intervalle » entre la vie et la mort, plus exactement entre la vie-mort et le passage au paradis (ou à l’enfer).

    On trouve ainsi un Livre des portes ; ce n’est pas son vrai titre, qui reste inconnu, celui-ci a été choisi par le Français Gaston Maspero (1846-1916) qui a été extrêmement actif en Égypte sur le plan de l’archéologie.

    Il y a également des textes des pyramides et des textes des sarcophages, qui eux aussi abordent la question du passage dans la mort.

    Portrait de Ramsès IX dans sa tombe. Son règne dura de 1129 à 1111 avant notre ère

    Les textes inscrits dans les pyramides sont les plus anciens ; ils datent de vers 2300 avant notre ère. Comme naturellement c’est le fruit de tout un processus d’élaboration, cette conception de la mort est en pratique plus ancienne encore.

    Les écrits se trouvent sur les murs des corridors, des antichambres et des chambres funéraires, alors que les plafonds sont recouverts d’étoiles. Le rapport à ces dernières est évident ; on est dans l’humanité primitive qui accorde une place primordiale au déplacement des planètes et des étoiles.

    Comme pour les pyramides méso-américaines et évidemment toutes les premières structures humaines, les pyramides égyptiennes sont des sortes d’observatoires où les cieux sont observés avec ferveur et inquiétude.

    Les dieux sont dans les cieux ou du moins liés à eux, voire les cieux eux-mêmes. Le roi décédé doit les rejoindre, d’où des prières, des conseils, des formules magiques.

    Les textes des pyramides sont donc fait pour être lus à voix haute ; on retrouve le principe dans l’ouvrage le plus fameux, destiné lui à toute la population : le Livre des morts, dont le titre réel est Livre pour sortir au jour.

    Statute de Thoutmôsis III, qui régna au 15e siècle avant notre ère et dont le linceul contenait plusieurs incantations du « Livre des morts »

    La lecture à voix haute est également l’aspect central dans le Livre des morts tibétain. Son titre réel souligne cette question de la lecture et de l’audition qui va avec, puisqu’il s’agit de La libération par l’écoute dans les états intermédiaires.

    On le retrouve enseigné dans les quatre principales écoles du bouddhisme tibétain : les Nyingmapa (les Anciens), les Kagjupa (Transmission orale), les Sakyapa (Terre claire), les Gelugpa (les Vertueux).

    Dans les deux œuvres égyptienne et tibétaine, l’être humain mort ne l’est pas vraiment. Il a un périple à passer avant d’atteindre la mort réelle. Mais cette mort n’est pas la fin, elle est le commencement, car il y a un dieu-univers, qui apporte le souffle vital aux choses.

    Les choses passent, mais pas le dieu-univers et c’est lui qu’on rejoint finalement, du moins doit-on tout faire pour cela, puisque c’est cela qui compte vraiment. On doit rejoindre le « pays merveilleux » dans l’au-delà, du moins essayer car le chemin est semé d’embûches.

    Quand on meurt, on ne meurt donc pas, on tombe dans un « entre-deux » entre la vie et la mort. On n’est plus vivant, mais on n’a pas encore atteint le domaine de la mort réelle, qui est celui du paradis ou de l’enfer, si l’on veut.

    De manière significative, dans la « pyramide qui est la beauté des lieux », celle du pharaon Ounas (au 24e siècle avant notre ère), la première phrase qu’on peut lire est la suivante :

    « Ô Ounas, tu n’es pas parti mort, tu es parti vivant… »

    On lit pareillement dans le Livre des morts tibétain :

    «  Lorsque le Principe-Conscient sort du corps, il se demande : « Suis-Je mort ou non ? ».

    Il ne peut le déterminer ; il voit ses proches, son entourage comme ils les voyaient avant. Il entend leurs plaintes.

    Les illusions karmiques de terreur ne se lèvent pas encore, non plus que les apparitions ou expériences produites par les Maîtres de la Mort.

    Durant cet intervalle, le Lāma [= le prêtre] ou lecteur doit suivre les directions du Thödol [= le Livre des morts]. »

    Permettre à cette sorte de voyageur post-vie de dépasser cet entre-deux, qui forme une sorte de labyrinthe avec des épreuves, est le rôle des textes lus. On s’adresse au défunt, depuis la vie, par-de-là la mort, car le mort est encore relié à la vie.

    La vraie vie est même après la mort, après la mort qui elle-même suit la vie. Il y a au-delà de la vie et de la mort, au-delà de l’affrontement entre les forces bénéfiques et maléfiques, au-delà du bien et du mal.

    Il y a le monde éternel, celui du dieu-univers, impersonnel et infini, qui consiste en un pur souffle vital.

    C’est lui que l’humanité, qui a découvert avec souffrance son esprit naissant et traumatisant, veut rejoindre. Elle veut cesser d’avoir une activité incessante et intense en elle, à travers son esprit.

    Elle veut la « paix ». La quête de l’au-delà pacifié est à la fois la nostalgie de la sortie du jardin d’Éden (lorsque l’être humain était encore substantiellement animal) et une anticipation historique de la marche vers l’Éden (c’est-à-dire le Communisme, comme retour de l’humanité socialisée dans la Nature).

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • L’humanité face à la mort

    L’humanité est à la fois très perturbée et fascinée par la mort. Celle-ci fait irruption de manière plus ou moins inattendue, et en même temps elle semble un processus clairement irréversible. Pour l’humanité primitive, la vie est attirée par la mort.

    Il n’y a, pour l’humanité primitive, pas d’opposition frontale entre la vie et la mort, mais un passage naturel. La vie n’est que temporaire par rapport à l’éternité de la mort.

    En même temps, lorsque se met en place au sein de l’être humain un cerveau développé, un esprit très étendu, il y a le fétiche de celui-ci. La vie doit donc continuer après la mort, malgré la mort, dans la mort.

    C’est un paradoxe humain : contrairement à l’animal, l’être humain sorti de l’animalité sait ce qu’est la mort. Mais le savoir implique de le nier. C’est une situation intenable, et c’est tout l’intérêt de se tourner vers les livres des morts égyptien et tibétain.

    Ceux-ci se fondent en effet sur « l’entre-deux » : ce moment entre la vie et la mort, ce sas où l’âme fait face à un « choix », une « alternative ». Pour dire les choses simplement, on parle ici d’un sas entre la vie et la « vraie » mort.

    Cela fait que le défunt n’est plus vivant, mais pas encore réellement mort, et que la mort elle-même est autre chose que la mort : elle est la vie dans l’au-delà.

    On a vite fait de se perdre dans cet emboîtement de situations de vie et de mort, et l’humanité s’y est perdue effectivement, inventant de nombreuses religions, avec d’innombrables nuances puisque toutes les religions ont connu des courants les plus divers.

    Heureusement, on peut y voir clair en saisissant comment l’humanité était trop primitive pour synthétiser, non pas tant la mort elle-même, que le processus y conduisant.

    L’humanité, lorsqu’elle sort de la vie purement animale, est bouleversée par la découverte des émotions positives et négatives qui la submergent. Ne saisissant pas d’où pouvaient provenir de telles choses, elle a attribué ce qui est bien à des forces divines bienveillantes et ce qui est à mal à des forces obscures et maléfiques.

    Pièce de la tombe du grand prêtre égyptien Sarenpout II, qui a vécu vers 1870 avant notre ère

    L’être humain, sorti de l’animalité mais sans avoir encore bien synthétisé son esprit, a eu l’intention d’être attiré par des forces extérieures. La mort était conçue comme l’attirance suprême.

    Voilà pourquoi la mort n’a jamais été considérée comme une fin, mais comme le moment de l’affrontement suprême entre les forces divines bienveillantes et les forces obscures et maléfiques.

    Cependant, l’esprit a continué son approfondissement, la synthèse a continué avec le développement du cerveau. Ce processus aboutit à ce qu’on appelle la religion.

    Voici le processus. Initialement, l’animal humain développe une gamme d’émotions, de réflexions, de sensations… sans voir aucune idée de ce qui les active. Auparavant, il était dans l’immédiateté ; il cherchait à éviter ce qui était souffrances et peines, et se dirigeait vers ce qui était joie et bonheur.

    Lorsqu’une chose se produisait, bonne ou mauvaise, il n’y avait pas de recul approfondi. La chose était vécue dans son entièreté, comme un épisode bon ou mauvais, agréable ou désagréable.

    Voilà que maintenant, avec un esprit développé, ces choses ont un impact sur sa psyché, et il ne sait pas ce qu’est sa psyché. L’être humain découvre des choses en lui – il ne sait pas encore que ces choses sont lui-même et ne forment rien de séparé.

    Le Bouddha Amitabha au pays pur de la félicité,
    Tibet, 18e siècle

    C’est là un profond traumatisme, qui explique pourquoi pendant des milliers d’années l’humanité a maintenu, comme fétiche de cette période, la séparation radicale entre le corps et l’esprit, avec la conception d’une âme venant « d’ailleurs ».

    La religion naît dans ce contexte, avec l’expansion du cerveau qui permet un recul toujours plus grand sur ce qui se passe. Naturellement, ce sont des êtres humains profondément psychologues, portant une attention intense à ce qui se déroule en eux, qui ont établi les religions.

    Les religions sont, en fait, des conceptions servant à calmer les esprits, à les maîtriser, à les discipliner, afin de ne pas être débordé par ce qui s’y passe. La religion a été un support essentiel de l’humanité sortant de l’animalité.

    C’est qu’il y avait de quoi devenir fou avec des impressions débarquant d’on ne sait où à l’intérieur des êtres humains, avec une visualisation du soleil, de la lune, des étoiles, des saisons, sans avoir aucune idée de ce qui se passe, de si cela va continuer.

    L’être humain primitif émerge comme animal capable de réfléchir, mais la naissance de la réflexion l’a profondément abîmé, ce fut une naissance atrocement douloureuse et incomprise.

    La vie, c’est la période de cette naissance, de cette souffrance. Elle se termine à la mort, qui est l’accès à l’entre-deux, au moment-clef où on dépasse cette souffrance pour rejoindre, enfin, l’au-delà où cette souffrance n’existe plus.

    =>Retour au dossier sur Les livres des morts
    égyptien et tibétain et « l’entre-deux »

  • La matière est infiniment divisible

    Revue Dialectique de la Nature (numéro 2)

    République populaire de Chine, novembre 1973

    Cet article parle principalement du fait que la structure matérielle est infinie dans son aspect microscopique.

    Si l’on considère tous les niveaux structurels de la matière, il existe une différence qualitative entre chaque niveau.

    En allant plus profondément à travers ces niveaux, on s’aperçoit qu’il s’agit encore d’un processus infini, continuellement divisible.

    À en juger par les types structurels concrets de la matière, il y a la forme discrète [= non continu] de la matière et aussi la forme objet du champ, et chaque niveau est l’unité de ces deux formes.

    À en juger par les caractéristiques structurelles exprimées par la matière en mouvement, les ondes (généralement appelées « particules élémentaires ») sont exprimées à la fois comme particules discrètes et comme ondes continues.

    Par conséquent, la matière est toujours un divisé en deux, c’est toujours l’unité du solide et du continu.

    Il n’y a pas de fin à la compréhension humaine de la structure de la matière, pas plus qu’il n’y a de fin au développement de la science.

    D’un côté, la compréhension humaine de la nature progresse sans cesse de l’immédiat vers le lointain, s’étendant vers des catégories plus vastes et pénétrant dans l’immensité de la nature.

    De l’autre, elle progresse sans cesse de la superficialité vers la profondeur, atteignant de plus en plus les niveaux toujours plus profonds des structures matérielles et pénétrant dans la profondeur de la nature.

    L’histoire du développement des sciences naturelles est le récit de la marche triomphale de l’Homme vers la profondeur et l’immensité de la nature.

    Les êtres humains ne voyaient au départ que des choses différentes.

    Plus tard, l’Homme a réduit différentes choses en plusieurs millions de sortes de composés, et ces composés se sont à leur tour révélés être constitués d’atomes de dizaines, de centaines d’éléments chimiques.

    Après avoir approfondi la structure des atomes, l’Homme a également compris que tous ces divers atomes sont composés de protons, de neutrons et d’électrons, les particules dites « élémentaires » les plus importantes.

    Avec le développement plus avancé de la science, non seulement le nombre de particules « élémentaires » augmente continuellement jusqu’à plusieurs dizaines, mais il est également de plus en plus démontré qu’une particule « élémentaire » n’est pas élémentaire et peut être divisée en plusieurs autres.

    Ce nom lui-même est très peu scientifique. Jusqu’à présent, nous connaissons ces particules non seulement comme particules, mais aussi comme ondes.

    Certains les appellent simplement « ondes-particules », ce qui reflète en fait la caractéristique clef de ces micro-objets.

    Il existe différents types de choses dans le monde : corps célestes et poussière, montagnes et océans, créatures organiques et « choses mortes ».

    Derrière ces variétés de choses, y a-t-il une chose commune ?

    Cette question pousse l’homme à avancer pas à pas dans l’essence des choses à travers des variétés très diverses de phénomènes superficiels.

    Comme l’a dit Engels : « Voilà donc déjà tout le matérialisme spontané originel qui, dès son début, considère tout naturellement l’unité de l’infinie diversité des phénomènes naturels comme une hypothèse de la nature » (Engels, Dialectique de la Nature).

    La diversité du monde matériel ne peut avoir d’unité que dans la matière.

    Les choses ont une myriade de différences, mais elles sont toutes de la matière.

    Cependant, dans les temps anciens, à cause du bas niveau des pratiques de production, les hommes étaient encore incapables d’abstraire le concept de « matière » à partie de ses formes matérielles concrètes diverses.

    Inévitablement, ils cherchaient [cette unité] dans quelque chose de définitivement corporel, une chose particulière » (Engels, Dialectique de la Nature).

    Ils cherchaient toujours à trouver une chose « dont tous les êtres se composent, d’où ils émergent d’abord et dans laquelle ils se résolvent finalement ».

    Quel est cet « élément et principe de tout être » ?

    Au début, certains ont supposé qu’il s’agissait d’une sorte de matière absolument continue.

    Dans la Grèce antique, Thalès déclarait que l’eau est la base de toutes les choses.

    Anaximène considère l’air comme l’élément principal et fondamental.

    À l’époque des Royaumes combattants dans notre pays [6e siècle avant notre ère, jusqu’au 2e siècle], l’auteur du Guanzi [formant une encyclopédie de l’Académie Jixia] pensait également que l’eau était le « sang et l’air de la terre.

    Yan Quan de l’époque des Trois Royaumes [au 2e siècle]pensait que « l’eau est ce qui construit le ciel et la terre ».

    Et encore davantage de matérialistes de nos anciens temps pensaient plutôt que cette matière était l’air.

    Ils héritèrent de l’hypothèse de Sung Xing et Yi Wen de la période des Printemps et Automnes [7e – 5e siècles avant notre ère] que l’air était « l’essence de la matière » ; ils pensaient que le ciel et la terre étaient « la nature constituée par l’air », que l’air était la « substance essentielle » de l’univers, et que toutes choses étaient les « formes objectives » (accumulées, dissipées et modifiées) produites par une seule substance essentielle – l’air.

    Ils cherchaient à trouver l’unité parmi la multiplicité du monde matériel, c’est-à-dire l’expression de l’unité de la matière. C’était le matérialisme.

    Contrairement aux objets, ces éléments tels que l’eau, le feu et l’air étaient tous continus.

    « Une eau s’écoulant sans interruption ». On pouvait la mesurer en volume (comme dans un conteneur), ou la diviser en gouttes et en gouttes d’une manière apparemment indéfiniment divisible.

    Comme l’a dit Han Fei [3e siècle avant notre ère], « Toute chose avec une forme peut facilement être taillée et divisée ».

    Pourquoi ? « Si elle a une forme, alors elle a une longueur. Si elle a une longueur, alors elle a une taille ».

    Par exemple, un bâton d’un pied de long. Si nous en coupons la moitié aujourd’hui et en retirons une autre moitié de la moitié restante, nous pouvons continuer ainsi pendant 10 000 ans, sans épuiser la longueur totale d’un pied.

    La matière est en effet infiniment divisible.

    Les hommes anciens utilisaient des formes concrètes de la matière pour exprimer leur pensée sur la divisibilité infinie de la matière, exprimant ainsi objectivement la dialectique.

    Mais ramener tout à une certaine forme commune de la matière, c’est simplifier à l’extrême la question.

    Que ce soit de l’eau ou de l’air, si on le divise de cette façon, l’eau reste toujours de l’eau et l’air reste de l’air. Il n’existe que la partie en quantité et aucun changement en qualité.

    Engels l’appelait « divisibilité abstraite, mauvais infini » (Dialectique de la nature).

    Cette sorte de « divisibilité infinie » est tout à fait formelle, trompeuse, et en réalité n’est pas du tout divisibilité.

    Si tout était constitué de ce plasma universel, comment pourrait-il y avoir de la diversité dans l’univers ? Une telle « unité » devient unilatérale ; elle ne reconnaît que l’unité et l’abolit, et se transforme ainsi en son opposé.

    En suivant le chemin de cette divisibilité abstraite, on aboutit au relativisme et au sophisme : le macrocosme (le grand monde) est comme cela ; le microcosme (le petit monde) est aussi comme cela.

    Le petit monde n’est que l’image réduite du grand monde.

    Dans la Grèce antique, certains pensaient que chaque planète était aussi comme notre monde entier : là-bas existe des villes habitées, des champs labourés, et là-bas il y a le soleil, la lune et les astres.

    Vous dites que votre monde est grand, mais les habitants d’un petit monde ne sentiront pas non plus que leur propre monde est petit.

    Il n’y a donc aucune différence entre le grand et le petit.

    « La terre entière n’est pas plus grosse que la pointe d’un cheveu, et le mont Tai est petit » (Zhuangzi [4e – 3e siècle avant notre ère]).

    Une pointe d’aiguille est aussi grande que le monde entier. « Dans un pore de la peau de Bouddha, existent tous les Bouddhas, tous les lieux, toutes les montagnes et tous les bienfaits » (Enseignement bouddhiste).

    Un pore est aussi grand que le monde entier. Le grand est petit également, le petit est grand également, et il n’existe pas de norme objective des choses.

    Elles deviennent des choses incompréhensibles.

    De plus, l’argument selon lequel le monde entier n’est rien d’autre qu’une sorte de « matière élémentaire » ouvre aussi la porte de derrière à l’idéalisme.

    Puisque cette « matière élémentaire » est si universelle, elle n’est plus une matière ordinaire.

    Elle doit devenir une chose spéciale, au-dessus de la matière, quelque chose au-dessus de la nature.

    Aristote l’appelait « éther », ou une chose surnaturelle, une chose au-dessus de la nature, spécialement créée par Dieu.

    Les confucéens, dans notre pays, ont parfois aussi pris « l’air » dont parlaient les matérialistes, et l’ont transformé en quelque chose de mystérieux, au-delà de la matière : le « Grand Air », une substance spirituelle universelle.

    Ils prêchaient soit que le monde était uni dans le Dieu inséparable, soit dans la « Volonté Céleste ».

    Certains matérialistes se sont opposé à cette thèse de la continuité absolue.

    Vous dites qu’une petite feuille peut être divisée à l’infini, mais après avoir été divisée en sciure, elle ne peut évidemment plus l’être davantage !

    Prenez l’air comme exemple. Nous pouvons voir à la lumière du soleil qu’il y a des microparticules de poussière dans l’air. Dans un jardin, nous pouvons sentir les grosses poussières qui sortent des fleurs. Tout cela indique qu’il existe des choses indivisibles.

    A la lumière des expériences, ils ont tiré la conclusion opposée. Tout ce qui existe dans le monde est constitué de microparticules qui ne peuvent plus être divisées après avoir été divisées dans une certaine mesure.

    Ces microparticules étaient appelées « atomes » par Leucippe et Démocrite dans la Grèce antique.

    L’école de Mo de notre pays, à la fin de la période des Printemps et Automnes, appelait cela « la fin qui ne peut pas être coupé », « la fin de la divisibilité, ce qui signifie qu’on a atteint le fond et qu’il ne peut plus être divisé.

    Ils ont vu l’aspect de l’indivisibilité relative de la matière.

    Ce point de vue était, à l’époque, critique, visant la sophistique de la divisibilité abstraite. Il existe une norme objective de la taille de la matière. Il existe des différences de qualité ; une pointe d’aiguille est différente du monde.

    Cela renouvelle l’aspect indivisible de la matière.

    Lorsque nous divisons l’eau en molécules d’eau, en ce qui concerne l’eau, elle ne peut plus être divisée.

    Si nous divisons encore une molécule d’eau, elle devient deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène et ce n’est n’est plus de l’eau.

    Engels a dit qu’en physique… nous acceptons « certaines… plus petites particules » ; « en chimie, il y a une limite définie à la divisibilité » (Dialectique de la nature).

    En raison de cette indivisibilité relative, il peut y avoir des molécules et des atomes, un point de départ du développement de la physique et de la chimie. Mais l’indivisibilité des atomes ne peut être que relative, non absolue.

    Si l’on rend cette indivisibilité absolue, si on considère la matière comme absolument discrète [= non continue] et si on nie la continuité de l’atome, on entre alors dans la métaphysique et l’idéalisme.

    Newton était comme cela. Il pensait que la matière plus petite devenait d’autant plus ferme qu’elle était divisée.

    Lorsque sa taille est réduite à un certain micro-état ultérieur, elle devient alors si solidement ferme qu’aucune autre force que Dieu ne peut la diviser.

    Telle est la logique de l’idéalisme objectif. L’idéalisme subjectif déforme l’invisibilité d’un autre point de vue.

    Berkeley et Hume ont tous deux estimé que puisque la matière n’est rien d’autre qu’une complexe de sensations. par conséquent, quel que soit le plus petit point que l’homme voit, celui-ci est indivisible.

    « Une chose ne peut exister que par l’esprit qui la perçoit. » (Nouvel essai sur la vision, Berkeley).

    Mach niait simplement l’existence des atomes. La raison était qu’il ne pouvait pas percevoir les atomes.

    Ces points de vue philosophiques tiennent à ce qu’ils ne peuvent pas voir comment la matière est davantage divisée, par conséquent la matière est indivisible.

    Sur la base de la théorie des atomes, Newton a peint une « nouvelle classe du monde atomique » : tous les corps célestes sont constitué d’éléments discrets [= non continus], remplissant par points le vide et l’univers, se déplaçant sans cesse dans l’espace absolu conformément aux lois du mouvement mécanique.

    Tout changement et tout développement des choses dans le monde n’est rien de plus que l’agrégation et la dissociation d’atomes.

    Peu importe à quel point les choses changent, l’origine de leur changement reste le même. Les atomes eux-mêmes ne changent jamais dans la mesure où ils ont été créés par Dieu.

    Ainsi, tant qu’on comprend le mouvement des atomes, on « connaît le passé et le futur », on sait tout. De cette manière, les mécaniques newtoniennes sont devenus la « vérité finale ».

    Il semblait ainsi que la continuité absolue était intenable, et que la discrétion [= non continuité] était également intenable.

    C’était une contradiction. Kant a perçu cette contradiction de manière profonde, et proposé une « antinomie » : il est correct de dire que tout le monde est composé de choses absolument simples, indivisibles, parce que seulement une chose absolument simple peut être une chose élémentaire.

    Sinon, il ne pourrait pas y avoir de choses complexes composées de tels choses élémentaires, et il ne pourrait rien y avoir dans le monde.

    Par la même perspective, il est également correct de dire qu’il n’este pas de choses absolument simples ; tout se retrouve être une chose complexe infiniment divisible, parce que la matière, aussi simple qu’elle soit, doit occuper un certain volume dans l’espace et ainsi peut être continuellement divisié.

    « L’antinomie » de Kant a exposé la contradiction et a formulé la question. C’était une condition nécessaire pour avancer jusqu’à la dialectique et pousser en avant la compréhension humaine.

    Mais Kant n’a pas résolu la contradiction. Est-ce que les choses objectives sont divisibles ou indivisibles, continues ou discrètes [= non continues] ?

    Sa réponse était : on ne sait pas. Il pensait que les choses objectives ne sont pas connaissables de toutes façons.

    Si vous insistez à savoir, alors la contradiction est produite. Par conséquent, la contradiction vient seulement d’une « illusion a priori » de la capacité cognitive subjective de l’Homme.

    Ainsi, Kant commença à exposer la contradiction, mais a terminé en la masquant et en réconciliant la contradiction, et est tombé dans l’apriorisme idéaliste.

    Sur cette question, c’était encore Hegel qui a dit correctement les choses : la discontinuité et la continuité » en eux-mêmes ne contiennent pas la vérité, c’est seulement dans leur unité qu’il y a la vérité. »

    Engels a précisé ce point de vue en disant que « la matière est à la fois divisible et continu, et en même temps aucune des deux, ce qui n’est pas une réponse, mais est maintenant presque prouvé » (Dialectique de la nature).

    Ensuite, chaque pas du développement de la science naturelle a prouvé de manière continue l’assertion scientifique d’Engels, et a continuellement révélé le contenu riche des formes variées de matière comme étant à la fois continues et discrètes [= non continues].

    Pour comprendre la structure de la matière, l’homme a d’abord classé la matière entre deux formes concrètes opposées.

    Au commencement, l’Homme a abstrait le concept d’ « objet » à partir de toutes les formes de matière. La caractéristique des objets est d’être « solides ».

    Newton a avancé que tous les objets sont constitués d’atomes, les plus petites particules-objets.

    Un atome est une particule point matérielle absolument discrète [= non continu]. Il est « solide, en bloc, dur, impénétrable ».

    Cela signifie que l’atome est une chose solide idéalisée, c’est un objet hautement concentré.

    Sa caractéristique fondamentale est l’indivisibilité ; il n’y a pas d’ « espace ouvert » à l’intérieur. « On ne peut pas y verser de l’eau, ni insérer une aiguille » dans son intérieur.

    Cependant, il ne peut y avoir de « solidité » sans « vide », de « ce qui est » sans « ce qui n’est pas ».

    Les objets ne sont pas creux ; tout le vide a été poussé à l’extérieur d’eux.

    Dans la vie ordinaire, nous voyons une chose après l’autre, des étoiles, des montagnes, des maisons, du sable…, tout cela, ce sont des objets.

    Mais ils ne peuvent pas remplir tout l’espace. Ce qui remplit les espaces entre les étoiles éparses est le vide, entre les buissons il y a du terrain vague, même dans un tas de sable il existe des ouvertures.

    S’il y a des objets, il doit aussi y avoir du vide. C’est pourquoi, en proposant la théorie des atomes, Démocrite a dit que dans le monde « seuls les atomes et le vide sont réels ».

    Le vide est un complément nécessaire aux objets. Cela illustre que le monde matériel est toujours l’unité du discret et du continu.

    Si la matière est considérée comme des objets absolument distincts, il est alors nécessaire de réaliser la continuité de la matière à travers le vide d’une manière inversée.

    L’opposition du solide et du vide est l’opposition du réel et du vide, de « ce qui est » et de « ce qui n’est pas ».

    C’est le « un qui se divise en deux » initial dans le processus de reconnaissance du monde matériel par l’Homme.

    Mais comment le solide et le vide, ou « ce qui est » et « ce qui n’est pas » s’unissent-ils ? Lequel est fondamental ?

    Lao Tseu [6e – 5e siècles avant notre ère] a répondu que « tout dans le monde dérive de ‘ce qui est’, et ‘ce qui est’ dérive de ‘ce qui n’est pas’ » (Lao Tseu, chapitre 40).

    C’est-à-dire que le vide est fondamental, l’objet est dérivé. C’est le monisme idéaliste.

    Fei Wei de la dynastie des Tin [265-420 de notre ère] a écrit « De la promotion de ‘ce qui est’ » pour s’opposer à lui, en disant que tout dans le monde doit dériver de ‘ce qui est’, et ne peut pas dériver de ‘Ce qui n’est pas’. C’est le monisme matérialiste.

    Au fond, Newton était un partisan du « ce qui est ».

    Il considérait l’atome comme le représentant global des objets et l’utilisait pour peindre une image globale de la nature, où la matière est purement discrète [= non continue] et la continuité est entièrement abandonnée au vide absolu.

    L’unité de la discrétion [= non continuité] et de la continuité dans la structure interne de la matière est décrite par lui comme l’opposition de la matière et du néant.

    D’un côté, il y a l’objet absolument dense, de l’autre, le vide du néant absolu.

    Le monde est divisé en deux moitiés mutuellement exclusives et sans rapport.

    Newton ne pouvait pas réunir ces aspects contradictoires. Finalement, il a dû considérer le vide comme supérieur à la matière, et il est passé de la « défense de ce qui est » à la « vénération de ce qui n’est pas ».

    En fait, comment l’espace absolu de Newton peut-il être « absolu » ? Tout d’abord, il y a l’attraction gravitationnelle mutuelle entre les corps célestes.

    Ensuite, les corps célestes rayonnent de la lumière dans le vaste vide.

    Ces deux phénomènes doivent aussi manifester certains types de continuité de la matière.

    Face à ce fait, Newton, pour sauvegarder son espace absolu, ne pouvait que l’expliquer de manière très artificielle comme suit : l’attraction entre les corps célestes est une sorte d’« action à distance » exerçant sa force sur l’espace encore vide ; le rayon de lumière est une sorte de courant de particules éjectées des corps célestes et jetées dans le vide sans frontières.

    Le succès de la mécanique newtonienne dans l’explication du mouvement mécanique a temporairement masqué les incohérences de son argumentation sur ces deux questions.

    Mais où se trouve ce prétendu vide absolu dans le monde ? L’air ne remplit-il pas tout l’espace proche de la terre ?

    L’Homme a donc imaginé que dans le vaste espace de l’univers, il existait probablement partout une sorte de matière continue – l’éther ou l’air.

    On disait que l’univers était un océan continu d’éther, une « Nature constituée d’air ». Comme l’a dit Zhang Zai [1020-1077] : « L’Univers vide ne peut être sans air ».

    Plus tard, Descartes de France et Huygens des Pays-Bas ont proposé que tout l’espace de l’univers est rempli de particules d’éther qui se joignent les unes aux autres et forment un milieu continu ; les particules se serrent les unes les autres, formant des tourbillons.

    Et ces tourbillons balayent la lune pour faire le tour de la terre et la terre pour faire le tour du soleil.

    Quant à la lumière, ce sont des ondes d’éther provoquées par la vibration des objets, tout comme une brise de vent « souffle des vagues dans un étang d’eau ».

    Jusqu’au 19e siècle, de plus en plus de faits expérimentaux ont démontré le caractère ondulatoire de la lumière ; que la lumière est comme une vague d’eau et peut contourner les obstacles.

    La théorie du mouvement ondulatoire de la lumière a remporté une victoire décisive.

    Le vide fut remplacé par l’éther. L’opposition entre l’objet et le vide céda la place à l’opposition entre l’objet et l’éther. Ainsi, le monde matériel est divisé, mais des liens ininterrompus sont toujours présents.

    La contradiction entre la discrétion et la continuité dans la structure de la matière s’exprimait comme l’opposition de deux types différents de formes matérielles, et cela, comparé au mystérieux vide absolu, était bien sûr une grande avancée.

    Au 19e siècle, les recherches effectuées sur les phénomènes électromagnétiques ont fait progresser encore la compréhension humaine des formes continues de la matière.

    Par exemple, lorsque le courant électrique traverse un fil qui entoure une aiguille magnétique, l’aiguille tourne dans la direction perpendiculaire au plan du fil.

    Quelle est cette force qui dévie l’aiguille magnétique ?

    Les forces newtoniennes ne peuvent agir que dans la direction de la ligne droite qui relie les deux objets. Il s’agit évidemment d’un autre type de « force » aux caractéristiques complètement différentes, c’est-à-dire la force électromagnétique qui est complètement différente de la force mécanique.

    Elle est active au voisinage des pôles magnétiques et de la charge électrique.

    Afin de décrire l’effet de la force électromagnétique, Faraday a introduit de nombreuses « lignes de force magnétiques » et « lignes de force électriques », imitant la méthode de la mécanique des fluides qui utilise des « lignes de courant » pour décrire le mouvement des fluides.

    Les aiguilles magnétiques ou les charges électriques sont soumises à une force suivant la direction des lignes de force magnétiques et des lignes de force électriques.

    Plus les « lignes » sont denses, plus la « force » est forte. Par conséquent, en fonction de la configuration des lignes de force magnétiques et électriques, le mouvement électromagnétique des objets peut être représenté graphiquement.

    De cette manière, en accumulant des lignes dans des plans et en accumulant des plans dans un volume, un « champ » est construit.

    Les champs électriques et les champs magnétiques se transforment mutuellement, d’où la formation d’un champ électromagnétique.

    Il était très artificiel d’utiliser la vibration de l’éther pour expliquer le mouvement des ondes lumineuses dans le passé. Il est ici désormais beaucoup plus simple de traiter les champs électromagnétiques comme une sorte de milieu qui remplit l’espace de manière à transmettre l’effet électromagnétique.

    Ainsi, le champ était développé à partir de l’éther et a remplacé l’éther pour devenir le représentant global de la forme continue de la matière.

    La découverte du champ en tant que forme de la matière a été une très grande réussite scientifique. Elle rejette le vide mystérieux, l’action mystérieuse à distance, l’éther mystérieux, et trouve un lien pratique et raisonnable entre les objets discrets [non continus], donnant à la continuité de la structure matérielle une base matérielle.

    Un monde matériel se divise en deux.

    Ce n’est plus l’opposition en apparence entre la matière et le vide extérieur à la matière, mais plutôt l’opposition entre deux types différents de formes matérielles dans le monde matériel.

    C’est l’opposition entre la forme discrète [non continue] et la forme continue de la matière.

    Mais alors, la même vieille question revient : comment ces deux types de formes matérielles s’unissent-elles ?

    Certains ont imaginé que les objets-particules sont comme des briques et des pierres, les champs comme du ciment, et l’univers a été construit par le collage des deux.

    De cette façon, la discrétion [= non continuité] est réalisée dans les objets et la continuité dans les champs, mais les deux restent essentiellement absolument séparés et disjoints.

    L’unité entre la discrétion [= non continuité] et la continuité de la structure matérielle demeure comme un lien externe entre deux formes matérielles complètement différentes.

    Il s’agit toujours d’un dualisme sur la question de la structure matérielle.

    Einstein n’était pas satisfait de cela. Il a essayé d’utiliser le champ, ce type de forme matérielle, pour unifier le monde.

    Il a construit un « champ unifié » qui incarne tout et peint une « image-monde du champ ».

    Comparé à l’image-monde des atomes de Newton, il reflète l’aspect de continuité de la matière.

    Mais le champ ne peut pas non plus épuiser la compréhension humaine de la structure matérielle.

    Le « champ unifié » d’Einstein ne veut pas seulement dissoudre grossièrement les objets dans le champ, réduire les objets-particules à des « condensations de champ », mais veut aussi grossièrement tout « unifier ».

    De cette façon, le champ devient comme le feu, l’eau ou l’air de l’Homme ancien.

    Il est redevenu l’origine de toute chose, absolument indivisible.

    Une fois que vous avez reconnu ce champ unifié, vous pouvez alors tout connaître de l’univers jusqu’aux particules et épuiser la Vérité finale. En tant que tel, Einstein s’est engagé dans une impasse, tout comme Newton avec sa théorie de l’atome.

    Au cours des dernières années du 19e siècle, la porte de l’atome a été ouverte, l’homme a sondé en profondeur le secret de l’atome.

    Il s’est avéré que l’atome n’est pas un objet absolu ; à l’intérieur, il y a aussi des particules et des champs, un autre monde entier.

    Les électrons ont été les premiers à être découverts par l’Homme. C’était le premier résident du monde atomique que les Hommes ont reconnu.

    Plus tard, on a découvert qu’au centre de l’atome se trouve un noyau dur qui contient plus de 99,95 % de la masse de l’atome, mais n’occupe que quelques quadrillionièmes du volume atomique [La densité de matière dans un noyau atomique est de l’ordre de 230 000 tonnes par millimètre cube].

    C’est le noyau atomique. Le noyau atomique porte une charge positive et l’électron porte une charge négative ; un champ électrique existe entre eux qui les relie ensemble.

    À partir de là, les gens ont proposé un modèle de système planétaire de l’atome. Le noyau atomique est comme le soleil, et les électrons sont comme des planètes qui tournent autour du noyau atomique le long de certaines orbites grâce à l’action du champ électromagnétique, tout comme les planètes qui gravitent autour du soleil.

    « Une poussière, un monde », un minuscule atome est un petit système solaire !

    Plus tard, on a également découvert que le noyau atomique n’est pas non plus quelque chose d’absolument discret et indivisible. À l’intérieur, il y a des neutrons et des protons fermement liés ensemble par la force forte – l’action mutuelle du champ mésonique.

    Comment peut-il y avoir des objets absolus ?

    Dans les objets « solides », il y a encore plus d’objets et de champs.

    Dans la structure matérielle, ces deux éléments sont interconnectés, s’interpénétrent, s’interimprègnent et sont interdépendants.

    Prenons l’atome d’hydrogène comme exemple. Son diamètre est d’environ 10 (puissance 8) cm, mais son diamètre nucléaire n’est que de 10 (puissance 13) cm, soit 100 000 fois plus petit.

    C’est-à-dire qu’en additionnant les objets (le noyau atomique et l’électron) d’un atome, ils ne représentent qu’un millier de milliardième de fois le volume total.

    Le reste de ce vaste volume est entièrement constitué de champs électromagnétiques et de champs gravitationnels.

    Par analogie, si nous agrandissons un atome d’hydrogène à la taille d’un grand théâtre, le noyau atomique serait comme une graine de sésame au milieu du théâtre, et l’électron serait comme un morceau de poussière volant le long du mur.

    Comment un tel atome pourrait-il être « solide » ?

    Le proton et le neutron à l’intérieur du noyau ne représentent également que quelques dixièmes du volume nucléaire total, le reste étant rempli par le champ électromagnétique, le champ gravitationnel et le champ méson.

    Comment peut-il être considéré comme un objet ?

    Et ces nombreuses ondulations à l’intérieur de l’atome se divisent elles aussi en deux familles.

    Il y a les hadrons [lourds] et les leptons [légers], qui sont les briques et les pierres ; Il y a aussi des champs de mésons et des champs de photons, qui sont le ciment.

    L’opposition de la discrétion [= non continuité] et de la continuité pénètre profondément à l’intérieur de l’atome.

    Engels dit que : « La dialectique ne connaît pas de lignes dures et fixes, pas de ‘ou bien, ou bien’ inconditionnel et universellement valable. » (Dialectique de la Nature).

    Les particules et les champs sont à la fois différents et connectés. Il existe une continuité dans la discrétion [= non continuité] – un objet n’est pas « solide ».

    Peu importe la dureté des briques – même d’un bloc de fer, il existe toujours un espace vide à l’intérieur.

    Il y a aussi de la discrétion [= non continuité] dans la continuité ; à l’intérieur du ciment, il y a des particules.

    La particule et le champ ne sont que des généralisations atteintes à un certain niveau du développement de la science, les produits d’un certain stade de la compréhension humaine de la structure matérielle.

    Le développement de la science pénètre dans des niveaux plus profonds de formes matérielles. Il illustre de plus en plus qu’elles ne sont pas « à la fois-et », de lignes dures et fixes !

    Le développement ultérieur de la science démontre que les habitants du monde atomique – les ondes-particules – sont elles-mêmes à la fois discrètes [= non continues] et continues.

    « Ce n’est qu’en mouvement que les objets révèlent ce qu’ils sont » (Lettre d’Engels à Marx, 30 mai 1873).

    Précisément en mouvement, les ondes-particules se manifestent à la fois comme particules et comme ondes.

    Qu’est-ce que la lumière ? Au 19e siècle, l’homme pensait que la lumière n’était qu’une onde électromagnétique.

    Mais certaines expériences menées à la fin du 19e siècle ont montré que l’énergie des ondes électromagnétiques n’était pas rayonnée en continu, mais plutôt par à-coups – une par une.

    Tout comme lorsqu’on achète des choses et qu’on les paie en argent. La plus petite unité de monnaie est un centime qui ne peut plus être divisé.

    Lorsque les choses rayonnent de l’énergie ou absorbent de l’énergie, il existe aussi une plus petite unité qui ne peut plus être divisée. Cette unité est appelée « quantum d’énergie » ou simplement « quantum ».

    La quantité d’énergie est discrète [= non continue], ce qui signifie que le sujet en mouvement est également une particule discrète, appelée photon.

    La lumière n’existe pas seulement comme onde, mais aussi comme particule.

    D’autre part, on a découvert plus tard que les particules ont aussi des caractéristiques ondulatoires ; il y a les ondes électroniques, les ondes neutroniques, les ondes protoniques.

    Les particules ne sont pas seulement comme de la « grêle glacée, des gouttes de pluie », mais aussi comme « un nuage volant, de l’eau qui coule ».

    Un faisceau d’électrons, comme un faisceau lumineux, lorsqu’il traverse un minuscule trou, produit également un motif de diffraction de type ondulatoire.

    Cela démontre également que l’électron n’est pas seulement une particule, mais aussi une onde.

    En résumé, toutes les ondulations, qu’il s’agisse d’électrons ou de photons, ou disons de briques ou de ciment, sont toutes comme « un acteur jouant deux rôles ».

    Elles sont toutes à la fois discrètes [= non continues] et continues, existent à la fois comme particule et comme onde.

    C’est vraiment comme : dans la particule il y a l’onde et dans l’onde il y a la particule [allusion à un poème soulignant l’union des deux amants].

    La science ne peut pas simplement reconnaître que les micro-objets possèdent la dualité d’être une onde et une particule

    La science doit « étudier comment les opposés peuvent être et comment ils se trouvent être (comment ils deviennent) identiques » (Lénine, Cahiers philosophiques), et étudier comment cette dualité « réside » dans la structure concrète des micro-objets.

    C’est difficile. Si les ondes sont les vibrations de champs et les particules la déferlante de « balles » tirées directement d’un objet, alors comment ces deux phénomènes pourraient-ils être unis ?

    Quelqu’un a dit qu’en dernière analyse, il s’agit d’une onde. Plusieurs ondes différentes se chevauchent, les pics d’onde se rencontrent et se renforcent mutuellement.

    Si de nombreux pics d’onde se concentrent en un seul endroit, formant un « paquet d’ondes », ils deviennent une particule. Mais ce paquet d’ondes est très instable, se dissipe assez facilement et ne peut conserver son caractère de particule.

    Certains disent aussi qu’en dernière analyse, il s’agit d’une particule. Dans le processus de mouvement, les particules montent et descendent, l’une en entraîne une autre, formant des vibrations, et les vibrations sont transmises sous forme d’ondes.

    C’est exactement comme se déplacer dans une région vallonnée : une voiture suit un trajet ondulatoire. C’est en fait toujours le vieux point de vue de l’école classique des particules. Il ne peut pas résoudre la vieille question de la diffraction et de l’interférence de la lumière.

    L’école de Copenhague dirigée par Bohr a proposé une nouvelle explication de la dualité des micro-objets, à la fois particule et onde.

    Ils pensaient qu’un micro-objet agissant comme un individu est une particule.

    Mais lorsqu’elle apparaît de façon répétée dans les mêmes conditions, elle apparaît plus fréquemment à certains endroits et moins à d’autres.

    La densité de distribution varie selon les endroits, forme des pics et des creux à différents endroits et ressemble à une vague.

    C’est ce qu’on appelle une « onde de probabilité ».

    Si nous laissons les électrons passer à travers un minuscule trou et les projetons sur un écran, un par un, au début nous ne pouvons voir que des points répartis de manière irrégulière les uns après les autres. Les électrons ont frappé ici et là, ce qui les fait paraître très « libres ».

    Mais lorsque le nombre total d’électrons passant à travers un minuscule trou a augmenté jusqu’à un très grand nombre, des anneaux concentriques apparaissent avec des nuances alternées de clair et de foncé.

    Les zones sombres indiquent les endroits où moins d’électrons ont frappé, et les zones claires les endroits où plus d’électrons ont frappé.

    En ce qui concerne un électron individuel, on ne sait pas avec certitude quel chemin il prendrait et où il frapperait. Nous pouvons seulement dire quelle serait la probabilité qu’il frappe un point donné.

    Dans toute la zone que l’électron aurait pu frapper, une distribution de probabilité continue régulière s’est formée – un « champ de probabilité ».

    Par conséquent, l’unité entre le caractère particulaire et ondulatoire d’un électron réside en fait dans l’unité entre son caractère particulaire et la distribution de probabilité qu’il exprime en mouvement.

    L’onde électronique est différente de l’onde lumineuse (photon). C’est un autre type particulier d’onde, c’est-à-dire l’« onde » formée par la probabilité qu’une particule se trouve à différents endroits.

    Selon cette explication : dans un atome, lorsqu’un électron tourne autour du noyau atomique, il ne peut pas avoir une orbite et une position exactes.

    Il ne peut avoir qu’une distribution de probabilité et forme un « champ de probabilité ».

    L’électron peut être ici et ne pas être ici. Il est seulement, en gros, situé à l’intérieur d’un « nuage d’électrons » et il n’y a aucun moyen de déterminer la position exacte d’un électron.

    Les ondes de probabilité démontrent qu’entre les particules discrètes [= non continues], il existe toujours des connexions : elles expriment la continuité entre les particules par des ondes de probabilité.

    Cela reflète la contradiction des ondes qui sont à la fois discrètes [= non continues] et continues. Il semble discret [non continu] et continu, et non discret [non continu] et non continu.

    Il contient de la discrétion [= non continues] dans la continuité et de la continuité dans la discrétion [= non continues].

    Pourquoi une telle contradiction ? Elle ne peut s’expliquer que par la structure interne des ondes, car il existe encore des niveaux structurels plus profonds sous les ondes, qui peuvent eux-mêmes être divisés davantage.

    Cependant, l’école de Copenhague pensait que ce type de connexion est « librement choisi » par sa propre volonté, aucune causalité n’étant impliquée ici du tout.

    Les électrons ne montrent aucune trace d’aller et venir, mais se rencontrent seulement sur « l’écran de scintillation ».

    Et quant à la raison pour laquelle ils frappent à ce point particulier de l’écran de scintillation, il n’y a aucune trace que nous puissions suivre, aucune indication qui nous permettrait de prédire, aucun phénomène avant et après sur lequel réfléchir.

    L’Homme ne peut utiliser que différents types d’ « instruments » pour faire s’exprimer les ondes dans certaines expériences comme particules et dans d’autres expériences comme ondes ; et ces deux aspects s’excluent mutuellement et se complètent, formant une « image complémentaire du monde ».

    C’est-à-dire que la matière s’exprime ici comme particule, là comme onde ; aujourd’hui c’est particule, demain champ.

    Deux choses se distinguent alternativement, l’une ne peut se passer de l’autre : Newton disait qu’il n’y a que des particules dans le monde ; Einstein disait qu’il n’y a que des champs ; l’école de Copenhague a dit que le monde est constitué à moitié de particules, à moitié de champs, à moitié discret [= non continu] et à moitié continu.

    Et ces deux moitiés sont simplement mises ensemble en « combinant deux en un », ni plus ni moins.

    Pourquoi un tel résultat ? Heisenberg dit : « Comme les Grecs l’espéraient, nous avons maintenant trouvé le seul objet élémentaire qui existe réellement ».

    C’est le quantum d’énergie, c’est-à-dire la « particule élémentaire », qui est « la plus petite unité indivisible de toute la matière » (Questions philosophiques de la physique nucléaire, 1948).

    Ce quantum fixe la limite finale de l’analyse. Dans cette limite, l’Homme peut mesurer avec précision une certaine quantité, peut examiner de mille et une manières les diverses relations en dehors du « quantum ».

    Mais une fois qu’il a dépassé cette limite et qu’il est entré dans le quantum, tout devient flou.

    Si vous voulez localiser avec précision la position d’une particule, alors la vitesse ne sera pas certaine. Si vous voulez vous assurer de sa vitesse, alors la localisation devient floue.

    En somme, précisément parce que le quantique est indivisible, le micro-objet est soit représenté comme une particule, soit comme une onde.

    Et nous ne pouvons les décrire que comme une particule ou comme une onde.

    C’est notre description finale des micro-objets. Notre compréhension du monde matériel ne peut aller que jusque-là et doit s’arrêter là.

    Si vous niez la divisibilité absolue de la matière, vous vous retrouverez inévitablement dans cette impasse de la « vérité finale ».

    Comment peut-il y avoir une chose soi-disant absolument indivisible ?

    Le monde atomique est complexe, inépuisable, et avec le développement de la science, l’Homme pénétrera certainement dans toujours plus d’aspects de ce monde, comprendra toujours plus de manifestations de micro-objets.

    Qu’il s’agisse d’un « quantum », d’un électron ou d’un photon, tout cela est « un point nodal dans une série infinie divisée ; il ne conclut pas cette série, mais caractérise plutôt les différences de qualité » (lettre d’Engels à Marx, 16 juin 1867).

    Ces points nodaux sont l’unité de la divisibilité absolue et de l’indivisibilité relative.

    Si les électrons et les photons ne peuvent plus être divisés, notre compréhension a atteint l’ultime. Alors, que reste-t-il aux scientifiques à faire ?

    Une onde-particule n’est pas une « particule élémentaire », elle peut toujours être divisée. Une onde-particule a une caractéristique très importante, c’est-à-dire que, dans certaines conditions, elle change instantanément, se transforme sans cesse.

    « Dans des conditions données, chacun des aspects contradictoires d’une chose se transforme en son opposé » (Mao Zedong, De la contradiction).

    Les transformations sont toujours dues à des contradictions internes; un se divise en deux intérieurement.

    Sans la contradiction interne entre les protons et les neutrons dans le noyau de radium, il n’irradierait pas une particule alpha et ne se transformerait pas en radon.

    Sans les contradictions internes entre le spermatozoïde et l’ovule dans un œuf de poule, il ne pourrait pas se transformer en poussin.

    Si la société capitaliste était comme un bloc de fer, et qu’il n’y avait aucune contradiction entre les rapports de production capitalistes et les forces productives sociales, aucune contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat, comment pourrait-elle se transformer sans cause ni raison en une société socialiste ?

    Rien ne se produit sans cause, aucune vague sans vent. Sans contradiction, il ne peut y avoir de transformation. C’est une loi universelle.

    Les transformations réciproques des ondes indiquent également que les ondes sont divisibles. Elles contiennent des contradictions internes.

    En Occident, il existe une théorie selon laquelle les ondes sont toutes « égales ». Entre elles, il n’y a que la relation mutuelle selon laquelle je me lie à toi et tu me lie à moi.

    Ainsi, la relation enterre l’objet réel. Finalement, dans cette conception, non seulement il n’y a pas de « structure à niveaux », mais il n’y a pas de « particules » ; il n’y a pas de « champ » ; et donc, bien sûr, pas de « contradictions internes » des ondes-particules.

    Cette théorie utilise uniquement les liens externes des choses pour abolir les contradictions internes des choses.

    L’image tridimensionnelle entrelacée de la structure verticale (série de différents niveaux de structure matérielle) et horizontale (coupe transversale du même niveau) du monde matériel, une fois placée dans le « miroir amusant » de cette théorie, se déforme en une image plate d’une seule coupe transversale horizontale, mais sans profondeur verticale.

    Il existe une autre théorie qui soutient que les ondes-particules ne sont que des « points géométriques » sans structure interne.

    Comment pourraient-elles alors se transformer ? Pour réaliser cette transformation, cette théorie doit recourir à des particules émergeant du vide et disparaissant sans cause.

    Mais plus le rayon d’une particule est petit, plus son énergie est grande. Les « points géométriques » infinitésimaux doivent transporter une énergie infiniment grande.

    Cette théorie se retrouve ainsi dans un bourbier inéluctable.

    Le développement des sciences naturelles confirme lui-même sans cesse la divisibilité des ondes-particules.

    Dans les années 1950, le Japonais S. Sakata a avancé une théorie selon laquelle, dans la famille des ondes-particules hadron-méson, il existe trois « particules fondamentales » encore plus fondamentales dont l’unité de contradiction forme tous les autres hadrons et mésons.

    Par la suite, certains ont avancé, sur la base du modèle de Sakata, que toutes les particules de la famille hadron-méson sont composées de trois « hadrons fondamentaux » appelés « quarks ».

    Ces dernières années, d’autres encore ont avancé que même un seul type de quark peut avoir des « couleurs » ou d’autres caractéristiques différentes, démontrant ainsi que les quarks ne sont pas en réalité « fondamentaux », mais possèdent des différences.

    Récemment, un modèle de « particules partielles » a également été présenté. Sur la base des résultats d’expériences qui ont montré que lorsque des électrons de haute énergie frappent un proton, les électrons ne frappent pas une boule solide, mais plutôt des points discrets [non continus], certaines personnes ont émis l’hypothèse que le proton est probablement composé de « particules partielles » qui sont encore plus petites que le proton.

    Actuellement, la science s’attaque sous divers angles au monde intérieur des ondes-particules.

    Face aux faits du développement scientifique, Heisenberg a cherché la « particule fondamentale » plus fondamentale que l’onde-particule. C’était un progrès.

    Mais il pensait toujours que toutes les « particules fondamentales » sont identiques, sans contradiction ; et il pensait qu’elles forment un « champ élémentaire » qui inclut tous les champs d’ondes et ne contient aucune contradiction.

    C’est ce qu’il appelle sa « théorie du champ unifié », et c’est la « théorie finale » qui peut épuiser d’un seul coup toute la compréhension humaine des structures matérielles.

    Il a essayé dans le petit monde de fixer une limite inférieure pour l’univers, tout comme Einstein a essayé dans le grand monde de fixer le « champ unifié » comme limite supérieure pour l’univers.

    Les deux sont vains.

    Heisenberg a juste fait un pas en avant, puis est retombé dans le marais de la métaphysique. Vous voyez à quel point cette vision métaphysique du monde est têtue !

    Ce qui est étrange, c’est que certains savants révisionnistes soviétiques, qui disent utiliser le marxisme comme guide, ont également rejoint le grand chœur contre la divisibilité des ondes-particules.

    Ils ont clamé que les ondes-particules sont « non composites », qu’elles ne sont plus « composées d’autres particules matérielles encore plus simples ».

    Le « non composite » signifie qu’il n’y a pas de contradictions internes.

    Mais ils se vantent aussi que les transformations réciproques des ondes-particules ont démontré leur complexité et leur caractère inépuisable, et ils ne semblent pas s’opposer à Lénine sur le principe que l’électron est inépuisable.

    Sans contradiction, comment peut-il encore être « inépuisable » ?

    Quelle est la source de la transformation réciproque ?

    Lénine dit que la contradiction « fournit seule la clef des « sauts », de la « rupture dans la continuité », de la « transformation en l’opposé », de la destruction de l’atome et de l’émergence du nouveau » (Lénine, Cahiers philosophiques).

    Pouvons-nous demander comment vos thèses grandiloquentes sur la transformation sans contradiction peuvent être conciliées avec les enseignements de Lénine ?

    De quelle manière les ondes seront-elles divisées ?

    Cela ne peut pas être une méthode routinière et une application aveugle de la vieille expérience.

    La molécule est divisée en atomes, champ gravitationnel et champ électromagnétique, l’atome est divisé en noyau atomique, noyau nucléaire et champ nucléaire.

    Au niveau de la matière, elles sont toutes la nouvelle forme d’unité entre particule et champ ; elles sont toutes de nouveaux points nodaux, et elles sont toutes qualitativement différentes.

    En quelles formes les ondes-particules seront-elles divisées ?

    Il est possible que ce soit la forme actuelle d’unité entre particules et champs.

    Il est également possible qu’un grand changement qualitatif se produise, donnant naissance à une nouvelle forme de matière discrète [= non continue] et à une nouvelle forme de matière continue ; ce seraient de nouvelles choses différentes à la fois des particules que nous connaissons maintenant et des champs que nous connaissons maintenant !

    Il est possible qu’elles soient divisées de plus en plus petites, mais il est également possible qu’elles soient divisées de plus en plus grandes.

    Ce qui sortira des ondes-particules pourra peut-être « grossir », devenir plus grosses que lorsqu’elles étaient à l’intérieur. Cela pourrait conduire à un nouveau développement du rapport entre la partie et le tout.

    Que cela deviendra-t-il ? C’est une question scientifique concrète. La matière a une diversité infinie, la division concrète de la matière a également une diversité infinie.

    « Le marxisme-léninisme n’a nullement épuisé la vérité, mais ouvre sans cesse des voies à la connaissance de la vérité au cours de la pratique ». (Mao Zedong, De la pratique)

    Le matérialisme dialectique ne sort jamais dans d’autres sphères pour donner des ordres ; il ne tire pas de conclusions sur cette question, se substituant à la science naturelle.

    On parle de division, on divise en deux, c’est-à-dire « de la division d’une unité en opposés qui s’excluent mutuellement » (Lénine, Cahiers philosophiques).

    C’est ainsi qu’il y a des contradictions à l’intérieur de toute forme matérielle. Toute l’histoire du développement des sciences naturelles a montré : dans le monde, il n’existe tout simplement pas de « matière élémentaire » qui ne contienne pas de contradictions.

    Toute chose nouvelle, lorsqu’elle est apparue pour la première fois, a été décrite comme étant de la « matière élémentaire ».

    L’élément [chimique] était ainsi, l’atome était ainsi, le champ gravitationnel et le champ électromagnétique étaient ainsi, l’onde-particule était ainsi aussi, mais pas pour longtemps.

    « Jusqu’à présent, nous étions montés à un point où nous pouvions voir à mille lieues, mais il s’est avéré que nous n’avions monté qu’un étage. »

    Des choses plus élémentaires que « l’élémentaire » ont surgi à plusieurs reprises. Si l’onde-particule est la « particule élémentaire », si elle est aussi petite que possible, alors que resterait-il aux scientifiques ?

    Lénine disait : « l’électron est aussi inépuisable que l’atome » (Matérialisme et empiriocriticisme). C’est une vérité très profonde.

    La science naturelle progresse toujours vers des niveaux plus profonds.

    De nouvelles choses sont toujours apparues sans fin.

    Le développement de la science a sans cesse nié l’existence de la « matière élémentaire ».

    Le « Grand Monde » n’a pas de frontières.

    Le « Petit Monde » n’a pas non plus de fin, c’est vraiment un « trou sans fond ».

    C’est un fait historique de plusieurs milliers d’années de développement des sciences naturelles. Ce fait historique mérite d’être souligné.

    Ces deux conceptions opposées de la structure de la matière, c’est-à-dire la lutte des deux visions du monde sur cette question de la structure de la matière, ont besoin de notre étude.


    >>Revenir au sommaire des articles sur le matérialisme dialectique