La ligne revendicative syndicaliste du PCF en 1934

À la fin de l’année 1934, on est encore dans une phase ascendante pour le Parti communiste (SFIC) : il se fait happer, mais ce n’est pas l’aspect principal, d’où le fait qu’il ne le remarque pas. Seuls comptent à ses yeux les succès engrangés, avec la sortie de l’isolement et l’élargissement de son influence.

On a ici au mois d’octobre la fusion des syndicats de cheminots CGT et CGTU du réseau PLM, augurant l’unité syndicale.

Le 24 octobre 1934, 30 000 travailleurs se réunissent à l’appel du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) à Paris dans les salles Bullier et Wagram, ainsi qu’en banlieue parisienne à Montreuil au Palais des Fêtes et au Casino, et organisés au dernier moment à la Grange-aux-Belles à Paris et à Courbevoie, encore en banlieue parisienne.

Le 11 novembre, plusieurs dizaines de milliers d’anciens combattants défilaient à l’appel commun, soutenus par 100 000 travailleurs.

Et les 23-23 décembre 1934, l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail liée au Parti socialiste (SFIO) (avec autour de 7 000 membres) et la Fédération sportive du travail lié au Parti communiste (SFIC) (avec autour de 11 000 membres) fusionnent en la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT).

Une dénonciation de la guerre dans le Populaire, le quotidien du PS SFIO

Fort de ces succès, le Parti communiste (SFIC) va établir un profil se voulant propositionnel. Ce qui se passe, c’est que pour le Parti socialiste (SFIO), l’actualité consiste en l’instabilité gouvernementale, chronique dans la troisième République. L’objectif, c’est de jouer sur ce plan en se présentant comme la seule force stable et rassurante.

Du côté du Parti communiste (SFIC), il y a par contre l’interprétation que l’instabilité est due au régime. Néanmoins, en se tournant vers l’unité, conçue comme toujours la plus large, il n’est plus possible de proposer le renversement révolutionnaire.

Le Parti communiste (SFIC) fait alors absolument tout pour se présenter comme la force rassurante, qui permet la stabilité à tout prix.

On a ici quelque chose de fondamental, qui explique pourquoi lorsqu’il y aura un gouvernement de Front populaire en 1936, le Parti socialiste (SFIO) prendra la tête du gouvernement, alors que le Parti communiste (SFIC) refusera d’y participer.

Il est en ce sens très intéressant de connaître ce qu’est, en novembre 1934, le programme du Parti communiste (SFIC), qui est présenté dans une lettre de son Bureau politique au Parti socialiste (SFIO). Voici ce que cela donne, et ce qui est frappant, c’est qu’il s’agit d’une sorte de programme d’un parti syndicaliste.

Pour le Parti communiste (SFIC), de manière officielle, ce qui compte c’est seulement la révolution. Auparavant, il n’y a que celle-ci qui comptait. Désormais, la vie politique compte également, et comme ce n’est pas la révolution, alors la ligne est celle des revendications syndicales, celle des syndicalistes à prétention révolutionnaire.

« Le programme communiste

POUR LES OUVRIERS, LES CHEMINOTS ET LES FONCTIONNAIRES

Contre toute diminution de salaires et traitements.
Abrogation des décrets-lois.
Semaine de 40 heures, sans diminution de salaires.
Amnistie et réintégration pour tous les fonctionnaires frappés pour action syndicale.
Institution de délégués ouvriers à l’hygiène et à la sécurité dans toutes les entreprises.

POUR LES CHÔMEURS

Inscription obligatoire de tous les chômeurs et droit à l’allocation pour tous.
Ouverture de fonds de chômage dans toutes les communes.

POUR LES PAYSANS

Paiements d’allocations die crise à tous ceux qu’atteint la mévente.
Moratoire des dettes (hypothèques, fermages, redevances).
Institution de l’assurance contre les calamités agricoles.
Révision de la loi sur les fermages (baux à plafond…) et le statut de métayage.

POUR LES PETITS COMMERÇANTS ET ARTISANS

Moratoire des dettes.
Révision des baux et des billets de fonds.
Institution de la propriété commerciale intégrale.

POUR LES LOCATAIRES

Révision de la loi sur les loyers.
Moratoire des loyers aux chômeurs.

POUR LES MAL-LOTIS

Moratoire des taxes syndicales.

POUR LES ANCIENS COMBATTANTS.

Maintien des droits acquis.
Abrogation des décrets-lois frappant les anciens combattants.

POUR LES SOLDATS

Contre toute augmentation du temps de service militaire.
Augmentation du prêt.
Transport gratuit en chemin de fer, la franchise postale.
Allocation aux soutiens de famille.

LÉGISLATION SOCIALE

Abrogation des décrets-lois réduisant les crédits d’assistance publique, vieillards, médicale, etc…
Révision de la loi des assurances sociales en vue de son extension et de l’augmentation des prestations.

IMPÔTS

Abrogation de la réforme fiscale de 1934.
Suppression de la taxe sur le chiffre d’affaires et des impôts indirects sur
les objets de première nécessité.
Réforme de l’impôt général et cédulaire sur le revenu en vue d’instituer des abattements, à la base et une progression plus équitable.

Répression de la fraude fiscale.
Défense du franc contre les spéculateurs à la baisse et les exportateurs de capitaux.

Révision des marchés et dommages de guerre et adjudications des fortifications de l’Est.

OUVERTURE DE GRANDS TRAVAUX D’UTILITÉ OUVRIÈRE ET PAYSANNE

Constructions d’écoles, d’hôpitaux, de sanas, d’habitations à bon marché, etc…

POUR LA DÉFENSE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES, CONTRE LE
FASCISME ET LA GUERRE

Désarmement et dissolution des ligues fascistes qui organisent la guerre civile.

Représentation proportionnelle pour toutes les assemblées législatives, départementales et communales, retour au mandat de quatre ans.

Extension de la loi de 1884 sur le droit syndical à toutes les catégories professionnelles sans distinction, en particulier pour les fonctionnaires.

Maintien des droits du Parlement en matière d’initiative budgétaire.

Dissolution de la Chambre et élections immédiates pour permettre au pays de se prononcer sur la réforme de l’État.

Épuration de l’armée des officiers royalistes et fascistes.

Désarmement général sur les bases proposées par l’Union soviétique.

Contrôle de la fabrication et du commerce des armes.

Organisation d’une puissante autodéfense de masse. »

Cette question revendicative n’est pas le produit d’une analyse, d’un choix conscient ; le Parti communiste (SFIC) agit sur le tas et fait avec ce qu’il a, à savoir sa tradition syndicaliste révolutionnaire. Dans les faits, l’activité principale du Parti communiste (SFIC), c’est la CGTU.

Comme les événements vont se précipiter avec les ligues d’extrême-droite, le Parti communiste (SFIC) va d’autant moins réfléchir à tout cela qu’il profite de la situation. Cela va impliquer toutefois qu’il se fait satelliser, d’abord par les socialistes, ensuite par les radicaux.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Le tandem Parti communiste (SFIC) – Parti socialiste (SFIO) en 1934

Dès le pacte signé entre le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO), les communiqués communs sont réguliers, que ce soit pour l’évaluation de la situation ou bien des appels, comme celui du 11 novembre 1934. La dimension de remise en cause du régime disparaît forcément, vu que le Parti socialiste (SFIO) se pose à l’intérieur de celui-ci.

Le Parti communiste (SFIC) n’a aucun problème à composer, se considérant de fait désormais comme extérieur au régime, et non plus en conflit ouvert et direct avec lui.

C’est en ce sens que, finalement, c’est le Parti socialiste (SFIO) qui l’emporte dans la dynamique, car si les deux partis assument d’influer ensemble sur le cours des événements, seul le Parti socialiste (SFIO) se pose comme alternative gouvernementale directe.

L’appel du 22 novembre 1934 est tout à fait significatif de la substance du pacte Parti communiste (SFIC) – Parti socialiste (SFIO) au niveau politique :

« Doumergue est tombé. Les délégués du P.S. et du P.C. enregistrent avec fierté cette victoire remportée grâce à l’unité d’action entre les deux partis, sur les complots de pouvoir personnel.

Mais ils constatent que le second gouvernement de trêve n’a pas répudié l’héritage du premier. Le cabinet Flandin reprend deux des mesures les plus dangereuses du cabinet Doumergue le statut des fonctionnaires, l’interdiction des manifestations.

Le projet qui interdit les syndicats de fonctionnaires menace le droit syndical et le droit de grève de l’ensemble des travailleurs. Il donne au patronat l’exemple de la lutte contre l’organisation ouvrière.

Il permettrait demain au gouvernement de chasser des administrations les hommes résolus à défendre les libertés publiques et d’y introduire en masse les complices d’un coup d’Etat, comme l’a fait Dollfuss en Autriche.

Le projet Marchandeau sur les manifestations, à peine modifié par le cabinet Flandin, supprime en fait un droit essentiel conquis depuis plus d’un siècle. II met l’existence légale des partis à la merci d’une provocation policière comme celle du 11 novembre, place de la Nation.

Le gouvernement Flandin prétend qu’en brisant les syndicats il veut restaurer l’autorité de l’État, qu’il commence donc par défendre l’État contre les grandes puissances d’argent qui le tiennent en tutelle.

Il prétend qu’en réglementant les manifestations, il cherche à assurer l’ordre public, qu’il commence donc par défendre l’ordre contre les ligues fascistes qui abusent impudemment de sa complaisance.

Hier encore, à Lille, contre le colonel de La Rocque qui passait outre aux interdictions ministérielles, on dressait une simple contravention !

La vérité est claire.

Contre une agression fasciste, le peuple des travailleurs dispose de deux armes efficaces : la force de l’organisation ouvrière, la manifestation de sa puissance de masse.

Les deux projets que le cabinet Doumergue a légués au cabinet Flandin visent à les briser l’un et l’autre.

Leur combinaison tend à rendre impossible, contre une nouvelle tentative fasciste, une nouvelle journée du 12 février.

En présence de menaces aussi redoutables dirigées contre les conditions de vie des travailleurs et contre les libertés démocratiques, le parti socialiste et le parti communiste décident d’intensifier ta campagne de meetings publics et de manifestations à travers le pays.

a) Pour le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.

b) Pour le respect du droit syndical et du droit de grève pour tous les travailleurs, y compris les fonctionnaires, contre le statut des fonctionnaires et contre les décrets-lois.

c) Pour lé droit de manifestation et contre le projet Marchandeau.

Nous appelons les travailleurs des villes et des champs à se dresser pour faire échec aux plans de Flandin de l’Aéropostale, comme ils ont déjà fait échec aux plans de Doumergue de Suez.

Vive l’unité d’action des travailleurs ! »

C’est naturellement la question du fascisme qui prime dans l’activité ouverte par le pacte ; néanmoins, plutôt que lutte contre le fascisme, il vaut mieux parler de la dénonciation systématique, à base antifasciste, des ligues d’extrême-droite et de leurs activités.

Ce n’est pas le cas encore au début, comme en témoigne le 15 décembre 1934, cet appel du Comité de coordination du Parti socialiste et du Parti communiste, intitulé « Face aux ennemis des travailleurs ».

On est ici encore clairement dans le prolongement du 9 février 1934, mais cela va changer au fur et à mesure avec la focalisation unique sur les ligues.

« Les organisations fascistes de France redoublent d’activité ; leurs agissements sont couverts par le deuxième gouvernement de « trêve » comme ils l’étaient par le premier et les provocations répétées des hitlériens français témoignent de la préparation de nouvelles attaques contre les travailleurs.

A Roanne, les grévistes du textile qui défendent leur pain et celui de leurs enfants, sont l’objet de provocations odieuses de la part des forces policières. Le patronat voudrait à tout prix battre ces magnifiques lutteurs. Il se rend compte que la victoire des grévistes de Roanne serait une victoire de la classe ouvrière tout entière dans la défense des salaires.

L’offensive fasciste sur le plan international, se poursuit dans un grand nombre de pays d’Europe et tout particulièrement en Espagne et en Allemagne, tandis que dans la Sarre les masses travailleuses, hostiles à l’hitlérisme, sont l’objet de menaces et de provocations.

En vue d’alerter la population travailleuse de France et de la dresser contre les menées fascistes dans un esprit de solidarité internationale, les délégués du Parti socialiste et du Parti communiste, réunis en Comité de coordination, le 14 décembre 1934, décident

1° D’organiser à Paris, à Bayonne, à Perpignan, à Toulouse, à Narbonne, à Metz, à Strasbourg et à Forbach, de grands meetings :

a) Pour le désarmement et la dissolution des ligues fascistes ;

b) Contre l’interdiction ministérielle des manifestations, contre le projet Marchandeau et contre toute atteinte aux libertés démocratiques et aux conditions de vie des travailleurs ;

c) Pour le soutien des révolutionnaires espagnols et allemands poursuivant leur lutte héroïque et pour la libération de ceux d’entre eux qui sont entre les mains des bourreaux de Madrid et de Berlin ;

d) Pour le soutien des travailleurs sarrois dressés contre l’hitlérisme et partisans du statu quo, qui veulent que soit garanti le droit de retour de la Sarre dans une Allemagne libérée de l’hitlérisme.

2° D’entreprendre une action commune de protestation des municipalités socialistes et communistes, appuyées par les deux partis, contre le projet Régnier diminuant les droits des communes.

3° D’organiser dans le département de la Loire de grands rassemblements, populaires en vue d’aider les grévistes de Roanne dans leur lutte, de demander aux sections socialistes ainsi qu’aux rayons communistes de l’ensemble du pays, d’agir en commun pour faire circuler des listes de souscription en faveur des grévistes de Roanne. L’action commune des travailleurs fera reculer nos ennemis.

EN AVANT, LA MAIN DANS LA MAIN, POUR LA BATAILLE COMMUNE.

Le Comité de Coordination du Parti Socialiste (S.F.I.O.) et du Parti Communiste (S.F.I.C.) »

On peut voir les choses ainsi : plus on est proche du 9 février 1934, et du 12 février où l’union socialiste et communiste est effective dans la rue, plus la balance penche du côté du Parti communiste (SFIC). Plus on s’en éloigne, plus le Parti communiste (SFIC) est intégré à l’union, mais l’union n’est plus considérée comme le fait de se tourner vers lui.

On passe alors de la lutte contre le fascisme à la lutte contre les ligues d’extrême-droite, et lorsque ce passage se fait clairement, les radicaux intègrent le Front populaire.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La ligne antifasciste populaire par et pour l’unité en 1934

Le Parti communiste (SFIC) n’a qu’un seul repère en 1934 : l’élargissement du Front contre le fascisme ; c’est la seule clef dont il dispose pour exister politiquement après des années d’isolement, et il ne sait pas l’utiliser, aussi espère-t-il que tout ira de soi-même. Il y a une confiance aveugle en l’unité populaire qui est exigée par les masses, il pense comme les syndicalistes que les choses iront d’elles-mêmes.

Voici comment, le 26 octobre 1934, Marcel Cachin présente l’arrière-plan de cette démarche du Parti communiste (SFIC), dans son article « La croissance du courant populaire antifasciste » :

« Les six meetings de mercredi 24, dans la région parisienne, ont été suivis par plus de 30.000 travailleurs. Le samedi 20 à Buffalo, une foule immense avait envahi le vélodrome.

En province l’annonce de chacune des manifestations du Parti communiste et celles du front uni attire des rassemblements ouvriers d’une force et d’un allant inusités.

Le prolétariat comprend partout que les moments actuels sont chargés de lourds périls. Il se rend par masses compactes à l’appel des deux partis qui ont eu la sagesse de conclure leur accord pour l’action, car il sait que cette unité est la première condition de sa défense et de son attaque.

Un cri unanime domine en effet toutes ces assemblées qui prennent un caractère vraiment solennel, c’est celui d’unité d’action, dont le mot est acclamé comme l’expression de la volonté fervente et générale.

La foule montre par là qu’elle possède un sens politique aigu. Pourquoi faut-il donc que quelques responsables opposent à cette poussée populaire si saine une résistance qui ne fléchit pas ?

On lit dans la presse bourgeoise (qui les accueille avec une satisfaction évidente) les articles d’un député socialiste qui se déclare de plus en plus opposé au front unique. Et, d’autre part, les ouvriers commencent à manifester vigoureusement leur mécontentement de, voir accumuler les réserves, les atermoiements et même les obstacles contre l’unité par quelques chefs de la C.G.T. Les travailleurs veulent qu’intervienne au plus tôt ta solution ardemment souhaitée par tous.

Fort heureusement, ils enregistrent aujourd’hui avec une joie profonde la décision des deux fédérations de cheminots qui ouvrent la brèche par laquelle doit passer l’unité syndicale tout entière.

Déjà, samedi, sur un autre terrain, ils avaient applaudi avec nous, à l’annonce de l’unité des organisations ouvrières sportives françaises, comme un progrès dont ils apprécient toute la portée.

Ainsi, le courant vers le front ouvrier élargi devient de plus en plus fort. Il finira par s’imposer de manière irrésistible. Il agit aussi du côté des intellectuels. Et la puissante manifestation de Paris, présidée mardi par Gide, à l’occasion du congrès des Ecrivains soviétiques, trouvera dans tout le pays une répercussion, qui n’est pas près de s’éteindre.

A ce propos, il nous faut, rappeler ici l’interview donnée il y a quelques jours au Petit Journal par le colonel comte de la Rocque, qui se flattait d’avoir distribué beaucoup de ses insignes à la tête de mort à de nombreux travailleurs dégoûtés, disait-il, du contact « des apaches » que nous sommes.

Apaches ! C’est dans les rangs des nazis de La Rocque qu’on trouve des apaches armés, prêts à faire les coups de main, à mettre à nouveau le feu dans les kiosques, dans les autobus et les ministères comme au 6 février dernier.

Mais parmi les ouvriers communistes et socialistes du front uni, parmi les intellectuels venus aux idées soviétiques (et qui comptent les plus grands écrivains et les plus grands savants de l’heure présente), il n’y a que d’honnêtes gens animés de l’idéal humain le plus noble et le plus élevé.

Nous espérons que les radicaux qui siègent au Congrès de Nantes seront mis en présence des propositions de nombreuses fédérations de leur parti qui exigent le désarmement et la dissolution des ligues fascistes. Mais nous trouvons déjà dans les articles de certains de leurs leaders de droite une lamentable équivoque à laquelle il faut répondre vigoureusement.

Ils disent que les fascistes sont armés, mais que les travailleurs du front uni le sont également et que, partant, la justice réclame qu’on dissolve les uns comme les autres. Nous ne pouvons pas permettre qu’on altère ainsi la vérité.

Nul ne peut nier aujourd’hui que les ligues fascistes soient armées. Leurs chefs l’avouent cyniquement.

Les Bucard de la Solidarité française l’affirment dans leurs journaux. Nous en avons cité de nombreux extraits. Ils s’exercent au tir au revolver dans de camps d’entraînement dont la police connaît l’adresse.

Quant aux Croix de Feu, leurs sections alertées dans tout le pays défilent en formations militaires à travers Paris et Chantilly.

Les gens d’Action Française se vantent d’avoir désigné pour l’assassinat des hommes politiques nommément désignés. Des excitations au meurtre ont pu et peuvent encore se développer dans leur presse sans que les autorités s’en émeuvent.

Soixante-quinze équipes fascistes sont prêtes à se rendre au domicile de leaders communistes et socialistes.

Qui oserait comparer à cette attitude de putschistes et de meurtriers oustachis [de Croatie ayant assassiné à Marseille le roi de Yougoslavie Alexandre Ier] celle des organisations du Front uni ? Parmi ceux qui n’hésitent pas à mettre sur le même plan les fascistes et les communistes, nul ne répondra à cette question.

Mais nous savons aussi que dans les classes moyennes, qui sont les assises mêmes du parti radical, les travailleurs repoussent loin d’eux toute assimilation de cette sorte. Là, on sait que les organisations ouvrières en appellent aux grandes masses unies pour l’action et qu’elles ne poussent pas à l’assassinat, un à un, de leurs ennemis de classe.

Dans les classes moyennes, on professe pour le fascisme et ses procédés sauvages ta même répulsion violente que dans les rangs mêmes du prolétariat.

Et, par surcroît, on sait de source sûre que jamais en France le fascisme ne pourra être écarté et brisé qu’avec le concours et l’appui du peuple tout entier dont l’élite est rassemblée dans le front uni.

C’est pourquoi nous comptons déjà dans le front populaire de nombreux antifascistes venus des classes moyennes et décidés à agir avec les prolétaires pour repousser l’odieuse menace.

Ce front populaire ne peut que s’élargir. Car si son programme est essentiellement un programme de défense antifasciste, il comporte aussi des revendications précises. Les unes sont communes à tous les travailleurs les autres sont spéciales aux classes moyennes.

Le capital qui soudoie et entretient à grands frais les bandes fascistes du Front national a, seul, la responsabilité de l’immense détresse dans laquelle sont plongés chaque jour davantage les travailleurs de la classe moyenne ici comme en tous pays. »

On voit très bien comment l’antifascisme est conçu comme un levier, avec une conception mécanique. La dimension vivante de l’évolution du pays et de la politique nationale n’est pas prise en compte ; l’unité est considérée comme devant en soi aller dans le sens du Parti communiste (SFIC).

Il y a au fond l’opportunisme, parfaitement exprimé par la figure de Maurice Thorez ; en fait, le Parti communiste (SFIC) ne veut pas prendre ses responsabilités, il veut que les choses se fassent d’elles-mêmes, lui-même assumant s’il le faut, mais ne prenant jamais les commandes.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Maurice Thorez et le « Français moyen »

Le pacte avec le Parti socialiste (SFIO) est une chance inespérée pour le Parti communiste (SFIC), qui passe sur une ligne d’ouverture complète, par tous les moyens. Il se tourne vers les paysans et les petits commerçants ; il cherche par tous les moyens à ne pas apparaître comme « extérieur » à la politique française.

Il y a ici d’un côté une volonté de profiter du choc qu’a provoqué Février-1934, avec un sens marqué de l’unité du côté populaire, et un opportunisme très prononcé, car le Parti communiste (SFIC) n’a tout simplement pas les moyens de sa politique.

Habitué à une ligne gauchiste et sectaire, il doit être en mesure de désormais « discuter » et cela implique d’avoir une base idéologique forte, ce qu’il n’a pas.

De plus, les socialistes et la CGT mettent la pression pour forcer le Parti communiste (SFIC) à céder sur le plus de points possibles. Fin août 1934, la CGT refuse notamment de mettre en place un comité pour discuter de l’unité avec la CGT-U.

C’est là un aspect essentiel que ce refus de la CGT. La CGT traîne des pieds : le Parti communiste (SFIC), pour avancer, devra reculer. On passe alors dans une contorsion idéologique dont il avait déjà l’habitude et qu’il n’abandonnera désormais plus.

Le grand représentant de cette démarche contorsionniste, c’est Maurice Thorez. Voici comment le 9 septembre 1934, il fait l’éloge du Parti communiste (SFIC) comme meilleur défenseur du « Français moyen » :

« Décidément, les feuilles de la bourgeoisie ne peuvent nous pardonner l’éclat de notre manifeste et surtout l’intérêt que nous portons, nous prolétaires révolutionnaires, aux travailleurs des classes moyennes.

Les capitalistes exploitent férocement les salariés restés dans leurs usines ; ils jettent à la rue, sans secours, sans pain, des centaines de milliers d’ouvriers.

Par d’autres moyens, les parasites du capital volent aux paysans, aux artisans, aux boutiquiers, la plus grosse part du produit de leur rude labeur. Le gouvernement au service des banquiers et des industriels réduit les traitements des petits fonctionnaires, instituteurs, postiers, cheminots, etc.… et il ampute la « créance sacrée » des anciens ; combattants et victimes de la guerre.

Toute une jeunesse sort des grandes écoles, pourvue abondamment de diplômes, mais condamnée à l’inactivité et à la misère.

La bourgeoisie exploite, opprime les travailleurs de toutes conditions. Elle voudrait continuer à berner et à bafouer le « Français moyen ».

De là une grande, colère contre le Parti communiste qui a osé dresser le clair programme des revendications essentielles du « Français moyen » (…).

Nous avons dit au boutiquier et à l’artisan : les charges fiscales vous écrasent, les vautours vous grugent, les billets de fond vous ruinent, et il n’y a rien ou presque dans vos tiroirs parce que la proche du prolétaire est vide !

Nous voulons soutenir vos revendications. Nous avons de même entendu et repris les revendications des victimes de la guerre qui veulent faire cesser le prélèvement de 3 % sur leurs pensions, maintenir leurs droits acquis et obtenir de nouvelles satisfactions concernant notamment les anciens prisonniers de guerre, la prorogation des délais d’instance, etc.

Les bourgeois mentent quand ils disent que nous avons dressé un cahier de revendications démagogiques pour tromper les classes moyennes. Nous n’avons vraiment aucun effort d’imagination.

Nous avons simplement inscrit dans notre programme les revendications élaborées par les intéressés eux-mêmes. Nous avons reproduit les articles rédigés par leurs propres associations. »

Cette ligne va se renforcer d’autant plus que l’extrême-droite se militarise de manière toujours plus massive, multiplie les provocations, alors que les Croix-de-Feu possèdent une grande base de masse.

Le Parti communiste (SFIC) passe alors d’une affirmation gauchiste-syndicaliste de la guerre civile révolutionnaire à l’alignement sur la défense de la République par le désarmement des milices d’extrême-droite. Schématiquement, on en revient à quarante ans auparavant, à l’époque où les socialistes soutenaient les républicains bourgeois contre la réaction catholique et monarchiste.

Cela se reflète parfaitement dans le communiqué commun socialiste-communiste du 27 septembre 1934. On y reconnaît la logique républicaine, la tendance à une participation gouvernementale, le réformisme à tendance maximaliste.

« Les délégués du Parti Communiste et du Parti Socialiste, réunis le 26 septembre dans le Comité de Coordination, élèvent la protestation la plus vive contre les menaces du discours de M. Doumergue [président du Conseil des ministres] visant le droit syndical des fonctionnaires et les libertés publiques.

Le Comité de Coordination a examiné les conditions de la riposte ouvrière que commande sans retard ce discours de provocation.

Il a décidé en conséquence

1° De charger les deux groupes parlementaires socialiste et communiste de réclamer une convocation immédiate de la Chambre en vue du dépôt d’une proposition de résolution tendant à l’abrogation des décrets-lois et du vote de la réforme électorale avec R. P. [représentation proportionnelle] suivi de la dissolution ;

2° D’organiser dans la région parisienne et à travers tout le pays, dès le 23 octobre et au cours des semaines qui suivront, de puissantes démonstrations populaires.

Pour le Parti Communiste

CACHIN, THOREZ, GITTON, DUCLOS, ALLOYER, SOUPE, LAMPE.

Pour le Parti Socialiste

BLUM, PAUL FAURE, ZYROMSKI, E. ESCOURTIEUX, FARINET, LAGORGETTE »

Dans le même esprit, pour les élections cantonales, on trouve cela comme mot d’ordre pour le Parti communiste (SFIC) :

« Le Parti Communiste vous appelle à lutter CONTRE

toute diminution de salaires, traitements, retraites

POUR l’abrogation des décrets-lois ;

la semaine des 40 heures sans diminution de salaires ;

des contrats collectifs garantissant les salaires ;

l’assurance chômage aux frais de l’État et du patronat ;

le droit d’inscription sans restriction pour les chômeurs ;

l’ouverture de travaux d’utilité ouvrière et paysanne (écoles, hôpitaux, chemins vicinaux, travaux d’irrigation, etc.).

Dimanche, votez communiste ! »

Le Parti communiste (SFIC) s’efforce d’apparaître comme constructif ; en l’absence de possibilité révolutionnaire momentanée, il passe résolument de l’autre côté avec des propositions au sein du régime, incapable de cerner la dynamique des contraires et de formuler une perspective.

Autrement dit, pour le Parti communiste (SFIC), tout pour le Front populaire s’assimile à tout par le Front populaire, et ce Front populaire qui se forme, à travers le pacte avec les socialistes, est considéré comme fonctionnant de lui-même, allant mécaniquement dans le sens du Parti communiste (SFIC).

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Le pacte du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) en 1934

Il faut bien avoir à l’esprit le climat mondial qui existe au moment du rapprochement des socialistes et communistes de la région parisienne ; c’est en effet cela qui oblige dans les faits les rapprochements à se solidifier.

Ainsi, le Japon commence à s’affirmer comme puissance militaire et n’hésite pas à présenter l’URSS comme une cible ; en Autriche, le chancelier fasciste Engelbert Dollfuss est assassiné le 25 juillet 1934 lors d’une tentative de coup d’État nazi. On parle ici du pays où se trouvait la social-démocratie la plus puissante et la plus à gauche, qui s’est fracassée sur la répression.

Le 27 juillet 1934, le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) signent un document commun, qui forme un « pacte ».

« LE PACTE

Se sont rencontrés, hier, à la Maison des Coopérateurs, les délégués du Parti socialiste et du Parti communiste,

Savoir : THOREZ, GITTON, Jacques DUCLOS, SOUPE et MARTEL pour le Parti communiste,

Et SEVERAC, LEBAS, LAGORGETTE, DESCOURTIEUX, JUST, BLUMEL, ZYROMSKI pour le Parti socialiste.

Ils se sont mis d’accord sur le pacte dont voici le texte :

Le Comité central du Parti communiste et la Commission administrative permanente du Parti socialiste sont animés de la volonté de battre le fascisme.

Il est clair que ce but ne peut être atteint que par l’action commune des masses laborieuses pour des objectifs précis de lutte. L’intérêt de la classe ouvrière exige donc que le Parti socialiste et le Parti communiste organisent cette action commune contre le fascisme.

En présence du danger que représente le fascisme pour la population laborieuse, des attentats organisés par les bandes armées centre le prolétariat, le Parti communiste et le Parti socialiste reconnaissent la nécessité de mener d’un commun accord l’action déterminée et en précisent ainsi les modalités et les conditions :

I. Le Parti socialiste et le Parti communiste signent un pacte d’unité d’action par lequel ils s’engagent à organiser en commun et à participer avec tous leurs moyens (organisations, presse, militants, élus, etc…) à une campagne dans tout le pays, ayant pour but :

a) Mobiliser toute la population laborieuse contre les organisations fascistes, pour leur désarmement et leur dissolution ;

b) Pour la défense des libertés démocratiques, pour la R. P. [représentation proportionnelle] et la dissolution de la Chambre ;

c) Contre les préparatifs de guerre ;

d) Contre les décrets-lois ;

e) Contre la terreur fasciste en Allemagne et en Autriche, pour la libération de [l’Allemand et dirigeant du KPD] Thaelmann et de [l’Autrichien, maire de Vienne et SDAP] Karl Seitz, et de tous les antifascistes emprisonnés.

II. Cette campagne sera menée au moyen de meetings communs dans le plus grand nombre possible de localités et d’entreprises au moyen de manifestations et contre-manifestations de masses dans la rue, en assurant l’auto-défense des réunions ouvrières, des manifestations, des organisations et de leurs militants ; et en veillant toujours à ce que les conditions psychologiques, matérielles et morales, pour leur donner le maximum d’ampleur et de puissance soient réunies.

La campagne contre les décrets-lois sera menée par les mêmes moyens (meetings et manifestations), mais aussi en mettant en œuvre les méthodes d’agitation et d’organisation propres à aboutir à la réalisation d’une large action de lutte contre les décrets-lois.

Si, au cours de cette action commune, des membres de l’un ou de l’autre parti se trouvent aux prises avec des adversaires fascistes, les adhérents de l’autre parti leur prêteront aide et assistance.

III. Au cours de cette action commune, les deux partis s’abstiendront réciproquement d’attaques et critiques contre les organismes et militants participant loyalement, à l’action.

Toutefois, chaque parti, en dehors de l’action commune, gardera son entière indépendance pour développer sa propagande, sans injures ni outrages à l’égard de l’autre parti, et pour assurer son propre recrutement.

Quant aux manifestations d’action commune, elles doivent être exclusivement consacrées à l’objet commun et ne pas se transformer en débats contradictoires touchant à la doctrine et à la tactique des deux partis.

IV. Chaque Parti s’engage à réprimer les défaillances et les manquements qui pourraient se produire dans le sein de ses propres organisations en ce qui concerne l’action commune engagée.

Un comité de coordination composé de sept délégués de chacun des deux partis est constitué pour fixer le plan d’ensemble et le caractère des manifestations communes. Ce comité sera saisi des litiges et conflits qui pourraient surgir. Les décisions de ce comité seront consignées dans un procès-verbal, rédigé en commun, et portées à la connaissance des travailleurs. »

Le 29 juillet, 50 000 travailleurs vont au Panthéon à Paris en l’honneur de Jean Jaurès ; le 24 août un meeting commun est réalisé contre la menace impérialiste japonaise à l’égard de l’URSS à la salle Bullier avec 10 000 personnes. Le 2 septembre à Garches en banlieue parisienne la fête de L’Humanité est un grand succès.

Voici le programme, où on peut voir que la fête ouvre… avec les trompes de chasse d’une chasse à cour! C’est tout simplement lamentable et le fait que cela soit mis en place en dit long sur le niveau idéologique et culturel dans le PCF.

Le 21 septembre a lieu un meeting en soutien aux socialistes et communistes italiens, encore à la salle Bullier.

C’est le début d’une unité d’action socialiste-communiste qui ne s’arrêtera plus et constitue déjà le noyau dur du Front populaire en formation.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

L’irrépressible tendance à l’unité ouvrière après le 6 février 1934

La séquence du 6 février 1934 a puissamment ébranlé le mouvement ouvrier français, au point qu’il est évident pour tout le monde que rien ne peut rester pareil. Le Parti communiste (SFIC) y voit une chance, car de par sa base remuante en région parisienne, il est le premier à avoir pris l’initiative le 9 février. Il en découle un réel prestige, qu’il compte bien utiliser et cela à tout prix puisqu’il est dans une situation d’isolement complet.

Cela se ressent d’autant plus fortement qu’au prestige antifasciste se voit associé celui d’avoir généralisé l’opposition à la guerre avec le Comité Asmterdam-Pleyel. Si la lutte anti-guerre avait ébranlé les digues autour du Parti communiste (SFIC), l’antifascisme finit de les faire céder. Il y a une possibilité de sortir de la situation : le Parti communiste (SFIC) s’y précipite, et ce d’autant plus qu’il s’agit de tourner la page du chaos interne suite à la domination de la direction Barbé-Celor.

Maurice Thorez

À la fin juin 1934, Maurice Thorez fait en tant que dirigeant du Parti communiste (SFIC) son rapport à la conférence nationale, qui a comme seul thème « l’organisation du front unique de lutte antifasciste ».

Il titre le rapport « Les travailleurs veulent l’unité ! » et ses deux références pour l’unité sont le travail commun effectué dans le cadre du Comité Amsterdam-Pleyel et celui mené dans l’action syndicale.

Ce dernier point est essentiel, car Maurice Thorez prône l’unité syndicale, donnant des conditions bien précises pour cela :

– une plate-forme minimale de revendications ;

– la liberté d’opinion ;

– l’absence d’exclusion pour des motifs d’opinion divergente ;

– une discipline unitaire « contre le patronat et les fascistes » ;

– des élections démocratiques avec représentation proportionnelle.

On a ici quelque chose d’absolument essentiel, qui n’a pas été vu à l’époque, ni même depuis en fait. Le mouvement commencé en février 1934 aboutit en effet au Front populaire. Mais le Front populaire n’est pas qu’un bloc pour les élections, c’est un programme qui est soutenu par la CGT, une CGT qui s’est réunifiée au début de l’année 1936.

L’unité syndicale est même le phénomène majeur, et comme on le voit avec les conditions données par Maurice Thorez, elle s’appuie sur une base « socialiste unitaire ». Les conditions correspondent en effet ni plus ni moins qu’à la forme historique d’organisation des socialistes français, avec le droit de tendance et la représentativité.

Maurice Thorez

C’est là du pragmatisme, car la ligne de Maurice Thorez, c’est de sortir le Parti communiste de son isolement politique – l’isolement social et culturel s’estompant massivement avec Février-1934 et auparavant avec le mouvement anti-guerre d’Amsterdam-Pleyel – en parvenant à œuvrer dans une CGT unifiée de masse.

Cela veut bien entendu faire du Parti communiste (SFIC) un bras politique de l’activité syndicale, ce qui est précisément la nature du Parti communiste (SFIC) en fait. La Conférence nationale du Parti communiste (SFIC) de juin 1934 se conclut pour cette raison sur trois mots d’ordre : Front unique d’action, CGT unique lutte de classes, Alliance avec les classes moyennes.

Sauf que cela a un prix, que le Parti communiste (SFIC) ne connaît pas encore. Loin d’être un pays misérable, la France est une puissance capitaliste avec des couches intermédiaires très fortes, représentées par les « radicaux », c’est-à-dire les centristes.

Le Parti communiste (SFIC) ne peut pas le voir, car il n’a pas de lecture historique de la société française ; il ne voit pas le poids des traditions françaises, l’ampleur du scepticisme français comme mentalité dominante. En fait, le Parti communiste (SFIC) ressent ce scepticisme : c’est pourquoi il se précipite dans le Front populaire, pour acquérir une légitimité. Mais sans lecture historique, il va passer dans l’orbite des radicaux.

Avant que ce processus ne s’accomplisse politiquement, le Parti communiste (SFIC) vit donc au rythme de ses propres orientations, et celles-ci sont syndicalistes, pour une déviation présente dès sa fondation. Et le tournant syndical se concrétise début juillet 1934, lorsque la CGT Unitaire propose à la CGT un congrès de fusion, sans conditions.

C’est la fin du Parti communiste (SFIC) comme force isolée mais fière, assumant un isolement forcené pour établir une base ultra-active, dans l’idée de la « minorité agissante » si chère au syndicalisme français.

Maurice Thorez lors d’un meeting.
A l’arrière-plan, les figures de Staline, le dirigeant du Mouvement Communiste International, et d’Ernst Thälmann, le dirigeant du Parti Communiste d’Allemagne

Parallèlement, on a le meeting de Bullier le 3 juillet 1934, réunissant les socialistes de la région parisienne et le Parti communiste (SFIC) ; c’est là un aspect très important.

La gauche du Parti socialiste (SFIO), dirigée par Jean Zyromski, dispose en effet de l’hégémonie dans la région parisienne. Elle a suffisamment les coudées franches pour impulser sa propre ligne, surtout qu’au sein du Parti socialiste (SFIO), c’est le fédéralisme qui prime.

Ici encore, le Parti communiste (SFIC) pense être gagnant, car il sort de l’isolement, surtout dans la région parisienne qui est son bastion. Il n’y a pas pour autant de réelle réflexion : le Parti communiste (SFIC) se précipite et s’aligne. Et, de toutes façons, la classe ouvrière qui se met en branle n’a pas le sens des nuances politiques et ne se tourne pas vers le terrain des idées ou de la culture.

Ce qui prime, c’est la réaction effervescente au 6 février 1934. C’est pourquoi, dans la foulée du meeting du 3, se tient Paris le 8 juillet une manifestation de 100 000 personnes sur la même base d’unité des socialistes et des communistes de la région parisienne.

Avec un tel arrière-plan, le Parti communiste (SFIC) propose alors un pacte d’unité d’action au Parti socialiste (SFIO) et ce dernier accepte une discussion entre délégations à l’occasion de son Conseil national du 15 juillet, où le thème de l’unité était au premier rang des préoccupations.

C’est Léon Blum qui s’est chargé d’encadrer la question, au moyen des éditoriaux dans Le Populaire, car il est profondément inquiet. Une partie significative du Parti socialiste (SFIO) veut l’unité avec le Parti communiste (SFIC) et est prêt à une rupture interne pour l’obtenir. La tendance générale est à l’unité, cela apparaît comme indiscutable.

Aussi, Léon Blum, tout en disant qu’il ne veut rien freiner, ne cesse de présenter ce qu’il voit comme des points à souligner, des questions à soulever, des réflexions à avoir, des discussions à réaliser, etc.

C’est le sens des éditoriaux creux, visant à gagner du temps et à profiter de la faiblesse idéologique du Parti communiste (SFIC) pour apparaître comme rationnel, posé, bref « socialiste » : « Les problèmes de l’unité » (7 juillet), « L’unité d’action : les données du problème » (8 juillet), « Les problèmes de l’unité : les conditions de l’action commune » (9 juillet), « Les problèmes de l’unité : l’objet de la lutte commune » (10 juillet), « Les problèmes de l’unité : action commune et unité organique » (11 juillet), « Les problèmes de l’unité : les conditions de l’unité organique » (12 juillet), « Les problèmes de l’unité : la défense internationale contre le fascisme » (13 juillet), « Unité d’action » (14 juillet).

Le Conseil national du Parti socialiste (SFIO) accepte alors, inévitablement, l’unité d’action contre le fascisme et la guerre, posant trois conditions :

– la « bonne foi réciproque » avec la focalisation uniquement sur « l’objet commun » ;

– la « défense des libertés démocratiques » et la non-multiplication des « manifestations jusqu’au point de créer la lassitude de l’indifférence de la masse » ;

– le « contrôle de l’action commune » par un « Comité de coordination » avec les deux organisations.

3471 mandats ont soutenu l’unité, 366 s’y opposaient ; il y eut 67 abstentions. De manière notable, la victoire écrasante des tenants de l’unité ne fut pas présentée ainsi par le Parti socialiste (SFIO) et Le Populaire, qui cherchèrent à neutraliser la situation, au contraire naturellement du Parti communiste (SFIC) et de L’Humanité qui y virent une avancée de leurs propres positions.

Le Parti socialiste (SFIO) fit également en sorte qu’en même temps que le vote en faveur d’un pacte, il soit appelé à la propagande et au recrutement. L’objectif avoué était d’empêcher que la base soit « charmée » par l’activisme du Parti communiste (SFIC).

Neuf tracts furent immédiatement présentés, tentant de balayer un spectre assez large afin de satisfaire les attentes d’action de la base : Le sabotage de la République, Le sabotage de la paix, Le sabotage de l’Agriculture, Le sabotage du Travail, Le sabotage du Petit Commerce, Le sabotage de l’École Laïque, Le sabotage de la Réforme fiscale, Le sabotage de la Réforme administrative, Le sabotage des Finances par les marchands de canons.

Les thèmes choisis, comme on peut le voir, servent également à dénoncer le gouvernement et axer la contestation sur ce plan.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

Le Coran, l’esclavage et le féodalisme artificiel

Le Coran assume l’esclavage ; on trouve de nombreux passages où il est expliqué que l’esclavage est juste, avec une définition relativement précise du cadre juridique. L’Islam conquérant, du 6e au 16e siècle, va systématiser l’esclavage, tant pour les hommes castrés et utilisés comme force de travail, que pour les femmes réduites au statut d’objets sexuels.

La castration était interdite par Mahomet, donc des non-musulmans se chargeaient de réaliser l’opération ; comme on le sait, le Coran soutient également la polygamie. On est ici dans une démarche relevant du mode de production esclavagiste.

On lit dans la sourate Les femmes :

3 Et si vous craignez de n’être pas justes envers les orphelins,… Il est permis d’épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n’être pas justes avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela, afin de ne pas faire d’injustice (ou afin de ne pas aggraver votre charge de famille).

Et :

23 Vous sont interdites vos mères, filles, sœurs, tantes paternelles et tantes maternelles, filles d’un frère et filles d’une sœur, mères qui vous ont allaités, sœurs de lait, mères de vos femmes, belles-filles sous votre tutelle et issues des femmes avec qui vous avez consommé le mariage; si le mariage n’a pas été consommé, ceci n’est pas un péché de votre part; les femmes de vos fils nés de vos reins; de même que deux sœurs réunies -exception faite pour le passé. Car vraiment Allah est Pardonneur et Miséricordieux ;

24 et, parmi les femmes, les dames (qui ont un mari), sauf si elles sont vos esclaves en toute propriété. Prescription d’Allah sur vous ! A part cela, il vous est permis de les rechercher, en vous servant de vos biens et en concluant mariage, non en débauchés. Puis, de même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur mahr [un don ] comme une chose due. Il n’y a aucun péché contre vous à ce que vous concluez un accord quelconque entre vous après la fixation du mahr, car Allah est, certes, Omniscient et Sage.

À voir cela, on se dit que le Coran n’est qu’une superstructure monothéiste – féodale à une base esclavagiste. Et c’est le cas, sauf qu’en pratique, de manière dialectique, c’est l’esclavagisme qui va servir de superstructure à une base monothéiste-féodale.

C’est cela, la particularité de l’Islam.

Mahomet a concrètement entrepris une synthèse de deux contraires qui ne pouvait être réalisée que sur une base romantique propre à un polythéisme animiste porté à son paroxysme dans une région désertique.

Ce n’est pas Dieu qui fait le Coran, bien entendu, mais au-delà, c’est par l’établissement du Coran que Mahomet atteint Dieu, en procédant à un « décodage » du monde polythéiste animiste où tout est attribué à Dieu.

Le Coran est un moyen et une fin et il combine deux visions du monde séparés normalement par des générations et une accumulation importante de forces productives. C’est cela qui fait la force, la vigueur incroyable du Coran, qui a réussi à parler à des millions de personnes liées au polythéisme animiste et c’est là sa faiblesse, car son discours palpite en permanence, sans jamais rien poser.

D’où, pour maintenir la stabilité de l’entreprise, la conception d’un Coran « incréé », qui existerait parallèlement à Dieu de toute éternité. L’idée est absurde, mais elle est magistrale, car elle justifie en permanence la conquête musulmane.

Mahomet, David et Salomon, Afghanistan, 1436.

Ce n’est pas seulement que le Coran est le message de Dieu, le message est divin en soi, il est vivant, donc il « palpite » de la même manière que l’animisme polythéiste. L’Islam est incessant et l’une des premières choses que va faire le droit musulman, ou la première chose, c’est de diviser le monde en Dar al-Islam et Dar al-Harb, en le domaine de l’Islam et le domaine de la guerre.

Qu’est-ce que cela veut dire, dans les faits ? Eh bien que l’Islam, au lieu d’établir une féodalité fondée sur la propriété foncière, va réaliser une féodalité militaire. L’Islam, lorsqu’il se développe, fonde des villes à partir des camps militaires, dont l’immense Bagdad.

On peut ainsi dire que là où en Europe la féodalité est dans les campagnes, dans l’Orient islamique elle est dans les villes. Le processus islamique prendra sa vraie maturité féodale lors de la fusion des éléments arabes et iraniens, à l’origine de l’établissement de tout le système moderne des empires islamiques, qui se prolongera avec l’empire ottoman d’une part, les Moghols de l’autre.

Mahomet entendait, avec le monothéisme, civiliser les Arabes prisonniers d’un mode de production esclavagiste décadent, mais lui-même en faisait partie ; d’où la contradiction entre ce que lui-même ait eu beaucoup d’esclaves, hommes et femmes, tout en appelant chaque musulman à affranchir son esclave.

Mahomet porte en fait la ville contre les campagnes et en même temps les campagnes contre les villes ; tout tourne autour de La Mecque et des clans arabes dispersés et du dépassement des contradictions claniques.

La Sourate La Cité résume de la manière la plus pure cet appel de Mahomet à une urbanité islamique – qui dans les faits n’existera que comme féodalisme militaire.

1 Non ! Je jure par cette Cité !

2 Et toi, tu es un résident dans cette cité –

3 Et par le père et ce qu’il engendre !

4 Nous avons, certes, créé l’homme pour une vie de lutte.

5 Pense-t-il que personne ne pourra rien contre lui ?

6 Il dit: « J’ai gaspillé beaucoup de biens. »

7 Pense-t-il que nul ne l’a vu ?

8 Ne lui avons Nous pas assigné deux yeux,

9 et une langue et deux lèvres ?

10 Ne l’avons-Nous pas guidé aux deux voies ?

11 Or, il ne s’engage pas dans la voie difficile !

12 Et qui te dira ce qu’est la voie difficile ?

13 C’est délier un joug [affranchir un esclave],

14 ou nourrir, en un jour de famine,

15 un orphelin proche parent

16 ou un pauvre dans le dénuement.

17 Et c’est être, en outre, de ceux qui croient et s’enjoignent mutuellement l’endurance, et s’enjoignent mutuellement la miséricorde.

18 Ceux-là sont les gens de la droite ;

19 alors que ceux qui ne croient pas en Nos versets sont les gens de la gauche.

20 Le Feu se refermera sur eux.

Mahomet porte, avec le Coran, l’animisme polythéiste au niveau du monothéisme, il attribue à l’humanité une responsabilité divine, qui ne pouvait s’exprimer, de par les conditions des Arabes, que dans l’esprit de conquête militaire, base d’un féodalisme construit artificiellement par les armes.

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Le Dieu du Coran et la rétribution

Le Coran est une œuvre où les menaces et leurs rappels constituent la majorité de l’œuvre. Seulement une petite minorité touche les règles religieuses et juridiques. Concernant ces derniers domaines, ce sont les hadiths, les « dits » rapportés du prophète, et la Sunna, la « tradition », qui joueront par la suite le rôle central.

Voici ce que dit la sourate Le discernement :

10. Béni soit Celui qui, s’il le veut, t’accordera bien mieux que cela : des Jardins sous lesquels coulent les ruisseaux ; et Il t’assignera des châteaux.

11. Mais ils ont plutôt qualifié l’Heure de mensonge. Nous avons cependant préparé, pour quiconque qualifie l’Heure de mensonge, une Flamme brûlante.

12. Lorsque de loin elle les voit, ils entendront sa fureur et ses pétillements.

13. Et quand on les y aura jetés, dans un étroit réduit, les mains liées derrière le cou, ils souhaiteront alors leur destruction complète.

Mais il n’y a pas qu’en permanence des menaces d’enfer : il y a également en permanence des promesses pour la vie après la mort. On n’est ici absolument pas dans un monothéisme développé, car sinon il y n’y aurait pas cette insistance très lourde dans tout le Coran sur une rétribution en fonction de comment on a vécu.

La sourate La Nouvelle est une excellente synthèse de ce que dit le Coran :

1 Sur quoi s’interrogent-ils mutuellement ?

2 Sur la grande nouvelle,

3 à propos de laquelle ils divergent.

4 Eh bien non ! Ils sauront bientôt.

5 Encore une fois, non ! Ils sauront bientôt.

6 N’avons-Nous pas fait de la terre une couche ?

7 Et (placé) les montagnes comme des piquets ?

8 Nous vous avons créés en couples,

9 et désigné votre sommeil pour votre repos,

10 et fait de la nuit un vêtement,

11 et assigné le jour pour les affaires de la vie,

12 et construit au-dessus de vous sept (cieux) renforcés,

13 et [y] avons placé une lampe (le soleil) très ardente,

14 et fait descendre des nuées une eau abondante

15 pour faire pousser par elle grains et plantes

16 et jardins luxuriants.

17 Le Jour de la Décision [du Jugement] a son terme fixé.

18 Le jour où l’on soufflera dans la Trompe, vous viendrez par troupes,

19 et le ciel sera ouvert et [présentera] des portes,

20 et les montagnes seront mises en marche et deviendront un mirage.

21 L’Enfer demeure aux aguets,

22 refuge pour les transgresseurs.

23 Ils y demeureront pendant des siècles successifs.

24 Ils n’y goûteront ni fraîcheur ni breuvage,

25 hormis une eau bouillante et un pus

26 comme rétribution équitable.

27 Car ils ne s’attendaient pas à rendre compte,

28 et traitaient de mensonges, continuellement, Nos versets,

29 alors que Nous avons dénombré toutes choses en écrit.

30 Goûtez-donc. Nous n’augmenterons pour vous que le châtiment !

31 Pour les pieux ce sera une réussite:

32 jardins et vignes,

33 et des (belles) aux seins arrondis, d’une égale jeunesse,

34 et coupes débordantes.

35 Ils n’y entendront ni futilités ni mensonges.

36 À titre de récompense de ton Seigneur et à titre de don abondant

37 du Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui existe entre eux, le Tout Miséricordieux; ils n’osent nullement Lui adresser la parole.

38 Le jour où l’Esprit et les Anges se dresseront en rangs, nul ne saura parler, sauf celui à qui le Tout Miséricordieux aura accordé la permission, et qui dira la vérité.

39 Ce jour-là est inéluctable. Que celui qui veut prenne donc refuge auprès de son Seigneur.

40 Nous vous avons avertis d’un châtiment bien proche, le jour où l’homme verra ce que ses deux mains ont préparé; et l’infidèle dira: « Hélas pour moi ! Comme j’aurais aimé n’être que poussière. »

C’est la rétribution. La punition vise les transgresseurs, la récompense va à ceux qui sont loyaux. On est nettement dans un « œil pour œil, dent pour dent » qui est similaire au judaïsme et le monothéisme du judaïsme est lui-même imparfait, enfermé dans la logique de l’époque de la société esclavagiste.

Le monothéisme véritable ne se focalise pas sur une rétribution future, mais sur une rétribution immédiate, car il relève d’une époque où s’affirme la conscience personnelle. Le protestantisme est à ce titre le monothéisme le plus achevé, car c’est dans la conscience de chaque personne livrée à elle-même, angoissée, que se joue ce qui, dans les monothéismes imparfaits, se joue après la mort seulement.

La sourate Les croyants est exemplaire de l’approche rétributive qu’on trouve dans tout le Coran. Ceux qui se soumettent iront au Paradis – Islam veut dire soumission, le musulman est le soumis – et ceux qui ne se soumettent pas iront en enfer.

102. Ceux dont la balance est lourde seront les bienheureux ;

103. et ceux dont la balance est légère seront ceux qui ont ruiné leurs propres âmes et ils demeureront éternellement dans l’Enfer.

104. Le feu brûlera leurs visages et ils auront les lèvres crispées.

Cette question de la rétribution est fondamentale, car elle montre comment le Coran forme un Dieu monothéiste pour un public qui relève d’un mode de production esclavagiste. Dieu, plutôt que lointain, se doit bien au contraire d’être un juge toujours aux aguets.

Un tel Dieu était inévitable de par la construction de l’Islam comme monothéisme par Mahomet, poète tentant de conjuguer les forces en présence pour effectuer un saut idéologique.

Le prologue du Coran insiste bien sur cette dimension rétributive lorsqu’il qualifie Dieu de « Maître du Jour de la rétribution » :

1. Au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux.

2. Louange à Allah, Seigneur de l’univers.

3. Le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux,

4. Maître du Jour de la rétribution.

5. C’est Toi [Seul] que nous adorons, et c’est Toi [Seul] dont nous implorons secours.

6. Guide-nous dans le droit chemin,

7. le chemin de ceux que Tu as comblés de faveurs, non pas de ceux qui ont encouru Ta colère, ni des égarés.

On a ici quelque chose d’essentiel, qui explique pourquoi dès la mort de Mahomet, les musulmans vont se diviser, l’Islam connaissant ensuite dans tout son parcours d’innombrables scissions et factionnalismes.

Contrairement aux apparences, l’Islam n’est pas une révélation aboutie, avec tout clef en main. Le Coran se situe dans une époque où Mahomet, un géant, a synthétisé quelque chose et ce quelque chose est le passage des Arabes à l’idéologie féodale.

Le Coran, écrit sur plus de vingt ans, s’adresse donc aux Arabes à un moment donné, faisant des reproches calibrés pour des situations très précises et en fait toute l’œuvre est remplie de récriminations, de rejets.

Le Coran est censé être un message de Dieu, un message éternel, mais en pratique il est toujours contextuel, avec un combat contre ceux qui ne se plient pas à l’initiative de Mahomet.

La sourate Le pèlerinage souligne le rigorisme de la sélection qu’on trouve dans tout le Coran :

8. Or, il y a des gens qui discutent au sujet d’Allah sans aucune science, ni guide, ni Livre pour les éclairer,

9. affichant une attitude orgueilleuse pour égarer les gens du sentier d’Allah. A lui l’ignominie ici-bas; et Nous Lui ferons goûter le Jour de la Résurrection, le châtiment de la fournaise.

La rétribution n’est donc pas à comprendre comme bons points et mauvais points en général, même si c’est en apparence cela, mais comme affirmation d’un drapeau, avec le mérite ou la punition selon le rapport qu’on a à celui-ci.

Cela témoigne de la nature forcée de l’Islam, de la dimension artificielle – mais géniale – de Mahomet. Et la preuve de cela, c’est que pour obtenir le monothéisme désiré, Mahomet devait inévitablement organiser les Arabes militairement afin d’établir un féodalisme par en haut, aux dépens des peuples voisins.

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L’organisation du monde selon le Coran : le monothéisme

Le Dieu du Coran est interventionniste. Il n’est pas seulement le Dieu créateur de l’univers – bien qu’il le soit aussi, comme dans tous les monothéismes. Il est également le Dieu qui porte le mouvement du monde, du moins dans ses traits fondamentaux et là on rejoint clairement la vision polythéiste-animiste du monde.

Le polythéisme animiste a, effectivement, une obsession : l’équilibre d’un monde en mouvement, la quête de stabilité. Dans le monothéisme, par contre, le monde est posé, tout est stabilisé par le monothéisme.

La Genèse du judaïsme et du christianisme permet, chez les Juifs et les chrétiens, de placer la naissance du monde bien avant soi, et de prendre le monde tel quel. Ce monde tourne d’ailleurs de lui-même ; Dieu est partout, mais il n’est également nulle part.

Le judaïsme est ici bien moins avancé que le christianisme, car ses rites sont encore très clairement liés aux différents épisodes de l’année, telles les récoltes. Dans le christianisme la liaison avec les phénomènes terrestres est tendanciellement coupée.

Le christianisme a réussi la coupure en faisant descendre Dieu sur Terre ; une fois cela fait, l’humanité devient le Dieu réel de la planète, du moins se l’imagine-t-elle ; auparavant il était un participant d’une réalité instable.

L’Islam se veut dans une même perspective, il se définit comme le vrai prolongement du judaïsme et du christianisme, qui auraient été modifiés de manière impropre. Mais de manière notable, le Coran est de son côté particulièrement lyrique quant à l’univers.

Miniature persane montrant Mahomet arrivant à La Mecque, 16e siècle

Mahomet insiste de manière à la fois marquée et lyrique sur l’organisation du monde et l’émerveillement qu’il faut éprouver. C’est tellement vrai que même Dieu, chose absurde, souligne la solennité qu’il y a à ce qu’il jure sur l’agencement des étoiles. C’est là une synthèse forcée entre un Dieu suprême et le polythéisme monothéiste.

On a, dans les faits, avec Mahomet, un caravanier qui s’extasie et une telle extase est absolument typique de l’animisme. Le monothéisme est normalement sec, par contre ; il ne considère pas que les choses « vibrent ». Chez Mahomet, le monothéisme musulman conserve la « charge » polythéiste animiste – d’où les vagues de conversions massives dans de nombreuses zones polythéistes animistes, notamment en Inde, en Indonésie, en Afrique.

Mahomet est ainsi un monothéiste qui, à l’instar du polythéisme animiste, regarde le cheminement des étoiles, donne un sens au mouvement du vent, observe avec attention le mouvement des nuages.

« Portrait » de Mahomet, Histoire générale de la religion des Turcs du Français Michel Baudier, 1625

Pour formuler la chose scientifiquement, il faut dire les choses de la manière suivante : la quantité et la qualité se disposent différemment dans le polythéisme animiste et le monothéisme.

Dans le polythéisme animiste, la tension est permanente, on porte de l’attention à tout, la qualité est dans la quantité, on est dans l’obsession, dans l’anxiété.

Dans le monothéisme, la tension est étalée, on ne porte son attention que sur un Dieu lointain, la quantité est dans la qualité ; on est dans l’angoisse.

Mahomet s’évertue à combiner les deux formes, à exprimer un monothéisme, dont la base est polythéiste-animiste. Tout « parle ». Dans la sourate « L’Agenouillée », on lit au début :

1. Ha, Mim.

2 La révélation du Livre émane d’Allah, le Puissant, le Sage.

3 Il y a certes dans les cieux et la terre des preuves pour les croyants.

4 Et dans votre propre création, et dans ce qu’Il dissémine comme animaux, il y a des signes pour des gens qui croient avec certitude.

5 De même dans l’alternance de la nuit et du jour, et dans ce qu’Allah fait descendre du ciel comme subsistance [pluie] par laquelle Il redonne la vie à la terre une fois morte, et dans la distribution des vents, il y a des signes pour des gens qui raisonnent.

Le monothéisme supprime les signes, même s’il n’a jamais réussi à entièrement le faire, cherchant néanmoins au moins à les limiter, à leur donner une valeur uniquement visible et compréhensive par les prophètes, les Saints ou le clergé.

Le polythéisme animiste vit par contre dans le culte des signes. L’univers étant en mouvement permanent, tout est signe, tout le temps et partout. L’affrontement entre l’équilibre et le déséquilibre est ininterrompu, d’où la nécessité de célébrer tel ou tel dieu, de pratiquer des sacrifices afin de pousser les choses dans une direction ou dans une autre.

Mahomet attribue tous les signes à un seul Dieu. Toutefois, il accorde une valeur à ces signes exactement comme dans le polythéisme animiste. Dans le Coran, on a la même visibilité, le même type de monde où les signes sont partout, tout le temps et témoignent de la « vie » interne de l’univers. D’ailleurs, chaque scansion du Coran, que l’on appelle improprement « verset » en français, constitue selon la langue arabe du Coran un Aya c’est-à-dire un signe. Le Coran est en fait en tant que tel, une succession de signes compilés les uns à la suite des autres.

D’où une nécessité fondamentale pour le Coran : mettre en avant un Dieu qui surveille et punit, tout le temps. Ce n’est pas un Dieu jaloux regardant de loin comme dans le judaïsme ou un Dieu absent dont la présence se fait par un « Fils » qui l’incarne sur Terre comme dans le christianisme.

Le Dieu du Coran est un dieu polythéiste-animiste qui assume le rôle du Dieu monothéiste, il est particulièrement présent, afin de surveiller la perpétuation du « dépôt », comme le formule la sourate Les coalisés dans un verset capital pour saisir l’essence de l’Islam :

72. Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant.

73. [Il en est ainsi] afin qu’Allah châtie les hypocrites, hommes et femmes, et les associateurs et les associatrices, et Allah accueille le repentir des croyants et des croyantes. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.

Cette conception d’un « dépôt » est essentielle ; elle correspond à une exigence qui est celle de l’animisme polythéiste, car il s’agit de « maintenir » l’ordre cosmique. Dans le monothéisme développé, l’ordre est posé ; dans le Coran, il est de type animiste-polythéiste, mais supervisé par un Dieu unique qui distribue bons et mauvais points.

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L’obsession du Coran pour les ténèbres et la lumière

Les premiers humains vivaient dans des conditions très difficiles ; sortis de l’état de nature, ils affrontaient la faim, la soif, le froid. Leurs carences étaient inévitablement immenses, alors que l’agriculture et la domestication ne s’étaient pas suffisamment développées et leur cerveau en développement ressentait les chocs de la vie courante avec une immense amplitude.

Les délires provoqués par les carences étaient interprétés comme une attaque du « mal », des forces de l’obscurité, tout comme l’utilisation de drogues naturelles devait permettre de ressentir au maximum la joie, la lumière apportant la visibilité et la chaleur.

Toutes les religions primitives insistent pour cette raison sur l’opposition entre l’obscurité et la lumière, la mort et la vie, deux forces allant ensemble et en lutte ininterrompue.

Le Coran s’appuie sur le même schéma, très exactement ; il est parsemé d’opposition entre la lumière et l’obscurité. Les versets les plus représentatifs se trouvent dans la sourate Le Créateur :

19 L’aveugle et celui qui voit ne sont pas semblables,

20 ni les ténèbres et la lumière,

21 ni l’ombre et la chaleur ardente.

Néanmoins, on retrouve l’insistance sur le conflit obscurité-lumière dans toute l’œuvre ; voici des titres de sourates exprimant la perspective de Mahomet sur ce plan : « La caverne », « Les lumières », « L’étoile », « La lune », « Les constellations », « L’astre du soir », « L’aube », « Le soleil », « La nuit », « La clarté du jour », « L’aube naissante ».

Cette dernière sourate est très courte et parfaitement représentative :

1 Dis : « Je cherche protection auprès du Seigneur de l’aube naissante,

2 contre le mal des êtres qu’Il a créés,

3 contre le mal de l’obscurité quand elle s’approfondit,

4 contre le mal de celles qui soufflent [les sorcières] sur les nœuds,

5 et contre le mal de l’envieux quand il envie. »

L’approche est littéralement polythéiste-animiste. Il faut de l’aide pour ne pas être happé par l’obscurité, c’est-à-dire au sens le plus large toute la souffrance qu’a éprouvé l’humanité au début de son existence, alors qu’elle n’avait pas encore réussi à trouver les moyens de transformer suffisamment la réalité au moyen du travail.

On parle ici d’une période terriblement longue, où l’être humain n’est plus un animal, sans disposer pour autant de moyens de satisfaire à ses besoins. En fait, cette période ne cessera au sens strict qu’avec le communisme.

Mahomet formule une religion qui date, sur le plan idéologique, du mode de production féodal, sauf que lui-même vit au sein d’une mode de production esclavagiste, et encore, peu développé. C’est la contradiction au cœur de l’Islam.

D’où son discours conforme au polythéisme animiste, avec une « vie » interne de l’univers qui implique un conflit ininterrompu entre l’obscurité et la lumière.

Mahomet recevant le Coran de Gabriel vu par l’oeuvre persane Histoire du Monde, 1307

Dans le monothéisme, on a déjà un mode de production esclavagiste avancé, mûr pour son effondrement et il n’y a plus la bataille pour la survie à travers les carences alimentaires au point d’avoir des individus délirants, des visions, etc., même si cela reste bien entendu à relativiser, car on sait comment le moyen-âge a connu des périodes de famine, d’hystérie collective, alors que de toutes façons les paysans vivaient misérablement, ce qui a totalement été oublié.

Mahomet veut le monothéisme ; il se situe dans une période donnée, mais entend vivre dans une autre période ; il valorise d’autant plus Dieu comme capable de résoudre le conflit obscurité-lumière typique des débuts de l’humanité.

On lit dans la sourate La lumière :

35. Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient.

Mahomet explique que c’est grâce à Dieu que la lumière l’emporte et s’il est capable de le faire et d’être compris, c’est bien qu’il y en a la possibilité à la base chez les Arabes alors, au moins partiellement.

Si Mahomet est en mesure de prétendre que l’alternance des jours et des nuits est ordonnée, alors les Arabes ont dépassé la période si longue où l’humanité craignait que le soleil ne revienne pas.

Ce qui a accompagné et suivi historiquement cette peur, c’est l’astronomie : les peuples anciens ayant réussi à établir une civilisation se sont précipités dans l’observation des astres et de leurs mouvements, avec un travail acharné.

De la fascination pour le soleil et la peur qu’il ne revienne pas jusqu’à l’astronomie, il y a une immense étape, puis encore une immense étape jusqu’au monothéisme.

Et Mahomet part d’un point très en arrière pour aller très en avant, là est la clef du Coran ; il joue le rôle de catalyseur historique, d’où le jeu dans le Coran sur le soleil et la lune, et les étoiles.

Le polythéisme animiste consistait en la bataille permanente – au moyen des prières, des sacrifices – pour faire revenir la lumière, pour maintenir à distance relative l’obscurité. Et Mahomet vient annoncer que Dieu, le Dieu unique, Allah, est là pour maintenir la lumière.

On lit dans la sourate Ya-Sin :

36. Louange à Celui qui a créé tous les couples de ce que la terre fait pousser, d’eux-mêmes, et de ce qu’ils ne savent pas !

37. Et une preuve pour eux est la nuit. Nous en écorchons le jour et ils sont alors dans les ténèbres.

38. et le soleil court vers un gîte qui lui est assigné ; telle est la détermination du Tout-Puissant, de l’Omniscient.

39. Et la lune, Nous lui avons déterminé des phases jusqu’à ce qu’elle devienne comme la palme vieillie.

40. Le soleil ne peut rattraper la lune, ni la nuit devancer le jour ; et chacun vogue dans une orbite.

La question n’est pas ici qu’en réalité le soleil ne trouve pas un « gîte » ou bien que la lune se rétrécisse réellement, ou encore que le soleil et la lune se courent après. Encore que cela est important, car on a ici des approches qui relèvent clairement du polythéisme animiste.

Ce qui compte ici comme aspect principal, c’est l’intérêt pour le soleil et la lune, exprimé comme inquiétude que le soleil ne revienne pas, avec Allah comme solution.

Pour en revenir à la question de l’astronomie, il y a même une sourate nommée Les constellations, c’est-à-dire les signes du zodiaque et commençant par :

1 Par le ciel aux constellations !

2 Et par le jour promis !

On est ici tellement dans un cadre polythéiste animiste que, de manière absurde, dans la sourate L’Évènement, Dieu… « jure » dans le Coran et le fait « par les positions des étoiles ».

68 Voyez-vous donc l’eau que vous buvez?

69 Est-ce vous qui l’avez fait descendre du nuage ? Ou [en] sommes Nous le descendeur?

70 Si Nous voulions, Nous la rendrions salée. Pourquoi n’êtes-vous donc pas reconnaissants?

71 Voyez-vous donc le feu que vous obtenez par frottement?

72 Est-ce vous qui avez créé son arbre ou [en] sommes Nous le Créateur?

73 Nous en avons fait un rappel (de l’Enfer), et un élément utile pour ceux qui en ont besoin.

74 Glorifie donc le nom de ton Seigneur, le Très Grand !

75 Non !.. Je jure par les positions des étoiles (dans le firmament).

76 Et c’est vraiment un serment solennel, si vous saviez.

77 Et c’est certainement un Coran noble,

78 dans un Livre bien gardé

79 que seuls les purifiés touchent ;

80 C’est une révélation de la part du Seigneur de l’Univers.

Le Dieu du Coran est là pour rattraper le monothéisme, mais il n’est pas issu d’une situation donnant naissance de manière « naturelle » au monothéisme.

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Le fond polythéiste animiste du Coran: les étoiles

L’humanité primitive célébrait les étoiles, le soleil et la lune ; outre le soleil et la lune, les étoiles sont un thème essentiel du Coran. Le début de la Sourate La royauté est exemplaire de leur valorisation.

1 Béni soit celui dans la main de qui est la royauté, et Il est Omnipotent.

2 Celui qui a créé la mort et la vie afin de vous éprouver (et de savoir) qui de vous est le meilleur en œuvre, et c’est Lui le Puissant, le Pardonneur.

3 Celui qui a créé sept cieux superposés sans que tu voies de disproportion en la création du Tout Miséricordieux. Ramène [sur elle] le regard. Y vois-tu une brèche quelconque ?

4 Puis, retourne ton regard à deux fois : le regard te reviendra humilié et frustré.

5 Nous avons effectivement embelli le ciel le plus proche avec des lampes [des étoiles] dont Nous avons fait des projectiles pour lapider les diables et Nous leur avons préparé le châtiment de la Fournaise.

Dans la sourate Les Rangées, on a pareillement les étoiles filantes comme « projectiles ».

1. Par ceux qui sont rangés en rangs.

2. Par ceux qui poussent (les nuages) avec force.

3. Par ceux qui récitent, en rappel :

4. « Votre Dieu est en vérité unique,

5. le Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui existe entre eux et Seigneur des Levants ».

6. Nous avons décoré le ciel le plus proche d’un décor : les étoiles,

7. afin de le protéger contre tout diable rebelle.

8. Ils ne pourront être à l’écoute des dignitaires suprêmes [les Anges] ; car ils seront harcelés de tout côté,

9. et refoulés. Et ils auront un châtiment perpétuel.

10. Sauf celui qui saisit au vol quelque [information]; il est alors pourchassé par un météore transperçant. »

Les étoiles, dans le Coran, sont donc ces projectiles contre les démons et également un guide pour voyager en tant que moyen de se repérer. On a ici une séparation entre le monde invisible et le monde visible qui relève résolument du polythéisme animiste.

Dans le monothéisme, en effet, le monde est ce qu’il est ; les forces du mal sont un arrière-plan, une contre-tendance à la création, mais il n’y a pas de bataille perpétuelle entre le bien et le mal afin d’avoir le dessus au moment présent.

Avec les étoiles filantes, particulièrement visibles dans le désert, on a un phénomène marquant qui n’est pas mis de côté par le Coran comme peut le faire un monothéisme : il se voit attribuer une signification grandiose.

Cela s’associe à l’insistance de Mahomet pour dire que Dieu « règle » le monde. Il faut revenir sur cet aspect, afin de bien voir comment Mahomet enchevêtre le polythéisme animiste et le monothéisme.

Dans la sourate Les versets détaillés, il est proclamé la chose suivante ;

9 Dis: « Renierez-vous [l’existence] de celui qui a créé la terre en deux jours et Lui donnerez-vous des égaux ? Tel est le Seigneur de l’univers,

10 c’est Lui qui a fermement fixé des montagnes au-dessus d’elle, l’a bénie et lui assigna ses ressources alimentaires en quatre jours d’égale durée. [Telle est la réponse] à ceux qui t’interrogent.

11 Il S’est ensuite adressé au ciel qui était alors fumée et lui dit, ainsi qu’à la terre: « Venez tous deux, bon gré, mal gré. » Tous deux dirent: « Nous venons obéissants. »

12 Il décréta d’en faire sept cieux en deux jours et révéla à chaque ciel sa fonction. Et Nous avons décoré le ciel le plus proche de lampes [étoiles] et l’avons protégé. Tel est l’Ordre établi par le Puissant, l’Omniscient.

Dieu s’adresse à la terre et au ciel… avant qu’ils existent. Cela n’a pas de sens, et on voit bien comment le Dieu du Coran est en fait une force bien plus organisatrice que créatrice.

Si on comprend cela, alors il est facile de voir pourquoi Mahomet fait des étoiles filantes des missiles anti-démons. C’est que tout est réglé : le cours des choses, depuis les animaux jusqu’aux étoiles, en passant par l’alternance du jour et de la nuit.

S’il se déroule un événement hors-norme, c’est qu’il a une fonction hors-norme.

Et c’est là la base du Coran, qui est un incessant appel à bien se comporter, à suivre l’ordonnancement du monde par Allah. L’être humain existe ici sur le même plan que toutes les autres choses, car on est dans l’approche du polythéisme animiste.

D’où ces paroles de la sourate Le pèlerinage :

18 N’as-tu pas vu que c’est devant Allah que se prosternent tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les montagnes, les arbres, les animaux, ainsi que beaucoup de gens ?

Il y en a aussi beaucoup qui méritent le châtiment. Et quiconque Allah avilit n’a personne pour l’honorer, car Allah fait ce qu’il veut.

Mais pour arriver à comprendre pourquoi le Coran consiste en cet appel à se comporter adéquatement avec l’ordre divin, il faut d’abord se tourner vers l’obsession pour les ténèbres et les lumières, là encore un trait polythéiste animiste.

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Le fond polythéiste animiste du Coran: le soleil et la lune

Mahomet vit dans une société datant d’avant le monothéisme. C’est un cadre polythéiste animiste, mais lui-même connaît le christianisme, ainsi que le judaïsme, dont plusieurs courants étaient actifs dans la région. Il veut se tourner vers le monothéisme, mais le cadre arabe ne le permet pas.

Il va alors provoquer une onde de choc en formulant le monothéisme de nature féodale à travers le polythéisme animiste de type semi-esclavagiste. Pour que son entreprise réussisse, il doit toutefois conserver la dimension polythéiste animiste.

Comment repérer cela dans le Coran ? C’est simple : le polythéisme animiste parle d’un monde vivant, multiforme ; le monothéisme pose un cadre sans mouvement, avec un dieu statique.

Or, dans le Coran, on ne cesse de parler des choses comme étant en mouvement. Ce n’est pas seulement que Dieu a créé l’univers de manière ordonnée : on peut voir qu’il est en même temps dit que Dieu ramène l’ordre. Il y a ici une incohérence, due à la contradiction entre le polythéisme animiste et le monothéisme.

Ces versets de la sourate Le tonnerre sont ici exemplaires :

2 Allah est Celui qui a élevé [bien haut] les cieux sans piliers visibles. Il S’est établi [istawâ] sur le Trône et a soumis le soleil et la lune, chacun poursuivant sa course vers un terme fixé. Il règle l’Ordre [de tout] et expose en détail les signes afin que vous ayez la certitude de la rencontre de votre Seigneur.

3 Et c’est Lui qui a étendu la terre et y a placé montagnes et fleuves. Et de chaque espèce de fruits Il y établit deux éléments de couple. Il fait que la nuit couvre le jour. Voilà bien là des preuves pour des gens qui réfléchissent.

D’un côté, dans le verset 3, Dieu est le créateur. Mais dans le verset 2, Dieu est clairement celui qui met de l’ordre : il soumet le soleil et la lune, il règle l’Ordre et expose les signes qu’on est certain de trouver, ce qui implique qu’ils soient partout.

Le verset 3 relève du monothéisme, le verset 2 exprime clairement un point de vue polythéiste animiste. Normalement, dans le polythéisme animiste, le Dieu suprême n’ordonne pas le monde : il est un dieu impersonnel constituant en l’univers lui-même, univers où s’activent les dieux personnels.

Ici, Mahomet lui attribue une fonction, celle d’ordonner. Cela sonne étrangement et on a bien l’impression qu’on a un dieu personnel du polythéisme animiste qui se voit prendre une place suprême.

En fait, comme dans le judaïsme qui est un monothéisme non totalement abouti, on a la figure de Dieu comme « roi », comme grand ordonnateur. On n’a pas un Dieu absolu et total, comme le prétend l’Islam, bien au contraire : dans le Coran, on a un Dieu roi interventionniste.

Mahomet représenté sur une illustration ottomane du 17e siècle

Le thème de la soumission du soleil et de la lune n’est pas anecdotique, il est très révélateur puisque les dieux du soleil et de la lune sont traditionnellement de grande importance dans le polythéisme animiste.

Le Dieu du Coran a en fait soumis les dieux du soleil et de la lune, c’est ainsi qu’il faut le comprendre. Mais on reste paradoxalement dans le polythéisme animiste, car on a encore le soleil et la lune comme thème.

Voici un autre exemple, qu’on trouve dans la sourate Le Créateur :

13 Il fait que la nuit pénètre le jour et que le jour pénètre la nuit. Et Il a soumis le soleil et la lune. Chacun d’eux s’achemine vers un terme fixé. Tel est Allah, votre Seigneur : à Lui appartient la royauté, tandis que ceux que vous invoquez, en dehors de Lui, ne sont même pas maîtres de la pellicule d’un noyau de datte.

Un passage très connu du Coran, qu’on trouve dans la sourate La lune, concerne également la lune :

1. L’Heure approche et la lune s’est fendue.

Le miracle de la lune fendue est de grande importance dans l’Islam ; elle est censée être une preuve de la révélation faite par Mahomet. En réalité, cette insistance lunaire relève du polythéisme animiste et, d’ailleurs, le symbole de l’Islam, le croissant lunaire et l’étoile de Vénus, est un symbole qu’on trouve dans l’antiquité babylonienne et égyptienne.

Le soleil et la lune de l’Islam témoignent de l’intégration forcée du polythéisme animiste dans le monothéisme, au moyen du Coran comme synthèse naturaliste du monde.

La naissance de Mahomet vu par l’oeuvre ottomane Histoire du prophète, fin du 16e siècle

Dans la sourate Les bestiaux, on trouve d’ailleurs littéralement la preuve que le culte des étoiles, du soleil et de la lune a été remplacés par un Dieu « statique » ; c’est tellement flagrant qu’il est étrange que les commentateurs bourgeois aient raté ce qui se pose comme une évidence historique.

75 Ainsi avons-Nous montré à Ibrahim (Abraham) le royaume des cieux et de la terre, afin qu’il fût de ceux qui croient avec conviction.

76 Quand la nuit l’enveloppa, il observa une étoile, et dit: « Voilà mon Seigneur ! » Puis, lorsqu’elle disparut, il dit: « Je n’aime pas les choses qui disparaissent. »

77 Lorsqu’ensuite il observa la lune se levant, il dit: « Voilà mon Seigneur ! » Puis, lorsqu’elle disparut, il dit: « Si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des gens égarés. »

78 Lorsqu’ensuite il observa le soleil levant, il dit: « Voilà mon Seigneur ! Celui-ci est plus grand » Puis lorsque le soleil disparut, il dit: « Ô mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah.

79 Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé (à partir du néant) les cieux et la terre; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés. »

Dans la même sourate, on lit par ailleurs un peu plus loin :

95 C’est Allah qui fait fendre la graine et le noyau : du mort il fait sortir le vivant, et du vivant, il fait sortir le mort. Tel est Allah. Comment donc vous laissez-vous détourner ?

96 Fendeur de l’aube, Il a fait de la nuit une phase de repos ; le soleil et la lune pour mesurer le temps. Voilà l’ordre conçu par le Puissant, l’Omniscient.

97 Et c’est Lui qui vous a assigné les étoiles, pour que, par elles, vous vous guidiez dans les ténèbres de la terre et de la mer. Certes, Nous exposons les preuves pour ceux qui savent !

Cette réduction des étoiles à un moyen de se guider reflète la position primitive du caravanier, cependant c’est aussi une manière de masquer, comme pour le soleil et la lune, le caractère polythéiste-animiste du thème des étoiles, également omniprésent dans le Coran.

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Mahomet et le Coran: un rattrapage tendant au féodalisme

Les modes de production ne sont pas séparés par une muraille de Chine ; l’Histoire avance par couches contradictoires, où tout s’entremêle, même s’il y a une tendance principale. Dans le cheminement inégal de l’Histoire, on a un bédouin qui s’est retrouvé à l’intersection de plusieurs de ces couches.

Vivant parmi les clans, dans un environnement esclavagiste peu développé et tourné vers le commerce régional, Mahomet a été frappé par la vague monothéiste qui a suivi l’émergence du christianisme.

Il a vécu en lui une contradiction : il a voulu un Dieu unique, mais ce qui l’entourait relevait de l’animisme polythéiste et il n’y avait pas de force unificatrice capable de transcender les divisions pour porter une certaine unité.

C’est là où son rêve de Dieu unique s’est confondu avec le regroupement des tribus arabes. Une idéologie extérieure s’alignait sur une situation interne – en contrecoup les Arabes passaient d’un esclavagisme arriéré au féodalisme, qu’il fallait par contre alimenter à coups de conquêtes.

Le développement inégal produisait avec Mahomet une nouvelle couche s’intercalant entre les autres couches historiques.

Page du Coran en script maghribi, 13e ou 14e siècle

C’est pourquoi Mahomet et le Coran semblent sortir de nulle part, et son peuple, les Arabes, semblent pareillement faire une irruption subite, inattendue, victorieuse qui plus est. En quelques siècles, l’Islam acquiert un prestige immense et les Arabes passent au cœur d’une civilisation à cheval sur trois continents : l’Europe, l’Afrique, l’Asie.

Ce qui semble mystérieux possède en réalité une nature qualitative de grande envergure. Mahomet a fait un pari humain incroyable, et il l’a réussi. Voici quelle a été son entreprise. L’époque où il vit est celle où les Arabes vivent en clans de manière arriérée. Leur religion est un polythéisme animiste, où chaque clan a son dieu de prédilection, les dieux s’empilant à La Mecque.

On est ici dans un cadre patriarcal traditionnel, nécessairement semi-esclavagiste mais où tout est éparpillé, divisé, sans unité. Dans l’Islam, on appelle jahiliyya, « l’époque de l’ignorance », cette période précédant Mahomet.

Cependant, la clef est précisément à ce niveau. Il ne faut pas croire que Mahomet ait rompu avec la période précédente, pour apporter une nouvelle loi. En réalité, il est une figure historique du plus haut niveau, car il combine justement le polythéisme animiste avec le monothéisme, en faisant en sorte de « sauter » toutes les étapes intermédiaires.

C’est de là que vient la charge incroyable de l’Islam. Quand on lit le Coran, on est frappé de l’incohérence continue qu’on y trouve. Il y a une célébration des étoiles et en même temps un appel à l’unicité divine la plus complète. Il y a des avertissements ininterrompus et violents sur les châtiments de l’enfer et en même temps une véritable poésie naturaliste.

Toute la contradiction interne de l’Islam se trouve justement dans la figure de Mahomet, d’où son immense prestige. Il a assumé la dimension polythéiste animiste pré-islamique et, sans la supprimer ni la dépasser, l’a intégré dans le monothéisme.

Coran écrit en Kufi doré sur du vélin teint à l’indigo, 10e siècle

Il n’y avait qu’un seul moyen pour cela : prétendre compiler l’univers entier dans un livre, dont les formules seraient non seulement de Dieu, mais coexistantes à Dieu de toute éternité. Le Coran est inséparable de Dieu, et Dieu du Coran.

La raison est que tout l’équilibre de l’Islam tient dans la contradiction productive entre le naturalisme généralisé propre au polythéisme animiste et une démarche juridique-moraliste relevant du monothéisme.

Il faut en effet bien avoir en tête que si le polythéisme animiste est un matérialisme naturaliste, il s’exprime à travers un mode de production esclavagiste propice aux débordements meurtriers et à la logique du sacrifice. Le monothéisme présente ici une amélioration, un ordonnancement des mœurs en même temps qu’une proposition universelle unificatrice permettant de dépasser l’horizon borné de l’organisation sociale en tribus.

La force de Mahomet, c’est d’avoir conservé la fascination magique pour l’univers pour l’intégrer dans un monothéisme rigoureux. C’est comme si un philosophe aztèque avait entendu parler du christianisme des Espagnols présents à Cuba avant l’invasion des conquistadors, et avait tenté une vaste réforme en poussant de force la religion aztèque dans un strict monothéisme rigoureux.

Manuscrit andalou du Coran, 12e siècle

Il faut toutefois être ici plus précis. Mahomet ne connaît en effet pas simplement de loin le monothéisme. Bien au contraire même, il connaît très bien le judaïsme et le christianisme ; dans tout le Coran, on trouve des références à ces religions et Mahomet y puise même son inspiration.

Un verset du Coran, de la sourate « Le repentir », dit par exemple :

30 Les Juifs disent: « ‘Uzayr est fils d’Allah » et les Chrétiens disent: « Le Christ est fils d’Allah. » Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! Comment s’écartent-ils (de la vérité) ?

Certes, le judaïsme n’a jamais considéré qu’un homme était fils de Dieu ; il s’agit ici fort vraisemblablement d’un écho d’un ouvrage apparu au 1er siècle, L’apocalypse d’Esdras, censé raconter les « visions » de celui qui a dirigé la sortie de l’exil de Babylone. La connaissance par Mahomet des religions chrétiennes et juives était donc élémentaire et pénétrée d’éléments hétérodoxes mais existant probablement dans son environnement immédiat.

C’est là une preuve de la connaissance par Mahomet des textes religieux circulant à l’époque et si on ne connaît pas suffisamment leur influence, on a suffisamment d’aperçu en termes de tendance historique pour voir de quoi il en retourne pour le Coran.

De la même manière, il faut justement prendre des distances avec Mahomet comme unique auteur du Coran. D’une part, on sait que les versets des sourates du Coran ont été révélés sur plus de vingt ans. Ils sont le fruit d’une longue évolution, d’une sorte de synthèse de la situation historique.

Preuve de cela très connue, il y a des corrections faites en 24 heures par Mahomet lui-même, lorsqu’il affirma que Satan lui avait fait prononcer des paroles incorrectes lors de la sourate L’Étoile, afin de modifier une alliance temporaire.

Surtout, il y a la mise à l’écrit et l’organisation interne du Coran qui datent d’après la mort de Mahomet, dans un contexte de guerre civile musulmane. Il est probable ici qu’il y ait eu des modifications, des ajouts et des retraits, et on sait que des versions alternatives du Coran ont été détruites à l’époque.

Le Coran est donc un outil historique pour les Arabes, dont la constitution a duré plusieurs décennies, dont on sait peu de choses avec certitude et c’est uniquement vers sa substance qu’il faut se tourner.

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Le matérialisme dialectique et le caractère national-universel de la révolution socialiste

Le matérialisme dialectique insiste sur la contradiction comme produit du passé et de l’avenir. Les contradictions ne sont pas le fruit d’une accumulation d’antagonismes en boule de neige dans le passé. Elles sont une réalité perpétuelle, avec de multiples couches en interaction.

Pour cette raison, connaître le présent ne se fait pas qu’en lisant le passé, mais également en saisissant l’avenir. Il y a des tendances historiques rendant des phénomènes inéluctables ; si on les comprend, on est capable de lire ce qui va se passer. Naturellement, les modalités ne peuvent pas être devinées précisément ; on a néanmoins le cadre général.

Il y a ici un aspect qui joue fondamentalement pour la question de la révolution socialiste. Initialement, avec le marxisme, il était pensé que toutes les révolutions seraient grosso modo de même nature. Avec le léninisme, le cadre national a été reconnu dans ses spécificités. Le maoïsme a approfondi la compréhension de ses spécificités.

Désormais, on est capable d’avoir une vue d’ensemble ; le matérialisme dialectique permet de lire la dialectique de l’Histoire, du passé et de l’avenir.

Lorsqu’il se produit une révolution socialiste, c’est l’expression de la contradiction entre la bourgeoisie et le prolétariat. Cependant, le prolétariat est une classe qui veut abolir les classes. En ce sens, le socialisme, où le capitalisme est dépassé, est déjà en rapport avec le communisme, société où le socialisme a triomphé et s’est généralisé à tous les domaines.

Cela veut dire qu’une révolution socialiste n’a pas qu’un rapport avec le passé, mais également avec l’avenir. Le prolétariat fait la révolution pour prendre le pouvoir, et en même temps, lorsqu’il le fait, il porte sa disparition en tant que classe.

En ce sens, une révolution socialiste dans un pays donné relève du particulier, puisqu’il s’agit d’une révolution dans un pays particulier. Mais ce particulier est en rapport avec l’universel, vu qu’il porte l’universel.

Cela veut dire que le cadre national dont on parle pour une révolution socialiste n’est pas un cadre national en tant qu’accumulation de phénomènes, d’expériences, etc. qu’il faudrait prendre en compte pour saisir les mentalités et s’y adapter pour être crédible.

Le cadre national dont on parle pour une révolution socialiste relève au contraire de l’universel, dans la mesure où il est particulier.

Dit différemment : lorsque toutes les révolutions socialistes ont eu lieu, tous les pays s’unissent dans une seule nation, qui alors n’est plus une nation, les particuliers devenant l’universel. S’il y a fusion, c’est que la fusion est possible et nécessaire, donc que ce qui fusionne, bien que particulier, porte en soi l’universel.

Donc: chaque peuple va apporter dans la grande fusion des choses qui lui sont propres, mais qui présentent un aspect humain universel. L’humanité, dans le communisme, retrouve par là sa complexité perdue en sortant de la Nature, mais avec un saut qualitatif. C’est cela qui lui permet également de revenir à la Nature, en tant qu’être social.

Et comme chaque peuple va apporter ce qu’il porte en particulier et qui sera universel, chaque révolution socialiste s’appuiera fondamentalement sur ce particulier, puisque la tendance est à l’universel.

Le cadre national n’est ici plus un arrière-plan, si on regarde simplement le passé. En regardant le futur, on voit que l’apport du cadre national va se maintenir, et que donc c’est un aspect du futur qui va se maintenir depuis le présent, et qui joue par conséquent un rôle essentiel.

Il ne s’agit donc pas que de prendre en compte le cours du passé : il faut avoir comme fil conducteur ce qui va se maintenir dans l’universel. On parle ici de ce que chaque peuple va apporter à l’humanité en fusion.

L’être humain nouveau, revenu à lui-même après son parcours comme animal dénaturé, va récupérer toutes les facettes de son existence réelle : c’est le sens des multiples parcours, des multiples sensibilités nationales.

Chaque nation a en fait développé une nuance, une différence de sensibilité relevant de l’être humain universel.

La révolution socialiste dans chaque pays porte donc un aspect national – mais ce qui joue, c’est ce qui se relie à l’universel. La révolution socialiste française ne sera française que dans la mesure où elle porte en elle la disparition de la France comme nation.

L’apport de la France, ce sera bien entendu l’esprit sceptique-critique, tout comme l’Angleterre apportera le flegme, la Russie la profondeur électrisée, l’Ukraine la profondeur brumeuse, la Pologne l’élan brumeux, la Tchéquie la bonhommie intelligente, la Suède l’introversion ouverte, la Finlande la détermination stoïque, la Corée le jeu de l’esprit, l’Inde la psychologie coordonnée, le Mexique la mise en scène, le Pérou le statique volontaire, la Turquie l’introspection engagée, l’Iran l’introspection cultivée, etc.

En fait, tout comme les débuts du capitalisme donnent naissance à la nation, la fin du socialisme y met un terme. Et les parcours nationaux ont été un gigantesque détour pour récupérer de manière approfondie la richesse humaine perdue lorsque l’être humain a cessé d’être naturel.

L’humanité unifiée ne formera plus une seule nation : le principe même de nation aura été dépassé. Les nuances et les différences trouveront alors une voie différente pour se produire et faire vivre la contradiction sur le plan culturel.

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Le PMD, forteresse révolutionnaire au cœur du nexus des première et seconde crises générales

Dans le processus révolutionnaire, on sait qu’il y a des phases dont Mao a bien éclairé les dynamiques à travers le schéma de défense stratégique, équilibre stratégique puis offensive stratégique. Dans ce schéma, il y a dialectiquement la dynamique au travers de l’offensive, puis contre-défense, contre-offensive, etc., dans un cheminement en spiral se prolongeant en continu jusqu’au Communisme.

Lorsqu’on prend du recul sur l’expérience menée dans le cadre de la Première crise générale, ouverte en 1917 puis terminée en 1989, on doit souligner un élément idéologique important pour notre époque.

À chaque intervalle historique qui s’est présenté comme « défense stratégique », un travail théorique spécifique a été fourni, non pas pour les tâches immédiates de la révolution, mais pour sa consolidation universelle. Cela formait la contre-offensive prolétarienne face à la contre-offensive bourgeoise, une sorte de contre-contre-offensive.

Lorsque Friedrich Engels publie son analyse sur la « Dialectique de la Nature » en 1883, cela prend place dans un contexte historique plutôt défavorable. On est sur les cendres de l’échec de la Commune de Paris, la première Internationale est explosée et la seconde non encore fondée, et les conditions politiques de la lutte en Allemagne sont particulièrement durcies avec les lois anti-socialistes prononcées en 1878 par Bismarck.

Avec une telle mise en avant de l’idéologie, le recul de la Révolution devient relatif, car elle continue sa lancée en consolidant ses fondations, dans un mouvement de reflet avec la pratique. En effet, la « Dialectique de la Nature » correspond à un contexte de répression, mais dans le même temps à la stabilisation d’un centre social-démocrate dont le noyau politique est affermi.

De la même manière, lorsque Lénine publie en 1908 « Matérialisme et Empiriocriticisme », la Révolution en Russie est confrontée à la « réaction stolypinienne », mais aussi à la solidification de la fraction majoritaire du parti social-démocrate de Russie. Le recul de la révolution devient là aussi relatif, car avec cet ouvrage sont battus en brèche les errements idéalistes et autres opportunismes idéologiques présents jusque dans le camp social-démocrate.

Ainsi n’y a-t-il pas de hasard au fait qu’historiquement « Matérialisme et Empiriocriticisme » soit placé en continuité avec « Dialectique de la Nature » d’Engels, dont le texte était inconnu de Lénine. Il avait en effet été récupéré par les révisionnistes de la social-démocratie allemande, qui avaient bien pris soin de le mettre de côté. Ce n’est qu’en 1925 qu’il fut republié par les communistes russes.

En réalité, il y a un processus d’enrichissement tel un escalier avec des marches qui se compilent pour atteindre toujours plus de hauteur de vue. C’est la raison pour laquelle on lit dans le fameux « Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchévik) », publié en 1938, que :

« Pour apprécier la portée immense de l’ouvrage [Matérialisme et Empiriocritisme] de Lénine dans l’histoire de notre Parti et comprendre quel trésor théorique Lénine a défendu contre toutes les espèces de révisionnistes et de dégénérés de la période de réaction stolypinienne, il est indispensable de prendre connaissance, ne fût-ce que sommairement, des principes du matérialisme dialectique et historique.

C’est d’autant plus nécessaire que le matérialisme dialectique et le matérialisme historique constituent le fondement théorique du communisme, les principes théoriques du Parti marxiste ; connaître ces principes, les assimiler est le devoir de tout militant actif de notre Parti.

Ainsi donc :

1° Qu’est-ce que le matérialisme dialectique ?

2° Qu’est-ce que le matérialisme historique ? »

S’en suit dans le « Précis », le grand classique « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » rédigé par Staline spécialement pour l’occasion. C’est au même moment, en 1937, que Mao rédigea « De la contradiction », classique qui, au-delà de protéger et défendre les acquis deviendra aussi un nouveau phare éclairant et approfondissant la compréhension matérialiste dialectique du monde.

À cette période, la Révolution mondiale doit également faire face au renforcement de la contre-révolution dans le cadre des régimes fascistes, et son allié objectif présent dans le camp révolutionnaire – le trotskysme – mais aussi à la stabilisation du premier État socialiste, avec l’URSS.

À chaque moment où la Révolution est sur la défensive, il se reflète inéluctablement des conceptions idéalistes, mécaniques, régressives au cœur même du camp révolutionnaire. Cela entraîne l’apathie et la démoralisation, comme le remarque le « Précis » de 1938 :

« La défaite de la révolution de 1905 avait porté la désagrégation et la décomposition parmi les compagnons de route de la révolution.

La décomposition et l’abattement moral étaient particulièrement graves parmi les intellectuels. Les compagnons de route qui étaient venus du milieu bourgeois dans les rangs de la révolution quand celle-ci prenait un impétueux essor, abandonnèrent le Parti dans les jours de réaction. (…)

L’offensive de la contre-révolution se poursuivit aussi sur le front idéologique.

On vit apparaître toute une kyrielle d’écrivains à la mode qui « critiquaient » et « exécutaient » le marxisme, bafouaient la révolution, la traînaient dans la boue, glorifiant la trahison, la débauche sexuelle au nom du « culte de la personne ».

Dans le domaine de la philosophie se multiplièrent les tentatives de « critiquer », de réviser le marxisme ; on vit également apparaître toute sorte de courants religieux couverts de prétendus arguments « scientifiques ». »

C’est la raison pour laquelle les quatre classiques cités précédemment forment, bien qu’à des moments différents, une seule et même vérité : celle de la réaffirmation des bases idéologiques de la Révolution dans un contexte marqué par l’abattement subjectif de ses forces.

Cela permet de temporiser la défense stratégique dans le sens où est affirmé le principe universel, scientifique, qui sous-tend la Révolution, et par conséquent de sauvegarder la subjectivité révolutionnaire. Et l’on sait combien la subjectivité révolutionnaire est la base motrice à la Révolution elle-même.

Il y a un prolongement et un enrichissement de « Dialectique de la nature » (1883) à « Matérialisme dialectique et matérialisme historique » (1938), en passant par « Matérialisme et empiriocritisme » (1908) et « De la contradiction » (1937). Le dernier mot « inversé » de la contre-contre-offensive révolutionnaire tient évidemment les écrits de la Grande Révolution culturelle Prolétarienne en Chine.

Entre 1883 et 1938 (mais aussi jusqu’en 1966), on se situe au cœur des premiers mouvements en spirale de la révolution (offensive, défensive, contre-offensive, etc.) dans le cadre de la première crise générale du capitalisme : les textes cités viennent affirmer et stabiliser des éléments théoriques considérés comme acquis de par une pratique antérieure.

On a là un travail de synthèse. Si on comprend justement cela, on voit que la mise en avant du Parti matérialiste dialectique (PMD) correspond à une situation historique évidente : celle du nexus entre la première crise générale et la seconde crise générale.

Dit autrement : la Révolution est en défense stratégique par rapport à la dynamique passée, mais tendanciellement à l’offensive par rapport au futur.

Il s’agit de correspondre à cette situation au plan général, dans l’affirmation idéologique elle-même pour contrer l’abattement, la démoralisation, affirmer l’offensive générale et l’optimisme révolutionnaire.

Il y a un besoin de ré-impulser la subjectivité révolutionnaire dans un contexte d’écrasement de la Révolution, non pas simplement conjoncturel telles les répressions bismarckienne, stolypinienne, hitlérienne, etc., mais de manière générale.

On parle ici d’une situation marquée par l’écrasement général de la première vague de la Révolution mondiale et la naissance des conditions pour le déploiement de la seconde vague.

Le PMD signifie précisément cette lecture des choses et s’intercale au cœur du nexus comme gardien du temple (celui des acquis du siècle précédent) et vecteur d’avant-garde du mouvement révolutionnaire futur.

C’est le sens de l’affirmation du PMD, car il apparaît dans un tel contexte historique qu’il y a besoin d’affirmer la vision du monde non plus seulement comme « base théorique » à l’engagement révolutionnaire pratique, mais comme l’engagement révolutionnaire lui-même, sa substance subjective même. L’époque le permet désormais.

Nous n’affirmons pas simplement la continuité des textes classiques précédemment cités, dans l’idée d’un héritage cumulatif, mais bien leur synthèse universelle, ou plutôt leur universalisation de manière synthétique.

Ce n’est pas une nouvelle marche dans l’escalier comme le furent les éléments théoriques précédents, mais l’arrivée sur un palier avant l’ascension d’un nouvel escalier.

Cela se matérialise par une nouvelle connexion cérébrale, synaptique avec une subjectivité développant une vision du monde totale, celle du matérialisme dialectique.

Le PMD, c’est l’expression révolutionnaire dans le nexus lui-même, et par cela-même il se doit de protéger et systématiser la vision du monde matérialiste dialectique tout en la prolongeant, car la révolution ne peut reculer que de manière relative. Qui ne le comprend pas se place d’emblée en dehors de la Révolution mondiale qui s’annonce.