La relecture : Orion et les pyramides égyptiennes et mésoaméricaines

Il faut conclure cette explication de l’émergence du monothéisme en soulignant que les découvertes ne vont plus cesser, l’humanité ayant progressé matériellement.

Mais le processus est semé d’embûches, comme en témoigne la question d’Orion.

La question est celle de pyramides égyptiennes et mésoaméricaines.

Leurs dispositions ont été choisies méticuleusement, afin de correspondre à un alignement céleste, du moins cela semble-t-il être le cas.

Ainsi, tout comme le swastika indique quatre directions, les pyramides de Khéops, de Khephren à Gizeh et la Pyramide rouge à Dahchour, soit les trois plus grandes pyramides égyptiennes, ont toutes leurs arêtes tournées précisément vers le Nord, l’Est, l’Ouest et le Sud.

Ce résultat n’a pu être obtenu qu’en prenant en compte les étoiles, ou du moins le soleil avec les équinoxes, ce qui revient au même, car pour saisir les équinoxes il faut se tourner vers l’astronomie.

Et la disposition des pyramides de la nécropole de Gizeh (les pyramides de Khéops, de Khephren et celle de Mykérinos) semble également correspondre à la ceinture d’Orion, une constellation semblant représenter, chez les Grecs anciens, un chasseur avec son arc.

Les pyramides de Gizeh et Orion en superposition (wikipedia)

La ceinture du chasseur est formée des étoiles les plus brillantes de la constellation : Alnitak, Alnilam et Mintaka.

Orion comme chasseur grec et son origine : le géant babylonien (wikipedia)

On notera aussi que si on suit l’axe des trois pyramides, on arrive 24 km plus loin au temple du soleil à Héliopolis. Nul hasard à cela, du moins on le dirait, sauf qu’on n’a aucune preuve en l’état.

Et c’est là où l’humanité bute sur les faits. Le problème est ici que ceux qui ont découvert cette « corrélation » des étoiles d’Orion avec les pyramides ont également remarqué qu’elle était la plus parfaite au plus bas du cycle de précession (c’est-à-dire du cycle de visibilité), soit en – 10 500.

Ils en ont déduit… que les pyramides dataient de cette époque et les scientifiques bourgeois en ont profité pour tout réfuter. C’est là une double erreur, car en réalité, le plus vraisemblable est que la disposition des pyramides fait justement référence à l’émergence de la constellation.

Comment peut-on de toutes façons dire qu’il n’y a aucun rapport avec Orion, alors que la nécropole est dédiée au dieu de la mort Osiris, lié dans l’antiquité égyptienne à… la constellation d’Orion ?

Surtout que dans la religion égyptienne, Osiris est l’inventeur de l’agriculture et à l’origine de la religion : il meurt assassiné mais revient à la vie, devenant souverain de l’au-delà. Quoi de plus logique que de faire référence alors à Orion en son « début » ?

Le problème qu’on a ici, bien entendu, c’est qu’il y a une cohorte d’acteurs paranoïaques rêvant d’une science « alternative » où les pyramides du monde entier auraient comme auteur une civilisation extra-terrestre, etc.

Il y a une immense scène « new age » qui trafique l’astronomie et l’astrologie, qui utilise des vraies questions de fond « oubliées » par la bourgeoisie pour diffuser des interprétations petites-bourgeoises fantasmatiques.

On trouve un nombre incalculable d’ouvrages, de films, de série, de documentaires où, de manière très marquée, l’avenir et le passé sont mélangés, à la manière typiquement petite-bourgeoisie de concilier les contraires.

Le plus grand symbole de cette monstruosité, c’est la série de documentaires « Alien Theory », qui existe depuis 2010 avec 238 épisodes et qui continue à aborder de nombreux thèmes de l’Antiquité en massacrant toute réflexion au moyen de la lubie des « anciens astronautes », extra-terrestres venus apporter la « civilisation ».

« Alien Theory » : de pseudos documentaires pour apporter la confusion dans la compréhension de l’Histoire

Ces délires sont néanmoins tout à fait logiques, ils représentent l’action ininterrompue de l’idéalisme pour empêcher une saisie matérialiste dialectique de l’Histoire.

L’humanité ne pense pas, nous sommes des animaux capables de réflexion, par conséquent il est inévitable que la marche de l’humanité en avant, pour inégale qu’elle soit, tende dans la même direction.

Telle est la vraie raison pour laquelle Orion joue un rôle en Égypte, mais également chez les Mayas.

Voici ce que dit la Nasa au sujet du rôle d’Orion chez les Mayas :

« La constellation d’Orion est visible dans le ciel nocturne du monde entier, de décembre à avril de chaque année.

La nébuleuse (également cataloguée sous le nom de Messier 42) est située dans l’épée d’Orion, suspendue à sa célèbre ceinture de trois étoiles.

L’amas d’étoiles intégré dans la nébuleuse est visible à l’œil nu comme une seule étoile, avec un certain flou apparent pour les observateurs les plus perspicaces.

En raison de son importance, les cultures du monde entier ont accordé une importance particulière à Orion.

Les Mayas de Mésoamérique considèrent la partie inférieure d’Orion, sa ceinture et ses pieds (les étoiles Kappa Orionis et Rigel), comme étant les pierres du foyer de la création, semblables au foyer triangulaire à trois pierres qui est au centre de toutes les maisons mayas traditionnelles.

La nébuleuse d’Orion, située au centre du triangle, est interprétée par les Mayas comme le feu cosmique de la création entouré de fumée. »

Orion, plus précisément sa ceinture, joua en fait un rôle dans toute la Mésoamérique. Ainsi, si on prend les pyramides de Teotihuacan, en Mésoamérique, on retrouve Orion. Les pyramides du soleil, de la lune et de Quetzalcoatl sont pareillement alignés sur la ceinture d’Orion, du moins le semble-t-il.

Ce n’est pas qu’il y avait des contacts entre Égyptiens et les Mésoaméricains, bien évidemment.

C’est que le culte des étoiles est le même dans toute l’Humanité, avec les mêmes considérations sur les étoiles les plus brillantes et les phénomènes les plus marquants.

Voici comment on retrouve Orion chez Hésiode, dans son poème Les Travaux et les Jours :

« Commence la moisson quand les Pléiades, filles d’Atlas, se lèvent dans les cieux, et le labourage quand elles disparaissent ; elles demeurent cachées quarante jours et quarante nuits, et se montrent de nouveau lorsque l’année est révolue, à l’époque où s’aiguise le tranchant du fer…

Lorsque [les constellations] Orion et Sirius seront parvenus jusqu’au milieu du ciel, et que l’Aurore aux doigts de rose contemplera [la constellation] Arcture, ô Persès ! cueille tous les raisins et apporte-les dans ta demeure… »

Les premiers êtres humains n’ont pas eu en commun que le culte du soleil et de la lune ; ils avaient également observé les étoiles et leurs mouvements, cherchant à y trouver un sens, une signification par rapport à l’existence du monde et sa nature.

La grande difficulté est bien entendu que nous en savons trop peu sur les religions antiques qui utilisaient massivement l’astronomie. D’une part, on a perdu les documents historiques la plupart du temps ; d’autre part, ces religions antiques se sont effondrées-intégrées dans les parcours historiques qui ont suivi.

Mais nous sommes le prolongement de ce passé et l’humanité qui s’approfondit est capable de saisir sa propre évolution.

Ainsi, paradoxalement, plus on avance dans le temps et plus on s’éloigne de ce passé, plus on peut le comprendre en dépassant ce qui l’a suivi, ce qui produit une mise en perspective. C’est là la dialectique de toute considération historique réelle.

Et c’est cela qui permet d’appréhender les traits généraux du monothéisme, en sachant que la porte est ouverte à d’immenses approfondissements désormais.

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Dieux des étoiles, dieux des planètes, précession des équinoxes

L’exemple chinois témoigne de comment la cartographie du ciel, qui suit la connaissance du soleil et de la lune, des solstices et des équinoxes, a permis à l’humanité une « cosmovision ».

Cependant, les choses ne sont pas si simples que cela. Il y a en effet une problématique énorme, qu’il était impossible à l’humanité de résoudre alors.

Cette problématique, c’est celle de la précession des équinoxes. Pour faire simple, la planète Terre ne tourne pas sur elle-même comme un ballon. Il y en effet une influence du soleil et de la lune, à savoir la force des marées.

Par conséquent, la Terre tourne comme une toupie lancée de manière inadéquate : son axe penche d’un côté, puis de l’autre, et le mouvement se répète, tous les 25 769 ans. C’est comme si l’axe de la terre suivait un cône.

La conséquence est terrible pour l’observation des étoiles. Prenons l’étoile polaire : l’étoile qu’on désigne ainsi change tous les 2200 ans environ.

De – 3 942 jusqu’à – 1 793, ce fut l’étoile Thuban, de la constellation du Dragon (en tant que α Draconis), à 0,1° de distance du pôle céleste en – 2 775.

De – 1 700 à 300 de notre ère, ce fut Kochab, qui n’aura été par contre qu’au maximum à 6,5° du pôle céleste. Cela a-t-il joué ? Nos ancêtres ont-ils vu l’étoile polaire « partir » et remplacé par une étoile moins centrale ? Cela a dû en tout cas forcément marquer les esprits.

Kochab, c’est-à-dire étoile du nord en arabe, forme la fin de la petite casserole avec Pherkad ; ce sont tous les deux des étoiles de la Petite Ourse et elles sont également appelées respectivement Beta Petite Ourse et Gamma Petite Ourse.

Après, c’est Alpha Grande Ourse qui a pris le relais. C’est celle qu’on connaît aujourd’hui et on l’appelle plus communément étoile polaire, mais elle ne le restera pas, puisque de 3 000 à 5 000, ce sera Errai (Gamma Cephei), de la constellation Céphée.

Errai sera le plus proche du pôle céleste en 4 000, puis sera remplacé par Iota Cephei, avec Beta Cephei très proche, les deux faisant partie de la constellation de Céphée. Ensuite, vers 7 500, ce sera Alderamin (de Al Dhira al Yamin, bras droit en arabe), également de la constellation Céphée (Alpha Cephei).

Projection du chemin de précession du pôle Nord sur le ciel fixe du 1er mai 2000 pour l’intervalle de temps de 48 000 avant notre ère à 52 000 notre ère

Tout cela nous intéresse beaucoup, car cela devait poser un problème à l’humanité. Le ciel n’était pas parfait, il se passait des choses. Cela a dû compliquer les choses au niveau de la compréhension dans l’observation, mais cela devait également inquiéter.

C’est là où justement entre en jeu la dialectique des étoiles et des planètes. Initialement, l’humanité les a tous considérés de la même manière. Seulement voilà, déjà que les étoiles sont en mouvement, certaines se déplacent encore plus rapidement et de manière irrégulière.

C’est la raison pour laquelle l’antiquité grecque qualifiait ces astres comme « errant », « en mouvement », ce qui a donné le terme planète étymologiquement.

La compréhension de leur rotation implique un effort considérable de décentrement mathématique du regard pour calculer non depuis la Terre (géocentrisme) mais depuis le Soleil (héliocentrisme).

Cette rationalisation abstraite du mouvement des planètes n’était pas atteignable de manière immédiate par l’Humanité, en conséquence, ces astres se sont vus attribué un rôle signifiant « actif » entre les astres des constellations et la Terre.

Notons qu’on parle au départ de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, car ce sont elles qu’on peut voir à l’œil nu. Uranus sera découvert en 1781 par William Herschel. L’existence de Neptune a été devinée au début du 19e siècle, puis enfin observée au milieu du siècle.

Or, que voit-on historiquement ? Que l’humanité, au cours de son avancée historique, a associé les dieux aux planètes, immanquablement.

En Grèce antique, le soleil est lié à Hélios, la lune à Artémis, Mercure à Hermès, Vénus à Aphrodite, Mars à Arès, Jupiter à Zeus, Cérès à Déméter, Neptune à Poséidon, etc.

On notera qu’Apollon est indubitablement lié à Hélios, comme le prouve l’oracle de la Pythie de Delphes. La prêtresse au service d’Apollon y expliquait, dans un langage sibyllin, le cours des choses dans un temple construit selon le mythe par des marins attirés à cet endroit par Apollon ayant pris la forme d’un dauphin, « cochon de mer » pour les Grecs (d’où le nom de Delphes).

Il a souvent été évoqué des gaz pour expliquer les transes de la prêtresse d’Apollon. Mais l’oracle n’était pas ouvert en été, en raison de l’absence d’Apollon et, justement, le temple est situé à un endroit où la constellation du dauphin est invisible en été, car trop proche du soleil.

C’est intéressant, car on a ici un exemple de culte des étoiles qui n’est pas encore un culte planétaire, mais y conduit en partie.

Les ruines du temple d’Apollon à Delphes (wikipedia)

Pour les dieux romains, ils sont équivalents aux dieux grecs comme on le sait (Jupiter et Zeus, Neptune et Poséidon, Minerve et Athéna, Mercure et Hermès, etc.). Notons ici seulement que les jours de la semaine, en français, ont des noms dont l’origine est la Rome antique.

Ainsi, samedi est le jour de « Saturne » (Saturni dies), le dimanche celui du soleil (Solis dies, remplacé par Dominus dies, le Soleil devenant le Seigneur), le lundi c’est le jour de lune (Lunae dies), le mardi celui de Mars (Martis dies), le mercredi est celui de Mercure (Mercurii dies), le jeudi est le jour de Jupiter (Jovis dies), enfin vendredi est celui de Vénus (Veneris dies).

Dans l’hindouisme, le soleil est lié à Surya, la lune à Chandra, Mars à Mangala, Mercure à Bouddha, Jupiter à Brihaspati, Vénus à Shukra, Saturne à Shani, etc. À Babylone, le soleil est lié à Shamash, la lune à Sin, Mercure à Nabu, Vénus à Innana, Mars à Nergal, Jupiter à Marduk, etc.

En Arménie antique, le dieu Arev est lié au soleil, Lusin à la lune, Luc à Mercure, Yeljeru à Vénus, Ckravori à Mars, Tharaznot à Jupiter, etc. En Égypte antique, le dieu Râ est lié au soleil, Khonsu à la lune, Thoth à Mercure, Isis à Vénus, Anhur à Mars, Amun à Jupiter, etc.

En Chine, les planètes étaient associées à des éléments (le bois pour Jupiter, le métal pour Vénus, le feu pour Mars, la terre pour Saturne, l’eau pour Mercure), ce qui présente une nuance dans la divinisation des planètes, mais qui nous aide beaucoup.

En Chine, en effet, les éléments primordiaux jouent un rôle central. En fait, c’était le cas également en Inde antique et en Grèce antique. Si en Grèce on parle à l’origine de quatre éléments, à la suite d’Empédocle au 5e siècle avant notre ère, il en fut par la suite ajouté un cinquième, l’éther en Inde et la terre en Chine.

Figure traditionnelle du taoïsme représentant l’alchimie universelle, avec au cœur les cinq éléments

Dans tous les cas, le monde est façonné par ces éléments. L’astrologie occidentale (avec les quatre éléments) et chinoise (avec les cinq éléments) prétend justement être dans le vrai, car permettant soi-disant de lire comment les éléments s’agencent entre eux pour quelqu’un.

Et, donc, que nous révèle l’exemple chinois ? L’exemple chinois nous indique que le mouvement actif des planètes était compris comme jouant sur la réalité, la façonnant. L’astrologie occidentale dit la même chose, cependant, elle n’a pas joué un rôle aussi prolongé qu’en Chine, ce qui fait que c’est moins flagrant.

Ce qui veut dire la chose suivante : l’humanité s’est particulièrement tournée vers les planètes, afin de comprendre une agitation historique qui n’existait pas encore lorsqu’elle se contentait de regarder les étoiles.

L’humanité primitive regarde le soleil et la lune. On parle d’une humanité très dispersée.

Elle s’installe de meilleure manière dans la vie quotidienne, elle est en mesure d’observer les étoiles.

Mais ensuite, il y a la confrontation entre ces blocs d’êtres humains qui se sont développés à part. Cette époque de conflits entre êtres humains ayant acquis une certaine surface historique amène à se tourner vers les planètes afin d’essayer de suivre ce qui se passe, d’avoir une grille de lecture des affrontements.

C’est le sens de ce qu’on lit dans le Mul Apin, datant du 7e siècle avant notre ère et qui consiste en un traité approfondi d’astronomie. On est à Babylone ; Mul Apin désigne la charrue, c’est-à-dire la Grande Ourse ; c’est la première constellation décrite dans l’ouvrage, d’où le titre qu’on a donné ensuite à l’œuvre.

Les étoiles de MAR.GÍD.DA = Ṣumbu, « le Chariot », dans la Série MUL.APIN, 627 avant notre ère (wikipedia)

Marduk, associé à Jupiter, est le principal dieu babylonien (qui a vaincu la déesse Tiamat, évidemment une déesse-mère à l’origine) ; voici un horoscope planétaro-divin :

« Si l’étoile de Marduk devient visible au commencement de l’année, cette année-là la récolte sera abondante.

Si l’étoile de Marduk atteint les Pléiades, cette année-là le dieu de la tempête dévastera. »

On est là dans l’anticipation – une chose que ne pouvait pas faire les êtres humains auparavant. Suivre le soleil et la lune, c’était la base, niée par une humanité observant les étoiles et systématisant son mode de vie et sa réflexion.

Cette négation est niée par l’étude des mouvements des planètes.

Pour simplifier, mais c’est une simplification outrancière en ce qu’elle oublie les nuances, les enchevêtrements :

– la déesse-mère, c’est l’humanité primitive ;

– le soleil et la lune, c’est l’époque des chasseurs-cueilleurs ;

– les étoiles, ce sont les Cités-États esclavagistes ;

– les planètes, ce sont les Cités-États se faisant la guerre alors qu’on va aux grands empires.

Et le monothéisme arrive comme couronnement du développement des forces productives permis par les empires, qui ancrent l’agriculture et la domestication des animaux.

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Des quatre directions aux dieux des étoiles: l’exemple chinois

Les étoiles ont permis les quatre directions et l’exemple historique chinois est d’une grande pertinence pour saisir ce qui s’est passé.

L’astronomie en Chine a une très longue histoire ; le « classique des documents », un ouvrage fondamental de la civilisation chinoise pendant 2 000 ans, raconte également comment l’empereur Yao, qui a depuis pris une dimension légendaire, avait pris comme première mesure d’ordonner aux astronomes de mesurer le mouvement du soleil, de la lune des étoiles pour obtenir un calendrier avec la connaissance des saisons.

Un document très connu de l’astronomie chinoise est le fameux atlas de Dunhuang, une cartographie de 1300 étoiles datant du 7e siècle. On l’a retrouvé seulement au début du 20e siècle dans une cave fermée pendant mille abritant 50 000 documents et objets, dans un dispositif immense de grottes bouddhistes taillées à la main, dites de Mogao (soit en chinois « d’une hauteur inégalée »).

La cave 275 des grottes de Mogao (wikipedia)

On a à l’origine le concept chinois de « Tian », qu’on peut traduire par les « cieux ». En fait, il s’agit du dieu impersonnel, arrière-plan cosmique de la réalité, qu’on retrouve dans tous les animismes polythéistes, ce que les commentateurs bourgeois n’ont jamais pu voir.

Tous les dieux existent comme expression, vecteur, aspect de Dieu-impersonnel, cela n’a rien d’original.

Naturellement, le dieu absolu se voyait placé au Nord comme pôle absolu, pivot du monde.

On lit dans les « Écrits du Maître à la Crête de Faisan », datant du 3e siècle et compilant des points de vue de l’époque des « Royaumes combattants » (c’est le moment où apparaît le confucianisme, l’école légaliste, le taoïsme, le moïsme et divers autres courants de pensée) :

« Quand le manche de la [grande casserole, appelée louche en Chine] pointe vers l’est [à l’aube], c’est le printemps pour le monde entier.

Lorsque le manche de la [grande casserole] pointe vers le sud, c’est l’été pour le monde entier.

Quand le manche de la [grande casserole] pointe vers l’ouest, c’est l’automne pour le monde entier.

Quand le manche de la [grande casserole] pointe vers le nord, c’est l’hi-ver dans le monde entier.

Quand le manche de la [grande casserole] tourne au-dessus, les choses se déroulent en dessous. »

Ensuite, avec l’étude des étoiles, la cartographie céleste s’est superposée à Tian. Voici de quelle manière.

On a d’abord, au centre, l’Enceinte pourpre interdite (ziweiyuan 紫微垣), qui recouvre les constellations de la Petite Ourse, de la Girafe, du Dragon, de Céphée, de Cassiopée, du Cocher, du Bouvier, et une partie de la Grande Ourse, des Chiens de chasse, du Petit Lion et de Hercule.

On a ensuite l’Enceinte du palais suprême (Taiweiyuan 太微垣), qui recouvre les constellations de la Vierge, de la Chevelure de Bérénice, du Lion et une partie de la Grande Ourse, du Petit Lion et des Chiens de chasse.

Enfin, on a l’Enceinte du marché céleste (tianshiyuan 天市垣), avec les constellations du Serpentaire et du Serpent, de l’Aigle, de la Couronne boréale et une partie de Hercule.

Toutes ces enceintes sont appelées ainsi, car censées être bordées à droite et à gauche d’une série d’étoiles des constellations qui forment des « murs ». Cela révèle la nature de cette « cosmovision ».

En effet, ces Enceintes célestes reproduisent l’organisation hiérarchique chinoise – évidemment, du point de vue chinois d’alors, c’est l’inverse : les cieux sont ainsi, donc le monde fait pareil.

L’Enceinte pourpre interdite désigne le palais impérial ; l’Enceinte du palais suprême, c’est le gouvernement ; l’Enceinte du marché céleste, c’est le marché et plus globalement là où vivent les gens.

La civilisation chinoise a poussé à fond le parallélisme, dans la mesure où les étoiles au Nord représente la famille royale (le prince, la concubine impériale…), d’autres représentent les quatre conseillers, le juge en, chef, le secrétaire royal, le responsable des archives royales, etc. ; d’autres encore une boucherie, un marché de bijoux, une prison, etc.

L’entreprise faite est très facile à comprendre. La lecture des étoiles est faite avec une interprétation propre à une société esclavagiste.

Cependant, on parle ici du noyau dur de la carte stellaire. Il reste bien d’autres étoiles autour de ces « Enceintes ». D’où un découpage en quatre zones, aux quatre directions, appelées les « quatre gardiens », les « quatre dieux ».

On a alors la tortue noire du nord (associée à l’eau et à l’hiver), le dragon bleu-vert de l’est (associé au bois et au printemps), le tigre blanc de l’ouest (associé au métal et à l’automne) et l’oiseau vermillon du sud (associé au feu et à l’été).

Le nom de ces directions provient d’une « lecture » de la disposition des étoiles, censée correspondre à ces animaux (mythique pour le dragon).

Cela remonte ici à très loin : on a trouvé une tombe de 5300 ans avant notre ère avec des mosaïques dont deux représentaient le dragon vert et le tigre blanc.

On a donc, dans la cartographie chinoise, un « centre » entouré de quatre directions. Les étoiles de ces quatre directions sont elles-mêmes regroupés, en sept groupes par direction, pour un total de 28 « maisons lunaires » (appelées ainsi, car définies selon le parcours de la lune).

On remarquera qu’on a également en Chine les « quatre montagnes », les « quatre animaux bénéfiques » et les « quatre périls », les « quatre mers » (le lac Baïkal au Nord, le lac Qinghai à l’Ouest, la mer de Chine orientale à l’Est, la mer de Chine méridionale au Sud).

On notera également que la division en 28 « maisons lunaires » (« Xiu » en chinois est également la même chez les Arabes (les « Manzils ») et chez les Indiens (avec les « Nakshatras »).

On demandera alors : où sont les fameux animaux du calendrier chinois, si appréciés ? Où sont le Rat, le Buffle, le Tigre, le Lapin (ou Lièvre ou Chat), le Dragon, le Serpent, le Cheval, la Chèvre, le Singe, le Coq, le Chien et le Cochon (ou Sanglier) ?

Mosaïque avec le zodiaque chinois (wikipedia)

C’est justement là où cela devient intéressant, car ils arrivent après historiquement, et ils ne sont pas vraiment un horoscope. Ils aident à une « interprétation » qu’on peut qualifier d’astrologique, dans la mesure où ils aident à voir sa place dans l’univers, mais ils ne fournissent pas de réponse aux questions immédiates.

Les 28 maisons lunaires vont en effet avoir une dimension qui relève du calendrier, alors que vrais horoscopes vont se mettre en place, sur une base toujours plus compliquée et en se fondant toujours plus sur la combinaison de chiffres.

On a ainsi l’astrologie de l’Empereur ou de l’Étoile pourpre (« Ziwei doushu »), qui utilise entre 36 et 118 étoiles. Cette astrologie était réservée au roi et à un moment tout autre divination fut interdite, ce qui rentre dans le cadre de la lutte contre le chamanisme, forcément décentralisé.

On a ensuite l’astrologie dite des neuf étoiles (« Jiuxing »), qui se fonde sur un carré magique de 9 années, s’appuyant sur le mouvement des étoiles autour de la Grande Ourse, pour évaluer la « valeur » d’une personne selon sa date de naissance.

On a également l’astrologie des quatre piliers du destin (« Ba-Zi »), où l’on prend la date de naissance ainsi que l’heure de naissance, pour trouver comment cela joue sur les éléments fondamentaux de l’univers.

Naturellement, tout ce processus de mise en place des horoscopes est horriblement compliqué, dans le cadre d’une Chine divisée et esclavagiste. C’en est au point où même les calendriers se voyaient modifier, en liaison avec les « Enceintes », pour expliquer qu’il y avait eu telle tendance dans le ciel et que le changement politique y correspondait.

Il y a même une entité céleste, Taisui, qui fut « inventée » pour représenter Jupiter parcourant à l’envers (ou plutôt à l’endroit pour les Chinois alors, d’Est en Ouest) les « branches terrestres », c’est-à-dire les « maisons lunaires » devenues jupitériennes (et donnant le calendrier avec les animaux).

Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.

Ce qui compte, c’est qu’on a la mise en place d’une « spatialisation » selon les quatre directions de manière absolue, puis son dépassement par les horoscopes.

Autrement dit, on a eu une « spatialisation » passive, reflet direct des étoiles, où les étoiles servaient à se repérer, où les êtres humains vivaient « sous » le Ciel. Puis on a une « spatialisation » active, les êtres vivants « à côté » du Ciel.

Enfin, on a des tentatives magiques d’utiliser les moments opportuns, ce qui correspond à une décadence de la « cosmovision » en rapport avec les dieux des étoiles ; quand on en arrive là, c’est qu’on est dans une période mûre pour l’émergence, l’affirmation du monothéisme.

Le mouvement est ainsi le suivant :

– observation primitive des étoiles ;

– portrait avancé de l’organisation stellaire comme négation de l’observation primitive ;

– négation de la négation avec les horoscopes.

Dans le cas chinois, on peut considérer que le bouddhisme correspond à une étape très forte dans l’émergence du monothéisme ; à la fin du 3e siècle, il est déjà aussi puissant que le confucianisme et le taoïsme.

Comme on le sait, le monothéisme ne se développera toutefois pas en Chine, de par les conditions historiques arriérées et les divisions, maintenant pendant des siècles, jusqu’à aujourd’hui, l’idéologie des horoscopes et de la numérologie, d’où une immense fascination pour les jeux de hasard.

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Le soleil, les étoiles et les quatre directions

L’importance du mouvement de la Grande Casserole joue fondamentalement sur la question des directions. En effet, la nuit, les étoiles se déplacent à vue d’œil dans une direction commune. On a alors un axe Nord-Sud, dans la mesure où dialectiquement il y a deux contraires.

Que l’humanité ait établi l’axe Nord-Sud est donc compréhensible. Par contre, comment obtient-on l’axe Est-Ouest ?

On ne peut pas scientifiquement se fonder sur le lever du soleil et son coucher, car on obtient réellement l’Ouest du lever et l’Est du coucher seulement aux équinoxes.

Entre-temps, pour l’hémisphère nord, le soleil se « déplace » vers le Nord-Ouest le printemps et l’été, le Sud-Ouest l’automne et l’hiver (pour l’hémisphère sud, il suffit d’inverser les directions).

Néanmoins, l’animisme polythéiste est une pensée émergente, ce n’est pas une pensée scientifique tel qu’on la conçoit aujourd’hui. Qui plus est, l’humanité est dans une situation précaire, avec des carences alimentaires, un cerveau en formation, etc.

De plus, dialectiquement, l’axe Nord-Sud est le contraire de l’axe Est-Ouest. Pour être plus précis, car il y a mouvement, il faut parler d’axe Sud / Nord et d’axe Est / Ouest.

C’est même pour cela que la Grande Casserole est symboliquement essentielle pour l’humanité, elle représente littéralement la contradiction des deux axes.

Mais que voit-on ? Que les étoiles tendent vers le Nord, qu’il apparaît naturel d’y tendre. Si on tend vers quelque chose naturellement, c’est que l’autre direction relève du passé, il y a donc une opposition dialectique entre le Nord qui est « bien » et le Sud qui est « mauvais ».

Mais on parle des étoiles ! C’est l’humanité qui les voit. Tendre au ciel vers le Nord est donc « bien », quant au mouvement inverse… il se dirige forcément vers le bas de la Terre, vers les enfers.

On a l’opposition entre les enfers et les cieux.

Le monde de l’Est et de l’Ouest, c’est par contre celui de l’humanité, où là rien ne semble tendre naturellement vers quelque chose. L’humanité observe avec attention le lever du soleil, craignant qu’il ne revienne pas. D’où la célébration des solstices dans la joie et la crainte, selon leur nature.

D’où l’étude des équinoxes, pour vérifier que les cycles du soleil ne soient pas modifiés.

Calendrier japonais de 1729 (wikipedia), au Japon le « jour de l’équinoxe vernal » est férié depuis 1948

Et avec cette obsession Sud/Nord et Est/Ouest, on obtient les quatre directions, qu’on retrouve pour toute l’humanité.

L’empire inca s’appelle Tahuantinsuyu, « Quatre en un », avec quatre régions ; dans tout le reste de l’Amérique, les quatre directions sont également une composante fondamentale de la vision du monde.

L’empereur chinois vivait, lors des mois des solstices et des équinoxes, dans un bâtiment symbolique tourné vers le Nord, avec à chaque fois dans une pièce orientée dans une des autres directions. On trouve d’ailleurs dans le bouddhisme les Quatre Rois célestes, liés aux quatre directions cardinales.

Si l’hindouisme a multiplié les directions, tout se fonde sur les quatre directions fondamentales, le dieu Brahmā fondateur de l’univers ayant d’ailleurs quatre têtes, censées représentées les quatre vedas.

Voici la prière des quatre vents dans l’Avesta persan :

« De tous les péchés, je me repens. Ashem Vohu [Sainteté – invocation].…

[Puis : récitation une fois face à l’Est, à l’Ouest, au Sud et au Nord respectivement]

Hommage à ces lieux et à ces terres, et à ces pâturages, et à ces demeures avec leurs râteliers à foin, et aux eaux, terres et plantes, et à cette terre et à ce ciel, et au vent propriétaire d’Asha, et pour les étoiles, la lune et le soleil, et pour les étoiles éternelles sans commencement et qui se disposent d’elles-mêmes, et pour toutes les créatures possédant Asha de Spenta Mainyu, mâles et femelles, les régulateurs d’Asha. Ashem Vohu….

Accordez-lui des richesses

Ashem Vohu »

L’intérêt des équinoxes et des solstices est donc, également, un vecteur de la considération de la part de l’humanité de l’existence de quatre directions. On peut également considérer qu’on passe un cap dans l’Histoire quand il y a une conceptualisation de cela.

On en a une forte indication avec une civilisation en Amérique de vers 500-1300 de notre ère, dans le Chaco canyon, là où se trouvent notamment les habitations creusées dans un versant du plateau. Sur une butte (une colline à l’écart, aux côtés raides et avec un petit sommet plat), on trouve deux soleils en spirale traversés d’un « poignard » de lumière aux solstices et aux équinoxes.

Au solstice d’été, le poignard est au centre de la grande spirale, qui est par contre encadré de deux poignards au solstice d’hiver. Aux équinoxes, un poignard se place à la moitié de la moitié droite de la grande spirale, et au centre de la petite.

Habitations souterraines de la civilisation amérindienne du Chaco canyon
Le « poignard » dans le soleil

Pareillement, la lumière vient se poser chaque solstice d’hiver sur les yeux d’un petit chamane rouge dessiné sur un mur d’une caverne, sur le site d’El Vallecito en Basse-Californie mexicaine.

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Le svastika et les étoiles de la grande casserole

Par « svatiska », en fait un mot masculin, on parle d’une croix gammée relevant de l’hindouisme, le mot venant du sanskrit (su pour « bien » et asti « il est »). Néanmoins, ce symbole très ancien est connu de toute l’humanité, depuis l’Amérique jusqu’à l’Extrême-Orient en passant par la culture néolithique dite de Vinča dans les Balkans actuels, ainsi qu’en Afrique.

Coupe peinte de la période de Samarra, Mésopotamie, vers 6200-5800 avant notre ère (wikipedia)

Ce constat a produit des interprétations idéalistes très prononcées, associées à la thèse dominante comme quoi ce serait une représentation du soleil en mouvement.

À suivre le psychiatre et psychanalyste Carl Gustav Jung, ce symbole relèverait d’un « inconscient collectif » propre à toute l’humanité ; tous les êtres humains auraient le cerveau façonné d’une telle manière qu’ils aboutiraient tous aux mêmes symboles.

Le mystique René Guénon, lui emboîtant le pas niveau symbolisme, y voit la preuve d’une sagesse « primordiale » datant des temps anciens. Il y aurait un axe central pour toute chose et, mélangeant un peu tout et n’importe quoi, René Guénon dit qu’il faut voir le swastika comme tournant autour d’un axe perpendiculaire, comme la planète autour de « l’axe du monde ».

Comme on le voit, il y a une base matérialiste à tout cela, mais c’est un idéalisme ; l’idéalisme surinterprète, déforme, modifie, abîme les faits.

« Une des formes les plus remarquables de ce que nous avons appelé la croix horizontale, c’est-à-dire de la croix tracée dans le plan qui représente un certain état d’existence, est la figure du swastika, qui semble bien se rattacher directement à la Tradition primordiale, car on la rencontre dans les pays les plus divers et les plus éloignés les uns des autres, et cela dès les époques les plus reculées ; loin d’être un symbole exclusivement oriental comme on le croit parfois, il est un de ceux qui sont le plus généralement répandus, de l’Extrême-Orient à l’Extrême-Occident, car il existe jusque chez certains peuples indigènes de l’Amérique.

Nous avons dit ailleurs que le swastika est essentiellement le « signe du Pôle » [au sens d’un axe du monde] ; si nous le comparons à la figure de la croix inscrite dans la circonférence, nous pouvons nous rendre compte aisément que ce sont là, au fond, deux symboles équivalents à certains égards ; mais la rotation autour du centre fixe, au lieu d’être représentée par le tracé de la circonférence, est seulement indiquée dans le swastika par les lignes ajoutées aux extrémités des branches de la croix et formant avec celles-ci des angles droits ; ces lignes sont des tangentes à la circonférence, qui marquent la direction du mouvement aux points correspondants.

Comme la circonférence représente le monde manifesté, le fait qu’elle est pour ainsi dire sous-entendue indique très nettement que le swastika n’est pas une figure du monde, mais bien de l’action du Principe à l’égard du monde.

Si l’on rapporte le swastika à la rotation d’une sphère telle que la sphère céleste autour de son axe, il faut le supposer tracé dans le plan équatorial, et alors le point central sera, comme nous l’avons déjà expliqué, la projection de l’axe sur ce plan qui lui est perpendiculaire.

Quant au sens de la rotation indiquée par la figure, l’importance n’en est que secondaire et n’affecte pas la signification générale du symbole ; en fait, on trouve l’une et l’autre des deux formes indiquant une rotation de droite à gauche et de gauche à droite, et cela sans qu’il faille y voir toujours une intention d’établir entre elles une opposition quelconque. »

L’utilisation de le swastika par les nazis relève pareillement d’une approche mystique. Officiellement, ce serait un ancien symbole « aryen », choisi par Hitler comme symbole de la « victoire à réaliser ».

En pratique, c’était lié à tout un milieu nazi féru d’occultisme et voyant dans ce symbole la porte ouverte à toutes les interprétations délirantes sur une race aryenne qui aurait vécu en « Hyperborée » tout au Nord du monde.

Là encore, il y a une base réelle, le fait que le swastika ait un rapport avec le Nord, mais l’idéalisme transforme tout de manière subjectiviste.

Si on regarde par contre au moyen du matérialisme dialectique, on doit se fonder sur la chose suivante : une très grande partie de l’humanité connaît le symbole, depuis des milliers d’années.

Cette partie de l’humanité vit dans l’hémisphère nord et les étoiles étaient, de fait, la seule chose qu’avait en commun l’ensemble de l’humanité il y a des milliers d’années.

L’hémisphère nord

Et que voit-on ? Que justement le mouvement de la Grande Casserole, visible toute l’année, établit précisément forme et le mouvement montrés par le swastika.

La Grande Casserole désigne les sept étoiles les plus brillantes de la constellation de la Grande Ourse. Elle est appelée également Grand Chariot et, autrefois, le Septentrion ou encore constellation des Sept Bœufs.

Septentrion signifie nord et on n’utilise plus guère que le mot « septentrional », mais sa racine latine s’appuie justement sur septem (« sept ») et triones, pluriel de trio (« bœuf de labour »).

C’est-à-dire que les étoiles de la Grande Casserole étaient employées pour trouver le Nord et ce toute l’année, car elles sont circumpolaires, elles ne se « couchent » jamais dans l’hémisphère nord.

Concrètement, trois étoiles forment le manche de la casserole (Alioth, Mizar et Alkaïd), quatre la casserole elle-même (Dubhé, Mérak, Phecda et Megrez).

Si on prend les deux dernières étoiles de la casserole et qu’on suit une ligne, on arrive rapidement à ce qui est l’étoile polaire aujourd’hui, qui est l’étoile la plus brillante de la Petite Ourse. La distance jusqu’à l’étoile polaire est de deux fois la distance à l’œil nu des deux étoiles dont on part.

Si on reproduit le mouvement cinq fois, on tombe sur la constellation de Cassiopée, dont les cinq étoiles les plus brillantes forment une sorte de W.

Plusieurs autres étoiles peuvent être trouvées de la même manière. Si on prend le manche de la casserole, en s’éloignant de cette dernière, on tombe directement sur Arcturus, l’étoile la plus visible de la constellation du Bouvier. Si on continue, on a Spica, l’étoile la plus brillante de la constellation de la Vierge.

Si on se tourne maintenant vers les deux premières étoiles de la casserole, on tombe sur l’étoile Régulus, l’étoile la plus brillante de la constellation du Lion.

De manière notable, Arcturus, Spica et Régulus, on obtient un triangle, visible durant le printemps.

Si on reprend les deux premières étoiles de la casserole, mais dans l’autre sens, on a Deneb, l’étoile la plus brillant de la constellation du Cygne.

Tout cela montre très bien l’importance de la Grande Casserole. Et à chaque saison, la Grande Casserole est positionnée selon un axe différent, ce qui fait de la Grande Casserole l’expression même du mouvement dans les quatre directions, le symbole du mouvement du monde, propre à l’animisme polythéiste.

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La déesse-mère et la lune, les mégalithes et le soleil

Pour qu’on puisse passer des dieux des étoiles au Dieu des saisons, il faut qu’il ait eu une base permettant la généralisation des dieux des étoiles. C’est ici qu’il faut se tourner vers le rapport entre les femmes et la lune.

Il y a une équivalence temporelle – qui relève du hasard, car il n’y a pas de lien matériel – entre les cycles menstruels de la femme et les 13 cycles de la lune pendant une année solaire.

Le lien, considéré alors comme plus que symbolique, avait été fait par l’humanité primitive. La Vénus de Laussel, qui date d’il y a 20 000 ans, qui tient une lune, est un exemple parlant de déesse-mère associée à la lune.

La Vénus de Laussel avec une corne de bison en forme de lune et marquée de treize encoches(wikipedia)

C’est que l’humanité primitive, avant de se tourner vers les étoiles, a d’abord observé le soleil et la lune. Les étoiles servent à se repérer, mais leurs passages dans le ciel exigent un certain niveau d’observation, la conservation de ces observations et de nombreux calculs, compliqués qui plus est.

Il a fallu donc une très longue période avant qu’on passe de l’observation du soleil et de la lune à celle des étoiles.

Naturellement, si l’on observe le soleil, il y a deux phénomènes qui s’imposent : le solstice et l’équinoxe. Si la Terre fait en effet le tour du soleil, son plan est incliné, alors qu’elle fait un tour sur elle-même en 24 heures.

Ce décalage aboutit au fait que le jour et la nuit ne sont pas de durée égale. Le jour le plus long dans l’hémisphère nord est appelé le solstice d’été (et se produit en juin, le 20 ou le 21), le jour le plus court est appelé le solstice d’hiver (et se produit en décembre, le 21 ou le 22).

Pour les solstices de l’hémisphère sud, il suffit d’intervenir les dates : le Nord connaît le jour le plus long quand c’est le jour le plus court pour le Sud et inversement.

On remarquera concernant le jour le plus court que la naissance du Christ a été justement placée en conformité avec la fête païenne du solstice d’hiver, moment où le soleil commence à « revenir ». On a ici une convergence « solaire ».

Et il y a les équinoxes. C’est le moment où le jour et la nuit durent chacun douze heures, avec le soleil qui se lève à l’Est et se couche à l’Ouest, car étant à la verticale au-dessus de l’Équateur.

L’équinoxe du printemps se déroule en mars dans l’hémisphère Nord et en septembre dans l’hémisphère Sud ; l’équinoxe d’automne a lieu en septembre dans l’hémisphère nord et en mars dans l’hémisphère sud.

C’est là où on débouche sur la question des mégalithes, qui sont apparus au néolithique. Plus exactement, il faut parler des structures d’apparence religieuse ou mystique, avec un cercle et des mégalithes.

Stonehenge, en Angleterre, avec 165 monolithes, entre 3000 et 1100 avant notre ère
Modélisation en 3D de la disposition de Stonehenge

Le plus connu est Stonehenge ; on peut mentionner le site de Sarmizegetusa en Roumanie, celui du cromlech des Almendres au Portugal, celui de Carahunge en Arménie, celui de Brahmagiri en Inde au Karnataka, ou encore celui de Sénégambie, à la frontière du Sénégal et de la Gambie.

Le phénomène est mondial ; l’humanité a, partout, raisonné en termes de cercle et de grandes pierres dressées, dont on connaît en France les menhirs et les dolmens, notamment à Carnac, bien que dans ce cas-ci il ne semble pas y avoir de cercles pour ce qu’on en sait.

Le site de Sarmizegetusa

D’innombrables analyses ont eu lieu à chaque cas, pour voir dans quelle mesure il y avait vraiment un rapport avec les solstices et les équinoxes. Dans certains cas, comme Carahunge, c’est démontré : des trous sont présents et plusieurs d’entre eux sont tournés vers le lever du soleil au solstice, plusieurs autres au coucher du soleil le même jour.

Le complexe de Chanquillo, au Pérou actuel, qui a 2 200 ans, est ici très intéressant : il consiste en treize empilements formant des petites tours de plusieurs mètres de haut et dans les créneaux formés, on peut suivre toute l’année le mouvement du soleil.

Lors du solstice d’été, le 21 décembre, le soleil se lève à droite de la première tour. On peut ensuite le suivre, jusqu’au 21 juin où, pour le solstice d’hiver, il se lève à gauche de la dernière tour.

Le complexe de Chanquillo (wikipedia)

Et il faut associer à ce phénomène des mégalithes les tumulus, dont l’un des plus fameux est celui de Newgrange, en Irlande. On parle ici de tombes construites comme des tertres artificiels.

On les trouve sur toute la planète, avec par exemple les Kofuns japonais, celui de Krakus en Pologne, celui du grand serpent aux États-Unis d’Amérique dans l’Ohio.

Le grand serpent, dans l’actuel Ohio (wikipedia)

Il n’est pas bien difficile de voir que les pyramides qui vont suivre sont le prolongement direct des tumulus, avec d’ailleurs la même fonction de tombeau en Égypte. Ce n’est pas le cas en Mésoamérique, où par contre on trouve des références aux étoiles.

Cela fait que, si on reconstruit de manière dialectique, les mégalithes et les tumulus relèvent du soleil et de la lune, les pyramides des dieux liés ou assimilés aux étoiles.

Le problème archéologique qu’on trouve ici est que s’il semble évident que les mégalithes sont liés à l’observation du soleil et de la lune, il n’y a jamais eu de preuve permettant de l’affirmer avec certitude.

Il est tout à fait possible ici qu’il ne faille pas surestimer l’humanité primitive dans ses capacités d’observation des solstices et des équinoxes. Cela se voit avec les grottes où l’on trouve des peintures rupestres.

Une hypothèse, là encore non prouvée mais indéniablement intéressante, est que les grottes avaient été choisies de telle manière à « capter » la lumière au moment des solstices et des équinoxes.

Si on prend le grand Temple d’Abou Simbel, construit vers 1260 avant notre ère, on a le soleil qui entre les 21 février et 21 octobre au niveau des statues qui s’y trouvent. Le 21 février, c’est le dieu Amon et le pharaon Ramsès II, et le 21 octobre, en sens contraire, c’est Rê-Horakthy, dieu du soleil, puis Ramsès II de nouveau. À chaque fois, le dieu des ténèbres, Ptah, reste dans l’ombre.

Abou Simbel (wikipedia)

Au temple maya dit des sept poupées de Dzibilchaltún, lors de l’équinoxe de printemps, le soleil qui se lève envoie la lumière sur une fenêtre pour traverser la fenêtre opposée. C’est un exemple parmi bien d’autres de la démarche mésoaméricaine.

Un exemple connu est également le serpent visible chaque équinoxe sur la pyramide mésoaméricaine de Chichen Itza, fruit d’une grande ingéniosité architecturale et d’une connaissance avancée de l’astronomie.

Chichen Itza lors de l’équinoxe de mars 2009

Notons également le site maya d’Uaxactun, dont le nom original était Siaan K’aa (« né dans le Ciel »), qui est ici une petite merveille de construction dans son rapport aux solstices et aux équinoxes. La pyramide fait face à trois temples et depuis celle-ci, on peut voir une partie du soleil à gauche du premier temple lors du solstice d’été, une partie du soleil à droite du troisième temple pour le solstice d’hiver et une partie du soleil au-dessus du temple du milieu lors des équinoxes.

Pour en arriver là, il a fallu tout un très long processus historique, de la part d’une humanité peu complexe. Jusqu’où faut-il remonter, telle est la substance de la question.

Et il est évidemment difficile de savoir ce que les êtres humains pensaient lors de leur installation, il y a plus de 35 000 ans au moins, dans des grottes où ils firent des peintures.

Eyzies-de-Tayac-Sireuil, qui a rejoint d’autres communes de Dordogne en 2019 pour former Les Eyzies, est une capitale mondiale de ces grottes, avec celle de Font-de-Gaume (200 gravures et peintures), celle des Combarelles (600 représentations), celle de Saint-Cirq (dite du Sorcier).

L’expression « homme de Cro-Magnon » pour désigner l’Homo Sapiens du paléolithique dit supérieur (45 000 – 12 000 avant nous) vient précisément d’Eyzies-de-Tayac-Sireuil, l’endroit où des squelettes vieux de plus de 27 000 ans ayant été trouvé étant désigné en occitan comme Cròsmanhon (« cros » signifiant creux en occitan).

On trouve également en Dordogne la très fameuse grotte de Lascaux. On trouve ainsi de très nombreuses interprétations – des plus crédibles aux plus farfelues – concernant l’art pariétal. En ce qui concerne la grotte de Lascaux, il y a des points dessinés aux côtés d’un taureau : s’agit-il d’une représentation des étoiles les plus visibles, appelées la Pléiade, de la constellation du Taureau ?

La grotte de Lascaux (wikipedia)

Néanmoins, la grande question est de savoir si les représentations sont simplement ce qu’elles sont – des images d’animaux surtout – ou bien s’il faut y chercher un lien avec l’astronomie.

Pour la vision bourgeoise du monde, les êtres humains sont des « individus » avec une conscience individuelle ; pour le matérialisme dialectique, ce sont des animaux développant leur cerveau, avec une conscience qui se fonde sur la vision du monde propre au mode de production.

Il est donc évident que les activités humaines de type culturelles sont liées au culte du soleil et de la lune, puis des étoiles.

Le fait que les défricheurs de la question des étoiles soient totalement inégaux dans leurs recherches – si on omet ceux qui émettent la théorie des « anciens astronautes » extraterrestres et qui sont par ailleurs toujours liés à l’extrême-droite occultiste, nazie – ne doit pas étonner. On a là un mur historique, celui de la compréhension de l’humanité par l’humanité, à travers les époques, à travers les modes de production.

C’est un ingénieur britannique, Alexander Thom (1894-1985), qui a, seul puis en compagnie de son fils et de son petit-fils, parcouru pendant 30 ans les sites mégalithiques de son pays. Il a considéré qu’il s’agissait de lieux permettant d’avoir une lecture astronomique des cieux, ce qui apparaît désormais comme juste, alors qu’il a été ridiculisé alors.

Et, en même temps, Alexander Thom avait plongé dans le fantasme d’un Yard mégalithique, de 82,9 cm et toujours à 1 mm près, qui aurait été la base de réalisation des mégalithes dans toute la Grande-Bretagne !

C’est un exemple de développement inégal dans le défrichement dans le domaine de l’Histoire, en particulier pour ces temps si lointains qui mènent à nous et où sans le matérialisme dialectique on fait une boucle et on voit l’avenir dans le passé, d’où la théorie délirante d’une civilisation extraterrestre ayant apporté des connaissances scientifiques fabuleuses, avec des pyramides électriques, etc.

Ouvrage de 1969 d’Erich von Däniken, principale figure de la théorie anti-matérialiste des « anciens astronautes »

C’est pareillement un autodidacte, l’Américain Alexander Marshack (1918-2004), qui a le premier mis en valeur les incisions sur les objets du paléolithique. Pour lui, il s’agit non seulement des traces d’un raisonnement mathématique, mais aussi de calculs relevant de l’observation du ciel.

L’os d’Ishango, datant de 20 000 ans et trouvé au Congo, contient des incisions sur chacune de ses faces; leur disposition laisse clairement penser aux mathématiques. Mais s’agissait-il d’un outil pour compter les mouvements dans le ciel ?

L’os de Lebombo, trouvé dans le Sud de l’Afrique et datant de 40 000 ans, a 29 incisions. Est-ce pour compter la lune, les périodes menstruelles ? Si on considère qu’il manque un bout de l’os, on tombe encore plus dans les conjectures.

L’os de Lebombo et celui d’Ishango (J.D. Loreto and D.H. Hurlbert Smithsonian)

Néanmoins, de manière matérialiste dialectique, si on part du principe que l’être humain est en évolution, alors, dans cette période où il a faim, froid, où il est carencé, où son esprit en formation… il ne pouvait qu’être littéralement happé par le soleil et la lune.

L’humanité était prisonnière d’une vie quotidienne entre la terreur et la joie, dans la survie et la découverte, et ses crises physiques, psychologiques, psychiques, devaient être terribles.

La religion – ici de la lune et du soleil – servait de synthèse des constats faits par l’expérience et de moyen de se rassurer, afin d’être en phase avec le monde.

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De la déesse-mère aux dieux des étoiles, des dieux des étoiles au Dieu des saisons

Jusqu’à présent, la production historique du monothéisme n’a pas été expliquée. Il s’agit de résoudre cette question d’une importance immense, et ce qui est très intéressant, c’est que la réponse apparaîtra autant évidente qu’elle n’a pas été formulée auparavant.

Telle est la nature de l’évolution de l’humanité, qui accumulant des expériences et profitant de forces productives plus développées, peut relire le passé au moyen d’une conscience plus claire, plus profonde.

Figurine féminine en albâtre du site de Tell es-Sawwan, Mésopotamie, 6200-5700 avant notre ère

Expliquons ainsi les choses de manière lisible, en prenant les êtres humains primitifs, qui vivent de la chasse et de la cueillette, qui sont sortis déjà toutefois de la situation d’origine où ils vivaient les uns sur les autres dans une situation de communisme primitif.

On va les comparer à ceux qui ont commencé à instaurer l’agriculture et la domestication des animaux, qui ont établi des regroupements toujours plus importants, avec des temples et des rites bien structurés.

Pour les chasseurs-cueilleurs, la vie est une course éperdue. Les êtres humains sont alors des animaux dont le cerveau se développe, pendant des millénaires ; ils courent après leur existence, ils survivent d’autant plus difficilement qu’ils ne sont plus des animaux et commencent, laborieusement, à modifier leur existence.

L’univers est ici instable, on vit au jour le jour et chaque jour dépend de si telle ou telle action va réussir. Dans un contexte de carences alimentaires, de froid, de manque de sommeil, il n’y a qu’un seul vrai repère : l’alternance des jours et des nuits.

Hache polie en diorite (wikipedia)

Puis, à force d’observation, les étoiles ont un mouvement qui est compris et cela permet de former une carte stellaire, pratique pour se repérer géographiquement mais également pour mesurer le temps.

De cette contradiction entre l’espace et le temps naissent, en un sens, l’agriculture et la domestication des animaux, car l’humanité a acquis une compréhension, même primitive, du rythme des changements dans ce qui l’environne.

Et là, si on avance dans le temps et qu’on va à l’étape où l’agriculture est maîtrisée, la domestication des animaux mise en place avec continuité, alors on a une humanité différente.

Elle sait que ce qui s’est passé hier va revenir, d’une manière ou d’une autre mais en tout cas avec les traits généraux qui sont similaires. Le rythme des saisons l’emporte et c’est précisément là que naît le monothéisme.

La base du monothéisme, c’est la compréhension par l’humanité de la stabilité relative du monde, en lui donnant de façon incomplète et contradictoire une perspective, qui permet de poser la dimension esprit/matière et une trajectoire qui permette de poser la relation espace/temps, alors qu’auparavant, il était considéré que c’est l’instabilité relative qui prédominait.

Akhenaton et sa famille accomplissant une offrande pour le Globe Aton (dalle trouvée dans la tombe royale), entre -1372 et -1355

Les êtres humains primitifs vivaient une vie alternant les joies et les peines, extrêmes de par les conditions de vie, sans les comprendre complètement et avec un cerveau en formation qui plus est.

Il attribuait d’autant plus à la nuit et au jour des caractéristiques divines, avec le monde d’en bas et le monde d’en haut.

La souffrance, la tristesse, la douleur… tout ce qui était négatif se voyait relié à la mort, à la vie sur Terre, à la Terre elle-même, donc au monde sous-terrain où on se voyait attirer, engloutir, par la dépression, la maladie, la mort.

La joie, l’amusement, le bonheur… tout ce qui était négatif se voyait relié à la chaleur, à la vie dans le Ciel, au soleil.

Et c’était une bataille ininterrompue afin de faire en sorte que le bien l’emporte sur le mal. C’est l’époque du dualisme, qui caractérise tous les animismes polythéistes.

Krishna révélant à Arjuna sa forme universelle, vers 1740

Le monothéisme suit ce dualisme, le prolongeant, en le modifiant.

Le dieu impersonnel propre à tous les animismes polythéistes, consistant en le cours du monde, en l’énergie du monde, prend le dessus sur tous les autres dieux, qu’il fait même disparaître de par sa toute-puissance : il assure en effet la stabilité du monde.

C’est ce qui explique pourquoi le paganisme s’est effacé si facilement devant le monothéisme. Il y a continuité et rupture.

Prenons la Kaaba, le « cube » au cœur de La Mecque, autour duquel tournent les musulmans en pèlerinage. On y trouve une pierre noire, censée être tombée du ciel à l’époque d’Adam et Eve. C’est bien évidemment simplement une météorite.

Et comme on le sait, la Kaaba existait avant l’Islam. La tradition islamique affirme qu’on y trouvait auparavant plus de 360 idoles, ce qui rappelle immanquablement les jours de l’année.

Il apparaît également qu’il n’y aurait pas eu de toit à la formation cubique, ce qui pourrait en faire un monument « captant » la lumière, car l’un des phénomènes les plus marquants de la Kaaba, c’est que ses murs ne font pas d’ombre à deux moments de l’année.

Son emplacement a été calculé, afin de réaliser ce phénomène, à l’époque de l’animisme polythéiste.

L’Islam a directement repris l’ensemble, mais en remplaçant les idoles, liés au soleil, à la lune, aux étoiles, par un Dieu unique qui est en réalité le dieu impersonnel qui existait déjà. Il fallait par contre qu’il puisse se personnaliser – d’où le Coran, comme prétendu écrit divin, transmis par l’archange Gabriel à Mahomet.

La Kaaba vu par Adriaan Reland dans son Verhandeling van de godsdienst der Mahometaanen en 1718

On ne saurait toutefois reprendre l’Islam comme modèle de genèse du monothéisme, car Mahomet a réalisé un processus accéléré, afin de « rattraper » le temps perdu pour aller au monothéisme depuis l’esclavagisme.

Cela a donné naissance à un féodalisme militaire, pour combler l’absence de situation historique directement productive du monothéisme.

En pratique, le chemin menant au monothéisme a été immensément long. L’humanité ayant systématisé l’agriculture et la domestication des animaux n’a pas assumé le monothéisme du jour au lendemain.

D’une part c’était impossible car unilatéral ; d’autre part ce qui a joué c’est l’affirmation du patriarcat.

L’humanité a, concrètement, au fur et à mesure de sa sortie du communisme primitif, matriarcal, modifié la hiérarchie des dieux accumulés au sein de l’animisme polythéiste, mettant de côté les déesses, surtout la déesse-mère à l’origine centrale voire unique.

Ce n’est qu’au cours de ce processus de systématisation du patriarcat que l’humanité a tendu au monothéisme – et celui-ci n’intervient pas lorsque l’agriculture et la domestication des animaux commence, mais lorsqu’ils ont fini d’assurer à l’humanité une base relativement stable, passant un cap sur le plan des carences alimentaires, de la précarité de la vie (qui reste immense).

On a ainsi :

MatriarcatDéesse-mèreCosmos stable – naturalisme divinLes êtres humains vivent sur le tasPas d’horizon quant à un changement
Patriarcat, esclavagisme, agriculture, domestication des animaux, Cités-Étatsdieux des étoilesCosmos instable – les dieux s’affrontent, portant le bien ou le mal selon leur nature opposéeL’humanité précaire souffre mais se développe, faisant la connaissance du bien et du mal, c’est-à-dire de la joie et de la peineHoroscopes dans le cadre de l’animisme polythéiste
Agriculture aboutie, domestication des animaux aboutie,
État central organisé (empire)
Dieu uniqueCosmos stable – le Dieu unique assure le cours du mondeL’humanité est en mesure d’assurer une continuité et d’en avoir un réel aperçuMonothéisme avec réfutation de tout sens de changement hors du Dieu unique

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Le 8e congrès du PCF

Où en est le Parti communiste (SFIC) avec la modification ouverte en 1934 et vécu tout au long de l’année 1935 ? Son 8e congrès, à Lyon-Villeurbanne, les 22-25 janvier 1936, nous le dit.

Le parti s’appuie sur 74 400 membres, contre 28 000 en 1933 : en deux ans, il a plus que doublé. Il faut de plus ajouter les 25 000 membres de la Jeunesse communiste.

La région parisienne reste son socle, avec 28 000 membres y résidant. Suivent le Nord (8 000 membres) et la région de Marseille (6 250 membres).

L’Humanité tire à plus de 200 000 exemplaires, soit une augmentation d’un tiers par rapport à deux années auparavant, mais surtout le quotidien a un grand succès lors d’événements marquants. Ainsi, lors de l’agression de Léon Blum par l’Action française, le tirage est de 640 000 exemplaires.

Signe par contre du niveau idéologique catastrophique du Parti communiste (SFIC), son organe théorique Les Cahiers du Bolchevisme n’est tiré qu’à 4 000 exemplaires ; même L’Avant-Garde, hebdomadaire de la Jeunesse communiste, ne tire qu’à 40 000 exemplaires.

L’Université ouvrière mise en place à Paris propose de son côté 32 cours hebdomadaires (économie politique, radio, métallurgie, physique, langues vivantes, philosophie…), mais seulement 2 292 personnes y sont passées en 1934-1935.

Le Parti ne dépasse par un horizon syndicaliste, et ici un regard sur les 668 délégués au Congrès est nécessaire.

Si on met de côté les 49 membres du Comité central également présents, on peut voir que ces délégués ont surtout entre 26 et 40 ans ; comme on le sait ce sont pratiquement tous des hommes : il n’y a que 23 femmes au grand total, c’est-à-dire en comptant les « invités » également (soit 844 personnes au total).

Les délégués ont adhéré au Parti communiste (SFIC) de manière relativement équitable dans les différentes périodes (33 avant 1920, 97 en 1920-1923, 65 en 1924-1926, 84 en 1927-1929, 93 en 1930-1932, 41 en 1933, 104 en 1934, 49 en 1935).

Par contre, certaines professions y ont poids bien plus important que les autres : on a 215 métallurgistes, 95 employés, 55 travailleurs du bâtiment et terrassiers, 43 cheminots, 37 artisans et petits commerçants, 36 petits paysans, 31 techniciens ou enseignants ou médecins, 20 travailleurs du textile.

Mais, surtout, les délégués reflètent le milieu syndical. 381 délégués sont membres des syndicats où ils sont actifs, ce qui leur accorde la majorité par rapport aux cadres du parti en tant que tel (164 membres des bureaux régionaux, 96 membres de comités régionaux, 185 membres de comités de rayons, 67 membres des bureaux de cellules), ainsi que par rapport aux élus (1 sénateur, 32 députés et conseillers généraux et d’arrondissements, 83 maires, adjoints et conseillers municipaux).

Le Parti communiste (SFIC) avait mis en place la bolchevisation, c’est-à-dire la systématisation des cellules d’entreprise. La démarche n’a pas abouti : il y a 201 délégués de cellules d’entreprises industrielles et 26 délégués des cellules d’administration, alors qu’il y a 403 délégués des cellules de rue, de quartier ou locales, ainsi que 29 délégués des cellules de village.

C’est l’arrière-plan de l’opportunisme représenté par Maurice Thorez. Le Parti communiste (SFIC) est un parti syndicaliste, dont la démarche est vogue la galère. Lors de son intervention au début du congrès, Marcel Cachin, qui fait office de vieux sage du Parti, tient des propos exemplaires du pragmatisme régnant :

« Alors, je laisserai à mon ami Maurice [Thorez] le soin, je ne dis pas de nous justifier devant les très jeunes gens qui disent le Parti communiste devient bourgeois, le Parti communiste devient union sacrée, le Parti communiste devient militariste.

Non. Il n’y a pas ici un camarade auquel je ferais injure en répondant à de pareilles imbécillités, à de pareilles sottises. Non, Camarades, le Parti communiste est le disciple de LÉNINE et LÉNINE, lui, a dit : Quand tu auras un obstacle que tu ne pourrais pas attaquer de front, tu tourneras un peu, tu sauras reculer de temps en temps, c’est pour mieux avancer.

Et ceux qui ne comprennent pas cela ne comprennent rien à la dialectique matérialiste, dont la justesse nous a été démontrés si magnifiquement, théoriquement et dans l’action.

C’est pourquoi, dans notre campagne pour l’unité, nous sommes à l’heure actuelle les meilleurs défenseurs de l’unité, de l’unité sur tons les terrains et du Rassemblement Populaire.

C’est pour cela que notre Parti, est devenu si persuasif pour l’ensemble des prolétaires et que son prestige s’est extrêmement étendu. Et nous n’avons pas à reculer dans cette voie. »

L’intervention de Léonce Granjon de la Jeunesse communiste témoigne de manière assez hallucinante de la dilution du Parti communiste (SFIC) dans le front, avec une démarche syndicaliste assumée :

« Qu’était jusqu’ici la Jeunesse Communiste ?

Elle était encore trop un Parti Communiste de la Jeunesse. Par exemple Comme le Parti, elle était construite sur la base du centralisme démocratique.

Comme le Parti, elle demandait à ses adhérents de reconnaître la nécessite de la dictature du prolétariat. Elle exigeait de ses membres la même discipline, le même travail et, en conséquence, elle lui ressemblait par son organisation qui avait et qui a encore, ses régions, ses rayons, ses cellules.

Ainsi comprise, et ainsi construite, la Jeunesse Communiste resterait un Parti Communiste des Jeunes et ne pourrait guère grandir plus vite qu’elle grandit.

Il faut maintenant changer cela, et bien nous convaincre nous-mêmes qu’il n’y a pas deux Partis Communistes, un pour les adultes, et un pour les jeunes, mais qu’il ne peut y en avoir qu’un seul.

La tâche que nous avons à accomplir est celle-ci :

Unir tous les jeunes gens, toutes les jeunes filles du Peuple de France dans la défense des intérêts qui leur sont communs pour la sauvegarde de leurs libertés et de leur vie.

Unir tous les jeunes gens et les jeunes filles sans distinction d’opinion, de religion, de condition sociale même, à l’exception naturellement, de la jeunesse dorée des 200 familles qui pillent le pays et sont responsables des malheurs de la jeune génération.

Cette union, nous n’avons pas la prétention de la réaliser au sein de la Jeunesse Communiste, précisément parce que les jeunes de notre pays ont des opinions, des conceptions philosophiques et des préoccupations diverses, parce qu’ils sont en grande partie organisés dans des formations qui correspondent à ces préoccupations et à leurs opinions.

Cette union, nous la réaliserons en prenant les jeunes tels qu’ils sont avec leurs organisations auxquelles ils tiennent avec leurs opinions différentes et même sur certains points opposés.

Cette union, il ne faut pas attendre, pour la faire, que toute la jeunesse soit d’accord en vue de l’étude du marxisme-léninisme et veuille bien adhérer à notre Jeunesse Communiste.

Il faut la faire le plus vite possible et lui trouver les formes comités, rassemblements, cartels, congrès, etc., qui correspondent dans chaque ville ou localité à tel ou tel objectif particulier à atteindre.

Nationalement, cela suppose une collaboration entre toutes les organisations de la Jeunesse à laquelle, à l’exception des organisations purement fascistes, il nous reste encore à trouver les formes.

Mais, précisément, pour réaliser cette tâche et pour donner à cette masse partagée entre les courants d’opinions les plus divers une orientation qui permette à la jeunesse de trouver sa voie, il faut transformer notre propre organisation la Jeunesse Communiste.

Il faut qu’elle-même puisse être une organisation beaucoup plus souple et plus large qu’elle n’est actuellement.

La Jeunesse Communiste doit devenir une organisation de masse, sans parti, des jeunes.

Elle doit pouvoir grouper dans son sein tous les jeunes gens désireux de connaître les idées communistes, d’étudier la politique communiste, le marxisme-léninisme, tous les jeunes désireux de s’unir pour défendre leurs intérêts les plus divers.

Ces jeunes gens et ces jeunes filles doivent trouver dans la Jeunesse Communiste tout ce qui correspond à leurs besoins, à leur activité. Ils doivent pouvoir y étudier, s’y grouper pour la lutte, s’y distraire.

Ces jeunes gens peuvent venir des horizons les plus divers, être révolutionnaires, démocrates, chrétiens, libre-penseurs.

Comme on le voit, il ne s’agit plus d’un parti communiste des Jeunes, mais bien d’une organisation de masse dont les limites sont reportées très au loin de celles qui enserrent l’actuelle jeunesse communiste.

Ces limites seront déterminées seulement par le fait que la Jeunesse Communiste se fixe comme rôle l’éducation de ses membres dans le sens de la lutte des classes, du marxisme-léninisme, de l’internationalisme prolétarien.

En son sein plusieurs courants d’opinions pourront se manifester car les jeunes gens qui y adhérent, s’ils y viennent pour étudier la doctrine et les méthodes communistes ne seront pas encore des communistes.

La plus large démocratie y devra régner.

La Jeunesse Communiste sera donc d’un caractère tout différent de celui du Parti. Elle en sera indépendante entièrement.

Cependant, elle se fixe comme une tâche importante de persuader tous ses membres de la nécessité d’une liaison permanente avec l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat Le Parti Communiste.

Nous allons donc transformer toute l’organisation de la Jeunesse Communiste et lui donner une base correspondante à l’activité nouvelle qu’elle devra avoir.

Les cellules vont disparaître pour faire place à des groupes, des foyers, des cercles. »

Enfin, le manifeste du congrès, publié en brochure à 200 000 exemplaires seulement, exprime le basculement opportuniste thorézien du Parti communiste (SFIC), dont il ne se remettra jamais sur le plan idéologique. Le Parti communiste (SFIC) est un parti syndicaliste.

« Pour le salut du Peuple français

MANIFESTE DU VIIIe CONGRES NATIONAL DU PARTI COMMUNISTE (S.F.I.C.)

Un vent de détresse souffle sur notre beau pays de France, dont les richesses, au lieu de servir à embellir et à rendre plus heureuse la vie des hommes, sont accaparées par une minorité malfaisante de parasites.

Les magnats du Comité des Forges réalisent, malgré la crise, des millions et des millions de bénéfices, mais les salaires des ouvriers ont été réduits dans d’énormes proportions, tandis que s’étend ta plaie du chômage.

Les régents de la Banque de France, les de Wendel, les Rothschild accumulent de scandaleux profits, mais les traitements des fonctionnaires et des travailleurs des services publics ont été diminués à plusieurs reprises.

Les marchands de canons, les Schneider, les Hotchkis et autres, s’enrichissent de la vente de matériel de guerre à l’Etat, mais les pensions des mutilés et des victimes de la guerre ont subi deux prélèvements de 3 et 10 p. 100.

Les marchands d’engrais, Kuhlmann et Saint-Gobain, les marchands de fer et les spéculateurs drainent des millions et des millions, mais les paysans qui ne peuvent vendre leurs produits ou qui les vendent à vil prix, sont poussés à la ruine, en même temps que salaires et traitements sont frappés.

Les rois du commerce, les maitres de la finance réalisent des gains monstrueux sur la détresse de l’Etat et de l’Epargne, mais les petits commerçants, subissant le contre-coup de la misère des masses populaires, sont en grand nombre acculés à la faillite.

De nombreux intellectuels, ingénieurs, artistes et architectes, au lieu de pouvoir mettre leurs connaissances et leur talent au service de la société, sont contraints à l’inactivité.

La grande misère des laboratoires de France fait rougir de honte.

Les compressions faites sur tes dépenses de l’instruction publique aboutissent à l’augmentation du nombre des illettrés. Les privations imposées aux populaires, la politique néfaste des pouvoirs publics accroissent la mortalité infantile, la dégénérescence physique, la dénatalité et la dislocation de la famille.

C’est dans cette situation que s’élargit la tache noire de l’ignorance, et que s’étale la navrante détresse du sport français.

VOILA CE QU’ILS FONT DE LA FRANCE !

Voilà la politique des deux cents familles, qui se solde par la misère du peuple par l’affaiblissement du rayonnement intellectuel de la France.

Notre pays qui aux grandes heures du passé, et particulièrement pendant la Révolution française, fut un phare vers lequel se tournaient tous les peuples, gémit aujourd’hui sous le poids de l’oppression de la bande des ennemis de la nation responsables de l’appauvrissement des masses populaires, de la corruption et des scandales, de la désespérance qui s’empare de notre magnifique jeunesse, se demandant avec angoisse de quoi demain sera fait pour elle.

C’est dans un des pays tes plus riches du monde, aux ressources variées, aux possibilités énormes de production industrielles et agricoles que le peuple est ainsi plongé dans la misère.

Voilà ce qu’ils font de notre beau pays, ceux dont ta richesse insolente est faite des malheurs de ta population laborieuse.

Ils voudraient encore aller plus loin, étouffer la liberté et nous ramener en arrière. Ils voudraient détruire l’oeuvre de quatre révolutions et des héroïques combats que livrèrent nos pères.

Ils voudraient anéantir ce que conquirent nos aînés de la grande Révolution sous les plis du drapeau tricolore.

Ils voudraient étrangler la République, dont la lutte glorieuse des communards de Paris, sous les plis du drapeau rouge, assura le succès contre les partisans de la monarchie et de l’empire.

Ils voudraient instaurer dans notre pays le régime que Mussolini et Hitler font subir au grand peuple allemand que nous saluons dans la personne d’Ernst THAELMANN, héros de l’anti-fascisme, et au noble peuple italien que nous saluons dans la personne du lutteur antifasciste GRAMSCI.

Les ennemis du peuple, les La Rocque, les Maurras, les Taitinger, les Jean Renaud qui, avec cynisme, font appel à la violence contre la population française, et qui obéissent aux ordres de deux cents familles, voudraient faire régner l’esclavage sur notre pays.

Ils voudraient, dans l’esprit même des directives données par leurs inspirateurs étrangers, que le peuple de France soit privé de liberté pour pouvoir plus aisément le conduire à la guerre, le fascisme c’est la guerre.

LES FAUTEURS DE GUERRE A L’ŒUVRE !

Partout où le fascisme a triomphé, la politique de guerre triomphe.

Le Japon poursuit la conquête de la Chine et menace non seulement les Soviets chinois et l’Union Soviétique, mais vise aussi à la domination du Pacifique.

L’Allemagne d’Hitler, qui a refusé de signer les pactes de paix, menace non seulement l’Union Soviétique, mais les pays Baltes, la Tchécoslovaquie, l’Autriche, sans parler de la France, à laquelle un nouveau Sedan, succédant à un nouveau Sadowa, pourrait un jour lui permettre de régler son compte selon les prévisions de Mein Kampf.

L’Italie de Mussolini est engagée dans la guerre d’Abyssinie, violant le droit à l’indépendance’ d’un petit peuple, piétinant les pactes, et menaçant la paix mondiale. Ainsi le chef du fascisme tente dans une expédition sanglante d’échapper aux conséquences de sa politique d’asservissement du peuple italien.

Le gouvernement de Mussolini a été encouragé dans cette politique criminelle, qui soulève la réprobation universelle, par Laval, dont les accords de Rome furent repoussés à la Chambre par les seules voix du Parti communiste.

Et dans notre pays, des voix s’élèvent pour soutenir les agissements criminels des gouvernants qui se préparent à incendier et à ensanglanter le monde.

Ce sont des hommes comme Louis Bertrand, des chefs fascistes comme Trochu et de La Rocque, qui se prosternent devant Hitler, et veulent organiser des corps de volontaires français pour Mussolini.

Les traîtres de Coblentz ont de dignes successeurs. Ceux d’hier étaient avec le roi de Prusse contre nos pères, les soldats de Valmy. Ceux d’aujourd’hui sont avec le Duce d’Italie, avec le Führer d’Allemagne, et avec le Mikado du Japon contre la nation française.

Il est temps d’arrêter cette course à l’abîme, cet enlisement du peuple dans la misère, cet acheminement vers l’esclavage fasciste et vers la guerre.

Contre ceux qui conduisent ainsi notre pays à la déchéance et à la ruine, le Parti communiste appelle à la réconciliation de tous ceux qui, victimes des mêmes maux sont dressés les uns contre les autres par quelques parasites, dont le règne ne peut subsister que par la division des masses populaires.

PEUPLE FRANÇAIS !

Ouvriers, employés, paysans, fonctionnaires, petits commerçants et artisans, intellectuels et anciens combattants, hommes, femmes, jeunes.

Tous doivent s’unir dans une même volonté de paix. Dans une même volonté de se défendre contre tes responsables de la misère et de l’insécurité de notre pays.

A la politique néfaste des deux cents familles, le Parti communiste oppose un programme d’action et de rassemblement du peuple français.

Le Parti communiste qui veut UNE FRANCE LIBRE, FORTE ET HEUREUSE appelle les masses populaires à s’unir :

Peur défendre la liberté :

Par l’application immédiate de la loi sur la dissolution des ligues fascistes et par des poursuites contre les chefs factieux qui provoquent au meurtre et à la violence contre le peuple.

Par l’épuration de l’armée des officiers royalistes et fascistes, l’octroi des libertés politiques aux soldats et le soutien des officiers républicains contre les factieux.

Par le maintien des droits du Parlement en matière budgétaire.

Par l’extension de la loi de 1884 sur le droit syndical à toutes les catégories professionnelles, sans distinction, en particulier pour les fonctionnaires.

Par la représentation proportionnelle pour toutes les assemblées législatives, départementales et communales et le vote des femmes.

Par l’amnistie pour toutes les victimes des luttes populaires.

Pour la défense de la paix :

Par la collaboration des peuples en vue de l’organisation de la sécurité collective englobant tous tes pays.

Par l’ouverture d’une enquête sur la politique extérieure de M. Laval, qui a favorisé les entreprises guerrières du fascisme.

Par le contrôle de la fabrication et du commerce des armes.

Par l’action contre toute augmentation du temps de service militaire et pour la défense des revendications des soldats (augmentation du prêt transport gratuit en chemin de fer, allocations aux soutiens de famille).

Par le développement d’une vaste action populaire en vue de paralyser la politique de guerre de Mussolini, et en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Par la lutte contre la haine chauvine et pour le développement de la fraternité entre les peuples.

Par l’action pour le désarmement général dont les propositions soviétiques ont fourni la base.

Par la ratification et l’application loyale du pacte franco-soviétique.

Pour défendre le pain des travailleurs :

Par l’action contre toute diminution de salaires et traitements et pour la récupération des sommes perdues en application des décrets-lois et des mesures patronales.

Par la semaine de 40 heures sans diminution de salaires.

Par le contrat collectif et la révision de la loi des assurances sociales, en vue de son extension, et de l’augmentation des prestations.

Par l’amnistie et la réintégration pour tous les fonctionnaires frappés en raison de leur action syndicale.

Par l’institution de délégués à l’hygiène et à la sécurité dans toutes les entreprises.

Par l’inscription obligatoire de tous les chômeurs et l’ouverture de fonds de chômage dans toutes les communes.

Par l’exonération du loyer aux chômeurs et la révision générale de la loi sur les loyers.

Par l’abrogation de la réforme fiscale de 1934, la suppression de la taxe sur le chiffre d’affaires et des impôts sur les objets de première nécessité.

Par la réforme de la fiscalité et l’établissement d’un impôt progressif unique sur le revenu.

Par la déchéance du Conseil de Régence et la nationalisation de la Banque de France, qui doit être la Banque de la France.

Par un prélèvement progressif sur les grosses fortunes au-dessus de 500.000 francs afin de faire payer les riches et soulager les pauvres.

Par le moratoire des dettes, la révision des baux, des billets de fonds, et l’institution de la propriété commerciale, intégrale pour tes petits commerçants.

Par la revalorisation des produits agricoles, le moratoire des dettes agricoles, par des prêts sans intérêt, et des secours aux paysans travailleurs ruinés par la crise, par la réduction des impôts, des fermages et l’extension des lois sociales aux ouvriers agricoles.

Telles sont les revendications pour lesquelles lutte le Parti communiste, et dont le succès dépend de l’union du peuple de France.

LA RÉCONCILIATION FRANÇAISE

Les deux cents familles voudraient que le peuple de France soit partagé en deux camps, parce que cela correspond à leur volonté de guerre civile.

Sans doute nous avons riposté à la politique de division des ennemis du peuple, mais il faut faire mieux, les chefs factieux, agents du capital financier, trompent des hommes dont la place est dans les rangs du peuple pour défendre le pain, la paix, la liberté.

Personne ne peut ignorer que si aujourd’hui le Front populaire unit de larges masses de travailleurs, sans distinction d’opinions, c’est grâce à la volonté unitaire inébranlable, dont a fait preuve notre grand Parti communiste.

Pendant treize ans, notre Parti a lutté pour que se réalise l’unité d’action entre travailleurs socialistes et communistes, prélude et condition de la marche au parti unique du prolétariat, que veulent tes communistes.

Ces efforts persévérants, préparèrent le rassemblement des masses pendant les journées de février 1934, au cours desquelles notre Parti organisa la première riposte antifasciste du peuple de Paris, le 9 février, place de la République.

Ces efforts devaient, par la suite, aboutir à la conclusion du pacte d’unité d’action entre le Parti communiste et le Parti socialiste, signé le 27 juillet 1934.

Ces efforts persévérants, préparèrent le rassemblement populaire et à la grandiose manifestation du 14 juillet 1935. Ainsi, grâce an Parti communiste, parti des travailleurs, qui poursuit l’objectif d’instauration de la République française des Soviets, les masses populaires se sont unies et ont arrêté la marche du fascisme.

Sans cette union, la nuit noire se serait abattue sur notre pays.

Les camps de concentration et les prisons seraient peuplés de partisans de la liberté, et peut-être la guerre aurait-elle déjà aligné de nouveaux régiments de croix blanches dans les vallons et les plaines.

L’union qui nous a sauvés jusqu’à maintenant des malheurs du fascisme peut seule nous sauver définitivement.

C’est pourquoi le Parti communiste, dont tous les actes tendent à servir le peuple, et dont les membres ne recherchent ni avantages personnels, ni portefeuilles ministériels, est le parti de :

L’UNION DE LA NATION FRANÇAISE

La nation française, c’est le peuple admirable de notre pays, au cœur généreux, à la fière indépendance et au courage indomptable.

La nation française, c’est cette somme de glorieuses traditions et de généreuses aspirations, que piétinent les tenants du fascisme.

La nation française, c’est la pléiade des intellectuels et des représentants de la science qui, devant la décadence de notre pays, se tournent de plus en plus nombreux vers le grand idéal humain qu’est le communisme.

La nation française, c’est le prolétariat magnifique amoureux de son travail, en qui vivent les souvenirs de 1793, de 1830, de 1848 de 1871, et en qui s’incarnent les grands espoirs de l’avenir.

La nation française, c’est la masse des paysans, des fils de Jacques Bonhomme qui, maintes fois, se levèrent contre leurs oppresseurs et qui, pendant la grande Révolution, brûlèrent les titres de propriété des comtes et des marquis, dont les descendants voudraient aujourd’hui faire revivre leurs vieux privilèges.

La nation française, c’est cette magnifique jeunesse qui, toujours a incarné les plus pures vertus d’abnégation et de vaillance et en qui sont latentes aujourd’hui les qualités des devanciers qui écrivirent de magnifiques pages de notre histoire.

L’union de la nation française seule peut redonner à la France le rayonnement qu’elle a perdu.

Seule cette unité peut arrêter la course à l’abîme et faire de notre pays, que nous aimons, un pays fort de l’amour inspiré a tous les peuples.

Le peuple de France veut la paix dans la fraternité internationale. Avec le Parti communiste, il salue dans l’Union soviétique le rempart de la paix et la grande espérance de fraternité humaine.

Il salue dans le peuple allemand, le peuple des penseurs et des philosophes que martyrise Hitler.

Il salue dans le peuple italien, le peuple des artistes et de la civilisation latine que Mussolini tient sous sa botte.

Il salue dans la fraternité de combat de tous les peuples contre les ennemis de la paix et de la liberté, la garantie des victoires de demain.

De plus en plus nombreux sont ceux qui, conscients des services rendus par le Parti communiste à la grande cause de la liberté, voient peu à peu que la véritable libération des hommes ne se fera qu’avec la victoire du communisme, qui assure la souveraineté du travail.

La victoire du communisme a non seulement dans un grand pays de 180 millions d’habitants, supprimé le chômage et assuré du travail à tous, mais elle a donné jour a un homme nouveau, l’homme qui, cessant d’être un loup pour l’homme, est un frère pour l’homme.

C’est pourquoi ceux qui ne veulent pas retomber dans l’ornière de la barbarie sont amenés non seulement à s’unir aux communistes, dans l’immédiat, mais à voir que notre Parti lutte pour le bonheur des hommes dans le travail, la paix, la liberté et la prospérité.

PEUPLE FRANÇAIS, c’est pour ton salut que nous te convions â l’union. Le Parti communiste, héritier de Babeuf, de Jaurès, de Guesde et de tous les pionniers du socialisme, t’appelle à l’unité, lui qui lutte sous le drapeau de Marx, Engels, Lénine, Staline, pour te défendre aujourd’hui et pour te libérer demain.

En premier lieu, après les minutes d’intense émotion que les deux cents familles !

En avant sons le drapeau du Front populaire du pain, de la paix et de la liberté !

En avant pour une France libre, forte et heureuse !

Vive le Parti Communiste Français !

Vive l’Internationale Communiste !

Vive la République Française des Soviets ! »

On ne sera pas étonné que Maurice Thorez, dans son discours de clôture du 8e congrès, présente comme la « revendication essentielle » le désarmement et la dissolution des ligues. Dans les faits, le Parti communiste (SFIC) est passé du culte gauchiste de la casquette ouvrière à la fascination du cadre syndicaliste et municipal pour le costume.

Ses activistes sont syndicalistes et élus municipaux ; il n’y a pas d’analyse historique de la France et le Parti ne maîtrise pas l’idéologie pour assumer une quelconque direction.

Lorsque fin janvier 1936 est annoncée l’unité CGT pour un congrès d’unité début mars, tout est perdu : le Parti communiste (SFIC) est obligé de suivre et de faire profil bas, l’idéologie syndicaliste protège son autonomie anti-parti, comme en témoigne la déclaration commune socialiste-communiste, d’une extrême prudence par rapport à la susceptibilité syndicaliste :

« Chers Camarades,

Le Parti communiste et le Parti socialiste qui veulent l’unité de la classe ouvrière,
saluent les représentants des syndicats réunis à Toulouse, dans une même C. G. T.
Le premier Congrès de la C.G.T. unifiée marquera une grande date dans l’histoire
du mouvement ouvrier français.

L’union ainsi réalisée rapproche l’heure de la libération des masses travailleuses.
Vive la C. G. T. unifiée !

Vive l’unité de la classe ouvrière pour la défense de son pain et pour la victoire
sur les forces de fascisme et de guerre !

LE PARTI COMMUNISTE
LE PARTI SOCIALISTE »

Les élections d’avril-mai 1936, avec la victoire électorale du Front populaire, finira d’intégrer le Parti communiste (SFIC) dans le panorama politique bourgeois, jusqu’à la catastrophe de 1940 où la fidélité à l’URSS le forcera à reprendre un positionnement antagonique, du moins pendant la seconde guerre mondiale et l’immédiate après-guerre.

=>Retour au dossier sur Le Parti communiste (SFIC)
et la construction du Front populaire en 1934-1935

La loi de dissolution des ligues d’extrême-droite et la loi du 10 janvier 1936

Le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) ont intégré qu’il fallait la convergence avec les radicaux. Lorsque le 11 novembre 1935, 100 000 anciens combattants défilent, en exigeant du gouvernement différents droits, ils ont le soutien de 150 000 manifestants, avec l’appui complet du Parti communiste (SFIC).

Tout le discours du Parti communiste (SFIC) vise à dire que l’extrême-droite est au service soit de l’Allemagne nazie soit de l’Italie fasciste, que le gouvernement Laval est réactionnaire et en collusion avec l’extrême-droite, que par conséquent il faut sauver la France, les Français et « les libertés ». La dénonciation de la bourgeoisie est effacée au profit des attaques contre « l’oligarchie » et les références à la révolution française deviennent une norme.

Ce qui est dénoncé, c’est l’esprit de « guerre civile », considéré comme une discorde menaçant la France, et même la défense de la valeur du franc est prétexte à des revendications patriotiques et des appels à la stabilité.

La mise en avant de l’URSS rentre dans ce cadre, car l’URSS est considérée comme un facteur international de paix et un allié pour la France ; ici on est très clairement en convergence avec les radicaux qui voient en l’URSS une force capable de faire contrepoids à l’Allemagne.

Le Parti communiste (SFIC) se présente donc comme le vrai artisan de la « réconciliation française », car avec le Front populaire il y a le moyen de dissoudre et de désarmer les ligues.

Celles-ci, indéniablement, pratiquent un jeu absurde. Malgré qu’elles aient été mises totalement dans les cordes en février 1934, elles continuent un jeu agressif qui déplaît fortement à l’opinion publique française.

Il y a ainsi de nombreux morts, en plus des nombreuses agressions et attaques.

Albert Perdreaux est assassiné par les Jeunesses patriotes, le 12 février 1934, à Chaville ; Joseph Fontaine est tué par les Camelots du Roi le 11 avril 1934, à Hénin-Liétard.


Jean Lamy est assassiné le 15 mai 1934 par les Jeunesses patrio
tes à Montargis ; Paul Dejean est tué en mai 1935, par les Camelots du Roi à Toulouse, Marcel Cayla en juin 1935, par les Croix-de-Feu, à
 Moissac.


À chaque fois, les assassins s’en sortent, ou bien sont condamnés à des peines infimes. D’où la pression immense pour la dissolution des ligues.

La loi du 10 janvier 1936 va en ce sens jouer un rôle immense dans l’histoire de France, et de manière erronée on l’attribue au Front populaire. En réalité, elle date du gouvernement dirigé par Pierre Laval. Celui avait été maire et député SFIO dans les années 1920, avant de passer à droite ; il sera ensuite la grande figure de la collaboration avec l’Allemagne nazie aux côtés du maréchal Pétain.

Dans les années 1930, il est plusieurs fois ministre (Intérieur, Affaires étrangères, Travail, Colonies) et surtout président du Conseil des ministres (soit l’équivalent du « super » premier ministre) du 7 juin 1935 au 24 janvier 1936.

Le Parti communiste (SFIC) le dénonce comme très favorable à l’Italie fasciste et aux Croix-de-feu de La Rocque ; en pratique Laval, un opportuniste manoeuvrier professionnel, fonctionne avec une majorité bricolée, passant par des décrets-lois pour mettre en place une politique économique de déflation, abaissant notamment de 10 % les salaires des fonctionnaires.

Sauf que les radicaux en ont assez des ligues et que le parlement, dont l’existence même est menacée par l’extrême-droite faisant de l’antiparlementarisme sa raison d’être, a donc décidé de passer à l’action.

Naturellement, la mise en place de la loi profite de la pression du Front populaire ; néanmoins, ce n’est pas le Front populaire qui met la loi en place : c’est très important pour bien comprendre que cette loi est portée par une partie de la bourgeoisie elle-même, celle-ci ne s’alignant pas sur l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste.

Que dit la loi du 10 janvier 1936 ? Tout d’abord, il faut bien saisir que c’est une loi, produite par un décret-loi gouvernemental. C’est une décision administrative du gouvernement qui, justement, autorise celui-ci (ou le président) à dissoudre une association de type loi de 1901.

La loi de 1901 précise déjà dans quelle mesure une association peut être dissoute : en cas d’une cause ou d’un objet illicite, en cas d’activités contraires à la loi ou aux bonnes mœurs, qui viseraient à changer la « forme républicaine du gouvernement » ou bien « porter atteinte à l’intégrité du territoire national ».

La loi de 1936 permet d’être plus rapide déjà, et ensuite elle vise en particulier la dimension militaire des associations.

Son premier article stipule ainsi que :

« Seront dissous, par décret rendu par le Président de la République en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

1° Qui provoqueraient à des manifestations armées dans la rue ;

2° Ou qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le Gouvernement, des sociétés d’éducation physique et de sport, présenteraient, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

3° Ou qui auraient pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement. »

Le deuxième article prévoit la répression en cas de maintien ou éventuellement de reconstitution ; le troisième article annonce la confiscation des biens et armes de l’association ; l’article 4 aborde l’application pour l’Algérie et les colonies.

La loi n’impliquait aucune répression immédiate, mais elle fut mise en pratique immédiatement après son instauration. Le principal dirigeant du Parti socialiste (SFIO), Léon Blum, revenant en voiture du parlement le 13 février 1936, eut en effet le malheur de tomber dans le convoi de l’Action française accompagnant le cercueil de Jacques Bainville, un de ses principaux cadres.

Des ouvriers du bâtiment d’un chantier voisin purent sauver Léon Blum, qui manqua de se faire tuer alors qu’il avait été sorti de la voiture et roué de coups.

Cela se déroulait juste après l’anniversaire de la révolte antifasciste qui avait suivi le 6 février 1934, 150 000 personnes défilant à Paris le 9 février 1936 : l’émotion fut énorme. Une gigantesque manifestation s’ensuivit le 16 février à Paris, de Panthéon à Nation, avec sans doute autour de 500 000 personnes.

Le même jour, le Front populaire triomphait aux élections en Espagne : la journée fut un incroyable marqueur politique. La grande revendication fut alors, comme il se doit, l’interdiction des ligues.

Voici le communiqué commun socialiste-communiste :

« CONTRE LE FASCISME ASSASSIN

Le Comité de Coordination du Parti Socialiste et du Parti Communiste, réuni le 20 février 1936, se félicite du caractère grandiose de la manifestation populaire du 16 février dernier, organisée à la suite de l’odieux attentat des bandes royalistes contre le camarade Léon BLUM.

Sûr d’être l’interprète de la population laborieuse de France, le Comité de Coordination s’étonne :

Que les mesures indispensables de protection des libertés publiques n’aient pas été prises par le gouvernement ;

Que des hommes, comme M. Maurras, et des journaux, comme l’« Action Française », continuent d’avoir la liberté de provoquer les assassinats ;

Que la dissolution des ligues et groupements d’« Action Française » ne soit pas encore effective.

Ces actes de tolérance donnent aux factieux de nouvelles raisons de poursuivre leur activité criminelle de préparation à la guerre civile.

Le Comité de Coordination s’élève avec force contre les lenteurs apportées par le gouvernement à l’application de la loi aux bandes royalistes, tandis que des défenseurs de la liberté sont emprisonnés.

II est inadmissible de voir M. Charles MAURRAS en liberté tandis que le camarade communiste COUTANT, âgé de 78 ans, est en prison, comme gérant de journal, pour des articles de presse relatant des décès de soldats dans les casernes, tandis que les camarades communistes LABESSE et GIRAUT sont eux aussi emprisonnés pour le même motif.

Il est également inadmissible que les cambrioleurs du siège de la Fédération Socialiste de la Seine soient acquittés et que I’ « Humanité » et d’autres journaux prolétariens soient l’objet de poursuites.

Lé Comité de Coordination appelle les organisations socialistes et communistes et tous les travailleurs à exiger l’application de la loi contre les factieux et la libération immédiate des militants qui ont lutté pour la cause du peuple.

LE COMITE DE COORDINATION DU PARTI SOCIALISTE ET DU PARTI COMMUNISTE. »

Néanmoins, en pratique, le jour même de l’agression contre Léon Blum, le conseil des ministres organisa une réunion où, sous l’égide d’Albert Sarrault nommé à la fois président du conseil et ministre de l’Intérieur trois semaines auparavant, est décidée la dissolution de la Ligue d’Action française, de la Fédération nationale des Camelots du roi et de la Fédération nationale des étudiants d’Action française.

Le Conseil d’État valida la décision par l’arrêt d’Assemblée publique Sieurs de Lassus, Pujo, et Real del Sarte du 4 avril 1936 ; le juge administratif alla jusqu’à considérer qu’il était légal de prendre en compte l’activité de l’Action française avant l’instauration de la loi du 10 janvier 1936.

Il était en effet visible sans ambiguïtés que l’Action française « tend au rétablissement de la monarchie par tous moyens, notamment par l’emploi de la force » et que « les trois groupements dissous concourent par leur activité à la réalisation de cet objet ».

La décision de la dissolution de l’Action française procède donc d’un gouvernement dirigé par le radical Albert Sarraut, qui ministre de l’Intérieur en 1927 avait expliqué que « le communisme, voilà l’ennemi ! ».

C’est un aspect à bien comprendre pour ne pas perdre de vue le rôle et le poids des radicaux dans cette phase historique.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

L’union Parti communiste-Parti socialiste en convergence avec les radicaux: les « deux cents familles »

La nomination de Pierre Laval comme chef du conseil en juin 1935 et sa décision de gouverner par décrets-lois est prétexte à une grande polarisation de la part du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) ; comme il s’agit de désormais toujours intégrer les radicaux dans la perspective, on passe à un discours « national ».

Les décrets-lois ne représenteraient que les intérêts d’une poignée de capitalistes, qui plus est vendus à l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste ; il faut l’unité nationale la plus large pour empêcher le désastre.

C’est le moment où commence l’expression « deux cents familles » pour désigner une oligarchie ; le Parti communiste (SFIC) va l’employer avec une grande régularité. Son mot d’ordre est de parler du « fascisme agent de l’étranger et des 200 familles qui divisent la nation française ».

L’origine de l’expression est pourtant à chercher les radicaux, puisque c’est Édouard Daladier qui l’emploie le premier lors du congrès du Parti radical-socialiste à Nantes en octobre 1934.

Voici ses propos :

« Ce sont deux cents familles qui, par l’intermédiaire des conseils d’administration, par l’autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l’économie française mais de la politique française elle-même.

Ce sont des forces qu’un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n’eût pas tolérées dans le royaume de France. L’empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit.

Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l’opinion publique, car elles contrôlent la presse. »

L’appel commun socialiste-communiste de la fin juillet 1935 exprime cette ligne « nationale » :

« À bas les décrets-lois de misère

Les mesures déflationnistes que vient de prendre le gouvernement Laval constituent une véritable provocation l’égard de tous les travailleurs des Services publics, des pensionnés et de l’ensemble des producteurs.

C’EST UN VÉRITABLE ATTENTAT CONTRE LA NATION.

En s’attaquant directement aux conditions d’existence d’une grande partie de la population le gouvernement montre une fois de plus au patronat la voie à suivre pour diminuer les salaires des travailleurs de l’industrie privée.

Ces mesures dites d’économies frappent les petites gens au lieu de s’attaquer au grand capital.

Onze milliards enlevés à la circulation dans le pays, cela signifie des milliers de faillites de petits commerçants, une aggravation de la misère à la campagne, l’accentuation du marasme économique et la paralysie croissante de l’activité industrielle.

Les décrets-lois qui abaissent les conditions d’existence du monde du travail ne résoudront nullement tes difficultés financières, au contraire ils mettront le franc en danger.

Le Parti communiste et le Parti socialiste nettement opposés à la politique de déflation et soucieux de soutenir l’action des masses frappées par les décrets-lois de misère, décident

1° D’appeler les organisations communistes et socialistes aider de toutes leurs forces au rassemblement de tous les groupements directement intéressés à l’action contre les décrets-lois (Syndicats, associations d’anciens combattants, etc.), et à soutenir toute action contre les décrets-lois qui frappent, les travailleurs

2° D’inviter les municipalités des deux Partis à préparer eh commun un plan d’action pour organiser la protestation contre les décrets-lois portant atteinte aux intérêts de la population laborieuse

3° D’inviter les conseillers généraux de la Seine, des deux Partis, à demander la réunion du Conseil général, afin d’examiner les conséquences des décrets-lois sur le budget départemental et pour organiser ta défense de tous les travailleurs des Services publics. Les conseillers généraux de province des deux Partis agiront de même.

CONTRE LA POLITIQUE DE MISÈRE DES DÉCRETS-LOIS

POUR DÉFENDRE LE PAIN, GARANTIR LA PAIX ET SAUVEGARDER LA LIBERTÉ

VIVE L’UNITÉ D’ACTION DES TRAVAILLEURS

LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C. LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O. »

L’opposition à Pierre Laval est très forte, et 50 000 fonctionnaires n’hésitent pas à manifester contre leurs baisses de salaires (de 10%) à Paris malgré l’interdiction. Les manifestations vont également se multiplier dans le pays.

Cet autre appel commun socialiste-communiste de la fin juillet 1935 reflète comment, malgré l’alignement sur les radicaux, il y a la tentative d’utiliser la situation pour ancrer des valeurs du mouvement ouvrier.

« VIVE L’UNITÉ D’ACTION POUR LA PAIX ET LA LIBERTÉ

Dans tout le pays l’ardente volonté de paix et de liberté du peuple de France s’est magnifiquement exprimée te 14 juillet.

Le Parti socialiste et le Parti communiste se félicitent d’avoir préparé les voies de ce magnifique rassemblement des énergies populaires EN SIGNANT, LE 27 JUILLET 1934, LE PACTE D’UNITÉ D’ACTION.

Aussi cette date mérite-t-elle d’être commémorée par les travailleurs.

Le Parti communiste et le Parti socialiste appellent les masses laborieuses à célébrer l’anniversaire de la signature du Pacte et à confondre dans un même acte de foi révolutionnaire leur volonté d’unité, leur volonté de liberté et de paix.

Partout où cela sera possible, les organisations socialistes et communistes se feront un devoir d’organiser en commun, fin juillet ou début d’août, des réunions, fêtes populaires ou démonstrations,

1° pour commémorer la signature du pacte d’unité d’action, qui a permis d’infliger de retentissants échecs au fascisme et qui est le prélude de l’unité totale de la classe ouvrière

2° pour manifester à l’occasion de l’anniversaire de la déclaration de guerre notre volonté inébranlable de défendre la paix et de lutter avec tous les peuples contre les fauteurs de guerre

3° pour honorer en Jean-Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914, la première et la plus grande victime de la guerre, le valeureux défenseur de la paix, l’ennemi implacable des puissances de ruine et de guerre, le prestigieux tribun du peuple

4° pour honorer la mémoire de Jules Guesde (mort le 28 juillet 1922), le vulgarisateur du marxisme en France, qui a tant contribué à donner au prolétariat français le sentiment de sa force et de son indépendance de classe.

Nous faisons appel à tous les partisans de la paix et de la liberté dont la cause se confond, car si le fascisme triomphait en France la guerre serait aussitôt à l’ordre du jour, pour commémorer ces anniversaires avec les socialistes et les communistes dans un même sentiment de confiance et d’espérance dans un avenir meilleur.

À bas la guerre
A bas le fascisme
Pour la paix et la liberté
Vive l’unité

LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O.

LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C. »

En août 1935, une grève des arsenaux à Toulon affronte la répression policière et des provocations, deux ouvriers se faisant tuer. Sont ensuite présentes à leurs obsèques 30 000 travailleurs. Un autre décès va fortement marquer les esprits, celui d’Henri Barbusse, le fameux auteur du roman Le feu qui n’a eu de cesse de travailler pour le Parti communiste (SFIC) depuis sa fondation. 300 000 personnes accompagnent son cercueil le 7 septembre 1935.

Alors qu’on avance vers les élections parlementaires d’avril-mai 1936, les choses sont claires : l’union pratique socialiste-communiste est inébranlable et la convergence avec les radicaux – contre les grosses fortunes, pour les libertés, pour la république, contre la guerre – est l’arrière-plan fondamental.

Voici la plate-forme commune du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) établie en septembre 1935 :

« Les grands capitalistes mettent tout en œuvre pour faire peser le poids de la crise sur les masses laborieuses dont les conditions d’existence ont été considérablement avilies.

Cette situation a été encore aggravée par les décrets-lois du gouvernement Laval qui ne frappent pas seulement les travailleurs de l’Etat, les anciens combattants et par répercussion la masse des salariés. Les décrets-lois portent également atteinte à l’ensemble de l’économie nationale en diminuant la capacité de consommation des masses populaires et ils mettent le franc en danger.

Il faut COMBATTRE une telle politique de spoliation et de misère.

Il faut défendre le pain des travailleurs.

– par la revalorisation des salaires et traitements ;

– par l’abrogation des décrets-lois qui atteignent si cruellement les conditions d’existence des travailleurs des services publics, des pensionnés, des retraités, des assistés de toutes catégories ;

– par la rupture avec l’absurde et inique politique de déflation qui, en comprimant férocement- le niveau de vie des masses laborieuses, ne fait qu’aggraver la misère paysanne, industrielle, le marasme commercial ;

– par une action cohérente et méthodique orientée vers le développement de ta capacité d’achat des travailleurs-consommateurs, seul moyen d’atténuer tes effets de la crise de l’économie capitaliste.

Il faut défendre le PAIN des -travailleurs en assurant à tous des SALAIRES NORMAUX par la généralisation des conventions collectives de travail soumises au contrôle ouvrier.

Il faut défendre le PAIN des paysans en leur garantissant des PRIX RÉMUNÉRATEURS pour la vente de leurs produits notamment par l’institution d’offices publics agricoles, le développement des coopératives de vente en liaison avec les coopératives de consommation en ajustant le taux des baux à fermes et les redevances de métayage aux conditions économiques actuelles.

Il faut défendre le pain des CHÔMEURS en créant un fonds national de chômage et en établissant une réglementation plus humaine des allocations.

Il faut remédier à la crise de chômage en répartissant judicieusement sur la collectivité des travailleurs les disponibilités de travail, c’est-à-dire :

– en pratiquant la diminution systématique des heures de travail, l’instauration de la semaine de 40 heures, sans diminution de salaire :

– en prolongeant l’âge de la scolarité pour les jeunes ;

– en organisant la relève des travailleurs âgés de plus de 60 ans assurés de moyens suffisants d’existence, par une amélioration de la législation des A. S. ;

– en augmentant les occasions de travail par la mise en route d’une politique de grands travaux d’intérêt collectif et social, financés à l’aide de MESURES FRAPPANT LES GROSSES FORTUNES et servant de gage à l’emprunt.

Il faut DÉFENDRE LA PAIX et démasquer la politique extérieure de Laval, hypocrite et à double face qui, de plus en plus, s’écarte du système de l’assistance mutuelle et de la: sécurité collective, permettant le désarmement général.

Il faut défendre la paix par l’interdiction de la fabrication et du commerce privé des armes :

– par une action intensifiée contre le militarisme, le colonialisme, les crédits d’armement et la diplomatie secrète.

Il faut sauvegarder la LIBERTÉ :

– par le désarmement et la dissolution des ligues fascistes ;

– par le maintien et le développement des libertés démocratiques, communales et syndicales pour tous les citoyens ;

– par la défense de l’école laïque ;

– par la libération de l’État du joug de la féodalité financière, en établissant la souveraineté de la Nation sur la Banque de France par la déchéance du Conseil de régence en procédant la nationalisation des grands monopoles capitalistes qui, sans pouvoir être considérée comme un élément d’instauration du socialisme, peut se réaliser dans le cadre du système social actuel en attaquant dans les postes principaux d’où elles dominent toute la vie du pays les forces du grand capital ;

En organisant l’action contre le gouvernement Laval sur la base de cette plate-forme commune, le parti communiste et le parti socialiste revendiquent l’honneur d’être à la pointe du combat et l’exemple donné par eux permettra d’appeler à faction commune dans les meilleures conditions les diverses organisations politiques et syndicales, chacune gardant son programme général propre.

Le parti communiste et le parti socialiste pensent ainsi contribuer efficacement à la réussite d’un grand mouvement populaire capable de déterminer un changement dans la situation politique et dans l’orientation de l’action gouvernementale.

LE PARTI COMMUNISTE S.F.I.C.

LE PARTI SOCIALISTE S.F.I.O. »

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La ligne du PCF du 14 juillet 1935

Pour bien comprendre la double nature de l’initiative du 14 juillet 1935, où le Parti communiste (SFIC) se fait littéralement « manger », voici les documents concernant cette manifestation de masse.

Pour commencer, l’appel.

« Le Rassemblement du 14 juillet et les Assises de la paix et de la Liberté

Le 14 juillet 1935 : immense rassemblement de toutes les forces résolues à défendre la liberté.

Du plus humble village à la capitale, nous opposerons aux entreprises des factieux, les masses profondes celles qui travaillent, celles qui pensent, celles qui veulent une France juste et libre.

Le 14 juillet 1789, le peuple de France emportait la Bastille et révélait au monde la liberté. Cent cinquante années d’effort continu, quatre révolutions lui permirent de garder et de consolider ses conquêtes.

Nous vous appelons à reprendre la grande tradition révolutionnaire qui faisait du 14 juillet le jour du souvenir, le joue de l’espérance et de la communion des volontés populaires.

Aujourd’hui, une faction fasciste armée s’apprête à monter à l’assaut de la République et de la liberté.

Contre la souveraineté populaire, une vaste conspiration se trame pour abattre la démocratie, remplacer la loi de la majorité par la dictature de deux cent familles privilégiées, qui n’attendent que le moment de vous abattre et de vous asservir.

Contre ce suprême effort des ennemis du peuple, contre le danger imminent, nous lançons un cri de ralliement à tous ceux qui entendent libérer la Nation de l’emprise des puissances financières, nouvelle féodalité, à tous ceux qui, attachés aux conquêtes du passé, veulent préparer un avenir meilleur.

En France, depuis 1789, toutes les défaites du peuple sont nées de sa désunion.

Des démocraties voisines ont été écrasées parce que les défenseurs des libertés n’avaient pas su se dresser, résolus et unis, contre l’ennemi commun. En France, pour résister et pour vaincre, il nous faut, à nous, faire front contre cet ennemi commun.

Aucune manifestation n’aura jamais atteint l’ampleur de ce Rassemblement populaire qui déferlera, dans le calme et la dignité, à travers tout le territoire pour ce 14 juillet de résistance et de certitude.

Nous faisons le serment de rester unis pour défendre la démocratie, pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour mettre nos libertés hors de l’atteinte du fascisme.

Nous jurons, en cette journée qui fait revivre la première victoire de la République, de défendre les libertés démocratiques conquis. par le peuple de France, de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse, et au monde, la grande paix humaine.

Au nom du Comité d’organisation ; pour les 48 associations nationales déjà adhérentes :

Ligue des Droits de l’Homme, Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, Amsterdam-Pleyel, C.G.T., C.G.T.U., Anciens combattants, Parti républicain radical et radical-socialiste, Parti socialiste S.F.I.O., Parti communiste S.F.I.C., Inter-groupe des partis socialistes. »

Voici les mots d’ordre de la manifestation.

« Pour libertés démocratiques
Désarmement et dissolution des ligues fascistes
Pour arracher l’État aux féodalités économiques
Pour l’organisation de la paix e du désarmement simultané, progressif et contrôlé
Du pain à tous ; aux paysans le fruit de leur peine ; aux jeunes, du travail
Pour la destruction de toutes les Bastilles
La jeunesse veut vivre par le travail, dans la paix et la liberté. »

Voici le serment de la manifestation.

« Au nom de tous les partis et groupements de liberté et des organisations ouvrières et paysannes,

Au nom du peuple de France rassemblé aujourd’hui sur toute l’étendue du territoire,

Nous, représentants mandatés ou membres du Rassemblement populaire du 19 juillet 1935,

Animés par la même volonté de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au monde,

Nous faisons le serment solennel de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour défendre et développer les libertés démocratiques et pour assurer la paix humaine. »

Enfin, la catastrophe totale révélatrice s’il en fallait de la soumission à l’État : « Le salut à l’armée ». Celui qui a prononcé cette déclaration est Marc Rucart.

Il s’agit du député radical-socialiste des Vosges qui a été le rapporteur général de la commission du 6 février 1934. Le parlement voulait étudier le rapport, le président du Conseil Pierre Laval s’y opposa et ce fut le début de la fracture des radicaux avec l’aile droite du parlement. La loi du 10 janvier 1936 est le prolongement direct du rapport.

Ce « salut à l’armée » a été prononcé à l’occasion des Assises de la Paix et de Liberté, le 14 juillet 1935, parallèlement à la grande manifestation de masse.

Ces assises se sont tenues au stade Buffalo, avec 10 000 délégués, représentant la Ligue des Droits de l’Homme, le Comité des Intellectuels antifascistes, le Comité Amsterdam-Pleyel, la CGT et la CGTU, les organisations d’Anciens Combattants liées à la gauche, le Parti socialiste (SFIO), le Parti communiste (SFIC), l’Intergroupe des Partis socialistes (Socialiste de France, Socialistes français, Répuhlicains-Socialistes) et 58 autres organisations participant su rassemblement du 14 juillet.

« Dans cette immortelle déclaration française qui constitue, pour tous les peuples de toute la terre, la charte de la liberté, les hommes de 1789 ont écrit que la force publique était constituée pour la garantie des droits de l’homme.

Les républicains savent qu’ils peuvent compter sur le loyalisme de l’armée, expression de la force publique — de l’armée formée des fils du peuple entier — pour donner un démenti à tous ceux qui tenteraient d’en faire un instrument pour l’ambition d’un homme ou pour celle d’une minorité de factieux.

Ils rappellent que la force publique est à la disposition de la nation indivisible et que l’autorité gouvernementale ne saurait tolérer l’existence d’autres organisations à caractère militaire que celles qui relèvent de la suprématie du premier magistrat de la République et du contrôle de la nation.

Dans cette journée du 14 juillet, ils saluent, dans es armées de terre, de mer et de l’air — officiers, sous-officiers, soldats et marins — les forces nationales constituées pour la défense de la liberté. »

Après cela, impossible pour le Parti communiste (SFIC) de se relever de lui-même d’une telle convergence avec le capitalisme français.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La soumission du PCF aux radicaux et le 14 juillet 1935

Depuis le 9 février 1934, le Parti communiste (SFIC) pousse à un activisme en effervescence. Si les comptes n’y sont pas toujours et si c’est la région parisienne qui est la seule à être réellement agitée, il y a un engouement pour la démarche chez les socialistes.

Le 19 mai 1935, 200 000 travailleurs se rassemblent au mur des Fédérés pour célébrer la Commune de Paris de 1871 ; le 2 juin 1935, 60 000 personnes se rendent à la fête de L’Humanité à la Courneuve en banlieue parisienne.

Le 9 juin 1935, 30 000 travailleurs sont réunis au stade de Colombes dans le cadre d’une initiative pour l’enfance ouvrière.

Parallèlement à cela, les syndicats CGT et CGTU s’unissent à la base, même si leurs directions n’ont pas encore conclu d’accord d’unité. Les syndicats uniques sont 532 au 1er janvier 1935, 632 à la mi-avril.

Et en juin 1935, le congrès du Parti socialiste (SFIO) est amené à approuver la ligne de conduite ; le rapport moral est effectivement approuvé par 2698 mandats contre 441.

Forcément, Léon Blum constata la chose : le Parti communiste (SFIC) veut à tout prix que les radicaux soient de la partie, c’est même lui qui a pris l’initiative à ce sujet. Le Parti communiste (SFIC) veut que les radicaux assument le gouvernement, et c’est paradoxal, car le Parti communiste (SFIC) ne veut pas participer au gouvernement. Mais c’est en fait très bien, car ce faisant, le Parti communiste (SFIC) aide le Parti socialiste (SFIO) à être en mesure de former un gouvernement avec les radicaux.

Léon Blum parvient ainsi à mettre en perspective une participation gouvernementale, ce qui isole la gauche du Parti socialiste (SFIO). Deux motions s’affrontent au sujet de « la lutte pour la prise du pouvoir et contre la crise », et la motion de la Fédération du Nord bat largement, avec 2025 mandats, la motion de la Bataille socialiste, qui reçoit 777 voix.

La Bataille socialiste, Jean Zyromski en tête, appelait à refuser une participation gouvernementale avec des partis bourgeois et à aller dans le sens de militariser le Parti pour aller dans le sens de la prise du pouvoir.

C’est la défaite de l’aile gauche du Parti socialiste (SFIO), et elle ne s’en remettra pas. Il y a ici un moment raté pour cette aile gauche et le Parti communiste (SFIC) ; du moment qu’on allait dans le sens de placer les radicaux au centre du jeu politique, la fenêtre de tir se refermait.

À partir de juin 1935, et jusqu’à la victoire électorale du front populaire en 1936, on tend de plus en plus au soutien à la République, au refus de la guerre civile – à rebours de la proposition révolutionnaire de renversement du régime.

En témoigne cet appel socialiste-communiste du 19 juin 1935 :

« CONTRE LES FOMENTATEURS DE GUERRE CIVILE

Le colonel comte de La Rocque, mettant à profit la tolérance et la complicité gouvernementales, prépare la guerre civile contre les masses laborieuses de notre pays.

Une aviation des Croix de feu est constituée, des autos, des motos et des armes modernes de toutes sortes sont entre les mains des hommes du 6 février.

Le Parti socialiste et le Parti communiste, qui depuis de longs mois luttent en commun pour le désarmement et la dissolution des ligues fascistes, ont décidé de demander au gouvernement et à la Chambre des députés la confiscation immédiate des armes modernes dont disposent les bandes fascistes.

Le Comité de Coordination du Parti socialiste et du Parti communiste fait appel à tous ceux qui veulent s’associer à cette action contre le fascisme. Il recommande aux sections socialistes, aux rayons et cellules communistes, d’organiser des protestations auprès des préfectures, des sous-préfectures, des parlementaires et des municipalités contre les armements des bandes fascistes.

L’UNITÉ D’ACTION BARRERA LA ROUTE AU FASCISME

LE PARTI COMMUNISTE, LE PARTI SOCIALISTE »

L’appel à « des protestations auprès des préfectures, des sous-préfectures, des parlementaires et des municipalités contre les armements des bandes fascistes » est très clairement une soumission aux radicaux et au régime « républicain ».

À partir de là, tout va se dérouler en ce sens. Tout d’abord, il y a au parlement la volonté de débattre sur le « Rapport général fait au nom de la Commission d’enquête chargée de rechercher les causes et les origines des évènements du 6 février 1934 » réalisé par le radical Marc Rucart.

Néanmoins, le gouvernement s’y oppose, ce qui amène les radicaux à basculer ouvertement.

En juin 1935 s’opère alors ouvertement une unité entre le Parti radical, la Ligue des Droits de l’Homme, la CGT et la CGTU ; un grand meeting est réalisé à la Mutualité le 4 juillet.

Une Association Internationale des Écrivains pour la défense de la culture est fondée à la suite d’un congrès international d’écrivains ; plusieurs milliers de personnes manifestent dans des petites villes dans toute la France, alors que le 14 juillet est choisi comme date pour l’expression unitaire du Front populaire se mettant en place.

Les Croix-de-Feu, une force énorme numériquement, tenta de s’y opposer, mais en raison des remous internes, seulement 17 000 Croix-de-feu se réunirent place de l’Étoile à Paris le 14 juillet.

Pour le Front populaire, c’est par contre un triomphe : 500 000 personnes manifestent à Paris, 100 000 à Marseille, 60 000 à Toulouse, 30 000 à Nîmes, à Bordeaux et à Saint-Étienne, 25 000 à Lyon, 20 000 à Toulon et à Lorient, 15 000 à Rouen, à Tours, au Havre, à Brive-la-Gaillarde, à Oran et à Périgueux, 12 000 à Clermont-Ferrand, 10 000 à Sète et à Carcassonne, 8 000 à Nice, à Bergerac, à Tarbes et à Cherbourg, 6 000 à Montauban, à Avignon, à La Rochelle, à Dijon, à Auxerre et à Castres, 5 000 à Amiens, à Belfort, à Boulogne-sur-Mer, à Bourges, à Brest et à Châteaulin (sur le canal de Nantes à Brest), 4 000 à Nouzonville, 3 000 à Carmaux, à Vienne, à Orange, à Pau, à Reims, à Châlons-sur-Marne… avec également la veille 50 000 à Lille, 20 000 à Toulouse, 5 000 à Arras.

Pour le 14 juillet, 800 000 bonnets phrygiens sont ainsi fabriqués : c’est même le seul symbole officiel, avec le drapeau français. Les drapeaux rouges sont en effet… interdits par le Comité d’organisation. Le service d’ordre est quant à lui muni d’un brassard rouge marqué d’une bande bleue.

C’est une soumission complète aux radicaux et une capitulation en rase campagne pour le Parti communiste (SFIC), qui va commencer alors à « assimiler » le drapeau rouge et le drapeau français afin de masquer la réalité.

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Faiblesse du PCF et élargissement du Front populaire aux radicaux

Le principal problème du Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) en février 1935, c’est d’avoir raison. Les masses considèrent qu’ils ont raison d’agir contre le fascisme et de s’unir. Cependant, le souci est que cela ne change pas fondamentalement grand-chose.

Le Parti communiste (SFIC) connaît ainsi toujours la répression, même si elle n’a pas l’ampleur des années précédentes. Le 6 avril, son siège est perquisitionné, pour des motifs d’espionnage officiellement, bien qu’il soit très clair que c’était une réponse à la nouvelle campagne menée contre l’instauration d’un service militaire de deux ans. Les responsables de L’Humanité affrontent également régulièrement les foudres de la justice prompte à accuser le quotidien.

Mais surtout, les masses restent encore à l’écart. On a l’image d’un Front populaire produit par un engouement de masses ; en réalité, c’est le Front populaire qui va produire cet engouement. Les masses ne participeront au Front populaire que lorsque sa légitimité sera complète.

En 1935, on est encore dans l’affirmation de l’unité antifasciste, sa constitution en proposition de Front populaire. Et il est clair que ne sachant pas quoi faire, le Parti communiste (SFIC) a l’idée d’intégrer les radicaux, afin d’intégrer enfin le paysage politique, de se voir valider, de trouver un débouché au front populaire que lui-même n’entrevoit pas.

Concrètement, le 13 avril, un meeting antifasciste du Parti communiste (SFIC) attire 30 000 travailleurs, puis le lendemain 10 000 à Ivry-sur-Seine, 5 000 à Bezons, 2500 à Sevran, 1000 à Montreuil, alors qu’il y avait seulement 2500 manifestants à Carpentras. C’est révélateur : l’unité Parti socialiste (SFIO) – Parti communiste (SFIC), c’est avant tout celle faite par les sections de Paris et de banlieue des deux partis.

C’est là le noyau dur de la classe ouvrière organisée, la seule zone géographique où il y a vraiment suffisamment de densité pour que soit ouvert un réel espace politique, finalement assez restreint malgré son impact.

Cela se lit très bien avec l’échec complet du premier mai 1935. On trouve deux meetings à Paris (avec 8 000 personnes à Japy et 6 000 à Huyghens), cinquante meetings en banlieue (dont 6 000 à Gennevilliers), dont douze de syndicats unitaires, mais… pas de manifestation.

Et cela, car le régime l’a interdit. Autrement dit, le Parti socialiste (SFIO) et le Parti communiste (SFIC) n’ont pas les moyens d’imposer une manifestation parisienne pour une date pourtant hautement symbolique, et ce malgré l’élan et l’esprit unitaire.

Il y a, au moins, eu la grève générale dans le bâtiment, une grève importante dans la métallurgie, ainsi que dans l’aviation.

Mais s’il y a des manifestations dans le reste du pays, elles sont tout sauf massives : 35 000 à Marseille, 20 000 à Lille, 12 000 à Lyon, 12 000 à Mulhouse, 6 000 à Toulouse, 6 000 à Saint-Étienne, 5 000 à Douai, 4 000 à Lens, 4 000 à Tours, 4 000 à Sidi Bel-Abbès (Algérie française), 3 000 à Grenoble, 3 000 à Amiens, 3 000 à Limoges, 2 500 à Arles, 2 500 à Montceau-les-Mines, 2 000 à Hénin-Liétard, 1500 à Neuves-Maison (non loin de Nancy avec une importante mine de fer).

Au total, 156 000 travailleurs ont fait grève, et il y a eu des meetings dans 63 villes. Ce n’est pas rien, mais c’est en décalage avec l’idée d’une classe ouvrière mobilisée et sur des charbons ardents.

Maurice Thorez est ici la grande figure du Parti communiste (SFIC), car il exprime la réponse à cette question, même si de manière opportuniste, car pour lui il faut accepter de jouer jusqu’au bout le jeu de l’intégration.

Il ne s’en cache pas et toutes ses positions le reflètent. Il le dit même ouvertement lors de son Discours au 7e congrès de l’Internationale communiste le 3 août 1935, intitulé « Les succès du front unique antifasciste ».

Son but, c’est de faire en sorte non pas qu’il y ait une unité antifasciste contre le régime, mais en lui, et cela passe par les radicaux. C’est une ligne de soutien au régime car républicain, avec les centraux, donc de fait la franc-maçonnerie et toute l’idéologie des « droits de l’Homme » propre à la bourgeoisie française.

« Le Parti mena une campagne soutenue dans la presse, par affiches, dans les meetings et à la tribune de la Chambre.

À la veille de chacun des deux congrès du parti radical, à Nantes, en octobre [1934], et à Lyon en mars [1935], le Parti communiste organisa de grands meetings où les représentants du Comité central exposèrent notre conception du Front populaire, en s’adressant tout particulièrement aux délégués radicaux.

Une longue discussion publique s’engagea avec le parti socialiste. Mais les ouvriers et les petites gens acclamaient le Front populaire. La formule et son contenu triomphèrent dans les masses au cours des dernières élections municipales. Les adversaires bourgeois fascistes eux-mêmes n’emploient plus d’autre expression pour désigner le large rassemblement antifasciste qui s’opère peu à peu sous l’influence de notre politique.

À la fin du mois de mai, le Parti décida d’étendre encore le Front populaire et de s’adresser aux partis de gauche en vue d’une action contre les ligues fascistes, pour déposer au Parlement une résolution exigeant du gouvernement le désarmement et la dissolution des ligues fascistes.

La fraction communiste, alors composée de 9 députés sur 615 que compte la Chambre, prit l’initiative d’une réunion des groupes parlementaires de gauche. Le parti socialiste, invité, s’associa à notre initiative.

Le parti radical, le parti républicain-socialiste, le parti socialiste de France (néo-socialiste), le groupe des indépendants de gauche et le groupe pupiste (composé de dissidents de notre Parti communiste) répondirent à la convocation. La réunion eut lieu le 30 mai [1935].

La discussion s’engagea sur la déclaration faite par le représentant du Parti communiste. Nous avons, nous communistes, avons-nous dit, la volonté de battre le fascisme. Les élections municipales et cantonales montrent que la majorité du pays est contre la politique dite d’Union nationale qui fraye la voie au fascisme.

Cette majorité peut trouver une expression ici même, à la Chambre, les groupes qui ont répondu à notre invitation constituant la majorité de cette Chambre. Si cette majorité veut appliquer un programme frappant les riches et les spéculateurs, soulageant les pauvres et les chômeurs, nous, communistes, nous soutiendrons cette mesure.

Si cette majorité veut défendre les libertés démocratiques, non pas en paroles mais en prenant des mesures efficaces, telles que le désarmement et la dissolution des ligues fascistes, l’arrestation de leurs chefs, nous soutiendrons ces mesures.

Une telle politique, avons-nous ajouté, créerait, en outre, les conditions les meilleures pour le maintien de la paix et elle aurait notre appui non seulement au Parlement, mais dans tout le pays.

L’impression fut considérable. Nos déclarations furent renouvelées en séance publique, à la tribune de la Chambre.

Le soir même, le gouvernement Flandin était renversé.

Nous avions donné un peu plus d’audace aux députés radicaux. »

Il y a effectivement une instabilité terrible sur le plan gouvernemental. Édouard Daladier avait été éjecté à peine nommé à la suite du 6 février 1934 ; Gaston Doumergue qui l’avait suivi dura neuf mois.

Le gouvernement Flandin, dont parle Maurice Thorez, est rejeté au bout de six mois par le parlement (353 voix contre 202), et immédiatement dans la foulée le gouvernement Bouisson tombe début juin (264 voix contre 262), au bout de quelques jours. Pierre Laval va s’installer au poste pour six mois, en convergeant avec les ligues d’extrême-droite et en gouvernant à coups de décrets-lois.

Et, au cours de ce processus, un phénomène majeur se produit est avec les élections municipales des 5 et 12 mai 1935, ce qui marque un tournant.

En effet, si les socialistes et les communistes progressent, les radicaux reculent et cela va les forcer à prendre la décision de se rapprocher ou non des premiers. C’est ce dont parle Maurice Thorez dans son compte-rendu à l’Internationale communiste.

Pour les 858 communes de plus de 5 000 habitants et chefs-lieux d’arrondissements, les résultats sont les suivants :

– pour le Parti communiste (SFIC) (y compris les « dissidents » définis par le ministère) 90 communes, soit 43 de plus ;

– pour le Parti socialiste (SFIO) 169, soit 6 de moins mais le chiffre reste élevé.

Le « Parti d’unité prolétarienne » obtient une commune, les Socialistes indépendants 3, les Socialistes de France du néo-socialiste Déat, 15.

Les Républicains-socialistes en obtiennent 33, soit 9 de moins ; le Parti Radical en a 222, en perdant 4 ; les Radicaux indépendants 51, soit 4 de moins ; l’Alliance démocratique composée des républicains de gauche en a 146, soit 11 de moins.

Le Parti démocrate populaire en obtient 9, la Fédération républicaine 103, les conservateurs 10.

Ce n’est pas pour rien que L’Humanité assume le 13 mai, le lendemain du second tour, le slogan « Vive la ceinture rouge de Paris ! » sur sa page de garde.

Et on lit :

« Dans la Seine, où nous avions avant les élections 9 municipalités, nous sommes actuellement à la tête de 27, comptant 718.000 habitants.

— Les socialistes ont 9 mairies (234.000 habitants), les pupistes et le groupe de Saint-Denis, 5 (206.000), les néo.socialistes, 5 (153.000).

— Les divers partis réactionnaires et fascistes, en recul très sérieux, ne conservent que 35 municipalités (749.000 habitants) contre 52. »

Ce n’est pas tout : suivent immédiatement les élections du conseil général de la Seine. Il est composé de 90 conseillers municipaux de Paris et de 50 conseillers généraux élus de banlieue ; Paris a alors 2,8 millions d’habitants, le reste du département de la Seine, soit la banlieue, a 2,1 millions d’habitants.

Dès le premier tour fin mai 1935, le Parti communiste (SFIC) obtient 12 élus (Ivry-sur-Seine, Asnières, Montreuil, Pantin, Vanves, Noisy, Villejuif, Puteaux, Aubervilliers) ; 13 élus viennent s’ajouter au second tour début juin.

Ces élus s’ajoutent aux élus du Conseil municipal de Paris, ce qui fait que le Parti communiste (SFIC) devient le premier parti au Conseil général de la Seine. Il s’appuie sur 33 élus au total, contre 12 aux socialistes, 9 au Parti d’unité prolétarienne, 1 élu antifasciste, 4 radicaux, 1 socialiste indépendant, 7 radicaux et républicains socialistes, 5 néo-socialistes, 68 réactionnaires et fascistes dont 1 doriotiste.

C’est donc Georges Marrane, Parti communiste (SFIC), qui devient président du Conseil général de la Seine.

Autrement dit, les radicaux reculent et s’écartent de la droite, au moment où les socialistes et les communistes profitent d’une dynamique.

L’unité entre les trois, qui consiste en le Front populaire, va alors être possible pour deux raisons. La première, c’est que les radicaux veulent supprimer les ligues, et que le Parti communiste (SFIC) accepte de basculer dans l’idéologie républicaine afin d’assurer l’alliance.

Ensuite, en mai 1935 est signé un traité franco-soviétique d’assistance mutuelle. Cela pousse d’autant plus le Parti communiste (SFIC) à accepter des compromis, alors que les radicaux, expression de la bourgeoisie ne voulant pas s’aligner sur l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste (alors encore concurrentes l’une de l’autre), ont tout à gagner d’une telle séquence pour conserver leur place centrale.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

L’unité d’action antifasciste en 1934-1935

Les années 1934-1935 sont marquées par la multiplication des agressions et provocations fascistes, avec des défilés ou des petites attaques. La présence d’armes à feu est récurrente et régulièrement des caches d’armes, parfois très importantes, sont découvertes par la police.

Les ligues d’extrême-droite ne cachent d’ailleurs pas leur dimension paramilitaire ou militaire, les Croix-de-feu disposant même d’une petite aviation.

Les initiatives du pacte socialiste-communiste reflètent la situation politique pour les deux partis. On a le côté pratique, rentre-dedans du Parti communiste (SFIC), qui a tellement plu aux ouvriers en général à partir du 9 février 1934 ; on a la dimension programmatique-gouvernementale du Parti socialiste (SFIO), gage de « réalisme » et de sérieux.

Voici un appel commun de la mi-janvier 1935, qui explique bien la situation alors et reflète l’équilibre socialiste – communiste dans la démarche.

« Appel du Comité de coordination

RENFORÇONS L’UNITÉ D’ACTION
contre les provocations fascistes
et pour le soutien des luttes ouvrières

Les bandes fascistes mises en échec par l’unité d’action cherchent leur revanche.

Avec la tolérance du gouvernement Flandin, elles intensifient leurs menaces et leurs provocations.

Le 8 janvier dernier, à la salle Bullier, les dirigeants des bandes fascistes, parmi lesquels se trouvaient plusieurs topazes qui s’illustrèrent le 6 février 1934, ont directement fait appel au meurtre des antifascistes.

Ces ennemis du peuple, à la solde des grandes puissances financières, ont déclaré vouloir user de « TOUS LES MOYENS » et ont menacé d’ « EMPLOYER LA FORCE » pour aboutir à leurs fins.

Les provocations à l’assassinat complètent les manœuvres militaires auxquelles se livre le colonel de La Rocque à la tête de ses « croix de feu ».

Le 6 janvier, l’agent du grand capital, La Rocque, a transporté 6.000 hommes de Paris à AMIENS, préparant ainsi ses troupes aux attaques de grand style contre les travailleurs et leurs organisations.

IL FAUT S’OPPOSER, AVEC LA PLUS GRANDE ÉNERGIE, AUX MENÉES FASCISTES QUI PRÉPARENT UN NOUVEAU 6 FÉVRIER.

De plus, dans différentes villes de France, les ouvriers sont en lutte pour défendre leurs conditions de vie. Les métallurgistes de Trith-Saint-Léger, les gantiers de Millau, les typos de Grenoble et les travailleurs de l’habillement de Lille sont en grève. Les protestations contre les diminutions de salaires se « multiplient, les chômeurs réclament l’amélioration de leur situation.

Le Parti socialiste et le Parti communiste assurent tous les travailleurs en lutte contre le patronat et les pouvoirs publics, de leur solidarité et de leur fraternel appui.

Nous faisons appel à l’ensemble des travailleurs pour que la solidarité en faveur des ouvriers en lutte soit effective, pour que partout, dans les villes et les villages, soit préparée ̃sans délai la résistance aux attaques des fascistes.

Les fédérations et sections socialistes et les régions, rayons et cellules communistes, doivent, ensemble, de toute urgence :

1° Organiser des collectes en faveur des grévistes

2° Appuyer sur tous les terrains les revendications des chômeurs

3° Développer une grande campagne publique contre les ligues fascistes que tolère lé gouvernement, Flandin. Mobiliser les masses travailleuses pour réclamer le désarmement et la dissolution de ces ligues.

EN AVANT, TOUJOURS EN AVANT, DANS LA VOIE DE L’UNITÉ, SEULE CAPABLE DE PAIRE RECULER L’OFFENSIVE DU CAPITAL ET DE BATTRE LE FASCISME.

Le Comité de coordination du Parti socialiste (S. F. I. O.)
et du Parti communiste (S. F. I. C.) »

Concrètement, la pression populaire a bloqué les ligues, qui sont incapables de profiter de leur élan du 6 février 1934. Si elles sont actives ou hyper-actives, elles ne profitent pas d’un ressort dans leur démarche, et le mouvement ouvrier parvient à les isoler.

Car la tendance est générale et fin janvier 1935, l’unité socialiste-communiste peut appeler à l’élargissement de son activité antifasciste ; cette ouverture marque dans les faits la naissance du Front populaire.

« NOTRE LUTTE CONTRE LE FASCISME,

(Décision du Comité de coordination du Parti socialiste et du Parti communiste.)

La décision prise par les organisations antifascistes de ne pas tolérer le renouvellement du 6 février 1934, a déterminé les ligues, fascistes à renoncer à manifester dans la rue à cette date.

Néanmoins aussi bien en province qu’à Paris les travailleurs demeureront vigilants et prendront les mesures qui leur permettraient de riposter promptement à toute tentative de manifestations fascistes le 6 février.

Au surplus, le Comité de coordination du Parti communiste et du Parti socialiste appelle les travailleurs à commémorer l’anniversaire de la grandiose manifestation populaire antifasciste du 12 février 1934.

Pour que ces démonstrations aient toute l’ampleur désirable, le Comité de coordination, dans sa séance du 29 janvier 1934, a décidé d’inviter les organisations socialistes et les organisations communistes à prendre contact dès maintenant et à appeler à coopérer aux manifestations toutes les organisations antifascistes.

En ce qui concerne la Région parisienne, les secrétaires des régions et cellules communistes, des sections et groupes socialistes (adultes et jeunes) sont invités à se réunir, demain soir vendredi, à 20h30, dans la grande salle de la Maison des Syndicats, 33, rue de la Grange-aux-Belles, Paris (10e).

Un représentant du Parti communiste et un représentant du Parti socialiste (membres tous les deux du Comité de coordination) leur fourniront toutes informations et directives utiles. (Un contrôle rigoureux sera fait à l’entrée de la réunion.)

Le Comité de coordination du Parti communiste et du Parti socialiste. »

La grande peur du 6 février 1935, qui fut en pratique une défaite totale des ligues par leur incapacité à agir tant sur le plan de la qualité que de la quantité, produisit même une rencontre de cadres socialistes et communistes en masse, à la Grange-aux-Belles, une première depuis 1920.

C’est en fait toute la scène politique socialiste et communiste parisienne qui vit alors dans la hantise d’un triomphe fasciste ; le 10 février 1935, 100 000 travailleurs manifestèrent à Paris pour célébrer la mobilisation du 9 février 1934, plusieurs meetings ayant lieu le 12.

Il se pose alors le problème de savoir quoi faire. Car à partir du 6 février 1935, il était clair que sur le plan de la tendance historique, le Parti communiste (SFIC) et le Parti socialiste (SFIO) avaient le dessus sur les Ligues. Encore fallait-il savoir choisir ce qu’il fallait faire par la suite.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935

La ligne revendicative syndicaliste du PCF en 1934

À la fin de l’année 1934, on est encore dans une phase ascendante pour le Parti communiste (SFIC) : il se fait happer, mais ce n’est pas l’aspect principal, d’où le fait qu’il ne le remarque pas. Seuls comptent à ses yeux les succès engrangés, avec la sortie de l’isolement et l’élargissement de son influence.

On a ici au mois d’octobre la fusion des syndicats de cheminots CGT et CGTU du réseau PLM, augurant l’unité syndicale.

Le 24 octobre 1934, 30 000 travailleurs se réunissent à l’appel du Parti communiste (SFIC) et du Parti socialiste (SFIO) à Paris dans les salles Bullier et Wagram, ainsi qu’en banlieue parisienne à Montreuil au Palais des Fêtes et au Casino, et organisés au dernier moment à la Grange-aux-Belles à Paris et à Courbevoie, encore en banlieue parisienne.

Le 11 novembre, plusieurs dizaines de milliers d’anciens combattants défilaient à l’appel commun, soutenus par 100 000 travailleurs.

Et les 23-23 décembre 1934, l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail liée au Parti socialiste (SFIO) (avec autour de 7 000 membres) et la Fédération sportive du travail lié au Parti communiste (SFIC) (avec autour de 11 000 membres) fusionnent en la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT).

Une dénonciation de la guerre dans le Populaire, le quotidien du PS SFIO

Fort de ces succès, le Parti communiste (SFIC) va établir un profil se voulant propositionnel. Ce qui se passe, c’est que pour le Parti socialiste (SFIO), l’actualité consiste en l’instabilité gouvernementale, chronique dans la troisième République. L’objectif, c’est de jouer sur ce plan en se présentant comme la seule force stable et rassurante.

Du côté du Parti communiste (SFIC), il y a par contre l’interprétation que l’instabilité est due au régime. Néanmoins, en se tournant vers l’unité, conçue comme toujours la plus large, il n’est plus possible de proposer le renversement révolutionnaire.

Le Parti communiste (SFIC) fait alors absolument tout pour se présenter comme la force rassurante, qui permet la stabilité à tout prix.

On a ici quelque chose de fondamental, qui explique pourquoi lorsqu’il y aura un gouvernement de Front populaire en 1936, le Parti socialiste (SFIO) prendra la tête du gouvernement, alors que le Parti communiste (SFIC) refusera d’y participer.

Il est en ce sens très intéressant de connaître ce qu’est, en novembre 1934, le programme du Parti communiste (SFIC), qui est présenté dans une lettre de son Bureau politique au Parti socialiste (SFIO). Voici ce que cela donne, et ce qui est frappant, c’est qu’il s’agit d’une sorte de programme d’un parti syndicaliste.

Pour le Parti communiste (SFIC), de manière officielle, ce qui compte c’est seulement la révolution. Auparavant, il n’y a que celle-ci qui comptait. Désormais, la vie politique compte également, et comme ce n’est pas la révolution, alors la ligne est celle des revendications syndicales, celle des syndicalistes à prétention révolutionnaire.

« Le programme communiste

POUR LES OUVRIERS, LES CHEMINOTS ET LES FONCTIONNAIRES

Contre toute diminution de salaires et traitements.
Abrogation des décrets-lois.
Semaine de 40 heures, sans diminution de salaires.
Amnistie et réintégration pour tous les fonctionnaires frappés pour action syndicale.
Institution de délégués ouvriers à l’hygiène et à la sécurité dans toutes les entreprises.

POUR LES CHÔMEURS

Inscription obligatoire de tous les chômeurs et droit à l’allocation pour tous.
Ouverture de fonds de chômage dans toutes les communes.

POUR LES PAYSANS

Paiements d’allocations die crise à tous ceux qu’atteint la mévente.
Moratoire des dettes (hypothèques, fermages, redevances).
Institution de l’assurance contre les calamités agricoles.
Révision de la loi sur les fermages (baux à plafond…) et le statut de métayage.

POUR LES PETITS COMMERÇANTS ET ARTISANS

Moratoire des dettes.
Révision des baux et des billets de fonds.
Institution de la propriété commerciale intégrale.

POUR LES LOCATAIRES

Révision de la loi sur les loyers.
Moratoire des loyers aux chômeurs.

POUR LES MAL-LOTIS

Moratoire des taxes syndicales.

POUR LES ANCIENS COMBATTANTS.

Maintien des droits acquis.
Abrogation des décrets-lois frappant les anciens combattants.

POUR LES SOLDATS

Contre toute augmentation du temps de service militaire.
Augmentation du prêt.
Transport gratuit en chemin de fer, la franchise postale.
Allocation aux soutiens de famille.

LÉGISLATION SOCIALE

Abrogation des décrets-lois réduisant les crédits d’assistance publique, vieillards, médicale, etc…
Révision de la loi des assurances sociales en vue de son extension et de l’augmentation des prestations.

IMPÔTS

Abrogation de la réforme fiscale de 1934.
Suppression de la taxe sur le chiffre d’affaires et des impôts indirects sur
les objets de première nécessité.
Réforme de l’impôt général et cédulaire sur le revenu en vue d’instituer des abattements, à la base et une progression plus équitable.

Répression de la fraude fiscale.
Défense du franc contre les spéculateurs à la baisse et les exportateurs de capitaux.

Révision des marchés et dommages de guerre et adjudications des fortifications de l’Est.

OUVERTURE DE GRANDS TRAVAUX D’UTILITÉ OUVRIÈRE ET PAYSANNE

Constructions d’écoles, d’hôpitaux, de sanas, d’habitations à bon marché, etc…

POUR LA DÉFENSE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES, CONTRE LE
FASCISME ET LA GUERRE

Désarmement et dissolution des ligues fascistes qui organisent la guerre civile.

Représentation proportionnelle pour toutes les assemblées législatives, départementales et communales, retour au mandat de quatre ans.

Extension de la loi de 1884 sur le droit syndical à toutes les catégories professionnelles sans distinction, en particulier pour les fonctionnaires.

Maintien des droits du Parlement en matière d’initiative budgétaire.

Dissolution de la Chambre et élections immédiates pour permettre au pays de se prononcer sur la réforme de l’État.

Épuration de l’armée des officiers royalistes et fascistes.

Désarmement général sur les bases proposées par l’Union soviétique.

Contrôle de la fabrication et du commerce des armes.

Organisation d’une puissante autodéfense de masse. »

Cette question revendicative n’est pas le produit d’une analyse, d’un choix conscient ; le Parti communiste (SFIC) agit sur le tas et fait avec ce qu’il a, à savoir sa tradition syndicaliste révolutionnaire. Dans les faits, l’activité principale du Parti communiste (SFIC), c’est la CGTU.

Comme les événements vont se précipiter avec les ligues d’extrême-droite, le Parti communiste (SFIC) va d’autant moins réfléchir à tout cela qu’il profite de la situation. Cela va impliquer toutefois qu’il se fait satelliser, d’abord par les socialistes, ensuite par les radicaux.

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et la construction du Front populaire en 1934-1935