Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Martin Luther, la réforme protestante et la situation de la paysannerie

    La majorité de la population, toutefois, reste à l’écart des villes. En quoi consiste, à l’époque, la paysannerie ? Voici ce que nous en dit Friedrich Engels :

    « Au-dessous de toutes ces classes, à l’exception de la dernière, se trouvait la grande masse exploitée de la nation : les paysans.

    C’est sur eux que pesait toute la structure des couches sociales: princes, fonctionnaires, nobles, curés, patriciens et bourgeois.

    Qu’il appartint à un prince, à un baron d’Empire, à un évêque, à un monastère ou à une ville, le paysan était partout traité comme une chose, comme une bête de somme, et même souvent pis.

    Serf, son maître pouvait disposer de lui à sa guise. Corvéable, les prestations légales contractuelles suffisaient déjà à l’écraser, mais ces prestations elles-mêmes s’accroissaient de jour en jour.

    La plus grande partie de son temps, il devait l’employer à travailler sur les terres de son maître.

    Sur ce qu’il gagnait dans ses rares heures disponibles, il devait payer cens, dîmes, redevances, taille, viatique (impôt militaire), impôts d’État et taxes d’Empire.

    Il ne pouvait ni se marier, ni même mourir sans payer un droit à son maître.

    Outre les corvées féodales ordinaires, il devait pour son maître récolter la paille, les fraises, les myrtilles, ramasser des escargots, rabattre le gibier à la chasse, fendre du bois, etc.

    Le droit de pêche et de chasse appartenait au maître, et le paysan devait regarder tranquillement le gibier détruire sa récolte.

    Les pâturages et les bois communaux des paysans leur avaient été presque partout enlevés de force par les seigneurs. Et de même qu’il disposait de la propriété, le seigneur disposait à son gré de la personne du paysan, de celle de sa femme et de ses filles. Il avait le droit de cuissage.

    Il pouvait, quand il voulait, faire jeter le paysan en prison, où la torture l’attendait aussi sûrement qu’aujourd’hui le juge d’instruction. Il le faisait assommer ou décapiter, selon son bon plaisir.

    De ces édifiants chapitres de la Carolina qui traitaient de la façon de « couper les oreilles », de « couper le nez », « crever les yeux », de « trancher les doigts et les mains », de « décapiter », de « rouer », de « brûler», de « pincer avec des tenailles brûlantes », d’ « écarteler », etc., il n’en est pas un seul que les nobles seigneurs et protecteurs n’aient employé à leur gré contre les paysans.

    Qui les aurait défendus ? Dans les tribunaux siégeaient des barons, des prêtres, des patriciens ou des juristes, qui savaient parfaitement pour quel travail ils étaient payés. Car tous les ordres officiels de l’Empire vivaient de l’exploitation des paysans.

    Cependant, quoique grinçant des dents sous le joug qui les accablait, les paysans étaient très difficiles à soulever. Leur dispersion leur rendait extrêmement difficile tout entente commune.

    La longue accoutumance de générations successives à la soumission, la perte de l’habitude de l’usage des armes dans beaucoup de régions, la dureté de l’exploitation, tantôt atténuant, tantôt s’aggravant, selon la personne des seigneurs, contribuaient à maintenir les paysans dans le calme.

    C’est pourquoi on trouve au moyen âge quantité de révoltes paysannes locales, mais, en Allemagne tout au moins, on ne trouve pas avant la Guerre des paysans une seule insurrection générale nationale de la paysannerie.

    Il faut ajouter à cela que les paysans n’étaient pas capables à eux seuls de faire une révolution tant qu’ils trouvaient en face d’eux le bloc de la puissance organisée des princes, de la noblesse et des villes, unis en une alliance solide.

    Seule une alliance avec d’autres ordres pouvait leur donner une chance de vaincre, mais comment s’allier avec d’autres, quand tous les exploitaient également ? »

    C’est en ce sens que l’initiative de Thomas Müntzer avait une portée historique. Elle permettait une initiative paysanne allant dans le sens de l’unification de ses propres forces, avec une claire orientation, ainsi que la quête d’alliés dans les villes.

    C’était là l’embryon d’une véritable révolte démocratique. Cependant, les forces étaient jeunes et faibles, inexpérimentées encore.

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  • Martin Luther, la réforme protestante et la fraction plébéienne

    Où Thomas Müntzer trouvait-il une telle force pour oser affirmer un tel universalisme ? Cela tient aux contradictions sociales dans les pays allemands d’alors.

    Martin Luther l’avait bien compris ; il avait écrit une Lettre aux princes de Saxe sur l’esprit de rébellions ; à ses yeux, il fallait totalement isoler Thomas Müntzer, qui risquait pour lui de ruiner la Réforme en scindant les forces qui y sont favorables.

    A l’opposé, Thomas Müntzer représentait justement des forces voyant comme inacceptables leur situation, où leur propre contestation se voyait happée par les Princes électeurs.

    Quelles étaient ces forces ? Il s’agit des villes, de la bourgeoisie et de la plèbe. Cependant, les villes avec les patriciens et la bourgeoisie avaient tendance à la temporisation et au compromis.

    En ce sens, c’est la plèbe, de par sa situation très particulière, qui joua un rôle particulièrement central dans l’affirmation révolutionnaire directement issue de la charge démocratique lancée par Martin Luther.

    Voici comment Friedrich Engels définit la situation alors :

    « De même que la bourgeoisie réclame maintenant un gouvernement à bon marché, de même les bourgeois du moyen âge réclamaient une Église à bon marché.

    Réactionnaire dans sa forme, comme toute hérésie qui ne voit dans le développement de l’Église et des dogmes qu’une dégénérescence, l’hérésie bourgeoise réclamait le rétablissement de la constitution simple de l’Église primitive et la suppression de l’ordre exclusif du clergé.

    Cette institution à bon marché aurait eu pour résultat de supprimer les moines, les prélats, la cour romaine, bref, tout ce qui coûtait cher dans l’Église.

    Étant elles-mêmes des républiques, bien qu’elles étaient placées sous la protection de monarques, les villes par leurs attaques contre la papauté exprimaient pour la première fois sous une forme générale cette vérité que la forme normale de la domination de la bourgeoisie, c’est la république (…).

    Les plébéiens constituaient, à l’époque, la seule classe placée tout à fait en dehors de la société officielle.

    Ils étaient en dehors de l’association féodale comme de l’association bourgeoise.

    Ils n’avaient ni privilèges ni propriété, et ne possédaient même pas, comme les paysans et les petits bourgeois, un bien, fût-il grevé de lourdes charges. Ils étaient sous tous les rapports sans bien et sans droits.

    Leurs conditions d’existence ne les mettaient même pas en contact direct avec les institutions existantes, qui les ignoraient complètement. Ils étaient le symptôme vivant de la décomposition de la société féodale et corporative bourgeoise, et en même temps les précurseurs de la société bourgeoise moderne.

    C’est cette situation qui explique pourquoi, dès cette époque, la fraction plébéienne ne pouvait pas se limiter à la simple lutte contre le féodalisme et la bourgeoisie privilégiée : elle devait, du moins en imagination, dépasser la société bourgeoise moderne qui pointait à peine.

    Elle explique pourquoi cette fraction, exclue de toute propriété, devait déjà mettre en question des institutions, des conceptions et des idées qui sont communes à toutes les formes de société reposant sur les antagonismes de classe.

    Les exaltations chiliastiques [c’est-à-dire millénaristes] du christianisme primitif offraient pour cela un point de départ commode.

    Mais, en même temps, cette anticipation par-delà non seulement le présent, mais même l’avenir ne pouvait avoir qu’un caractère violent, fantastique, et devait, à la première tentative de réalisation pratique, retomber dans les limites restreintes imposées par les conditions de l’époque.

    Les attaques contre la propriété privée, la revendication de la communauté des biens devaient se résoudre en une organisation grossière de bienfaisance.

    La vague égalité chrétienne pouvait, tout au plus, aboutir à « l’égalité civile devant la loi »; la suppression de toute autorité devient, en fin de compte, la constitution de gouvernements républicains élus par le peuple.

    L’anticipation en imagination du communisme était en réalité une anticipation des conditions bourgeoises modernes.

    Cette anticipation de l’histoire ultérieure, violente, mais cependant très compréhensible étant donné les conditions d’existence de la fraction plébéienne, nous la rencontrons tout d’abord en Allemagne, chez Thomas Münzer et ses partisans.

    Il y avait bien eu déjà, chez les Taborites, une sorte de communauté millénariste des biens, mais seulement comme une mesure d’ordre exclusivement militaire.

    Ce n’est que chez Münzer que ces résonances communistes deviennent l’expression des aspirations d’une fraction réelle de la société.

    C’est chez lui seulement qu’elles sont formulées avec une certaine netteté, et après lui nous les retrouvons dans chaque grand soulèvement populaire, jusqu’à ce qu’elles se fondent peu à peu avec le mouvement prolétarien moderne, tout comme au moyen âge les luttes des paysans libres contre la féodalité, qui les enserre de plus en plus dans ses filets, se fondent avec les luttes des serfs et des corvéables pour le renversement complet de la domination féodale. »

    Thomas Müntzer anticipait littéralement le mouvement communiste. C’était sa force et sa faiblesse historique.

    Voici une autre présentation de Friedrich Engels de ce que représentait la plèbe, avec une description bien spécifique de la position de Thomas Münzer, qui représentait de manière bien déterminée la fraction la plus développée de la plèbe.

    « L’opposition plébéienne se composait des bourgeois déclassés et de la masse des citadins privés des droits civiques : les compagnons, les journaliers et les nombreux éléments embryonnaires du Lumpenproletariat, cette racaille que l’on trouve même aux degrés les plus bas du développement des villes.

    Le Lumpenproletariat constitue d’ailleurs un phénomène qu’on retrouve plus ou moins développé dans presque toutes les phases de la société passée.

    La masse des gens sans gagne-pain bien défini ou sans domicile fixe était, précisément à cette époque, considérablement augmentée par la décomposition du féodalisme dans une société où chaque profession, chaque sphère de la vie était retranchée derrière une multitude de privilèges.

    Dans tous les pays développés, jamais le nombre de vagabonds n’avait été aussi considérable que dans la première moitié du XVIe siècle.

    De ces vagabonds, les uns s’engageaient, pendant les périodes de guerre, dans les armées  d’autres parcouraient le pays en mendiant  d’autres enfin s’efforçaient, dans les villes, de gagner misérablement leur vie par des travaux à la journée ou d’autres occupations non accaparées par des corporations.

    Ces trois éléments jouent un rôle dans la Guerre des paysans: le premier, dans les armées des princes, devant lesquelles succombèrent les paysans  le deuxième, dans les conjurations et les armées paysannes, où son influence démoralisante se manifeste à chaque instant  le troisième, dans les luttes des partis citadins.

    Il ne faut d’ailleurs pas oublier qu’une grande partie de cette classe, surtout l’élément des villes, possédait encore à l’époque un fonds considérable de saine nature paysanne et était encore loin d’avoir atteint le degré de vénalité et de dépravation du Lumpenproletariat civilisé d’aujourd’hui.

    On voit que l’opposition plébéienne des villes, à cette époque, se composait d’éléments très mélangés.

    Elle groupait les éléments déclassés de la vieille société féodale et corporative et les éléments prolétariens non développés encore, à peine embryonnaires, de la société bourgeoise moderne en train de naître. D’un côté, des artisans appauvris, liés encore à l’ordre bourgeois existant par les privilèges des corporations  de l’autre, des paysans chassés de leurs terres et des gens de service licenciés qui ne pouvaient pas encore se transformer en prolétaires.

    Entre eux les compagnons, placés momentanément en dehors de la société officielle et qui, par leurs conditions d’existence, se rapprochaient du prolétariat autant que le permettaient l’industrie de l’époque et les privilèges des corporations, mais qui en même temps étaient presque tous de futurs maîtres et de futurs bourgeois, en raison précisément de ces privilèges.

    C’est pourquoi la position politique de ce mélange d’éléments divers était nécessairement très peu sûre et différente selon les localités. Jusqu’à la Guerre des paysans, l’opposition plébéienne ne participe pas aux luttes politiques en tant que parti. Elle ne se manifeste que comme prolongement de l’opposition bourgeoise, appendice bruyant, avide de pillages, se vendant pour quelques tonneaux de vin.

    Ce sont les soulèvements des paysans qui la transforment en un parti, et même alors elle reste presque partout, dans ses revendications et dans son action, dépendante des paysans – ce qui prouve de façon curieuse à quel point les villes dépendaient encore à cette époque de la campagne.

    Dans la mesure où elle a une attitude indépendante, elle réclame l’établissement des monopoles industriels de la ville à la campagne, s’oppose à la réduction des revenus de la ville par la suppression des charges féodales pesant sur les paysans de la banlieue, etc.  en un mot, dans cette mesure elle est réactionnaire, se subordonne à ses propres éléments petits-bourgeois, fournissant ainsi un prélude caractéristique à la tragi-comédie que joue depuis trois ans, sous la raison sociale de la démocratie, la petite bourgeoisie moderne.

    Ce n’est qu’en Thuringe, sous l’influence directe de Münzer, et en divers autres lieux, sous celle de ses disciples, que la fraction plébéienne des villes fut entraînée par la tempête générale au point que l’élément prolétarien embryonnaire l’emporta momentanément sur toutes les autres fractions du mouvement.

    Cet épisode, qui constitue le point culminant de toute la Guerre des paysans et se ramasse autour de sa figure la plus grandiose, celle de Thomas Münzer, est en même temps le plus court.

    Il est compréhensible que cet élément devait s’effondrer le plus rapidement, revêtir un caractère surtout fantastique, et que l’expression de ses revendications devait rester extrêmement confuse, car c’est lui qui rencontrait, dans les conditions de l’époque, le terrain le moins solide. »

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  • «Thomas Müntzer, destructeur des impies»

    Après avoir dû fuir Allstedt, Thomas Müntzer finit par s’installer à Mühlhausen en Oberfranken. Cette ville avait 7 000 habitants et qui plus est 19 villages y étant rattachés ; son importance était alors plus grande que Dresde ou Leipzig.

    A Mülhausen, l’ancien moine Henri Pfeiffer avait organisé un soulèvement populaire. Afin de bien saisir l’ampleur de l’effervescence d’alors, voici un message de Thomas Müntzer envoyé à Allstedt qu’il venait de fuir, et qu’il signe « Thomas Müntzer, destructeur des impies » :

    « Frère, depuis combien de temps dormez-vous ? Depuis combien de temps méconnaissez-vous la volonté de Dieu ?

    Vous qui prétendez qu’il m’a abandonné. Ah ! Combien de fois ne vous ai-je pas dit comment les choses devaient être. Il vous être plus fermes. Si vous ne l’êtes pas, votre sacrifice et la douleur de votre cœur seront vaines.

    Il faut qu’à nouveau vous rentriez dans la douleur. Je vous le dis, si vous ne voulez pas souffrir pour Dieu, vous serez les martyrs du diable.

    Gardez-vous. Ne soyez pas hésitants, négligents. Ne flattez pas plus longtemps les faux esprits fantasques, les méchants impies. Debout ! Et armez-vous pour le combat du Seigneur ! Il est grand temps !

    Pressez vos frères, qu’ils ne rient pas des témoignages divins, sinon ils périront tous. Tout le pays allemand, français, romain est réveillé. Le Maître veut agir, et l’heure des méchants est arrivée…

    Si vous n’êtes que trois à vivre en Dieu, à chercher son nom et son honneur, vous n’aurez pas peur de centaines de mille…

    Allons ! Debout ! Debout ! Debout ! Il est temps. Les méchants sont poltrons comme des chiens ! Debout ! Debout ! Debout ! Ne vous laissez pas gagner par la pitié. Ne regardez pas la misère des impies. Ils vous prieront et vous supplieront aussi tendrement que des enfants. Ne vous laissez pas apitoyer…

    Debout ! Debout ! Debout ! Il est temps… Debout ! Debout ! Debout ! Pendant que le feu est ardent. Ne laissez pas refroidir votre épée. Ne la laissez pas se paralyser. Forgez-la sur l’enclume de Nemrod… Tant qu’ils [les seigneurs] vivront, vous ne pourrez vous débarrasser de la crainte. On ne pourra pas vous parler de Dieu tant qu’ils vous gouverneront.

    Debout ! Debout ! Debout ! Tant que vous avez encore de la lumière. Ne vous laissez pas effrayer. Dieu est avec vous. »

    Thomas Müntzer rédigea notamment deux manifestes à Mühlhausen, nouveau bastion de la révolte :

    – Mise à nu de la fausse foi du monde déloyal par le témoignage de l’Évangile de saint Luc, exposé à la misérable chrétienté pour lui rappeler ses errements ;

    – Réfutation bien fondée et réponse à l’être charnel qui mène une vie douce à Wittenberg et qui a trompeusement, par le vol des Saintes Écritures, souillé misérablement la pitoyable chrétienté.

    Ce dernier texte vise bien entendu Martin Luther, accusé de vivre confortablement, d’avoir abandonné la cause qui était censée être la sienne. On y lit entre autres :

    « Que savez-vous, vous qui vivez dans l’abondance, qui n’avez jamais rien fait que baffrer et boire, que savez-vous de la gravité d’une foi véritable.

    Les pauvres gens nécessiteux sont si hautement trompés qu’aucune langue ne peut le dire. Par leurs paroles et par leurs actes, les seigneurs obtiennent que le pauvre homme, soucieux de se procurer sa nourriture, n’apprenne pas à lire. Et ils prêchent insolemment que le pauvre homme doit se laisser écorcher et dépouiller par les tyrans. »

    Thomas Müntzer appelle Martin Luther le « docteur Mensonge », « le premier des porcs à l’engrais », « le pape de Wittenberg, païen corps et âme ».

    Le fond de la polémique entre Martin Luther et Thomas Müntzer va s’appuyer notamment sur le XIIIe chapitre des Romains. Martin Luther s’appuie sur les points 1 et 2, tandis que Thomas Müntzer considère que les points 3 et 4 soulignent la dépendance de l’autorité par rapport à la foi, donc au peuple.

    « 1 Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu. 

    2 C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi, et ceux qui résistent attireront une condamnation sur eux-mêmes. 

    3 Ce n’est pas pour une bonne action, c’est pour une mauvaise, que les magistrats sont à redouter. Veux-tu ne pas craindre l’autorité ? Fais-le bien, et tu auras son approbation. 

    4 Le magistrat est serviteur de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains; car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal. »

    Le mouvement de Thomas Müntzer essaima dans le sud des pays allemands, notamment à Eisleben, Mansfeld, Frankenhausen, Halle.

    Le 19 septembre 1524, grâce à l’action de Thomas Müntzer, ainsi que Henri Pfeiffer, onze articles de revendications furent formulées, alors que parallèlement est formée la Ewigen Bundes Gottes, L’union éternelle de Dieu, avec comme symbole un drapeau aux couleurs de l’arc-en-ciel.

    Les bourgeois de Mülhausen ne soutinrent cependant pas l’initiative et le 27 septembre, Thomas Müntzer et Henri Pfeiffer quittèrent la ville avec des troupes paysannes, pour finalement revenir quelques mois plus tard, à la suite des succès de fraction gauche de la bourgeoisie.

    Henri Pfeiffer revint le 13 décembre 1524, Thomas Müntzer en février 1525, étant nommé ministre des cultes de trois quartiers  le 28 février, prêchant désormais à Sankt-Marien, la plus grande église de la ville.

    Il demanda le 16 mars qu’un nouveau conseil communal soit élu, ce qui fut fait le lendemain ; le « conseil éternel » dura du 17 mars au 28 mai 1525. Mülhausen devint le bastion d’où irradiait la propagande théologico-politique.

    Le parcours de Thomas Müntzer. Tout en bas à droite, la ville de Bâle.

    Des rébellions se développèrent dans les villes et prirent le contrôle d’Ulm, de Fribourg-en-Brisgau, de Rothenbourg sur le Tauberg, de Bamberg, de Weinsberg, de Heilbronn, de Memmingen, de Saverne, de Wissembourg, avec le soutien des villes d’Erfurt et de Langensalza, Trêves et Francfort manquant de tomber.

    Thomas Müntzer fut à l’origine d’initiatives de soutiens armés, comme à Langensalza ou encore Eichsfeld. C’est à ce titre que le 9 mai, Thomas Müntzer appella à soutenir Frankenhausen et 300 hommes quittèrent Mülhausen le 10 ou le 11 mai, rejoignant le 12 le camp militaire de Frankenhausen.

    Car, fort de sa ligne démocratique, Thomas Müntzer chercha à se tourner vers les paysans. Il rejoignit ainsi les paysans du Südschwarzwald, faisant la rencontre de Balthasar Hubmaier et Johannes Ökolampad.

    En Juin 1524 avait en effet commencé une vaste agitation paysanne dans la région de Stühlingen dans le Südschwarzwald. Toute une irradiation d’insoumission paysanne se forma.

    Étaient touchés par ce mouvement l’Alsace, les duchés de Brunswick, la Carinthie, la Carniole, la Hesse, le Palatinat, l’archevêché de Salzbourg, la Saxe, la Styrie, la Thuringe, le Tyrol.

    Cette rencontre entre l’avant-garde plébéienne et la rébellion paysanne donna un caractère explosif et urgent à la situation.

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  • Thomas Müntzer, Martin Luther et la réforme protestante : «il accueille, quelle que soit la nation»

    On peut se demander pourquoi Thomas Müntzer osa faire un sermon aux princes électeurs. La raison est toute simple : c’est un universaliste, qui prend la religion comme le vecteur moral de tout un chacun.

    Etant véritablement démocrate, il ne cesse de vouloir s’appuyer sur « l’homme commun », mais cela signifiait également prêcher pour que les puissants eux-mêmes capitulent.

    Voici un excellent exemple de cet universalisme avec une lettre, sans nulle doute pleine de naïveté puisqu’adressée à un prince électeur, Frédéric le Sage, en date du 3 août 1524.

    On lit notamment ceci :

    « Je prêche une foi chrétienne qui n’est pas en accord avec Luther, mais qui est de même forme dans le cœur des Élus sur toute la terre. Et quand bien même on serait Turc de naissance, on n’en posséderait pas moins le commencement de cette même foi, c’est-à-dire le mouvement de l’Esprit-Saint, comme il est dit de Corneille, Actes des Apôtres chapitre dix. »

    La référence est ici capitale, puisqu’il s’agit d’un éloge de l’universalisme tirée de la Bible (du livre Actes des Apôtres chapitre 10).

    Voici ce qu’on y lit :

    01 Il y avait à Césarée un homme du nom de Corneille, centurion de la cohorte appelée Italique.

    02 C’était quelqu’un de grande piété qui craignait Dieu, lui et tous les gens de sa maison ; il faisait de larges aumônes au peuple juif et priait Dieu sans cesse.

    03 Vers la neuvième heure du jour, il eut la vision très claire d’un ange de Dieu qui entrait chez lui et lui disait : « Corneille ! »

    04 Celui-ci le fixa du regard et, saisi de crainte, demanda : « Qu’y a-t-il, Seigneur ? » L’ange lui répondit : « Tes prières et tes aumônes sont montées devant Dieu pour qu’il se souvienne de toi.

    05 Et maintenant, envoie des hommes à Jaffa et fais venir un certain Simon surnommé Pierre :

    06 il est logé chez un autre Simon qui travaille le cuir et dont la maison est au bord de la mer. »

    07 Après le départ de l’ange qui lui avait parlé, il appela deux de ses domestiques et l’un des soldats attachés à son service, un homme de grande piété.

    08 Leur ayant tout expliqué, il les envoya à Jaffa.

    09 Le lendemain, tandis qu’ils étaient en route et s’approchaient de la ville, Pierre monta sur la terrasse de la maison, vers midi, pour prier.

    10 Saisi par la faim, il voulut prendre quelque chose. Pendant qu’on lui préparait à manger, il tomba en extase.

    11 Il contemplait le ciel ouvert et un objet qui descendait : on aurait dit une grande toile tenue aux quatre coins, et qui se posait sur la terre.

    12 Il y avait dedans tous les quadrupèdes, tous les reptiles de la terre et tous les oiseaux du ciel.

    13 Et une voix s’adressa à lui : « Debout, Pierre, offre-les en sacrifice, et mange ! »

    14 Pierre dit : « Certainement pas, Seigneur ! Je n’ai jamais pris d’aliment interdit et impur ! »

    15 À nouveau, pour la deuxième fois, la voix s’adressa à lui : « Ce que Dieu a déclaré pur, toi, ne le déclare pas interdit. »

    16 Cela se produisit par trois fois et, aussitôt après, l’objet fut emporté au ciel.

    17 Comme Pierre était tout perplexe sur ce que pouvait signifier cette vision, voici que les envoyés de Corneille, s’étant renseignés sur la maison de Simon, survinrent à la porte.

    18 Ils appelèrent pour demander : « Est-ce que Simon surnommé Pierre est logé ici ? »

    19 Comme Pierre réfléchissait encore à sa vision, l’Esprit lui dit : « Voilà trois hommes qui te cherchent.

    20 Eh bien, debout, descends, et pars avec eux sans hésiter, car c’est moi qui les ai envoyés. »

    21 Pierre descendit trouver les hommes et leur dit : « Me voici, je suis celui que vous cherchez. Pour quelle raison êtes-vous là ? »

    22 Ils répondirent : « Le centurion Corneille, un homme juste, qui craint Dieu, et à qui toute la nation juive rend un bon témoignage, a été averti par un ange saint de te faire venir chez lui et d’écouter tes paroles. »

    23 Il les fit entrer et leur donna l’hospitalité. Le lendemain, il se mit en route avec eux ; quelques frères de Jaffa l’accompagnèrent.

    24 Le jour suivant, il entra à Césarée. Corneille les attendait, et avait rassemblé sa famille et ses amis les plus proches.

    25 Comme Pierre arrivait, Corneille vint à sa rencontre et, tombant à ses pieds, il se prosterna.

    26 Mais Pierre le releva en disant : « Lève-toi. Je ne suis qu’un homme, moi aussi. »

    27 Tout en conversant avec lui, il entra et il trouva beaucoup de gens réunis.

    28 Il leur dit : « Vous savez qu’un Juif n’est pas autorisé à fréquenter un étranger ni à entrer en contact avec lui. Mais à moi, Dieu a montré qu’il ne fallait déclarer interdit ou impur aucun être humain.

    29 C’est pourquoi, quand vous m’avez envoyé chercher, je suis venu sans réticence. J’aimerais donc savoir pour quelle raison vous m’avez envoyé chercher. »

    30 Corneille dit alors : « Il y a maintenant quatre jours, j’étais en train de prier chez moi à la neuvième heure, au milieu de l’après-midi, quand un homme au vêtement éclatant se tint devant moi,

    31 et me dit : “Corneille, ta prière a été exaucée, et Dieu s’est souvenu de tes aumônes.

    32 Envoie donc quelqu’un à Jaffa pour convoquer Simon surnommé Pierre ; il est logé chez un autre Simon qui travaille le cuir et dont la maison est au bord de la mer.”

    33 Je t’ai donc aussitôt envoyé chercher, et toi, en venant, tu as bien agi. Maintenant donc, nous sommes tous là devant Dieu pour écouter tout ce que le Seigneur t’a chargé de nous dire. »

    34 Alors Pierre prit la parole et dit : « En vérité, je le comprends, Dieu est impartial :

    35 il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint et dont les œuvres sont justes.

    36 Telle est la parole qu’il a envoyée aux fils d’Israël, en leur annonçant la bonne nouvelle de la paix par Jésus Christ, lui qui est le Seigneur de tous.

    37 Vous savez ce qui s’est passé à travers tout le pays des Juifs, depuis les commencements en Galilée, après le baptême proclamé par Jean :

    38 Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Là où il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui.

    39 Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. Celui qu’ils ont supprimé en le suspendant au bois du supplice,

    40 Dieu l’a ressuscité le troisième jour. Il lui a donné de se manifester,

    41 non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les morts.

    42 Dieu nous a chargés d’annoncer au peuple et de témoigner que lui-même l’a établi Juge des vivants et des morts.

    43 C’est à Jésus que tous les prophètes rendent ce témoignage : Quiconque croit en lui reçoit par son nom le pardon de ses péchés. »

    44 Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la Parole.

    45 Les croyants qui accompagnaient Pierre, et qui étaient juifs d’origine, furent stupéfaits de voir que, même sur les nations, le don de l’Esprit Saint avait été répandu.

    46 En effet, on les entendait parler en langues et chanter la grandeur de Dieu. Pierre dit alors :

    47 « Quelqu’un peut-il refuser l’eau du baptême à ces gens qui ont reçu l’Esprit Saint tout comme nous ? »

    48 Et il donna l’ordre de les baptiser au nom de Jésus Christ. Alors ils lui demandèrent de rester quelques jours avec eux.

    On a ici un point d’appui à la ligne démocratique de Thomas Müntzer, qui par ailleurs n’a cessé d’expliquer que les Juifs et les Musulmans se convertiraient au christianisme, cédant face à la force du Saint-Esprit libéré s’exprimant par la Chrétienté entière.

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  • Thomas Müntzer et le sermon fait au prince électeur

    Après Prague, Thomas Müntzer se rendit notamment à Erfurt, Nordhausen, prêcha à Stoberg, participa à des colloques à Wittenberg et Weimar, puis alla dans le sud du pays.

    A la fin de l’année 1522, il était à Glaucha, près de Halle, en tant que chapelain, avant de devoir partir et d’arriver à Allstedt, où il devint prêcheur à l’église de St Johannis à partir de mars 1523.

    Le parcours de Thomas Müntzer présenté sur un timbre de RDA de 1989

    Suivant la ligne démocratique lancée à l’origine par Martin Luther, il organisa de profonds changements dès l’été 1523, avec la messe, des chants et des psaumes en allemand. Il expliquera à ce sujet :

    « Il est insupportable que l’on prétende attribuer aux mots latins la force que leur prêtent les magiciens, et que le pauvre peuple sorte de l’église beaucoup plus ignorant qu’il n’y est entré. »

    Il publia également une Adresse de Thomas Müntzer pasteur d’âmes à Allstedt, au sujet de sa doctrine et, pour commencer, de la véritable foi et du baptême [des adultes], et se mariaavec une ancienne nonne, Ottilie de Gersen, avec qui il eut un fils.

    La position de Thomas Müntzer n’alla pas bien entendu pas sans provoquer des contestations : le comte Ernst de Mansfeld interdit ainsi à ses sujets, composés notamment de mineurs, d’aller écouter les sermons faits à Allstedt, et demanda l’arrestation de Thomas Müntzer au prince électeur Frédéric le sage.

    Thomas Müntzer sut mobiliser les masses, expliquant alors au peuple qu’il était prêt à assumer, mais que cela signifiait en même temps assumer la bataille contre les princes. Il envoya également, en tant que « destructeur des impies », une lettre au comte Ernst de Mansfeld lui-même, où il avertit notamment de la chose suivante :

    « Le Christ dit, Luc 11 : « Malheur à ceux qui volent la clé de la connaissance de Dieu ». Or, la clé de la connaissance de Dieu, c’est de gouverner les gens de telle sorte qu’ils apprennent à craindre Dieu seul, Romains 13… Mais puisque vous voulez que l’on vous craigne plus que Dieu, ainsi que le prouvent votre action et votre mandement, c’est vous qui volez la clé de la connaissance de Dieu… Procédez donc avec douceur dans une affaire que le monde entier devra bien admettre et supporter. Ne tirez pas trop fort, sinon le vieil habit pourrait bien craquer ! »

    La situation se durcit en raison de l’incendie d’une chapelle de pèlerinage à Mallerbach, le 24 mars 1524 ; face à la répression, l’agitation se produisit le 13 juin à Allstedt où les cloches furent sonnées, révélant une organisation militaire clandestine organisée par Thomas Müntzer.

    Une enquête fut ouverte, une comparution devant les autorités de la Saxe annoncée. Le 13 juillet 1524, avant la comparution à Weimar, Müntzer prononce un Sermon aux princes à l’intention du prince électeur Jean er de Saxe et de son fils, au château d’Allstedt.

    Le sermon prenait comme prétexte un songe du roi Nabuchodonosor expliqué par Daniel : où le prophète avertit le roi qu’il va être obligé de servir la cause religieuse, qui justement est selon Thomas Münzer, comme dit dans Daniel au septième chapitre :

    « 26 Puis viendra le jugement, et on lui ôtera sa domination, qui sera détruite et anéantie pour jamais. 27 Le règne, la domination, et la grandeur de tous les royaumes qui sont sous les cieux, seront donnés au peuple des saints du Très-Haut. Son règne est un règne éternel, et tous les dominateurs le serviront et lui obéiront. »

    Le livre de Daniel est le plus vieil ouvrage concernant l’apocalypse qu’on puisse trouver dans la Bible ; en s’appuyant dessus, Thomas Müntzer donnait un avertissement clair quant à son orientation : la haute noblesse devait plier.

    Voici le second chapitre du livre de Daniel :

    « 1 La seconde année du règne de Nebucadnetsar, Nebucadnetsar eut des songes. Il avait l’esprit agité, et ne pouvait dormir. 2 Le roi fit appeler les magiciens, les astrologues, les enchanteurs et les Chaldéens, pour qu’ils lui disent ses songes. Ils vinrent, et se présentèrent devant le roi. 

    3 Le roi leur dit : J’ai eu un songe; mon esprit est agité, et je voudrais connaître ce songe. 

    4 Les Chaldéens répondirent au roi en langue araméenne : O roi, vis éternellement ! dis le songe à tes serviteurs, et nous en donnerons l’explication.

    5 Le roi reprit la parole et dit aux Chaldéens : La chose m’a échappé; si vous ne me faites connaître le songe et son explication, vous serez mis en pièces, Et vos maisons seront réduites en un tas d’immondices. 

    6 Mais si vous me dites le songe et son explication, vous recevrez de moi des dons et des présents, et de grands honneurs. C’est pourquoi dites-moi le songe et son explication. 

    7 Ils répondirent pour la seconde fois: Que le roi dise le songe à ses serviteurs, et nous en donnerons l’explication.

    8 Le roi reprit la parole et dit : Je m’aperçois, en vérité, que vous voulez gagner du temps, parce que vous voyez que la chose m’a échappé. 9 Si donc vous ne me faites pas connaître le songe, la même sentence vous enveloppera tous; vous voulez vous préparer à me dire des mensonges et des faussetés, en attendant que les temps soient changés. C’est pourquoi dites-moi le songe, et je saurai si vous êtes capables de m’en donner l’explication. 

    10 Les Chaldéens répondirent au roi : Il n’est personne sur la terre qui puisse dire ce que demande le roi; aussi jamais roi, quelque grand et puissant qu’il ait été, n’a exigé une pareille chose d’aucun magicien, astrologue ou Chaldéen. 11 Ce que le roi demande est difficile; il n’y a personne qui puisse le dire au roi, excepté les dieux, dont la demeure n’est pas parmi les hommes.

    12 Là-dessus le roi se mit en colère, et s’irrita violemment. Il ordonna qu’on fasse périr tous les sages de Babylone. 13 La sentence fut publiée, les sages étaient mis à mort, et l’on cherchait Daniel et ses compagnons pour les faire périr. 

    14 Alors Daniel s’adressa d’une manière prudente et sensée à Arjoc, chef des gardes du roi, qui était sorti pour mettre à mort les sages de Babylone. 15 Il prit la parole et dit à Arjoc, commandant du roi : Pourquoi la sentence du roi est-elle si sévère ? Arjoc exposa la chose à Daniel. 

    16 Et Daniel se rendit vers le roi, et le pria de lui accorder du temps pour donner au roi l’explication. 17 Ensuite Daniel alla dans sa maison, et il instruisit de cette affaire Hanania, Mischaël et Azaria, ses compagnons, 18 les engageant à implorer la miséricorde du Dieu des cieux, afin qu’on ne fît pas périr Daniel et ses compagnons avec le reste des sages de Babylone.

    19 Alors le secret fut révélé à Daniel dans une vision pendant la nuit. Et Daniel bénit le Dieu des cieux. 

    20 Daniel prit la parole et dit : Béni soit le nom de Dieu, d’éternité en éternité ! A lui appartiennent la sagesse et la force. 21 C’est lui qui change les temps et les circonstances, qui renverse et qui établit les rois, qui donne la sagesse aux sages et la science à ceux qui ont de l’intelligence. 

    22 Il révèle ce qui est profond et caché, il connaît ce qui est dans les ténèbres, et la lumière demeure avec lui. 23 Dieu de mes pères, je te glorifie et je te loue de ce que tu m’as donné la sagesse et la force, Et de ce que tu m’as fait connaître ce que nous t’avons demandé, de ce que tu nous as révélé le secret du roi.

    24 Après cela, Daniel se rendit auprès d’Arjoc, à qui le roi avait ordonné de faire périr les sages de Babylone; il alla, et lui parla ainsi : Ne fais pas périr les sages de Babylone ! Conduis-moi devant le roi, et je donnerai au roi l’explication. 

    25 Arjoc conduisit promptement Daniel devant le roi, et lui parla ainsi : J’ai trouvé parmi les captifs de Juda un homme qui donnera l’explication au roi. 26 Le roi prit la parole et dit à Daniel, qu’on nommait Beltschatsar : Es-tu capable de me faire connaître le songe que j’ai eu et son explication ?

    27 Daniel répondit en présence du roi et dit : Ce que le roi demande est un secret que les sages, les astrologues, les magiciens et les devins, ne sont pas capables de découvrir au roi. 

    28 Mais il y a dans les cieux un Dieu qui révèle les secrets, et qui a fait connaître au roi Nebucadnetsar ce qui arrivera dans la suite des temps. Voici ton songe et les visions que tu as eues sur ta couche.

     29 Sur ta couche, ô roi, il t’est monté des pensées touchant ce qui sera après ce temps-ci; et celui qui révèle les secrets t’a fait connaître ce qui arrivera. 

    30 Si ce secret m’a été révélé, ce n’est point qu’il y ait en moi une sagesse supérieure à celle de tous les vivants; mais c’est afin que l’explication soit donnée au roi, et que tu connaisses les pensées de ton coeur.

    31 O roi, tu regardais, et tu voyais une grande statue; cette statue était immense, et d’une splendeur extraordinaire; Elle était debout devant toi, et son aspect était terrible. 32 La tête de cette statue était d’or pur; sa poitrine et ses bras étaient d’argent; son ventre et ses cuisses étaient d’airain; 

    33 ses jambes, de fer; ses pieds, en partie de fer et en partie d’argile. 34 Tu regardais, lorsqu’une pierre se détacha sans le secours d’aucune main, frappa les pieds de fer et d’argile de la statue, et les mit en pièces. 

    35 Alors le fer, l’argile, l’airain, l’argent et l’or, furent brisés ensemble, et devinrent comme la balle qui s’échappe d’une aire en été; le vent les emporta, et nulle trace n’en fut retrouvée. Mais la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne, et remplit toute la terre.

    36 Voilà le songe. Nous en donnerons l’explication devant le roi. 37 O roi, tu es le roi des rois, car le Dieu des cieux t’a donné l’empire, la puissance, la force et la gloire; 

    38 il a remis entre tes mains, en quelque lieu qu’ils habitent, les enfants des hommes, les bêtes des champs et les oiseaux du ciel, et il t’a fait dominer sur eux tous : c’est toi qui es la tête d’or. 39 Après toi, il s’élèvera un autre royaume, moindre que le tien; puis un troisième royaume, qui sera d’airain, et qui dominera sur toute la terre. 

    40 Il y aura un quatrième royaume, fort comme du fer; de même que le fer brise et rompt tout, il brisera et rompra tout, comme le fer qui met tout en pièces. 

    41 Et comme tu as vu les pieds et les orteils en partie d’argile de potier et en partie de fer, ce royaume sera divisé; mais il y aura en lui quelque chose de la force du fer, parce que tu as vu le fer mêlé avec l’argile. 

    42 Et comme les doigts des pieds étaient en partie de fer et en partie d’argile, ce royaume sera en partie fort et en partie fragile. 

    43 Tu as vu le fer mêlé avec l’argile, parce qu’ils se mêleront par des alliances humaines; mais ils ne seront point unis l’un à l’autre, de même que le fer ne s’allie point avec l’argile.

    44 Dans le temps de ces rois, le Dieu des cieux suscitera un royaume qui ne sera jamais détruit, et qui ne passera point sous la domination d’un autre peuple; il brisera et anéantira tous ces royaumes-là, et lui-même subsistera éternellement. 

    45 C’est ce qu’indique la pierre que tu as vue se détacher de la montagne sans le secours d’aucune main, Et qui a brisé le fer, l’airain, l’argile, l’argent et l’or. Le grand Dieu a fait connaître au roi ce qui doit arriver après cela. Le songe est véritable, et son explication est certaine.

    46 Alors le roi Nebucadnetsar tomba sur sa face et se prosterna devant Daniel, et il ordonna qu’on lui offrît des sacrifices et des parfums. 47 Le roi adressa la parole à Daniel et dit : En vérité, votre Dieu est le Dieu des dieux et le Seigneur des rois, et il révèle les secrets, puisque tu as pu découvrir ce secret. 

    48 Ensuite le roi éleva Daniel, et lui fit de nombreux et riches présents; il lui donna le commandement de toute la province de Babylone, et l’établit chef suprême de tous les sages de Babylone. 49 Daniel pria le roi de remettre l’intendance de la province de Babylone à Schadrac, Méschac et Abed-Nego. Et Daniel était à la cour du roi. »

    C’était là assumer une ligne d’affrontement et le sermon au prince rentra dans l’histoire comme une proposition stratégique sans commune mesure. Martin Luther était fou de rage, attaquant de manière violente Thomas Müntzer, le dénonçant comme étant « le satan d’Allstedt ».

    De son côté, le 24 juillet 1524, Thomas Müntzer prêcha ainsi l’union populaire, avec son sermon sur l’unité, qui lui valut une convocation la semaine suivante, les 31 juillet et 1er août 1524, devant les autorités de Weimar. En arrière-plan, il y avait également l’affaire de l’incendie et l’organisation d’une structure armée clandestine, alors que la ville accueillait qui plus est toujours davantage les pourchassés lui étant favorables.

    Le 7 août, il quitta alors clandestinement Allstedt, pour rejoindre Mülhausen en Thuringe.

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  • Thomas Müntzer à Prague, futur «miroir du monde entier»

    A Prague, reconnu comme religieux important, Thomas Müntzer rencontra des personnalités importantes de la ville et il montre immédiatement que son objectif est simple : créer un second front idéologico-théologique pour faire contre-poids à l’interprétation institutionnelle de Martin Luther, en réactivant la rébellion hussite-taborite.

    La situation était alors la suivante : Georges de Bohême avait été le premier roi non catholique en Europe. Mais après la mort en 1471 de ce roi hussite, c’est Vladislas IV, fils du roi de Pologne, qui prit le pouvoir ; contrôlant également la Hongrie, il fit de celle-ci le centre de son pouvoir, avec Buda comme capitale.

    C’est à ce moment qu’eut lieu le formidable et terrible épisode de la révolte paysanne de György Dózsa. Devant mener une croisade contre la menace ottomane et constatant l’incapacité de la noblesse à soutenir l’initiative lancée par le pape et portée surtout par les masses, György Dózsa se mit à la tête d’une rébellion anti-féodale massive.

    La répression fut terrible, 70 000 paysans étant torturés et massacrés, György Dózsa étant en 1514 placé sur un trône de fer chauffé à blanc, avec une couronne de fer et un sceptre l’étant également, plusieurs de ses compagnons étant mis dans l’obligation de le dévorer vivant.

    La torture de György Dózsa

    Le roi suivant, Louis II, fut tué en 1526 lors de la bataille de Mohács, qui scella le sort de la Hongrie, désormais sous le contrôle de l’empire ottoman, avec un impact terrible sur l’opinion des pays européens quant aux avancées ottomanes.

    Au cours de ce processus où la Bohême fut marginalisé politiquement, les aristocrates n’hésitaient pas à procéder à des pillages et à chercher à augmenter leur puissance, ce qui provoquait de lourds mécontentements.

    Thomas Müntzer eut donc un important soutien à Prague, où sa ligne de mobilisation des masses apparaissait favorablement comme le pendant de celle des Habsbourg, qui pourchassait les luthériens et se posait en obstacle principal à l’empire ottoman. Ce dernier échoua effectivement, en 1529 (puis en 1683), à prendre Vienne.

    Thomas Müntzer lui-même plaçait tous ses espoirs en la Bohème ; dans une lettre, il écrit alors :

    « Dieu va faire des choses merveilleuses avec ses élus, en particulier dans ce pays. Lorsque la nouvelle Église bourgeonnera ici, ce peuple sera un miroir du monde entier. »

    A cet effet, en plus de prêcher très rapidement, Thomas Münzer publia le premier novembre 1521 un manifeste, avec quatre versions : une en latin, une version brève et une version longue en alleman, une version en tchèque.

    En voici un extrait significatif, d’une très grande importance historique :

    « Moi, Thomas Mùntzer, natif de Stolberg et résidant à Prague, la ville du saint et valeureux combattant Jean HussJ’ail ‘intention d’emplir d’un chant nouveau à la louange de l’Esprit- Saint les trompettes éclatantes qui sonneront le mouvement.

    De tout mon cœur j’apporte témoignage et adresse de pitoyables plaintes à toute l’Eglise des Elus ainsi qu’au monde entier, partout où cette missive pourra parvenir.

    Le Christ et tous les Elus qui m’ont connu depuis mes jeunes années attesteront ce projet: Je déclare et assure par ce que j’ai de plus précieux que je me suis appliqué de toutes mes forces à reconnaître mieux et plus profondément que quiconque quels sont les fondements de la sainte et invincible foi chrétienne.

    Et je suis assez hardi pour dire en vérité qu’il n’est pas un seul prêtre oint, de poix, pas un seul moine cagot qui aient jamais été capables de dire la moindre chose sur ce fondement de la foi.

    De même, bien des gens ont déploré avec moi avoir été véritablement l’objet d’une intolérable tromperie, sans que leur soit apporté aucun réconfort qui leur eût permis de conduire avec prudence tous leurs désirs et toutes leurs actions selon la foi et de surmonter par eux-mêmes tous les obstacles.

    Et ils n’ont pas pu nom plus et ne pourront au grand jamais découvrir les épreuves salutaires, ni combien est profitable l’abîme d’une âme prédestinée qui a fait le vide en elle.

    Car l’esprit de la crainte de Dieu ne les a pas possédés, lequel se présente inébranlablement comme unique but aux Elus submergés et noyés dans ces ondes que le monde ne peut supporter. Bref, tout homme doit avoir reçu l’Esprit-Saint sept fois, faute de quoi il ne peut entendre ni concevoir le Dieu vivant.

    Je déclare sincèrement et avec force que je n’ai jamais entendu un seul de ces docteurs (qui ne valent pas un pet d’âne) murmurer, à plus forte raison énoncer. à haute et intelligible voix un seul petit mot et sur le moindre point au sujet de l’Ordre qui réside en Dieu et dans les créatures.

    Même ceux qui ont le premier rang parmi les chrétiens (c’est aux prêtres suppôts de l’enfer que je pense) n’ont jamais flairé une seule fois ce qu’est le Tout, ou Perfection non divisée, qui est la mesure égale de toutes les parties et supérieure à ce qui est partiel, I Corinthiens 13, Luc 3, Ephésiens 4, Actes 2, 15, 1 7.

    Bien souvent, je les ai entendus citer l’Ecriture, et rien de plus qu ‘ils ont sournoisement dérobée dans la Bible avec la fourberie des voleurs et la cruauté des meurtriers.

    Pour ce vol, Dieu les maudit lui-même, qui dit par la bouche de Jérémie 23, 16 : «Ecoutez ! J’ai dit au sujet des prophètes : chacun de ceux-là. vole mes paroles chez son prochain, car ils trompent mon peuple. Je ne leur ai pas parlé une seule fois, et ils usurpent mes paroles pour les pourrir sur leurs lèvres fétides et dans leurs gosiers de prostitués. Car ils nient que mon Esprit parle aux hommes» (…).

    Pour certains, l’Evangile et l’Ecriture tout entière sont fermés à clé, Esaïe 29 et 22, par la clé de David et celle du livre scellé de l’Apocalypse, chapitre 5. Ezéchiel a ouvert ce qui était fermé.

    Le Christ dit Luc 11, que les prêtres volent la clé de ce livre qui est fermé à clé et qu ‘ils ferment à clé l’Ecriture en prétendant que Dieu ne peut parler en personne aux hommes.

    C’est quand la semence tombe sur le champ fertile, c’est-à-dire dans les coeurs emplis de la crainte de Dieu, c’est là que sont le papier et le parchemin sur lesquels Dieu inscrit non pas avec de l’encre, mais de Son doigt vivant, la véritable Ecriture sainte dont la Bible extérieure est le vrai témoignage.

    Et rien n’atteste de façon plus certaine la vérité de la Bible que la parole vivante de Dieu quand le Père s’adresse au Fils dans le coeur de l’homme.

    Cette Ecriture-là, tous les Elus qui font fructifier leur talent peuvent la lire. Les damnés, au contraire, n’en feront rien. Leur coeur est plus dur que la pierre qui éternellement repousse le burin du maître-artisan (…).

    Quant au peuple, en revanche, je ne doute pas de lui. Ah ! Pauvre multitude, si juste et si pitoyable, comme tu es assoiffée de la parole de Dieu !

    Car il est clair comme le jour que personne (ou très peu de gens) ne sait ce qu ‘il doit penser et à quel parti se rallier. Ils sont très disposés à faire de leur mieux, mais ils ne parviennent pas à savoir en quoi cela consiste. Car ils ne savent ni se soumettre ni se conformer aux témoignages que l’Esprit-Saint donne à leur coeur.

    C’est pourquoi ils sont tourmentés par l’esprit de la crainte de Dieu, à tel point que la prophétie de Jérémie s’est véritablement réalisée en eux, Lamentations 4,4 : «Les enfants ont demandé du pain, mais il n ‘est personne qui en ait rompu pour eux» (…).

    Pourquoi faire de longs discours ? Ce sont eux, les seigneurs qui se goinfrent et boivent comme des bêtes et festoient et cherchent jour et nuit le moyen de s’empifrer et d’accumuler les prébendes, Ezéchiel 34.

    Ils ne sont pas comme le Christ, Notre Seigneur bien-aimé, lequel se compare à une poule qui réchauffe ses petits, Matthieu 23. Ils ne dispensent pas non plus aux hommes désespérés et abandonnés le lait de la fontaine intarissable de l’exhortation divine. Car ils n’ont pas fait l’expérience de la foi (…).

    Je l’affirme et le jure par le Dieu vivant : celui qui n ‘entend pas de la bouche même de Dieu Sa vraie parole vivante et ne distingue pas Bible et Babel, celui-là n ‘est rien d’autre qu’une chose morte. Mais la parole de Dieu, qui pénètre le coeur, le cerveau, la peau, les cheveux, les os, la moelle, le sang, la force et la vigueur, peut bien survenir d’une autre manière que ne le racontent nos couillons et idiots de docteurs (…).

    Ah ! Comme les pommes sont bien blettes ! Et comme les Elus sont bien mûrs ! Voici le temps de la récolte. C ‘est pourquoi Dieu Lui-même m ‘a embauché pour Sa moisson. J’ai aiguisé ma faucille, car mes pensées sont dirigées de toute leur force vers la vérité, et mes lèvres, ma peau, mes mains, mes cheveux, mon âme, mon corps et tout mon être maudissent les impies.

    C’est afin de m’acquitter convenablement de cette tâche que je suis venu dans votre pays, très chers habitants de Bohême. Je ne vous demande rien d’autre que d’étudier avec zèle la vivante parole de Dieu venue de Sa propre bouche, par quoi vous pourrez vous-mêmes voir, entendre et saisir comment le monde entier a été égaré par les prêtres qui refusent d’entendre. Aidez-moi, par le sang du Christ, à combattre ces ennemis jurés de la foi (…).

    Fait à Prague le jour de Sainte Catherine, l’an du Seigneur 1521.

    Thomas Mùntzer

    qui ne veut pas adorer un Dieu muet, mais un Dieu qui parle. »

    On a ici toute la théologie de Thomas Müntzer de synthétisée, qu’il développera dans de nombreux écrits :

    – les prêtres conservent un monopole qui est mensonger, car l’Esprit Saint s’adressent à tous ;

    – il faut avoir confiance en le peuple et ne pas douter de lui, car il est sincère et prêt à l’écoute ;

    – les seigneurs ne sont tournés que vers la richesse ;

    – les « élus » ayant compris la crainte de Dieu en eux agissent comme avant-garde ;

    – Dieu est tout et le tout est supérieur aux parties ;

    – Thomas Münzer assume de prendre la direction de la ligne authentique ;

    – la Bohème doit prendre l’initiative pour réactiver cette ligne authentique, déjà formulée correctement par le passé par la révolte hussite – taborite.

    Malheureusement, le patriciens avaient repris le dessus et démoli de l’intérieur le hussitisme, qui cherchait un compromis historique, par ailleurs vains, avec l’Église catholique.

    Le conseil municipal, faisant face à la subversion de Thomas Müntzer, força celui-ci à quitter la ville et c’est deux années d’errance, de décembre 1521 à Pâques 1523, qui suivirent.

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  • Martin Luther et l’émergence de Thomas Müntzer

    Martin Luther ne pardonna jamais à Andreas Bodenstein dit Carlstadt son initiative de Wittenberg. Par la suite, celui-ci réédita sa démarche à Orlamünde, avec l’absence de messe et de confession, de jeûne et de jours de fête, mais avec la communion sous les deux espèces pris assis par l’ensemble des personnes présentes. Il affirme alors haut et fort :

     « Toute communauté doit savoir juger, elle seule, si elle est dans la vérité et la justice. »

    Martin Luther ne l’oublie pas et fit en sorte qu’il soit banni, forçant Andreas Bodenstein dit Carlstadt à errer dans toute l’Allemagne, pour finalement terminer sa vie en Suisse.

    Mais un autre opposant à Martin Luther posa bien davantage de problèmes. Si Andreas Bodenstein dit Carlstadt était un pacifiste, ce n’était nullement le cas de Thomas Müntzer. Devenu luthérien avec la même base propre à la mystique rhénane que Martin Luther, Thomas Müntzer ne voyait pas pourquoi il faudrait s’en remettre aux princes électeurs plutôt qu’à l’homme commun.

    Thomas Müntzer, né à Stolberg im Harz vers 1489, quitta Quendlinburg vers l’âge de 16 ans pour rejoindre l’université de Leipzig, devenant par la suite étudiant de la nouvelle université de Francfort sur l’Oder en 1512, devenant diplômé de théologie et maître dans les arts libéraux.

    Il devient prêtre au diocèse de Halberstadt, pour ensuite rejoindre l’église de Saint Michel à Braunschweig, devenant aumônier des chanoinesses de Frose près d’Achersleben, avant d’aller à l’université de Wittenberg.

    Il rencontre par la suite Martin Luther et Andreas Bodenstein dit Carlstadt à Leipzig en 1519, au moment de la disputatio contre Jean Eck.

    Considéré comme un bon élément, il a déjà un esprit activiste cependant : à 22 ans, il forma une union secrète à Halle pour renverser l’archevêque Ernst de Magdebourg, premier primat de l’empire et frère du prince Frédéric de Saxe. Il dut cependant s’enfuir en raison de l’échec de l’entreprise.

    Martin Luther lui-mêeme l’avait soutenu lors de son conflit de 1519 avec les franciscains, subissant pour cette raison les foudres de l’évêque du Brandebourg. Il lui avait également remis une lettre de recommandation, ce qui aida Thomas Müntzer devant voyager de villes en villes.

    Dans ce cadre, Thomas Müntzer définissait Martin Luther, comme dans une lettre du 13 juillet 1520, comme étant « specimen et lucerna amicorum dei », l’exemple même et la lampe indiquant la lumière aux amis de Dieu.

    Version colorisée de la plus ancienne (et non attestée) représentation de Thomas Müntzer, 1608

    Johann « Egran » Wildenhauer, très proche de Martin Luther, proposa par la suite avec succès au conseil de la ville de Zwickau de faire en 1520 de Thomas Müntzer son religieux, durant le temps où il ne pourrait être là.

    Zwickau était une ville marquée par la production de tissus, avec des travailleurs connaissaient des embryons d’organisation populaire, il y avait également une influence importante des mineurs.

    Il existait ainsi une certaine polarisation : l’élite de la ville allait à l’église Sainte-Marie, tandis que le peuple se retrouvait à Sainte-Catherine.

    Cette dernière église, de par sa base sociale, connaissait une forte présence de milieux proches des taborites, qui seront connus comme les « prophètes de Zickau ». Il s’agit d’anabaptistes rejetant le baptême des enfants et mettant l’accent sur l’interprétation mystique des messages du Saint-Esprit, aux dépends des sacrements et du clergé.

    Thomas Müntzer provoqua toutefois immédiatement des troubles en lançant une offensive idéologique contre les moines franciscains. Il mit en déroute idéologique le représentant envoyé par les franciscains, Tiburtius de Weissenfels, et même l’évêque de Naumbourg tentant une intervention ne fut pas en mesure de contrer le processus lancé de rébellion.

    Après qu’on l’ait fait passer de l’église Sainte-Marie à celle de Sainte-Catherine au retour d’Eger Egranus, la situation empira, Thomas Müntzer commençant à dénoncer l’option « institutionnelle » de celui-ci.

    Initialement, on a une convergence entre Martin Luther et Thomas Müntzer. Le premier mit ses réseaux en œuvre pour couvrir l’agitation du second. Mais la montée en puissance de la démarche populaire de Thomas Müntzer devenait inacceptable.

    Pour Egrand, la position de Müntzer encourageait les « schismes et les pires soulèvements » et la tension monta. De fait, mes jeunes travailleurs produisant des tissus organisèrent un soulèvement pour soutenir Thomas Müntzer convoqué par les autorités pour ses incitations à la révolte, mais la cinquantaine d’arrestations empêchant celui-ci força Thomas Müntzer à quitter Zwickau précipitamment.

    Après être donc définitivement révoqué en avril 1521 par le conseil municipal, Thomas Müntzer refusa un poste de professeur de littérature latine dans un monastère près d’Erfurt, pour décider d’aller à Prague, la capitale historique du mouvement hussite et taborite, où il fut accueilli en juin 1521 comme un important religieux par les différents courants liés au hussitisme.

    C’est là qu’il organisa sa rupture théologico-politique avec Martin Luther.

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  • Martin Luther : une charge démocratique encadrée?

    La révolte de la chevalerie se plaçait directement dans un cadre national, mais sa base ne pouvait pas porter de réelle portée démocratique. Les choses étaient totalement différentes avec les couches urbaines mises en branle par Martn Luther.

    Ce dernierr fut un auteur particulièrement prolixe, répondant notamment par la polémique et l’injective. A Rome, lorsque le théologien Silvestro Mazzolini da Prierio se lança dans le combat théorique contre Martin Luther, ce dernier répondit par exemple au moyen de sarcasmes.

    Le vocabulaire de Martin Luther est d’ailleurs agressif, le pape étant ni plus ni moins l’antéchrist.

    Martin Luther par Lucas Cranach l’Ancien, 1525

    Néanmoins, on trouve aussi des explications théologiques et des appels à la mobilisation. Ainsi, lorsqu’il brûle la bulle papale, il publie dans la foulée Pourquoi les écrits du pape et de ses disciples ont été brûlés par le docteur Martin Luther, Allemand, suivi en janvier 1521 d’une Défense de toutes les propositions condamnées par la nouvelle bulle.

    Cela tient à sa perspective mobilisatrice démocratique, qu’il formula notamment ainsi, en 1520, dans sa polémique avec le représentant du pape à Leipzig (Von dem Papstum zu Rom wider den hochberühmten Romanisten zu Leipzig) :

    « L’Église se compose de tous ceux qui, sur terre, vivent dans la vraie foi, l’espérance et l’amour, en sorte que l’essence, la vie et la nature de la chrétienté n’est pas d’être une assemblée des corps, mais la réunion des cœurs dans une même foi. »

    Dans l’un de ses ouvrages majeurs, De la captivité babylonienne de l’Église, il dit en 1520 :

    « Le sacrement n’appartient pas aux prêtres, mais à tous. »

    Voici également une formulation tout à fait dialectique, qu’il exprime dans De la liberté du chrétien, en 1520 :

    « Pour tracer une voie plus accessible aux gens d’esprit simple – c’est à eux seuls que je suis utile – je commence par les deux propositions que voici, sur la liberté et la servitude de l’esprit :

    Le chrétien est l’homme le plus libre; maître de toutes choses, il n’est assujetti à personne.

    L’homme chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs; il est assujetti à tous.

    Ces affirmations paraissent se combattre; elles seconderont au contraire fort bien notre dessein, pour peu que l’on découvre leur accord.

    Car elles sont l’une et l’autre de Paul lui-même :

    « Bien que je fusse libre, dit-il en 1 Corinthiens 9, je me suis fait le serviteur de tous » ;

    et, en Romains 13, « Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres ».

    Or, l’amour est serviable par nature et il cède à celui qui est aimé. De même, bien que Seigneur de toute créature, Christ est né d’une femme, il est venu se mettre sous la loi, tout à la fois libre serviteur, tout ensemble en forme de Dieu et en forme de serviteur. »

    Citons ici, pour bien comprendre l’importance capitale de cette question, l’épître aux Galates (5.13-6.9) du Nouveau Testament :

    « 13 Frères et sœurs, c’est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte pour suivre les désirs de votre nature propre. Au contraire, soyez par amour serviteurs les uns des autres.
    14 En effet, toute la loi est accomplie dans cette seule parole: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

    15 Mais si vous vous mordez et vous dévorez les uns les autres, attention: vous finirez par vous détruire les uns les autres.
    16 Voici donc ce que je dis: marchez par l’Esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de votre nature propre.

    17 En effet, la nature humaine a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit a des désirs contraires à ceux de la nature humaine. Ils sont opposés entre eux, de sorte que vous ne pouvez pas faire ce que vous voudriez.
    18 Cependant, si vous êtes conduits par l’Esprit, vous n’êtes pas sous la loi.

    19 Les œuvres de la nature humaine sont évidentes: ce sont [l’adultère,] l’immoralité sexuelle, l’impureté, la débauche,
    20 l’idolâtrie, la magie, les haines, les querelles, les jalousies, les colères, les rivalités, les divisions, les sectes,

    21 l’envie, [les meurtres,] l’ivrognerie, les excès de table et les choses semblables. Je vous préviens, comme je l’ai déjà fait: ceux qui ont un tel comportement n’hériteront pas du royaume de Dieu.
    22 Mais le fruit de l’Esprit, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la foi, la douceur, la maîtrise de soi.

    23 Contre de telles attitudes, il n’y a pas de loi.
    24 Ceux qui appartiennent à [Jésus-]Christ ont crucifié leur nature propre avec ses passions et ses désirs.

    25 Si nous vivons par l’Esprit, laissons-nous aussi conduire par l’Esprit.
    26 Ne soyons pas vaniteux en nous provoquant les uns les autres, en nous portant envie les uns aux autres. »

    On a vu que Martin Luther s’était placé cependant sous l’égide des Princes électeurs, seule force à ses yeux capable de soutenir le mouvement ; c’est le sens de L’appel à la noblesse allemande fut publiée à Wittenberg à 4000 exemplaires à la mi-août 1520, avec des ré-impressions s’ensuivant immédiatement.

    Mais de la part de nombreux partisans de Martin Luther, c’était tout à fait secondaire par rapport au mouvement lui-même. Ainsi, André Bodenstein, dit Carlstadt, proclama le 24 janvier 1522 le règlement de la ville de Wittenberg, interdisant la mendicité et la prostitution, les fonds des confréries et des couvents étant réquisitionnés pour l’entretien du culte.

    Le culte des images devait être supprimé :

    « Les images et autels dans l’église doivent être retirés pour éviter l’idôlatrie, car trois autels sont suffisants en fait d’images. »

    La messe fut supprimée, tout comme bien sûr le célibat des religieux et le principe de confession, et de toutes façons la communion sous les deux espèces devait être la norme, avec des prières en allemand. Carlstadt annonça le premier février même que le peuple gouverné serait par sa volonté propre.

    Martin Luther écrit une Sincère admonestation à tous les chrétiens pour qu’ils se gardent de la révolte et de la sédition, considérant le 1er mars 1522 qu’il devait sortir en catastrophe de son abri qu’était le château de la Wartbourg, contre l’avis du Prince électeur le protégeant, pour s’opposer à Carlstadt.

    A Wittenberg, il tin alors sermons du 9 au 16 mars 1522, pour rétablir ce qu’il considérait être juste. Sa justification dans une lettre à Frédéric le Sage du 7 mars 1522 était très claire : « Satan s’est introduit à Wittenberg ».

    « Altesse sérénissime, illustre prince, gracieux seigneur !

    J’ai pris très sérieusement en considération le fait que, si je retournais à présent à Wittenberg, sans la permission et contre la volonté de Votre Grâce électorale, cela constituerait pour Votre Grâce électorale (…), pour tout le pays et pour les gens un grand danger – spécialement pour moi-même, qui, banni par l’autorité papale et impériale, devrais m’attendre à la mort à chaque heure. 

    Mais que dois-je faire ? J’ai des raisons pressantes de revenir, et Dieu m’y oblige et m’appelle (…).

    La première raison est que je suis appelé par écrit par l’ensemble de l’Eglise de Wittenberg, avec force supplications et prières (…).

    La seconde raison est que, pendant mon absence, Satan s’est introduit à Wittenberg dans ma bergerie et (comme le crie désormais le monde entier et comme cela est vrai) a mis quelques brebis dans un bel état. Il ne m’est pas possible de les apaiser par des écrits, mais il me faut agir en étant présent en personne, en les écoutant et en leur parlant de vive voix.

    Ma conscience ne m’a pas permis de m’économiser et de temporiser plus longtemps. »

    C’est là la limite historique de Martin Luther : afin de garantir le succès de son entreprise, il auto-limita de lui-même les initiatives populaires qu’il avait contribué à lancer. La charge démocratique que portait son initiative comptait moins pour lui que la possibilité la plus grande du succès.

    Aussi, il expulsa les « rebelles » de Wittenberg et fit rétablir le culte en latin, de l’usage des vêtements liturgiques, de la communion sous une seule espèce pour les laïcs.

    Il fallait temporiser, aller dans le sens d’une Réforme, conjuguant toutes les forces, sans que rien ne dépasse du cadre. Pour lui, la charge démocratique devait être encadrée pour réussir. 

    Mais son choix fait à Wittenberg devait avoir des conséquences dramatiques, amenant les forces le soutenant et le pouvant à tenter un passage en force. Martin Luther fut lui-même totalement dépassé par les événements, qu’il ne pouvait alors plus que condamner pour sauver coûte que coûte la position acquise.

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  • Martin Luther et la révolte de la chevalerie

    L’intégration de la dynamique de Martin Luther dans le giron des Princes électeurs provoqua un remous général dans la chevalerie. Cette noblesse n’ayant pas réussi à s’élever comme les Princes électeurs voyait son sol s’effondrer sous ses pieds.

    L’Église catholique, par ses possessions et ses prérogatives, formait un concurrent puissant à ses propres intérêts. Les succès internationaux de l’empereur renforçait la perspective d’un empire cosmopolite, passant outre la noblesse allemande historique.

    Le capitalisme se développant généralisait l’utilisation de l’argent et la noblesse ne pouvait plus se contenter de vivoter à l’écart, en profitant de biens matériels amassés dans l’entourage immédiat. Sa propre consommation grandissante exigeait des moyens financiers, qui disparaissaient.

    Même sur le plan militaire, la chevalerie avait perdu sa fonction principale. Il faut bien comprendre ici que les chevaliers, auparavant fer de lance des batailles gérées par la haute aristocratie, avaient perdu leur fonction centrale.

    Les chevaliers avaient notamment été défaits par les nouvelles tactiques des armées composées de masses bourgeoises et paysanne, lors des batailles de Morgarten (1315) et de Sempach (1386) qui libérèrent la Suisse des Habsbourg.

    Les Suisses bien moins nombreux repoussent les troupes des Habsbourg à la bataille de Morgarten

    L’importance international de cet exemple suisse est très largement sous-estimée et il va de soi qu’ici, cette situation conditionne également la formation de la nation suisse et de ses mentalités. Ce moment-clef est la base pour comprendre l’identité nationale suisse dans sa formation historique, lors de son décrochage des pays allemands qui formeront par la suite l’Allemagne et l’Autriche.

    Les défaites face à l’envahisseur ottoman avait également montré l’ampleur du caractère suranné de la chevalerie, à quoi s’ajoutent bien sûr la découverte de la poudre et sa généralisation sur le plan militaire.

    On comprend que la chevalerie, appauvrie, n’hésita pas à basculer dans le brigandage, voyant sa situation toujours plus désespérée.

    Voici un aperçu de cette situation, présentée par Friedrich Engels dans La guerre des paysans en Allemagne :

    « La noblesse moyenne avait presque complètement disparu de la hiérarchie féodale du moyen âge.

    Une partie de ses membres étaient devenus de petits princes indépendants, les autres étaient tombés dans les rangs de la petite noblesse.

    La petite noblesse, les chevaliers, allait rapidement à sa ruine.

    Une grande partie était déjà complètement réduite à la misère et vivait seulement du service des princes, dans des emplois militaires ou civils.

    Une autre était dans la vassalité et dans la dépendance des princes. La minorité était dans la dépendance directe de l’Empire.

    Le développement de la technique militaire, le rôle croissant de l’infanterie, le progrès des armes à feu diminuèrent de plus en plus son importance militaire en tant que cavalerie lourde et mirent fin en même temps à l’inexpugnabilité de ses châteaux forts.

    Tout comme celle des artisans de Nuremberg, l’existence des chevaliers fut rendue superflue par les progrès de l’industrie. Leurs besoins d’argent contribuèrent considérablement à leur ruine.

    Le luxe déployé dans les châteaux, la splendeur dont on rivalisait dans les tournois et les fêtes, le prix des armes et des chevaux, augmentèrent avec les progrès du développement social, alors que les sources de revenus des chevaliers et des barons n’augmentaient que très peu, ou même pas du tout. Les guerres privées, avec leurs inévitables pillages et rançons, le brigandage de grands chemins et autres nobles occupations de ce genre devinrent, avec le temps, par trop dangereux.

    Les redevances et les prestations des sujets rapportaient à peine plus qu’autrefois. Pour subvenir à leurs besoins croissants, les seigneurs durent recourir aux mêmes moyens que les princes.

    L’exploitation des paysans par la noblesse s’aggrava d’année en année. Les serfs furent pressurés jusqu’à la dernière limite, les corvéables chargés, sous toutes sortes de prétextes et d’étiquettes, de nouvelles taxes et prestations.

    Les corvées, cens, redevances, droits de tenure, mainmorte, droit d’aubaine, etc., furent augmentés arbitrairement, en violation de tous les anciens contrats. On refusait de rendre la justice ou bien on la vendait, et quand le chevalier ne trouvait plus aucun prétexte pour tirer de l’argent du paysan, il le jetait en prison sans autre forme de procès, et l’obligeait à racheter sa liberté.

    Avec les autres ordres, la petite noblesse ne vivait pas non plus en bonne intelligence. La noblesse vassale s’efforçait de devenir noblesse d’Empire.

    Celle-ci, à son tour, cherchait à conserver son indépendance. D’où des différends continuels avec les princes. Les chevaliers enviaient le clergé, qui, bouffi d’orgueil comme il l’était alors, leur apparaissait comme un ordre superflu, ses grands domaines et ses immenses richesses indivisibles grâce au célibat et à la constitution de l’Église.

    Avec les villes, ils étaient sans cesse aux prises. Ils leur devaient de l’argent, vivaient du pillage de leur territoire, du détroussement de leurs marchands et de la rançon de leurs citoyens faits prisonniers au cours des guerres. Et la lutte de la chevalerie contre tous ces ordres se faisait d’autant plus violente que pour elle aussi la question d’argent devenait davantage une question vitale. »

    Deux figures se placèrent à la tête de la chevalerie en révolte, que Friedrich Engels définit comme « la plus nationale » des forces : le lettré Ulrich von Hutten et le chef de guerre Franz von Sickingen, qui historiquement sont considérés comme les hérauts de l’affirmation nationale allemande.

    Ulrich von Hutten, gravure de 1522

    Ulrich von Hutten avait fui à 16 ans une carrière d’ecclésiastique ; il part ensuite à étudier à l’université d’Erfurt, qu’il quitte en raison de la peste pour rejoindre celle de Cologne. Il rejoint ensuite celle de Francfort, tout juste fondé, où il commence sa carrière de poète en latin.

    D’esprit aventurier, il est soutenu à un moment par la famille des Lötz, maires de la ville de Greifwald, avec à qui il se brouille et contre qui il publie deux ouvrages polémiques en 1510, Plaintes contre les Lötz.

    Il passe ensuite à Wittenberg, à Vienne, à Padoue, Pavi, Bologne, toujours avec de nombreuses péripéties : régulièrement dérobé ou pourchassé, tout en écrivant des ouvrages vantant la nation allemande, ainsi que des pièces de théâtre (Saint Marc, La pêche vénitienne).

    Il écrit ensuite une Harangue à l’empereur et un Chant de deuil où il appelle les chevaliers à venger son frère assassiné par le duc de Wurtemberg ; son Panégyrique dédié à l’arrivée du nouvel archevêque de Mayence est un chant patriotique.

    Il prend ensuite la défense vigoureuse de Reuchlin, qui s’opposait à l’inquisition cherchant à brûler tous les ouvrages juifs ; il devient même le « poète-lauréat de l’empire ». L’électeur de Mayence le prend sous sa coupe, l’installe à sa cour et l’amène à Paris, avant que finalement Ulrich von Hutten ne rejoigne son château et publie toute une série d’attaques contre l’Église catholique, dont la Triade romaine, dénonçant la tyrannie politique, intellectuelle et bien sûr religieuse.

    Voici un extrait d’une oeuvre d’Ulrich von Hutten, intitulé « Personne » :

    « Tu demandes qui je suis ? Personne, héros d’illustre mémoire.

    Qui est-ce qui s’est donné à lui-même la vie ? Personne.

    Qui a toujours existé, qui a vécu en ces temps immémoriaux où les dieux séparèrent et organisèrent le Chaos ? Personne.

    Qui existe avant sa naissance ou après rassure? Personne.

    Qui subit ou agit contre la volonté de Dieu ? Personne.

    Qui peut tout ? Personne. Qui sait tout par lui-même ? Personne.

    Qui demeure éternellement ? Personne. Qui est totalement innocent ? Personne.

    Qui échappe à la mort ? Personne. Qui survit à son trépas ? Personne.

    Qui, en naissant, ne sait qu’il doit mourir ? Personne.

    Qui connalt la volonté, les desseins cachés des dieux ? Personne.

    Qui sait le présent, le passé, l’avenir ? Personne.

    Qui sera sauvé sans le secours de l’eau bénite ? Personne.

    Qui est juste, s’il n’a foi dans le Christ ? Personne.

    Qui vit satisfait de son sort, qui a appris à rester dam les limites de son destin ? Personne.

    Qui ose critiquer le luxe des prêtres et leur vie de débauche, qui ose critiquer le Pape latin ? Personne.

    Qui est sage en amour, qui est fidèle en amour ? Personne.

    Qui aime son prochain plus que lui-même ? Personne.

    Qui peut dénombrer les étoiles du ciel, conseille et classer les productions de la terre et de la mer ? Personne.

    Qui peut servir deux maîtres à la fois [allusion à un passage de la Bible]? Personne.

    Qui a sous la main tour ce dont il a besoin, quand il en a besoin ? Personne.

    Qui est juste ? Personne. Qui est entièrement heureux ? Personne.

    Qui peut être partout à la fois ? Personne.

    Qui fera une loi capable de s’imposer à tous les Allemands ? Personne.

    Qui a réussi à imposer son joug aux peuples du Rhin ? Personne.

    Qui a réussi à s’élever par la pureté de ses mœurs ? Personne.

    A qui sa piété a-t-elle valu de hautes dignités à la cour ? Personne.

    Qui délivre la ville de Quirinus [Rome] de la tyrannie ? Personne.

    Qui se porte au secours de l’Italie souffrante? Personne.

    Qui va faire la guerre aux Turcs barbares, qui fait passer le bien public avant son intérêt privé ? Personne.

    Qui, délibérément, choisit la voie la plus sûre, la conduite la plus sage ? Personne.

    Qui ose se fier au hasard ? Personne.

    Qui ne commet jamais d’erreur, se tient toujours sur ses gardes ? Personne.

    Qui saurait plaire à tous, qui est à l’abri de l’envie ? Personne.

    Qui peut se vanter de plaire toujours à la multitude stupide ? Personne, Qui reçoit la juste récompense de ses études ? Personne.

    Sa lettre à Martin Luther faisant face au pape commence par « Vivat libertas ! Alea est jacta ! Nunc perrumpendum, perrumprendum ! », « Que vive la liberté ! Le sort en est jeté ! Maintenant la rupture, la rupture ! »

    Il s’oppose à la destruction des œuvres de Martin Luther, salue celui-ci lorsqu’il brûle la bulle papale l’excommuniant, publiant toute une série de textes en faveur de la révolte.

    Cependant, on se doute bien que la position de la chevalerie était intenable. Ni la bourgeoisie, ni les paysans ne pouvaient lui faire confiance, alors qu’une alliance était nécessaire face aux Princes électeurs.

    Martin Luther refusa de se placer sous la protection de Franz von Sickingen.

    Franz von Sickingen,
    représentation du 19e siècle

    Aussi, l’initiative d’Ulrich von Hutten et de Franz von Sickingen, aussi glorieuse qu’elle fut, reste isolée et fut rapidement écrasée. Friedrich Engels raconte de manière synthétique l’échec de la tentative de la chevalerie de lancer une offensive contre l’Église catholique, de manière unilatérale :

    « Sickingen, qui était déjà reconnu comme le chef politique et militaire de la noblesse de l’Allemagne moyenne, et Hutten fondèrent en 1522, à Landau, une ligue de la noblesse rhénane, souabe et franconienne pour une durée de six années, soi-disant dans un but défensif.

    Sickingen rassembla une armée, en partie avec ses propres moyens, en partie avec l’aide des chevaliers des environs, recrutant des renforts en Franconie, sur le cours inférieur du Rhin, dans les Pays-Bas et en Westphalie et ouvrit en septembre 1522 les hostilités par une déclaration de guerre à l’électeur-archevêque de Trèves.

    Mais tandis qu’il assiégeait Trèves, ses renforts furent coupés par une intervention rapide des princes. Le landgrave de Hesse et l’électeur du Palatinat accoururent au secours de l’archevêque de Trèves, et Sickingen fut obligé de se réfugier dans son château fort de Landstuhl.

    Malgré tous les efforts de Hutten et de ses autres amis, la noblesse alliée, intimidée par l’action rapide et concentrée des princes, l’abandonna à son sort. Lui-même fut mortellement blessé rendit Landstuhl et mourut aussitôt après.

    Hutten dut s’enfuir en Suisse et mourut quelques mois plus tard dans l’île d’Ufnau, sur le lac de Zurich [en ayant rejoint la grande figure de la Réfome suisse, Huldrych Zwingli].

    A la suite de cette défaite et de la mort de ses deux chefs, la puissance de la noblesse en tant que corps indépendant des princes fut brisée. Désormais la noblesse n’apparaît plus qu’au service et sous la direction des princes. »

    Il s’agissait de révolutionnaires sans révolution, car la base sociale des chevaliers, de type féodale, était réactionnaire et ne pouvait porter quelque chose de positif.

    Ce sera la raison pour laquelle Karl Marx et Friedrich Engels critiqueront le drame Franz von Sickingen écrit par Ferdinand Lassalle, qui joua initialement un rôle important pour le mouvement ouvrier allemand, tout en ayant des traits nationalistes allemandes très prononcés malgré ses origines juives.

    Le nationalisme allemand de type réactionnaire fera par la suite toujours de Franz von Sickingen un de ses références centrales, interprétant la fameuse gravure Le Chevalier, la Mort et le Diable d’Albrecht Dürer comme représentant celui-ci (plusieurs années avant sa mort), le présentant comme un mythe, celui du dernier chevalier.

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  • La nature des Princes épaulant Martin Luther

    Quelle est la nature des Princes électeurs qui ont sauvé Martin Luther par l’intermédiaire de Frédéric III le Sage ? Voici comment Friedrich Engels, dans La guerre des paysans, nous la définit.

    « Les princes étaient issus de la haute noblesse. Ils étaient déjà à peu près complètement indépendants de l’empereur, et en possession de la plupart des droits souverains.

    Ils faisaient la guerre et la paix de leur propre chef, entretenaient des armées permanentes, convoquaient des diètes et imposaient des contributions. Ils avaient déjà soumis à leur autorité une grande partie de la petite noblesse et des villes.

    Ils employaient constamment tous les moyens en leur pouvoir pour annexer à leurs territoires le reste des villes et des baronnies non médiatisées.

    Par rapport à celles-ci, ils faisaient œuvre de centralisation, comme ils faisaient œuvre de décentralisation par rapport au pouvoir d’Empire.

    À l’intérieur, leur gouvernement était déjà très arbitraire. La plupart du temps ils ne convoquaient les états que lorsqu’ils ne pouvaient pas se tirer d’affaire autrement. Ils décrétaient des impôts et des emprunts selon leur bon plaisir.

    Le droit pour les états de voter l’impôt était rarement reconnu et plus rarement encore exercé. Et même alors, le prince avait ordinairement la majorité, grâce aux deux états qui n’étaient pas soumis à l’impôt, mais qui en profitaient, la chevalerie et le clergé.

    Le besoin d’argent des princes augmentait avec le luxe et le train grandissant de leur Cour, avec la constitution des armées permanentes et les dépenses croissantes du gouvernement.

    Les impôts devinrent de plus en plus lourds. Les villes en étaient, la plupart du temps, garanties par leurs privilèges. Tout le poids en retombait sur les paysans, tant sur ceux des domaines du prince que sur les serfs, les corvéables et les tenanciers des chevaliers vassaux.

    Quand les impôts directs ne suffisaient pas, on faisait appel aux impôts indirects.

    Les manœuvres les plus raffinées de l’art financier étaient employées pour combler les trous du fisc. Quand tout cela ne suffisait pas encore, quand on ne pouvait plus rien mettre en gage, et qu’aucune ville libre impériale ne voulait plus donner de crédit, on recourait aux pires des opérations frauduleuses, on frappait de la monnaie frelatée, on établissait des cours forcés, hauts ou bas, selon que cela convenait au fisc.

    Le commerce des privilèges citadins ou autres, qu’on reprenait ensuite de force pour les revendre au prix fort, l’exploitation de toute tentative d’opposition comme prétexte à toute sorte de rançons et de pillages, etc., étaient également, à cette époque, des sources de revenus fructueuses et quotidiennes pour les princes.

    Enfin, la justice était également pour eux un article de commerce permanent et non négligeable. Bref, les sujets de cette époque, qui avaient, en outre, à satisfaire la cupidité des baillis et autres fonctionnaires du prince, jouissaient pleinement des bienfaits du système « paternel » de gouvernement. »

    On comprend immédiatement le problème. Les forces favorables à Martin Luther voyaient bien qu’autant il n’était pas possible historiquement de « passer le tour », autant soutenir de manière unilatérale les Princes électeurs aboutiraient à un renforcement unilatéral de leur pouvoir, la Réforme se limitant alors à l’appropriation des biens de l’Église catholique romaine.

    Toutes les forces hostiles à cela vont alors se mettre en branle : la chevalerie, les patriciens, les bourgeois, les plébéiens, les paysans.

    Qui plus est, l’empereur lui-même va intervenir pour bloquer ce qui serait un saut qualitatif pour les princes électeurs.

    Cela va provoquer une onde de choc qui va alors frapper le pays à court, moyen et long termes.  

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  • Martin Luther : «l’empereur, les rois et les Princes»

    Le conflit avec Rome étant ouvert, quelle force allait diriger l’affrontement lancé par Martin Luther ? Il est intéressant de voir comment lui-même envisageait les choses.

    En avril 1518, il tient tête au point de vue catholique romain lors d’une « disputatio » à Heidelberg, ce qui lui vaut un grand prestige dans le sud-ouest des pays allemands.

    Puis, en juillet 1518, lorsque Martin Luther est alors cité à comparaître à Rome dans les deux mois, l’inculpation est appuyée par une consultation, In praesumptuosas Martin Lutheri conclusiones de potestate papae dialogus, rédigé à la demande du pape par Silvestro Mazzolini, également appelé Prierias car natif de Priero dans le Piémont.

    Martin Luther répondit alors par une Responsio ad Sylvestri Prieratis dialogum, où on lit la formule suivante :

    « Si les romanistes persistent dans leur furie, il n’y aura d’autre remède que l’empereur, les rois et les Princes, rassemblant leurs forces et leurs armes (…). Si nous punissons les voleurs par la potence et les hérétiques par le feu, pourquoi ne nous jetons-nous pas avec toutes nos forces contre ces maîtres de la perdition, ces cardinaux, ces papes, ce cloaque de sodomie romaine qui corrompt l’Église de Dieu ? »

    Martin Luther table donc, à ce moment-là, sur ce qu’il pense représenter la nation allemande : l’empereur, les rois et les princes ».

    Cependant, la situation va s’avérer fort différente lorsqu’il se rend à la convocation – à Augsbourg, car refusant d’aller à Rome – faite en octobre 1518 faite par le cardinal Jacques de Vico, dont le prénom est devenu Thomas à son entrée en religion et connu sous le nom de Cajétan, car originaire de Gaète.

    La discussion ne fait que marquer les différences et Martin Luther s’enfuit dans la nuit du 20 octobre 1518. Le 11 décembre, Martin Luther parle dans une lettre du pape comme « véritable Antéchrist » et il tient de nouveau tête au point de vue catholique romain lors de la disputatio de Leipzig en juillet 1519 entre Jean Eck et Martin Luther, qui remplaça Andreas Bodenstein dit Carlstadt ayant le dessous dans la première phase.

    Jean Eck accusa Martin Luther de hussitisme, ce qui surprit celui-ci découvrant alors son illustre prédécesseur de Bohême, affirmant alors :

    « Nous sommes tous hussites sans l’avoir su. Saint Paul et saint Augustin sont aussi de parfaits hussites. »

    Après l’excommunication de Martin Luther qui survint ensuite, la position de l’empereur était donc attendue. Martin Luther fut alors convoqué par une lettre du 6 mars 1521 à la Diète de Worms, assemblée extraordinaire des prince-électeurs, des conseiller privés et du conseil des villes d’Empire.

    Arrivé le 16, sa comparution commença le lendemain et il tint tête au jeune empereur Charles-Quint, concluant notamment avec ces paroles connues :

    « A moins d’être convaincu par l témoignage de l’Écriture et par des raisons évidentes – car je ne crois ni en l’infaillibilité du pape ni en celle des conciles – il est manifeste qu’ils se sont souvent trompés et contredits – je suis lié par les textes bibliques que j’ai apportés, et ma conscience est prisonnière de la Parole de Dieu.

    Je ne puis ni ne veux me rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen. »

    L’empereur le mit alors au ban du Saint-Empire romain germanique.

    Ce choix signifiait maintenir, par conséquent, la collaboration étroite avec l’Église catholique romaine, conformément à la politique cosmopolite de sa famille, les Habsbourg, dominant une importante partie de l’Europe d’alors.

    C’était là une rupture très claire entre la ligne nationale allemande, représentée par Martin Luther, et la vision impériale de Charles-Quint.

    C’est alors le prince électeur Frédéric III le Sage, duc de Saxe, qui organise un faux enlèvement de Martin Luther, qui vit alors sous une identité secrète au château de la Wartbourg, à Eisenach.

    Frédéric III de Saxe, également surnommé Frédéric III le Sage, par Lucas Cranach l’Ancien

    C’est ici un moment clef ; dépendant d’un prince électeur, Martin Luther se soumettait par conséquent aux princes électeurs, à la haute noblesse, dans le cadre de l’affirmation de la nation allemande.

    Les autres forces favorables à Martin Luther n’avaient alors pas d’autres choix que de suivre. En effet, ni les princes électeurs, ni la chevalerie, ni le patriciat des villes ne voulait faire plaisir aux intentions de l’empereur, car cela aurait renforcé son pouvoir.

    Et comme l’empereur ne disposait que d’une superstructure sans implantation locale administrative, ses décisions ne pouvaient être appliqués en tant que tel, de toutes façons.

    Il fallait trouver un terrain d’entente avec les princes électeurs favorables à Martin Luther ; il était de toutes façons tout à fait dans l’intérêt des États allemands de disposer d’une Reformatio ecclesiae in capite ac membris, c’est-à-dire d’une réforme de la tête et des membres de l’Église. Cela allait dans un sens national unanimement soutenu par les partisans de la nation allemande.

    Martin Luther par Lucas Cranach l’Ancien, 1521

    Cela est d’autant plus vrai que les princes électeurs voyaient tout intérêt à s’approprier les richesses de l’Église, tout comme la bourgeoisie naissante voyait d’un bon œil l’effondrement de l’Église, cette force féodale.

    Quelle que soit la manière souhaitée pour cela, il était d’ailleurs trop tard ; fermer la porte à Martin Luther, c’était peut-être définitivement refermer cette perspective en général.

    A cela s’ajoutait une autre considération stratégique : l’absence de répression contre Martin Luther aboutissait immanquablement à une profonde tension entre l’empereur et le pape. Cela empêchait leur union écrasante pour les pays allemands et c’était donc autant de gagné.

    Pour autant, était-il possible d’accepter l’hégémonie des Princes électeurs ?

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  • Martin Luther : un Allemand face à Rome

    Représentant une tendance historique – l’apparition de la nation allemande et donc sa rupture avec la dépendance avec l’Église romaine – Martin Luther est porte une initiative qui lui tient à coeur, qu’il considère comme juste, mais dont il ne voit pas les contours.

    Friedrich Engels note, dans La guerre des paysans en Allemagne, que :

    « Lorsque, en 1517, Luther attaqua tout d’abord les dogmes et la constitution de l’Église catholique, son opposition n’avait pas encore de caractère bien déterminé. »

    De fait, quant après sa publication des 95 thèses en 1517, également envoyés à l’archevêque-électeur de Mayence Albert de Brandebourg pour qu’il rejette les « indulgences » du pape Léon X destinés à financer la construction de la basilique Saint-Pierre, il est convoqué à ce sujet, il pense que son sort scellé.

    Partant en octobre 1518 à Augsbourg, où le légat Cajetan l’a convoqué et exige qu’il se rétracte, Martin Luther pense que tout est fini ; comme il le racontera par la suite :

    « J’avais constamment le bûcher devant les yeux. Désormais tu dois mourir, me disais-je. »

    La popularité nationale énorme qu’avait acquis Martin Luther le protégea toutefois. Il explicita alors son point de vue dans une série de documents : Le Sermon sur les indulgences et la grâce fut réédité 23 fois entre 1518 et 1520, une trentaine d’autres écrits connurent pour la même période 370 éditions, soit au moins 250 000 exemplaires.

    On peut voir ici comment l’initiative de Martin Luther profita, contrairement aux hussites et aux taborites, de la diffusion de l’imprimerie. Voici comment lui-même saluait ce qui allait s’avérer un formidable outil :

    « L’imprimerie est le dernier et suprême don, car, par elle, Dieu veut faire connaître à toute la terre l’affaire de la vraie religion, jusqu’au terme de ce monde, et la répandre dans toutes les langues.

    C’est la dernière flamme qui luit avant l’extinction du monde. »

    Martin Luther fut ici le titan de la démocratie. Il avait su se tourner vers le peuple, au sens où il s’adresse à tous les pays allemands, forgeant leur unité nationale sur le plan idéologique. C’est en ce sens qu’il traduisit le Nouveau Testament en 1521, en onze semaines, la Bible complète en langue allemande étant publiée en 1534.

    Voici comment lui-même présente, en 1530, la manière avec laquelle il a traduit, contribuant à l’unification de la langue allemande :

    « Il faut interroger la mère dans sa maison, les enfants dans la rue, l’homme du commun sur la place du marché, et considérer leur bouche pour savoir comment ils parlent, afin de traduire d’après cela ; alors ils comprennent et remarquent que l’on parle allemand comme eux. »

    C’est une véritable ligne de masses. On comprend que Martin Luther devint un symbole national ; à sa sortie récente en tant que jouet playmobil, le « Martin Luther » se vendit à 34 000 exemplaires en 72 heures, pour atteindre 750 000 ventes, le plus grand succès de la marque.

    Cette vague était tellement informe que l’Église catholique romaine l’avait donc sous-estimé à l’initial. Alors que les 95 thèses datent de 1517, il faut attendre 1520 pour avoir une ferme réaction papale avec la Bulla contra errores Martini Lutheri et sequacium (Bulle contre les erreurs de Martin Luther et ses disciples), connu sous le nom de Exsurge Domine (« Lève-toi, Seigneur [car un renard ravage la vigne] ») qui forme son incipit.

    41 thèses de Luther y étaient dénoncées ; les voici :

    « 1. C’est une opinion hérétique mais commune que les Sacrements de la Nouvelle Loi donnent une grâce de pardon à ceux qui ne créent pas d’obstacle.

    2. Nier que, chez un enfant après son baptême, le péché demeure, c’est de traiter avec mépris à la fois Paul et le Christ.

    3. Les sources inflammables du péché, même s’il n’y a pas eu de péché actuel, retardent le départ de l’âme du corps pour son entrée au ciel.

    4. Pour quelqu’un sur le point de mourir, une charité imparfaite entraîne nécessairement une grande crainte qui, à elle seule, est suffisante pour produire la peine du purgatoire et empêcher l’entrée dans le royaume.

    5. Qu’il y ait trois parties à la pénitence, à savoir : la contrition, la confession et la satisfaction; il n’y a pas de fondement à cela dans la Sainte Écriture ni chez les Anciens Docteurs Chrétiens sacrés.

    6. La contrition, qui est acquise par la discussion, la collecte et la détestation des péchés, par laquelle on réfléchit sur ses années dans l’amertume de son âme, en méditant sur la gravité des péchés, leur nombre, leur bassesse, la perte de la béatitude éternelle et l’acquisition de la damnation éternelle, cette contrition fait de lui un hypocrite et, en effet, un grand plus pécheur.

    7. C’est un proverbe des plus véridiques et la doctrine sur les contritions la plus remarquable jusqu’à présent : « Ne plus le faire à l’avenir est la pénitence la plus élevée ; c’est la meilleure pénitence, c’est une nouvelle vie ».

    8. En aucun cas, vous ne pouvez présumer confesser les péchés véniels, ni même tous les péchés mortels, parce qu’il est impossible que vous connaissiez tous les péchés mortels. Ainsi, dans l’Église primitive, seuls les péchés mortels manifestes étaient confessés.

    9. Tant que nous souhaitons confesser tous les péchés sans exception, nous ne faisons rien d’autre que souhaiter ne laisser rien à la Miséricorde de Dieu à pardonner.

    10. Les péchés ne sont pardonnés que si celui se confesse croit qu’ils sont pardonnés lorsque le prêtre les pardonne; au contraire, le péché demeure à moins que celui qui se confesse nn croit qu’il a été pardonné ; car, en effet, la rémission des péchés et l’octroi de la grâce ne suffisent pas mais il est nécessaire de croire aussi qu’il y a eu pardon.

    11. En aucun cas, pouvez-vous être rassuré d’être absous à cause de votre contrition mais à cause de la Parole du Christ : « Tout ce que vous délierez, etc ». Par conséquent, je dis, ayez confiance que vous avez obtenu l’absolution du prêtre et croyez fermement que vous avez été absous et vous serez vraiment absous quoiqu’il en soit de la contrition.

    12. Si, par une impossibilité, celui qui s’est confessé n’était pas contrit ou que le prêtre n’a pas donné l’absolution sérieusement mais d’une manière joviale, si pourtant il estime qu’il a été absous, il a été vraiment absous.

    13. Dans le sacrement de la pénitence et la rémission des péchés, le Pape ou l’Évêque n’en fait pas davantage que le prêtre le plus humble ; en effet, lorsqu’il n’y a pas de prêtre, tout Chrétien, même une femme ou un enfant, peut également en faire autant.

    14. Nul ne doit répondre à un prêtre s’il est contrit, ni le prêtre s’en renseigner.

    15. Grande est l’erreur de ceux qui approchent le Sacrement de l’Eucharistie en comptant sur le fait qu’ils se sont confessés, qu’ils ne sont conscients d’aucun péché mortel en eux, qu’ils ont prié à l’avance et qu’ils ont fait des préparations ; tous ceux-là mangent et boivent le jugement pour eux-mêmes. Mais s’ils croient et ont confiance qu’ils obtiendront la grâce, alors cette foi seule les rendra purs et dignes.

    16. Il semble avoir été décidé que l’Église en Concile commun ait établi que les laïcs devraient communier sous les deux espèces ; les Bohémiens qui communient sous les deux espèces ne sont pas hérétiques mais schismatiques.

    17. Les trésors de l’Église à partir desquels le Pape accorde des indulgences ne sont pas les mérites du Christ ni des saints.

    18. Les indulgences sont des pieuses fraudes des fidèles et des rémissions de bonnes œuvres ; et elles sont parmi le nombre de ces choses qui sont autorisées et non du nombre de celles qui sont avantageuses.

    19. Les indulgences ne sont d’aucune utilité pour ceux qui en gagnent vraiment pour la rémission de la peine due au péché actuel commis à la vue de la justice divine.

    20. Ils sont séduits ceux qui croient que les indulgences sont salutaires et utiles pour le fruit de l’esprit.

    21. Les indulgences ne sont nécessaires que pour les crimes publics et ne sont à juste titre concédées qu’aux rudes et aux impatients.

    22. Pour six types d’hommes, les indulgences ne sont ni utiles ni nécessaires ; à savoir, pour les morts et ceux qui vont mourir, les infirmes, ceux qui sont légitimement entravés, ceux qui n’ont pas commis de crimes, ceux qui ont commis des crimes mais pas publics, et ceux qui se consacrent à des choses meilleurs.

    23. Les excommunications ne sont que des sanctions externes et elles ne privent pas l’homme des prières spirituelles communes de l’Église.

    24. Les Chrétiens doivent apprendre à chérir les excommunications plutôt que de les craindre.

    25. Le Pontife Romain, successeur de Pierre, n’est pas le Vicaire du Christ sur toutes les églises de l’ensemble du monde, institué par le Christ Lui-même dans le Bienheureux Pierre.

    26. La Parole du Christ à Pierre : « Tout ce que vous délierez sur la terre… etc » couvraient uniquement les choses liées par Pierre lui-même.

    27. Il est certain que ce n’est pas du pouvoir de l’Église ou du Pape de décider des articles de foi et encore moins sur les lois de la morale ou des bonnes œuvres.

    28. Si le Pape avec une grande partie de l’Église pensaient ceci ou cela, il ne se tromperait pas ; et encore, ce n’est pas un péché ou une hérésie de penser le contraire, en particulier sur toute question non nécessaire pour le salut, jusqu’à ce qu’une alternative soit condamnée et qu’une autre soit approuvée par un Concile général.

    29. Une façon a été conçue pour que nous puissions affaiblir l’autorité des Conciles, pour contredire librement leurs actions, pour en juger les décrets et déclarer hardiment tout ce qui semble vrai, que ce fut approuvé ou désapprouvé par tout Concile que ce soit.

    30. Certains articles de Jean Hus, condamnés au Concile de Constance, sont des plus Chrétiens, entièrement vrais et évangéliques ; ceux-là, l’Église universelle ne pouvait pas les condamner.

    31. En toute bonne œuvre, l’homme pèche.

    32. Un bon travail très bien fait est un péché véniel.

    33. Que les hérétiques soient brûlés, c’est contre la volonté de l’Esprit.

    34. Aller à la guerre contre les Turcs, c’est résister à Dieu qui punit nos iniquités à travers eux.

    35. Personne n’est certain qu’il ne pèche pas toujours mortellement, en raison du vice le plus caché de l’orgueil.

    36. Après le péché, le libre arbitre est une question de titre seulement ; et aussi longtemps que quelqu’un fait ce qui est en lui, il pèche mortellement.

    37. Le purgatoire ne peut pas être prouvé par l’Écriture Sainte qui est dans le canon.

    38. Les âmes du purgatoire ne sont pas sûres de leur salut, du moins pas toutes ; et il n’a été prouvé ni par des arguments ni par les Écritures qu’elles ne sont plus capables de mériter davantage ou de croître en charité.

    39. Les âmes du purgatoire pèchent sans arrêt aussi longtemps qu’ils cherchent le repos et abhorrent la peine.

    40. Les âmes libérées du purgatoire par les suffrages des vivants sont moins heureuses que si elles avaient fait satisfaction par elles-mêmes.

    41. Les prélats ecclésiastiques et les princes séculiers n’agiraient pas mal s’ils détruisaient tous les sacs d’argent de la mendicité. »

    Martin Luther répondit en brûlant un exemplaire de la bulle, à Wittenberg, devenu le bastion luthérien ; l’Église catholique romaine réagit l’année suivante par la bulle Decet Romanum Pontificem, excommuniant Martin Luther.

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  • Martin Luther et la réforme protestante : les pays allemands, divisés et en rébellion

    Il serait erroné de penser qu’il n’y a pas eu des penseurs dont la logique fut proche de celle de Martin Luther ; d’ailleurs, la mystique rhénane avait le même profil que les thèses de Martin Luther.

    Cependant, la mystique rhénane était un phénomène intellectuel-théologique, qui n’avait pas encore d’espace pour exister sur le plan idéologique, culturel et social. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas déjà de brutales irruptions contestataires par l’intermédiaire de la religion.

    Un exemple connu fut, en 1476, le berger Hans Böhm, qui affirma avoir des visions, pensant voir la Vierge Marie, commençant à prêcher dans les environs de là où il vivait. Il affirma que chacun devait lui-même travailler pour gagner sa vie, qu’il ne devait plus y avoir de couches sociales privilégiées que la terre, les forêts, les eaux, relevaient de la propriété collective.

    Hans Böhm représenté dans une chronique du 16e siècle

    Il attira jusqu’à 70 000 personnes en pèlerinage à Niklashausen pour venir le voir et lorsqu’il appela à un prochain prêche réservé aux hommes, devant qui plus est venir armé, afin d’écouter un message particulier de la Vierge Marie, il fut arrêté.

    Hans Böhm représenté dans une chronique du 16e siècle

    34 000 hommes venus au prêche furent désarçonnés, et 16 000 décidèrent d’aller demander sa libération au château, obtenant même la satisfaction des revendications, pour se faire massacrer, arrêter ou mettre en fuite une fois dispersés sur la route pour retourner chez eux. Hans Böhm fut lui brûlé sur un bûcher.

    Hans Böhm représenté dans une chronique du 16e siècle

    La rumeur populaire voulut qu’il se soit transformé en colombe et y ait échappé, devant revenir le dimanche pour un prêche, ce qui n’arriva bien entendu pas et mit un terme à cette première grande rébellion paysanne.

    C’est un exemple fameux masque un nombre très significatif de contestations théologiques, de révoltes paysannes, de contestations de la chevalerie appauvrie, d’agitation chez les travailleurs des corporations, de mécontentement profond dans la chevalerie appauvrie, d’esprit contestataire chez les patriciens des villes, d’ambition démesurée chez les princes électeurs.

    Car l’Allemagne n’existait pas ; les pays germaniques étaient morcelés en un nombre très important de principautés. Les princes les plus importants étaient dit électeurs, car votant dans le cadre du Saint Empire Germanique, une supra-entité déconnectée de tout lien local, avec un empereur aux visées cosmopolites.

    Le pays était divisé en plusieurs cercles, eux-mêmes subdivisés de manière significative. Les pays allemands étaient ainsi constitués du Cercle de Bavière, du Cercle de Souabe, du Cercle du Haut-Rhin, du Cercle du Bas-Rhin-Westphalie, du Cercle de Franconie, du Cercle de Basse-Saxe, du Cercle de Bourgogne, du Cercle d’Autriche, du Cercle de Haute-Saxe, du Cercle électoral du Rhin.

    Rien que dans le Cercle électoral du Rhin, par exemple, on trouve le duché d’Aremberg, le comté de Nassau-Beilstein, le Bailliage de Coblence, l’électorat de Cologne, la ville libre de Gelnhausen, le comté du Bas-Isenburg, le comté d’Isenburg-Grenzau, le comté d’Isenburg-Neumagen, l’électorat de Mayence, le Comté de Neuenahr, le comté palatin du Rhin, le Burgraviat de Rheineck, l’Abbaye Saint-Maximin de Trèves, la Maison de Thurn und Taxis formant par la suite une principauté, l’Électorat de Trèves.

    Ainsi, l’Allemagne, à l’époque de Martin Luther, était très loin d’être unifiée. Ce n’est cependant pas tout. La dépendance religieuse à l’Église romaine exerçait une pression économique et politique de plus en plus grande.

    C’est cet aspect là qui va faire de la démarche de Martin Luther le titan de l’affirmation nationale allemande. Ce que Martin Luther exprime, très concrètement, ce sont les intérêts de la noblesse allemande, ainsi que des commerçants et des marchands, dans les villes. Il porte les intérêts du début du capitalisme, qui amorcent la naissance de la nation.

    Cela se lit parfaitement quand on voit que l’un de ses trois écrits majeurs est À la noblesse chrétienne de la nation allemande, où en 1520 il appelle celle-ci a avoir une « intention droite et spirituelle, pour le plus grand bien de la malheureuse Église ».

    Martin Luther : À la noblesse chrétienne de la nation allemande

    Il est frappant que, dans les revendications de Martin Luther, dans la forme de ses interventions, la question religieuse est réduite à la question nationale allemande. La théorie des « trois murailles » qui est formulée dans À la noblesse chrétienne de la nation allemande en témoigne.

    Ces trois murailles qui protègent l’Église romaine sont les suivantes :

    – l’immunité complète de l’Église romaine par rapport aux forces laïques ;

    – le monopole de l’interprétation de l’Église romaine ;

    – le contrôle des conciles par l’Église romaine.

    C’est au nom de la défense des intérêts allemands face à l’Église romaine que Martin Luther remet en cause le monopole religieux. C’est cela qui explique sa conception selon laquelle :

    « On a inventé que le pape, les évêques, les prêtres, les gens des monastères seraient appelés état ecclésiastique ; les princes, les seigneurs, les artisans et les paysans, état laïque, ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie.

    Mais personne ne doit se laisser intimider par cette distinction, pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent vraiment à l’état ecclésiastique ; il n’existe entre eux aucune différence, si ce n’est celle de la fonction, comme le montre Paul en disant (I Corinthiens XII) que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres, ce qui provient de ce que nous avons un même baptême, un même Évangile et une même foi et sommes tous également chrétiens, car ce sont le baptême, l’Évangile et la foi qui seuls forment l’état ecclésiastique et le peuple chrétien (…).

    Aussi est-ce là une légende que, dans leur impudence, ils ont fabriquée de toutes pièces et ils ne peuvent pas même citer une seule syllabe pour prouver qu’il appartient au Pape seul d’interpréter l’Écriture ou de confirmer leur interprétation ; ils se sont arrogé ce pouvoir.

    Et lorsqu’ils prétendent que ce pouvoir fut donné à Saint Pierre en même temps que lui furent donné les clefs, il est tout à fait évident que les clefs ne furent pas données au seul Saint Pierre, mais à toute la communauté.

    En outre, les clefs sont destinées à lier et à délier non pas en matière de doctrine ou de gouvernement, mais seulement en ce qui concerne le péché et ce qu’ils s’attribuent de plus ou d’autre au sujet des clefs n’est qu’invention dénuée de fondement (Math. 18, 18 – Jean 20,23) (…).

    Ils sont obligés de reconnaître qu’il existe parmi nous de bons Chrétiens qui possèdent la foi, l’esprit, l’intelligence, la parole, l’intention véritables du Christ, eh bien ! Pourquoi devrait-on rejeter leur parole et leur intelligence et suivre le Pape qui n’a ni foi ni esprit ? N’est-ce pas la négation de toute la foi et de toute l’Église chrétienne ? »

    Il s’avère donc que les laïcs n’auraient pas à être mis de côté, que l’Église ne saurait exister de manière extérieure à eux.

    A l’arrière-plan, il y a question des annates, une année (ou une demi-année selon les moments) de bénéfices religieux locaux devant être envoyé au pape à chaque nouvelle nomination à haut poste.

    Voici la dénonciation de Martin Luther à ce sujet :

    « Les Empereurs et les Princes allemands ont autorisé autrefois le Pape à percevoir des Annates sur tous les bénéfices de la Nation allemande, c’est-à-dire, moitié de la première annuité rapportée par chaque bénéfice, mais l’autorisation a été accordée afin de donner au Pape le moyen de rassembler, grâce à cette importante contribution, un trésor pour mener la lutte contre les Turcs et les infidèles, pour protéger la Chrétienté afin que la lutte ne pèse pas trop lourdement sur la seule noblesse mais que le clergé puisse aussi fournir un peu d’aide.

    Cette bonne et naïve intention de la nation allemande, les Papes l’ont si bien exploitée que, depuis plus de cent ans, ils perçoivent cette contribution et qu’ils en ont fait un impôt obligatoire et un revenu régulier ; ils ne se sont pas contentés de la lever, mais ils s’en sont servi pour fonder des charges et des emplois à Rome, et en rémunérer chaque année les titulaires, comme on ferait avec les revenus d’un legs.

    Quand on reparle de faire la guerre contre les Turcs, ils envoient une délégation pour ramasser de l’argent ; combien de fois aussi n’ont-ils pas promulgué des indulgences, toujours sous couleur de faire la guerre contre les Turcs, car ils pensent que les Allemands resteront indéfiniment des archifous fieffés qui ne cesseront pas de donner de l’argent et alimenteront leur cupidité sans nom, bien qu’ils voient clairement que ni les annates, ni l’argent des indulgences, ni aucun autre, que pas un[e pièce de] heller n’est employé contre les Turcs, mais que tout tombe dans le sac qui n’a pas de fond.

    Ils mentent et dupent, ils contractent et concluent avec nous des traités que pas une seconde ils ne songent à respecter. Et après cela, c’est le nom sacré du Christ et celui de Saint Pierre qui sont mis en cause.

    Or il faudrait maintenant que la Nation allemande, les Évêques et les Princes se considèrent aussi comme des Chrétiens et protègent le peuple dont ils ont pour tâche de régler et de défendre les intérêts matériels et spirituels contre ces loups ravisseurs qui, revêtus de la dépouille des brebis, se donnent pour des pasteurs et des monarques.

    Et du moment que l’on abuse des annates sans aucune vergogne et que les engagements pris ne sont pas tenus, ils ne devraient pas tolérer qu’au mépris de tout droit le pays et les gens soient écorchés et ruinés si pitoyablement, mais décider par un édit de l’Empereur ou de toute la Nation que les annates soient réservées ou au contraire abrogées.

    Car du moment qu’ils ne tiennent pas les engagements pris, ils n’ont pas droit aux annates ; et les Évêques et les Princes ont pour devoir de châtier leur pillage et leur brigandage, ou du moins de les rendre impossibles, ainsi que l’exige le droit. Il faut que par là, ils prêtent le concours de leur force au Pape qui peut-être se sent trop faible en présence d’un pareil désordre, ou alors, s’il prétendait consolider et maintenir cet état de choses, il faut qu’ils résistent et s’opposent à ces efforts comme à ceux d’un loup et d’un tyran, car il n’a pas de pouvoir pour faire le mal ou défendre une mauvaise cause. »

    Martin Luther, en attaquant Rome, a synthétisé une exigence qui était celle de l’ensemble des couches sociales allemandes, en particulier des couches pré-capitalistes des villes et de la chevalerie appauvrie, subissant l’alliance étroite de l’empire et de l’Église catholique romaine.

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  • Martin Luther : «C’est un rempart que notre Dieu»

    On ne serait sous-estimer la quête existentielle de Martin Luther, mésestimer l’enjeu humain que sa démarche représente. Il ne s’agit pas de quelqu’un réfutant simplement une quête d’argent de la part d’une Eglise bureaucratisée et peuplée d’opportunistes ; il s’agit de vivre en tant qu’humain et pour cela d’acquérir un fondement solide à sa propre existence.

    Envoyé à Rome à la fin de 1510, Martin Luther n’y resta que moins d’un mois ; de manière significative, cela ne déclencha pas de révolte contre l’Église romaine et sa corruption, comme on aurait pu s’y attendre en suivant une interprétation erronée.

    Il fut ensuite nommé, en mai 1512, prieur du couvent augustin de Wittenberg, devenant trois ans plus tard le vicaire général de l’ordre pour le district, devenant entre-temps, en octobre 1512, docteur en théologie.

    A ce titre, Martin Luther enseigna à l’université de Wittenberg, commentant de 1513 à 1516 le Psautier, ainsi que l’Épître aux Romains en 1515 et en 1516.

    Martin Luther en 1525 par Lucas Cranach l’Ancien

    Et à l’opposé de l’expérience romaine, il est connu que, durant ce parcours, Martin Luther exprima un malaise existentiel. Dans un regard porté a posteriori, Martin Luther raconte cette inquiétude qui le travaillait à l’initial :

    « Quand j’étais moine, je pensais que c’en était fait de mon salut sitôt qu’il m’arrivait de sentir la concupiscence de la chair, c’est-à-dire une impulsion mauvaise, un désir, un mouvement de colère, de haine ou d’envie contre un de mes frères… La concupiscence revenait perpétuellement. Je ne savais trouver de repos. J’étais constamment crucifié par des pensées comme celles-ci : « Voilà que tu es encore travaillé par l’envie, l’impatience ». »

    Mais cela poursuivit par la suite, avec une accentuation sur la psychologie résolument nouvelle par rapport à la froideur catholique, où il suffisait de se placer correctement dans la hiérarchie cosmique pour être lié à Dieu.

    Voici ce que dit Martin Luther dans ses Sept psaumes de la pénitence, de 1517 :

    « Ô Dieu, jusques à quand ? Pour tous ceux qui souffrent, le temps est long ; en revanche, il est court pour ceux qui sont dans la joie…

    Il est immensément long pour ceux qui connaissent cette douleur intérieure de l’âme qui, du fait de l’abandon et du renoncement de Dieu, est ressentie comme on le dit fort bien : une heure au purgatoire est plus cruelle que mille années de peines corporelles sur la terre.

    Ainsi il n’est pas de souffrance plus grande que la souffrance, matériellement ressentie, de la conscience, qui a lieu quand Dieu, c’est-à-dire la vérité, la justice, la sagesse, etc., renonce, et qu’il ne reste plus rien que péché, ténèbres, plaintes et lamentations. »

    En 1518, dans Resolutiones disputationum de indulgentiarum virtute, il exprime de manière véritablement existentiel :

    « Je connais un homme qui affirme avoir souffert bien des fois ces peines, durant un temps très court il est vrai, mais d’une telle violence et si vraiment infernale que ni la langue ne peut le dire, ni la plume l’écrire, ni celui qui n’a pas fait cette expérience le croire.

    C’est au point que si ces peines arrivaient leur extrémité ou si elles duraient une demi-heure ou même la dixième partie d’une heure, on en périrait totalement et les os seraient tous réduits en cendres.

    Alors Dieu apparaît horriblement irrité et avec lui la naure entière. Alors on ne voit aucune fuite possible, aucune consolation, ni au-dedans ni au-dehors, mais de toutes parts un réquisitoire sans pitié. »

    Cette inquiétude n’est pas celle d’un paysan : c’est celle de quelqu’un vivant désormais dans les villes, étant en rupture avec les modalités répétitives de la vie paysanne arriérée culturellement, et se posant des questions incessantes pour trouver une base à sa propre vie.

    On a ici l’expression de l’urbanisation des pays allemands, du développement intellectuel des couches éclaires. De fait, les pays allemands avaient connu un vaste développement universitaire.

    L’université de Prague fut fondé en 1348, celle de Vienne en 1365, celle d’Heidelberg en 1386, celle de Cologne en 1388, celle d’Erfurt en 1392, celle de Wurzbourg en 1402, celle de Leipzig en 1409, celle de Rostock en 1419, celle de Greifswald en 1456, celles de Fribourg et Trèves en 1457, celle de Bâle en 1460, celle d’Ingolstadt en 1472, celles de Tubingue et de Mayence en 1477, celle de Wittenberg en 1502, celle de Francfort sur l’Oder en 1506.

    Dieu est ici un point d’appui ; ce qu’on appelle la chute, c’est la perte totale de repères. La conscience, livrée à elle-même en dehors des travaux des champs ou de la froide scolastique des monastères, est torturée et en quête de repères, de point d’appui.

    C’est la quête existentielle d’une base permettant le raisonnement. Du point de vue matérialiste dialectique, c’est la preuve que l’être humain ne pense pas et que ses raisonnements sont le reflet de la réalité qui a besoin d’être saisi.

    Pour Martin Luther, c’est un tourment terrible qui ne peut trouver sa résolution que dans la liaison au Saint-Esprit, permettant de s’autodépasser, de se nier pour se réaliser. Dans La liberté du chrétien, en 1525, Martin Luther conclura ainsi de la manière suivante :

    « De tout cela, il résulte en conclusion qu’un chrétien ne vit pas en lui-même, mais dans le Christ et dans son prochain : dans le Christ par la foi, dans le prochain par la charité. Par la foi, il s’élève au-dessus de lui-même en Dieu; de Dieu, il redescend au-dessous de lui-même par la charité, tout en demeurant toujours en Dieu et dans l’amour de Dieu. »

    Voici également un chant écrit par Martin Luther en 1523, Nun freut euch, lieben Christen g’mein (Désormais réjouissez-vous, chers chrétiens ensemble), exprimant ce besoin d’affermissement :

    « Désormais réjouissez-vous, chers chrétiens ensemble,
    et laissons-nous joyeusement jaillir,
    comme nous sommes consolés et tous en un
    chanter avec envie et amour

    ce que Dieu s’est tourné vers nous
    et son doux acte miraculeux
    très cher il l’a obtenu

    J’étais prisonnier du diable,
    Perdu dans la mort.

    Le péché, dans lequel je suis né,
    Me torturait nuit et jour,
    J’étais né en lui.

    Je m’enfonçais de plus en plus.
    Il n’y avait rien de bon dans ma vie
    Le péché avait pris possession de moi.»

    Et voici le cantique extrêmement connu écrit par Martin Luther à la fin des années 1520, inspiré de la Psaume 46, Ein feste Burg ist unser Gott (C’est un rempart que notre Dieu) :

    « C’est un rempart que notre Dieu :
    Si l’on nous fait injure,
    Son bras puissant nous tiendra lieu
    De cuirasse et d’armure.
    L’ennemi contre nous
    Redouble de courroux :
    Vaine colère !
    Que pourrait l’adversaire ?
    L’Éternel détourne ses coups

    Seuls, nous bronchons à chaque pas,
    Notre force est faiblesse.
    Mais un héros, dans les combats,
    Pour nous lutte sans cesse.
    Quel est ce défenseur ?
    C’est toi, puissant Seigneur,
    Dieu des armées !
    Ton Eglise opprimée
    Reconnaît son Libérateur !

    Que les démons forgent des fers
    Pour accabler l’Église,
    Ta cité brave les enfers, 
    Sur le rocher assise !
    Constant dans son effort,
    En vain, avec la mort, 
    Satan conspire : 
    Pour briser son empire,
    Il suffit d’un mot du Dieu fort !

    Dis-le, ce mot victorieux,
    Dans toutes nos détresses !
    Répands sur nous du haut des cieux
    L’Esprit et ses largesses.
    Qu’on nous ôte nos biens,
    Qu’on serre nos liens,
    Que nous importe ?
    Ta grâce est la plus forte,
    Et ton royaume est pour les tiens. »

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  • Martin Luther : «La charité est donc l’Esprit-Saint»

    Martin Luther est né le 10 novembre 1483 en Saxe, à Eisleben, dans une famille de paysans, qu’il décrivit de manière suivante :

    « Je suis un fils de paysan ; mon arrière-grand-père, mon grand-père, mon père étaient d’authentiques paysans. »

    En fait, le père tenta de s’élever socialement en devenant mineur, à Mansfeld, avant de devenir bourgeois, ce qu’était déjà sa mère par sa famille. Le père devint même magistrat de Mansfeld.

    Cette trajectoire est importante, car elle présente une élévation sociale caractéristique. Les mineurs formaient en effet une classe sociale disciplinée et organisée, à l’opposé de la paysannerie au caractère fondamentalement rustique ; la perspective de rejoindre l’administration des villes représentait quant à elle un rapprochement avec les habitants des bourgs, les bourgeois formant une classe sociale en plein essor.

    Martin Luther fut poussé, y compris par la bastonnade, aux études ; après un début à Mansfeld, il alla à l’école de la cathédrale de Magdebourg, puis à celle d’Eisenach, avant d’être envoyé en 1501 à l’université d’Erfurt, où il devint maître en philosophie en 1505.

    Il devait alors commencer des études de droit, mais la foudre tomba non de lui sur une route, à Stottenheim, ce qui lui fit s’écrier « Au secours ! Sainte-Anne, je me fais moine ! ».

    Il entra alors, au grand dam de ses parents, dès le 17 juillet 1505 dans l’ordre mendiant des ermites de Saint-Augustin, organisé en 1275 et dirigé par le vicaire général Jean Staupitz qui procédait alors à une remise en ordre général, déjà par l’union des couvents augustins, ensuite par le rétablissement de règles strictes comme le jeûne, la mendicité, l’absence de feu durant l’hiver.

    Lucas Cranach l’Ancien, Le Dernier Repas (Luther parmi les apôtres), 1530

    Martin Luther célébra sa première messe le 2 mai 1507, son père payant le traditionnel banquet pour l’occasion, mais demandant à cette occasion « Ne savez-vous pas qu’il est écrit : Tu honoreras ton père et ta mère ? », puis continuant après que son fils ait parlé de l’orage comme « impulsion » pour devenir moine : « Voyez si ce n’est pas une fantasmagorie ».

    Martin Luther développa cependant sans interruption ses connaissances. Jean Staupitz lui permit de suivre des cours de théologie, avant de l’envoyer à l’université de Wittenberg, où il expliqua Aristote, avant d’être rappelé à Erfurt où il commenta le Livre des sentences, le manuel de dogmatique de Pierre Lombard (vers 1100 – 1160) qui était depuis trois cents ans le texte de base pour l’enseignement théologique.

    L’importance de cet ouvrage pour le christianisme est fondamental, c’est une œuvre incontournable. Le point le plus connu, car le plus controversé sans pour autant avoir été remis en cause ouvertement ni suivi officiellement, est l’assimilation du Saint-Esprit à la charité qui, une fois pratiquée, permet d’aller à Dieu.

    Pierre Lombard formule cela de la manière suivante, à la « distinction » 17 du premier chapitre, en citant abondamment Augustin. En voici un extrait significatif :

    « Que l’amour fraternel, bien qu’il soit Dieu, n’est pas le Père ou le Fils, mais seulement l’Esprit-Saint.

    Mais, étant donné que l’amour fraternel n’est ni le Père, ni le Fils, mais seulement l’Esprit-Saint, c’est lui qui dans la Trinité est proprement appelé l’amour ou la charité.

    D’où Augustin au livre XV de La Trinité :

    « Si parmi les dons de Dieu il n’est rien de plus grand que la charité, et qu’il n’y a pas de don de Dieu plus grand que l’Esprit-Saint, quoi de plus logique que celui-ci soit la charité qu’on dit Dieu, d’une part, et venir de Dieu, d’autre part ? »

    « En effet, Jean affirme-t-il ainsi : L’amour vient de Dieu, et, peu après : Dieu est amour. Il est ici manifeste qu’il a dit que cet amour, qu’il a dit venir de Dieu, est Dieu. Ainsi donc Dieu venu de Dieu est-il l’amour. »

    De même, au même endroit : Jean, « voulant parler plus clairement sur ce point : Nous connaissons, dit-il, que nous demeurons en lui et lui en nous, car il nous a donné de son Esprit.

    C’est donc l’Esprit-Saint, dont il nous a donné, qui nous fait demeurer en Dieu et lui en nous ; or, c’est ce que fait l’amour ; lui-même par conséquent est le Dieu amour ; c’est donc lui qui est signifié, là où on lit : Dieu est amour ».

    Il apparaît d’après cela que l’Esprit-Saint est la charité (…).

    Ainsi donc la charité est-elle vraiment l’Esprit-Saint.

    D’où Augustin, traitant dans le même livre de la parole précitée de l’Apôtre, dit que la charité est le bien par rapport auquel il n’y a rien de meilleur, et il signifie par là qu’elle est Dieu, lorsqu’il dit : « Si aucune chose ne nous sépare de sa charité, que peut-il y avoir non seulement de meilleur, mais encore de plus assuré que ce bien ? »

    Comme on le voit, il dit qu’il n’y a rien de meilleur que la charité.

    La charité est donc l’Esprit-Saint, qui est Dieu et le don de Dieu ou ce qui est donné.

    Lui qui répartit ses dons à chacun des fidèles et n’est pas lui-même partagé, mais qui est donné indivis à chacun.

    D’où l’affirmation d’Augustin, là où Jean dit que l’Esprit est donné au Christ sans mesure : « Mais à tous les autres il est partagé, certes pas l’Esprit lui même, mais ses dons ». »

    C’est précisément ce point qui a attiré l’attention de Martin Luther, puisque justement pour lui la charité n’est pas une morale, mais un vécu, quelque chose que l’on ressent et qui doit être gratuit, non pas tendu vers une récompense.

    Mieux encore : on ne peut pas trouver appui seul, ce n’est que dans le tout qu’on peut exister. On attribue souvent à Martin Luther une inquiétude abstraite, une quête de rapport à Dieu.

    En réalité, c’est parce qu’il se situe dans la tradition de la théologie allemande, et non pas en ayant cherché une inspiration abstraite chez Augustin, qu’il remodèle l’interprétation du christianisme.

    Tant qu’on a pas trouvé un lien avec Dieu, tout est perdu ; dès 1516, Martin Luther formulait cette sentence reflétant sa propre vision du monde :

    « Se tenir debout par ses propres forces, j’ai moi aussi été dans cette erreur. »

    Trouver un moyen de ne pas perdre pied dans le monde matériel, non pas choisir la morale mais la vivre, voilà ce qui était son objectif. Seul l’accès au Saint-Esprit le permet ; Martin Luther est ici très clair :

    « Ceci est très certain qu’on ne peut pas pénétrer les Saintes Écritures ni par l’étude ni par l’intelligence… Il n’y a pas de maître des paroles divines, sinon l’auteur de la Parole. »

    On comprend la force de cette approche éminemment personnelle quand on connaît l’anecdote de la tour. Assis en 1515 dans sa chambre, il commença à lire la Bible et les mots « juste »et «justice » l’interpellèrent.

    Il eut alors en tête un passage des Romains (1:17) et il considéra avoir la solution, le Saint-Esprit s’était adressé à lui :

    « 17 parce qu’en lui est révélée la justice de Dieu par la foi et pour la foi, selon qu’il est écrit: Le juste vivra par la foi. »

    Tout dépendait de la foi et de la foi seule. Voici également comment, dans une lettre datant de 1530, Martin Luther présente le symbole qu’il a choisi pour sa théologie.

    « La croix vient en premier, noire, et dans le cœur avec sa couleur naturelle, pour me rappeler que c’est la foi dans le Crucifié qui sauve.

    Car celui qui croit de tout son cœur sera justifié. Bien qu’il s’agisse d’une croix noire, qui mortifie et doit faire mal, elle maintient le cœur dans sa couleur, n’altérant pas la nature. En effet la croix ne tue pas, mais elle maintient en vie. Le cœur repose au milieu d’une rose blanche pour montrer que la foi donne la joie, la consolation, et la paix.

    C’est pourquoi la rose est blanche et non rouge, car le blanc est la couleur des esprits et de tous les anges. Cette rose se trouve sur un arrière-plan de la couleur du ciel, car cette joie dans l’esprit et dans la foi est le début de la future joie céleste, qui est déjà comprise à travers la notion et l’Espérance, mais qui n’est pas encore manifestée.

    Et dans ce fond se trouve un anneau d’or, qui dure éternellement et n’a pas de fin comme la sainteté au ciel, et qui est le plus précieux des minerais comme l’éternité vaut plus que toute la joie et tous les biens. »

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