Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • 1958 : l’Opération Résurrection et la capitulation du régime

    La réussite de l’Opération Corse – de nature clairement gaulliste – convergea avec l’Opération Résurrection, consistant en la prise du pouvoir par l’armée en métropole même. Ici encore, l’histoire bourgeoise est pratiquement muette sur ce plan de coup d’État militaire.

    L’Opération Corse est même présentée comme une partie de l’Opération Résurrection, ce qui est inexact de par sa substance. Il y eut un premier plan pour une Opération Résurrection, quelques jours après le coup d’État, réalisé par l’armée en Algérie, mais que de Gaulle rejeta comme manquant de moyens.

    Puis, une seconde version fut élaborée à la suite de l’Opération Corse, avec cette fois l’approbation de de Gaulle et même un soutien acharné. Il faut bien voir ici que différents réseaux s’entremêlent. Initialement, l’Opération Résurrection devait voir les « paras » tant d’Algérie que de Corse sauter sur Paris et prendre le contrôle des points névralgiques.

    Alger en 1958

    Le général Edmond Jouhaud, dans un document racontant l’épisode, décrit cela de la manière suivante :

    « Groupement de Vismes : se porter sur la Préfecture de Police et l’Hôtel de Ville ; groupement Cousteaux : se porter sur le ministère de l’Intérieur et protéger l’Elysée.

    Détacher ensuite un élément sur le central régional des P.T.T. ; groupement Château-Jobert : se porter sur la tour Eiffel, les studios de l’O.R.T.F., le centre des communications militaires avec les territoires d’outre-mer ; groupement Moulie : se porter sur la Chambre des députés, le ministère des Affaires étrangères, la présidence du Conseil, la direction générale des P.T.T. et les studios de l’O.R.T.F., occuper les locaux et neutraliser le personnel présent.

    Une telle action conduisait à s’emparer des leviers de commande de l’Etat ou tout au moins a les contrôler. »

    Mais, en réalité, ce à quoi on aboutit était un coup d’État militaire depuis la métropole même, plus précisément depuis Paris, avec la participation de l’état-major des armées de terre, de l’air et de la marine, unanimement.

    Lorsque l’Opération commença, au tout début de la nuit du 30 mai 1958, les avions vers le Sud-Ouest partaient ainsi de Paris.

    Si les choses ne sont pas claires, c’est en raison de la nature complotiste de l’opération, différents complots s’entremêlant selon les réseaux. Certains militaires pensaient même que l’opération n’était qu’une bluff pour faire tomber le gouvernement.

    Tizi Ouzou le 27 mai 1958

    Comme, de fait, le gouvernement tomba dès la prise de connaissance de l’opération commencée, tout passa aux oubliettes afin de contribuer à masquer le fait que le régime de la Ve République avait comme origine un coup d’État militaire.

    Il faut comprendre le tempo menant à l’Opération Résurrection, qui ne pouvait en effet avoir lieu que grâce à la réussite de la prise de contrôle de la Corse. Celle-ci permettait la constitution d’une tête de pont vers la métropole, tout en aidant à présenter pour la forme le coup d’État militaire en Algérie comme la prétendue expression d’une révolte populaire d’ampleur générale.

    C’est l’Opération Corse qui déverrouilla les positions pro-coup d’État de l’armée en métropole.

    Le gouvernement et le parlement l’avaient parfaitement compris, d’où leur soumission totale, très surprenante si l’on ne prend pas cet aspect en compte.

    Alger le 16 mai 1958

    Lors du coup d’État en Corse, le député Pascal Arrighi se vit suspendre son mandat par 393 voix contre 198 et lever son immunité parlementaire par l’Assemblée par 423 voix contre 112. Le soutien au gouvernement était donc écrasant.

    Le président du conseil Pierre Pfimlin affirma également à la radio le 24 mai :

    « J’ai le devoir d’alerter les Français attachés aux libertés que garantissent les lois de la République. Des factieux essaient de nous entraîner sur la pente qui conduit à la guerre civile.

    Pour conjurer ce péril, il n’est qu’un moyen : c’est de vous rassembler autour du gouvernement qui défendra contre tous les extrémismes, contre tous les adversaires de la liberté, quels qu’ils soient, l’ordre public, la paix civile et l’unité de la Nation et de la République. »

    Mais le 26 mai, au domicile du conservateur du domaine de Saint-Cloud en banlieue parisienne, la rencontre Pierre Pfimlin – Charles de Gaulle se solda par un échec, le second refusant de désavouer le coup d’État en Algérie.

    Cela n’empêcha pas de Gaulle de publier le communiqué suivant dans la foulée :

    « J’ai entamé hier le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assumer l’unité et l’indépendance du pays. Je compte que ce processus va se poursuivre et que le pays fera voir, par son calme et sa dignité, qu’il souhaite le voir aboutir.

    Dans ces conditions, toute action, de quelque côté qu’elle vienne, qui met en cause l’ordre public, risque d’avoir de graves conséquences. Tout en faisant la part des circonstances, je ne saurais l’approuver.

    J’attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie qu’elles demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs: le général Salan, l’amiral Auboynau, le général Jouhaux. A ces chefs, j’exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux. »

    Avec l’Opération Résurrection le 28 mai, Pierre Pfimlin comprit alors que l’armée avait basculé et que la seule réponse éventuelle, c’était la guerre civile.

    Mais le même jour, la grande manifestation « en défense de la république », avec notamment François Mitterrand, Pierre Mendès France, Jacques Duclos et Édouard Daladier, ne rassembla que 500 000 personnes à Paris.

    Le soir même, le président René Coty appela de Gaulle à former un gouvernement. L’opinion publique fut passive, le mouvement ouvrier ne fit rien. Seule eut lieu une grève générale des enseignants le 30, à l’appel de la FEN, suivi à 80 %.

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  • Le coup d’État en Corse en 1958

    L’opération Corse se déroula le 24 mai 1958, soit le lendemain d’une réelle cimentation de l’alliance entre l’armée et les réseaux gaullistes. La veille, des Comités de salut public avaient été fondés à Ajaccio et Bastia.

    Dans ces deux villes, le 24, les 800 « paras » du premier bataillon du onzième choc occupèrent les principaux bâtiments administratifs, Calvi et Corte suivant rapidement. Seule la mairie de Bastia résista pendant quelques temps à l’occupation (avec le premier adjoint PCF au maire de Bastia chantant symboliquement la Marseillaise), aux côtés de la mairie et de la sous-préfecture de Sartène.

    Le chef des « paras » était le Corse Ignace Mantei, alors que le député corse Pascal Arrighi joua ici un rôle moteur pour les appuyer, permettant un appui populaire à l’initiative qui surprit beaucoup alors.

    Dès le 21 mai, il lançait sur Radio-Alger l’appel suivant :

    « Il y a quinze ans, la Corse, premier département français libéré, se plaçait sous l’autorité du général de Gaulle. Les Corses se doivent de continuer cette tradition et d’être à la pointe du combat. Constituez, partout, des comités de salut public. »

    Le chef du gouvernement légal, Pierre Pflimlin, affirma ainsi à la radio RTF que si « l’insubordination des Algériens était compréhensible », inversement « la rébellion des Corses est inexcusable ». La Corse connut dans la foulée un blocus maritime et aérien.

    Mais c’est qu’à côté de Pascal Arrighi, on trouvait Henri Maillot, simple conseiller municipal d’Ajaccio, mais surtout cousin de de Gaulle et figure de la libération de la Corse pendant la seconde guerre mondiale.

    C’est lui qui, au nom du Comité de salut public d’Ajaccio et accompagné de l’ancien député Antoine Serafini, affirma le 26 mai 1958, à l’occasion d’un dépôt d’une gerbe aux Monuments aux Morts, que :

    «Nous voulons que la France grandisse au lieu de diminuer, et nous aussi, Corses, avons peur d’être un jour abandonnés. C’est pourquoi, nous avons été les premiers à nous rallier à un mouvement national. »

    La prise du pouvoir en Corse s’appuya ainsi indéniablement sur une dimension gaulliste ; c’est d’ailleurs de Gaulle qui poussa à cette initiative, de peur de voir le coup d’État s’enliser. François Mitterrand, dans Le coup d’État permanent publié en 1964, raconte de la manière suivante cet épisode :

    « Le ministre Pflimlin branle mais ne part pas. L’Assemblée nationale fléchit mais cherche à échapper à l’étreinte. Ici on envisage la formation d’un cabinet Naegelen, Mollet ou Lacoste.

    Là on met au point une réforme constitutionnelle. Bref, on biaise.

    Mais si l’on tergiverse à Paris on tergiverse aussi à Alger. Les dirigeants de Paris craignent de n’être pas obéis. Les militaires d’Alger craignent le conseil de guerre.

    Le général de Gaulle qui a déjà relancé la rébellion par son intervention du 15 mai comprend qu’il faut créer l’irréparable, trancher le nœud gordien.

    Ah! la pure légitimité qui se flattait vingt ans plus tôt d’avoir pour compagnons l’honneur et la patrie! La voici maintenant qui recrute ses spadassins. La rébellion ne suffit pas? La sécession complétera l’escorte.

    Un commando arrache la Corse au territoire métropolitain. Ce sont des gaullistes qui atterrissent à Ajaccio. Ce sont des gaullistes qui les reçoivent et leur prêtent main-forte. Ce sont des gaullistes qui d’Alger arrivent à la rescousse. »

    Naturellement, l’histoire bourgeoise n’a jamais fait l’effort d’analyser « l’Opération Corse », ses tenants et aboutissants. Il aurait alors fallu en effet alors montrer comment les réseaux gaullistes étaient mêlés aux milieux mafieux, notamment corses, dès 1945, une chose très connue par ailleurs pour la période suivant 1958, avec notamment le « Service d’Action Civique » où l’on retrouve une figure comme le Corse Charles Pasqua.

    Une figure d’importance fut ici également l’activiste d’extrême-droite Jean Baptiste Biaggi, maurassien héros de la Résistance ayant fondé le Réseau Orion faisant évader des Français vers l’Espagne.

    On avait également l’anticommuniste Jean-Jacques Susini, qui jouera par la suite un rôle majeur avec l’OAS ; c’était un habitant de l’Algérie française, le quart des deux millions d’Européens étant d’ailleurs d’origine corse.

    Dès le lendemain du coup d’État militaire du 13 mai 1958 en Algérie, on eut également un appel du général Massu, chef du Comité de salut public d’Alger, spécifiquement destiné aux familles des « paras », qui fut diffusé à Ajaccio par un groupe de jeunes activistes regroupés autour de Ambroise Fieschi et Marien Spinosi.

    Jules Moch, ministre de l’Intérieur, envoya un télégramme aux préfets où la situation était présentée ainsi :

    « Une poignée de factieux vient d’annuler en Corse un siècle d’efforts démocratiques. Il s’agit d’une sédition criminelle menée par une poignée de militaires et de civils dont le geste rappelle les pronunciamientos sud-américains. »

    Sa tentative d’envoyer des CRS pour écraser la révolte fut bloquée dès l’arrivée des troupes par avion en Corse, par l’armée. La Corse était passée dans les mains des gaullistes, en liaison avec l’Algérie française aux mains de l’alliance armée – de Gaulle.

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  • 1958 : l’alliance armée-de Gaulle autour du «roc»

    La convergence de la faction de l’armée et de la faction de de Gaulle avait été cimentée en amont, dans un processus secret passant par des intermédiaires. Cela aboutit à un programme commun.

    D’un côté, de Gaulle appela à la résurrection de l’esprit national, ce qui satisfaisait l’armée désireuse d’une ligne expansionniste de la France. De l’autre côté, il exigea la mise en place d’un régime fort, ce qui était sa position depuis 1940 et en avait fait la grande figure de la bourgeoisie la plus agressive.

    Il y avait concrètement convergence de la faction de l’armée autonome en raison de l’Algérie française et de la faction de la bourgeoisie impérialiste.

    Voici comment, le 19 mai 1958, lors d’une conférence de presse, de Gaulle exposa le contenu idéologique de cette démarche :

    « Ce qui se passait en Afrique du Nord, depuis quatre ans, était une très lourde épreuve, ce qui se passe en ce moment, en Algérie, par rapport à la métropole et dans la métropole par rapport à l’Algérie, peut conduire à une crise nationale extrêmement grave.

    Mais aussi, ce peut être le début d’une espèce de résurrection.

    Voilà pourquoi le moment m’a semblé veu où il pourrait m’être possible d’être utile, encore une fois, directement, à la France (…).

    C’est un fait que le régime exclusif des partis n’a pas résolu, ne résout pas, ne résoudra pas, les énormes problèmes avec lesquels nous sommes confrontés. Notamment, celui de l’association de la France avec les peuples d’Afrique. Celui aussi de la vie en commun des diverses communautés vivant en Algérie.

    Et même celui de la concorde à l’intérieur de chacune de ces communautés. Le fait est là, je répète que tout le monde doit en prendre acte. Les combats qui se livrent, en Algérie, et la fièvre qui bouillonne ne sont que les conséquences de cette carence.

    Et si les choses continuent, de la façon dont elles sont engagées, nous savons tous parfaitement bien que le régime tel qu’il est ne pourra pas y trouver d’aboutissement (…).

    [Journaliste 1 : Vous aviez dit que vous vous teniez prêt à assumer les pouvoirs de la République. Qu’entendez-vous au juste par là ?]

    Je vais vous répondre au mieux. Les pouvoirs de la République, quand on les assume, ce ne peut-être que ceux qu’elle-même vous aura délégués. Voilà pour les termes qui me paraissent parfaitement clairs.

    Et puis alors maintenant, il y a l’homme qui les a prononcés. La République, il fut un temps où elle était reniée, trahie, par les partis eux-mêmes, et moi, j’ai redressé ses armes, ses lois, son nom !

    [Journaliste 4 : Certains craignent que, si vous reveniez au pouvoir, vous attentiez aux libertés publiques.]

    Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ?

    Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? »

    La question était de savoir dans quelle mesure de tels propos allaient suffire à satisfaire l’armée.

    Le général Salan à Alger le 16 mai 1958

    Le lendemain de la conférence de presse, le 20 mai, le général Salan donna une réponse, à Alger :

    « Au cours de ces journées, de ce Forum devenu le haut lieu de la résistance à l’abandon, a jailli une intense clameur vers Paris.

    Dans un élan unanime de ferveur patriotique vous avez crié votre volonté farouche de construire une Algérie française nouvelle et fraternelle marquée par la vie en commun des diverses communautés.

    Hier soir, de Paris, du coeur même de l’Île-de-France, une voix sereine s’est fait entendre : le général de Gaulle s’est écrié : « C’est peut-être le début d’une espèce de résurrection, il faut en prendre acte. Hâtez-vous, les choses et les esprits vont vite. »

    Ainsi, hier à Paris, celui qui en d’autres heures cruciales pour la patrie a su montrer la voie du Salut, a affirmé publiquement avec force avec force, sans ambiguïté, qu’il comprenait vos angoisses et vos élans.

    Avec Alger, Oran, Constantine, avec les habitants des cités et des douars, avec ceux des plaines et des plateaux, avec les montagnards des djebels les plus reculés, les nomades du Sahara, tous se rassemblent pour affirmer leur fierté et leur volonté d’être Français et pour dire certitude de notre victoire.

    De toute l’Algérie française jaillit un immense cri de patriotisme et de foi. Dix millions de Français décidés à rester Français, à rester bien Français, indissolublement liés à l’Armée et à la République vous disent, mon Général, que vos paroles ont fait naître dans leur cœur une immense espérance de grandeur et d’unité nationale. »

    On reconnaît ici les termes du contrat entre de Gaulle et l’armée. Du moment que de Gaulle maintient l’Algérie et en fait bien une « base » en tant que telle, il aura le soutien de l’armée. Il va de soi que l’armée considérait qu’elle aurait l’hégémonie dans cette affirmation politique ; le 22 mai 1958, le général Salan dit même à Alger :

    « Indissolublement unis, nous remonterons les Champs-Élysées et on nous couvrira de fleurs ».

    C’est que l’armée pensait avoir forcément le dessus, car elle disposait d’un « roc » : l’Algérie française qui est entièrement sous son contrôle.

    Alger, le 24 mai 1958

    Voici comment la chose était présentée dans l’éditorial dans l’Écho d’Alger du 22 mai 1958 d’Alain de Sérigny :

    « Le Roc !

    Qu’on ne se fasse donc pas d’illusions à l’hôtel Matignon, au Palais-Bourbon, ou ailleurs. Les dix millions de Français de la grande communauté algérienne restaurée forment avec l’Armée française UN ROC.

    Il ne sera délité ni par les tentatives de division, ni par les manœuvres de chantage : nos Comités de Salut public sont vigilants.

    L’Algérie n’acceptera qu’un gouvernement de Salut public, et présidé par l’Homme qui incarne la grandeur française : le général de Gaulle. »

    L’auteur de ces lignes sur de Gaulle incarnant la grandeur française avait durant la seconde guerre mondiale été décoré de la Francisque par Pétain ; c’est ici en fait une convergence des intérêts réactionnaires.

    L’armée avait scellé une alliance avec les réseaux gaullistes et le Comité de salut public pouvait désormais lui-même utiliser la figure de de Gaulle une fois le processus ouvertement lancé.

    Le 23 mai 1958, les ressorts idéologiques et stratégiques de l’alliance étaient clairs :

    « Le comité de salut public de l’Algérie et du Sahara à tous les Français :

    Citoyens français de la Métropole, de l’Union Française et du monde entier, le mouvement de Salut Public déclenché à Alger par la volonté populaire le 13 mai 1958, a réalisé en trois jours, ce qu’aucun Gouvernement n’avait pu obtenir en trois ans.

    Sachez que désormais, les 10 000 000 de Français qui peuplent l’Algérie et le Sahara, ont réalisé leur union totale.

    Sachez qu’ils ont fait le serment de conserver cette province française, indissolublement liée à la Mère Patrie, pour garder intact le patrimoine national.

    Sachez qu’ils sont fermement résolus à mettre en place un Gouvernement de Salut Public présidé par le général de Gaulle pour promouvoir et défendre la réforme profonde des institutions de la République.

    Français et Françaises, ces 10 000 000 de citoyens vous appellent solennellement et vous demandent dans un véritable sursaut national de mobiliser toutes vos énergies pour que soit réalisé ce noble idéal.

    Dans ce but, le mouvement doit s’étendre et se concrétiser dans l’immédiat par la création de comités de salut public, malgré toutes les manœuvres et les menaces dont vous êtes l’objet de la part du Gouvernement du système.

    Tous unis, au sein de ces Comités, vous obtiendrez, par votre détermination, un Gouvernement de Salut Public présidé par le général de Gaulle, seul capable de restaurer la grandeur et l’indépendance de la Patrie. »

    Cette « restauration » était toutefois bloquée, car le régime refusait de céder. Ce furent alors les gaullistes qui prirent l’initiative, en Corse.

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  • Les réseaux gaullistes et le capitalisme financier en 1958

    De Gaulle ne représentait ni le capitalisme bureaucratique en Algérie, ni les grands propriétaires terriens maintenant une situation semi-féodale. Il représentait le capitalisme financier.

    Lors de la défaite de 1940, la bourgeoisie française a accepté la collaboration, suivant le mot d’ordre « plutôt Hitler que le Front populaire ». Elle passa alors sous la coup de la bourgeoisie industrielle.

    Cependant, pour une petite fraction de la bourgeoisie, la capitulation était impossible, car aboutissant nécessairement à l’effacement des banques du pays et à l’effondrement à moyen terme de l’empire français, et donc d’une perspective d’exportation des capitaux.

    La fraction la plus agressive de la bourgeoisie française, la plus réactionnaire, la haute finance avec des ramifications industrielles, s’opposa ainsi à l’Allemagne, autour du général de Gaulle. Les courants réactionnaires opportunistes formèrent quant à eux le bloc autour du maréchal Pétain, bloc représentant une bourgeoisie industrielle avec des ramifications financières cherchant à se placer dans le « nouvel ordre européen » des nazis, bloc allié à la réaction dans les campagnes.

    De Gaulle ne s’opposa pour cette raison pas qu’à l’Allemagne nazie, il rentra également en conflit avec les impérialismes américain et britannique. Dans ses mémoires, Alain Peyrefitte raconte de la manière suivante comment de Gaulle justifia son refus en 1964 de participer à la commémoration du débarquement des forces alliées :

    « Eh bien, non ! Ma décision est prise ! La France a été traitée comme un paillasson ! Churchill m’a convoqué d’Alger à Londres, le 4 juin, il m’a fait venir dans un train où il avait établi son quartier général, comme un châtelain sonne son maître d’hôtel. Et il m’a annoncé le débarquement, sans qu’aucune unité française ait été prévue pour y participer. Nous nous sommes affrontés rudement.

    Je lui ai reproché de se mettre aux ordres de Roosevelt, au lieu de lui imposer une volonté européenne.

    Il m’a crié de toute la force de ses poumons : « De Gaulle, dites-vous bien que quand j’aurai à choisir entre vous et Roosevelt, je préférerai toujours Roosevelt ! Quand nous aurons à choisir entre les Français et les Américains, nous préférerons toujours les Américains ! Quand nous aurons à choisir entre le continent et le grand large, nous choisirons toujours le grand large ! »

    Le débarquement du 6 juin, ç’a été l’affaire des Anglo-Saxons, d’où la France a été exclue. Ils étaient bien décidés à s’installer en France comme en territoire ennemi ! Comme ils venaient de le faire en Italie et comme ils s’apprêtaient à le faire en Allemagne !

    Ils avaient préparé leur AMGOT qui devait gouverner souverainement la France à mesure de l’avance de leurs armées. Ils avaient imprimé leur fausse monnaie, qui aurait eu cours forcé. Ils se seraient conduits en pays conquis.

    C’est exactement ce qui se serait passé si je n’avais pas imposé, oui imposé, mes commissaires de la République, mes préfets, mes sous-préfets, mes comités de libération !

    Et vous voudriez que j’aille commémorer leur débarquement, alors qu’il était le prélude à une seconde occupation du pays ? Non, non, ne comptez pas sur moi ! Je veux bien que les choses se passent gracieusement, mais ma place n’est pas là ! »

    De Gaulle, pour cette raison, dut batailler contre le général Henri Giraud, commandant de l’armée d’Afrique à partir de 1942 et homme des Américains. Il s’opposa à la présence des troupes américaines en France après 1945, à l’intégration de la France dans l’OTAN. Il fut toutefois rapidement balayé, perdant dès 1946 sa place de dirigeant.

    Son parti fondé en 1947, le Rassemblement du peuple français, parvint à rassembler un demi-million de personnes et à se placer numériquement juste derrière le Parti Communiste Français, mais échoua toutefois à se présenter comme un mouvement « au-dessus » des partis. Il fut rapidement marginalisé et de Gaulle l’abandonna dès 1953, quittant la vie publique.

    Les réseaux gaullistes restèrent toutefois en action. Il étaient de deux types.

    Il y avait déjà le service d’ordre du Rassemblement du peuple français, adepte du coup de force contre les communistes. On est ici dans une démarche paramilitaire, voire militaire, mais avec une conception du même type que les services secrets, suivant le principe du « coup de main ».

    Les soutiens financiers venaient de monopoles, tels Rhône-Poulenc, Esso-Standard, le Crédit Lyonnais, Simca, Dassault, etc. Marseille était le bastion du mouvement, en liaison avec la pègre.

    Il y avait ensuite les réseaux au sens strict, à travers des hommes comme Jacques Foccart – aux Antilles et en Guyane au départ, mais qui sera après 1958 « monsieur Françafrique » – qui tissaient des liens, formaient des structures partisanes, mais fonctionnant à l’arrière-plan seulement, avec des couvertures.

    Jacques Foccart

    Jacques Foccart mit notamment en placela SAFIEX (Société anonyme française d’importation et d’exportation), permettent le financement et la couverture de ce qu’on doit considérer comme des agents des réseaux gaullistes. La quête d’influence visait principalement les services secrets, mais également l’armée.

    On avait également le réseau formé par Claude Dumont et Jacques Soustelle, qui avaient constitué en mars 1956 l’Union pour le salut et renouveau de l’Algérie française.

    Le mouvement, qui poussait à en appeler à de Gaulle, devint en 1958 l’Union pour le Renouveau Français et rejoignit immédiatement le Comité de Coordination des Mouvements Gaullistes.

    Voici les propos, à Alger le 17 mai 1958, de Jacques Soustelle, qui fut notamment ministre des Colonies en 1945-1946 sous de Gaulle et Gouverneur général de l’Algérie en 1955-1956 :

    «  Algériennes, Algériens, mes Amis.

    Me voici parmi vous, je veux d’abord rendre hommage à notre magnifique Armée d’Algérie, hommage à ses chefs, au général Salan qui a su maintenir l’unité, au général Massu et à tous les autres chefs de cette armée les mêmes à qui j’avais promis, quand je vous ai quittés le 2 février 1956 de consacrer toutes mes forces au salut de l’Algérie.

    C’est ce que je me suis efforcé de faire durant deux ans et quatre mois.
    Mais depuis quelque temps, j’étais soumis à une incessante surveillance et ne pouvais plus accomplir mon devoir.

    C’est pourquoi j’ai décidé de choisir tout à la fois la liberté et la Patrie et que, maintenant, je viens me mettre à la disposition de l’Algérie Française qui vient de donner un exemple si émouvant d’attachement à la Mère Patrie et cela surtout par la voix de nos frères Musulmans qui furent des tout premiers.

    Nous nous efforcerons de la servir pour refaire l’unité nationale des deux côtés de la Méditerranée.

    Vive la République,
    Vive l’Algérie Française,
    Vive la France,
    Vive de Gaulle. »

    Ce fut également le gaulliste Lucien Neuwirth qui devint porte-parole du Comité de salut public et directeur de la radiodiffusion-télévision française en Algérie (Radio Alger) après le coup d’État du 13 mai 1958.

    A cela s’ajoutait la mouvance des députés gaullistes, regroupés en « Union des républicains d’action sociale » en 1955-1956 et en « Républicains sociaux » de 1956 à 1958. Ici encore c’était plus un réseau qu’un mouvement, avec beaucoup de nuances et de divisions, faisant que les députés gaullistes passèrent d’ailleurs de 120 en 1951 à une vingtaine en 1956.

    Enfin, il faut prendre en compte la participation gaulliste au Comité d’Action des Associations Nationales d’Anciens Combattants. Le 13 mai 1958, jour du coup d’État, il y eut une petite manifestation de leur part à Paris, qui fut aisément brisée par la police, avec quelques légers incidents aboutissant toutefois, dans la foulée, à l’interdiction le 15 mai de différents petits mouvements d’extrême-droite.

    C’était bien léger, et cependant, tout cela fit suffisamment puissant pour former une faction au sein de l’État et de la société française. Le 19 mai, une rassemblement de 20 000 personnes pro-de Gaulle se tint notamment place de l’Étoile à Paris, partant vers l’assemblée nationale, enfonçant les grilles de l’Élysée, avec des commandos à motos attaquant les ministères.

    Et surtout, il y eut l’opération de prise de contrôle de la Corse, opération qui scella le coup d’État militaire n’ayant pas triomphé jusque-là.

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  • Le capitalisme bureaucratique et la dimension semi-féodale en Algérie française

    De Gaulle crut possible, au départ, la vaste modernisation de l’Algérie. Cette modernisation était un défi rendu inéluctable de par l’explosion démographique de la population colonisée, qui passa, de 1911 à 1954, de 5 492 000 personnes à 9 530 000. La population européenne comptait elle 984 000 personnes, soit 11 % de la population, vivant à 82% dans les villes, soit une proportion exactement inverse à celle des masses arabes et kabyles.

    Dès le départ, de Gaulle se plaça sur ce terrain. Son choix par l’armée, c’était celui de la dimension impériale de la France. De Gaulle a comme rôle de rétablir la grandeur française par en haut.

    Lors de son passage à Constantine, le 3 octobre 1958, il explique ainsi ce qui sera le cœur du « plan de Constantine » :

    « On ne fait rien de grand sans un grand mouvement dans les âmes et dans les esprits. Ce mouvement, l’Algérie l’a suscité (…).

    Ce mouvement, d’où est-il venu? Il est venu de l’âme de la France. Ce mouvement, qui peut le faire, l’organiser, qui fait qu’il soit venu sinon la France?

    Le gouvernement de la République a donc le devoir d’en prendre acte et d’accomplir, à partir de là, ce qui doit être fait en Algérie et ailleurs.

    Je déclare qu’il s’agit, ici, de faire en sorte qu’entre nos communautés, nos catégories, il n’y ait plus aucune barrière.

    Qu’il n’y ait plus ici pour aucune communauté, pour aucune catégorie, aucun privilège, que les dix millions de Français qui vivent en Algérie aient absolument les mêmes droits et les mêmes devoirs.

    Pour commencer, et je le précise, il s’agit que dans les trois mois les dix millions de Français qui vivent en Algérie participent avec la France toute entière à l’immense référendum où la France va décider de son destin. »

    Il exprima le même point de vue à Oran :

    « Il faut que toutes les barrières, tous les privilèges qui existent en Algérie entre les communautés ou dans les communautés disparaissent. Il faut qu’il n’y ait en Algérie rien autre chose — mais c’est beaucoup! — que dix millions de Françaises et de Français avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.

    Il s’agit notamment que, dans l’occasion immense qui va être offerte dans trois mois à la totalité des Français, l’Algérie toute entière, avec ses dix millions d’habitants, participe de tout son cœur, comme les autres, exactement au même titre, avec la volonté de démontrer par là quelle est organiquement une terre française, aujourd’hui et pour toujours! »

    Cette intégration par en-haut de l’Algérie fut théorisée dans le « plan de Constantine », dont la dénomination officielle était la suivante : « Plan de développement économique et social en Algérie ».

    Ses ambitions étaient démesurées : le « plan de Constantine » se voulait un plan quinquennal pour la période 1958-1963, avec un développement à un rythme soutenu.

    À partir de 1959, l’Algérie dépendit d’une « délégation générale du Gouvernement », avec :

    – une direction du Plan et des Études économiques ;

    – un Conseil supérieur du Plan ;

    – une caisse d’équipement et de développement en Algérie.

    Le chef de la délégation générale du Gouvernement était l’inspecteur des finances Paul Delouvrier, grand artisan de la « planification » gaulliste, son adjoint étant le polytechnicien Salah Bouakouir.

    Cela se situait dans le prolongement du rapport remis au gouvernement en 1955 par Roland Maspetiol, ainsi que de la rédaction en septembre 1958 d’un document intitulé Les Perspectives décennales du développement économique de l’Algérie, réalisé par des hauts fonctionnaires et des dirigeants de grandes entreprises.

    Ce document fut même en fait la base du discours de de Gaulle à Constantine le 3 septembre 1958.

    Le revenu algérien était censé passer de 685 milliards de francs en 1956 à 1 600 milliards en 1966, principalement grâce au développement des mines, du pétrole, du secteur de l’énergie. Il y avait 300 000 travailleurs dans le secteur industriel, le chiffre était censé doubler.

    La consommation privée était censée doubler entre 1954 et 1966, la consommation publique être multipliée par 3,5, les investissements bruts augmentés de 430 %, l’épargne privée multipliée pratiquement par 3.

    Le problème fondamental, c’est que le capitalisme français ne pouvait nullement porter un tel développement à lui tout seul et que la base capitaliste algérienne était inexistante, de par la dimension semi-féodale, voire littéralement coloniale d’une agriculture qui en 1954 représentait le tiers de l’économie.

    Population dans l’agriculture 2 660 000 musulmans
    (87,8 % de la population active)
    33 000 Européens
    (14,4 % de la population active)
    Terres Appartenant aux musulmans : Appartenant aux Européens :
    Cultures pauvres (hectares)

    Terres en repos et en jachère 2 038 880 777 290
    Céréales 2 417 060 830 880
    Arbres fruitiers sauf agrumes 146 220 35 200
    Légumes secs 63 000 22 150
    Cultures riches (hectares)

    Vignobles 44 040 333 640
    Prairies, cultures fourragères 31 750 62 200
    Cultures maraîchères 26 490 27 310

    Il y a ici une contradiction fondamentale entre le capitalisme bureaucratique se développant en Algérie par la population européenne et cherchant à moderniser de manière capitaliste par en haut, et une agriculture semi-féodale, quasiment coloniale dans sa domination et en tout cas dans son identité, s’appuyant sur un réseau de quelques familles.

    La population arabe et kabyle était pratiquement entièrement paysanne ; pour une écrasante majorité, le niveau de vie était misérable et tous les salaires passaient dans la consommation alimentaire. Cette majorité de la population arabo-kabyle réfutait d’ailleurs la démocratie en général et s’ancrait résolument dans le droit musulman, bloquant tout accession à une réelle citoyenneté et les droits allant avec.

    Une toute petite minorité s’occidentalisa toutefois et forma une petite-bourgeoisie qui allait être le fer de lance soit d’une participation entière à la France, soit d’un nationalisme romantique donnant naissance au FLN.

    A cette minorité s’opposaient les représentants traditionnels des communautés, les chefs locaux appelés caïds, bachagas, aghas, etc. qui basculaient quant à eux le plus souvent dans le camp colonial maniant la corruption afin de maintenir une dimension semi-féodale.

    =>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

  • La question de l’intégration de la population «musulmane»

    L’Algérie, en 1958, n’était pas une nation, de par l’absence de capitalisme se développant, mais un mélange de peuples allant à l’établissement d’une nation en émergence, dans un parcours totalement déstructuré par l’irruption du capitalisme français.

    Le pays, en 1958, est ainsi semi-féodal semi-colonial, aux mains d’une toute petite poignée de propriétaires fonciers pour la dimension agraire et avec une grande poche d’immigration française vivant parallèlement à la métropole.

    Cette poche d’immigration était le support d’un capitalisme bureaucratique ayant une totale main-mise sur le pays, et se combinant historiquement à l’armée. L’administration française en Algérie avait une forme bureaucratique, au service d’un capitalisme par en haut profitant d’une population française petite-bourgeoise principalement.

    Le FLN algérien était quant à lui le produit de couches arabes petites-bourgeoises largement marquées par la culture universitaire française, cherchant à forcer, dans une optique tiers-mondiste, la formation d’une nation par en-haut. Le programme du FLN était de type islamo-romantique, pour autant qu’on puisse dire qu’il avait réellement un programme. L’Algérie devait payer un prix tragique à partir de 1962 et la prise du pouvoir par les aventuriers réactionnaires du FLN.

    Le colonialisme français avait cependant très peur d’un mouvement agraire capable de faire vaciller la domination semi-féodale, et donc l’ensemble de la domination coloniale.

    Femme algérienne portant un haik,
    une longue étoffe de six mètres sur deux mètres

    Le FLN n’a jamais, à aucun moment, représenté une réelle menace militaire, mais l’agitation qu’il produisait troublait la quiétude, rappelant le risque de l’apparition d’un mouvement de masse.

    Pour cette raison, le colonialisme a cherché à se présenter comme le pôle de la modernisation, car cela répondait aux exigences du capitalisme bureaucratique (mais pas des grands propriétaires terriens). Pour voir son rôle agrandi, l’Algérie devait disposer d’une base plus grande, plus forte. Cela signifiait rêver d’un empire, quitte à ce qu’il soit dans une combinaison « musulmans » d’Algérie – Français.

    Le 17 mai 1958, à Constantine, le Cheik Abdelali Lakhdari, un imam opérant à la mosquée Sidi El Kittani, lança l’appel suivant lors d’un rassemblement :

    « Sache bien, ô femme, que le moment est venu pour toi de jouer ton rôle dans l’histoire de l’Algérie nouvelle française. En dépit de ceux qui contestent la place qui te revient, brise tes chaînes avec un marteau de fer. »

    Dans la foulée, une jeune femme musulmane de 17 ans arracha son voile et son haïk lui recouvrant le corps, déclarant :

    « Ne perdons pas, mes sœurs, l’unique occasion de notre émancipation. »

    La foule fut interloquée avant d’applaudir.

    Affiche d’une campagne institutionnelle
    en Algérie française

    Lorsqu’il arriva le 19 mai à Alger, Jacques Soustelle, l’homme des réseaux de de Gaulle, tint un discours « modernisateur » suivant précisément cette orientation :

    « Jamais peut-être dans l’histoire de l’Algérie, on n’avait vu un tel rassemblement où se trouvent fraternellement unis Européens et Musulmans.

    Si demain – inch’Allah! – ceux qui écrivent l’histoire racontent ces journées, ils diront que pour la première fois il y eu en Algérie un rassemblement de femmes musulmanes, nos sœurs, qui viennent attester par leur présence que toutes les barrières sont abaissées et qu’il n’y a plus rien qui sépare ceux qui y habitent, qu’il n’y a plus ici que dix millions de Français.

    Mes amis, on peut dire qu’il n’y a plus ici que les fils et filles d’une même mère, ne portant pas le même prénom, mais ayant tous le même nom : notre patrie commune.

    Mes amis, l’avons-nous assez attendu ce jour ! »

    C’est que de même que le FLN était porté par une petite-bourgeoisie arabe intellectuelle totalement idéaliste dans son romantisme islamisant, l’État français intégrait une petite fraction de la population arabe et kabyle, faisant miroiter une installation dans le capitalisme bureaucratique.

    Nombreuses furent donc les figures politiques arabes ou kabyles aux côtés des « Européens », happées par la « modernisation ». On a ainsi Ali Mallem, qui tint les propos suivants lors de son discours à Alger le 20 mai 1958 :

    « Pour donner au mouvement de rénovation du 13 mai toute sa portée, il faut profiter de l’élan qu’il a soulevé en rayant des siècles de préjugés et de coutumes qui écartent de la vie moderne les populations musulmanes.

    II importe de ne pas entrer à reculons dans l’avenir et de rompre un mode de vie calqué sur une législation figée et anachronique.

    Car les excès du statut personnel et ses contradictions ne relèvent nullement de la religion, mais simplement de la coutume. Pour que les Musulmans soient des Français à part entière, il faut abolir le statut personnel dont les dispositions concernant notamment le mariage, le divorce et le droit successoral, ne correspondent pas aux réalités de la vie moderne.

    Si nos adversaires mettent en doute notre bonne foi et notre volonté de rénovation, nous leur rappellerons simplement que Bourguiba lui-même s’est attaqué au statut personnel et que le roi du Maroc, Mohammed V, a commencé à le faire dans sa propre famille. Des sanctions pénales frappent en Tunisie les individus coupables de polygamie. Nous sommes persuadés que cette réforme sera très généralement accueillie en Algérie avec sympathie.

    Le général de Gaulle avait esquissé cette politique dans l’ordonnance du 7 mars 1944, sabotée par les partis et le système. Ce sabotage a ouvert la porte à l’aventure, au voyage au bout de la nuit. Pour nous, de Gaulle introduit une inestimable valeur morale dans le débat. Nous attendons de lui la mise en application immédiate d’une politique à la mesure de son génie et de ses sentiments nationaux. »

    Ali Mallem devint vice-président du Comité de salut public Algérie-Sahara et l’une des principales figures du parti politique que fondera de Gaulle. Voici justement la motion numéro 17 du Comité de salut public Algérie-Sahara, appelant à la modernisation capitaliste bureaucratique de l’Algérie :

    « Le Comité de Salut Public de l’Algérie et du Sahara, soucieux d’assurer dans les délais les plus rapides l’exécution des principes d’égalité aujourd’hui plébiscités par l’ensemble de la population ;

    Insiste d’une façon pressante pour que soit accélérée la mise en œuvre des plans en cours relatifs à la scolarisation totale, à la formation et l’emploi de la jeunesse, au développement économique autorisant le plein emploi, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble de la population ;

    Propose d’accorder la priorité aux problèmes concernant la jeunesse par l’application du plan de plein emploi déjà étudié en conduisant :

    – à l’ouverture des centres urbains et des foyers de jeunes,

    – au développement des classes spéciales dans les centres sociaux ainsi que des sections de préformation professionnelle,

    – à l’ouverture aux jeunes de monde du travail,

    – à l’accès des jeunes d’Algérie à la formation professionnelle et à leur placement dans la métropole;

    Invite l’administration à prendre toute disposition propre à assurer l’exécution rapide et impératifs. »

    Alger, le 29 mai 1958

    Saïd Boualam, qui sera élu quatre fois vice-président de l’Assemblée nationale de 1958 à 1962, racontera en 1963 dans Mon pays la France :

    « Comme il était beau ce 13 mai [1958] de la fraternité et comment n’avez-vous pas senti, Français de France, ce miracle qui liait à tout jamais la France et l’Algérie en un seul espoir, celui d’en finir avec une poignée de tueurs qui n’ont jamais représenté le peuple algérien (…).

    Si vous aviez vu le visage de ces jeunes Musulmans, de ces femmes qui déchiraient leur voile, de ces anciens combattants qui brandissaient leurs décorations, vous auriez compris que ce jour concrétisait la conquête que la France avait réalisée il y a cent trente ans, celle des cœurs. »

    Rater cet aspect, c’est ne pas comprendre pourquoi 42 500 « harkis » vinrent en France en 1962, ni pourquoi ce courant francophile fut si puissant culturellement, conservant même une certaine permanence.

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  • 1958 : le coup d’État militaire abat la carte de Gaulle

    On a le Comité de Salut Public d’Alger qui, de fait, prit le pouvoir en Algérie le 13 mai 1958, avec le général Massu comme président. C’est l’expression de l’armée, s’appuyant sur des figures civiles.

    On trouve notamment le lieutenant-colonel Roger Trinquier, un idéologue. Son ouvrage La Guerre moderne est un classique international des armées réactionnaires quant à la « contre-insurrection » utilisant la guerre psychologique, les escadrons de la mort, etc.

    Le vice-président était Léon Delbecque, un gaulliste qui joua un rôle moteur pour que le général Salan se tourne vers de Gaulle. C’était déjà une tendance présente, mais il y avait besoin d’un support technique intérieur pour que le camp de l’armée décide ouvertement d’en appeler à de Gaulle.

    Le camp de l’armée et celui de de Gaulle se distinguaient en effet nettement. Une alliance objective se formait cependant, de par la convergence d’intérêts.

    Le lendemain du coup de force du 13 mai 1958, le général Massu fit une déclaration, la première du Comité de Salut Public, mentionnant très rapidement Jacques Soustelle, la pièce principale des réseaux gaullistes, et en appelant à de Gaulle.

    « Nous apprenons à la population d’Alger que le Gouvernement d’abandon de Pflimlin vient d’être investi par 273 voix contre 124 (ou 280 voix contre 126) par suite de la complicité des voix communistes.

    Nous exprimons notre reconnaissance à la population qui a veillé pour accueillir M. Jacques Soustelle à la suite de l’annonce qui avait été faite.

    M. Jacques Soustelle par deux fois a été empêché de venir nous rejoindre. Une troisième fois il a réussi à se mettre en sécurité et nous espérons qu’il sera des nôtres dans la journée.

    Le Comité supplie le général de Gaulle de vouloir bien rompre le silence en s’adressant au pays en vue de la formation d’un Gouvernement de Salut Public qui, seul, peut sauver l’Algérie de l’abandon et ce faisant d’un «Dien Bien Phu diplomatique» évoqué à maintes reprises par M. Robert Lacoste.

    En tout état de cause, le Comité de Salut Public qui vous représente, continue d’assurer la liaison entre la population et l’armée qui assume le pouvoir jusqu’à la victoire finale.

    En attendant M. Jacques Soustelle, le bureau du Comité de Salut Public est constitué par le général Massu, M. Delbecque, délégué par M. Soustelle, M. Madani et M. Lagaiîlarde.

    Nous décrétons dès maintenant la mobilisation de toutes les énergies françaises au service de la Patrie et vous demandons d’être prêts à répondre au premier appel lancé par le Comité de Salut Public.

    Nous sommes fiers de pouvoir prouver au monde que la population d’Alger a su faire la parfaite démonstration de la fraternité totale entre les populations françaises, européenne et musulmane, unies sous les plis du drapeau français. »

    Ce fut ici l’introduction de la carte de Gaulle dans le coup d’État militaire.

    Le Comité de Salut Public avait également reçu le communiqué suivant, tôt dans la matinée :

    « Fatigués des abandons successifs de nos gouvernants, nous, officiers, sous-officiers, soldats, groupes et populations civiles du Sahara, venons nous rallier au Comité de Salut public d’Alger. »

    De Gaulle rendit public un communiqué le même jour :

    « La dégradation de l’État entraîne infailliblement l’éloignement des peuples associés, le trouble de l’Armée au combat, la dislocation nationale, la perte de l’indépendance.

    Depuis douze ans, la France, aux prises avec des problèmes trop rudes pour le régime des partis, est engagée dans un processus désastreux.

    Naguère le pays dans ses profondeurs m’a fait confiance pour le conduire tout entier jusqu’à son salut.

    Aujourd’hui, devant les épreuves qui montent de nouveau vers lui, qu’il sache que je me tiens prêt à assumer les pouvoirs de la République. »

    Le 16 mai, au balcon du gouvernement général, le général Salan tint un discours où, finalement, lui-même en appela à de Gaulle. Il avait longuement hésité, mais finalement cédé aux encouragements des réseaux gaullistes.

    « Algérois, Algéroises, mes amis,

    Tout d’abord, sachez que je suis des vôtres puisque mon fils est enterré au cimetière du Clos Salembier. Je ne saurais jamais l’oublier puisqu’il est dans cette terre qui est la vôtre…

    Depuis dix-huit mois, je fais la guerre aux fellagha, je la continue et nous la gagnerons.

    Ce que vous venez de faire, en montrant à la France votre détermination de rester Français par tous les moyens, prouvera au monde entier que, toujours et partout, l’Algérie sauvera la France.

    Tous les Musulmans nous suivent. Avant hier à Biskra, 7000 musulmans sont allés porter des gerbes au Monument aux Morts pour honorer la mémoire de nos trois fusillés en territoire tunisien.

    Mes amis, l’action qui a été menée ici a ramené près de nous tous les Musulmans de ce pays. Maintenant, pour nous, le seul terme, avec tous ici, c’est la victoire avec cette armée que vous n’avez cessé de soutenir, que vous aimez et qui vous aime.

    Avec les généraux qui m’entourent, le général Jouhaud, le général Allard, le général Massu qui, ici, vous a préservé des fellagha, nous gagnerons parce que nous l’avons mérité et que là est la voie sacrée pour la grandeur de la France.

    Mes amis,
    je crie Vive la France,
    Vive l’Algérie Française,
    Vive de Gaulle. »

    La foule présente jubila après les nombreux discours, y compris de figures arabes, et elle se tint finalement par la main pour « former la grande chaîne de l’amitié ». Cet aspect, toujours oublié, est capital pour comprendre la prise du pouvoir par l’armée en Algérie et ses espoirs qu’on doit qualifier d’« impériaux ».

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  • La prise du pouvoir par l’armée en Algérie le 13 mai 1958

    Dès la connaissance de la nomination du démocrate-chrétien Pierre Pflimlin comme chef du gouvernement, l’armée prit l’initiative du coup d’État.

    Le point de départ de la prise du pouvoir eut comme prétexte, comme tout était en réalité préparé au préalable, la mort de trois appelés du contingent.

    Ces derniers avaient été enlevés par le FLN à la frontière avec la Tunisie, amenés dans ce dernier pays et exécutés le 25 avril. On retrouve, à l’arrière-plan, la question de l’intervention en Tunisie, ayant amené la chute du gouvernement suite à sa capitulation devant les pressions américano-britanniques.

    Le communiqué du 12 mai 1958 du Comité d’entente et d’action des Anciens combattants et cadres de réserves d’Algérie fut explicite :

    « Encore des martyrs. Trois soldats français – trois nouveaux Moureau – ont été lâchement assassinés par le F.L.N. avec la complicité sanguinaire de la Tunisie. Nous ressentons au fond de nos cœurs d’Anciens combattants et de Français, chaque crime, chaque coup de poignard et ne pourrons plus les tolérer longtemps. »

    L’armée appela à célébrer les morts :

    « L’armée rend un hommage solennel aux trois glorieuses victimes de la barbarie F.L.N., le sergent Richomme (Ile-de-France), le soldat Decourteix (Normandie) et le dragon Feuillebois (Auvergne), en leur conférant à titre posthume la médaille militaire et la croix de la valeur militaire avec palme.

    Anciens combattants, une fois encore, le devoir vous appelle.

    Vous conduirez dans toutes les villes, dans tous les villages d’Algérie, à 18 heures, au moment même où les honneurs leur seront rendus à Bône, toutes les populations qui tiendront à s’associer à ce pieux hommage à la mémoire de ces défenseurs de la civilisation. »

    Un appel à se retrouver devant le monument aux morts d’Alger fut lancé par plusieurs figures, dont :

    – Pierre Lagaillarde, un avocat qui est officier parachutiste de réserve et président de l’Association Générale des Étudiants d’Algérie ;

    – le général Salan ;

    – le général Edmond Jouhaud, adjoint du général Salan ;

    – l’amiral Philippe Auboyneau.

    A cela s’ajoutent des officiers supérieurs, avec l’appui du général Massu ; les commerçants étaient de la partie et baissèrent leurs rideaux. Mais dans les faits, le 13 mai, le simple rassemblement devint une prise d’assaut du gouvernement général ; un Comité de salut public fut mis en place, présidé par le général Massu, qui depuis le balcon du gouvernement général, lut un texte destiné au président René Coty :

    « Vous rendons compte création d’un Comité de Salut Public civil et militaire à Alger présidé par moi, général Massu.

    En raison de la gravité de la situation et devant nécessité absolue maintien de l’ordre, pour éviter toute effusion de sang, le Comité attend avec vigilance la création, à Paris, d’un Gouvernement de Salut Public.

    Seul un Gouvernement de Salut Public est capable de conserver l’Algérie comme partie intégrante de la Métropole. »

    Dès le matin, l’Union pour le Salut et le Renouveau de l’Algérie Française avait par ailleurs diffusé le tract suivant :

    « Si Pflimlin passe, l’Algérie sera perdue avant octobre.

    Il a écrit : « Fermeté et Générosité ». La fermeté n’est qu’un piège ; il s’est toujours opposé à Lacoste depuis deux ans ; il est le « tombeur » de Bidault. Les vingt-sept mois de service ne serviront de rien en raison du «Dien Bien Phu» diplomatique qui se prépare.

    En août 1958, quand vous serez tous en vacances, commencera «la Conférence du cessez-le-feu» (souvenez-vous de Genève, de La Celle-Saint-Cloud et d’Aix-les-Bains). Pflimlin aurait dé]à entamé les négociations avec Bourguiba (souvenez-vous de Mendès).

    Quand vous rentrerez en octobre, tout sera consommé. Si Pinay nous trahit, le Ministère passera, et IL NE RESTERA PLUS «français d’algérie», QU’A VOUS OPPOSER PAR TOUS LES MOYENS A SON INSTALLATION à alger. Le sursaut national doit partir d’ici, car Pflimlin est la dernière «cartouche» du «système» épuisé.

    VOUS EXIGEREZ ALORS DE COTY LA CONSTITUTION D’UN GOUVERNEMENT DE SALUT PUBLIC, qui, seul, peut gouverner au-dessus des partis ».

    Le soir, sur Radio-Algérie, le message suivant fut diffusé :

    « Le comité de Salut Public n’est pas un Gouvernement qui s’installe en Algérie. Il a simplement pour mission d’assurer l’ordre et d’attendre dans le calme que Paris prenne des décisions graves qui sont en cours, et il attendra jusqu’à ce que s’installe à Paris un Gouvernement de Salut Public, seul capable de conserver une Algérie comme faisant partie intégrante de la Métropole.

    Aussi, le premier acte du Comité de Salut Public a été d’adresser au Président de la République le télégramme dont le texte a déjà été communiqué.

    A l’heure actuelle, une grande partie de la population d’Alger continue à occuper le Gouvernement Général et ses alentours en attendant les nouvelles de Paris.

    Les nouvelles, nous les espérons satisfaisantes et nous avons déjà toutes raisons de croire que nous avons gagné la bataille de l’Algérie. Un fait est certain : c’est que, par notre action et par l’action des Français, l’Algérie est sauvée et elle le sera dans l’avenir. Elle fera partie de la France jusqu’à la victoire totale et définitive.»

    L’armée avait déjà le pouvoir en Algérie. Mais, en le prenant de manière ouverte, elle montrait au grand jour une ligne militariste déjà prise par la France, et forçait ainsi à ce que celle-ci soit ouvertement assumée.

    Dans l’imaginaire des militaires, ce n’était en quelque sorte qu’un acte de protestation symbolique, ne changeant rien dans les faits, mais exigeant que tout soit assumé de manière ouverte.

    Mais en réalité, cela exprimait une tendance propre à l’autonomisation de l’armée, une appropriation toujours plus grande des prérogatives d’État en général.

    C’est qu’il ne pouvait pas y avoir d’un côté l’État en métropole et de l’autre un Etat-armée en Algérie. L’opposition devait immanquablement ressortir.

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  • La contradiction entre les deux États en France dans les années 1950

    De fait, l’État en métropole a connu une évolution, notamment en raison de la seconde guerre mondiale, radicalement différente des structures étatiques, administratives, judiciaires et militaires, dans le reste de « l’empire ». Les forces militaires de l’empire ont en effet navigué entre collaboration et résistance, à l’image du maréchal Juin ou du général Salan, et surtout elles ont conservé les vieilles traditions coloniales, dans un esprit à rebours de ce qui prime en métropole.

    Avec les pleins pouvoirs donnés à l’armée en Algérie et avec l’expérience militaire indochinoise, il y a donc un esprit militaire et colonial particulièrement prégnant.

    Le général Paul Ély, qui a supervisé l’abandon militaire de l’Indochine – un traumatisme pour l’armée – considère que c’est la politique des « petits paquets » qui a abouti à l’échec et c’est lui le responsable, en tant que chef d’état-major général, de la présence directement massive en Algérie, avec 450 000 hommes, notamment au moyen de l’allongement de la durée du service de 18 à 27 mois.

    Ely : pleins pouvoirs en Indochine

    Cette militarisation s’accompagna, sous l’impulsion du général Paul Ély, de la mise en place de réunions au haut niveau des ministres et généraux dans un Comité de guerre en juillet 1957. C’est que le général Paul Ély était un légitimiste, exprimant le point de vue de la métropole. Mais tel n’est pas le point de vue de l’armée en Algérie, qui n’hésita pas à mener le 8 février 1958 une opération en Tunisie même.

    Des activistes armés du Front de Libération Nationale avaient mené une action et s’étaient repliés derrière la frontière, dans un village dénommé Sakiet Sidi Youssef. L’armée française prit alors une initiative directement militaire, bombardant le village, causant la mort de 69 personnes, dont 21 enfants.

    La dimension politique était évidente sur le plan international et les impérialismes américain et britannique s’empressèrent de se présenter comme une médiation entre la France et la Tunisie. On est là dans des contradictions inter-impérialistes particulièrement élevées, les concurrents de la France cherchant à ce que son empire soit démantelé.

    La pression fut d’autant plus grande que quelques mois auparavant, la France avait annoncé que les armes atomiques que l’OTAN lui avait remis seraient sous contrôle uniquement français ; à l’arrière-plan, il y a également le programme français d’armes atomiques à fusion thermonucléaire en passe d’être achevé. Le premier test aura lieu en août 1968, alors que la bombe atomique à fission était déjà possédée de manière autonome depuis 1960.

    Le gouvernement du radical Félix Gaillard capitula et le président du conseil des ministres accueillit même chez lui la réunion de médiation, ce qui provoqua la colère de l’armée et du camp pro-empire français en général.

    La pression était si grande que le gouvernement fut renversé le 15 avril 1958 et que pendant un mois, il y eut incapacité d’en former un.

    Alors que les tractations étaient en cours sans aboutir à rien, le général Raoul Salan, commandant supérieur Interarmées de l’Algérie depuis novembre 1956, mit la pression sur le président René Coty. Il lui envoya un message par l’intermédiaire du général Paul Ély, ce dernier devant, en tant que chef d’état-major général des armées, le lui faire passer.

    Voici le contenu du télégramme du 9 mai 1958 :

    « La crise actuelle montre que les partis politiques sont profondément divisés sur la question algérienne.

    La presse laisse penser que l’abandon de l’Algérie serait envisagé par le processus diplomatique qui commencerait par des négociations en vue d’un «cessez-le-feu».

    Je me permets de vous rappeler mon entretien avec M. Pleven, au cours duquel j’ai indiqué de façon formelle que les seules clauses d’un «cessez-le-feu» ne pouvaient être autres que celles-ci :

    « La France, confirmant son appel au «cessez-le-feu», invite les rebelles en Algérie à remettre au plus tôt leurs armes et leur garantit, avec une large amnistie, leur retour au sein de la communauté franco-musulmane rénovée ».

    L’Armée en Algérie est troublée par le sentiment de sa responsabilité :

    – à l’égard des hommes qui combattent et qui risquent un sacrifice inutile si la représentation nationale n’est pas décidée à maintenir l’Algérie française, comme le préambule de la Loi-Cadre le stipule ;

    – à l’égard de la population française de l’intérieur qui se sent abandonnée et des Français musulmans qui, chaque jour plus nombreux, ont redonné leur confiance à la France, confiants dans nos promesses réitérées de ne jamais les abandonner.

    L’Armée française, d’une façon unanime, sentirait comme un outrage l’abandon de ce patrimoine national.

    ON NE SAURAIT PRÉJUGER SA RÉACTION DE DÉSESPOIR.

    Je vous demande de vouloir bien appeler l’attention du président de la République sur notre angoisse, que seul un gouvernement fermement décidé à maintenir notre drapeau. en Algérie peut effacer ».

    Signé : Général SALAN. »

    Derrière ce message, on trouve également l’amiral Philippe Auboyneau, alors commandant en chef des Forces maritimes françaises en Méditerranée (alors basées à Alger), ainsi que le général Jacques Allard, haut responsable militaire en Algérie. A cela s’ajoute le général Edmond Jouhaud, adjoint interarmées du général Salan en Algérie, et le général Jacques Massu.

    Toutes ces figures militaires étaient présentes en Algérie, toutes ont eu de très hautes responsabilités lors de la guerre d’Indochine.

    L’armée fut quelques jours plus tard très mécontente du choix du démocrate-chrétien Pierre Pflimlin à la tête du nouveau gouvernement : la réponse immédiate prit la forme d’un coup d’État.

    =>Retour au dossier sur Le coup d’État et la constitution de 1958

  • L’autonomisation de l’armée au lendemain de 1945

    Si la faction américaine prédominait au niveau gouvernemental et dans l’appareil d’État, il n’en reste pas moins que l’armée française disposait d’une très large autonomie, et cela pour plusieurs raisons. La première, c’était que sa structure avait traversé l’Occupation et se prolongeait à travers une fusion avec le gaullisme.

    Il y a une continuité qui, par définition, est en décalage avec le caractère prédominant de la faction américaine. Même si l’armée est anticommuniste et soutient pour cette raison l’impérialisme américain, elle a ses propres priorités.

    De surcroît, l’armée se renforça d’autant plus que le Vietnam a dans l’après-guerre exigé une mobilisation massive de 1946 à 1954, impliquant 223 467 Français de la métropole et 72 833 Légionnaires. Allait suivre la guerre d’Algérie, impliquant 1 419 125 militaires, dont 317 545 d’active et 1 101 585 appelés du contingent.

    Le drapeau du FNL flotte sur le quartier général français capturé
    lors de la bataille de Diên Biên Phu

    Cette autonomie est également vraie pour toute une partie de l’appareil d’État de l’empire, surtout en Algérie. L’Algérie française disposa de 1900 à 1940 d’une autonomie budgétaire et financière, suspendue en 1940 alors que les liens avec la métropole sont rompus en 1942.

    Avec l’autonomisation de l’armée, cette autonomie algérienne rendait la situation intenable et un tournant eut lieu en mars 1956.

    Au début du mois, l’indépendance du Maroc fut reconnue par la France dans le cadre des accords de La Celle-Saint-Cloud de 1955. Pratiquement comme contre-tendance à la dissolution de l’hégémonie française, l’assemblée accorda à l’armée une marge de manœuvre absolue en Algérie.

    455 députés contre 76 décidèrent de

    « mesures exceptionnelles tendant au rétablissement de l’ordre, à la protection des personnes et des biens et à la sauvegarde du territoire de l’Algérie ».

    Le prétexte consistait en un « programme d’expansion économique, de progrès social et de réforme et de réforme administrative ». Concrètement, cela se traduisit par la possibilité pour le gouvernement d’interdire la circulation des personnes, des véhicules, de contrôler les biens et de les confisquer, de décider de toute importation et de toute exportation, placer toute personne en résidence surveillée, interdire les réunions, faire des perquisitions à n’importe quel moment, etc.

    Il était également précisé que :

    « Le gouverneur général peut instituer des zones dans lesquelles la responsabilité du maintien de l’ordre passe à l’autorité militaire qui exercera les pouvoirs de police normalement impartis à l’autorité civile. »

    Et même :

    « Des arrêtés du gouverneur général détermineront, en tant que de besoin, les modalités d’application du présent décret. »

    C’est Guy Mollet, tout juste président du conseil des ministres et Secrétaire général de la SFIO depuis 1946 (et jusqu’en 1969) qui décida de cette mesure accordant les pleins-pouvoirs aux militaires en Algérie.

    Les tribunaux permanents des forces armées devinrent même rétroactifs pour juger des faits depuis novembre 1954. Cela signifiait la constitution en tant qu’État de l’armée française en Algérie, à côté de l’État français en métropole.

    Le général Salan, commandant en chef des forces françaises en Algérie, donna comme instruction à la fin avril 1957 comme quoi :

    « L’armée doit agir… sur un plan particulier, afin d’atteindre les éléments formant la structure politico-administrative de la rébellion dont ils constituent les forces essentielles.

    Dans ce domaine où les moyens proprement militaires se sont fréquemment révélés inadaptés, le caractère subversif de la rébellion amène l’armée à mettre en œuvre des moyens appropriés d’ordre administratif ou judiciaire.

    Ses armes sont : les textes de codes, lois, décrets, arrêtés, instructions grâce à l’application desquels l’action est rendue possible et bénéfique. »

    Cette décision d’accorder les pleins pouvoirs à l’armée en 1956 annulait de fait la décision, en avril 1955, d’établir le régime d’état d’urgence, au moyen d’une nouvelle loi justement mise en place pour éviter d’avoir à établir l’état de siège donnant les pleins pouvoirs à l’armée.

    Environ onze mille personnes au total passeront pendant la guerre d’Algérie devant un tribunal militaire, qui fut mis en place à partir de 1957 à Alger, Constantine et Oran. Dès 1956, la torture devint également une méthode se systématisant alors que les attentats meurtriers du FLN algérien contre des civils mettait en place une ambiance de psychose.

    Cette impression d’absence de limite pour l’armée se renforça encore avec la « bataille d’Alger » en 1957, lorsque la 10e division parachutiste commandé par le général Jacques Massu obtint les pleins pouvoirs pour briser le FLN à Alger.

    Cela signifiait qu’en plus de ses 8000 « paras », le général Massu commandait la police, la police judiciaire, le Groupe de renseignements et d’exploitation (GRE), le SDECE (service de contre-espionnage) et son 11e Choc composé de 3 200 parachutistes), la Direction de la Surveillance du Territoire, le 9e régiment de zouaves, 350 cavaliers du 5e régiment de chasseurs d’Afrique, 400 hommes du 25e régiment de dragons, 650 hommes des deux détachements d’intervention et de reconnaissance, 1 500 hommes des unités territoriales (UT), etc.

    L’armée française a ainsi acquis en Algérie le statut d’État. La contradiction avec l’État en métropole était par conséquent inévitable. Là réside la contradiction principale amenant à la crise de 1958.

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  • Les quatre tendances en France au lendemain de la victoire de 1945

    Au lendemain de la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie et ses États vassaux, il existe en France trois mouvements historiques en mesure de former un appareil d’État. Il y a tout d’abord les restes de « l’État français » du maréchal Pétain, ainsi que les milieux de la collaboration. L’épuration fut en effet extrêmement relative et nombre de cadres recyclés dans les nouvelles institutions.

    Historiquement, cette tendance historique a été appuyée par la bourgeoisie industrielle, cherchant à se placer dans le projet nazi d’une « nouvelle Europe ». L’échec nazi amena un renversement de la position initiale et le soutien aux Américains.

    Il y a ensuite tout le mouvement organisé autour du général de Gaulle et qui a obtenu la reconnaissance internationale quant à la représentativité de la France. Il est porté par la bourgeoisie financière, ainsi que celle profitant directement de l’empire colonial, une partie de cette dernière étant toutefois avec la bourgeoisie industrielle.

    La bourgeoisie profitant de l’empire fut le sas entre la bourgeoisie financière pro-de Gaulle et la bourgeoisie industrielle pro-Pétain.

     Le ministre de l’Information Pierre-Henri Teitgen, le général Charles de Gaulle et le ministre des Affaires étrangères Georges Bidault, lors du conseil des ministres du Gouvernement provisoire de la République française, le 2 novembre 1945

    Enfin, il y a le Parti Communiste, fort de sa puissante participation à la Résistance et d’une structuration élevée de ses cadres, avec surtout l’URSS à l’arrière-plan. Il représente la classe ouvrière, mais de manière plus générale toute la tendance démocratique-populaire. Son dirigeant Maurice Thorez capitule cependant face à la pression et se place comme appendice du mouvement autour du général de Gaulle.

    Affiche du PCF en 1945

    Or, la faction de de Gaulle, qui a alors le dessus en 1945, est mise de côté par une quatrième faction, montée de toutes pièces par l’impérialisme américain. Il s’agit des courants du « centre », ainsi que des socialistes, qui jouent le rôle de rouage dans la mise en place d’un marché commun européen.

    Cela va aboutir à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier d’un côté, l’intégration à l’OTAN sous supervision américaine de l’autre, avec également l’acceptation du Plan Marshall.

    Ni le camp démocratique-populaire du Parti Communiste Français, ni le camp le plus agressif de la bourgeoisie (représenté par de Gaulle) n’étaient d’accord avec cela.

    Charles de Gaulle en 1945

    Toutefois, le révisionnisme au sein du Parti Communiste Français et l’opportunisme de la bourgeoisie française dans sa majorité fit qu’il y eut soumission à l’hégémonie américaine.

    De Gaulle démissionna historiquement du poste du chef de gouvernement dès le 20 janvier 1946 et il fut alors totalement isolé dans la vie publique, après avoir tenté de développer un Rassemblement du peuple français qui s’effondra en 1955.

    L’alliance des centristes et des socialistes impliqua également l’isolement progressif complet du Parti Communiste Français, qui représentait pourtant autour de 30 % des voix aux élections.

    Or, le bloc formé sous l’impulsion de l’impérialisme américain était construit de bric et de broc. Il y avait par exemple le Rassemblement des gauches républicaines. En son sein, on trouvait :

    – le Parti Radical, c’est-à-dire le « centre » ;

    – le Parti socialiste démocratique, composé de socialistes ayant collaboré pendant la guerre ;

    – l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), de gauche libérale, avec notamment François Mitterrand ;

    – le Parti démocrate, Ralliement républicain démocratique et socialiste, qui rejoindra rapidement l’UDSR ;

    – les restes du Parti radical indépendant, de centre-droit et opposé à la gauche ;

    – les restes du Parti républicain-socialiste, de centre-gauche ;

    – le Parti républicain social de la réconciliation française, de droite libérale-sociale anti-communiste, issu du mouvement du colonel de La Rocque qui en est toujours le dirigeant ;

    – l’Alliance démocratique, de centre-droit.

    A côté de ce regroupement, il y avait également le réseau du Rassemblement des groupes républicains et indépendants français, mais surtout le Mouvement républicain populaire, équivalent de la démocratie-chrétienne allemande et italienne, directement inféodée aux États-Unis.

    Cela signifiait une profonde instabilité politique, de par le caractère éclectique du bloc pro-américain.

    L’instabilité gouvernementale
    de la IVe République

    Pour cette raison, le gouvernement Félix Gouin ne dura que de fin janvier à juin 1946, le gouvernement Georges Bidault de juin à novembre de la même année, le gouvernement Léon Blum de décembre 1946 à janvier 1947.

    Le gouvernement Paul Ramadier dura du 22 janvier au 21 octobre 1947, son second gouvernement seulement le mois d’après. Le gouvernement Robert Schuman dura de novembre 1947 à juillet 1948, le gouvernement André Marie de fin juillet à fin août 1948.

    Le gouvernement de Robert Schuman dura… deux jours en septembre 1948, celui de Henri Queuille de septembre 1948 à octobre 1949, mais celui de Georges Bidault ensuite quatre mois, puis de nouveau quatre mois.

    Suivit un gouvernement de Henri Queuille de… deux jours, de René Pleven de sept mois et demi, de Henri Queuille de nouveau pour quatre mois, de René Pleven de nouveau pour cinq mois. On eut ensuite un gouvernement d’Edgar Faure pour un mois, d’Antoine Pinay pour neuf mois et demi, de René Mayer pour quatre mois et demi, de Joseph Laniel pour six mois et demi puis cinq mois.

    Suivirent alors un gouvernement de Pierre Mendès France pour sept mois et demi, d’Edgar Faure pour onze mois, de Guy Mollet pour seize mois, de Maurice Bourgès-Manoury pour trois mois et demi, de Félix Gaillard pour cinq mois, de Pierre Pflimlin pour seize jours.

    Même à l’intérieur de ces gouvernements, il y avait une grande valse des ministres et des secrétaires d’État. La prédominance américaine était artificielle ; elle faisait face à une opposition prolétarienne du Parti Communiste Français, d’une opposition grande-bourgeoise avec la droite gaulliste. Sa domination passait par une grande alliance hétéroclite incapable de cimenter son existence, de par sa base sociale trop faible.

    L’évolution que connut l’armée provoqua alors une crise de régime.

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  • L’échec final des Croix de Feu et du Parti Social Français

    l est très difficile d’établir le panorama du P.S.F. pendant l’Occupation, tellement les contradictions de la situation le firent imploser. Tous les choix possibles ont été faits au P.S.F., avec toutes les nuances.

    On a ainsi Bernard Dupérier, pilote de François de La Rocque, qui prendra lors de la Résistance le commandement de l’escadre aérienne de chasse française en Grande-Bretagne, ou encore le député Edmond Barrachin qui rejoint Londres, tandis que le député Jacques Bounin organisa la Résistance à l’intérieur du pays.

    Mais on retrouve aussi Paul Touvier, figure même du milicien, Paul Creyssel qui fut un temps secrétaire général à la propagande du régime de Vichy.

    On a Pierre Lépine qui continua pendant l’Occupation de diriger le service des virus à l’Institut Pasteur de Paris, tout comme Eugène-Gaston Pébellier continua d’être maire de Puy-en-Velay, accueillant même Philippe Pétain triomphalement en 1941.

    De manière plus compliquée, on a Jean Ebstein-Langevin, qui participa à la manifestation patriote du 11 novembre 1940 puis rejoignit la Résistance, avant de défendre ensuite les pétainistes après 1945.

    Cette position pro-pétainiste après 1945 sera également celle du joueur de tennis Jean Borotra, passé tant par les Croix de Feu que le P.S.F., responsable des sports du régime de Vichy avant d’être détenu par les Allemands, qui à partir de 1943 mirent un terme définitif à l’existence en France de la mouvance P.S.F., par ailleurs directement bannie dans la zone occupée.

    On a également Henri Choisnel et Georges Dompmartin, qui combattirent dans la Résistance dans les rangs du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France généré par le Parti Communiste.

    François de La Rocque, de son côté, organisera le « Réseau Klan » fournissant des renseignements aux services secrets britanniques, tout en tentant d’influencer Philippe Pétain dont il devint un conseiller, maintenant toujours un loyalisme général et ce jusque dans l’antisémitisme. Dans le Petit journal, il expliquait par exemple le 5 octobre 1940 :

    « L’adoption [de la nationalité] doit être remise en cause dans tous les cas d’espèce où, ayant obtenu la qualité de Français, un Israélite aura contrevenu, dans sa vie publique ou privée, aux lois et principes de l’État, aux préceptes de la civilisation chrétienne (en dehors de toute considération proprement religieuse). »

    La presse Croix de Feu et P.S.F. exprimait déjà parfois un antisémitisme virulent, ne reflétant pas la ligne de l’organisation ; sous l’Occupation, le quotidien le Petit journal vivait grâce au régime de Vichy, participant parfois à l’antisémitisme, tout en employant des personnes juives avec de faux papiers, grâce à l’initiative de François de La Rocque.

    La Gestapo mit un terme à ces contradictions en décapitant en 1943 les restes du P.S.F., au moyen de 152 arrestations, et François de La Rocque fut déporté en 1943, mourant des suites d’une intervention chirurgicale le 28 avril 1946 à Paris.

    Ce n’est que quinze plus tard, à l’occasion du jour consacré à la déportation, que Charles De Gaulle, alors président de la République, lui fit remettre, par l’intermédiaire de sa veuve, la médaille de déporté-résistant à titre posthume, affirmant entre autres « l’ennemi [lui] fit subir une cruelle déportation pour faits de Résistance, dont, je le sais, les épreuves et le sacrifice furent offerts au service de la France ».

    Dans son dernier livre, Au service de l’avenir : Réflexions en montagne, paru en 1946, François de La Rocque parlait toujours de l’Armée comme « le sanctuaire ou se monte la garde, se transmet le culte des suprêmes traditions nationales ».

    Voici comment Edouard Daladier, figure politique importante des années 1930 et qui en tant que président du Conseil déclara en 1940 la guerre à l’Allemagne, présente dans son Journal de captivité 1940-1945 la manière dont il voyait François de La Rocque.

    « Je n’ai aperçu La Rocque qu’une seule fois en octobre 1936, au petit matin, dans le couloir du train qui me ramenait de Biarritz.

    Petit, assez gras, pâle, il assistait au lever du soleil adossé à la portière de son sleeping entre deux gardes du corps, puis il était venu prendre un café au lait et fumer sa pipe au wagon-restaurant. J’en avais conclu qu’il ne présentait aucun danger pour la République.

    Il aura eu une vie fort mouvementée. Courageux combattant de 1914, il fut volontaire dans l’infanterie. Plusieurs fois blessé. Plusieurs fois cité. Dans cette guerre, un de ses fils a été tué comme aviateur sur la Meuse et un autre grièvement blessé.

    Il a été créateur d’un mouvement politique, dont le but me semblait être de créer une République autoritaire, antiparlementaire, hiérarchisée, dont les corporations restaurées auraient été la base sociale. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre. Quelque chose aussi d’un néoboulangisme.

    De vieux réactionnaires, épaves attristées ou indignées des luttes électorales, mais surtout des hommes jeunes et des femmes des classes moyennes, victimes de la crise économique, irrités de l’instabilité ministérielle, du désordre des mœurs parlementaires, parfois aussi de scandales trop réels, même lorsqu’ils étaient démesurément grossis et exploités, adhéraient à son mouvement.

    La Rocque se préoccupe de rester le chef. Chiappe, Tardieu, Laval, le voudraient comme lieutenant ou comme sergent recruteur. Il ne peut refuser de participer au 6 février, mais il le fait sans enthousiasme, avec une sorte de résignation. Il suffit qu’un adjudant de la garde mobile, posté avec quelques hommes sur la place du Palais-Bourbon, se dresse pour que ces bandes passent leur chemin et renoncent à envahir le Parlement.

    Aussi Maurras et Daudet, ainsi que bien d’autres, l’accusent de mollesse sinon de trahison.

    Il devient, après le 6 février, le familier de Doumergue [qui fut président de 1924 à 1931], et c’est alors sa grande époque.

    Virtuose incontestable de la motorisation, il rassemble dans de vastes prairies des milliers d’automobiles sans un accident ni une panne. Par la somptuosité et l’ordre impeccable de ses défilés, il écrase ses rivaux, Pujo, Doriot et le bonapartiste Taittinger devenu conseiller municipal et enrobé de graisse.

    Ses parades groupent peu à peu les gauches divisées. Au congrès de Nantes, malgré les prédictions des augures et le zèle de Marchandeau, le Parti radical rompt avec Doumergue.

    Quelques jours après, le sauveur, coiffé d’un béret basque, escorté de policiers, quitte au petit matin, par une porte dérobée, son appartement de l’avenue du Bois, et regagne Tournefeuille.

    A partir du 14 juillet 1935, les défilés du Front populaire font pâlir ceux des croix-de-feu. La Rocque a donc été l’un des pères du Front populaire qui en eut d’ailleurs beaucoup et surtout d’involontaires.

    Après juin 40, La Rocque deviendra conseiller national et beaucoup plus tard, l’un des conseillers privés de Pétain qui lui emprunte un grand nombre de ses formules.

    Il semble que La Rocque était au premier rang des attentistes et que, surtout après l’échec de la grande offensive allemande contre la Russie en 1941, il a cru à la défaite finale de l’Allemagne, d’où la colère de Laval, la méfiance des Allemands, et son arrestation. »

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  • L’échec du positionnement «civilisationnel» des Croix de Feu et du Parti Social Français

    La défaite face à l’Allemagne nazie fut un coup terrible à la stratégie de François de La Rocque, entièrement fondée sur l’indépendance française complète, avec un partenariat proposable uniquement à l’Espagne franquiste et l’Italie fasciste, une opposition franche à l’Allemagne.

    Bien entendu, une prise de contact eut lieu ; en septembre 1936, un représentant du P.S.F. alla en Allemagne discuter avec Rudolf Hess, en présence d’un consul espagnol anti-républicain et du fasciste anglais Oswald Mosley. En décembre de la même année, François de La Rocque se rend à Bruxelles, afin de rencontrer Léon Degrelle, le dirigeant belge du mouvement rexiste, ainsi que le banquier allemand Dessler.

    Mais la ligne impérialiste française était par définition antagonique de celle de l’Allemagne et le modèle allemand de fascisme apparaissait comme inadapté et intolérable, de par la négation du catholicisme comme idéologie d’arrière-plan. Pour François de La Rocque, la France est née dans le catholicisme :

    « La France est une fille de la civilisation chrétienne. Elle aura trouvé la voie de ses destins lorsque, pour le monde entier, elle sera redevenue, non pas le peuple qui se prétend réquisitionné par Dieu pour accomplir ses volontés à travers le monde, mais le grand pays d’exemple. »

    Pour autant, François de La Rocque refusait tout rapprochement avec l’URSS pour faire contrepoids. Le 6 décembre 1938, lors du IIIe congrès du P.S.F., Jean Ybarnégaray fit un rapport sur la politique extérieure, où il était affirmé :

    « La position du P.S.F. vis-à-vis du pacte franco-soviétique est définie en ces termes : nous réclamons et, s’il le faut, nous saurons exiger la dénonciation, la rupture immédiate du pacte qui nous unit aux soviets. »

    Dans ce même rapport, il était également précisé :

    « Ma position est connue, c’est celle du P.S.F.. Nous renouvelons au général Franco nos vœux de victoire. »

    Et dans le Petit Journal du 25 février 1939, on lisait également :

    « Pour ma part, j’ai conscience de n’avoir rien négligé pour faire sentir au général Franco que le coeur de la masse P.S.F. et, avec elle, celui de millions de Français, battait pour sa cause, pour le triomphe de ses armes. »

    Le franquisme était le vrai modèle de François de La Rocque, dans la mesure où il s’agissait d’une force conservatrice rétablissant l’ordre face au bloc socialiste et communiste.

    Voici une lettre reçue par la Pasionaria, dans le cadre de la guerre d’Espagne, alors qu’elle visitait la France pour appeler à soutenir la République espagnole :

    « LES CROIX DE FEU » et « BRISCARDS »

    Madame,

    Il serait bon que vous compreniez que votre présence est une provocation et que pour éviter tout incident des patriotes français, vous regagniez au plus tôt votre pays.

    Car votre propagande est en contradiction avec le respect de l’hospitalité et la ligne de neutralité que s’est sagement imposée la France.

    Si cette neutralité doit être violée en votre faveur, des répercussions graves pourraient s’ensuivre pour vous, et sachez que la Légion du feu saura vous le faire comprendre.

    Salutations,

    Pour le président général :

    [signature]

    Par contre, François de La Rocque considérait que pour empêcher l’unité du bloc socialiste et communiste, pour ne pas tomber dans une guerre civile complète et sanglante, il ne fallait pas prendre l’initiative mais se présenter comme légitimiste, en attendant le moment où la crise sociale amènerait une puissante agitation communiste.

    D’où le raisonnement du P.S.F. comme quoi :

    « La recherche d’un ordre civique sous le signe de la durée exclut la conception d’un État révolutionnaire. »

    C’est précisément la contradiction que posait la « Révolution nationale » du régime de Vichy. François de La Rocque devait choisir entre le nationalisme coûte que coûte et l’anticommunisme.

    Dans l’éditorial du Petit journal du 10 août 1939, François de La Rocque expliquait encore son positionnement :

    « Encore une fois la tradition chrétienne, origine de la Patrie, inspiration de la mystique des Croix de Feu, fut et demeure la conseillère des libres activités P.S.F. Suivons la voie droite et large de ses disciplines. Elle nous conduit au but harmonieux de notre labeur: naissance de l’État Social Français. »

    Toutefois, la défaite l’amena à un choix cornélien : fallait-il rejoindre Londres, ou bien tenter de pousser le nouveau régime, dont l’anti-marxisme était le socle, dans ce qui était selon lui le bon sens, et en tenant de gagner en autonomie face à l’Allemagne ?

    Raisonnant en termes de « civilisation » – à l’opposé de Charles De Gaulle formulant la question stratégiquement – François de La Rocque finit par prendre le partie de Philippe Pétain. L’anticommunisme fut considéré comme le plus important et François de La Rocque salua ainsi l’attaque nazie contre l’URSS :

    « Considérons comme le bien le plus urgent pour l’univers civilisé tout ce qui accélère la destruction de la puissance bolchévique. »

    Cette ligne ne lui laissait toutefois aucune place politique. François de La Rocque comptait développer un État corporatiste par en bas, et voilà que la ligne putschiste avait triomphé, profitant de la victoire allemande.

    Lui qui ne voulait pas de « révolution », mais une contre-révolution par en bas, il lui fallait tenter de travailler avec des gens cherchant à « forcer » la France dans une logique ultra-conservatrice au moyen de la « révolution nationale », avec qui plus est une violente agitation des ultras partisans du national-socialisme, du planisme, etc.

    Il formula son dépit ainsi :

    « Qu’est-ce qu’une révolution sinon le changement total, prompt, soudain – peut-être brutal – des institutions et des mœurs?

    Où percevez-vous quelque changement de ce genre affectant la manière d’être et de penser des hommes investis du rôle de modèle et de direction au sein de notre communauté nationale? »

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  • Les Croix de Feu, le Parti Social Français, un parti de droite et de masse

    A l’opposé des ligues espérant le coup d’État, François de La Rocque comptait phagocyter la République. La question électorale se posa alors inévitablement. Ce n’était pas du tout dans la démarche des ligues, ce qui souligne sa spécificité.

    Cela ne veut pas dire que la prise du pouvoir soit conçue comme un simple processus électoral. Le P.S.F. ne se cachait pas sur ce plan, expliquant :

    « Pour réaliser son programme, le Parti Social Français réclame LE POUVOIR.

    Comment le Parti Social Français entend-il prendre le pouvoir ?

    Par les voies légales, en usant des droits civiques et politiques accordés par la Constitution à tous les citoyens.

    Par la force, au cas où des partis de révolution chercheraient à employer la violence et à fouler aux pieds nos libertés pour imposer leur dictature. »

    Le problème est que la défaite française a empêché une avancée dans cette démarche, masquant la nature du P.S.F. si on regarde les choses abstraitement. La dimension pragmatique de ce choix électoral n’apparaît pas, à moins de saisir la perspective de François de La Rocque.

    En 1936, celui-ci justifiait ainsi son positionnement : au nom d’un « grand souffle purificateur », il fallait s’engager pour bouleverser la situation.

    Il dit ainsi :

    « Si l’intervention du Mouvement Croix de Feu dans la campagne électorale se bornait à y mettre un peu d’honnêteté, d’ordre et de conscience, quel changement ce serait déjà dans l’existence nationale ! »

    Dans Les Croix de Feu devant le problème des élections, François de La Rocque posait le problème ainsi :

    « L’existence d’un groupe parlementaire Croix de Feu imposerait au Mouvement la nécessité d’avoir un programme détaillé et l’obligation de prendre position sur des problèmes épineux. Les plus redoutables de ces problèmes ne sont peut-être pas les plus importants et les plus généraux, mais bien ceux qui mettent en cause les intérêts particuliers ou corporatifs des électeurs. . . .

    La difficulté consisterait donc à trouver au groupe Croix de Feu une position parlementaire originale.

    Il ne devrait pas se laisser classer dans les rangs de la vieille droite. Il devrait éviter aussi bien une opposition systématique qu’un attitude exclusivement conservatrice.

    Il devrait trouver une méthode d’action parlementaire nouvelle et élaborer une doctrine assez forte et assez séduisante pour soutenir la comparaison quotidienne avec la doctrine des autres partis. »

    Les Croix de Feu ne participèrent ainsi pas aux élections, tout en distribuant à trois millions d’exemplaires un manifeste publié comme supplément du Flambeau du 11 avril 1936. Il apparaissait comme impossible de rompre avec la tradition anti-parlementaire des ligues, ainsi que de prôner « la réconciliation et la rénovation nationales » en acceptant la division.

    Le P.S.F., quant à lui, se lança dans un processus progressif, qui devait aller de pair avec la massification.

    Les moyens financiers étaient également là. Les Croix de Feu étaient une organisation de bourgeois et d’entrepreneurs, de commerçants, d’artisans, etc., avec des dirigeants liés aux notables. Armand Causaert, chef en 1931 des Croix de Feu à Lille et dans le Nord, assumant ensuite également dans le Pas-de-Calais et dans la Somme, était par exemple issu d’une grande famille d’industriels catholiques ; il avait eu neuf décorations lors de la Première Guerre mondiale.

    Avec le P.S.F, on passe à un autre niveau. Même si tout cela était bien entendu caché, on peut le lire en regardant la nature du quotidien Le Petit Journal que le P.S.F. s’est approprié.

    Ce quotidien était dans les mains d’une société fondée le 2 juillet 1937, avec un capital de 6 millions de francs, divisé en 60 000 actions de 100 francs, appartenant en tout à seulement dix actionnaires.

    Les cinq principaux souscripteurs en furent :

    a) Fernand Javal, liée aux parfums Houbigant, eux-mêmes à la Banque de l’Union parisienne. La famille Javal est aussi liée aux mines d’Ostricourt, et de là au Comité des Houillères, ainsi qu’à l’Union houillère et électrique (Compagnie Générale d’Electricité) ;

    b) Philippe Cruse, associé de la Banque Neuflize, membre du conseil se surveillance de Schneider, administrateur de la Banque de l’Union parisienne ;

    c) Henri Bandi de Nalèche, par ailleurs principal souscripteur, est le neveu du comte Etienne de Nalèche, qui est le président du syndicat de la presse parisienne, directeur du Journal des débats, administrateur du canal de Suez, et dont la famille est richissime ;

    d) Bertolus, lié aux Grands Travaux de Marseille, filiale de la Société marseillaise de Crédit, jouant un rôle central dans la navigation et au comité des armateurs ;

    e) Jean Schwob d’Héricourt, allié à la famille Gradis, appartient au même réseau que Bertolus, mais dans les affaires coloniales, étant administrateur de la Société française pour le commerce avec les colonies et l’étranger, ainsi que de la Compagnie agricole et sucrière de Nossi-Bé (Madagascar).

    Or, François de La Rocque fut attaché à la direction générale de la Compagnie Générale d’Electricité, pendant plusieurs années. C’est justement cette entreprise qui relie l’ensemble.

    La Compagnie Générale d’Electricité est en effet lié par Oppermann à la haute banque, au Crédit Commercial de France, aux armateurs marseillais, par Henri de Peyerimhoff de Fontenelle au Comité des Houillères, par Nicolle à la grande industrie du Nord.

    Cette inscription dans la haute bourgeoisie permettait des résultats immédiats, malgré une position illégale en-dehors des élections.

    Dès 1936, François de La Rocque revendiquait déjà 12 députés. 6 furent élus en tant que P.S.F. : Jean Ybarnégaray en tant que député de Mauléon (Pyrénées-Atlantiques), François, prince de Polignac, en tant que député du Maine-et-Loire, Paul Creyssel en tant que député de la Loire venu des radicaux, Eugène-Gaston Pébellier en tant que député de la Haute-Loire, François Fourcault de Pavant en tant que député de Seine-et-Oise, Fernand Robbe en tant que député de Seine-et-Oise.

    Les rejoignirent Émile Peter député de la Moselle, Stanislas Devaud, député de Constantine, ainsi que trois autres députés élus lors d’élections partielles : Charles Vallin député P.S.F. de la Seine, Jacques Bounin député des Alpes-Maritimes, Marcel Deschaseaux député des Vosges.

    47 autres députés rejoignirent le Comité de Sympathie pour le P.S.F. et de défense des libertés républicaines, qui ne se réunit toutefois qu’une fois.

    En octobre 1937, lors d’élections locales, le P.S.F. présenta 689 candidats (sur 3390 sièges possibles), seulement 250 sous étiquette P.S.F., les autres se présentant sous l’étiquette « Union Anti-Marxiste », « Union Républicaine », etc. 43 conseillers P.S.F. furent ainsi élus officiellement, François de La Rocque en revendiquant 306.

    A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le P.S.F. était ainsi en pleine expansion, revendiquant 11 députés, 198 conseillers généraux, 344 conseillers d’arrondissement, 2692 maires, 10 257 conseillers municipaux.

    Il s’intégrait dans la politique gouvernementale, en soutenant telle ou telle mesure. Le 4 octobre 1938 et le 18 mars 1939, les députés P.S.F. votent les pleins-pouvoirs pour l’abrogation des 40 heures, les décrets-lois permettant de faire passer la durée du travail dans certaines usines à 60 heures. Cela alors qu’il y a 400 000 ouvriers au chômage, et que le P.S.F. prétendait prôner la réglementation de la durée du travail pour qu’il y ait le plein emploi.

    Les députés du P.S.F. votèrent également en février 1938 contre un ajustement des salaires à l’inflation, ou encore en juin 1939 contre une amnistie de travailleurs à la suite d’une grande grève le 30 novembre 1938.

    Les députés votèrent également contre la simplification de la procédure en matière de renouvellement du bail des locaux commerciaux, ainsi que contre la limitation légale de l’augmentation de leurs loyers, et contre une indemnité d’éviction dans les cas où le propriétaire reprend les locaux. Les députés du PSF votèrent également contre l’application du bordereau de coupons aux dépôts et comptes en banques.

    Bref, il se posait comme un parti de droite dure, tout en disposant d’entre 1,5 et 2 millions d’adhérents, au sens très large, avec 7600 sections. Il pouvait honorablement espérer 15 % des suffrages aux élections, qui n’eurent pas lieu à cause de l’Occupation.

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  • Les Croix de Feu, le Parti Social Français, l’antifascisme et la question du coup d’État

    L’opposition droite-gauche en France est issue, du point de vue du matérialisme dialectique, de l’affrontement entre deux fractions de la bourgeoisie : celle ouvertement réactionnaire, lié au royalisme et au catholicisme, et celle moderniste et laïque. Cette opposition est directement issue du compromis du tout début du XXe siècle. Le Parti Communiste n’a pas réussi à saisir cet arrière-plan, ne saisissant pas les contradictions au sein de la bourgeoisie.

    Il n’a donc pas compris le radicalisme, cette forme de républicanisme de centre-gauche, expression de la bourgeoisie modernisatrice, partisane d’un capitalisme libéral et, de ce fait, opposé aux fractions de la bourgeoisie historiquement liées au féodalisme, au catholicisme, au monarchisme, etc.

    Or, depuis 1918, la gauche de type radicale a très peur d’un coup d’État de la part de la droite. L’agitation des maréchaux, la puissance de la haute bourgeoisie ouvertement favorable à un coup d’État militaire, voire à une dictature cléricalo-royaliste, posait un grand souci.

    C’est pourquoi la gauche de type radicale a accepté de se lier à la gauche socialiste et communiste, afin de faire contre-poids à la droite liée aux ultras-cléricaux, aux milieux royalistes, aux dirigeants de l’armée, etc.

    On a ici exactement la même chose que lors de la guerre d’Espagne, à la grande différence qu’il s’agit ici d’une opération démagogique du radicalisme de gauche. La droite putschiste est en effet minoritaire et dépassée, alors qu’en Espagne elle était d’une énorme puissance. Les Croix de Feu et le P.S.F. sont justement l’expression de cette considération, François de La Rocque ayant compris que la République avait définitivement gagné.

    Le Parti Communiste, lui, ne l’avait pas compris, aussi tomba-t-il dans le piège des radicaux de gauche. Voici un exemple de la position de ceux-ci, avec les propos de Pierre Cot, député radical de la Savoie, répondant à l’Humanité lui posant la question de la nature du P.S.F.

    L’opération des radicaux de gauche visant à faire du Parti Communiste un supplétif de la gauche modernisatrice est ici tout à fait lisible dans sa démagogie, notamment autour du thème de « l’oligarchie financière ».

    Historiquement, le Parti Communiste est entièrement tombé dans le piège, Maurice Thorez lui-même ne parlant que d’oligarchie, alors que par la suite des restes de thoréziens développeront le thème du complot d’une petite fraction de la haute bourgeoisie, formant une « synarchie » visant au coup d’État et ayant favorisé la défaite de la France en 1940, etc.

    « Personne ne songe plus à nier le danger fasciste.

    Le colonel de La Rocque a affirmé sa volonté de déclencher l’attaque à main armée au jour J et à l’heure H. De plus, quand on organise des formations militaires, des exercices de mobilisation, etc., ce n’est pas pour une action… de propagande électorale.

    Il n’est pas douteux qu’on se prépare à la guerre civile ou, du moins, qu’on s’y préparait avant le 14 juillet [1935] (…).

    Le plus grave, c’est que les ligues sont armées. Leurs adhérents sont tenus en haline et en alerte. Ils risquent d’exiger, une fois, qu’on les lance à l’assaut.

    Or, ce qu’il y a d’abominable, c’est que les chefs des ligues n’ont aucun programme positif. Il est tout à fait insuffisant de dire qu’on est pour la propreté et le patriotisme. Je ne pense pas, d’ailleurs, que les ligues armées de M. Léon Bailly aient le monopole de ces vertus (…).

    Ces moyens financiers sont puissants. Il suffit de constater l’activité des ligues, le nombre de leurs fonctionnaires, la perfection de l’organisation, la fréquence des exercices de mobilisation, etc.

    M. de La Rocque a avoué qu’il recevait de l’argent de MM. Mercier et de Wendel. Il doit y en avoir bien d’autres. C’est normal. Le grand capitalisme se sent touché au vif.

    Les marchands de canons, les maîtres des monopoles capitalistes, ceux de la Banque de France, savent qu’il y a contre eux une très grande majorité de Français (…).

    Ce qui menace les maîtres de cette oligarchie financière, qui a ravi à l’État son indépendance, c’est la poussée du Front populaire. Le mouvement des ligues, en ce qu’il se dresse contre le Front populaire, est un mouvement de défense de la grande bourgeoisie.

    Il trouvera tout l’argent dont il a besoin. Qu’avec cet argent, les ligues se soient armées, c’est l’évidence même ! On ne joue pas au soldat quand on a plus de vingt ou trente ans, pour le plaisir…

    Quand des hommes faits consentent à s’entraîner, c’est qu’ils veulent se battre. Et quand on veut se battre et qu’on a de l’argent, on s’arme.

    Il est certain que les Croix de Feu et les ligueurs d’Action française ont fait un gros effort de propagande dans l’armée, surtout chez les jeunes officiers… Rien d’étonnant : la plupart des jeunes officiers manquent de formation politique et économique… Et le colonel de La Rocque parle un langage qui leur plaît.

    Au fond, je ne crois pas que ce soit très dangereux… Il y a les officiers républicains, les sous-officiers et les hommes. Si des officiers passaient aux ligues pour faire un coup de main, cela provoquerait un mouvement inouï.

    La trahison de certaines unités expliquerait et légitimerait le passage au peuple d’autres unités. Ce serait la désagrégation de l’armée.

    Et là encore, ceux qui auraient commencé auraient tous les rots. Les grands chefs savent cela, ils ne commettront pas la folie de jeter l’armée dans nos luttes politiques.

    Le loyalisme de la garde mobile et de la gendarmerie est certain ! La propagande des Croix de Feu a échoué… Les milieux de la garde et de la gendarmerie sont beaucoup plus « Front populaire » (par origine, tendance, etc.) que Croix de Feu…

    La garde s’est fait, paraît-il, siffler en défilant avenue des Champs-Elysées, le 14 juilet, par la clientèle des ligues… Elle gardera ce souvenir (…).

    [Au sujet de la police, même s’il faut surveiller certains chefs selon lui] Mais là encore, je vois mal la police allant participer à un putsch (…).

    Il faut multiplier les rassemblements du Front populaire… Nous ne faisons pas, nous, des exercices de mobilisation secrète… Nous n’entraînons pas nos troupes à la guerre civile… Nous sommes contre la violence…

    Mais nous devons affirmer notre volonté de lutter, au besoin par la force, contre la violence. Des rassemblements comme ceux qui eurent lieu le 14 juillet prouvent que toute la France qui pense et qui travaille se dresse contre le fascisme.

    Un putsch ne réussira jamais contre la volonté unanime d’un peuple. Voilà pourquoi notre action doit être large, et que je suis heureux de voir que vos camarades l’ont compris. Ce sont eux qui, dans nos manifestations, entonnent la Marseillaise. C’est très bien !

    Car il faut reprendre la Marseillaise à ceux qui nous l’ont volée. De même qu’il faudra, un jour, que nous allions défiler devant le Soldat Inconnu, qui fut notre frère de misère, et qui aurait bien plus de chance d’être au Front populaire que chez les Croix de feu… (…)

    En cas de putsch ou de tentative de putsch, c’est la masse des travailleurs qui doit réagir. Il faut prévoir que les chefs politiques, les dirigeants des syndicats seront immédiatement arrêtés. Il faut donc organiser un mécanisme dont l’automatisme soit absolu. C’est ce qui est fait.

    A quoi tient ce mécanisme ? A paralyser à la fois l’action militaire motorisée des logues et la vie économique du pays. Les ligues doivent savoir que si elles gagnaient la première manche, elles n’en perdraient pas moins la partie.

    Ce n’est pas avec des fusils-mitrailleurs, ni même avec des volontaires, que l’on fait marcher les trains, les aiguillages, les centrales électriques, les postes, bref tout ce dont le pays a besoin pour vivre.

    Achevons de mettre au point cette organisation qui, je le répète, doit fonctionner de façon automatique… »

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