Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Le troisième congrès de la seconde Internationale

    Le troisième congrès de la seconde Internationale se tint à Zurich du 6 au 12 août 1893, en Suisse.

    L’ordre du jour pour les 416 délégués était le suivant :

    – Mesures à prendre pour la réalisation internationale de la journée de huit heures ;

    – Attitude de la démocratie socialiste en cas de guerre ;

    – le premier mai ;

    – la protection des ouvrières ;

    – la tactique politique des socialistes démocrates (parlementarisme et agitation électorale, législation directe par le peuple) ;

    – la question agraire ;

    – la formation nationale et internationale des syndicats professionnels ;

    – le suffrage universel ;

    – l’immigration des ouvriers en Amérique et en Australie ;

    – la question du Siam ;

    – la grève générale ;

    – l’organisation international de la démocratie socialiste.

    L’aspect principal de ce congrès fut un violent affrontement entre marxisme et anarchisme. L’invitation initiale avait encore une démarche extrêmement large, bien que légèrement modifiée par rapport au congrès précédent. La condition requise pour la présence au congrès était la suivante :

    « Sont admis au Congrès tous les syndicats professionnels ouvriers, ainsi que ceux des partis et associations socialistes qui reconnaissent la nécessité de l’organisation ouvrière et de l’action politique. »

    La référence à l’État avait disparu, laissant le champ ouvert aux anarchistes et aux syndicalistes révolutionnaires, même si au sens strict, tant les uns que les autres réfutaient l’action politique. On avait en effet droit à toutes les variantes possibles.

    De plus, les trade-unionistes britanniques appelèrent même à un congrès international d’urgence à Londres au sujet de la journée de huit heures, ce que Friedrich Engels résuma bien en parlant de « déclaration de guerre ».

    Heureusement, les congrès des Français, des Espagnols puis des Allemands réfutèrent cet appel, au profit du congrès de Zurich, faisant pencher la balance. Cependant, lorsque des élections parlementaires furent annoncées pour le 20 août en France, le Parti Ouvrier Français relativisa sa participation concrète au congrès.

    On était retombé en arrière, dans un congrès ouvrier au sens le plus large possible. D’ailleurs, les trois premiers jours furent marqués par des débats au sujet de la question de la représentativité. Les anarchistes étaient présents malgré la condition formelle qu’il fallait reconnaître l’action politique afin d’être admis. Cela provoqua un affrontement idéologique.

    Les anarchistes furent finalement exclus au bout des trois jours, dans une bataille où ils expliquèrent notamment que les actions terroristes individuelles étaient de la politique et ne cessèrent de dénoncer la social-démocratie allemande. Inversement, il y eut une résolution commune aux figures de la social-démocratie allemande : August Bebel, Wilhelm Liebknecht, Karl Kautsky, avec également entre autres l’Autrichien Victor Adler. Celle-ci affirme :

    « Par action politique, il faut comprendre que les partis ouvriers utilisent ou cherchent à conquérir autant que possible les droits politiques et la machinerie instaurant les lois, afin de faire avancer les intérêts du prolétariat et pour la conquête du pouvoir politique. »

    Ce rejet de l’anarchisme alla de pair avec la tentative d’aller dans le sens d’une unité concrète… tout en considérant celle-ci comme non réalisable encore. Une résolution prise par le congrès dit la chose suivante, essentielle :

    « Considérant qu’il est désirable que les démocrates socialistes soient organisés internationalement sous un titre commun, mais attendu aussi que les restrictions imposées à la liberté d’association par les lois réactionnaires de plusieurs pays, sont un obstacle à la réalisation immédiate de ce désir ;

    Le Congrès reconnaît comme membres du parti socialiste démocratique révolutionnaire, toutes les organisations et sociétés qui admettent la lutte des classes et la nécessité de socialiser les moyens de production et qui acceptent les bases des congrès internationaux socialistes. »

    Il va de soi qu’en l’absence de centralisation et de vérification, une telle affirmation ne veut rien dire et implique une ouverture à une multitude de variantes.

    Néanmoins, en apparence l’anarchisme avait été vaincu ; la venue au congrès de Friedrich Engels le dernier jour fut l’occasion d’un discours de sa part reflétant une victoire politique pour le marxisme.

    A Zurich au moment du congrès : Ferdinand Simon, Frieda Simon (née Bebel), Clara Zetkine, Friedrich Engels, Julie Bebel, August Bebel, Ernsct Schattner, Regina Bernstein, Eduard Bernstein

    Mais la victoire n’était pas cimentée, loin de là.

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  • Le second congrès de la seconde Internationale

    L’opposition entre sociaux-démocrates et les « variantes » ne fut alors pas compris comme une lutte entre deux lignes et cela même par l’Internationale Communiste dans son bilan de la social-démocratie.

    Une telle lecture n’avait pas seulement besoin d’une saisie de la dialectique à laquelle a contribué Mao Zedong : l’absence de centralisme dans la seconde internationale donnait une impression d’importante diversité. Cela était d’ailleurs même vrai au sein de la social-démocratie et ce assez rapidement.

    Ainsi, malgré que les possibilistes aient été écartés au moment du premier congrès, les trade-unionistes britanniques et le Parti Ouvrier Belge demandèrent à ce qu’ils participent au second congrès.

    On retourna ainsi à la case départ avec le Congrès international ouvrier socialiste qui se tint à Bruxelles du 16 au 23 août 1891. 363 délégués de 15 pays y furent présents ; la condition requise pour la participation était simplement la suivante :

    « Il est décidé que ne pourront participer au prochain congrès de Zurich que les associations acceptant ces deux principes : l’intervention de l’État et l’organisation. »

    A l’ordre du jour, on trouve :

    – la législation du travail ;

    – « la question juive. De l’attitude que les travailleurs organisés de tous les pays doivent prendre concernant la question juive » ;

    – l’Organisation, les coalitions et l’agitation ;

    – le militarisme (De la position et des devoirs de la classe ouvrière vis-à-vis du militarisme) ;

    – le travail aux pièces et à forfait ;

    – l’abrogation de toutes les lois qui mettent la femme en dehors du droit commun ;

    – le premier Mai ;

    – le prochain congrès ;

    – l’organisation des travailleurs de la mer.

    Trois thèmes furent enlevés :

    – De l’usage du parlementarisme et du suffrage universel au profit de la cause ouvrière socialiste, de la tactique à employer pour arriver à l’émancipation des travailleurs, et des moyens à mettre en œuvre pour la réaliser ;

    – De l’alliance des partis ouvriers socialistes avec les partis bourgeois ;

    – Adoption d’une désignation générale uniforme pour indiquer le groupement de tous les partis ouvriers du monde. Propositions : Parti socialiste international (Paris), Parti ouvrier socialiste international (Belgique).

    Malgré différents désaccords, la tendance de fond fut la recherche de l’unité pour servir les ouvriers, comme avec cette résolution sur le travail aux pièces et au forfait :

    Le Congrès est d’avis que cet abominable système de surmenage est une conséquence nécessaire du régime capitaliste et disparaîtra en même temps que celui-ci ;

    Qu’il n’en est pas moins du devoir des organisations ouvrières de tous les pays de s’opposer par tous les moyens au développement de ce système ;

    Que le système du marchandage (sweating system) produit également des conséquences désastreuses et doit être combattu par les mêmes motifs.

    La résolution contre le militarisme était également importante. Il y avait deux personnes présentant cette question, le Français Édouard Vaillant et l’Allemand Wilhelm Liebknecht, afin de souligner le refus de l’affrontement franco-allemand.

    Wilhelm Liebknecht affirma notamment que :

    « Ce n’est pas ici le lieu d’examiner les conséquences du militarisme, de traiter des conséquences de la prochaine guerre. Dans la prochaine guerre, des millions d’hommes seront sous les drapeaux, l’Europe se fera face avec des armes, des peuples entiers seront jetées les uns contre les autres, une guerre sans précédent dans l’histoire du monde, à laquelle en comparaison la dernière guerre franco-allemande aura été un jeu entre enfants, et qui doit doit jeter un siècle en arrière notre civilisation.

    Le prolétariat, qui porte l’étendard de la culture, doit faire en sorte d’empêcher cela, de contrecarrer cela, avant que la culture commune ne soit ensevelie dans une grande catastrophe.

    Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter cette catastrophe. Lorsque la bête est réveillée chez l’homme, la raison se tait et l’humanité se voile la face.

    Si jamais les peuples se ruent l’un sur l’autre telle une avalanche, alors tout ce qui voudra s’y opposer sera broyé.

    Nous devons prouver que nous voulons éliminer cette paix armée, mais toutes les aspirations sont vouées à l’absence d’espoir tant que nous n’éliminons pas la lutte de classe qui fonde le militarisme. »

    On reconnaît ici une limite historique : la lutte de classe proviendrait de la bourgeoisie, qui empêche le développement finalement normalement pacifique de l’histoire.

    Voici la résolution adoptée au sujet du militarisme :

    Le Congrès,

    Déclare que le militarisme, qui pèse en ce moment sur l’Europe, est le résultat fatal de l’état permanent de guerre ouverte ou latente, imposé à la Société par le régime d’exploitation de l’homme par l’homme et la lutte des classes qui en est la conséquence ;

    Affirme que toutes les tentatives ayant pour objet l’abolition du militarisme et l’avènement de la paix entre les peuples – quelque généreuses qu’en soient les intentions – ne sauraient être qu’utopiques et impuissantes, si elles n’atteignent pas les sources économiques du mal ;

    Que seule la création d’un ordre socialiste mettant fin à l’exploitation de l’homme par l’homme, mettra fin au militarisme et assurera la paix définitive ;

    Que, par suite, le devoir et l’intérêt de tous ceux qui veulent en finir avec la guerre, est d’entrer dans la Social-Démocratie international qui est le véritable et unique Parti de la Paix.

    En conséquence, le Congrès,

    En présence de la situation chaque jour plus menaçante de l’Europe et des excitations chauvines des classes gouvernantes dans les différents pays, fait appel à tous les travailleurs pour protester par une agitation incessante contre toutes les velléités de guerre et les alliances qui les favorisent, et pour hâter, par le développement de l’organisation internationale du prolétariat, le triomphe du socialisme ;

    Déclare que c’est le seul moyen capable de conjurer la catastrophe d’une guerre générale, dont les travailleurs auraient à supporter tous les frais ;

    Et entend, dans tous les cas, rejeter, devant l’histoire et l’humanité, sur les classes dirigeantes, la responsabilité de tout ce qui peut survenir.

    Le second congrès est ainsi une victoire de par le prolongement du premier congrès ; il renforce la base de la seconde Internationale, il lui trace une perspective. Cependant, l’approche reste éclectique finalement, avec qui plus est des éléments perturbateurs tels des possibilistes ou des anarchistes. L’anarchiste italien Francesco Saverio Merlino dut ainsi être expulsé dès le début du congrès.

    L’exemple de la résolution sur la question juive témoigne de cet éclectisme de fond. Abraham Cahan, de la délégation des groupes socialistes américains de langue juive, qui regroupait 30 000 membres sur l’unique base de la langue yiddish, demanda un appel à l’unité entre personnes des milieux juifs et chrétiens dans la lutte ouvrière aux États-Unis.

    Le blanquiste français Albert Regnard, un antisémite complet, s’y opposa bien entendu et attaqua les « banquiers juifs », appuyé dans sa démarche par le socialiste français Paul Argyriadès qui dénonça « les provocations de certains sémites ».

    La résolution sur la question juive était ainsi une sorte de compromis entre une réfutation nette de l’antisémitisme et une sorte d’antisémitisme qui ne dit pas son nom sous prétexte que parmi les banquiers il y ait des juifs, tout en refusant toute prise de position au sens strict.

    La question Juive

    De l’attitude que les travailleurs organisés de tous les pays doivent prendre concernant la question juive.

    Le Congrès :

    Considérant que les partis socialistes et ouvriers de tous les pays ont toujours affirmé qu’il ne pouvait y avoir pour eux d’antagonisme ou de combats de races ou de nationalités mais seulement la lutte de la classe des prolétaires de toutes les races contre les capitalistes de toutes les races ;

    Considérant que pour les populations ouvrières de langue juive, il n’y a pas d’autre moyen d’émancipation que leur union avec les partis ouvriers ou socialistes de leurs pays respectifs;

    Tout en condamnant les excitations antisémitiques et philosémitiques, comme une des manœuvres par lesquelles la classe capitaliste et la classe gouvernementale cherchent à faire dévier le mouvement socialiste et à diviser les travailleurs ;

    Décide, qu’il n’y a pas lieu de traiter la question proposée par la délégation des groupes socialistes américains de langue juive et passe à l’ordre du jour.

    Il y a ici une sous-estimation très profonde de l’antisémitisme comme anticapitalisme romantique qui gangrène les secteurs non authentiquement social-démocrates de la seconde Internationale, notamment les Belges et les Français.

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  • Social-démocratie et variantes socialistes dans la seconde Internationale

    Les années suivant le premier congrès ouvriers socialiste internationale furent marquées par l’élan provoqué et profitèrent du modèle de la social-démocratie en Allemagne.

    Friedrich Engels y menait par ailleurs une intense correspondance avec les principaux dirigeants ouvriers, alors que le vecteur intellectuel du mouvement était constitué principalement du Français Paul Lafargue, du Russe Georgi Plekhanov, de l’Italien Antonion Labriola, de l’Allemand Franz Mehring et du Tchèque Karl Kautsky.

    C’est ce dernier qui allait devenir le grand idéologue de la social-démocratie allemande – et donc internationale – à la mort de Friedrich Engels en 1895.

    L’immense compagnon de Karl Marx, Friedrich Engels

    Le modèle se répandait dans toute l’Europe. Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Suède se fonda en 1889, alors que l’Union social-démocrate du Danemark date déjà de 1878. Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Roumanie naquit en mars 1893, le Parti Ouvrier Social-Démocrate bulgare en février 1894. Aux Pays-Bas l’opportunisme anarchisant prédominait mais une rupture donna naissance à un Parti Ouvrier Social-Démocrate des Pays-Bas en août 1894.

    En 1893 était également né la Social-démocratie du royaume de Pologne, avec notamment Rosa Luxembourg. Ce mouvement devint en 1899, à la suite d’une fusion, la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie.

    Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie se fonde lui en 1898. Le Parti social-démocrate de Hongrie existe quant à lui depuis 1890, le Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Autriche depuis 1889.

    Le Parti autrichien profitait d’une tradition déjà solide ; dans une lettre du 17 juillet 1894, Engels dit aux ouvriers d’Autriche :

    « Vous êtes dans un mouvement politique ascendant… Vous êtes à l’offensive, et une à qui sans aucun doute la victoire est assurée.

    A l’opposé, nos gens ne sont en France, en Allemagne, en Italie, même pas dans une défensive pleine d’espoir… Vous attaquez, gagnez pas à pas du terrain, chaque partie de terrain obtenue et occupée renforce non seulement votre position, mais amènent des renforts à vos masses…

    Déjà maintenant, le fait qu’en Autriche sera donné une réforme électorale de quelque type que ce soit a assuré le droit de vote général en Allemagne.

    Vous avez ainsi en ce moment une mission très importante. Vous devez former l’avant-garde du prolétariat européen, initier l’offensive générale. »

    Le Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Autriche vit ses effectifs passer de 15 000 à 45 000 en l’espace de deux ans, parvenant à faire du premier mai 1890 une affirmation de grande force, amenant Friedrich Engels à être impressionné :

    « La fête de masse du prolétariat a fait époque non seulement par son caractère absolument général, en faisant le premier acte international de la classe ouvrière en lutte.

    Cela a également permis d’enregistrer des progrès des plus satisfaisants dans les différentes parties du pays.

    Ennemi et ami s’accordent pour dire que, dans toute l’Autriche en tant que telle et à Vienne, la fête du prolétariat a été célébrée de la manière la plus brillante et la plus digne, et que la classe ouvrière autrichienne, surtout viennoise, a conquis une position tout à fait différente dans le mouvement [ouvrier international].

    Il y a quelques années, le mouvement autrichien était presque tombé à zéro, les ouvriers des terres allemandes et slaves étaient divisés en partis hostiles, leurs forces s’épuisant dans le combat interne.

    On se serait moqué de quiconque aurait affirmé il y a seulement trois ans que le premier mai 1890, Vienne et l’ensemble de l’Autriche montreraient à tous les autres un exemple de la manière de célébrer une fête de classe prolétarienne.

    On rendra justice à ce fait en n’oubliant pas cela lorsqu’on jugera les querelles des luttes internes dans lesquelles les travailleurs d’autres pays amenuisent encore aujourd’hui leurs forces, par exemple en France. Qui veut affirmer que Paris ne pourrait pas faire ce que Vienne a fait?

    Vienne, cependant, a été réduite à néant le 4 mai par Londres. »

    C’est qu’en Grande-Bretagne se produisait la période dite du New Unionism, où les syndicats étaient désormais rejoint en masse et non plus le rassemblement d’une minorité d’ouvriers qualifiés, alors que le pays perdait du terrain à l’arrière-plan dans le capitalisme mondial.

    La grève très partagée de 1889 provoqua notamment un afflux, les membres des syndicats passant de 860 000 à presque 1,5 million. En 1893 se forma alors un Parti travailliste indépendant.

    C’était là une nuance importante dans le choix du nom, car il y avait d’un côté la tradition social-démocrate, de l’autre différentes variantes. Parmi ces dernières, on a le Parti Ouvrier Norvégien, fondé en 1887, ou encore le Parti Ouvrier de Finlande, né en 1887 mais prenant en 1903 le nom de Parti Social-Démocrate, reflétant le changement de perspective.

    Les fondateurs de la social-démocratie allemande, avec Karl Marx au centre, en haut August Bebel et Wilhelm Liebknecht pour la tradition du SDAP, en bas Carl Wilhelm Tölcke et Ferdinand Lassalle pour celle de l’ADAV

    Il y a, en quelque sorte, d’un côté ceux qui combinent « social » et « démocrate », avec un arrière-plan marxiste assumé même si plus ou moins développé, et de l’autre ceux qui veulent un parti « ouvrier », ou bien « socialiste ». On a ici bien entendu le Parti ouvrier belge, fondé en avril 1885, et le Parti Ouvrier Français de Jules Guesde.

    Né en 1882, il se développait également relativement, malgré une base idéologique très faible compensée par le volontarisme mais affrontant une répression sanglante, comme l’écrasement par l’armée du premier mai 1891 à Fourmies dans le Nord, faisant neuf morts, 35 blessés, avec neuf ouvriers condamnés à plusieurs mois de prison.

    L’agitation sociale traversait tout le pays, comme dans le Sud à Carmaux avec les grèves des mineurs en 1892 et celle des ouvriers de la verrerie en 1895. C’est en fait seulement dans le Nord, avec une base ouvrière de masse, que le courant marxiste s’imposait parmi les socialistes, la ville de Paris étant inversement un bastion anarchisant de par la prédominance de l’artisanat et de la petite industrie.

    Les brillants succès électoraux de 1893, dans le contexte du scandale de la corruption pour la construction du canal de Panama, avec 250 000 voix pour le Parti Ouvrier Français, autant pour les autres courants socialistes, amenèrent toutefois l’irruption d’un profond opportunisme. Jules Guesde, élu député à Roubaix, présenta son élection comme une « révolution », le socialisme entrant selon lui au Palais Bourbon. Le Parti Ouvrier Français appuya même les députés réformistes d’Alexandre Millerand.

    Un autre exemple de variante non social-démocrate était le Parti Socialiste Italien, qui se fonda lors de son congrès de Gênes en 1892, mais dont le programme ne contenait aucune référence ni à la lutte des classes, ni à la dictature du prolétariat. Le Parti socialiste ouvrier espagnol, né en 1879, progressait quant à lui difficilement dans un pays fortement marqué par l’anarchisme.

    Le Parti du Travail Socialiste d’Amérique (Socialist Labor Party of America) possédait quant à lui une orientation sectaire, d’esprit syndicaliste révolutionnaire, sous l’influence de Daniel De Leon.

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  • Seconde Internationale : le modèle allemand et le programme d’Erfurt

    C’est la social-démocratie allemande qui servait de moteur et de modèle à la seconde internationale. C’est elle qui donnait les impulsions sur les plans théorique et pratique, c’est elle qui analysait les différents phénomènes historiques. Son parcours était exemplaire, son organisation de grande ampleur, son programme abouti.

    À l’origine, le mouvement ouvrier allemand s’appuyait sur l’ADAV (Allgemeiner Deutscher Arbeiterverein, Association générale allemande des ouvriers), fondé en 1863 par Ferdinand Lassalle, ainsi que sa scission, le SDAP (Sozialdemokratische Arbeiterpartei, Parti Ouvrier Social-Démocrate) d’August Bebel et Wilhelm Liebknecht, fondé en 1869.

    Liberté, égalité, fraternité!
    L’unité rend fort!

    Bannière de l’ADAV

    La ligne de Lassalle était celle du réformisme de type étatiste, avec en perspective la socialisation légaliste de la société, alors que la ligne de Bebel et Liebknecht était davantage combative ; la ligne des deux organisations ne dépassaient cependant pas le niveau idéaliste de la bataille pour un État « vraiment » démocratique obtenu au moyen de réformes.

    L’unification se déroula lors du congrès à Gotha, du 22 au 27 mai 1875, donnant naissance au SAP (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, Parti socialiste ouvrier d’Allemagne). Karl Marx avait émis une critique très forte, en raison du poids idéologique de l’ADAV et de Ferdinand Lassalle, sa « critique du programme de Gotha » devenant une œuvre classique du mouvement ouvrier.

    Les progrès de la fraction révolutionnaire finirent par écraser la tendance formée par Ferdinand Lassalle (qui lui-même était mort en 1864), mais l’empire allemand nouvellement instauré interdit la social-démocratie en 1878.

    Le Vorwärts (« En avant »), l’organe central paraissant trois fois par semaines à sa fondation en 1876, continua pourtant son existence dans l’illégalité, sous le nom de « Der Sozialdemokrat », réussissant à être diffusé clandestinement dans toute l’Allemagne depuis la Suisse.

    Premier numéro du Vorwärts,
    le premier octobre 1876

    Et malgré que la répression ait amené l’interdiction de 155 périodiques, de 1200 imprimés non périodiques, condamnant 1500 personnes à en tout 1000 années de prison, l’organisation se maintint jusqu’à sa légalisation en 1890.

    Eut alors lieu le congrès de 1891 à Erfurt, du 14 au 20 octobre. Le nouveau nom devint « Parti Social-démocrate d’Allemagne », avec l’adoption d’un programme écrit par Karl Kautsky et Edouard Bernstein.

    Ce programme dit d’Erfurt, qui resta tel quel pendant 30 ans, dépassait celui de Gotha de 1895 en bien des points, grâce à une critique pointue de Friedrich Engels. Rédigé surtout par Karl Kautsky, il se situait sur le terrain du marxisme, même s’il évitait d’aborder les questions essentielles des tâches démocratiques de la révolution allemande, ainsi que la dictature du prolétariat.

    Sa thèse essentielle, c’est la primauté du politique :

    « La lutte de la classe ouvrière contre l’exploitation capitaliste est nécessairement une lutte politique. La classe ouvrière ne peut mener ses luttes économiques et ne peut développer son organisation économique sans droits politiques.

    Elle ne peut réaliser le passage des moyens de production au sein de la collectivité sans être entrée en possession de la puissance politique.

    Rendre cette lutte de la classe ouvrière consciente et unitaire et lui montrer son but nécessaire, telle est la tâche du Parti social-démocrate. »

    Le socialisme y est présenté comme une synthèse effectué par les socialistes, pas comme un produit mécanique de la lutte des classes. Cela est dit très clairement :

    « Les socialistes n’ont nullement reconnu dès le début le rôle que le prolétariat combattant est appelé à jouer dans le mouvement socialiste.

    Bien sûr, ils ne pouvaient pas faire cela tant qu’un prolétariat combattant n’existait pas.

    Mais le socialisme est plus ancien que la lutte de classe du prolétariat. Il est aussi vieux que l’apparition du prolétariat en tant que phénomène de masse. »

    Ce programme, avec cette thèse comme noyau dur, marqua particulièrement les esprits alors, notamment celui de Lénine. Ce dernier le présenta encore comme une puissante contribution, un modèle du genre, lors du VIII congrès du Parti Communiste (bolchévik) de Russie, en mars 1919 :

    « Nous sommes tenus de partir de cette idée marxiste, reconnue de tous, qu’un programme doit être édifié sur une base scientifique.

    Il doit expliquer aux masses comment la révolution communiste est née, pourquoi elle est inévitable, quelle est sa signification, son essence et sa force, ce qu’elle doit résoudre. Notre programme doit être un guide pour la propagande, un guide tout comme le furent tous les programmes, comme l’était par exemple celui d’Erfurt.

    Chacun de ses paragraphes contenait en puissance des centaines de milliers de discours et d’articles de propagande. »

    La social-démocratie allemande, désormais légalisée, s’imposait comme un mouvement de masse sur une base marxiste, obtenant 23,3 % aux élections de 1895, après en avoir obtenu 19 % à celles de 1890.

    Friedrich Engels, dans une lettre à Pablo Iglesias du 26 mars 1894, note ainsi

    « En Allemagne les choses se développent de manière régulière. C’est une armée bien organisée et bien disciplinée, qui devient chaque jour plus grande et avance d’un pas assuré, sans se laisser détourner de son but. En Allemagne, on peut pour ainsi dire calculer d’avance le jour où notre parti sera le seul en mesure de prendre en main le pouvoir. »

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  • Le premier congrès de la seconde Internationale et la lutte ouvrière

    Le premier congrès ouvrier international de juillet 1889, qui marque la naissance de la seconde internationale, décida de se structurer pour la bataille concernant la législation sur le travail. Il fut décidé qu’un organe hebdomadaire serait mis en place pour centraliser les expériences faites dans la lutte pour la journée de huit heures.

    Une résolution fut également adoptée concernant la législation internationale du travail, témoignant à la fois du rejet de l’option anarchiste de refus d’aborder cet aspect, que celui d’abandonner au syndicat les questions de ce domaine.

    On a ici l’approche social-démocrate où le Parti ouvre la voie. Voici la résolution.

    Le Congrès international ouvrier socialiste de Paris,

    Après avoir affirmé que l’émancipation du travail et de l’humanité ne peut sortir que de l’action internationale du prolétariat organisé en parti de classe, s’emparant du pouvoir politique pour l’expropriation de la classe capitaliste et l’appropriation sociale des moyens de production ;

    Considérant :

    Que la production capitaliste dans son rapide développement envahit successivement tous les pays ;

    Que ce progrès de la production capitaliste implique l’exploitation croissante de la classe ouvrière par la bourgeoisie ;

    Que cette exploitation, de plus en plus intensive, a pour conséquence l’oppression politique de la classe ouvrière, son asservissement économique et sa dégénérescence physique et morale ; Que, par suite, il est du devoir des travailleurs de tous les pays de lutter, par tous les moyens à leur disposition, contre une organisation sociale qui les écrase et menace en même temps, le libre développement de l’humanité ;

    mais que, d’autre part, il s’agit avant tout de s’opposer à l’action destructive du présent ordre économique ;

    Décide :

    Une législation protectrice et effective du travail est de nécessité absolue dans tous les pays où sévit la production capitaliste.

    Comme bases de cette législation, le Congrès réclame :

    a) Limitation de la journée de travail à un maximum de huit heures pour les adultes ;

    b) Interdiction du travail des enfants au-dessous de 14 ans, réduction de la journée à six heures pour les jeunes gens des deux sexes au-dessous de 18 ans ;

    c) Suppression du travail de nuit, à l’exception de certaines branches d’industrie dont la nature exige un fonctionnement ininterrompu ;

    d) Interdiction du travail des femmes dans toutes les branches d’industrie qui affectent plus particulièrement l’organisme féminin ;

    e) Suppression du travail de nuit pour les femmes et les ouvriers de moins de 18 ans;

    f) Repos ininterrompu de 36 heures au moins, par semaine, pour tous les travailleurs ;

    g) Interdiction de certains genres d’industrie et de certains modes de fabrication préjudiciables à la santé des travailleurs;

    h) Suppression du marchandage

    i) Suppression du paiement en nature, ainsi que des coopératives patronale ;

    j) Suppression des bureaux de placement ;

    k) Surveillance de tous les ateliers et établissements industriels, y compris l’industrie domestique, par des inspecteurs rétribués par l’État et élus, au moins pour moitié, par les ouvriers eux-mêmes.

    Le Congrès déclare que toutes ces mesures d’hygiène sociale doivent faire l’objet de lois et de traités internationaux, que les- prolétaires de tous les pays sont invités à imposer à leurs gouvernants. Ces traités, obtenus de la façon qu’ils jugeront la plus efficace, — ils auront à en surveiller l’application.

    Le Congrès déclare en outre qu’il est du devoir des ouvriers d’admettre-les ouvrières dans leurs rangs, sur le pied d’égalité, et de faire prévaloir le principe : à travail égal, salaire égal pour les travailleurs des deux sexes et sans distinction de nationalité.

    Pour cela, de même que pour l’émancipation complète du prolétariat, le Congrès considère comme essentielle l’organisation des travailleurs sur tous les terrains et réclame, en conséquence, la liberté absolue d’association et de coalition.

    Les revendications sont particulièrement précises :il y a une excellente connaissance de la situation, avec une véritable poussée ouvrière de type politique. Le congrès appelait ainsi à une mobilisation générale au parlement, dans les municipalités, dans les initiatives militantes, pour œuvrer en ce sens.

    C’était la lancée du mouvement socialiste de manière internationale, dans une démarche commune, sur une base construite.

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  • Le premier congrès de la seconde Internationale et la lutte économique et politique

    Les possibilistes, un courant pratiquement uniquement français, prônait une lutte se réduisant à ce qui était considéré comme rationnellement possible. C’était un réformisme se prétendant en phase avec la réalité.

    Incapables de torpiller le congrès international des socialistes, ils tinrent leur propre congrès au même moment, s’ouvrant le 15 juillet, profitant même de la présence et de l’appui ouvert des délégués de Belgique, des Pays-Bas et d’Italie.

    14 pays étaient représentés, mais la très grande majorité des délégués étaient ceux des possibilistes français, qui représentaient 77 clubs politiques et 136 syndicats.

    Le Parti Ouvrier Belge demanda ouvertement l’unification des congrès, ce qui provoqua une intense bataille dans les rangs du congrès socialiste entre ceux refusant catégoriquement l’unification et ceux l’exigeant « à tout prix », à quoi s’ajoutent ceux qui, à l’instar des Allemands, entendaient placer les possibilistes face à leur propres incohérences.

    Paul Brousse (1844-1912), chef de file du courant possibiliste, représenté par Aristide Delannoy en 1908
    sur une couverture d’un journal anarchiste

    Les possibilistes sabotèrent de fait eux-mêmes les négociations pour la mise en place d’un congrès unitaire, en exigeant que la validité des délégués soit remise en cause, ceci dans le but d’éjecter les Français favorables au marxisme. Leur approche purement destructrice était démasquée.

    Le paradoxe apparent était que les possibilistes étaient à la fois soutenus, initialement, tant par les réformistes présents au congrès, que par les anarchistes qui eux prônaient une ligne ultra. Ces derniers dénoncèrent même au congrès l’idée de lois favorables aux ouvriers ou d’accès au droit de vote comme étant une trahison.

    Réformistes et possibilistes cherchaient à empêcher l’affirmation d’une capacité d’intervention politique et économique de type social-démocrate. Cela échoua, la résolution suivante étant adoptée :

    Action Économique et Action Politique de la classe ouvrière. Action internationale.

    a) Action économique et politique.

    Considérant que les rapports des délégués de tous les pays à ce Congrès ont démontré que la seule organisation économique du travail (Trade Unions et syndicats ouvriers) ne saurait suffire à l’émancipation de la classe laborieuse ;

    d’autre part que l’agitation pour la réduction de la journée de travail, la limitation du travail des femmes et des enfants et des lois protectrices du travail, peut être considérée, à juste titre, comme un moyen de développer chez les travailleurs la conscience de classe, préliminaire nécessaire à l’émancipation de la classe ouvrière par elle-même ;

    Considérant que l’histoire du mouvement ouvrier montre que les appels à la bourgeoisie ne sont d’aucun effet pour les travailleurs et ne servent qu’à constituer un capital politique pour la classe régnante ;

    Considérant que la possession du pouvoir politique par la classe régnante lui a permis de maintenir son système exploiteur d’entreprise privée et de production capitaliste ;

    Considérant qu’au moyen du pouvoir politique, elle empêche le contrôle de l’industrie par l’État et le contrôle de l’État par le peuple ;

    Le Congrès international de Paris décide :

    1. Que dans tous les pays où les prolétaires sont en possession de la franchise électorale; ils doivent entrer dans les rangs du parti socialiste, ne tolérant aucune compromission avec un autre parti politique, et par l’usage de leur bulletin de vote ils ont à poursuivre, sous l’empire de leur constitution respective, la conquête du pouvoir politique ;

    2. Que dans tous les pays où la franchise électorale et les droits constitutionnels sont refusés aux prolétaires, ceux-ci doivent lutter par tous les moyens possibles pour obtenir le droit de suffrage ;

    3. Que tout emploi de la force répressive de la part de la classe régnante pour entraver l’évolution pacifique de la société vers une organisation coopérative, à la fois industrielle et sociale, serait un crime contre l’humanité et soumettrait l’inhumanité des agresseurs aux châtiments infligés par des hommes qui luttent pour la défense de leur vie et de leur liberté.

    On a ici une posture défensive – avec à l’arrière-plan la considération que le poids des masses suffit en soi à triompher – mais on a tout de même les éléments fondamentaux de l’affirmation du socialisme par la révolution.

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  • Le premier congrès de la seconde Internationale et l’opposition au militarisme

    L’esprit internationaliste du congrès devait nécessairement s’allier à une dénonciation du militarisme. Celui-ci n’existait pas alors seulement comme tendance du capitalisme au repartage du monde, ni même comme simple expression allant de pair avec le colonialisme. C’était aussi une expression des puissants restes féodaux existant dans de nombreux pays.

    Voici la résolution qui fut prise alors, 25 ans avant la première guerre mondiale.

    « Le Congrès international ouvrier socialiste de Paris,

    Considérant :

    Que l’armée permanente ou la force armée au service de la classe régnante ou possédante, est la négation de tout régime démocratique ou républicain, l’expression militaire du régime monarchique ou oligarchique et capitaliste, un instrument de coups d’État réactionnaires et et d’oppression sociale ;

    Que, résultat et cause du système de guerres agressives; danger constant de conflits internationaux, l’armée permanente et la politique offensive dont elle est l’organe, doivent faire place à la politique défensive et pacifique de la démocratie, à l’organisation du peuple entier exercé, armé, non plus pour le pillage et la conquête, mais pour la sauvegarde de son indépendance et de ses libertés ;

    Que l’armée permanente, cause incessante de guerre est, ainsi que l’histoire le démontre, incapable de défendre un pays contre les forces supérieures d’une coalition et que sa défaite laisse le pays désarmé, à la merci des vainqueurs, tandis que la nation préparée, organisée, armée, serait inaccessible à l’invasion ;

    Que l’armée permanente est la désorganisation de toute vie civile, enlevant à chaque nation pour l’encaserner, la démoraliser, sa meilleure jeunesse, à la période d’apprentissage, d’études, de plus grande activité et d’action ;

    Qu’ainsi le travail, la science et l’art se trouvent stérilisés, arrêtés dans leur essor ; le citoyen, l’individu, la famille atteinte dans leur existence, dans leur développement ;

    Qu’au contraire dans l’armée vraiment nationale, ou nation armée, le citoyen poursuit dans la vie nationale le développement de ses aptitudes, de ses facultés, exerce ses fonctions militaires comme un attribut nécessaire de sa qualité de citoyen ;

    Considérant :

    Que l’armée permanente, par les charges incessamment accrues de la dette de guerre, par les impôts et emprunts toujours aggravés qu’elle motive, est une cause de misère et de ruine ;

    Répudie hautement les projets belliqueux entretenus par des gouvernants aux abois ;

    Affirme la paix comme condition première et indispensable de toute émancipation ouvrière ;

    Et réclame, avec la suppression des armées permanentes, l’armement général du peuple sur les bases suivantes :

    L’armée nationale ou la nation armée formée de tous les citoyens valides, organisés par région, de telle sorte que chaque ville, chaque canton ait son bataillon, composé de citoyens qui se connaissent, réunis, armés, équipés et prêts à marcher, s’il le faut, dans les vingt-quatre heures.

    A chacun, son fusil et son équipement à domicile, comme en Suisse, pour la défense des libertés publiques et de la sécurité nationale.

    Le Congrès déclare en outre que la guerre, produit fatal des conditions économiques actuelles, ne disparaîtra définitivement qu’avec la disparition même de l’ordre capitaliste, l’émancipation du travail et le triomphe international du socialisme. »

    Le refus du militarisme est alors une composante essentielle du mouvement ouvrier, mais on voit bien que, l’idéal étant l’armée « démocratique » suisse, il y a de grandes faiblesses de compréhension de la nature de l’État.

    C’est précisément sur cette question que le passage du capitalisme à l’impérialisme va poser de terribles problèmes, en raison de la formation de couches corrompues du prolétariat, de l’opportunisme face aux « progrès » du capitalisme, de la capitulation devant le nationalisme.

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  • La fondation de la seconde Internationale au congrès de Paris

    Le congrès socialiste international se tint à Paris du 14 au 21 juillet 1889, une date choisie par les socialistes français. Sur les murs, on pouvait lire les slogans « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », « Expropriation politique et économique de la classe capitaliste, socialisation des moyens de production », ainsi qu’une salutation des ouvriers socialises d’Europe et d’Amérique « au nom du Paris de juin 1848 et de mars, avril et mai 1871 et de la France de Babeuf, Blanqui et Varlin ».

    Il y avait initialement 391 délégués de 20 pays, pour 383 mandats représentant à peu près 300 organisations socialistes et ouvrières. Dès le 17 juillet il y avait déjà 467 délégués et leur nombre continua de s’élever.

    Une figure de marque manqua : Friedrich Engels. Il avait dû interrompre sa compilation du troisième tome du Capital de Karl Marx, afin de lutter pour une organisation du congrès sans les possibilistes ; une fois cela réussi, il retourna à ce travail si essentiel.

    Les Allemands avaient envoyé 81 délégués, les Français 211, les Britanniques 20, les Belges 14, les Italiens 13, les Autrichiens 10, les Russes 6 (dont le diffuseur du marxisme en Russie, Georgi Plekhanov), les Suisses 5, les Américains 5, les Roumains 5, les Néerlandais 4, les Polonais 4, les Danois 3, les Norvégiens 3, les Hongrois 3, les Suédois 2, les Espagnols 2.

    À cela s’ajoutait une représentation de Finlande, d’Argentine et de Bulgarie.

    Les marxistes avaient la majorité, avec les Allemands, les Autrichiens, une partie des Français. Les possibilistes étaient tout de même présents par l’intermédiaire d’une partie des Néerlandais ; les réformistes s’appuyaient les Belges, une large partie des Danois, quelques délégués allemands, suisses, britanniques.

    Les anarchistes profitaient des Italiens et d’une partie des Français et des Britanniques.

    L’ordre du jour fut le suivant :

    1. Législation internationale du travail. – Réglementation légale de la journée. Travail de jour, de nuit, des jours fériés, des adultes, des femmes, des enfants, surveillance des ateliers de la grande et petite industrie, comme de l’industrie domestique. Voies et moyens pour obtenir ces revendications.

    2. Des moyens les plus pratiques à employer pour établir des relations constantes entre les organisations ouvrières de tous les pays, sans, pour cela, porter atteinte à leur autonomie.

    3. Des coalitions patronales et de l’intervention des pouvoirs publics.

    4. Fixation de la date et du lieu du prochain congrès. Règlement à adopter pour la convocation, son organisation et la tenue des séances.

    Paul Lafargue souligna que la bourgeoisie avait depuis 1789 fait de la France une bastille capitaliste et souligna que par-delà les différences nationales, c’est le capital qui était l’ennemi. Symbole de cet internationalisme, les deux présidents du congrès élus furent l’Allemand Wilhelm Liebknecht et le Français Édouard Vaillant.

    Est également décidé une manifestation internationale régulière : c’est la naissance du premier mai. En voici la résolution.

    « Il sera organisé une grande manifestation internationale à date fixe, de manière que, dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail, et d’appliquer les autres résolutions du Congrès international de Paris.

    Attendu qu’une semblable manifestation a déjà été décidée pour le 1er Mai 1890 par l’American Federation of Labour, dans son Congrès de décembre 1888 tenu à Saint-Louis, cette date est adoptée pour la manifestation internationale.

    Les travailleurs des diverses nations auront à accomplir cette manifestation dans les conditions qui leur sont imposées par la situation spéciale de leur pays. »

    À cela s’ajoute la mise en place d’une structure internationale. Chaque organisation dispose de son autonomie, mais les liaisons sont vues comme obligatoires entre les membres. Voici la résolution qui, de fait, donne naissance à la seconde Internationale.

    Le congrès déclare :

    1. Que des relations permanentes doivent être établies entre les organisations socialistes des différents pays; mais que dans aucun cas et sous aucune pression, ces relations ne pourront porter atteinte à l’autonomie des groupements nationaux, ceux-ci étant seuls les meilleurs juges de la tactique à employer dans leur propre pays ;

    2. Qu’une invitation sera adressée aux chambres syndicales et groupes corporatifs pour qu’ils se fédèrent nationalement et internationalement ;

    3. Que la création d’un bulletin international rédigé en plusieurs langues sera proposée à l’étude des partis socialistes des différents pays;

    4. Qu’il y a lieu de demander à chaque organisation ouvrière de délivrer à ceux de ses membres qui changent de résidence, une carte destinée à les faire reconnaître par leurs frères de tous les pays ;

    5. Que, dans les différents pays, des comités nationaux soient établis, s’il n’en existe pas, pour entretenir des relations internationales dans l’ordre corporatif et dans l’ordre politique et social ;

    6. Que, chaque année, et pour l’année seulement, le comité national d’un pays, fera office d’organe central international de correspondance, et qu’on interdise à ce comité de prendre une décision quelconque sortant du rôle qui lui est dévolu.

    Article additionnel. – Le ou les comités auront mission de recevoir, traduire et faire parvenir aux parties intéressées toutes les communications qui leur seront adressées concernant les conditions sociales et industrielles des travailleurs. Une copie de cette résolution sera envoyée au secrétaire du comité parlementaire du Congrès des Trade-Unions avec invitation de la porter devant le Congrès annuel qui se tiendra à Dundee en septembre 1889.

    L’unité des socialistes n’est pas organique : elle existe de fait, il y a un état d’esprit commun, il y a le rouleau compresseur qu’est le marxisme se diffusant alors.

    Cependant, il n’y a pas dans la seconde Internationale de centralisation. C’est une sorte de plate-forme transversale. C’est là une limite historique qui ne sera jamais dépassée, malgré les tentatives.

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  • La base de la fondation de la seconde Internationale

    Au milieu du XIXe siècle, il n’y a que l’Angleterre qui dispose d’une réelle base industrielle. Cependant des phénomènes amenèrent une progressions dans le développement du capitalisme dans d’autres pays : la fin de l’esclavage aux États-Unis à la suite de la guerre civile de 1861-1865, l’abolition du servage en Russie en 1861, la formation des États nationaux allemand et italien, l’ouverture au monde du Japon en 1868, le compromis entre l’Autriche et la Hongrie en 1867, le régime de Napoléon III en France.

    Lors du dernier tiers du XIXe siècle, la production industrielle mondiale tripla, alors que la colonisation de l’Afrique se compléta : 10,8 % de son territoire était colonisé en 1876, 90,4 % en 1900.

    Le territoire colonial français passa, lors des vingt dernières années du XIXe siècle, de 0,7 million de km² avec 7,5 millions d’habitants à 30,7 million de km² avec 56,4 millions d’habitants.

    La classe ouvrière commençait son expansion. À la fin du XIXe siècle, la France avait 3,8 millions d’ouvriers et de cheminots, la Grande-Bretagne en avait 4,9 millions, la Russie autour de 1,5 million, les États-Unis 5,3 millions, l’Allemagne 8 millions.

    La productivité était très différente selon les domaines et les régions du monde, comme en témoigne la part en pourcentage dans l’industrie mondiale alors.


    1870 1900
    France 10 % 7 %
    Grande-Bretagne 32 % 18 %
    États-Unis 23 % 31 %
    Allemagne 13 % 16 %
    Russie 4 % 6 %

    C’est en Allemagne que naquit d’abord la social-démocratie, de par l’activité de Karl Marx et Friedrich Engels. Le Parti Social-Démocrate d’Allemagne, mené par Wilhelm Liebknecht et August Bebel, se plaçait dans leur perspective.

    C’était un parti de masse, qui établit lui-même les syndicats, alors qu’inversement en France le syndicalisme se développait à l’ombre de la dépolitisation due à l’écrasement de la Commune de Paris en 1871 et qu’en Grande-Bretagne le parti politique naissait comme prolongement des syndicats.

    Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
    Gravure de 1896 par Otto Marcus

    Le Parti Social-Démocrate d’Allemagne se développa même malgré son interdiction de 1878 à 1890. Il fut rejoint dans son orientation par le Parti Social-Démocratie d’Autriche, né le 30 décembre 1888 et dont le programme fut un important marqueur de la social-démocratie.

    C’est que les pays germanophones avaient accès de manière la plus aisée aux écrits de Karl Marx et de Friedrich Engels, ce dernier menant jusqu’à sa mort en 1895 une inlassable activité en faveur de l’adoption du marxisme par le mouvement ouvrier naissant.

    Le congrès de 1887 du Parti Social-Démocrate d’Allemagne encore illégal appela en ce sens à la réalisation d’un congrès ouvrier international. L’interdiction du Parti en Allemagne et le refus de la part des Britanniques de le mettre en place amena à chercher sa réalisation à Paris.

    Le projet eut le soutien du Parti Ouvrier Belge, du Parti Social-Démocrate du Danemark, des socialistes français et italiens, ainsi que des syndicats allemands de New York.

    Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
    Version suédoise de la gravure d’ Otto Marcus, en 1900

    En France, la Fédération nationale des syndicats, qui tint son congrès à Bordeaux en octobre 1888, représentant 272 organisations, soutint alors l’idée d’un congrès ouvrier international organisé par ses soins à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1889, celle pour qui la tour Eiffel fut construite.

    Elle mit en place un comité d’organisation, présidé par Augustin Daumas et avec comme secrétaires Paul Lafargue et Bernard Besset. Faisaient partie du comité des représentants de la Fédération nationale des syndicats, des socialistes, des membres du conseil municipal parisien, des représentants du groupe des députés socialistes.

    Le souci était que le Parti Social-Démocrate d’Allemagne trouvait inacceptable la participation à un tel futur congrès des possibilistes. Ces réformistes voulant appliquer le socialisme selon ce qui aurait été « possible » entendaient également mener un congrès, l’option se posant alors étant un congrès commun.

    Friedrich Engels écrivit une lettre à August Bebel, 5 janvier 1889, où on lit notamment :

    « Les possibilistes ont lutté à mort contre les nôtres, ceux qu’on appelle les marxistes, en se targuant d’être la seule église, celle « hors de laquelle il n’est point de salut », après avoir absolument interdit toute liaison et toute action commune avec les autres – les marxistes aussi bien que les blanquistes – et conclu une alliance avec l’église londonienne « hors de laquelle il n’est point de salut » – la Social Democratic Federation – dont le but – et non le moindre – est de combattre partout le Parti allemand jusqu’à ce qu’il cède, se rallie à cette triste bande et abjure toute communauté de vue avec les autres français et anglais.

    Par-dessus le marché, il se trouve que les possibilistes sont vendus à l’actuel gouvernement, qui leur paie leurs frais de déplacement, de congrès et de presse à partir de fonds secrets – tout cela sous prétexte de combattre Boulanger et de défendre la République, donc aussi les exploiteurs opportunistes de la France – les Ferry, etc. – , leurs actuels alliés.

    Et ils défendent l’actuel gouvernement radical qui, pour rester en place, doit exécuter toutes les besognes les plus dégoûtantes pour le compte des opportunistes [républicains bourgeois modérés des années 1880]. Ceux-ci ont, par exemple, fait taper sur le peuple lors de l’enterrement d’Eudes, et à Bordeaux, à Troyes comme à Paris, il s’en prend aux drapeaux rouges avec plus de rage que n’importe quel gouvernement précédent.

    Marcher de concert avec cette bande serait renier toute la politique extérieure que vous avez menée jusqu’ici.

    Il y a deux ans, cette bande a fait cause commune à Paris avec les syndicats anglais vendus pour s’opposer aux revendications socialistes, et s’ils ont pris une autre position en novembre, c’était parce qu’ils ne pouvaient faire autrement. Avec cela, ils ne sont forts qu’à Paris, et ils n’existent pas en province (…).

    Les marxistes, qui dominent en province, sont le seul parti anti-chauvin de France et se sont rendus impopulaires à Paris en raison de leur prise de position en faveur du mouvement ouvrier allemand : prendre part à un congrès qui leur serait hostile, ce serait une gifle que vous vous donneriez à vous-mêmes en plein visage. »

    Le Parti Social-Démocrate d’Allemagne exigea que le comité entre à ce sujet en négociation avec les mouvements d’Allemagne, de Belgique, des Pays-Bas et de Suisse. Cela donna la conférence de La Haye à la fin février 1889.

    Étaient également présents notamment le grand artiste William Morris pour la ligue socialiste active en Grande-Bretagne ainsi que des représentants de la social-démocratie danoise.

    Ce fut une réussite, mais les possibilistes menèrent une vaste contre-campagne, se voyant rejoindre par le mouvement ouvrier britannique et belge. Le Parti Social-Démocrate d’Allemagne et Friedrich Engels mirent tout leur poids dans la balance et finalement le Comité d’organisation français appela le 8 mai 1889 à un congrès le 14 juillet, la date étant préférée au mois de septembre initialement choisie.

    Au premier juin, il y avait déjà le mouvement ouvrier de 12 pays, avec 67 de leurs dirigeants, qui avaient rejoint l’appel.

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  • Les années 2010, dernière étape de la période-parenthèse ouverte en 1989

    Nous voulons ici tirer un court bilan des années 2010, car même si les décennies n’ont pas de valeur en soi, elles permettent de contribuer à délimiter des tendances historiques, de se repérer plus aisément.

    Nous tenons à rappeler ici une chose. Nous sommes issus d’une culture politique qui considère que, au milieu des années 1980, l’impérialisme n’est plus que réaction. Il représente à la fois la tendance inéluctable à la guerre et l’aliénation des plus larges masses dans la cadre d’une consommation capitaliste particulièrement développée.

    Les syndicats sont alors une composante sociale-impérialiste du système capitaliste ayant développé l’intégration sociale sophistiquée des masses. Les masses sont plus qu’engourdies : elles voient leur esprit littéralement enterrée sous des mètres de corruptions, d’illusions consommatrices, de déformation massive de la personnalité.

    À l’époque, pour qui n’était pas corrompu, les jeux étaient faits. On était une partie du système, ou on ne l’était pas. Soit on posait sa personnalité en liaison avec une culture à la fois alternative et antagoniste – soit on se faisait aspirer par la machine capitaliste.

    La Fraction Armée Rouge disait avec justesse en 1982 :

    « L’impérialisme ne dispose plus d’aucune perspective productive, positive ; il n’est plus que destruction. C’est là l’essentiel de l’expérience où s’enracine la nouvelle militance dans tous les domaines de la vie.

    Cette expérience est vécue de façon matérielle dans la base économique de la vie, dans l’armement et la préparation de la guerre nucléaire, dans celle des conditions de vie naturelles et sociales, et à l’intérieur de l’individu lui-même, où l’aliénation et l’oppression s’expriment par une déformation massive et la destruction de toute la richesse individuelle de la pensée, de la sensibilité, de la structure de la personnalité.

    La plupart en perdent tout espoir. L’impérialisme dans les centres a perfectionné et systématisé sa domination au point qu’ils ne trouvent plus la force de résister.

    Taux de suicides en forte augmentation, fuite dans la maladie, l’alcool, les tranquillisants, les drogues, voilà la réaction à la réalité d’une longue histoire d’échecs, d’épreuves et de souffrances, de dépolitisation, alors que la violence extérieure n’est plus perçue comme la cause de tout cela.

    Mais de cette dimension de la misère vient aussi la profondeur existentielle des luttes et la haine. Ce n’est plus l’explosion de colère, brève, spontanée.

    Celle-ci s’est consumée au cours de ces années. Voilà le terrain sur lequel se développe maintenant le front révolutionnaire dans le centre. »

    Il existe trois facteurs ayant rejeté cette situation dans le futur – précisément dans la période où nous sommes entraînés. Il s’agit de :

    – l’effondrement du social-impérialisme soviétique ;

    – le démantèlement de sa domination sur l’Europe de l’Est (et, relativement, en Asie), permettant une nouvelle vague d’accumulation capitaliste de la part des vainqueurs occidentaux ;

    – l’intégration complète de la Chine social-fasciste dans le dispositif capitaliste mondial ;

    – l’émergence de nouvelles capacités technologiques, avec l’informatisation et la robotisation.

    Cela a permis une nouvelle immense vague d’accumulation capitaliste. Toutes les échéances étaient alors repoussées.

    Cela a donné, dans les années 1990, l’illusion que le capitalisme était inébranlable et l’altermondialisme est alors apparu sur le devant de la scène comme seule alternative censée être possible, alors que l’Est européen se transformait en semi-colonies occidentales.

    Puis, les années 2000 ont été marquées par d’immenses modifications technologiques généralisées – depuis les téléphones portables jusqu’à l’informatisation et internet – permettant au capitalisme d’affiner ses initiatives, de procéder à des modernisations, de relancer de nouvelles consommations, certains secteurs l’emportant sur d’autres.

    Les années 2010 ont été le prolongement des années 2000, avec à la fois une consommation de masse encore plus élargie et, en même temps, un gouffre séparant une haute bourgeoisie aux mœurs toujours plus oligarchiques, décadentes, et les larges masses.

    Pour nous, la période 1989-2019 n’a été qu’une parenthèse et c’est justement parce que telle a été sa nature qu’il y a eu un développement significatif des idéologies post-modernes, à l’initiative d’intellectuels identitaires produits par l’impérialisme (fondamentalisme islamiste, théorie du genre et LGBT, idéologie de la décroissance, etc.).

    Les années 2010 ont comme aspect principal précisément d’aboutir à un retour aux années 1980, ou aux années 1930, ou aux années 1910, c’est-à-dire à une période où la bataille pour le repartage du monde est engagée, où le capitalisme s’enlise et n’est plus capable de satisfaire à ses propres exigences d’élargissement du profit.

    Les années 2010 n’ont pas de valeur en soi, pas plus que la période allant de 1989 à 2019, au sens où, sur le plan de la définition révolutionnaire, c’est dans les années 1980 qu’ont été décidées les modalités de l’affrontement révolutionnaire. La période 1989-2019 n’a fait que repousser les échéances et approfondir les contradictions – les portant à un niveau plus haut, plus profond, plus aigu.

    Quelles sont ces modalités ?

    La première, c’est la compréhension du poids croissant de la subjectivité dans les métropoles impérialistes. Quelqu’un peut tout à fait comprendre les enjeux et la nature du système capitaliste, mais être tétanisé, écrasé par l’angoisse et capituler. La détermination révolutionnaire relève, non pas d’un choix, mais d’un engagement existentiel dans le processus de libération. Qui cède devant la corruption est emporté et voit sa personnalité déformée, jusqu’à la défaite.

    L’idée de lever un drapeau rouge et de « militer » pour gagner des adhésions n’a strictement aucun sens. C’est une théâtralisation qui n’a rien à voir avec le travail monumental à réaliser : rétablir l’antagonisme, le préserver et trouver refuge dans son activité face à la corruption impérialiste. De la même manière, une révolte spontanée naissant comme réflexe objectif à l’exploitation, l’oppression, etc. ne peut aucunement former le terrain naturel des communistes. Il faut la médiatisation de l’esprit de rupture, d’antagonisme politique et culturel.

    La seconde modalité, c’est la saisie que, grâce à l’ampleur du développement des forces productives, la contre-révolution dispose de davantage de moyens matériels de surveillance et d’études des contestations. Même si la bourgeoisie est une classe décadente, elle profite de davantage d’informations et d’analystes, ce avec quoi elle cherche à compenser sa propre décadence morale, psychologique, intellectuelle.

    La troisième, c’est que le système impérialiste sait manier le principe des compromis, des solutions politiques et sociales, et ce en profitant d’une longue tradition remontant à 1945. Ici, le rôle particulièrement négatif des appareils révisionnistes – le PCF et la CGT, de nature sociale-impérialiste – est à souligner.

    La quatrième, c’est l’importance du processus d’unité et de répulsion, de fédération et d’antagonisme des impérialismes. Le jeu des alliances se modifie, l’affrontement se convertit en rapprochements, et inversement, les impérialismes sont à la fois mutuellement liés et en conflit. La tendance à la guerre peut d’autant moins être spontanément saisie par les masses, elle exige une compréhension communiste et une détermination puissante pour oser faire face à la guerre impérialiste, par principe inéluctable dans le cadre d’un affrontement ayant pour but le repartage du monde.

    La cinquième, c’est l’effondrement de la bourgeoisie comme classe dominante, avec une irruption systématique du relativisme et de la décadence. Cet effondrement contamine toutes les classes, et cela de manière extrêmement approfondie de par le développement des forces productives. Il suffit de voir la fascination morbide existant dans les couches populaires pour le luxe et l’esprit parasitaire.

    La sixième modalité, c’est la perpétuelle recherche de chaque pays impérialiste d’effacer les déséquilibres au moyen de réformes gouvernementales, de modifications légères ou approfondies du régime, de propositions de changement « citoyen », de pseudo élargissement de la démocratie. Il ne s’agit là que de tentatives de relancer l’État en perte de vitesse dans sa nature de tampon entre les classes, au service des classes dominantes.

    Il va de soi que les masses, endormies par la période 1989-2019, sont totalement en décalage avec les exigences historiques. On le voit avec la paralysie morale quant à la question animale pourtant désormais bien connue et l’incapacité à protester de manière réelle contre la destruction environnementale à l’échelle mondiale.

    Il y a l’illusion que le système est finalement stable – on le voit avec la bataille contre la réforme des retraites lancée en décembre 2019 en France, comme si le monde n’aura pas entièrement changé d’ici 20, 30, 40 ans !

    En vérité, les gens ne conçoivent pas que les choses puissent être différentes sur le plan qualitatif. Tout leur apparaît comme largement en continuité, avec plus ou moins d’acquis quantitatifs. Cela est vrai même des pseudos oppositions, soit de la gauche institutionnelle, soit des mouvements d’extrême-gauche : tous exigent un meilleur partage du gâteau. Aucun ne part du principe que le système va s’effondrer.

    La seule mouvance qui a accepté de maintenir le principe d’effondrement inéluctable du capitalisme – celle, pour parler sommairement, autour de Julien Coupat – a vendu son âme, s’effaçant devant la CGT et les gilets jaunes… Comme on est loin de l’Autonomie ouvrière italienne de la fin des années 1970 qui servait de modèle stratégique pour l’affrontement généralisé !

    C’est la preuve, surtout, que sans un haut niveau tant idéologique que culturel, la contamination par les mœurs impérialistes est inévitable, que l’opportunisme s’infiltre et devient le style dominant.

    Le niveau d’exigence a augmenté sans commune mesure.

    La différence est ici fondamentale avec les années 1980, période d’instabilité générale avec l’affrontement des superpuissances américaine et social-impérialiste soviétique en toile de fond. À l’époque, il existait des poches antagoniques, tels les squats, une mouvance contestataire restreinte mais engagée de manière commune, au-delà des différences, dans l’exigence de la rupture. La chose a été rendue impossible dans la période 1989-2019, tout ayant été asséché.

    Il existe bien entendu encore des squats en France aujourd’hui, mais ils ne portent aucunement la démarche rupturiste des années 1980 et, à l’instar des ZAD, ils sont établis dans l’idée de vivre à côté du système. Il ne peut, de toutes façons, plus y avoir de poches isolées d’antagonisme, sorte de base arrière – il ne peut exister que des mouvements définis par l’autonomie prolétarienne portant un antagonisme et reconstituant le tissu prolétarien.

    Par reconstitution du tissu prolétarien, nous n’entendons pas un réveil militant, une hausse des activités telles les grèves ou même un vote adéquat à telle ou telle élection. Nous entendons la prise en considération de sa nature prolétarienne par la classe elle-même.

    Nous voulons dire par là : la fin de la passivité, la fin du regard passif, littéralement spectateur, des événements historiques, avec même le soutien au nationalisme et au populisme comme espoir de geler le cours du temps.

    Il ne s’agit pas de défendre des « acquis » individuellement de manière collective – mais de partir de la nature de la classe ouvrière, de son rôle historique, de son aliénation et de son exploitation et donc de son antagonisme.

    L’affrontement révolutionnaire jusqu’à l’insurrection est inscrite dans la classe ouvrière elle-même – le fait qu’elle ne l’assume pas rend son existence encore plus intenable alors qu’elle est broyée par le capitalisme.

    Passive et abrutie, désorientée et culturellement à la traîne, idéologiquement inexistante et sans habitude de travail en direction de la prise du pouvoir, la classe ouvrière doit voir se rétablir chacun de ses secteurs, pas à pas, dans le processus de libération prolétarienne – par l’antagonisme.

    C’est le sens de l’autonomie prolétarienne.

    Lutter ensemble !

    Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)

    Janvier 2020

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  • Avec nous, le matérialisme historique (contre les marxistes «à la française»)

    La parution du dossier sur la fondation « syndicaliste révolutionnaire » de la Confédération Générale du Travail témoigne une fois de plus du caractère incontournable de nos dossiers. Pour la première fois, il y a l’explication de la matrice ayant donné naissance au style de la « minorité agissante », avec une présentation de pourquoi la CGT s’est toujours considérée comme bien plus qu’un simple syndicat.

    Par les Bourses du travail et une structuration à deux niveaux (fédéral à l’horizontale et à la verticale), la CGT a intégré dans sa matrice l’illusion de former un contre-monde, censé être le modèle réduit de la société de demain. Pour la CGT, l’histoire est l’histoire de la lutte syndicale.

    C’est là une contribution fondamentale à la compréhension de la France, soulignant une fois de plus que le cœur du problème dans notre pays, c’est qu’il n’y a pas eu dans le passé de social-démocratie, mais seulement un jeu d’équilibre entre un opportunisme électoraliste socialiste-républicain et un syndicalisme révolutionnaire mêlé à l’anarchisme.

    Qui veut être en mesure d’assimiler le marxisme doit nécessairement partir de là. Notre existence est justement la compensation de l’inexistence du marxisme dans notre pays ; telle est la source de la dynamique nous permettant de décliner les dossiers de manière particulièrement approfondie.

    Il va de soi que, de par le primat de la pratique, de la dignité du réel, cela s’appuie non pas une abstraction théorique, mais bien sur l’activité communiste concrète.

    En ce sens, il faut de nouveau rappeler l’absurdité de nos critiques et détracteurs. Ceux-ci prétendent exister et disent que nous n’existons pas : pourquoi alors sont-ils incapables de fournir des analyses matérialistes historiques, alors que leur implication devrait les amener à saisir la réalité et à l’expliquer ?

    Si vraiment ces gens existent et luttent, pourquoi alors ne voient-ils pas l’importance de la question du calvinisme, dont l’écrasement implique de si lourdes conséquences dans l’histoire de notre pays et les mentalités de la population ?

    Ce dossier sur la CGT syndicaliste révolutionnaire en est une nouvelle preuve de qui mène le travail de fond et de qui ne le fait pas. En effet, les organisations se prétendant « révolutionnaires » soutiennent toutes la CGT de manière unilatérale, même si elles sont parfois en apparence critiques de la direction. C’est là se mettre à la remorque de la conception de la « minorité agissante », de l’action directe, et c’est tout à fait anti-marxiste.

    S’il y avait une activité concrète, ces organisations auraient dû le remarquer et adopter une position différente, proposer des choses non dépendantes de la CGT. Elles ne le font pas, car leur activité est en réalité simplement du syndicalisme dur, pratiquement syndicaliste révolutionnaire, à la remorque de l’idéalisme de la grève générale.

    Il suffit de voir la situation telle qu’elle est : les « marxistes » à la française ne produisent aucune analyse matérialiste historique, pour eux le marxisme est seulement une méthode, quelques recettes d’ordre politique. Leur démarche peut être résumé sur un ticket de bus.

    Tel est le prix à payer quand on ne trouve pas le moyen d’accéder au marxisme. A l’opposé, nous avons découvert ce moyen et nous l’employons. La production de nos dossiers en témoigne et c’est le reflet d’un travail réel pour transformer la réalité, et non pour la suivre passivement ou chercher à forcer le cours de l’histoire.

    Même si une personne peut être amené à se trouver en désaccord avec telle ou telle thèse de tel ou tel dossier, il est inévitable qu’elle passe par notre travail, de par la puissance des contributions faites. Tel est le caractère politique central de l’idéologie.

    Nous avons levé le drapeau du matérialisme historique – qui permet de comprendre la réalité et de la transformer.

  • La CGT de 1909 à 1914

    L’échec de la direction syndicaliste révolutionnaire amena les réformistes à maintenir la CGT dans une même perspective, mais sans la confrontation par l’action directe.

    Affiche dénonçant la répression de 1908 avec une citation d’Aristide Briand de l’époque où il était syndicaliste révolutionnaire, et désormais membre du gouvernement

    Emile Pouget, qui dirigeait l’hebdomadaire de la CGT La Voix du Peuple depuis sa fondation en 1900, est mis de côté en 1909.

    L’action directe de la CGT était marquante, mais trop de défaites s’étaient accumulées. Il y a eu des centaines de révocations et le gouvernement a été en mesure de réaliser trop de contre-interventions. Lors de la grève totale des électriciens de mars 1907 à Paris, ce sont ainsi les soldats du génie envoyés par le gouvernement qui se voient appelés pour rétablir le courant.

    Émile Pataud, dirigeant syndicaliste révolutionnaire des électriciens, peut encore pour quelques temps avoir ses heures de gloire, la presse le surnommant le « Roi de l’ombre » ou encore le « Prince des ténèbres » pour ses actions coups de poing, comme lors du banquet à l’Hôtel Continental du ministre du travail René Viviani en mars 1909.

    Émile Pataud à la tribune lors d’un meeting
    à l’occasion de la grève des postiers, le 14 mai 1909

    Le gouvernement met toutefois fin à la récréation sous peine de prison, ce à quoi il échappe en fuyant en Belgique en 1910 pour avoir tenté une opération de soutien à la grève des cheminots, amenant l’intervention de l’armée. Il fréquente alors Émile Janvion, un autre syndicaliste révolutionnaire passant à l’extrême-droite, les deux étant finalement exclus de la CGT.

    Couverture de L’assiette au beurre, une revue satirique d’esprit anarchiste

    Même la grande révolte des viticulteurs et vignerons en mai-juin 1907, notamment contre les vins trafiqués, est à la fois réprimée et intégrée, malgré son ampleur (50 000 personnes à Narbonne, puis 150 000 à Béziers, enfin 700 000 à Montpellier).

    L’instauration des retraites ouvrières et paysannes en 1910, même de manière très partielle, ouvre de plus un espace aux revendications syndicales.

    La nomination de Léon Jouhaux au poste de secrétaire de la Confédération générale du travail reflète alors la nouvelle mise en perspective. La CGT ne change rien à son identité : lorsque sort la nouvelle revue La Vie ouvrière en octobre 1909, elle se définit comme syndicaliste révolutionnaire et antiparlementaire.

    Seulement, à l’image de Léon Jouhaux qui sera secrétaire de la CGT jusqu’en 1947, puis de la CGT Force Ouvrière jusqu’en 1954, le réformisme prime sur l’anti-Etatisme, même si celui-ci est assumé.

    Un fait majeur ici est la fin des fédérations de métier, qui laissent entièrement la place aux fédérations d’industrie. Le développement du capitalisme français anéantit de fait le terrain des toutes petites entreprises, terreau du syndicalisme révolutionnaire.

    De même, les Bourses du travail s’effacent officiellement en 1913 devant les unions territoriales, au niveau du département. L’idéal de la contre-société se maintient, mais le terrain pratique propice à la fraction la plus dure a disparu.

    La CGT est alors constituée, mais n’existe donc que comme structure semi-syndicale, avec une prétention sociale anti-politique et rétive aux interventions de l’État. Elle vit parallèlement à la société, et lorsque la guerre de 1914 arrive, elle se plie au mouvement, écrasée par la pression.

    Celui-ci signifie également son effondrement. La CGT a 400 000 adhérents en 1908, 450 000 en 1912, mais 300 000 en 1914 et même seulement 50 000 en 1914 avec la mobilisation. De plus, la CGT ne représente de ce fait que la moitié des syndiqués, ceux-ci ne représentant qu’une toute petite partie des travailleurs.

    Condamnée à l’absence d’impact, la CGT avait toutefois donné naissance au principe de la minorité agissante opérant sur le terrain syndical, avec éventuellement une prétention à former une société nouvelle qu’elle représenterait elle-même en miniature. En apparence un syndicat, la CGT était une structure « syndicaliste  révolutionnaire ».

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    de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)

  • L’action directe et l’écrasement par l’État de la CGT du début du siècle

    La grande mobilisation de la CGT dans un esprit d’action directe est en faveur de la journée de huit heures. Reprenant le principe de la manifestation du premier mai à la social-démocratie, la CGT compte en faire une démonstration de force en 1906. A partir de cette date, les travailleurs sont censés arrêter de travailler à la huitième heure.

    Dès 1905 le processus de propagande intense est en cours ; le texte suivant fut diffusé par affiche à cent mille exemplaires :

    « Nous voulons la journée de huit heures. La réduction de la journée de travail s’impose, tant au point de vue physique que moral et social. Il y a intérêt personnel et intérêt social – c’est-à-dire intérêt de solidarité – à réduire le plus possible la durée du travail.

    Que faut-il faire ? Devons-nous, comme on a eu trop tendance à le faire, continuer à nous en reposer sur le bon vouloir des législateurs ? Non !

    De nous-mêmes doit venir, l’amélioration de notre sort ! Les libertés ne se mendient pas : elles s’arrachent de haute lutte !

    Vouloir, c’est pouvoir. Voulons donc la journée de huit heures et nous l’aurons ! »

    Bourse du travail à Paris
    À partir du 1er mai 1906 nous ne travaillerons que 8 heures par jour

    La CGT compte alors 2 400 syndicats pour 203 000 adhérents, soit le double de 1902 ; elle est ultra-minoritaire chez les travailleurs (4-5% seulement), mais elle a atteint une masse suffisante pour chercher à jouer la minorité agissante.

    La catastrophe de la mine de Courrières le 10 mars 1906, faisant 1200 morts chez les mineurs, provoque alors une grande tension, 40 000 mineurs faisant grève avec également des affrontements dans la foulée. En avril, les grévistes sont 200 000 dans la métallurgie, le livre, le bâtiment, l’ameublement, la voiture.

    Georges Clemenceau, président du conseil et ministre de l’Intérieur, fait alors en sorte d’écraser la manifestation du premier mai aux moyens de la police et de l’armée dans tout Paris, avec 800 arrestations, de nombreux blessés voire même des morts. Auparavant, il avait fait perquisitionner les locaux de la CGT, fait arrêter le secrétaire général et le trésorier.

    Si les manifestations ont également eu lieu dans le Nord, ainsi qu’à Bordeaux, Brest, Toulon notamment, il faut attendre quelques jours toutefois pour qu’une nouvelle vague de grève resurgisse, avec 200 000 grévistes à Paris et un mouvement à Lyon. L’initiative s’enlise finalement rapidement, laissant la CGT avec la fierté d’avoir lancé un mouvement d’ampleur, mais sans le succès escompté.

    Cela suffit néanmoins à maintenir l’option autocentrée initiale. Lorsque, après cet épisode, le guesdiste Victor Renard proposa, au congrès d’Amiens en octobre 1906, que la CGT s’ouvre aux socialistes, sa motion fut littéralement écrasée, par 736 voix contre 34, avec 37 abstentions.

    Ce sont donc les forces anarchistes qui prédominent à la CGT, avec une opposition réformiste ; au même congrès la motion antimilitariste et antipatriotique est votée par 488 voix contre 310 avec 49 abstentions. Georges Clemenceau prolonge alors la répression à l’occasion d’une séquence marquante.

    En mai-juillet 1908 se tient à Draveil un mouvement grève de terrassiers, que les patrons tentent de casser avec des « jaunes ». La tension monte et la police tue deux grévistes, puis encore deux autres à bout portant dans une salle de permanence syndicaliste remplie de gens.

    L’ensemble de la séquence va alors amener 667 ouvriers à être blessé et 20 à être tués, 4 l’étant (et 200 blessés) à Villeneuve-Saint-Georges le 30 juillet 1908, lors d’affrontements de plusieurs centaines d’ouvriers avec plusieurs régiments de cavalerie.

    C’était le point culminant d’une fuite en avant dans « l’action directe » de la CGT, avec en sous-main l’action de l’agent provocateur Lucien Métivier, agissant directement sur les ordres de Georges Clemenceau pour mettre de l’huile pour le feu.

    Le gouvernement en profita pour arrêter 31 dirigeants de la CGT ; l’appel de la CGT à la grève générale pour le 3 août fut dans un tel contexte une défaite. Le gouvernement fit en sorte que le patronat lâche un peu de lest pour que le travail reprenne, avant d’annoncer une amnistie au début de l’année 1909.

    Il faut noter ici le rôle d’Aristide Briand, ancienne figure syndicaliste révolutionnaire devenu Ministre de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Cultes de Georges Clemenceau.

    C’était une défaite pour la CGT et en conséquence, à son congrès de Marseille en octobre 1908, les réformistes prennent le dessus aisément en l’absence des dirigeants syndicalistes révolutionnaires et dans l’atmosphère de défaite.

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    de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)

  • L’origine de la CGT :une structure indépendante para-syndicale

    La Confédération Générale du Travail n’est à ses yeux pas qu’un syndicat ; en raison des Bourses du travail, elle se considère comme le laboratoire de la société future. Le paradoxe est pourtant que ce sont les municipalités qui fournissent les bâtiments et que ces Bourses accompagnent l’évolution du capitalisme, puisqu’elles sont formées là où une industrie puissante se développe.

    Les Bourses du travail apparaissent ici comme des tampons produits par le capitalisme lui-même au moyen de la bourgeoisie la plus avancée, soucieuse d’encadrement. La conception même d’une Bourse du travail fut d’ailleurs élaborée principalement par Gustave de Molinari (1819-1912), un économiste belge d’orientation libérale cherchant à mettre en place un lieu de rencontre de l’offre et de la demande d’emploi.

    Il fondit à cette occasion le journal Bourse du travail en 1857. Les socialistes français, d’orientation proudhoniste, fédéraliste, anarchiste, n’ont fait que reprendre le principe pour le détourner dans un sens corporatiste-revendicatif. Aristide Briand, figure à l’origine des Bourses du travail, deviendra ensuite l’une des plus grandes figures du réformisme et proposera justement le principe du contrat collectif supervisé par les syndicats.

    Qui plus est, la CGT bascula justement dans le réformisme sous la pression de la cessation des subventions municipales aux Bourses du travail (Dijon et Limoges en 1906, Agen, Châlon sur Marne, Châteauroux, Lons-le-Saunier, Issoudun, La Pallice, Marmande, Villeneuve-sur-Lot, Nancy, Périgueux en 1907, Calais en 1908, Lorient, Saint-Malo, Saint-Nazaire en 1909), voire de leur fermeture (Brest, Caen et Oran en 1906).

    On a ainsi une installation réformiste-sociale avec l’idée d’un lieu de rencontre pour les embauches, ensuite une phase d’occupation contestataire dans un esprit anarchiste, puis finalement une remise à zéro des compteurs, le « réalisme » l’emportant.

    C’est cette dynamique qui fait que la CGT a, jusqu’en 1914, deux tendances principales en son sein : les partisans de l’anarchisme et les réformistes. C’est d’autant plus vrai que le taux de syndicalisation est terriblement faible en France et que les ressources matérielles dépendent de la quête d’un rapport constructif avec les municipalités finançant les Bourses du travail.

    Pire encore sur le plan des moyens et de l’ampleur, à sa fondation, la CGT n’a initialement pas comme membre ni la Fédération des mineurs, ni celle des ouvriers du tabac, ni celle des travailleurs de la marine.

    Quant au niveau interne d’organisation, il est pathétique. En 1896, la CGT dispose de 31 groupes, mais seulement 4 fournissent la cotisation normale, 7 le dixième de la cotisation normale, les autres riens et 7 ne maintiennent même plus de contact. Il y aura également quatre secrétaires les six premières années, avec une grande instabilité dans la direction. À cela s’ajoute le refus de permanents : en 1909, ils ne sont que quatre.

    La CGT, à sa fondation, c’est en réalité surtout le syndicat du livre et le syndicat national des travailleurs des chemins de fer de France et des colonies. Son existence est parallèle à ceux des socialistes, qui eux sont occupés à aller dans le sens de leur unification dans le Parti socialiste Section Française de l’Internationale Ouvrière.

    Elle est également parallèle l’organisation de mutuelles de santé, nécessaires en raison de l’absence de sécurité sociale : la Fédération nationale de la mutualité française fondée en 1902 rassemble rapidement trois millions d’adhérents.

    Affiche de la CGT sur une ligne ultra, opposée unilatéralement à un système de retraites
    qui de toutes façons apparaît comme inopérant de par la mortalité ouvrière

    La CGT vit ainsi à l’écart tant de la politique des réseaux d’entraide populaire, assumant une posture syndicaliste révolutionnaire ouverte. En 1898, Fernand Pelloutier pouvait encore affirmer la chose suivante, typiquement représentative du caractère anti-Etatiste jusqu’auboutiste du syndicalisme révolutionnaire :

    « Comment les ouvriers qui ont accepté la lutte des classes viennent-ils demander des retraites à la société capitaliste ? Nous avons lutté depuis si longtemps pour faire comprendre aux ouvriers à travailleur eux-mêmes à leur bien-être naturel, et aujourd’hui, on veut soumettre au congrès des projets de loi pour demander aux capitalistes des retraites ouvrières. »

    D’ailleurs, le principe faisant que chaque syndicat dispose d’une voix renforce l’idée de fédéralisme, d’assemblage uniquement pratique, d’union dans l’esprit de combat. Pour cette raison, le programme de la CGT consiste en des mobilisations pour l’action et en des actions pour la mobilisation.

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    de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)

  • L’action directe substitutiste comme pratique à l’origine de la CGT

    La pratique syndicaliste révolutionnaire est directement issue de la vision du monde des bourses du travail. Il ne faut pas penser que la démarche des bourses du travail disparaît une fois la Confédération Générale du Travail (CGT) fondée : en réalité, elle se maintient.

    Dans le Journal des Correspondances, organe officiel des syndicats affiliés à la commission syndicale du Parti Ouvrier Belge, on lit en septembre 1908 une présentation de la CGT française. Il y est expliqué que :

    « Chaque syndicat est autonome. Il adhère, d’une part, à sa fédération de métier ou d’industrie, et, d’autre part, à son union locale (dénommée improprement Bourse du Travail). Cette double affiliation est strictement obligatoire.Chaque fédération est autonome ; les décisions des Congrès généraux, qui se tiennent tous les deux ans, ne sont pas impératives ; ce ne sont que des indications générales, dont les fédérations et les syndicats s’inspirent dans la mesure qu’ils jugent opportune (…).

    En dehors de tout principe théorique, ce fédéralisme extrême est rendu absolument indispensable par suite des anciennes rivalités, mal apaisées, et des différences de conceptions philosophiques.

    Mais il est indéniable que ces divergences – nées des luttes politiques d’antan – s’apaisent progressivement, et qu’un esprit confédéral commun se dégage peu à peu.

    Cet esprit confédéral commun, qui se dégage non d’une théorie mais des faits de chaque jour, est ce que l’on a appelé le « syndicalisme révolutionnaire » (…).

    Beaucoup d’encre a été versée au sujet de l’action directe. Question d’étiquette, assurément, car elle n’est autre que l’ensemble des moyens purement syndicaux, tels qu’ils sont employés dans tous les pays.

    L’originalité de l’Action Directe est peut-être la conception philosophique qui est à sa base, selon laquelle la Force est le fondement du Droit. »

    Le syndicalisme français de la Confédération Générale du Travail a ainsi maintenu à travers son développement sa double structure, à la fois par fédération professionnelle et par union locale / départementale ; il y a une répartition de l’identité et de la pratique syndicales qui est issue de cette structuration.

    En effet, si la pratique est celle de la fédération professionnelle, l’identité est celle de l’union locale, départementale, etc., qui est quant à elle interprofessionnelle. Il y a ainsi une pratique économiste locale et un imaginaire de portée générale.

    Cette incohérence explique la vision que la CGT a d’elle-même, ainsi que sa démarche de « minorité agissante ».

    Émile Pouget (1860-1931), figure du mouvement ayant notamment écrit sur le sabotage, explique la chose suivante dans sa brochure La confédération générale du travail :

    « Le groupement des syndicats d’une même ville s’est fait plus spontanément que le groupement fédéral corporatif, rayonnant sur toute la France. Il a d’ailleurs été facilité par l’appui de municipalités, qui, avec une arrière-pensée politique, ont donné locaux et subventions à ces agglomérats de syndicats.

    Ces institutions nouvelles ont pris le titre de Bourses du Travail. Les municipalités avaient espéré que ces organisations limiteraient leur action au terre-à-terre corporativiste et avaient escompté par leurs largesses, s’attirer la reconnaissance des syndicats, s’en faire une clientèle électorale.

    Or, la Bourse du Travail est, en devenir, l’organisme qui, dans une société transformée, où il n’y aura plus possibilité d’exploitation humaine, se substituera à la municipalité. »

    On est ici dans une fiction : il y a une lutte terre à terre, le plus local, le plus élémentaire, mais il y a l’imagination d’en même temps lutter au niveau le plus général. Cette fiction tient au caractère interprofessionnel, qui sert de masque général à une réduction de la lutte au particulier.

    Émile Pouget

    De fait, le syndicalisme révolutionnaire n’a jamais produit d’analyse de la société, d’analyse culturelle, d’analyse économique, ni même de plan syndical pour la gestion de la société toute entière. Il n’a jamais dépassé le niveau :

    – d’un discours antipolitique systématique focalisé sur l’anticommunisme ;

    – d’une démarche classiquement syndicale avec la mise en avant d’un mythe mobilisateur : la grève générale.

    Ainsi, c’est le syndicalisme le plus traditionnel qui est réalisé, mais il y a une imagerie ultra-révolutionnaire.

    Si ce syndicalisme traditionnel est cependant appelé « action directe » lorsqu’il parvient à donner naissance à un mouvement, c’est qu’il aiderait prétendument les travailleurs directement, à leur niveau, et donc les unifieraient en tant que classe. Victor Griffuelhes, alors qu’il vient de quitter la fonction de secrétaire de la CGT en 1909, explique dans sa brochure Le syndicalisme révolutionnaire que :

    « À la confiance dans le Dieu du prêtre, à la confiance dans le Pouvoir des politiciens inculquée au prolétaire moderne, le syndicalisme substitue la confiance en soi, à l’action étiquetée tutélaire de Dieu et du Pouvoir il substitue l’action directe – orientée dans le sens d’une révolution sociale – des intéressés, c’est-à-dire des salariés (…).

    Le syndicalisme, répétons-le, est le mouvement, l’action de la classe ouvrière ; il n’est pas la classe ouvrière elle-même.

    C’est-à-dire que le producteur, en s’organisant avec des producteurs comme lui en vue de lutter contre un ennemi commun : le patronat, en combattant par le syndicat et dans le syndicat pour la conquête d’améliorations, créé l’action et forme le mouvement ouvrier. »

    C’est là une conception authentiquement substitutiste. C’est l’action qui formerait le mouvement la classe ouvrière, celle-ci consistant ici uniquement en un stock de ressources pour une initiative idéaliste-volontariste.

    Le syndicalisme révolutionnaire, c’est ainsi le syndicaliste en « mouvement », en « action ». Comme il n’y a pas de médiation politique ou culturelle, cette action est immédiate, elle est « directe ». Elle s’imagine comme ayant une portée générale, car l’identité passe par les unions locales, départementales, les bourses du travail.

    C’est une illusion complète aveuglant ses partisans qui s’auto-intoxiquent comme menant un travail d’ampleur et de profondeur, alors que c’est du simple syndicalisme.

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    de la période syndicaliste révolutionnaire (1895-1914)