Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • Enquête sur les maos en France: Fernand (1971)

    [Cette enquête date de 1971, juste après l’auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s’éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L’enquête consiste en des interviews des membres de l’ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.]

    FERNAND. – Je suis né ici, dans cette pièce où nous sommes. Mon père et mon grand-père étaient là avant moi, mais eux, à ce que j’en sais, ils ne se faisaient pas de mauvais sang.

    Ils n’étaient pas endettés.

    Au contraire, mes parents avaient même de l’argent placé.

    Ils avaient même de l’argent dans la théière.

    Ils vivaient avec moitié moins de capital.

    Ils avaient moins de matériel.

    Un vieux tracteur, et ça allait. Avant la guerre ce n’était pas comme maintenant, la concentration capitaliste n’était pas aussi poussée. Cette année, je vais faire mille quintaux de céréales.

    Eux, ils en faisaient une centaine et ils gagnaient plus.

    On vendait tout facilement.

    On vendait n’importe quel produit.

    Enfin, pas tellement, je me rappelle en 38, ils avaient deux ans de blé dans le grenier.

    Ils n’arrivaient pas à le vendre, mais comme ils n’étaient pas endettés ça allait quand même…

    Aujourd’hui ceux qui peuvent ne pas emprunter, ils ne sont pas malheureux.

    Mais il faut pouvoir payer toutes les charges fixes, toutes ces dépenses qu’on ne peut pas supprimer.

    La protection sociale, j’en ai pour trois cents billets.

    Qu’est-ce qu’on peut y faire? Le progrès c’est le progrès!

    On consomme plus de services qu’avant, et le médecin et le vétérinaire, avant, ils ne vivaient pas mieux que nous.

    Le médecin de Saint-M., je le connaissais bien.

    Toute sa vie il a eu une traction, et puis à la fin de sa vie il a acheté une petite baraque avec trois, quatre hectares. Tandis que le médecin, aujourd’hui, il a deux voitures, un bateau à voiles et tout le bazar.

    Alors quand il va chez l’ouvrier agricole, pour une angine, c’est 2 700 balles!

    Il y a maintenant des gens qui gagnent trop d’argent et d’autres pas assez.

    Le vétérinaire, c’est la même chose.

    Il n’achetait pas des prés, des maisons.

    Celui qui s’est installé ici, au moment de la guerre d’Algérie, il a déjà acheté cinq maisons.

    L’année dernière, je n’ai pas eu une seule vache malade et je lui devais 250 000 francs.

    Cette année, pour six mois, je lui dois déjà 370 000 francs et je n’ai pas eu de vrai pépin.

    J’ai 47 ou 50 bêtes, veaux, vaches, tout compris.

    La ferme a 53 hectares. Je fais 26 hectares en céréales, le reste en prés. Mon père faisait 10 hectares en céréales, ça lui suffisait.

    Pour la viande, il n’y avait pas de coopérative, maintenant il y en a une mais le prix de la viande n’est jamais garanti.

    Cette année, c’est trente centimes de moins que l’année dernière.

    C’est un marché difficile, la viande. Tout le monde est en difficulté.

    Ceux qui administrent les S.I.C.A.V. essayent d’éponger leur déficit.

    C’est nous qui faisons les frais. Peut-être que le bifteck monte chez le boucher, mais ici on a vendu trente centimes de moins. Le blé au contraire a augmenté.

    Il est à cinquante balles.

    Mais, c’est un risque de ne plus faire de viande.

    S’il pleut toute l’année et qu’on ne ramasse pas beaucoup de céréales…

    Et puis, pour le Crédit agricole, les vaches c’est une garantie.

    On peut emprunter sur les vaches, sinon ils ne dorment pas tranquilles.

    Quand j’ai pris la place de mon père, je n’avais rien.

    Son vieux tracteur, deux juments, ça faisait peut-être cinq cent mille balles. Maintenant, qu’est-ce que j’ai? Sept enfants et des dettes.

    Et encore mon loyer n’est pas cher : 850 000 par an, mais aussi ce n’est pas une bonne ferme.

    La terre est moins bonne qu’ailleurs. Le propriétaire vient de temps en temps.

    J’avais fait un séchoir à maïs. Il me l’a fait enlever.

    Sous prétexte que ça gênait dans le paysage, même s’il n’est pas là.

    J’ai labouré des prés, je n’avais pas le droit. On n’a le droit de rien. Peut-être qu’à la fin de ma vie, j’aurais payé l’emprunt au Crédit agricole, alors les vaches seront à moi.

    Ici les paysans ne quittent pas la terre autant que dans d’autres régions, parce que les superficies sont plus grandes.

    Les fermes en dessous de vingt hectares sont rares.

    On est au-dessus de la moyenne nationale question superficie. Mes enfants,m’aident mais on n’oserait pas leur demander de rester à la ferme.

    Ce serait comme vouloir les jeter dans un goufre, dans un précipice.

    Mais que mon fils qui veut être comptable aille compter des billets dans une banque ou qu’il conduise un tracteur, pour moi, c’est pareil.

    Non, j’aime encore mieux garder la terre que d’être enfermé dans une banque.

    Enfin, si ça lui plaît, il peut y aller, je m’en fiche, moi, j’irai pas.

    J’ai été en classe jusqu’à douze ans. Mes enfants peuvent bien y aller jusqu’à dix-huit ans, c’est un attrape-nigaud, ça ne leur sert à rien. Ils n’apprennent rien de plus.

    Ça leur sert juste à les dégoûter de travailler la terre.

    Comme malheureusement tout le monde ne sera pas intellectuel en sortant du lycée, lorsqu’il faudra que les gens prennent un manche, ils trouveront ça mauvais.

    Moi ça ne m’a guère gêné de m’arrêter à douze ans. J’avais des complexes, au début quand j’étais dans les organisations syndicales, mais après je n’en avais plus parce que je voyais que j’en savais autant que les autres. Il y a des trucs que j’ai pas appris mais ça ne me gêne pas beaucoup.

    Mon père ne faisait pas de politique.

    Mon grand-père, lui, était d’extrême-droite.

    Il était militariste, raciste, antisémite, tout quoi!

    Moi, la politique, ça m’a toujours intéressé.

    A la guerre d’Espagne, j’avais une dizaine d’années.

    J’allais chercher le journal pour mon grand-père et pour un voisin.

    Tous les deux ne prenaient pas le même journal et je voyais que sur les deux journaux ce n’était pas pareil : sur le journal de mon grand-père, on parlait des  » rouges « .

    Sur l’autre journal, des  » républicains « .

    Je trouvais que c’était bizarre.

    On ne peut pas dire que mon père soit de gauche. Il ne s’est jamais mouillé.

    Il serait plutôt du genre anarchiste. Il ne pense pas que le communisme puisse s’installer.

    Ça arriverait, il serait peut-être content mais ça ne l’empêche pas de dormir!

    Après la guerre, je lisais tous les journaux qui me tombaient sous la main et je trouvais qu’il y en avait qui déconnaient moins que d’autres.

    J’ai adhéré au M.R.P. en 1951.

    J’allais aux meetings de Maurice Schumann quand il venait par ici.

    Ça nie plaisait : l’alliance avec le parti communiste et avec les catholiques, c’était l’idéal.

    Je trouvais que le tripartisme était un progrès puisqu’au lieu de s’engueuler on voulait la paix.

    Comme j’allais à la messe, ça m’arrangeait, je me disais que c’était un peu plus intelligent qu’avant.

    J’ai quitté le M.R.P. parce qu’une expérience pour moi,
    elle réussit ou elle échoue.

    Si elle échoue, il faut tirer des conclusions.

    Le M.R.P. a échoué parce qu’il n’a pas pu empêcher de Gaulle de reprendre le pouvoir.

    Jusqu’à la construction européenne, on ne pouvait pas encore parler d’échec mais après, si.

    Quand le M.R.P. s’est dissous pour être récupéré par Lecanuet, alors là, je n’étais plus d’accord. D’ailleurs, je n’ai pas quitté le M.R.P., c’est lui qui m’a quitté. Il n’existait plus.

    A ce moment-là, j’étais au C.N.J.A. [Centre National des Jeunes Agriculteurs], à la fédération des exploitants. Au C.N.J.A., les trois quarts des types étaient M.R.P. et le quatrième quart était de droite.

    J’y suis resté de 56 à 63 environ. Ce n’était pas comme aujourd’hui.

    Quand Debatisse a pris le pouvoir, il représentait la gauche.

    Nous étions la gauche. En 57, il a eu à peine 50 % des voix, et c’est seulement en 58 que nous avons été vraiment majoritaires et que nous avons liquidé les autres.

    Debatisse a été tranquille, pour se battre sur le contrôle des sols, l’organisation des marchés, des trucs qui ne veulent plus rien dire aujourd’hui.

    Puis il s’est rallié au régime, il croyait à Debré, à sa loi d’orientation.

    Moi j’avais peine à y croire.

    Je n’étais d’ailleurs pas objectif; j’étais d’avance antigaulliste alors que lui n’avait pas de préjugé.

    Je ne pouvais pas digérer la prise de pouvoir en 58.

    De Gaulle ne devait pas prendre le pouvoir comme ça.

    C’est inacceptable.

    D’ailleurs, je n’ai jamais accepté qu’on dise autant de mal de la IVe.

    Les paysans devraient se souvenir que la IVe République, par rapport à avant 44, c’était vraiment une libération.

    44 c’était aussi important que 36, d’après ce qu’on en sait, parce que 36, je ne m’en souviens pas.

    Au lieu que ce soient les seigneurs qui commandent, pendant un petit temps, ce n’était quand même plus eux.

    Ça a duré trois, quatre ans seulement, mais ça n’empêche pas qu’en 58, il fallait continuer à défendre la IVe République.

    J’étais contre de Gaulle parce qu’il n’a pas cessé de faire la guerre à la République.

    Ça aurait été n’importe quel autre citoyen, il se serait retrouvé en taule tout de suite.

    Républicain, moi, maintenant c’est autre chose. Je ne le suis peut-être plus de la même façon.

    Je ne sais pas mais la République populaire de Chine, ça fait longtemps que pour moi c’est un modèle de démocratie.

    J’étais vice-président du C.N.J.A.

    En 64, j’ai été élu président de la F.N.S.E.A. [Fédération Nationale des SYndicats d’Exploitants Agricoles] de la Nièvre, pour la section des fermiers et métayers.

    Entre C.N.J.A. et F.N.S.E.A., la différence est seulement une question d’âge : il y a les vieux et les moins vieux.

    Le C.N.J.A. a toujours paru progressiste parce qu’il n’y a pas de vieux : après trente-cinq ans on est éliminé.

    Mais il n’y a pas non plus de révolutionnaires parce que dès qu’il se crée une majorité sur des conceptions vraiment nouvelles, ça dégage : tous les deux ans, il y a un groupe qui s’en va.

    Alors il se refait une opposition parce que la même structure reproduit toujours le même phénomène.

    Les dirigeants du C.N.J.A. sont liés au régime.

    Le C.N.J.A. c’est une institution et c’est pour ça que je ne me suis jamais fait d’illusions sur les possibilités d’action.

    A la F.N.S.E.A., il n’y aura jamais non plus de majorité progressiste.

    Les sections les plus riches, celles qui ont le plus de moyens financiers, arrivent à se défendre mieux grâce aux associations de producteurs, voyant cela, les petits exploitants pauvres laissent tomber, ne payent même pas leur cotisation et perdent ainsi tout espoir d’être majoritaires.

    Dans l’Ouest c’est différent mais exceptionnel.

    Les petits paysans sont nombreux et ils ont l’impression qu’ils peuvent encore peser sur la F.N.S.E.A. même s’ils ont peu de résultats.

    Seulement ils vont bien s’apercevoir un jour que ça ne les mène nulle part.

    Enfin, j’espère qu’ils s’en apercevront.
    Si au lieu d’avoir un seul syndicat, on en avait deux, ce serait déjà mieux.

    Il y aurait les ce gros  » dans leur propre syndicat et les  » petits  » dans le leur.

    Je ne m’explique pas pourquoi ça ne s’est jamais fait. Il y a eu des essais mais ça n’a jamais marché. Les paysans ont souvent peur.

    C’est leur principal réflexe.

    Dans les régions où il y a des petits propriétaires, comme en Bretagne, ils se sentent quand même plus libres qu’ici où il y a 60 % de fermiers et de métayers.

    Dire qu’un fermier a peur du propriétaire c’est pas le mot, mais si on est anarchiste ou communiste, on aura plus de mal à trouver une ferme que si on va à la messe.

    Ça pèse sur le comportement des paysans.

    Ils sont toujours dans la crainte, même si ce n’est pas justifié. Le plus simple des réflexes c’est :  » On est bien plus tranquille si on ne s’occupe de rien. « 

    Voilà ce qu’on entend partout.

    Dans les réunions on entend :  » Faut se défendre. Faut agir « , mais quand on demande un secrétaire pour le syndicat, il n’y en a point.

    Personne ne veut se mouiller. J

    e n’y crois d’ailleurs plus guère aux syndicats.

    Et puis, je viens d’être révoqué comme président. Je ne sais pas pourquoi.

    Pour indiscipline peut-être.

    Je leur ai écrit une lettre.

    On a manifesté une fois avec le Secours Rouge.

    C’est peut-être bien la raison de ma révocation.

    Je ne sais pas. Pourtant ce n’est pas défendu.

    J’ai aussi écrit un article dans Le Journal du Centre pour dire pourquoi je refusais de manifester le 17 octobre.

    Oui, c’était sans doute un acte d’indiscipline mais j’aurais dû être sanctionné à ce moment-là, pas maintenant.

    J’avais écrit dans le journal que le syndicat se mettait à réagir quatre mois après la dévaluation alors que tout le dégât était fait, et que cette Journée nationale du 17 octobre ou rien, c’était pareil.

    C’était le dernier article qu’on m’a passé dans le journal.

    On a aussi fondé un groupuscule, l’A.P.T.N., l’Association des Paysans et Travailleurs de la Nièvre, mais on n’a pas dit que c’était dirigé contre le syndicalisme.

    Ce n’est pas un syndicat, ce n’est pas rival de la F.N.S.E.A. Il y a une assemblée dimanche.

    On a un bulletin.

    On est environ une cinquantaine.

    Là tout est permis.

    Selon ce que décide la majorité, on peut aller jusqu’où on veut.

    On peut inventer des méthodes nouvelles.

    Les coopératives d’utilisation de matériel qui n’ont jamais marché sont vues sur une trop petite échelle.

    Nous on voit plus grand. On voit une vraie entraide.

    C’est comme ça qu’on a bien reçu l’idée des  » longues marches  » qui correspondait à un objectif qu’on se proposait : il y a toujours eu des étudiants qui venaient travailler à la campagne pendant les vacances mais nous, ce qu’on voulait à partir de ça, c’est faire venir des politiques de manière à ce que les paysans réfléchissent aux problèmes politiques.

    Dans les statuts de notre association, il est dit que nous devons multiplier les rapports entre les paysans, les ouvriers, les étudiants et intellectuels.

    Pourtant à l’assemblée de dimanche, on n’a pas invité les intellectuels.

    Il ne faut pas qu’on puisse dire que les intellectuels ont poussé dans tel ou tel sens.

    Les paysans ont toujours eu des complexes et les ouvriers aussi. Ils ont peur qu’on dise :  » Les mecs de l’A.P.T.N. ne peuvent pas se diriger tout seuls. « 

    II ne faut pas qu’on puisse dire :  » Les gauchistes de l’A.P.T.N. ce ne sont pas des paysans, ce sont des instituteurs.  » C’est sans doute pour ça que l’instituteur qui était notre trésorier ne peut plus rester.

    Il dit que l’A.P.T.N. doit être exclusivement tenue par des paysans.

    Moi, je n’y peux rien si tout le monde se méfie les uns des autres.

    C’est difficile de mettre le monde ensemble.

    Pour les  » longues marches  » d’étudiants, je me suis engueulé avec le P.S.U. qui voulait grouper les étudiants, les envoyer tous en Bretagne.

    Pourquoi pas ailleurs?

    Nous, on s’est dit, si on peut faire autrement sans s’occuper du P.S.U., on le fera. C’est comme ça que j’ai mis l’annonce dans le journal.

    Je demandais aux paysans qui voulaient recevoir des étudiants de se faire connaître, sous la seule condition qu’ils ne soient pas hostiles aux idées de Mai 68.

    Ça suffisait pour marquer l’idée politique.

    On a fait ça tout seuls puisque tout le monde pense que la Nièvre est un désert politique. On a bien Mitterrand!

    On ne peut pas dire qu’il ne s’active pas, Mitterrand, mais ses activités ne nous intéressent guère.

    Moi je suis marxiste parce que le marxisme est une explication correcte de l’histoire.

    Oui, je pense que je suis communiste, mais il faut être drôlement gonflé pour dire des trucs pareils.

    Enfin, j’ai toujours eu de la sympathie pour le marxisme même quand j’étais catholique.

    Quand j’étais responsable à la J.A.C. [Jeunesse Agricole Chrétienne], on faisait des cercles d’études sur le capitalisme, sur le marxisme, etc.

    J’ai été exclu deux fois justement parce qu’au lieu de respecter le programme de l’année, on faisait les réunions avec des bouquins qu’on achetait nous-mêmes.

    Ça n’allait pourtant pas très loin dans le genre :

    Economie et humanisme, mais c’était déjà trop.

    Ce qui m’a le plus marqué, c’est bête, c’est Jean-Jacques Rousseau.

    Je l’ai lu, j’avais quatorze, quinze ans. Je lisais très vite.

    J’ai toujours lu très vite.

    Quand j’ai quitté l’école l’instituteur m’a dit :  » Je te laisse partir parce que tes parents ont besoin de toi, mais tu viendras le dimanche, je te passerai des livres. « 

    Alors chaque dimanche, j’allais chercher un plein sac de bouquins.

    N’importe quoi, tout ce qu’il y avait dans ses rayons; le dimanche suivant je lui rapportais, j’avais fini.

    Des fois, j’avais fini le vendredi, c’était pas pour m’instruire, j’aimais Victor Hugo, Alexandre Dumas, des conneries comme ça.

    Victor Hugo, ça, ça me passionnait.

    C’était de l’histoire.

    Et puis un jour, je suis tombé sur Rousseau.

    J’en avais entendu parler mais je croyais que c’était difficile à lire, mais après j’ai vu que c’était facile et puis c’était intéressant.

    J’ai commencé par Le Discours sur l’origine de l’inégalité.

    Ça tombait bien, je m’en souviendrai longtemps.

    Après j’ai lu l’Emile pendant mon service militaire.

    Là, j’ai pris tout mon temps et je l’ai annoté tout du long. Je ne le sais pas par cœur mais presque.

    Pour moi, c’est un machin capital.

    Ce que je trouvais le plus beau dans Rousseau, en dehors des idées, c’était le style.

    Pour écrire comme ça, c’est pas des blagues…

    Son style fait peut-être vieux aujourd’hui, mais pas tant que ça. Il faut voir comme les arguments sont balancés.

    De temps en temps j’en relis encore des passages, mais j’ai de moins en moins le temps.

    La doctrine de la J.A.C. c’est la doctrine de l’Église, tout le monde la connaît, ça m’était égal.

    Mais sur la structure, alors là, je n’étais pas d’accord.

    Ce n’était pas démocratique.

    Par exemple, les responsables étaient désignés.

    C’était marrant.

    La première fois, le curé nous convoque, on était déjà triés d’avance, et l’aumônier fédéral nous demande s’il y a des volontaires pour être secrétaire.

    J’ai levé la main.

    Le curé me dit :  » Tu écris bien trop mal « , mais l’aumônier fédéral a dit :  » Ça ne fait rien « , et j’ai été secrétaire.

    Après on a demandé qui voulait être responsable des gamins, on les appelait les  » Pré-J.A.C. « ; comme personne n’en voulait, j’ai encore levé la main et je me suis retrouvé au bout d’un moment avec tout sur le dos alors que le précédent responsable en titre ne faisait rien.

    Un jour que le curé était malade, on en a profité pour faire des élections.

    On a tous démissionné et puis on a voté à bulletins secrets.

    Quand le curé s’est relevé, quelle tête!

    Le président qu’il avait mis c’était un gros exploitant, eh bien il n’était pas élu. Alors le curé, qu’est-ce qu’il a fait?

    C’est simple. Il a interdit la J.A.C. dans sa paroisse.

    A ce moment-là, je fréquentais celle qui est ma femme et le curé m’a fait venir et m’a dit que ce n’était pas une fille pour moi.

    De quoi il se mêlait?

    Chacun ses goûts. C’est comme ça que je me suis séparé des catholiques.

    D’ailleurs le curé trouvait que j’avais trop d’influence sur les autres.

    Les gens commençaient à réfléchir.

    J’étais la bête noire du curé, et parce que j’étais catholique je n’avais pas la confiance du maître d’école. Il était temps que ça finisse.

    Maintenant si je ne vais plus à la messe c’est parce que je n’en vois pas l’utilité.

    J’en ai marre des catholiques.

    J’ai travaillé avec eux jusqu’en 69.

    Je ne veux plus les voir, et les catholiques organisés c’est encore pire que les autres. Moins je les vois, mieux je me porte.

    J’en ai encore parmi mes copains. D. va à la messe, J. aussi. On ne se parle jamais de ça. Ils croient que je plaisante mais c’est sérieux, je n’ai plus confiance.

    Les catholiques veulent toujours nous avoir.

    Ils veulent nous récupérer, c’est le plus sûr.

    Quand on cause, ils disent :  » Vous êtes maoïstes mais nous aussi, on l’est bien un petit peu.

    Peut-être qu’on peut travailler ensemble. « 

    Mais ils ont toujours l’idée que les autres sont dans l’erreur et eux dans la vérité et qu’avec le temps et la patience, ils sortiront les autres de la connerie.

    C’est toujours un cadeau qu’ils vous font.

    Merci bien, je ne travaille pas sur ces bases-là.

    Je ne suis pas devenu maoïste.

    La pensée de Mao Tsé-toung est une étape de la pensée marxiste, comme la pensée de Lénine à une étape précédente.

    C’est tout.

    Après il y aura peut-être autre chose.

    C’est un phénomène qu’on ne peut pas négliger.

    Un communiste qui ne veut pas réfléchir sur la Révolution culturelle, c’est un con.

    Je n’ai jamais été au P.C. mais j’ai toujours été intéressé par eux.

    Je serais entré au P.C. en 68 bien que je n’en avais guère envie parce que tous les gars du P.S.U. de Nevers, c’était des catholiques!

    Je me suis retrouvé quand même au P.S.U. parce que c’était avec le P.S.U. qu’on a pu le mieux travailler en 68 pour rejoindre le mouvement de Mai, avec notre petit syndicat où on était archiminoritaires.

    On voulait faire la liaison étudiants-ouvriers-paysans.

    Le jour de l’assemblée générale de notre syndicat, on a voulu quêter pour les grévistes.

    J’ai mis mille balles dans le tronc.

    Un autre copain aussi.

    Quand on a ouvert le tronc il n’y avait toujours que nos deux mille balles.

    Dans une salle de cent cinquante personnes!

    Comme j’étais encore président j’ai organisé des collectes de lapins, légumes, pomme de terre pour les grévistes, mais je n’avais pas l’autorisation de la Fédération.

    Je le faisais à titre individuel et pour avoir des contacts, des échanges; eh bien, je n’avais que les mecs du P.S.U.

    Alors ma foi, à la fin de l’année, j’ai quitté la S.F.I.O., où on ne faisait absolument rien et je suis allé au P.S.U. où il y avait Bernard Lambert qui avait l’air de vouloir s’occuper des questions paysannes, mais je n’ai pas été satisfait par le P.S.U. Il n’y avait pas d’organisation.

    C’est l’anarchie complète.

    Chacun fait ce qu’il veut.

    Le parti ne nous aide pas. Lambert nous aide en paroles de temps en temps et c’est d’ailleurs plus de sa faute que de la faute du parti.

    Il était à la direction politique nationale. Il n’y allait jamais.

    Le Secours Rouge, c’est trop nouveau. Qu’est-ce qu’on peut en dire?

    C’est peut-être une base de regroupement mais on ne peut pas uniquement travailler contre la répression.

    Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas assez de répression pour nous occuper, mais ça ne suffit certainement pas pour satisfaire les ambitions du Secours Rouge qui voulait tenter plus que ça.
    Je ne me dis pas maoïste.

    Je n’en sais rien. Peut-être je le suis. Il y a de grandes chances.

    Depuis le refus de la coexistence pacifique, depuis la première divergence avec l’U.R.S.S., j’étais d’accord avec la position chinoise.

    En 65 je m’étais abonné à L’Humanité nouvelle que j’avais trouvée par hasard.

    J’ai lu La Guerre révolutionnaire de Mao Tsé-toung et un recueil de textes chinois, mais je lis surtout les journaux; La Cause du peuple, c’est vite lu, il n’y a pas de théorie dedans.

    Ça m’intéresse j’ai vite fait de l’oublier, c’est comme un quotidien.

    Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas sérieusement maoïstes.

    Ils se disent maoïstes mais ils sont anarchistes ou à la mode.

    Dès qu’on refuse la société actuelle, sous les prétextes les plus divers, on se figure qu’on est maoïste alors que ce n’est pas ça.

    Une société communiste c’est bien plus contraignant qu’une société capitaliste.

    C’est plus facile à supporter qu’une société capitaliste, parce que c’est plus juste, mais pour l’instant c’est pas le cirque : il ne faut pas compter là-dessus pour faire tout ce qu’on voudra.

    Moi, c’est ce que je souhaite parce que le capitalisme, c’est aussi le désordre.

    On exploite mal les richesses.

    Personne n’en profite. Il y a des gens qui crèvent à côté de richesses inexploitées.

    Il y a des parties de la France inondées de constructions et d’autres désertiques.

    Toutes ces conneries-là, c’est le désordre, et pour moi, le communisme c’est l’ordre.

    Pour changer ce système, il n’y a pas de voie légale. Ce régime s’est installé par la force, il ne s’en ira que par la force.

    Même au P.S.U. je ne crois pas que personne pense autrement.

    J’espère qu’il y aura un jour un parti d’extrême-gauche, et qu’il n’y en aura qu’un.

    Ce ne devrait pas être trop illusoire.

    Il faudra pousser le P.C. à marcher car c’est quand même lui qui a la clef.

    Une grève générale, ça pourrait déjà être la révolution si c’est bien fait.

    Si le P.C. n’en arrive pas à cette épreuve de force-là, on pourra bien avoir 50 000 ou 100 000 adhérents au nouveau parti d’extrême-gauche, on ne pourra pas grand-chose.

    Ce que je crois, c’est que le P.C. pourra pas continuer comme il est.

    Le P.C. a une base de classe ouvrière qui n’a pas confiance en nous.

    Pour les ouvriers du P.C., les gauchistes peuvent bien être des braves mecs, mais c’est eux les chefs. Il faut bien se mettre ça dans la tête.

    L’ouvrier moyen, il n’espère pas casser le P.C., il espère que le P.C. va redevenir ce qu’il était, c’est tout.

    Là où ça ne va pas, c’est qu’il espère souvent que le P.C. va changer tout seul, par un miracle, par l’opération du Saint-Esprit.

    Je me suis toujours demandé pourquoi je n’y étais pas au P.C., mais pour l’instant il y a trop de divergences entre mes idées et celles du P.C.

    On ne s’entendrait pas.

    Mais ça m’embête bien. Je préférerais pouvoir y entrer.

    Mais je sais bien que ça ne durerait pas longtemps.

    Quand je vais à leurs réunions, on ne fait que s’engueuler. Ils ne veulent pas réfléchir. Qu’est-ce que je pourrais faire là-dedans?

    En Chine, à ce que j’en sais, le parti n’est pas tout.

    En U.R.S.S., le parti c’est tout.

    On ne remet jamais en cause les décisions du parti.

    En Chine, les masses peuvent s’exprimer, si ce qu’on dit est vrai.

    Et puis il y a eu la Révolution culturelle et il a dû en rester quelque chose.

    Le camarade Mao Tsé-toung explique bien comment on réexamine tout, comment on fait la critique, l’autocritique quand une action a été menée.

    Mais nous, dans les groupements gauchistes, on le fait avant d’agir.

    Même à l’A.P.T.N. à force de réviser, de discuter, on évite d’entreprendre.

    On sait bien depuis les dernières déclarations de Mansholt que les deux tiers des paysans ne sont pas  » condamnés « , ça c’est un lieu commun répété depuis vingt ans, mais qu’ils sont  » hors circuit « .

    On paye des impôts, on travaille comme des cons et on sait bien qu’on a droit à aucun progrès.

    Rien que la prise de conscience de ça devrait suffire à renverser la F.N.S.E.A. mais tout le monde continue à parler, discuter au lieu d’agir.

    Si je travaille avec les maoïstes c’est parce qu’ils sont les plus avancés, qu’ils essayent des actions.

    A l’A.P.T.N. on groupe les paysans qui viennent mais on ne fera jamais rien si les types ne transforment pas davantage leur mentalité.

    Par exemple, D. il n’est pas maoïste.

    Eh bien, tant qu’il ne le sera pas un peu, on n’aboutira à rien.

    Les paysans doivent comprendre qu’ils ne feront pas tout seuls la révolution, qu’ils ne doivent pas rester isolés. On ne peut rien attendre d’une action menée uniquement par la paysannerie.

    Dans un pays à économie entièrement agricole, peut-être, mais chez nous, c’est impossible.

    Il faut se rattacher aux mouvements des villes, comme disait le camarade Trotsky : « Le paysan a le choix entre les différents partis des villes. « 

    C’est peut-être dommage mais c’est comme ça. La majorité des paysans veut encore posséder la terre.

    Tant qu’on en est là, on n’est pas bien avancé. Le coup des viticulteurs ça ne prouve pas encore une force révolutionnaire.

    C’est le Midi rouge comme on dit, avec la tradition de lutte, mais ça c’est déjà passé; ce n’est pas d’aujourd’hui.

    Le gouvernement sait lâcher quelques miettes dès que ça bouge.

    C’est bien calculé pour endormir.

    Au printemps, ils ont augmenté le lait et le blé de quelques centimes, et ça a suffi pour tout désamorcer.

    A Bruxelles, je n’y étais pas.

    Mais je me méfie.

    La principale organisation belge, celle qui a probablement organisé la manifestation, je connais ses dirigeants.

    Ce sont des fascistes. Je sais bien que les organisateurs ont été hués par les manifestants.

    Je ne peux rien dire puisque je n’y étais pas.

    Des actions contre les cumulards il n’y en a jamais eu, chez
    nous.

    Ça se fait en Bretagne mais je me demande s’il faut s’attaquer aux marchands de bestiaux.

    Pour moi, un gros exploitant est plus dangereux qu’un marchand de bestiaux parce qu’il est beaucoup plus soutenu.

    Ici un marchand de bestiaux va à la commission des cumuls pour avoir l’autorisation de cumuler, il a huit chances sur dix pour qu’on lui refuse, tandis qu’un gros exploitant il a toutes les chances qu’on lui accorde.

    Vous trouverez ici vingt paysans pour manifester contre un boucher, mais vous n’en trouverez point pour manifester contre un gros exploitant.

    Si on porte la lutte des classes dans la paysannerie, les paysans  » tiquent  » tout de suite. Je ne sais pas si on peut voir l’attaque contre les cumulards comme une poussée révolutionnaire.

    De toute façon, on n’a même pas de contact d’une région à l’autre pour expliquer les expériences des uns et des autres.

    Personne ne prend la tête de rien.

    Le pire c’est de rester sans bouger.

    C’est pourquoi nous avons formé l’A.P.T.N.

    Faut être incorrigible pour essayer encore des trucs, mais chaque fois que je veux aller à la pêche il y a un gars qui vient me trouver et qui me dit : ce Tu ne trouves pas qu’on devrait encore essayer ça?  » et je me laisse faire une fois de plus.

    Si j’ai mis des panneaux sur les routes, c’est parce que l’opinion publique est encore sensible.

    On avait écrit  » Paysans, victimes du Crédit agricole « , ce Le paysan ne prend jamais de vacances « , etc.

    C’est toujours la même idée : que les paysans ne restent pas seuls.

    L’annonce dans le journal pour faire venir les étudiants, c’est encore la même idée.

    L’année prochaine, si je suis encore là, on pourra en accueillir beaucoup plus que cette année.

    Je vais peut-être changer de ferme.

    Il pleut dans celle-ci et le propriétaire ne veut rien arranger.

    J’ai mis une bâche plastique sur le toit mais il pleut toujours, alors j’ai repéré une autre ferme mais le propriétaire est social-démocrate, et comme il sait ce que je pense de la social-démocratie, s’il me la loue, c’est qu’il ne sera pas rancunier!

    J’ai témoigné au procès d’Alain Geismar parce qu’il y avait pas mal de gens qui le faisaient. J’avais autant de raisons de le faire que les autres.

    Témoigner pour Geismar c’est témoigner pour tous les maoïstes.

    J’ai parlé du paysan qui s’était pendu et d’un autre qui était saisi.

    Depuis ce temps-là il en est arrivé bien d’autres, comme cet ouvrier agricole qui s’était laissé prendre par un marchand ambulant qui lui avait vendu une ménagère d’argent.

    Sa femme savait à peine écrire.

    Elle a signé les traites sans comprendre et, après, comme ils n’ont pas pu payer, on lui a saisi sa télé et son buffet.

    L’ouvrier agricole travaillait chez le maire qui est socialiste mais le maire n’a même pas levé le petit doigt pour empêcher la saisie.

    J’ai dit que je témoignais pour que toutes conneries-là, on puisse les empêcher.

    Il va sortir quand maintenant Geismar? Faudra arroser ça !

    28 septembre 1971

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  • Enquête sur les maos en France: Dédé (1971)

    [Cette enquête date de 1971, juste après l’auto-dissolution de la Gauche Prolétarienne. Les membres de la GP voulaient s’éparpiller dans les masses pour contribuer à la naissance du Parti. L’enquête consiste en des interviews des membres de l’ex-GP, sur leur parcours, leur interprétation de la ligne de masse, sur comment fonctionnent les structures, etc.]

    DEDE. – Tout le monde dans l’usine sait que je suis maoïste.

    Dans l’autobus 179, Meudon-la-Forêt, je parle politique avec les gars.

    S’ils étaient opposés à moi, il y a longtemps qu’ils m’auraient cassé la gueule.

    Alors que c’est l’inverse.

    Même, quand l’autobus est complet, les gars cherchent à parler politique avec moi.

    Je suis paysan d’origine.

    Je viens de la ferme.

    J’ai été pris pour le S.T.O. pendant la guerre et je suis entré à Renault en 1943.

    J’ai quarante-six ans.

    Quand je suis entré, il n’y avait pas de chef d’équipe.

    Juste un régleur.

    J’étais un bon travailleur.

    Je me tapais des bonnes journées, mais j’arrivais toujours à la bourre et je collectionnais les avertissements.

    Quand on cassait la croûte, le chef de département ne voulait pas nous voir assis : fallait se lever devant Monsieur.

    On faisait des grèves tout le temps.

    Au moins une fois par mois.

    Des petites grèves qui ne duraient pas, mais chaque fois que l’on faisait grève on avait une victoire et on ne s’arrêtait que lorsqu’on avait la victoire.

    On marquait sur la pendule ce qu’on avait gagné.

    Le patron était pris en sandwich entre les ouvriers et les gouvernements qui changeaient tout le temps.

    On changeait de gouvernement comme on change de sabot, quand il est usé.

    Le patron n’avait pas tellement de pouvoir.

    On se mettait en grève au clairon.

    Il y avait un ancien qui montait sur une table et, quand on entendait son clairon, le département débrayait et les autres suivaient.

    J’aimais bien ça. Il y avait de l’ambiance.

    Quand la direction a vu que les grèves se répétaient, elle a installé les grilles dans les couloirs pour empêcher qu’on aille facilement d’un département à l’autre.

    En 1954, on a occupé.

    Chacun, sa petite partie de belote. C’était occupé plus massivement que maintenant.

    Et les flics sont venus. Ce n’étaient pas des C.R.S.

    A l’époque on ne connaissait pas ça.

    C’était plutôt la mode du coup de crosse.

    Les mecs sont montés sur les toits et ont balancé des caisses de boulons sur les flics.

    Les flics ne sont pas restés dans l’usine. Même ils se sont taillés.

    C’était un bon début.

    Les syndicats étaient d’accord avec nous. Ils étaient encore révolutionnaires.

    Même les permanents planqués derrière le bureau étaient encore avec nous.

    De 50 à 54, c’était violent.

    Les gars avaient la possibilité de se battre avec les syndicats qui ne disaient pas non.

    Même quand on a cassé les grands bureaux, ils ne nous ont pas empêchés. Ça avait commencé par une manifestation.

    A ce moment-là, C.G.T. et C.F.D.T. faisaient automatiquement marcher les travailleurs. On s’est retrouvés à un carrefour. On gueulait : ce Nos salaires, nos salaires.  » Et il y a eu un coup d’énervement. On a pris un caillou, et pof, après tout le monde y allait. Les carreaux dégringolaient. Quand je suis entré dans le bureau, c’était déjà tout cassé.

    J’ai failli me faire encadrer par le tableau de Lefaucheux [ancien directeur de la régie Renault], qu’un gars balançait par la fenêtre.

    Après, il n’y a pas eu de sanction.

    La direction a demandé :  » Qui a fait ça? « 

    La C.G.T. a dit :  » C’est pas nous. « 

    La C.F.D.T. a dit :  » C’est pas nous. « 

    En fait, ils étaient déjà dépassés. Maintenant, pour s’en sortir, ils disent : ce C’est les gauchistes « , mais, les gauchistes, à ce moment-là, ça n’existait pas.
    J’ai été dix-huit ans militant C.G.T., et quatre ans délégué C.G.T., mais quand il y avait des réunions j’y allais et j’étais toujours seul. J’attendais.

    Personne ne venait. La plupart des gens sont syndiqués mais, en eux-mêmes, ils ne le sont pas.

    Ils prennent le timbre parce que la C.G.T. c’est connu partout et ça fait une force qui en impose, mais ça ne repose sur rien du tout.

    Les ouvriers sont impressionnés mais ils ne sont pas soutenus.

    Quand j’étais délégué, j’étais acharné pour défendre les travailleurs.

    Même quand j’étais malade, j’allais encore à l’atelier si ma présence était nécessaire aux gars.

    Je l’ai dans le sang la défense des travailleurs.

    Pour la C.G.T., je défendais même trop bien.

    Une fois, Ghana, le délégué à la sécurité, maintenant il est délégué du personnel, m’a dit :  » Ça suffit comme ça. Ferme ta gueule. « 

    Moi, je voulais faire des tracts.

    Avec un copain, au 38, on formait une bonne petite équipe. On se promenait avec le cahier de revendications parmi les gars.

    Ça ne se fait plus maintenant. On notait tout ce qui n’allait pas.

    On en rajoutait même. On remettait même les revendications du mois d’avant, s’il le fallait. Mais la C.G.T. n’aimait pas nos méthodes.

    On prenait un chemin, la C.G.T., un autre, on n’avait pas les mêmes conceptions.

    Mon camarade et moi, nous avons été éliminés.

    Lui, il est allé à la C.F.D.T.

    Moi, j’étais écœuré. Je me suis dit : ce C’est fini, les syndicats et les partis de la gauche, je vais me promener. « 

    C’est vrai, Mai 68, c’était comme si on m’avait arraché le cœur.

    Quand tu nais communiste, tu penses que la doctrine du P.C. doit rester comme on te l’a inculquée.

    Ce n’est pas de ta faute, tu es né comme ça.

    Quand nous sommes partis en camion avec les garg de Renault, vers la fin du mois de mai, nous étions tous manifestants pour la même cause.

    Avant de monter en camion, on me donne un tract.

    Je vais pour le prendre, et il y a un gars qui me l’arrache.

    Je ne peux pas dire ce qu’il y avait sur le tract puisque je n’ai pas eu le temps de le lire, mais qu’on me l’arrache comme ça, parce que c’était un étudiant qui me le donnait, ça m’a frappé.

    Je me suis dit :  » Puisque c’est comme ça, je n’y vais pas. « 

    Et je ne suis pas monté dans les camions.

    Autre chose : il y avait un docteur et une infirmière qui étaient venus nous parler aux grilles.

    Je n’ai pas compris qu’on nous enferme, qu’on nous oblige à parler derrière des barreaux, comme si on était des lions.

    La C.G.T. se plaint qu’il y a des gauchistes, mais c’est elle qui les forme et, quand on est sorti de la C.G.T., on peut dire qu’on a été à bonne école.

    La C.G.T. n’ose plus tenir les mêmes discours.

    Avant, elle faisait attention à proposer quelque chose qui permette l’accord.

    Elle parlait d’union et elle faisait semblant de vouloir des trucs très durs.

    Maintenant, si elle faisait semblant d’être dure, les ouvriers fonceraient, alors, au contraire, elle n’arrête pas de dire : « Attention les gars. Attention, vous allez à l’aventure. « 

    Maintenant, la C.G.T. sait bien qu’elle ne peut pas parler d’union, alors au contraire elle est obligée d’attaquer une partie des masses, d’accentuer la division.

    Elle attaque, même nommément :  » Un tel je sais ce qu’il va dire « , pour lui faucher l’herbe sous le pied.

    L’union, la C.G.T. n’en veut plus parce qu’elle sait qu’elle se ferait sur la base dure, que ce serait vraiment l’offensive.

    Après Mai 68, on a eu le droit de faire un ou deux meetings dans les ateliers puis tout nous a été retiré.

    Je savais que le maoïsme existait.

    C’était vague. Il y avait deux gars qui se disaient maoïstes.

    Un électricien et un O.S., mais quand ils ont vu que ça prenait de l’ampleur, ils se sont barrés.

    C’est pour ça que je dis :  » qu’ils se disaient maoïstes « .

    Je n’en sais pas plus.

    Mon fils qui travaille au 12 comme contrôleur m’a apporté La Cause du peuple.

    J’ai trouvé ça formidable.

    Je ne voulais plus militer mais je me suis mis à faire lire la C.D.P. C’est comme ça qu’on m’a baptisé le  » mao « , et puis parce que je refusais les tracts que distribuaient mes anciens camarades.

    Je savais bien qu’il y avait des résistants dans l’usine mais je ne pouvais rien faire parce que j’étais tout seul dans mon sens.

    Petit à petit, on s’est connus avec ceux qui distribuaient la C.D.P.

    Je vénérais la Chine, c’est bien le mot  » vénérer « , parce que voilà des gens malheureux pendant des siècles qui arrivent à écraser le capitalisme.

    C’est ce qu’on veut tous : écraser le capitalisme.

    Donc nous sommes sur la même ligne.

    Mais c’est surtout quand on a commencé à casser la gueule de Ghana sur la machine à café, que j’ai marché avec eux.

    Moi, j’y vais échelon par échelon.

    Ça ne suffit pas la propagande sur la Chine.

    Ça semble drôle mais je ne trouve jamais personne qui ne soit pas d’accord quand on fait des tracts.

    Tout le monde est d’accord que les chefs sont des ordures.

    Mais il y a des différences entre : être d’accord, faire soi-même le tract ou casser soi-même la gueule aux chefs.

    Pour l’instant, les gars ont peur que le maoïsme, ça les entraîne trop loin.

    Il y a aussi la répression à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine mais c’est comme le feu, le jour où il éclate, tout le monde arrive comme les pompiers.

    Ce jour-là, on les aura tous autour de nous.

    Dans le temps, on avait l’impression que les ouvriers étaient plus combatifs parce que les syndicats ne s’opposaient pas aux ouvriers.

    Ça marchait ensemble.

    Maintenant, c’est de la mélasse, les syndicats retiennent les ouvriers; ils les empêchent de se battre.

    Pourtant la révolte est la même.

    Peut-être même plus grande. On ne peut pas savoir.

    Il faut que la révolte s’exprime; là, on découvrira jusqu’où elle peut aller.

    3 septembre 1971.

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  • Gauche prolétarienne: Dans l’île, la vraie forteresse ouvrière (1971)

    [La Cause Du Peuple n°39, 1er mai 1971.]

    Voici tous les éléments qui permettent d’affirmer que grâce à une préparation active, à un travail des militants C.G.T. le 21 a été un grand succès !

    Ce grand succès ne peut cependant nous faire oublier que TROIS grands départements de l’usine n’ont participé que d’une façon minime à ce mouvement : ce sont les départements 12, 74 et 38.

    Il y a certes des raisons objectives que notre syndicat va analyser mais qui sont là pour nous rappeler que la détermination des revendications par les travailleurs et l’unité de toutes les catégories doivent toujours être à la base de toute action. (CGT Syndicat Renault.)

    Pour l’analyse, on peut aider la CGT. Ce qui se passe, c’est que le 12, le 74 et le 38 sont les départements les plus combatifs et que le 22 janvier et dans les mobilisations d’atelier, ils ont vu la CGT à l’oeuvre.

    En plus, dans ces coins-là, il y a eu l’affaire Robert, le G.O.A.F. du 38, et des mouvements où les ouvriers ont réellement eu l’initiative comme le 22 dans l’Ile et les débrayages contre les chefs du 38.

    La vérité, c’est que dans ces coins-là où travaillent 2/3 des gars de l’usine, on ne veut plus de la CGT et on commence à lutter nous-mêmes. Alors, leurs grèves bidons, ça nous a fait rigoler.

    VIVE LES LUTTES EFFICACES

    Le 21 avril, les syndicats nous res-sortent leur arsenal de grèves de 4 heures et de manifestations dans les rues désertes de Boulogne. Au moment où on voit tous les jours des séquestrations de patrons et des manifestations violentes de petits paysans et de petits commerçants et artisans, ils nous ressortent leur calme et leur dignité, et des revendications vieilles de trente ans.

    LEUR CIRQUE, ON LE CONNAIT

    Pendant que ces messieurs discutent avec les caïds du patronat, ils nous font débrayer et nous font, défiler dans le calme et la dignité pour pouvoir dire : « Vous voyez, ils sont forts mais ils sont tranquilles, si vous voulez qu’on puisse les retenir, donnez-nous des petites miettes. »

    Quant à leurs revendications, c’est assez triste.

    LA RETRAITE A 60 ANS, évidemment, c’est normal de demander la retraite à 60 ans ; ce qui est moins normal, c’est qu’en mai 68, alors que toute la France était en grève, les syndicats l’on abandonnée à Grenelle pour nous faire reprendre le travail avec des augmentations de salaires aussitôt rattrapées par le coût de la vie.

    LES 40 HEURES, ça aussi c’est normal, surtout qu’à Renault, ça supprimerait immédiatement le travail du samedi.

    Seulement les 40 heures, on les avait obtenues après un mouvement de masse en 36 et c’est Thorez et Frachon qui nous les ont fait perdre en 43 en nous disant : « Retroussez vos manches pour sauver le patronat français ».

    Bien sûr en mai 68, ça aussi ça a été oublié.

    ILS SE FOUTENT DE NOTRE GUEULE, avec leurs revendications qu’ils laissent tomber à chaque mouvement de masse comme en mai 68 pour les ressortir et nous faire courir après avec les grèves de 4 heures.

    En plus, dans chaque atelier, ils parlent des revendications locales pour nous faire débrayer 4 heures alors qu’aux négociations ils ne vont pas en parler et que ça sert plutôt à briser les mouvements locaux durs.

    Comme le 22 janvier, quand toute l’Ile voulait lutter, d’abord ils cassent le mouvement et ils nous proposent une grève de 4 heures après.

    LEURS GREVES BIDONS, ÇA NE SERT QU’A NOUS DIVISER.

    Pas mal de gars vont débrayer soit pour pas bosser, soit parce qu’ils disent : « Faut faire quelque chose. »

    D’autres ne vont pas débrayer parce qu’ils ne veulent pas perdre de pognon pour une grève qui ne servira à rien.

    Ça nous divise alors que tout le monde veut lutter.

    CE QU’IL FAUT, C’EST DES LUTTES EFFICACES

    En ce moment, partout, des nouvelles formes de lutte apparaissent ; les séquestrations des patrons, la lessive des bureaux comme dans les mines ou à Batignolles.

    A Renault, on a essayé aussi ; les luttes contre les chefs, pour faire plier leur terrorisme dans les ateliers.

    Les grèves d’ateliers, quand on a cogné Robert au 5* ou cassé le bureau de Mangan au 38 !

    Dans les grèves d’atelier on peut faire céder le patron sur les revendications précises ou bien dans les grands mouvements comme le 22, où on s’est unis nous-mêmes dans l’Ile, où on a occupé le bureau de Vacher et où on a défilé à 2000, faisant courir la maîtrise.

    Et pas des grèves où on défile encadrés par une armée de ‘délégués et où on peut juste fermer notre gueule.

    LE JEU SYNDICAL C’EST UN JEU OU ON EST TOUJOURS PERDANT. LES GREVES BIDONS ÇA AMUSE LE PATRON. ÇA VIDE LES STOCKS.

    CONTINUONS DANS LA VOIE DU 22 JANVIER.

    Les maos de Renault.

    Ce que l’on a vu pour cette grève, c’est qu’il fallait pouvoir unir tout le monde autour des départements qui ne débrayeraient pas. Eviter une coupure dans les masses.

    C’est pourquoi on a eu une politique souple, expliquant ce qu’est une grève-bidon, pourquoi ça divise, mais sans donner de mot d’ordre.

    Les résultats de la grève : 100 débrayages dans une équipe et 200 dans l’autre pour toute l’Ile Seguin et 50 en tout au 38. Dans l’Ile, les gars ont hué les délégués qui venaient les faire débrayer et n’ont pas arrêté de discuter toute la journée.

    A l’heure actuelle, l’idée principale qui court chez les ouvriers c’est : « Voilà 2 grèves-bidons qu’on ne fait, pas, va falloir qu’on fasse quelque chose de sérieux. » Les gars ont refusé par 2 fois dans l’Ile de débrayer avec la CGT et ils attendent un nouveau 22 janvier, en mieux, en plus large.

    Quant à ceux qui ont débrayé avec la CGT les 2 fois, c’est-à-dire les professionnels et les bureaux, ils commencent à en avoir marre de se traîner à des meetings ou à des manifs traîne-savates, en sachant très bien que si l’Ile ne suit pas, c’est parce qu’elle veut aller plus loin.

    Le tract des Maos, il a été bien reçu partout, mais les gars attendent la suite.

    Ce qui peut faire partir un large mouvement de masse, c’est la colère, c’est une provocation patronale, qui suscitera une forte réaction comme le 22, ça c’est un fait acquis. Mais ce que l’on doit faire quand même c’est les préparer ; introduire en étant partout à l’écoute des mobilisations locales, toutes les idées nouvelles pour le déroulement des mouvements (séquestrations, etc.).

    Dans cet axe nous avons déjà des acquis.

    Au 12-61.

    Un système de médailles, que l’on prenait à l’entrée et rendait à la sortie remplaçait le pointage. En plus un ouvrier avait pris un avertissement pour être parti, en avance.

    Un camarade a fait de l’agitation sur le thème « on n’est pas des chiens pour se promener avec des médailles ».

    L’atelier a débrayé 2 heures et ensuite ils ont fait un tract et des affichettes contre le chef.

    Voyant le tract et les affiches, la direction a tout lâché, sans attendre un nouveau débrayage.

    En plus l’important, c’est d’élargir notre intervention, de laisser de moins en moins de secteurs de l’usine à la C.G.T. Surtout que partout maintenant les gars savent que les gauchistes ont saboté la grève de la C.G.T. et qu’il faut montrer que nous représentons une nouvelle voie pour la lutte.

    Par exemple, aux Forges-Fonderies, la C.G.T. avait demandé un mouvement contre le déménagement.

    En effet, les Forges-Fonderies qui est un département où les conditions de travail sont très pénibles et où les gars avaient acquis des avantages de salaires par des luttes sectorielles, vont être déménagées en province.

    Ça veut dire pour les gars, avoir bossé comme un dingue, avoir lutté, pour se retrouver muté et payé au bout d’un moment comme un O.S. nouvellement embauché.

    Au départ, la C.G.T. a entraîné pas mal de monde pour des grévettes et même une diffusion au marché de Boulogne.

    Ce que l’on a vu c’est que si on les laissait faire, d’abord ils saboteraient le mouvement et en plus sous prétexte que c’est un fief C.G.T., ils se serviraient de ça pour une propagande sur C.G.T. = lutte, etc., pour reprendre l’offensive.

    Il fallait donc intervenir et pour cela utiliser nos points forts.

    Nous avions des anciens des fonderies mutés dans l’Ile qui pouvaient raconter ce qu’ils étaient devenus, qui ont lutté aussi contre un déménagement et des contacts avec des militants du PC des Fonderies qui ont des sympathies gauchistes.

    Avec tout ça, nous avons pu faire un tract dont la diffusion à la porte et à l’intérieur a donné lieu à des prises de bec avec la C.G.T.

    L’aspect intéressant, c’est le style du tract, collant aux idées des plus larges masses, assez syndicalistes, avec seulement des critiques précises sur la stratégie syndicale, et les engueulades où nous sommes apparus comme les vrais démocrates sur lesquels s’acharnaient 2 ou 3 brutes seulement soutenues par le silence des autres cégétistes.

    Pour le moment, ce style de travail a porté ses fruits. 

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  • Gauche prolétarienne: Un chant qui monte de la terre (1970)

    [Juin 1970 – Dominique GRANGE.]

    « Il n’existe pas dans la réalité d’art pour l’art, ni d’art au-dessus des classes, ni d’art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d’elle.

    La littérature et l’art prolétarien font partie de l’ensemble de la cause révolutionnaire du prolétariat…» « Interventions aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan » (Mai 1942), (Œuvres choisies de Mao Tsé-Toung, tome III)

    Mai 68 : la tempête révolutionnaire souffle sur la France

    Dix millions de travailleurs sont en grève.

    Les usines sont occupées, la contestation gagne toutes les couches du peuple, ouvriers, paysans, étudiants, intellectuels, artistes…

    Pour nous, jeunes comédiens chanteurs, se mettre en grève, ça ne veut pas dire grand-chose, ça ne peut guère gêner que quelques bourgeois qui constituent en majorité le public des théâtres, des cabarets et même des différents centres dits « de culture populaire. »…

    Par contre nous pouvons transformer notre grève en une grève «active», c’est-à-dire nous mettre au service des travailleurs en lutte.

    Alors, guitare sous le bras, on va d’usine en usine, on chante dans les ateliers, les cantines, sur des caisses, dans des tris postaux.

    Ça nous plus rien à voir avec du « spectacle ».

    Ça nous semble même frivole, de chanter ce que nous chantons car pour la première fois, nous nous sentons partie prenante dans la lutte que mènent les travailleurs.

    Avec eux, on discute, de la révolte, de la liaison avec les intellectuels révolutionnaires, ensemble on parle de la vie, de l’avenir, du pain et des rosés…

    On prend conscience de la force du mouvement populaire qui occupe les usines et la rue. Au nombre de flics qui occupent ces rues, on mesure la peur de l’ennemi, la bourgeoisie capitaliste.

    Après mai : ni échec, ni défaite : une semence

    « Tout point de vue qui surestime la force de l’ennemi et sous-estime la force du peuple est faux. » (Mao Tsé Toung, Tome IV)

    Après Mai, l’ennemi quelque temps déséquilibré, s’est ressaisi : affaiblie politiquement, la bourgeoisie utilise des armes qui révèlent cette faiblesse, l’appareil de répression, les négociations bidons, les élections, l’intoxication.

    Le gigantesque mouvement de masse de mai-juin est brisé, en apparence seulement, avec la complicité des traîtres du P.C.F. et des directions syndicales.

    Les grévistes reprennent le travail, contraints, écoeurés par la trahison des soi-disants « défenseurs de la classe ouvrière », devenus de fait les gardes-chiourmes de l’ordre, de la légalité, de l’oppression patronale.

    Pourtant, ce que les ennemis du peuple n’avaient pas prévu, c’est que mai-juin 68 a ouvert la voie de la révolte et dé la résistance.

    Rien n’est plus comme avant

    Alors il y a des choses qu’on ne peut plus faire.

    Pour moi, chanter comme avant, faire un métier qui subit la loi bourgeoise du « succès » commercial et du profit, c’était devenu intolérable.

    On était en juillet, les gens partaient en vacances, bien sûr, était encore présente la question comment continuer, comment expliquer Mai à tous ceux qui n’avaient pas été au coeur de la tempête mais qui avaient commencé d’espérer ?

    Alors, avec deux copains, on prend les premiers cinés-tracts, des journaux, des témoignages sur la répression, on emprunte une voiture et un projecteur, et on quitte Paris.

    On s’en va dans les campages, dans le Gard et le Vaucluse, on projette les films, on explique, on informe.

    Ça se passe dans des petits villages ; des petits paysans viennent avec leur famille, expliquent comment ils ont vu Mai, ce qu’ils pensaient des grèves, parlent de leurs luttes, de leurs difficultés et le plus souvent de leur misère.

    L’exemple d’une jeune Garde Rouge

    Septembre 68 : à nouveau Paris, la rentrée-Une question : comment continuer Mai ?

    Comment s’organiser et avec qui ?

    Quand on n’est pas étudiant et que dans le désarroi général, on a du mal à entrevoir la voie prolétarienne ?

    Je cherche, je vais à la Sorbonne, il y a des meetings, des étudiants qui parlent, il faut discerner, comprendre, tirer des leçons de _mai-juin.

    Un jour il y a un meeting sur la Chine, pour la première fois j’entends parler d’une manière vivante, de la Révolution culturelle, du maoïsme comme expression de la révolte des masses, de la lutte idéologique.

    J’achète quelques livres de Mao, des revues, «Pékin-Information».

    Et là il se passe quelque chose : je trouve un article écrit par une jeune garde rouge, qui raconte comment elle a quitté son métier de comédienne pour se mettre au service du peuple, le jour où elle a compris que tant que la révolution ne serait pas faite, elle ne pourrait rien changer dans le domaine artistique, et que continuer, cela ne pouvait que servir l’idéologie dominante.

    Par cet exemple, je comprends que la seule issue, c’est de se battre aux côtés du peuple, dans le camp du peuple jusqu’à la victoire totale sur les forces réactionnaires.

    Dès lors, ça devient facile de dénoncer un contrat de disques, facile de refuser galas, émissions, interviews…

    Des gens me disent : « Tu es folle, puisque tu as compris, tu peux changer des choses dans le « métier », chanter des chansons subversives à la télé, etc. ».

    Mais suivre ces conseils, ce serait suivre la voie réformiste, la voie qui accepte la coexistence pacifique, entre l’idéologie bourgeoise et l’idéologie prolétarienne.

    Pour un artiste révolutionnaire, pour un artiste qui devient maoïste et qui est capable de le mettre en pratique, servir le peuple de tout coeur, ça veut dire abandonner toute idée de renommée personnelle ou de gain matériel.

    Ça veut dire aller se battre dans le camp du peuple : partager le travail à l’usine, trouver une issue collective à la révolte, aider à s’organiser, vivre de là même vie simple et lutter durement pour démasquer les traîtres qui, dans leurs rangs entretiennent la collaboration de classes.

    Alors quand on se bat, quand on a fait sienne la cause du peuple, l’envie de chanter vous reprend, mais ce sont des chants de lutte qui montent des usines, des H.L.M., des bidonvilles, de la rue, de la sueur et du sang de ceux qui souffrent.

    « Nous sommes les nouveaux partisans »

    Le terrorisme des patrons se fait plus intolérable que jamais.

    Une nouvelle poussée prolétarienne part des usines, car là où il y a oppression, il y a résistance.

    Contre les ennemis qui font de l’or avec notre sang, une seule attitude possible : la riposte.

    Contre les assassins qui ont la justice pourrie de leur côté, une seule chose à faire : faire vengeance nous-mêmes et le plus durement possible. C’est pourquoi nous disons : « Patrons, c’est la guerre ».

    Mais comme leurs flics sont installés à tous les coins de nos rues, comme ils occupent militairement nos villes, nous menons contre eux des combats de partisans, contre eux et contre tous les kollabos et autres flics syndicaux qui cherchent à nous diviser, à nous empêcher d’anéantir les patrons et leur état.

    Vous occupez, nous résistons !

    Voilà qui annonce aux assassins les lendemains où le sang appelle le sang.

    CAMARADES, QUE DANS LES USINES, CONTRE LES ASSASSINS AUX MAINS BLANCHES, SE LÈVENT LES NOUVEAUX PARTISANS!  

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  • Gauche prolétarienne: Les œillets de la vengeance (1970)

    [Juin 1970 – Bulletin La Cause du Mineur.]

    Le 4 septembre 1940, le gaz envahit les galeries de la fosse du puits Daomey.

    Plusieurs sont asphyxiés : deux morts, deux jeunes.

    Pas de drapeaux, des fleurs rouges. Un amoncellement qui noie les cercueils.

    Les oeillets de la vengeance sont entourés de 40 jeunes qui se relaient autour du char funèbre, derrière les mineurs de Dourges en grève.

    Au cimetière, deux flics voyant que Brûlé, héros de la résistance, s’apprête à parler, osent l’interpeller :

    – il est interdit de prendre la parole !

    – je parlerai quand même.

    – ne faites pas de scandale !

    – des scandales, il y en a deux ici, dit-il, en montrant la tombe des mineurs; et c’est la compagnie qui est responsable.

    Balayant les deux poulets, Michel Brûlé vient de montrer la voie de la résistance.

    Les oeillets rouges de la vengeance, comme premier acte de la résistance des mineurs, vont faire «clore une moisson de courage.

    Mieux vaut mourir en luttant que de crever doucement à genoux.

    Le 21 février, appelant à la grève les mineurs du puits Daomey, Michel Brûlé est dénoncé par un chef porion, arrêté par les Allemands.

    Mais les oeillets de la vengeance sont encore dans la mémoire des mineurs, ses camarades.

    La grève gagne ; tout l’appareil policier est aux abois.

    Les mineurs n’acceptent pas, sans opposer de résistance, que leur frère si .courageux soit en prison.

    Le 25 février, son dénonciateur trouve une grosse corde avec un noeud coulant, clouée sur sa porte.

    Fin 1943, une rafale de mitraillette l’abattra.

    Les opérations des premiers partisans

    Le 1er mai 1941, les drapeaux rouges flottent sur les puits de mine.

    La veille, le parc à bois a brûlé à la fosse Mulot, à Hénin-Liétard..

    Septembre 1940 : trois charettes de blé, conduites par des Allemands, prennent feu entre Hénin-Liétard et Drocourt.

    A Lambersart, une attaque directe contre les Allemands est dirigée par Ferrari, Denys, Pav-lowski – un Italien, un Polonais, un Français.

    La lutte unit et unira toujours les immigrés aux français.

    L’internationalisme prolétarien, pour les travailleurs, n’a pas besoin de longs textes ou de discours : c’est, tout simplement, être des frères de combat.

    A Pont-à-Vendin, au pied d’un pylône, le jeune Baldiga gît, électrocuté.

    Mais, au-dessus, flotte le drapeau rouge, rouge du sang des travailleurs.

    Les opérations de partisans préparent la riposte des mineurs. Les mineurs, sous des centaines de mètres de terre, en causent, se réjouissent, attendent d’y participer.

    Le chemin se dessine.

    100 000 mineurs s’attaquent au régime nazi, aux pétainistes, à la police et à tous les larbins des houillères.

    … La grève, envisagée depuis fin 40 par les cadres de la résistance populaire, incarnée par René Camphin, Julien Hapiot, Deloison, a demandé un gros travail de préparation.

    Les hommes de fer ont formé des centaines d’autres cadres dans la lutte.

    Des Michel Brûlé, il en est sorti en masse ! Pour faire débrayer les puits, c’étaient des jeunes gars, parfois de moins de 16 ans, qui apportaient l’espoir de la lutte à leurs frères mineurs, face à toute une armée de nazis, face à une armée de flics verts de peur.

    Des dizaines de kilomètres à pied avec les poches bourrées de tracts dont un seul valait la déportation.

    Les petits actes de sabotage, pour répondre aux assassinats à l’exploitation.

    Dans leur magnifique lutte, les mineurs avaient leurs compagnes, leurs mères, leurs soeurs avec eux.

    2 000 femmes de mineurs, à Fouquières-les-Lens, tenant leurs enfants par la main, n’acceptent pas, non plus, de crever lentement ; leurs « tiots » sont élevés ainsi, dans la lutte.

    Plutôt mourir que vivre sans lutter !

    Cortège de révoltées qu’admirent les mineurs.

    Force insoupçonnable pour la réaction. Face aux mitraillettes, les femmes de mineurs ont relevé les oeillets rouges de la vengeance. Cette fleur qu’elles portent en elles, c’est le sang de leur mari.

    Les ingénieurs, sur leur passage, se terrent dans leurs belles maisons. Les cris de haine fusent : « Vendus ! Sales traîtres ! Buveurs de sang.

    Devant la brutalité des nazis, de la police, elles se serrent les coudes, ne laissent prendre aucun otage, lacèrent les affiches qui sommaient les mineurs de reprendre le travail.

    Face aux flics : le drapeau noir de la misère

    Deux drapeaux furent brodés, à Haillicourt, par les femmes des mineurs ; l’un rouge, avec la faucille et le marteau, qui sera accroché aux fils téléphoniques ; l’autre, noir, avec des mots-d’ordre : « Assez de misère ! Assez de

    famine ! ». Ce drapeau de la misère, elles le feront^ connaître en manifestant, elles le feront connaître à un détachement nazi et à un groupe de gendarmes, appelé par un garde des houillères, traître et servile. Par la suite, un garde, à Bruayen Artois, a reçu deux balles dans le ventre pour avoir molesté une femme de mineur.

    .. Noëlle Burny, figure légendaire de ces femmes, de ces filles de mineurs, la direction, les inspecteurs du travail, pour briser la grève, lui promirent de satisfaire ses revendications, à condition qu’elle fasse la « jaune », qu’elle se rende au travail. Même si elle ne travaillait pas, elle serait payée.

    La réponse fut cinglante : « La grève continue, les mineurs ne lâchent pas, nous non plus ! ».

    Plutôt la prison que reculer.

    La prison ouvrit ses portes.

    Mais les oeillets de la vengeance n’auront pas été trahis.

    Mineur, ta race est bonne et forte.

    Avec elle, tu peux tout entrevoir.

    La répression frappe

    Des centaines d’arrestations de femmes, de jeunes.

    Rien n’y fait.

    La grève continue, des militants entrent en prison. D’autres sortent de l’ombre. Rien ne peut arrêter cette machine humaine qui préfère mourir, entrer en tôle, être déportée que de céder dans le combat.

    387 867 journées de travail perdues pour la machine de guerre allemande, perdues pour le capital.

    Pourtant, la reprise ne se fit pas de bon cœur. Devant un ingénieur qui énumérait les avantages acquis : « Vous avez eu ce que vous demandiez. Que-voulez-vous de plus ? ».

    «DES FUSILS! C’EST DES FUSILS QU’IL NOUS FAUT!».

    Ces fusils, ils les auront par la suite.

    Bien auparavant, ils voleront leur dynamite.

    Ils la remontent, entre deux tartines. Les stocks se feront, diminueront, regrossiront.

    Des fusils, cela se gagne.

    Les oeillets de la vengeance avaient été compris des « gueules noires » : après la reprise, le sabotage se fit encore plus.

    Chaque mineur y participe, pas tous avec les mains, mais tous avec le coeur.

    Une étiquette remplacée sur ce qui permet de transporter les bois de soutènement, aiguille ceux-ci dans une mauvaise direction.

    Des bois de 1,80 m se retrouveront dans une « taille » (lieu de travail et d’exploitation du charbon) de 80 cm de hauteur.

    Avec quel plaisir le mineur raccourcissait ces bois !

    Les partisans, en haut, y mettent le feu : « moi, j’en gaspille la moitié. Je suis un résistant ! ».

    L’autre mineur qui voyait des bois de 1 mètre pour boiser une hauteur de 1,80 m de haut rigolait tout son saoul.

    « Porion (contremaître), il me faut de la colle pour rassembler les deux, je ne peux plus travailler »…

    Les sucres étaient pris aux enfants, mais il en faut si peu pour arrêter un moteur, le sacrifice ne paraissait pas énorme.

    Les mariages dans les descenderies permettant de faire rencontrer les berlines montantes et descendantes amenaient souvent un accouchement prématuré.

    « Une descenderie » inutilisable, éboulement, oh combien attendu celui-là !

    Les vannes d’air étaient toujours à moitié ouvertes, l’air comprimé manquait : « Porion, souffle dans le raccord, je peux plus faire de charbon ! ».

    Des centaines d’autres exploits furent accomplis.

    Quand les mineurs veulent quelque chose, ils l’ont.

    Croix gammée, bourgeois exploiteurs, rien n’a su les arrêter.

    Et si demain, les œillets rouges de la vengeance refleurissent, tremblez, exploiteurs !           

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  • Gauche Prolétarienne: Je témoignerais dans la rue (1970)

    [Editorial en première page de la Cause du Peuple, n°29, 14 octobre 1970.]

    « Je témoignerais dans la rue ».

    Défiant la loi Marcellin qui prétend interdire les manifestations, liquider la « Cause du Peuple », mettre fin à la liberté de contester, Alain Geismar montre le chemin de l’honneur.

    Depuis les barricades de 68 il dit à l’ouvrier :

    Pour te défendre il faut attaquer.

    Pour prendre le temps de vivre,

    -brise les cadences,

    -mate les chefs,

    -sabote la production du patron;

    -à mauvaise paie, mauvais travail,

    -frappe les assasins.

    Pour le droit au travail,

    -un député, ça peut se lyncher,

    -comme un patron, ça peut se séquestrer.

    « Organisez-vous » sans attendre le consentement des hommes cravatés qui usent leur pointe bic dans les bureaux du patron.

    Union et Résistance !

    Pour la liberté d’expression. Pour le droit de vivre. Dans l’usine et dans la rue, à notre tour nous témoignerons les 20, 21, 22 octobre.

    Procès Geismar = procès du Peuple

    Patrons et ministres, vous pouvez rugir, lacérer, condamner, retirer droits civiques, droits familiaux, vos barrages ne résisteront pas.

    Vous avez semé la haine. Le 20 octobre, vous récolterez.

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  • Gauche Prolétarienne: C’est Pompidou qui paie ! (1970)

    [La Cause Du Peuple n° 17, 21 février 1970.]

    1 h 30 de boulot contre un carnet de métro, c’est ce qu’on veut nous faire payer maintenant pour venir engraisser Dreyfus et ses larbins.

    Le métro avant et après 9 h de boulot, il faut se le taper.

    Pour trouver à l’usine l’odeur des machines pas vidangées, les accidents de travail, les cadences, on est obligé de passer un temps fou, debout, serrés, sans pouvoir respirer, bousculés à chaque station.

    Pour en repartir, même tabac, sauf qu’on est épuisé par le boulot. Alors il y a toujours un ou deux copains qui tombent dans les pommes.

    Cette fois-ci, essayer de nous faire payer plus cher le droit d’aller engraisser le patron, ça ne passe pas !

    Dès le milieu de la semaine : un tract, « Esclaves à Renault, bétail dans le métro, assez ! », passe dans les chaînes, les ateliers. Les mots d’ordre couvrent la station de métro.

    Déjà, on occupe les premières, quelques groupes passent sans payer.

    Pas de pétition, pas de pleurnicherie, une seule voie : la résistance par l’action directe !

    LUNDI : on sort ensemble des ateliers, on se regroupe porte Zola ; là, on retrouve les copains, et les étudiants qui viennent donner un coup de main et on part, drapeau rouge en tête.

    Meetings, prises de parole : les ouvriers de l’équipe se regroupent ; aux guichets, on passe, avec un signe de « complicité » des poinçonneuses : « Vous avez raison ! ».

    Sur les quais, on attend les autres, les ouvriers viennent prendre des paquets de tracts et les diffusent. Rendez-vous à demain.

    LES FLICS HORS DU METRO, IL EST A NOUS!

    Après le coup de lundi, les flics croyaient que la résistance à la hausse, c’était le fait d’un « petit groupe de gauchistes » : il suffisait de piquer les « meneurs » et tout rentrerait dans l’ordre.

    Malheureusement pour eux, les ouvriers de Renault ne sont pas des moutons !

    Les liquidateurs de « L’Humanité Rouge » avaient, dès lundi soir, appliqué cette théorie des « masses moutonnières » : on ameute clan-des-ti-ne-ment 300 étudiants, on les regroupe à a sortie du soir et on les fait cavaler en gueulant: « Vive le marxisme-léninisme ! ». Mais quand on se fout de leur gueule, les ouvriers s’en rendent compte : pas un ne suivra ce ramassis qui part avant la sortie… et a lâché même les quelques gars qui les ont aperçus.

    Le lendemain, dans les ateliers, on juge sans appel ce genre de démonstration : « Ces étudiants, ils radinent et ils se barrent sans qu’on, puisse dire notre mot, ils prennent le métro en payant ; et si les poulets arrivent, on se retrouve tout seuls ! ».

    MARDI et MERCREDI, pour l’équipe du matin, c’est à 400 qu’on sort de Renault, drapeau rouge en tête, aux cris de : « Résistance populaire à la hausse!».

    Et ce n’est plus une rame, mais 3 à 4 qui partent sans payer !

    MERCREDI SOIR, une manifestation part de la porte, avec une trentaine de liquides ; arrivés au métro, ils tombent sur 50 flics : la débandade des liquides provoque d’abord la panique parmi les ouvriers ; puis, avec les maoïstes de l’usine et du quartier, ils descendent dans le métro : ce n’est plus le même folklore ; aux guichets, les flics se retrouvent devant un rang serré de manches de pioches. Trois flics téméraires s’avancent : trois de moins !

    C’est le signal de la débandade, le temps de faire demi-tour, 3 ou 4 autres en prennent plein la gueule, les autres se grimpent dessus dans les escaliers, pour sortir le plus vite possible et se réfugier dans le fourgon.

    Dans le métro, c’est l’enthousiasme. On se lance les képis et les matraques, on entonne l’Internationale. Le chef de train attend que tout le monde soit monté dans les wagons : « OUVRIERS RENAULT-METRO TOUS UNIS! »

    JEUDI, à 14 h, pour l’équipe du matin, les flics ont compris qu’ils ne vont pas avoir à « disperser un groupuscule » ; c’est les ouvriers qu’ils doivent essayer d’empêcher de passer sans payer. Aussi, changement de tactique, ils essayent l’intimidation : 3 cars de gardes mobiles passent, dans un concert de sirènes : elles sont couvertes par les cris : « Les flics à la chaîne ! ».

    Ce jour-là, on est 500 à descendre !

    Au guichet, on tombe sur 8 flics de la RATP, ceux que les travailleurs du métro appellent « La maffia » : des gros malabars aux tronches de bourreaux avinés. Rigolade générale : leur sort est déjà réglé. Ils tentent de cogner, ils sont laminés à coups de poings, de pieds, de manches.

    Résultat : 8 gorilles à l’hosto !

    Les ouvriers protestent : « on avait rien dans les mains !

    Demain, on sort par ateliers et on trouvera de quoi s’armer dans la boîte !».

    Vive l’action directe. Le métro est à nous !

    L’action directe a payé I Les flics qu’ils nous envoient, on les écrasera chaque fois que nous les frapperons là où nous sommes forts, là où ils ne s’y attendent pas.

    Harcelons-les !

    CONSTITUONS L’AUTO – DEFENSE CONTRE LA HAUSSE, PAR GROUPES D’ATELIERS ET DE DEPARTEMENTS!

    Les flics se sont cavales face à notre détermination : ils n’oseront plus se pointer s’ils nous savent organisés !

    Ils ont voulu nous intimider en arrêtant 4 camarades. ILS SE FOUTENT LE DOIGT DANS L’OEIL! et on le leur enfoncera dedans jusqu’au coude !

    FLICS, VOUS ALLEZ DE NOUVEAU PAYER !

    Les flics en uniformes ont reçu leur raclée. Les poulets déguisés en ouvriers aussi.

    Il ne manquait plus que la racaille P »C »F-CGT.

    VENDREDI, la police syndicale va tenter de reprendre la rue.

    « S’appuyant sur la hausse des transports, dont il est responsable, le Pouvoir aux abois, lance ce qui lui reste de ses troupes gauchistes, pour tenter d’organiser des provocations que les policiers attendent avec impatience.

    Des tracts intitulés : Gauche prolétarienne, maoïstes, etc… débitant de la prose à caractère fasciste, sont distribués depuis quelques Jours.

    Ces soi-disant révolutionnaires, en fait émules des chemises noires d’Hitler de 1933, saccagent tout sur leur passage, dégradent les voitures du métro, barbouillent les immeubles de leurs inscriptions obscènes, essayant ainsi de discréditer la classe ouvrière. »

    C.G.T. – 5-2-1970

    Tout l’arsenal y est : les pontes s’époumonent au micro pour essayer de regrouper les ouvriers de l’équipe du matin, pour les empêcher de se rendre au métro avec les maoïstes.

    On ne leur jette même pas un regard.

    Alors, ils envoient les gros bras qui suivent la manifestation en gueulant « le fascisme ne passera pas ! ». Ils suivent, mais de loin… Finalement devant le métro, ils restent seuls sur un trottoir à se faire insulter par tous les ouvriers, regroupés en face.

    Ils se barrent vite fait.

    Ce tract du P »C »F donne le ton :

    « Hier, 8 travailleurs de la RATP ont été blessé à coups de manche de pioche à leur poste de travail, station de métro BILLANCOURT par une trentaine de bandits arborant des drapeaux rouges.

    C’est la plus grave d’une série d’agressions à laquelle ils se livrent depuis lundi.

    Pour y parvenir, ils se mêlent à la foule des travailleurs en équipe qui prend le métro à cette station et qui sont tous en colère d’avoir dû payer 16,66 % plus cher leur carte de métro.

    CHASSER LES PROVOCATEURS FASCISTES, NE PAS PERMETTRE L’AGRESSION CONTRE LES TRAVAILLEURS C’EST RENDRE NOTRE LUTTE PLUS EFFICACE.

    Sans la protection des troupes du commissaire de BOULOGNE, le calme, la sécurité régnerait d’autant plus que tout le monde sait où trouver ces bandits.

    Car aucun doute ne peut subsister aujourd’hui : déguisés en « ouvriers » comme au 49 ou dans l’Ile, ou déguisés en « étudiants » comme aux portes de l’usine, il s’agit bien de bandits, auxiliaires de la police. »

    ON NE SE LAISSERA PAS PLUS FAIRE POUR LA CANTINE QUE POUR LE METRO

    Déjà, ils avaient tenté d’empêcher une diffusion de tracts à la cantine du 49. Ils se sont faits jeter par tous les travailleurs, immigrés en tête.

    Il faut dire qu’ils tombaient mal : empêcher la distribution d’un tract contre la hausse des transports le jour où les nouveaux bourgeois du Comité d’Entreprise annoncent l’augmentation des prix de la cantine !

    Mais il y en a marre de ces mecs qui brisent toutes les luttes des ouvriers, qui refusent de l’aide aux travailleurs immigrés qui vivent dans des conditions dégueulasses, alors qu’ils se font construire un Comité Central de 1 milliard d’anciens francs.

    Y EN A MARRE D’ENGRAISSER LES PONTES DU COMITE D’ENTREPRISE !, de fournir la nourriture de la fête de l’Huma avec le fric de nos repas.

    Et les serveuses, elles en ont marre de travailler dans des conditions dégueulasses sans pouvoir se défendre contre leurs nouveaux exploiteurs.

    LES HAUSSES DES NOUVEAUX BOURGEOIS ÇA NE PASSERA PAS PLUS QUE LA HAUSSE DES BOURGEOIS, et les flics des nouveaux bourgeois on les traitera comme les flics des bourgeois !

    Si c’est trop cher, on ira bouffer à la gamelle dans leur cantine.

    ET LEURS PRIX ON VA LES REAJUSTER NOUS-MEMES. On connaît le prix véritable de la salade et du bifteack, on va pas payer plus cher que dans certains restaurants ! C’EST TOUS ENSEMBLE QU’ON DECIDERA DES PRIX!

    ON NE SE LAISSERA PAS PLUS FAIRE POUR LA CANTINE QUE POUR LE METRO!

    L’ACTION DIRECTE PAIE. LES FLICS ET LA POLICE SYNDICALE NE NOUS ARRETERONT PAS!

    La Gauche Prolétarienne R.N.U.R.

    La police syndicale va combiner 2 méthodes :

    — briser la lutte directe contre la hausse en intervenant militairement contre les maoïstes ;

    — récupérer la révolte en démobilisant par des grèves bidons.

    A la cantine, dans l’Ile Seguin, viennent maintenant des mecs en costars, cravates, pontes du C.E., gros bras, racaille hystérique… dès que nous commençons la diffusion, ils nous tombent dessus.

    Des ouvriers immigrés apportent leur gamelle à la cantine, ne commandant qu’un morceau de pain. Un grand nombre de jeunes ouvriers ne paient que la moitié ou le quart de ce qu’ils mangent : la résistance s’organise.

    Leur seconde offensive, c’est les grevettes bidons. Les délégués organisent des réunions par ateliers sur le thème : « Ça peut plus durer ! La grève tournante c’est la mieux, on ne perd rien et on fait perdre beaucoup au patron ». Mon oeil, les bagnoles, on les stocke à Flins en ce moment ; une heure de grève, ça ne coûte pas un sou à Dreyfus !

    Pour nous, c’est une heure en moins, plus les primes qui sautent.

    Nulle part ce n’est l’enthousiasme, mais dans certains ateliers le débrayage se fait à 60, 70 %.

    Les ouvriers se regroupent, se baladent sur les chaînes, certains débrayent et viennent grossir le cortège.

    Dans d’autres, les ouvriers refusent net. En mécanique, les gars regardent goguenards les délégués passer en criant : « Augmentez nos salaires ! ».

    Ils réclament 4 %. * 4 % », c’est accepter la hausse ! Ce n’est même pas la moitié de l’augmentation réelle des prix ». « D’un côté la cantine est augmentée, de l’autre on demande une augmentation pour la payer ! ». « L’augmentation en pourcentage, c’est faire la grève pour les chefs ! Pas d’augmentation hiérarchisée ! »

    Dans l’île, les jeunes maoïstes interviennent tout de même. On se retrouve en tête de la manifestation, gueulant « Vie chère, vie d’esclave, assez ! » « Résistance populaire à la hausse !» « A bas les cadences infernales ! ».

    Les ouvriers reprenant les mots d’ordre avec nous, les délégués doivent couper la manif en deux. On se retrouve une centaine d’ouvriers, maos en tête, brandissant la Cause du Peuple. Un bruit va courir plus tard : « Il y a eu deux manifs, celle de la C.G.T. et celle des maos ». C’est un peu de la rigolade, mais ça donne un titre de tract C.G.T. qui fera bien rire : « La lutte pour nos revendications ne sera pas dévoyée. »

    Les provocations de la police syndicale, attaques individuelles, dénonciations, les tentatives de démobilisation, c’est le signe de notre victoire durant une semaine.

    Aujourd’hui on continue à passer sans payer dans le métro ; la hausse, on la brisera ! Et si on tente de nous en empêcher en envoyant flics ou syndicats… tant pis pour eux! 

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  • Gauche Prolétarienne: Avec les héros de la résistance basque, avec l’Espagne de la liberté (1970)

    [19 décembre 1970.]

    Le peuple basque s’est levé avant l’aube, alors que depuis trente ans la nuit était sur l’Espagne.

    Aucune torture, aucune souffrance, n’a pu arracher de son cerveau le désir de l’indépendance et de la liberté.

    Les brutes aux uniformes gris et aux casques allemands n’ont pas non plus découvert les fusils et la dynamite enterrés.

    Et voilà cinq ans, aux mains de quelques patriotes dont l’organisation E.T.A. se nomme L I B E R T É , les armes ont commencé leur oeuvre de vengeance.

    La haine d’un peuple était un guide sûr, et elle a mené les partisans jusqu’au führer SS Meliton Manzanas – chef de la police du Guipuzcoa – abattu de plusieurs coups de revolver le 2 août 1968, car c’est ce que voulait la justice.

    Le sang des bourreaux doit payer le sang des martyrs, tel est le prix de l’indépendance; c’est l’idée que les peuples aujourd’hui reconnaissent comme leur.

    Dans l’appel de la Résistance venue des maquis du Pays basque, les mineurs catalans, les ouvriers madrilènes, toute l’Espagne de la liberté a reconnu sa propre voix.

    Depuis, les rues de Burgos, de Barcelone, de Madrid ont retrouvé les rumeurs de leurs émeutes.

    AMNISTIE! LIBERTÉ ! même durant la guerre contre les généraux félons, jamais l’Espagne ne s’était vue si unie : sur les barricades, dans les usines occupées que cerne la guardia civil, ils se reconnaissent : l’ouvrier et l’intellectuel, le mineur des Asturies et le métallo de Guipuzcoa – eux que durant trente ans Franco avait parfois pu dresser l’un contre l’autre…

    Ecoutez ce que disent à Burgos nos camarades IZKO, URIARTE, ONAINDIA, GOROSTIDI, LARENA, DORRONSORO: « Je ne suis pas séparatiste, je suis nationaliste, et révolutionnaire internationaliste. »

    « Je suis prisonnier de guerre, et je profite de cette occasion pour clamer l’oppression dont souffre le peuple basque! »

    « Nous sommes les guérilleros basques! Pour libérer Euzkadi, notre sang est prêt! »

    Vive la classe ouvrière espagnole.
    Vive le Pays basque libre.

    Ecoutez : le cri est le même, qui monte des barricades de Belfast avec la clameur des fusils irlandais. A Milan, à Berne, à Paris, les peuples de l’Europe ont compris l’appel de Burgos, ils ont répondu dans la rue.          

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  • Gauche Prolétarienne: Turin 1969, de la grève de guérilla au soulèvement

    [Juillet 1969, supplément au numéro 13 de la Cause du Peuple, qui va avec trois autres documents de l’organisation italeinne Lotta Continua: Lettre des ouvriers de la Fiat à leurs camarades du Sud, Nichelino, Lotta Continua.]

    QUE VOULONS-NOUS? TOUT !

    Vive la lutte de nos frères italiens.

    Pendant des années, à la Fiat, le pouvoir d’Agnelli le patron semblait invincible.

    Comme partout en Italie et dans toute l’Europe, à la Fiat on croyait au miracle.

    On produisait en paix; de temps en temps avec les syndicats , on s’arrangeait pour lâcher quelques miettes; la guerre, c’était pour les « sous-développés ».

    Mais les esclaves qui vivent dans les bagnes du grand capitalisme moderne ont parfaitement entendu et compris l’appel aux armes qui monte du Vietnam, de Chine.

    Depuis plusieurs mois, en France depuis mai 1968, ils ont à leur tour lancé le mot d’ordre qui cristallise leurs aspirations: « PATRONS, C’EST LA GUERRE ! « 

    Oui, c’est la guerre. Pour les travailleurs français, l’expérience de lutte des ouvriers de la Fiat est des plus importantes.

    Tout simplement parce que les problè -mes que nous nous posons ici en France, là-bas aussi on se les pose. Et parfois les solutions qui sont apportées là-bas peuvent nous servir directement ici.

    De même que mai 1968 a été capital pour les ouvriers révolutionnaires italiens, le soulèvement de Turin est pour nous une expérience dont nous devons tirer les leçons.

    C’est pourquoi nous publions les textes qui suivent.

    Il s’agit d’une série de tracts ou de petites brochures qui suivent de très près le déroulement des luttes.

    C’est la forme la plus directe qui soit pour réfléchir sur cette expérience et tirer des règles.

    QUE VOULONS-NOUS ? TOUT!

    Il faut bien voir la différence entre les luttes de la Fiat et les luttes prolétariennes en France depuis mai 68 (Flins, Sochaux,S.N. C. F…), et les luttes « traditionnelles » menées par les syndicats.

    Pour les syndicalistes, la lutte, c’est un moyen de pression qui doit conduire à des négociations avec le patron, et quand la pression est très forte comme en mai 68 en France, ou actuellement enIta-lie, on essaie de faire plus: de pousser au gouvernement des ministres communistes.

    Les luttes prolétariennes ac-tuelles en France comme en Italie visent un tout autre but. En clair, elles visent le pouvoir, elles visent à détruire le pouvoir des exploiteurs.

    Ce que nous voulons, ce n’est pas quelques aménagements de détail qui enjoliveraient l’exploitation, ce que nous voulons, c’est TOUT.

    Un autre travail, une autre vie, une autre société débarassée des profiteurs et de leurs collaborateurs en tout genre, à l’intérieur comme à l’extérieur des usines.

    Le travail et la vie d’esclaves qui servent à engraisser une petite poignée de crapules bourgeoises, nous les refusons de fond en comble: nous refusons l’actuelle hiérarchie dans les usines, la pyramide de chefs bons à rien, sinon à matraquer les ouvriers; nous refusons les cadences meurtrières, l’ambiance infernale de l’atelier, nous refusons la misère: que ce soit les salaires de famine, les logements infects, les taudis et les bidonvilles.

    Et on est misérable même si on n’est pas payé au SMIG ou si on n’est pas chômeur: avec les prix qui montent, les prix de la nourriture, des transports, du logement.

    Et il y a tout le reste, ce qu’on appelle le « temps libre », celui qui n’est pas employé directement par le patron.

    Ce temps libre, une fois qu’on a retiré le temps de l’usine, le temps des transports, il est bien mince: même celui-là est bouffé par la bourgeoisie; les « loisirs » et la’fculture » sont des industries qui non seulement servent à fabriquer du profit, mais aussi à nous conditionner et à nous abrutir pour nous enlever de la tête toute idée de révolte.

    Cette occupation de la vie de l’ouvrier, de toute sa vie par la bourgeoisie qu’il faut détruire. C’est le sens de la révolte actuelle.

    Nous voulons tout: de meilleurs salaires, un logement, mais aussi que le pouvoir des chefs, flics du patron soit renversé, mais aussi qu’on ne soit pas transportés, dans les métros et les trains, comme des bêtes, qu’on ne soit pas abrutis par le bourrage de crâne de la télé et des journaux au service de la bourgeoisie; nous voulons le bien-être mais surtout la liberté.

    Nous ne sommes pas des chiens. Pour le montrer, et pour conquérir la liberté, il faut le pouvoir. « Tout le pouvoir aux ouvriers », disaient les ouvriers de la Fiat dans leurs manifestations à l’intérieur de l’usine. Que voulons-nous? Tout. Et d’abord, parce que sans lui on n’a rien, le pouvoir.

    NOUS SOMMES TOUS DES DELEGUES

    Ce que nous voulons, ce n’est pas ce que veulent les syndicalistes, les bureaucrates, les porte-serviettes de la nouvelle bande d’arrivistes, des nouveaux bourgeois qui sont à la direction des syndicats.

    Notre guerre contre les patrons, c’est aussi une guerre contre ces syndicalistes.

    Nous leur disons:

    « Dans le passé, nous avons subi vos trahisons comme nous avons dû subir l’exploitation et l’humiliation. Mais aujourd’hui, ça suffit.

    Nous n’hésiterons pas à vous rentrer dedans; si vous attaquez,nous contr’attaquerons.

    A Argenteuil, avec les masses du bidonville que vous escroquiez misérablement, nous vous avons donné une sérieuse leçon; nous continuerons le temps qu’il faudra.

    Chaque fois que vous vous interposerez entre le patron et nous pour réprimer notre révolte, nous passerons sur votre cadavre ».

    Et on aura raison, car c’est la loi du développement de notre révolte.

    En France, ces arrivistes n’hésitent pas à s’entendre avec les flics ou les patrons pour vendre les ouvriers révolutionnaires; ils n’hésitent pas, tellement ils ont eu la trouille en mai 68, à employer la violence fasciste contre les révolutionnaires prolétariens, ils suivent en cela les leçons de leurs maîtres: les nouveaux tsars russes.

    Ces patrons « rouges » qui, après la révolution de 1917, et après Lénine, ont peu à peu repris le pouvoir.

    Eux non plus n’hésitent pas à employer la violence fasciste pour mater le peuple: ils envoient leurs chars à Prague pour réinstaurer l’ordre.

    En Italie, ces arrivistes semblent plus doux, plus intelligents, mais au fond, ils sont pareils: lors du soulèvement du 3 juillet à Turin, ils n’ont pas hésité à attaquer les ouvriers révolutionnaires, aies traiter de « voyous », d’ »éléments étrangers à la classe ouvrière ».

    Ça nous rappelle quelque chose?

    Et comment se comportent-ils dans les ateliers ?

    Leur objectif, ce n’est pas de renforcer le pouvoir des ouvriers et d’unir leurs forces contre le patron, mais bien de renforcer leur propre pouvoir.

    A la Fiat, les ouvriers luttent contre les cadences infernales, en brisant ces cadences, en réduisant la production.

    Eux, ils négocient l’institution d’un système de délégués de chaîne qui doivent contrôler les cadences.

    Les ouvriers se battent pour une forte augmentation non hiérarchisée des salaires; eux, ils négocient quelques miettes, et de toute façon des augmentations hiérarchisées.

     » CAMARADES: A QUOI SERVENT CES DELEGUES ?

    Disons-le clairement une fois pour toutes:

    Ils servent à vérifier que les cadences fixées « par la direction sont bien respectées.

    -En cas d’abus de la part des chefs et des gardiens, le délégué, au lieu d’organiser un débrayage avec ses camarades, doir courir au bureau des délégués dans lequel il transmet, par la filière bureaucratique, sa protestation à la direction.

    Dans ces conditions, les délégués deviennent obligatoirement les sergents du patron.

    Leur rôle, c’est d’arrêter les ouvriers quand ils vont commencer la lutte, en leur faisant croire que tout se règle dans le bureau du patron.

    Mais ce piège répugnant que nous tendent le patron et les syndicats ne peut marcher que si nous renonçons à la lutte pour nous jeter dans les bras des délégués et des bureaucrates syndicaux.

    CAMARADES: NOUS NE DEVONS COMPTER QUE SUR NOS PROPRES FORCES!

    Ripostons à l’augmentation des cadences en débrayant ou en réduisant la production; mais cela ne suffit pas, puisque notre meilleure défense, c’est l’attaque.

    ORGANISONS-NOUS ATELIER PAR ATELIER POUR REPRENDRE LA LUTTE SUR TOUS LES  » POINTS DE LA CONDITION OUVRIERE!

    LE SALAIRE, L’HORAIRE, L’EGALITE AVEC LES EMPLOYES »

    (Extrait de la première brochure sur « Turin 1969, la grève de guérilla)

    En France, c’est pareil.

    Quand les ouvriers de la Redoute à Tourcoing brisent les cadences infernales, les syndicalistes les découragent en négociant des augmentations de salaires.

    Dans le secteur nationalisé comme dans le secteur privé, la lutte pour maintenir la hiérarchie des salaires avec quelques aménagements de détail est un véritable principe pour les syndicalistes révisionnistes.

    Il ne faut pas nier qu’il puisse y avoir de nombreux délégués honnêtes; nous le savons, et très souvent c’est avec eux que nous luttons.

    Mais il est clair qu’entre le syndicalisme et la manière dont nous luttons, il y a un monde.

    Ce sont deux voies. La voie des syndicalistes, la vie l’a montré n’est pas bonne pour nous; cette voie nous remet invariablement dans le système bourgeois.

    Alors que faire? Se passer des syndicats? S’organiser à notre façon? C’est possible.

    Suivons les camarades de la Fiat:

     » Une organisation, cela signifie beau coup de choses:

    Ça veut dire savoir coordonner les luttes entre les ateliers de façon à provoquer une baisse de production maximum avec une perte de salaire minimum.

    Ça veut dire savoir clairement les objectifs qubn veut atteindre, de façon à pouvoir rejeter les propositions-bidons avec lesquelles le patron essaie de ne lâcher que quelques miettes, et seulement à quelques ouvriers.

    Ça veut dire savoir riposter aux manoeuvres des syndicats pour saboter notre lutte ».

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    A chaque débrayage,dans les cantines, dans les vestiaires, les ouvriers utilisent les « temps libres » pour discuter des objectifs et des formes de lutte; c’est comme cela qu’il faut s’organiser dans l’atelier.

    De cette façon,tous les ouvriers « sont des délégués ».

    Le patron vient s’expliquer devant tous les ouvriers de l’atelier; alors, ce sont eux qui ont la parole, ce sont eux leurs propres délégués.

    C’est cela « l’autonomie ouvrière », il faut conquérir cette autonomie si l’on veut lutter pour que ça change.

    Ecoutons les camarades de la Fiat:

     » Notre objectif, ce n’est pas les 50 lires, même si elles nous arrangent bien; notre objectif, c’est d’organiser les ouvriers de façon permanente; ainsi on pourra battre le patron n’importe quand.

    On se fout de la démocratie: ça fait 25 ans que la démocratie, on ne sait pas ce que c’est, et qu’on se fout de nous.

    Il faut que nous nous organisions. « 

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    Et il faut bien voir que nous avons tout le temps besoin de cette organisation et de cette autonomie:

     » NOUS DEVONS NOUS ORGANISER DE FAÇON  » STABLE: nous ne pouvons plus nous dire: « il suffit  » de commencer, et puis les syndicats se chargeront  » du reste. »

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    Regardons ce qui s’est passé tout récemment en France:

    Les ouvriers révolutionnaires, à la SNCF, aux PTT, à la RATP, ont commencé; et puis les syndicats se sont chargés du reste, car ils se sont chargés de trahir, en laissantpou-rir la grève puis en négociant par dessus la tête des ouvriers.

    En France comme en Italie, la grande question qui se pose à travaers toutes les luttes, c’est bien celle-là: Comment arracher l’autonomie?

    Comment s’organiser à notre façon, en rejetant le syndicalisme?

    SI NOUS AVONS FAIT GREVE HIER, MAIS QU’AUJOURD’HUI LE CHEF N’A RIEN PERDU DE SON POUVOIR, RIEN N’A CHANGE!

    Nous voulons le pouvoir. De cela, nous sommes parfaitement convaincus. Il faut que cette idée devienne à travers les luttes une force matérielle pour des millions de travailleurs. Quelles luttes?

    Des luttes qui renforcent l’autonomie ouvrière. Le sens de ces luttes est donné par les camarades de la Fiat:

    « Si nous sommes organisés et unis, nous pissons quand nous voulons, nous mangeons quand nous vouIons, nous travaillons quand nous voulons et comme nous voulons. »

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    C’est assez clair, mais il faut être plus précis. Alors :

     » Nous avons démontré que quelques lires d’augmentation ce n’est pas le principal, mais qu’il faut lutter et nous organiser pour dire NON
    – aux cadences
    – à l’organisation du travail
    – au pouvoir du patron. »

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    C’est logique: nous voulons détruire le pouvoir des patrons, donc dès maintenant et sans cesse nous devons attaquer le pouvoir des patrons et de leurs valets les chef-flics.

    Nous voulons que cesse le travail d’esclave, donc dès maintenant et sans cesse nous devons lutter pour briser les cadences infernales, nous devons lutter contre toute l’actuelle organisation du travail qui fait de nous des bêtes, seulement bonnes à produire toujours plus.

    Nous devons avoir des objectifs clairs,  » sinon nous courons le risque d’être achetés par le patron qui nous divisera en distribuant quelques sous et quelques catégories supérieures à une minorité d’entre nous ».

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    Ce sont les syndicalistes professionnels qui noircissent des pages et des pages de tracts avec des chiffres et des pourcentages compliqués.

    Exactement comme les patrons nous donnent des feuilles de paie absolument incompréhensibles. T

    out cela passe par dessus nos têtes; et c’est fait pour cela: les patrons peuvent nous voler sans qu’on s’ en rende compte et les syndicalistes peuvent raconter n’im -porte quoi sur les succès qu’ils ont obtenus dans les bureaux du patron sans qu’on puisse vérifier.

    Nous voulons donc des objectifs clairs qui visent à:

    – affaiblir le patron, son pouvoir.
    – renforcer, unir les ouvriers.

    Nous soutenons tout ce qui combat le pouvoir des patrons.

    Nous combattons tout ce qui soutient la division entre ouvriers.

    Nous exigeons, exactement comme les ouvriers de la Fiat et ceux de l’Italie entière: de fortes augmentations de salaire NON HIERARCHISEES.

    Les luttes du printemps dernier à la Sollac comme les luttes à Renault-Le Mans et à Flins contestaient le système hiérarchisé actuel de rémunération: nous ne voulons plus que pour un même travail, il y ait des paies différentes.

    Il nous faut briser le système de division entre ouvriers: les feuilles de paie à la tête du client, les différences soi- disant scientifiques entre postes de travail.

    Tout cela ne sert qu’à renforcer la division parmi les ouvriers, l’égoisme.

    Et qui cela sert-il? le patron. Ce système sert à renforcer l’autorité patronale.

    Nous sommes aussi, comme les ouvriers de la Fiat , contre le système des primes de production et autres , qui visent à enchaîner l’ouvrier à son travail d’esclave, et à semer la division.

    Nous voulons l’intégration des primes au salaire.

    Bref: NON aux divisions entre ouvriers que le patron organise lui-même: classes, augmentations suivariFle mérite, favoritisme; fayotage.

    NON AUX CADENCES INFERNALES.

    Les cadences, ça ne se négocie pas, ça se refuse, ça se brise.

    L’an dernier à Sochaux et depuis un peu partout, à la Redoute, aux PTT Austerlitz, à Renault-Flins, dans l’alimentation: cette méthode de lutte se généralise. Les ouvriers brisent les cadences, ils organisent la réduction de la production.

    HALTE AUX ASSASSINATS D’OUVRIERS!

    Les assassinats d’ouvriers dans les mines (silicose et « accidents »), dans la sidérurgie, dans le bâtiment.

    Les maladies comme les accidents qui résultent de la « nocivité » du travail, ce n’est pas une fatalité.

    Le fait de ne pas avoir de repos digne de ce nom, comme à la SNCF ou à la RATP, ce n’est pas non plus inévitable.

    C’est la conséquence d’un système qui se fout de la vie et de la santé de l’ouvrier, pourvu qu’il puisse continuer à trimer pour rapporter des profits au patron.

    Contre cette organisation du travail criminelle, mais que pourtant les tribunaux bourgeois si prompts à condamner les jeunes en révolte ne condamnent pas, ON A RAISON DE SE REVOLTER.

    Et en France, la révolte pénètre profondément, comme le montre la rentrée ouvrière de 1969.

    La lutte contre le chômage, les heures supplémentaires se développera quand le plan de redressement du capital, mis sur pied par le gouvernement à la solde des profiteurs, se traduira dans la pratique par une montée du chômage goulue par le patronat pour essayer de casser la combativité ouvrière.

    En Italie, les luttes actuelles se développent sur ce front.

    Quel que soit l’aspect de la condition ouvrière contre lequel on se révolte:

     » Si nous avons fait grève hier, mais qu’aujourd’hui le chef n’a rien perdu de son pouvoir, rien n’a changé ».

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    La question fondamentale, c’est la question du pouvoir.

    Conquérir le pouvoir et libérer le peuple, c’est armer les ouvriers et tout le peuple pour vaincre les forces armêea des exploiteurs.

    Mais tant qu’on n’a pas le fusil, doit-on s’ abstenir d’attaquer le pouvoir des patrons?

    Absolument pas.

    Précisément pour que les ouvriers et tout le peuple s’ arment progressivement en vue d’anéantir les forces armées du capital, il faut dès maintenant attaquer le pouvoir des patrons.

    Lutter contre le despotisme capitaliste à l’intérieur de l’usine et aussi à l’extérieur, c’est précisément préparer les esprits à l’armement révolutionnaire en vue de vaincre définitivement le régime des patrons.

    De toute façon, comment peut-on briser les cadences?

    Comment peut-on lutter de manière autonome et révolutionnaire aujourd’hui en faisant payer très cher au patron son exploitation et son oppression, si on n’est pas décidé à s’attaquer à son pouvoir dans l’usine?

    Peut-on briser les cadences sans lutter contre les chefs-flics?

    C’est impossible.

    Voilà pour quoi nous disons:

    « Si nous avons fait grève hier, mais qu’aujourd’hui le chef n’a rien perdu de son pouvoir, rien n’a changé ».

    A l’égard des chefs-flics, notre politique est claire:

     » Pour un oeil les deux yeux, pour une dent toute la gueule.’ »

    Notre politique; c’est de rabattre la grande gueule de ces crapules, de porter un coup au prestige du patron en le ridiculisant, en frappant ses valets.

    Notre politique, et nous ne nous en cachons pas, parce que c’est conforme aux aspirations des travailleurs, c’est la terreur rouge à l’égard des salauds qui sont responsables des pires exactions contre les ouvriers.

    En juin 1969, nous avons donné une raclée à cette canaille, cadres-flics et contremaîtres; c’était à Flins.

    Depuis, cette méthode de lutte se généralise.

    Aujourd’hui, on séquestre les patrons et les chefs-flics, et ON A RAISON DE SEQUESTRER LES PATRONS.

    A la Fiat actuellement, cette méthode de lutte commencée à être prise en mains: la Palazzina d’Agnelli [bâtiment de la direction de Fiat à Mirafiori-Turin, Agnelli étant le patron et propriétaire] connaîtra le sort du cercle-hôtel de Sochaux en juin 68 [Foyer des cadres de Peugeot, pillé par les ouvriers].

    La terreur dans les rangs de l’ennemi, l’espoir dans le coeur des ouvriers et de toutes les petites gens exploitées par les bourgeois, c’est le fond de notre politique.

    C’est la politique conforme aux intérêts des ouvriers, de toutes nationalités.

    DE LA GREVE DE GUERILLA AU SOULEVEMENT

    Il faut des objectifs clairs.

    Comment lutter?

    Les ouvriers de la Fiat ont inventé une forme de lutte tout à fait appropriée: la grève de guérilla.

    Le principe de cette forme de lutte, c’est:

    Perte maximum pour le patron, minimum pour les ouvriers.

     » La grève dans l’atelier est importante, parce que le patron n’est jamais sûr qu’entre une lutte et l’autre la production va continuer tranquillement, ou même augmenter pour récupérer la perte, comme c’était le cas pour les grèves où on restait en dehors de l’usine.

    La grève dans l’atelier renforce et unit les ouvriers parce qu’on utilise le temps de grève pour s’éclaircir les idées et organiser la poursuite de la lutte.

    La grève dans l’atelier bloque la production, non seulement là où on lutte, mais dans toute l’usine.

    Elle coûte plus cher au patron qu’aux ouvriers.

    Elle permet même aux ouvriers des ateliers suivants, qui sont arrêtés pour manque de travail, de discuter pour préparer à leur tour le combat. »

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    Cette méthode, que tous les tracts présentés dans les brochures illustrent, est très efficace, et à leur tour, les ouvriers français l’expérimentent actuellement, à Renault , à Saulnier-Duval de Nantes, etc…

    C’est la forme de lutte qui permet, au moindre coût pour les ouvriers, de renforcer leur combativité, d’édifier une organisation autonome dans les ateliers.

    Elle permet de passer à un stade supérieur: l’offensive généralisée, l’occupation de masse avec séquestration des principaux flics, patrons en tête, le soulèvement des ouvriers forts de leur unité conquise dans l’usine qui sortent de l’usine pour élargir leur combat.

    Comme le 3 juillet, les ouvriers de la Fiat et les étudiants révolutionnaires ont élargi leur combat par leur soulèvement dans plusieurs quartiers de Turin.

    [Ce jour-là, plus de 100.000 manifestants, ouvriers, étudiants, habitants des quartiers, ont tenu tête pendant plus de
    24 heures à la police]

    Les luttes engagées au même moment dans Turin contre la ville-usine les prix exorbitants des loyers et les expulsions se sont confondues avec le combat d’usine.


    DE L’USINE A LA VILLE-USINE

    En France aussi, à Nancy, à Ivry, à Argenteuil,à Flins, on s’élance à l’assaut des villes de classe.

    La lutte pour des logements décents , des logements pour tous à des prix a-bordables, a commencé aussi.

    Elle se fondra à la lutte d’usine, l’élargira.

    Dès lors, on assistera à un soulèvement formidable qui fera trembler patrons, flics, journalistes et tous les vendus, syndicalistes révisionnistes en tête.

    Tout nous conduits vers ces soulèvements : les luttes d’usine, les luttes sur le loyer, sur les transports (déjà, à la gare de Lyon, à la gare Saint-Lazate, la révolte est née), les luttes pour détruire l’école de classe.

    Toutes ces luttes se fondront comme un fleuve en marche.

    En particulier, l’unité des ouvriers avec les étudiants et les lycéens se renforce.

    En Italie comme en France:

     » Les étudiants et les ouvriers luttent ensemble parce qu’ils savent que le patron qui exploite les ouvriers dans l’usine, qui leur fait mener une vie de chien, c’est aussi celui qui fait de l’école une caserne où seront formés les imbéciles et les fidèles serviteurs du patron dans l’usine et à l’extérieur. »

    (Extrait de la première brochure sur Turin 1969, la grève de guérilla)

    Tous les tracts de cette brochure ont été faits en commun avec les étudiants.

    Tous les jours, à toutes les portes de la Fiat,des étudiants discutent avec les ouvriers.

    Puis ils font des meetings ou bien des assemblées dans les Universités.

    Dans la rue, ils se battent côte à côte; et aujourd’hui les ouvriers rentrent dans les lycées et les universités pour s’unir aux étudiants et lycéens, pour les encourager à la lutte.

    Cette unité-là, nous la voulons, nous y tenons parce qu’elle est indispensable pour la continuation1 du combat.

    Les étudiants français sauront se mettre à l’école de leurs camarades italiens: en particulier, ils apprendront ce style de travail continuions les joursàla porte de l’usine), qui a fait défaut après mai en France.

    VIVE LE COMBAT DE NOS FRÈRES ITALIENS !

    QUE DANS CHAQUE ATELIER, L’EXEMPLE DE TURIN DEVIENNE UNE PUISSANTE FORCE MATÉRIELLE !

    TOUT LE POUVOIR AUX TRAVAILLEURS !

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  • Gauche Prolétarienne: Sur la question de la ligne de démarcation en matière syndicale (1969)

    [Supplément au Bulletin intérieur n°11 de la Gauche Prolétarienne.]     

    Après notre détour par la ligne « syndicaliste prolétarien » nous nous sommes rendus à l’évidence: il ne suffit pas d’avoir des formes d’action nouvelles et dures pour se démarquer des revisos-réformistes quand on garde le même esprit syndicaliste, ou la même revendication isolée prise dans le programme de la CGT.

    On ne réussit qu’à prendre quelques jours d’avance, et l’appareil syndical a tôt fait de tout récupérer en fin de compte.

    Notre problème, depuis que des camarades ont essayé de constituer des programmes  » revendicatifs  » reste le même : la ligne de démarcation doit être radicale et elle ne l’est toujours pas; le vieil esprit syndicaliste traîne toujours dans tous ces programmes de lutte, et pourtant nous devons avancer et nous soucier des conditions de vie et de travail immédiates des plus larges couches ouvrières.

    Nous croyons, camarades, qu’il faut non seulement révolutionnariser nos esprits, mais aussi notre langage : car qu’on le veuille ou non : revendications, syndicats et toutes ces listes de revendications sentent la litanie réformiste.

    En effet ce sont les révisionnistes qui ont banalisé, abruti ces mots d’ordre à force de les répéter sans contenu, de même qu’ils avaient autrefois dénaturé le nom de « social-démocrate ».

    Pour des militants travailleurs l’éternelle liste de revendications au bout de chaque tract, de chaque affiche, est devenue comme un attribut de la CGT, au même titre que son sigle.

    Au lieu de faire progresser la conscience des masses ces listes constamment rabattues amusent le populo et font vivre le syndicat.

    Quand aux luttes passées et à leurs victoires elles constituent le bagage juridique du syndicat : pour être un bon délégué ou permanent il faut avoir son bagage juridique : telle est devenue la soi-disant tradition de lutte syndicale : une tradition législative ou légalo-bourgeoise.

    A tous les coups, le réflexe syndicaliste préfère l’argument juridique à la lutte :  » j’ai quinze ans de travail dans la boîte, donc j’ai droit à la prime d’ancienneté « .

    Il faut détruire l’esprit syndicaliste, il ne s’agit pas de faire « mieux  » que la CGT, de  » demander  » par exemple 5% d’augmentation de plus qu’elle, car pour les travailleurs cela ne fait qu’une organisation de plus qui  » demande « . Il s’agit de contester les salaires pas de demander au patron.
    En effet ce n’est pas la liste des revendications passives qui mobilisera les travailleurs.

    A Olibet Bordeaux, comment des camarades ouvriers ont-ils brisé des cadences insupportables?

    En cassant délibérément pour 300 000 AF de biscuits.

    Ces camarades n’ont rien mendié mais l’accélération des cadences a cessé.

    Ça c’est la lutte qui s’oppose aux  » revendications  » synonymes de  » discussion « . Car c’est la parlotte qui aurait permis au patron de détourner le problème, en augmentant les salaires ou en donnant comme à Dassault une prime de technicité tout en conservant le même rythme.

    La  » revendication  » est le frein légal entre le patron et les ouvriers, elle mène à la participation et a pour but d’empêcher de poser les problèmes à fond, d’aller à la racine du mal.

    Voici ce qu’on peut entendre par exemple de la bouche même d’un magouilleur expérimenté, ancien journaliste et théoricien du PCF :  » On ne peut pas toujours mettre à la fin de chaque article qu’on veut renverser le Capital, qu’on est pour la révolution. « 

    C’est en effet lassant pour la bourgeoisie et pour ceux qui n’y croient plus : telle est la démarche d’esprit qui conduit tout droit au révisionnisme : le but est trop loin alors au lieu de nous en approcher, enlisons-nous dans le présent et l’immédiat.

    Quand ce sont des revendications qui ne veulent pas en être (comme on en trouve souvent et c’est inévitable dans nos tracts) : ça donne des ambiguïtés, des détours ( » si le pouvoir était aux travailleurs « ) qui ne sont pas clairs.

    Le syndicat actuellement c’est comme les Conseils d’UER, purement et simplement de la participation.

    Les camarades qui commencent à lutter contre la hiérarchie des salaires sont souvent tombés dans ce piège : le problème est-il entre augmentation, diminution ou modification?

    Alors qu’on laisse en premier accepter l’idée que la hiérarchie est nécessaire, alors qu’on ne conteste ni son principe ni sa grille elle-même (pourtant on ne peut plus arbitraire).

    Se battre sur le terrain de la bourgeoisie ou sur celui du prolétariat? Adopter la conception de la vie bourgeoise ou la conception de la vie prolétarienne? Préférer le syndicalisme-participation-intégration à la lutte pour la révolution?

    Car le syndicalisme est bien une variante du révisionnisme :  » le mouvement syndical est tout, le but révolutionnaire n’est rien « .

    Le terrain juridique est le terrain du savoir et des formes de lutte bourgeoises.

    Quand un délégué syndical ou tout autre l’adopte il devient le spécialiste prélevé par le Capital à sa classe; pour le contrôler il faut devenir comme lui : un parvenu de l’aristocratie ouvrière.

    D’ailleurs dans la majorité des cas, personne ne le contrôle car personne ne comprend plus rien à ses calculs.

    A Labaz près de Bordeaux on a fait venir un permanent PCF-CGT pour faire reprendre le travail en période de paix électorale.

    Son grand art a été de camoufler une défaite par des chiffres, de confondre ce que tous auraient obtenu sans faire grève et ce qu’on leur accordait.

    Autre exemple il y a deux ans à Dassault : plus la lutte durait moins les ouvriers comprenaient pourquoi ils se battaient. Partie sur la parité des pourcentages avec Paris la lutte a débouché sur des pourcentages d’augmentation.

    Pourtant les méthodes de lutte étaient dures, mais quand les ouvriers n’ont pas la direction politique de leur grève, quand leur objectif concret leur est incompréhensible ils perdent pied. En fait seuls 200 inconditionnels restaient à la fin du mouvement déterminés à se battre pour se battre.

    Ce qui est sûr maintenant c’est qu’on doit faire preuve d’imagination, inventer des nouvelles formes de lutte en s’appuyant sans réserve sur l’initiative des masses, mais surtout accepter un langage nouveau pour exprimer les aspirations des masses.

    Il faut détruire l’esprit syndicaliste et le jargon syndical et le remplacer par un esprit dynamique, révolutionnaire et nouveau.

    C’est par ce changement radical que nous construirons sur le cadavre syndicaliste, un programme de contestation révolutionnaire.

    Nous proposons que dans cette direction tous les camarades rivalisent.

    A BAS LE SYNDICALISME-PARTICIPATION
    A BAS LES REVENDICATIONS BIDONS

    Pour une nouvelle forme de contestation !
    Dans un esprit révolutionnaire militant !

    Vive le Maoïsme

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  • Plate-forme du Comité Palestine (1969)

    [10 février 1969.]

    – I) Les comités Palestine sont créés dans le but de soutenir la lutte révolutionnaire du peuple palestinien contre le sionisme et l’impérialisme avec à sa tête l’impérialisme américain et d’appuyer activement le mouvement de libération de la Palestine.

    – II) Les C.P. rejettent toute solution négociée qui ne tiendrait pas compte des droits nationaux du peuple palestinien sur la Palestine tout entière.

    Par conséquent, les C.P. rejettent la résolution du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967.

    – III) Les C.P. soutiennent la guerre populaire qui est le seul moyen pour le peuple palestinien de récupérer ses droits historiques et légitimes.

    Cette lutte s’inscrit dans le cadre de la lutte mondiale contre l’impérialisme et ses alliés objectifs, les oligarchies intérieures.

    – IV) Les C.P. soutiennent toute lutte du mouvement de libération palestinien contre tout régime, arabe ou non, réactionnaire ou pseudo progressiste, qui voudrait soit éliminer, soit récupérer le mouvement de lutte palestinienne.

    – V) Les C.P. soutiennent le mouvement de libération palestinien dans sa volonté de détruire l’Etat d’Israël en tant qu’Etat aux structures théocratiques, racistes, colonialistes, capitalistes et fascistes, et de construire une Palestine laïque démocratique et socialiste.

    Les C.P. soutiennent donc, comme l’a déjà fait le mouvement de libération palestinien, tous les groupes et militants, dont les militants juifs qui à l’intérieur d’Israël ou ailleurs, combattent pour les mêmes objectifs que les Palestiniens arabes.

    – VI) Les C.P. luttent contre le sionisme et le racisme antijuif qui sont à l’origine de la création de l’Etat d’Israël et contre l’exploitation raciste (antijuive ou anti-arabe) du problème palestinien par les groupes fascistes et néofascistes.

    – VII) Les C.P. considèrent que la lutte révolutionnaire du peuple palestinien est partie intégrante de la révolution mondiale, qu’elle peut jouer un rôle important dans la prise de conscience anti-impérialiste en Europe et en France et qu’elle se trouve à l’avant-garde de la lutte révolutionnaire des pays arabes et du Proche-Orient.

    – VIII) Les C.P. forment une coordination. Cette coordination est composée de deux délégués de chaque comité Palestine. Des militants sont mandatés par l’assemblée pour certains travaux, ces militants sont révocables à tout moment.

    Vive la lutte révolutionnaire du peuple palestinien !

    Comité Palestine  

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  • Gauche Prolétarienne: La J.C.R. en mai-juin 1968

    [Extrait des Cahiers de la Gauche Prolétarienne, n°1, avril 1969]

    On doit se demander la raison des profondes affinités qui lient depuis pas mal de temps une fraction des trotskystes et le P.S.U.

    Ces affinités ont conduit à Charléty.

    [Allusion au meeting du 27 mai à Charléty appelé par le P.S.U., la CFDT, l’UNEF, le SNES Sup, et la JCR. Mendès-France était présent à la tribune]

    Et comme il ne semble pas qu’il y ait eu la moindre autocritique sur ce point, comme sur bien d’autres, on est en droit de se poser et de poser des questions.

    Rappelons les faits essentiels ; l’ex-J.C.R. dans la première semaine de mai constitue le bras séculier de l’U.N.E,F. ; dans les semaines qui suivent, elle se concentre dans les facultés et les coordinations naissantes ; dans la semaine décisive 24-31, elle se retrouve avec le P.S.U. lors des manifestations du 24 puis au stade Charléty.

    Enfin, à partir de ce moment, vu la  » contre-offensive gaulliste « , elle décide que le temps du reflux étant arrivé, sa tâche est d’organiser î’avant-garde et surtout comme l’agitation des masses se perpétuait, il fallait protéger cette avant-garde naissante des tentations de l’aventurisme, du jusqu’au-boutisme.

    Les partisans de  » la résistance prolétarienne  » se virent ainsi gratifiés de l’étiquette de  » jusqu’au-boutiste « .

    C’était l’époque où l’on évoquait les grandes ombres du passé; on rappelait que le mouvement ouvrier avait mis des années après  » le massacre de la Commune  » pour se remettre de son affaiblissement.

    D’où venaient ces idées ?

    Moins des manuels et des souvenirs que du P.C. révisionniste.

    La suite allait le démontrer amplement ; le thème de la Commune,  » solo funèbre  » pour la classe ouvrière est le thème de prédilection de Waldeck Rochet.

    Comme on le voit d’après ces faits, la question s’impose : pour quelle raison cette proximité politique de l’ex-J.C.R. et du P.S.U. ?

    La pensée avant-gardiste

    Son expression la plus fulgurante est celle de la  » répétition « , 1968 est la répétition générale de la révolution socialiste française.

    Bien, mais là où l’effet devient franchement burlesque, c’est lorsqu’on analyse le contenu de cette répétition.

    En gros, si en 68, cela n’a pas marché, c’est parce qu’il n’y avait pas d’avant-garde ; s’il n’y avait pas d’avant-garde, c’est qu’au moment décisif, des militants d’avant-garde n’ont pas eu les moyens de faire pénétrer dans les masses la ligne d’avant-garde qui est celle du  » contrôle ouvrier « , la ligne de la  » transition révolutionnaire « .

    Cela  » répète  » le programme de transition de Trotsky écrit en 1938. Ce n’est pas tout, ce programme est une répétition du programme de Lénine en 1917.

    Et comme chacun sait, 17 a été précédé de la répétition du 1905. La lutte des classes est un théâtre où on joue toujours la même pièce.

    Une telle pensée d’avant-garde qui aurait maintenu, répété, la première pièce d’avant-garde jouée sur la scène, la révolution bolchevique : voilà ce qui a manqué en 68.

    Lisons le jeu de l’ex-J.C.R. pendant la tempête révolutionnaire à la lumière de cette pensée.

    L’ex-J.C.R. est l’avant-garde puisque cette pensée est la sienne, mais en 68 cette avant-garde n’était pas en mesure de fonctionner comme avant-garde,

    Deux conséquences : elle réagissait aux modifications du rapport de forces comme si elle le dominait politiquement ; elle se mettait à la place d’une avant-garde qu’elle n’était pas en fait mais qu’elle aurait pu être.

    Ainsi, la semaine du 24 au 31 est-elle décisive : le pouvoir était vacant, pourquoi ? tout simplement parce que si à la place du P.C. F. -C. G. T. il y avait eu l’avant-garde cela se serait passé autrement : le pouvoir aurait été à prendre (et on l’aurait pris)…

    De même puisque le P.C. F. ne réagissait pas à la contre- offensive du pouvoir le 31, puisque à partir de ce moment le pouvoir n’était plus à prendre, l’objectif ne pouvait être que de protéger l’avant-garde (celle qui… à la place du P.C. F. eût changé la face de l’histoire).

    On voit la conséquence pratique : cette identification imaginaire aboutit à suivre le rapport de forces tel qu’il est tranché par le P.C. F.

    On est l’ombre révolutionnaire du P.C.F., l’ombre portée.

    La résistance prolétarienne est inadmissible dans cet ordre d’idées.

    En effet son objectif est précisément de dérégler le jeu gaullisme-P.C.F.

    Son objectif, c’est que la force ouvrière réprimée idéologiquement par le révisionnisme s’exprime avec l’aide des étudiants révolutionnaires.

    Cette expression-là c’est l’aurore d’un parti prolétarien.

    Un parti qui naisse de la lutte révolutionnaire des masses (ouvriers et étudiants révolutionnaires) contre les ennemis, la contre-révoultion : le pouvoir et son complice révisionniste.

    Deux voies : ou l’on se proclame (en pensée ou en paroles) une avant-garde et cela amène à une pratique politique  » paradoxale « .

    Ou l’on édifie une avant-garde, le noyau dirigeant de la cause du peuple.

    Et alors on part de la réalité. Ce qui veut dire, entre autres, qu’on part du fait que les masses ne nous reconnaissent pas encore comme avant-garde.

    Transformer cette réalité c’est montrer dans les faits en quoi l’on a fait avancer l’histoire.

    Le rêvolutionnarisme petit-bourgeois

    On a vu comment une pensée avant-gardiste se donne en pensée ce qui est à créer dans la matière. On a vu qu’une telle pensée implique le suivisme.

    En effet cette avant-garde imaginaire est contrainte de partir de la réalité que ceux qui sont à la place qu’elle désire (la direction de la classe ouvrière) produisent. En d’autres termes, elle suit (en critiquant).

    Ce qui reste à analyser c’est le fait suivant : quelle est dans ce cas précis la position réelle adoptée par cette avant-garde en paroles ?

    Si elle n’est pas à l’avant, alors où est-elle ? Les faits montrent que l’ex-J.C.R. s’est trouvée à la  » gauche  » du P.S.U. Pourquoi cette position ?

    Pour répondre à cette question il ne suffit pas de dire que « dirigeant  » le même mouvement (le mouvement étudiant) ce n’est pas un hasard qu’ils se soient retrouvés bons compagnons; d’autres groupements politiques avaient une influence de masse dans le mouvement des étudiants révolutionnaires qui n’ont pas pris cette orientation putschiste (ex-22 mars, ex-U.J.C.M.L.).

    Il faut donc que ce rapprochement ait non seulement été facilité par une référence sociale commune (le mouvement étudiant), mais par une politique convergente. C’est ce qu’il faut déterminer.

    La convergence idéologique était perceptible, bien avant mai: les thèses de Mandel, ie penseur de l’ex-J.C.R,, l’adaptateur du programme de transition de Trotsky aux conditions de notre époque, ont rencontré et partiellement fusionné avec les thèses du socialisme petit-bourgeois : les thèses du  » réformisme révolutionnaire « .

    La ligne du  » contrôle ouvrier  » est devenue la ligne des  » réformes de structures anticapitalistes « .

    La ligne du  » contre-pouvoir  » a été amalgamée avec celle du  » double pouvoir « , Le contre-pouvoir pour les réformistes révolutionnaires c’est la ligne qui consiste à opposer à une politique une autre politique, à un pouvoir de décision un contre-pou voir de décision ; par exemple, opposer au pouvoir patronal le pouvoir syndical ; au plan, un contre-plan; au modèle de civilisation, un autre modèle de civilisation.

    On voit évidemment que cette ligne part des formes du despotisme impérialiste (extension du despotisme ; phénomènes nouveaux de distribution du pouvoir) et lui oppose une ligne d’action  » réformiste  » : en effet au lieu de déterminer une politique qui s’oppose radicalement à la structure actuelle du despotisme, on propose une politique qui, épousant les formes du despotisme telles qu’elles apparaissent, n’est rien d’autre que le renouvellement de la tactique classique du réformisme : le  » grignotage  » imaginaire du pouvoir, le refus réel de sa destruction en raison du refus de poser concrètement la question du fusil qui est le pilier du despotisme impérialiste.

    Apparemment dans le cas trotskyste, c’est radicalement différent : puisque le thème de l’insurrection armée est invoqué. Mais ce n’est qu’une apparence.

    Considérons le programme de transition de Trotsky, base de référence.

    II semble qu’il répète en tous points le programme bolchevique de 1917.

    Mais il y a un hic : le thème du contrôle ouvrier en 17 est subordonné à un contexte concret où il prend tout son sens.

    Dégagé de ce contexte, il perd tout son sens. Quel est ce contexte ?

    L’existence de Soviets, d’un pouvoir rouge inventé par les masses.

    Quelle est l’essence de ce pouvoir ? C’est un pouvoir révolutionnaire parce qu’il combine grâce à l’action dirigeante des bolcheviks les deux conditions essentielles : l’appui des masses et le fusil.

    C’est un pouvoir parce que sa base est une base de masse et que son pilier, l’embryon de l’armée, est constitué.

    En d’autres termes pour se retrouver dans une situation du type 1917 il faudrait non seulement avoir sa  » ligne de contrôle ouvrier  » (ça n’a jamais été une ligne pour Lénine, tout au plus un élément secondaire de la ligne) mais surtout il faudrait avoir réglé la question de l’armement unifié des classes révolutionnaires (et pas seulement du prolétariat) des classes révolutionnaires, de la majorité réelle du peuple.

    (La majorité réelle qui n’a, bien entendu, rien à voir avec une quel-majonte électorale, c’est la majorité des masses populaires actives inquement que les révolutionnaires bolcheviks ont pour tâche de mobi-user consciemment).

    Une paille comme on voit !

    En 1917, le Soviet était une forme inédite d’armement unifié des classes révolutionnaires.

    On connaît le secret de l’affaire : la guerre inter-impérïaliste avait aboli la distance villes-campagnes (problème fondamental de la révolution mise), cette même guerre avait donné le fusil au paysan : c’était le soldat.

    La question principale de la révolution est celle du pouvoir, c’est-à-dire avant la dictature du prolétariat celle de la guerre révolutionnaire : ce n’est pas, et pour cause, la question du contrôle ouvrier (ou de l’autogestion).

    Quand on prétend avoir répété le grand soir en sortant de mai 68 avec la ligne du contrôle ouvrier, qu’est-ce que l’on fait d’autre qu’oublier le fusil, même si par ailleurs on bavarde sur l’insurrection armée et les piquets de grève qui en sont les premiers détachements.

    Croit-on que c’est en un mois qu’on invente la solution de ce problème ?

    Autant dire qu’on ne le considère pas comme un problème.

    Dans le contexte de mai 68 où la violence ne fut jamais politico-militaire mais toujours politico-idéologique (en effet, elle visait moins à anéantir l’ennemi qu’à éveiller les forces de l’ami), on comprend que cet oubli de fusil redevienne actuel.

    Les continuateurs de Trotsky et les partisans de la voie pacifique extraparlementaire (P.S.U.) se retrouvent sur le même terrain. On comprend les émouvantes communions de Charléty.

    On voit comment base sociale (révolte idéologique anti-autoritaire à caractère petit-bourgeois) et idéologique (amalgame de la ligne de transition trotskyste et la ligne de transition réformiste révolutionnaire) se conjoignent pour donner Charléty.

    Tout cela est cimenté par la position vis-à-vis du révisionnisme intitulé « bureaucratie stalinienne ».

    De même que la ligne du P.S.U. suppose l’unité de la gauche et que la tactique du P.S.U. c’est de faire pression sur la gauche pour  » renouveler  » le socialisme ; la tactique des trotskystes est de faire pression sur la bureaucratie stalinienne, parti ouvrier mais affligé d’une tare (il a rejeté la ligne du contrôle ouvrier).

    Voilà comment à Charléty la pression du réformisme révolutionnaire s’est conjointe avec la pression de la ligne du contrôle ouvrier ; double pression qui devait accabler le révisionnisme.

    Les faits : loin d’être accablé, le révisionnisme est sorti renforcé de Charléty, II y a ainsi d’étranges avant-gardes.

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  • Gauche Prolétarienne: Information (1969)

    1° La campagne de mobilisation sur Flins n’a pas été simplement l’occasion de fêter un anniversaire; elle a été l’occasion d’intensifier la lutte contre nos ennemis et de transformer idéologiquement et politiquement l’organisation et ses rapports avec les masses : attiser la haine de classe contre la bourgeoisie, ses flics, ses valets révisionnistes, ses infiltrés liquidateurs; opposer à l’électoralisme, la voie révolutionnaire de Mai; préparer de manière révolutionnaire la nouvelle étape du développement de la gauche ouverte par le stage des GTC et la recherche d’une issue prolétarienne à la révolte anti-autoritaire.

    Tels étaient les axes de la campagne.

    2° La campagne se divise en trois moments : une phase de préparation révolutionnaire de l’opinion; puis l’action centrale à Flins que l’on peut définir comme action de partisan dans l’étape de révolutionnarisation idéologique; enfin une phase de popularisation de cette action.

    3° Les acquis de la phase de préparation idéologique de l’opinion sont grands.

    Ils sont apparus au cours d’un grand nombre d’actions impulsées soit par les secteurs soit par la CPM (ces actions allaient des petits meetings improvisés devant les usines et des bombages massifs dans le métro, aux meetings centraux devant le Lycée Gilles Tautin, dans les Gares Saint-Lazare et du Nord et à l’action de casse parfaitement réussie de la chambre patronale des constructeurs d’automobiles).

    – Développement de la résistance violente aux flics. Cette résistance est apparue comme un des facteurs les plus importants de la révolutionnarisation des masses (les camarades ont été physiquement aidés par des ouvriers et des commerçants, au marché de Montrouge, devant l’usine Lissac, etc.)-

    – La lutte contre la liquidation a fait un bond en avant dans l’organisation. Tous les groupes liquides ont montré leur incapacité à organiser quoi que ce soit (douze liquides de divers groupes n’arrivent même pas à déposer une gerbe sur la tombe de Gilles).

    Pour la première fois depuis la liquidation de septembre des liquides qui refusaient de se soumettre à la critique des masses ont été vidés militairement par des militants de la GP.

    -La mobilisation n’a cessé de croître pendant toute cette période : quantitativement par le nombre des effectifs, qualitativement par le niveau idéologique et la compréhension des cibles politiques de la campagne (des secteurs apparemment morcelés ont trouvé leur unité de combat au cours de la campagne).

    – L’organisation a commencé à marcher sur ses deux jambes : dans ces dix jours de campagne toutes les unités se sont tournées vers le travail en direction de la classe ouvrière en utilisant les forces neuves issues de la révolte anti autoritaire.

    Les camarades des équipes de propagande ont été bien accueillis par les masses : la campagne intervenant à
    un moment politique particulièrement favorable (ébranlement idéologique produit par le développement des luttes dans les lycées; début d’une flambée de luttes ouvrières, échéance électorale) et avait un impact dans les masses.

    4° L’action sur Flins a été conçue comme une action mobile de partisans intervenant dans une base ennemie (présences nombreuses de cadres fascistes et de gardiens, encerclement policier) frappant rapidement avec pour cible mener la lutte de classe dans l’usine, révolutionnariser les masses, et s’esquivant après l’action.

    – L’action proprement dite a été marquée par la recherche du point de vue de l’usine : pendant une demi-heure la loi du patron a été brisée (sa pelouse piétinée, son monument aux morts badigeonné, ses cadres frappés).

    S’il n’y a pas eu intervention militaire massive en notre faveur des ouvriers (seuls une dizaine se sont battus avec nous) il y a eu soutien idéologique actif (approbation de l’action dans les discussions,  » fourniture d’armements « … on nous a passé des bouteilles, des pierres).

    C’est essentiellement la dure bagarre avec la maîtrise qui a été (plus que les prises de paroles) l’instrument de la révolutionnarisation idéologique des ouvriers.

    C’est cette bagarre qui a tracé les lignes de classes dans l’usine (dans l’usine on ne parle que de ça) et qui fournit aux GTC un terrain de luttes très favorable.

    – Le repli découlait de notre conception de l’action de partisan : il fallait échapper à l’important dispositif policier qui allait être mis en place immédiatement après l’action.

    Le seul moyen était l’esquive à pied sur un difficile parcours de quinze à vingt kilomètres en utilisant les conditions naturelles.

    L’esquive a été totalement réussie; les seuls camarades piqués, moins de dix sur plus de cent cinquante l’ont été après l’esquive au moment de la récupération en bagnole.

    Le très haut niveau idéologique des camarades a permis de faire respecter la discipline nécessaire, de venir en aide aux camarades les plus épuisés, de conserver la cohésion malgré les difficultés.

    – La phase de popularisation commence maintenant : elle consiste en une explication massive de la campagne dans son ensemble et de l’action, dans les usines, les marchés, les métros.

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  • Introduction et Conclusion de « Vers la Guerre Civile » (1969)

    [Introduction et conclusion de l’ouvrage « Vers la guerre civile », écrit parJuly, Geismar et Morane E., paru aux Editions Premieres, Paris 1969.]

    Depuis Mai, le combat s’est poursuivi, illustrant cette vérité du printemps révolutionnaire : les luttes de Mai-Juin sont à l’origine du processus révolutionnaire qui travaille actuellement l’Europe capitaliste.

    Le putsch monétaire de Novembre, l’impasse universitaire, les grèves générales en Italie, tels sont les moments les plus accentués de ce processus.

    Toute tâche politique, actuellement, ne peut s’opérer qu’en référence au tronc commun des expériences du printemps 1968, à ce qui constitue d’ores et déjà la TRADITION DE MAI.

    Cette tradition appartient inaliénablement au mouvement prolétarien français.

    Il ne s’agit pas d’y échapper, même inconsciemment, en croyant y trouver la confirmation de sa pratique antérieure, alors que le mouvement a enterré vivants, et les « modernistes  » de la veine gorzienne, et les constructeurs S.G.D.G. d’organisations révolutionnaires trotskystes en tous genres.

    La réapparition, la morgue  » victorieuse  » de certains n’y changera rien.

    La RENTABILISATION de l’expérience révolutionnaire accumulée par le mouvement de masse exige des initiatives qui soient en accord avec les luttes du printemps et la logique du mouvement révolutionnaire.

    Entendons par là le mouvement dans sa continuité comme dans ses discontinuités dans toutes les ruptures que les tactiques du P.C.F., de la petite bourgeoisie politique et évidemment, de la contre-révolution elle-même y ont introduit.

    Entendons aussi le mouvement dans son éparpillement temporel et spatial.

    Aussi, toute perspective qui vise la destruction du pouvoir politique de la bourgeoisie et toute organisation du travail militant et révolutionnaire, doit-elle être capable à la fois de rendre compte de la tradition de Mai  » et de s’articuler sur cette tradition d’une manière prolétarienne.

    La tradition de Mai, d’abord.

    Ces écrits cherchent à montrer la POSSIBILITÉ d’une maîtrise RATIONNELLE de l’ensemble des luttes, des pratiques, des formes d’action et des idées du printemps 68.

    Il faut parvenir à déchiffrer le SENS du mouvement de masse et mettre en évidence UN DISCOURS DE LA RÉVOLUTION qu’aurait  » parlé  » le mouvement de masse.

    Il faut en articuler LA THÉORIE.

    Discours irréductible, spécifique, original, le premier de ce type en Europe occidentale, dans un pays capitaliste avancé, c’est lui qui permet de construire les points de départ théoriques de la nouvelle période historique, période inaugurée par l’escalade menée par les révolutionnaires vietnamiens dans leur riposte à l’impérialisme américain.

    Il y a là un hiatus, une véritable coupure par rapport aux pratiques militantes antérieures.

    Mais alors qu’il était impossible avant Mai, de construire la théorie de ce hiatus, et donc de taire la théorie de la crise du mouvement ouvrier international, le mouvement de masse de Mai a fait surgir de nouvelles possibilités.

    Il a dégagé, par conséquent, un champ théorique et militant, que ces écrits tentent d’explorer sans en donner toutefois des formes élaborées.

    Il ne s’agit pas encore de constituer LA THÉORIE DE MAI.

    L’absence, d’un CENTRE du mouvement de masse, en Mai, et aujourd’hui encore, prive ce mouvement d’un tel instrument de luttes et aussi de connaissances.

    Cette absence est, du reste, l’un des éléments constitutifs de Mai.

    Elle est aussi la caractéristique de la faiblesse actuelle du mouvement.

    L’état de dispersion des fonctions essentielles d’un tel Centre est particulièrement apparente en Mai.

    Naturellement appauvries, ces fonctions furent à l’époque assumé plus ou moins consciemment par divers centres partiels.

    Les divergences stratégiques aggravèrent cette dispersion politiques d’autant que certains centres partiels projetaient (de façon plus ou moins avouée) d’être le Centre exclusif.

    Telle fut la grande faiblesse de Mai.

    C’est cette réalité-là, maintenue entre-temps sous d’autres formes, qui empêche d’élaborer la théorie de Mai : une telle théorie suppose un centre, un quartier général prolétarien, autant qu’elle l’induit.

    Il ne peut donc s’agir, ICI ET MAINTENANT, que d’une série D’APPROXIMATIONS théoriques.

    Voilà pourquoi les différents chapitres sont explicitement DATES, lis portent par là la marque du TEMPS DE LEUR ÉCRITURE et l’empreinte de cette approximation.

    Ce livre n’est pas un tout, il est fondamentalement inachevé et fragmentaire.

    Il faut, en second lieu, lier d’une manière prolétarienne la pratique militante actuelle à la Tradition instaurée par Mai.

    Mai est encore sur l’estomac  » de beaucoup de militants, et de théoriciens  » patentés « .

    Ne parlons pas des bourgeois, qui préfèrent  » poursuivre  » comme si de rien n’était, tels qu’en eux-mêmes ils imaginent que l’éternité les change

    Mai, néanmoins, a remis la société française sur ses pieds.

    Il a donné à voir crûment la réalité des contradictions de classes qui fondent cette société.

    Il a remis la révolution et la lutte de classe au centre de toute stratégie.

    Sans vouloir jouer aux prophètes : l’horizon 70 ou 72 de la France, c’est la révolution.

    En révolutionnarisant les masses, Mai a révolutionnarisé les militants.

    Par l’action, par la confrontation à la pratique concrète de la révolution en France, ils se sont transformés.

    Idées, pratiques, idéologies ont été brassées.

    De cet ensemble d’échanges, de tout ce brassage, se dégage peu à peu un sang neuf.

    Du vaste métabolisme développé par les crises des divers courants à travers les lieux militants de Mai, émergent des faisceaux de convergences et des éléments stratégiques se dégagent

    De la rentrée 1967, à Flins, à la rentrée 1968, à travers les brassages internes à chaque courant, à chaque mouvement, à chaque organisation, à travers les différents apports et rejets successifs, Mai a jeté les bases du dégagement d’un courant révolutionnaire en France; cependant, il n’a pas achevé ce métabolisme.

    Tous les éléments sont là à portée de la main, il reste à les ressaisir – c’est la définition de la TRADITION de Mai et à les articuler sur la pratique militante, c’est-à-dire opérer une rupture qualitative, un BOND EN AVANT.

    La constitution organique de ce courant et la lutte de classe qu’il doit mener au sein du mouvement de masse pour prolétariser Mai, c’est aujourd’hui l’ouverture d’une nouvelle étape décisive, où va se jouer l’avenir de la révolution.

    Toute perspective révolutionnaire, toute stratégie révolutionnaire en France, doivent unir de manière créatrice les traditions de lutte du peuple, et les principes théoriques du marxisme combattant.

    Cette fusion créatrice, elle s’appelle en Chine le Maoïsme, elle s’est appelée en U.R.S.S. le Léninisme.

    Ici, elle est encore à effectuer.

    Ce livre veut contribuer activement (quoique de manière très partielle) au métabolisme du mouvement révolutionnaire de masse qui tend à rejeter de lui-même les scories et les corps qui le condamnent à l’inertie.

    Contribution partielle, puisque les auteurs, anciens militants du Mouvement du 22 Mars, ne sont encore que les parties prenantes d’une série nécessairement partielle du processus d’échanges et de brassages exprimé par les crises violentes que connaissent les courants révolutionnaires depuis Mai.

    Les actions militantes, les contingences mêmes de l’action accélèrent chaque jour ce métabolisme.

    Il possède une logique propre et une perspective : la PROLÉTARISATION DU MOUVEMENT DE MASSE.

    Ce processus entretient la grande peur de la bourgeoisie.

    Aujourd’hui, la bourgeoisie a peur.

    Doublement peur.

    D’une part, elle a appris en huit mois que le Gaullisme avait préparé, depuis près de trente ans, la France à la guerre civile ; aujourd’hui, le point de non-retour est atteint, la bourgeoisie est prise au piège de l’affrontement.

    D’autre part, Mai se prolétarise et prend une identité révolutionnaire.

    Cette identité, la bourgeoisie doit nécessairement tenter d’en venir à bout et de la détruire.

    Cela mène inéluctablement à l’affrontement direct, physique, avec le mouvement révolutionnaire de masse.

    Même si elle ne veut pas entendre parler de cet horizon-là, la bourgeoisie court à l’affrontement.

    Mai, en France, c’est le début d’une lutte de classe prolongée.
    Voici tes premiers jours de la guerre populaire contre les expropriateurs, les premiers jours de ta guerre civile.

    ——————–

    LA LONGUE MARCHE DU QUARTIER GENERAL

    L’inachèvement de l’étape de Mai, la survivance des facteurs qui la pérennisent, qui entretiennent son inertie, pseudo-centres et polycentres, appellent un véritable bond en avant, une rupture violente qui la liquide.

    Ce bond est une nécessité.

    C’est dans cette inertie qu’il doit permettre de trancher, accomplissant ainsi le métabolisme de Mai.

    Ce bond a une base objective.

    Le métabolisme actuellement en suspens, de cette première étape du processus révolutionnaire, a produit des éléments de stratégie, a fait converger des militants autour de ces éléments, créant ainsi les conditions nécessaires à l’existence d’un courant révolutionnaire, issu de l’articulation prolétarienne de la tradition de Mai, et d’un centre provisoire, mais néanmoins réel du mouvement.

    Un tel centre condense la possibilité du passage à la seconde étape du processus.

    Il assume dans le moment actuel, deux fonctions :

    – Il marque concrètement le passage à la seconde étape.

    – Il est l’organisateur de la rupture.

    En tant qu’organisateur de la rupture, il constitue, le courant révolutionnaire, par la ressaisie de l’étape de Mai et donne sa maîtrise politique.

    En milieu universitaire, la lutte du centre vise l’idéologie de la  » révolte des producteurs « .

    Elle lui oppose radicalement, à partir de sa réfutation, une perspective de prolétarisation, de recentrage du mouvement sur le prolétariat, son idéologie et ses tâches historiques.

    L’Université après Mai, toujours partie du champ de luttes, n’en est plus l’élément moteur.

    L’action militante dans le lieu universitaire conserve pas moins une double valeur politique – La bataille sur le front idéologique qui s’y développe, interdit toute possibilité d’utilisation de l’Université par la bourgeoisie, dans ses tentatives de remodeler l’idéologie dominante. –

    Le développement de la lutte anti-autoritaire continue à saper l’idéologie bourgeoise, à mettre en échec le principe d’autorité sur lequel s’ossature tout le système de domination.
    Une telle lutte atteindra d’autant plus sa cible, si elle est menée, non seulement comme négation de l’idéologie bourgeoise, mais comme arme prolétarienne.

    La prolétarisation des militants étudiants est à l’ordre du jour dès lors qu’ils ne sont pas pris d’emblée pour des producteurs.

    Il s’agit d’opérer la fusion révolutionnaire des éléments les plus avancés parmi les travailleurs intellectuels et les travailleurs manuels.

    Dans la classe ouvrière, cette prolétarisation – au sens de dégage nient d’une idéologie prolétarienne autonome par rapport à bourgeoisie, comme au révisionnisme est aussi à l’ordre du jour Le mouvement doit conquérir son autonomie.

    Elle passe par la rupture, nécessaire, avec les institutions révisionnistes.

    Au sein, même du mouvement, la lutte contre l’entrisme, à partir de l’analyse du fonctionnement du couple P.C.F.-C.G.T., devient la clé de toute autonomisation possible du mouvement.

    Ces luttes débloquent le processus d’autonomisation de la force révolutionnaire et lui confère une puissance politique d’intervention,’ qui détermine toute lutte ouvrière, dans la mesure où les noyaux militants réalisés, dominent l’ensemble des fonctions du mouvement révolutionnaire politique, syndicale, de résistance…

    La rupture avec le révisionnisme dépend de l’importance et du poids politique de la fusion de ces fonctions par le courant révolutionnaire, dans un même lieu militant.

    La ressaisie, par chaque unité militante, des embryons de fonctions décisives de l’action politique, telles qu’elles sont apparues au cours du processus révolutionnaire, définit la phase décisive de la constitution organique du courant révolutionnaire.

    Là réside la clef de tout avenir stratégique et tactique de la force révolutionnaire.

    Le développement de bastions prolétariens assumant pas à pas, la totalité des tâches révolutionnaires de la conjoncture, fusionnant en une même force ses fonctions idéologique, syndicale, politique… tel est l’axe de la prolétarisation du mouvement de masse.

    Les effets d’une telle force doivent nécessairement amener les organisations syndicales à se situer par rapport aux initiatives de ce bastion, à se laisser entraîner par elles, au risque de se dénaturer profondément, ou bien à les condamner violemment, et alors accélérer la crise du révisionnisme en reconnaissant l’appartenance au mouvement révolutionnaire de secteurs de plus en plus larges de la classe ouvrière.

    Cette visée de la force révolutionnaire en émergence, appelle un processus permanent d’échanges entre les fronts de lutte, entre les entreprises et les Facultés.

    Si l’insertion de militants, étudiants à l’origine, dans le travail de liaison entre les entreprises, entre les entreprises et les Facultés est un facteur essentiel de leur prolétarisation, c’est aussi la garantie de la possibilité concrète de dialectisation du savoir de la fraction révolutionnaire des intellectuels et de la connaissance ouvrière de la lutte de classe.

    Réciproquement, l’insertion de militants ouvriers parmi les étudiants contribue à la prolétarisation des luttes dans l’Université et, par ailleurs, à la destruction de la spécialisation des tâches politiques au sein du courant révolutionnaire.

    Cette lame de fond, de prolétarisation du mouvement révolutionnaire, n’a de valeur concrète, qu’en tant qu’elle articule cette prolétarisation à la tradition de Mai.

    La perspective de cette lame de fond c’est, fondamentalement, la fusion de la fraction révolutionnaire des étudiants et des fractions prolétariennes de la classe ouvrière.

    Cette fusion d’étudiants et de travailleurs, c’est la clef de voûte de la Révolution en France.

    C’est l’objectif stratégique de l’étape à réaliser.

    Le mouvement révolutionnaire est actuellement fluide.

    Les fluctuations du polycentrisme, des pseudo-centres, dans cette phase d’inachèvement du métabolisme de Mai, le développement des contradictions entre lui et le révisionnisme, entre lui et la bourgeoisie, fondent la nécessité du bond en avant et son urgence.

    Un nombre limité d’unités militantes peuvent initier cette étape.

    Cela suppose, en permanence, un brassage et des échanges d’expériences.

    Ces échanges, la maîtrise de ces luttes, supposent l’émergence d’un centre, d’un quartier général provisoire, qui prenne en charge ce bond en avant.

    Centre, bien sûr, puisque investi de l’ensemble des fonctions qui découlent des éléments stratégiques issus de la tradition de Mai, mais néanmoins, provisoire, dans la mesure où l’étape de Mai n’est pas encore accomplie, et où ce n’est qu’à la suite de la reconnaissance par le mouvement de ce centre, comme tel, qu’il pourra assumer véritablement ses fonctions de direction.

    Au cours de ce processus d’accomplissement de l’étape de Mai, et de la rupture constitutive de la nouvelle étape, il est prévisible, qu’au sein même du centre comme entre le centre provisoire et le mouvement, un nouveau métabolisme va se développer.

    Il aboutira à l’édification de la charpente de l’avant-garde prolétarienne, celle de la nouvelle période historique.

    Cette émergence du centre, c’est le début d’une longue marche du centre, de sa prolétarisation sous le contrôle des masses populaires.

    Ce bond en avant, c’est la lutte de classe, ici et maintenant, c’est la libération du processus révolutionnaire, c’est l’avenir des victoires décisives sur la dictature de la bourgeoisie.

    1er mars 1969 

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