La vision cyclique comme fétiche des paliers : le droit et la réincarnation

Les joueurs de l’époque de l’animisme cosmique ne considèrent pas que le résultat est aléatoire ; pour eux, il correspond à quelque chose, à sa place dans l’univers. Gagner au jeu, c’est la preuve que l’énergie fournie par l’univers est là ; perdre indique le contraire.

Les jeux pratiqués sont le miroir de la réalité, avec donc la liaison à « l’au-delà », qui n’est pas un « Ciel » monothéiste mais un univers « magmatique », « nuageux », insondable et pourtant aliment en énergie vitale le monde, le monde n’en étant qu’une expression.

Il y a donc une contradiction entre la stabilité de l’univers et l’instabilité de la vie individuelle. Et le but imaginaire de cette vie individuelle, qui commence à être personnelle même puisqu’on est sorti de la communauté matriarcale, est de participer de manière suffisamment forte avec l’au-delà, de fusionner avec.

Il y a donc un palier à franchir. La vision cyclique est le fétiche de ce palier. C’est tout à fait logique si l’on pense que :

– les dieux eux-mêmes connaissent des tribulations, des aléas, des aventures et des mésaventures ;

– tout le monde des êtres vivants est dépendant de l’énergie de l’univers.

Tout ce qui existe doit en fait franchir le palier. Le monothéisme n’est rien d’autre que la synthèse de cette obsession du palier à franchir, puisque tous les monothéismes naissent comme promesse d’un passage réussi dans l’au-delà.

L’animisme cosmique ne fait pas du tout une telle promesse : il la vit, de manière ininterrompue.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser en effet, la société de l’animisme cosmique est ultra-codifiée. Le moindre acte du quotidien est légalement déterminé et ne pas obéir aux règles implique une punition sévère.

C’est que, forcément, tous les actes du quotidien sont en étroit rapport avec l’univers, avec l’énergie de l’univers, avec l’équilibre de l’univers. Gaspiller de l’énergie, c’est bousculer l’ordre des choses et c’est un comportement anti-social, anti-cosmique, inacceptable.

Tablette de copie du prologue du Code de Hammourabi, 18e siècle avant notre ère

L’archéologie a permis de retrouver de nombreux codes mésopotamiens, comme celui, sumérien, du roi Urukagina, il y a 2400 ans, ou encore celui, babylonien, de Hammourabi, de 1600 avant notre ère, où ce roi est représenté avec Shamah, le dieu solaire. La loi est en effet toujours justifiée par sa correspondance avec les principes de l’univers et elle porte sur tous les détails de la vie, tant pour la famille que le commerce, les crimes, les délits, etc.

Voici le contenu d’une tablette juridique hittites datant de 1650-1100 avant notre ère : homicide, coups et blessures, enlèvement, esclaves fugitifs, contamination de vaisselle (?), famille, meurtre justifié, service féodal et tenures, mort accidentelle, perte de propriété, service féodal et tenures, litiges sur les animaux domestiques, brigandage, incendies volontaires.

C’est évidemment une tablette parmi d’autres, car tous les aspects sont juridiquement codifiés, rien ne doit échapper à la loi car rien ne peut lui échapper, la loi correspond à l’ordre cosmique.

Le roi d’Ur Ur-Nammu reçoit une délégation, sceau imprimé, vers 2100 avant notre ère

On ne peut pas comprendre cette obsession juridique, jusqu’au moindre détail, de l’humanité plus de mille ou deux mille ans avant notre ère, sans voir qu’elle témoigne de l’animisme cosmique.

Et, donc, cette obsession du droit correspond à une exigence de l’ordre cosmique. Mais les êtres humains sont en perpétuelle agitation, bien loin du « calme » de l’ordre cosmique. D’où le fait qu’il faille tendre vers la réalisation des actes les meilleurs, pour franchir le palier vers l’ordre cosmique.

Et devant la contradiction entre l’agitation humaine et le calme cosmique, l’humanité a tenté de répondre dialectiquement par une évolution cyclique : au fur et à mesure, on y arrive !

C’est très exactement le sens de la réincarnation. On connaît l’expression « cycle des réincarnations » : elle est bien plus juste, bien plus en rapport avec sa nature substantiellement cyclique.

Initialement, le védisme n’aborde pas vraiment la question de la réincarnation. On est ici dans un patriarcat élémentaire, guerrier-primitif, celui des populations aryennes pratiquant des conquêtes au moyen de leurs chariots de guerre.

Dans le document fondamental, le Rig-Véda (en fait le rg-véda avec un r rétroflexe), composé entre 1500 et 900 ans avant notre ère, il n’y a pas de réincarnation ou du moins n’est-ce pas clair et totalement secondaire. Il est surtout parlé de voie du nord, celle des dieux, et de voie du sud, celle des pères.

Après le décès, ceux qui ont eu une vie ascétique, de prêtres, prennent la voie du nord, ils rejoignent l’univers, Brahman. Ceux qui ont simplement agi correctement, dans le respect des rites, comme un bon père de famille, prennent la voie du sud.

Par contre, lorsque le brahmanisme remplace le védisme, on a affaire à un animisme cosmique. Par conséquent, ceux qui prennent la voie du sud, après avoir profité de leurs bonnes actions, reviennent sur Terre sous la forme de la pluie.

Leur âme est alors hébergée dans une plante, puis une fois celle-ci mangée soit dans un animal, soit dans un être humain. L’hindouisme s’est ensuite débarrassé des plantes, passant sous silence ou niant qu’on puisse se réincarner en elles, contribuant à se débarrasser du panthéisme.

Le poète Jayadeva et Vishnou, 1730

Ce qu’il est ici fondamental de voir, surtout, c’est que la réincarnation est cyclique dans sa liaison au droit. C’est la fameuse question du karma. Bien se comporter, c’est avoir du mérite (dharma), que de faire en sorte que l’acte (karma) commis soit en conformité avec l’ordre cosmique.

Si l’on agit en parfaite connivence, on sort du cycle des réincarnations pour « fusionner » avec l’énergie universelle. Dans le cas contraire, on est amené à renaître, pour affronter une vie plus ou moins remplie d’adversités selon les actes bons et mauvais de sa vie précédente.

Cette conception cyclique a été systématisée au niveau de l’univers « matériel » lui-même, qui connaît la naissance, la subsistance, la destruction, puis tout recommence, à l’infini.

Exactement comme le soleil. C’est lui la clef de la conception cyclique du monde. C’est le symbole de la naissance et de la mort, avec le jour et la nuit.

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Les cycles et la fin du monde : les jeux

Les êtres humains aiment jouer. Et, justement, la période de l’animisme cosmique est celle où les jeux de société se mettent réellement en place.

On parle en effet ici d’une société qui n’est plus clanique-immédiatiste ; il y a suffisamment d’échanges pour que des amusements plus élaborés se mettent en place.

Mais surtout, et c’est là c’est une formidable clef, les jeux s’inscrivent dans la vision du monde de l’animisme cosmique. Ils correspondent à la manière de concevoir la vie.

C’est très important, car pour jouer, il faut que le reflet soit présent à l’esprit : le reflet de la réalité, le reflet de l’activité de quelqu’un d’autre faisant la même chose, son propre reflet.

Les activités de l’être humain reflètent forcément son rapport à la réalité. C’est pourquoi les jeux de société qui se sont développés passent :

– par un face à face, reflet du monde où tout a deux aspects s’opposant ;

– par un parcours, reflet du caractère sinueux de la réalité ;

– par des références au cosmos qui est lui inversement impeccablement organisé ;

– par l’utilisation de dés comme « hasard » qui n’en est pas un, car il est conçu comme expression du cosmos.

Ce dernier point est absolument capital et il est excessivement difficile à comprendre pour les peuples passés par le prisme de la rationalisation bourgeoise. Pour le comprendre au mieux, il faut se tourner vers le « livre des mutations » chinois, le Yi King.

Ce n’est pas un jeu à proprement parler, mais concrètement il relève très exactement de l’aspect « hasard » qui n’en est pas un des jeux de société.

Yi King, 10-13e siècle

Le « livre des mutations » est un « classique » du confucianisme, élaboré au premier millénaire avant notre ère. On prend une plante, le millefeuille, ou plus exactement ses tiges. On en prend 49, puis on pose une question à l’univers : vais-je réussir ceci ou cela, etc.

On sépare alors les tiges en deux, et on va les compter de telle manière à ce que, pour faire court, on se retrouve avec les chiffres 2 ou 3 en série. Cela forme alors une ligne soit longue soit brisée, de telle manière à former un hexagramme de six lignes.

Selon la forme de cet hexagramme, le « livre des mutations » fournit une réponse. Chaque hexagramme correspond en effet à une « réponse » de l’univers, du type la réception, la guerre, la suite, le rapprochement, la contemplation, le repli, le développement, la limitation, la diminution, etc.

Lorsque par exemple les six lignes sont courtes pour les trois premières en haut et longues pour les trois en bas, c’est la paix ; lorsque seule la première est courte, c’est la percée, etc.

C’est très exactement en ayant cela à l’esprit que les joueurs se confrontaient au hasard dans les jeux à l’époque de l’animisme cosmique. Gagner ou perdre, c’est être en adéquation avec l’univers.

Jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, les joueurs compulsifs exposent précisément cette vision du monde, ils « sentent » la chance. Ils veulent même « fusionner » avec elle : pour eux, ne pas jouer à certains moments, c’est rater son tour avec le destin. Ce serait comme ne pas obéir au résultat expliqué dans le « livre des mutations ».

Le drapeau sud-coréen reprend le symbole du Ying et du Yang entouré de quatre trigrammes tirés du Yi King (la terre, le ciel, le feu et l’eau)

C’est pourquoi, dans la grande épopée indienne appelée Mahābhārata, qui fait 81 936 strophes, on a le roi Yudhishthira qui est sans faille et qui se précipite pourtant dans le jeu. Il est marié, au même titre que ses quatre frères, avec Draupadi. Et il bascule en jouant une partie de dés où il mise absolument tout : sa femme, ses frères, son royaume, lui-même…

La partie était en fait truquée, et à la fin il se venge. Mais il a pensé « suivre » le cours des choses, hasard « organisé ».

Les échecs, nés en Inde, s’appuyaient d’ailleurs sur les dés initialement. La stratégie, la tactique, n’étaient rien sans l’énergie cosmique venant ou justement ne venant pas.

On notera que la prise de contrôle du roi adverse comme suffisante pour avoir la victoire reflète une particularité de l’époque de l’animisme cosmique : dans une bataille, dès que le chef ennemi est mis hors d’état de nuire, son camp s’effondre. C’est propre au patriarcat.

On remarquera également que le jeu d’échecs n’avait initialement pas deux joueurs, mais quatre. C’est un aspect très important, car l’animisme cosmique est systématiquement porté à accorder une valeur centrale aux quatre points cardinaux.

Lorsque Mahomet fait en sorte qu’on prie en se tournant vers la Mecque, il attaque sans doute ce dernier aspect et il est fort logique par ailleurs qu’il ait interdit les jeux de « hasard ».

Les Espagnols ont fait de même lors de la colonisation de la Nouvelle Espagne. Le jeu du patolli consistait chez les Aztèques en un jeu du type des « petits chevaux » de 52 cases, correspondant aux 52 ans de chaque cycle solaire.

Le déplacement des pions se faisait sur un parcours dont la forme correspondait aux quatre points cardinaux et où on saluait le dieu Macuilxochitl (cinq-fleurs). Le catholicisme l’a donc interdit.

Le patolli

Le « jeu royal d’Ur », ou jeu des vingt carrés, 2700 ans avant notre ère, était pareillement de portée animiste cosmique ; le jeu, pratiquement l’ancêtre du Backgammon, fait directement référence à la divination sur certaines cases.

Ur est aujourd’hui en Irak, et on a trouvé ce type de jeu en Iran, à Chypre, en Crète, au Sri Lanka, en Syrie, en Égypte (notamment des variantes dans la tombe de Toutankhamon).

Le jeu royal d’Ur

L’Égypte antique connaissait le Senet, 3000 ans avant notre ère. On ne connaît pas les règles exactes, mais c’est une sorte de jeu des « petits chevaux » et de jeu « de l’oie », sur trente cases, un osselet servant de dé.

On sait par contre avec certitude que le jeu est une allégorie de la « force vitale » après le décès, de son parcours dans l’au-delà. Le livre des morts le mentionne de manière explicite et des tombes montrent des participants au jeu.

Un Senet égyptien, 14e siècle avant notre ère

On trouve la même idée de parcours jusqu’à un « au-delà » avec le jeu des 5 lignes de l’antiquité grecque, qui présente une ligne sacrée au milieu des pions qui doivent la traverser pour rejoindre l’autre côté, selon le résultat des dés. Si on ne sait rien du jeu dit de Knossos de la civilisation minoenne, graphiquement on reconnaît aisément la même idée de ligne à franchir pour atteindre l’au-delà.

C’est précisément ce principe de parcours, de franchissement, qui explique la conception cyclique.

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Les cycles et la fin du monde : l’origine de la philosophie grecque

Il est un point précis qui est extrêmement connu concernant le « polythéisme », mais qui n’est jamais expliqué. Ce point, c’est l’obsession pour les cycles.

L’animisme cosmique considère toujours le temps du monde de manière cyclique. Même les dieux ne font que passer, ce que les commentateurs bourgeois « oublient » constamment.

Cette compréhension cyclique est étonnante, puisqu’on devrait s’attendre à ce qu’il y ait un flux ininterrompu d’énergie fourni par l’univers (et étant l’univers) et donc une sorte de mouvement perpétuel, à l’infini et toujours dans la différence.

Mais pour saisir la différence il faut disposer du matérialisme dialectique, l’animisme cosmique comprenant parfaitement bien les oppositions, la contradiction, car il se fonde sur la Nature, sans saisir toutefois le principe de production, de synthèse.

D’où vient cette obsession de la destruction, et pourquoi y a-t-il toujours des cycles ?

Pourquoi l’animisme cosmique qui valorise le monde comme un principe vital de l’univers envisage-t-il toujours des cycles menant à sa destruction ?

Ce qui semble expliquer cette double caractéristique, c’est la contradiction entre l’animisme et la dimension cosmique. Dans l’animisme cosmique, l’univers reste toujours ce qu’il est, à l’infini. Mais il s’exprime infiniment dans des formes qui changent tout le temps.

Partant de là, il est cohérent que l’univers, qui prime, ait le dessus sur les choses qui changent, les refaçonnant. Mais pourquoi cela se déroule-t-il par cycles ? Et pourquoi la fin du monde, alors que le monde renaît perpétuellement ?

Il existe un moyen très pratique de saisir cela, en se tournant vers la Grèce antique. Jusqu’à présent, la Grèce antique n’aidait pas pour l’animisme cosmique, puisqu’elle avait relativement dépassé ce stade. Maintenant, de par ce dépassement relatif, elle va nous permettre de reconstituer la conception animiste cosmique.

Et pour cela, il ne faut pas se tourner vers la mythologie, mais justement vers la philosophie. Car cette dernière est en Grèce le produit de l’animisme cosmique. Quand on regarde ce qu’il en est, c’est tout à fait flagrant.

La philosophie grecque commence avec Socrate et les auteurs majeurs le précédant sont désignés sous le terme de pré-socratiques. Les premières figures pré-socratiques remontent aux 6e-5e siècles avant notre ère, et ce qu’elles disent correspond très exactement à l’animisme cosmique.

Que dit Anaximandre ? La même chose que l’animisme cosmique, comme le rapporte Diogène Laërce :

« Anaximandre, fils de Praxiade, était de Milet. Il admettait pour principe et élément des choses l’infini, sans déterminer si par là il entendait l’air, l’eau, ou quelque autre substance.

Il disait que les parties de l’infini changent, mais que l’infini lui-même, dans son ensemble, est immuable. »

L’infini qu’est l’univers est immuable, ses parties qui sont portées par l’énergie de l’univers changent.

Que dit Parménide ? Que l’être existe et que le non-être n’est pas, et que cet être est toujours le même, qu’il ne change jamais.

C’est très exactement la vision de l’univers qu’a l’animisme cosmique. Pour l’animisme cosmique, les dieux relèvent de l’agitation des formes de l’univers, permises par la vitalité de l’univers, mais ce dernier reste toujours le même, il n’a pas de parties, il est « un ».

Voici ce que dit Parménide, tout à fait conforme à l’animisme cosmique, et même de fait une expression conceptuelle de l’animisme cosmique : on est avant la philosophie.

« Il n’est plus qu’une voie pour le discours, | c’est que l’être soit ; par là sont des preuves | nombreuses qu’il est inengendré et impérissable, | universel, unique, immobile et sans fin. |

Il n’a pas été et ne sera pas ; il est maintenant tout entier, | un, continu.

Car quelle origine lui chercheras-tu ? | D’où et dans quel sens aurait-il grandi ? De ce qui n’est pas ? Je ne te permets | ni de le dire ni de le penser ; car c’est inexprimable et inintelligible que ce qui est ne soit pas.

Quelle nécessité l’eût obligé | plus tôt ou plus tard à naître en commençant de rien ? | Il faut qu’il soit tout à fait ou ne soit pas. | Et la force de la raison ne te laissera pas non plus, de ce qui est, | faire naître quelque autre chose.

Ainsi ni la genèse ni la destruction ne lui sont permises par la Justice ; elle ne relâchera pas les liens | où elle le tient.

[Là-dessus le jugement réside en ceci] : | Il est ou n’est pas ; mais il a été décidé qu’il fallait | abandonner l’une des routes, incompréhensible et sans nom, comme sans vérité, | prendre l’autre, que l’être est véritablement.

Mais comment ce qui est pourrait-il être plus tard ? Comment aurait-il pu devenir ? | S’il est devenu, il n’est pas, pas plus que s’il doit être un jour. | Ainsi disparaissent la genèse et la mort inexplicables. |

Il n’est pas non plus divisé, car il est partout semblable ; | nulle part rien ne fait obstacle à sa continuité, soit plus, soit moins ; tout est plein de l’être, | tout est donc continu, et ce qui est touche à ce qui est. |

Mais il est immobile dans les bornes de liens inéluctables, | sans commencement, sans fin, puisque la genèse et la destruction | ont été, bannies au loin, chassées par la certitude de la vérité.

Il est le même, restant en même état et subsistant par lui-même ; | tel il reste invariablement ; la puissante nécessité | le retient et l’enserre dans les bornes de ses liens. »

Que dit Héraclite ? Selon lui tout change tout le temps. C’est très exactement ce que dit l’animisme cosmique concernant les formes que prend le principe vital cosmique. Pour l’animisme cosmique, rien n’est stable car l’énergie se consume tout le temps, tout se transforme.

Héraclite dit pareillement que « tout passe », « on ne peut entrer deux fois dans le même fleuve », « la contrariété est avantageuse », « La plus belle harmonie naît des différences », « Toutes choses naissent de la discorde ».

L’Inde antique, les Aztèques… pourraient reprendre mot pour mot ce qui est dit. Ni les Indiens ni les Aztèques n’ont pourtant développé la philosophie, pourquoi ? Et quel rapport avec les cycles ?

Il faut pour comprendre cela se tourner vers Platon et Aristote, les deux principales figures de la philosophie grecque. Rappelons tout de suite qu’ils apparaissent à la fin de la Grèce antique, ce qui est de la plus haute importance.

En effet, la « philosophie » est une expression « laïque » de l’animisme cosmique, à un moment où cette vision du monde commence à être puissamment ébranlée, et est en passe de céder la place au monothéisme.

Que disent Platon et Aristote ? Platon dit que le monde matériel est purement illusoire, que ce qui compte ce sont les idées « pures » ayant façonné le monde matériel, et que la puissance qui l’a façonné, l’au-delà, est la seule chose qui compte.

Platon parle très clairement de l’au-delà qui ne change jamais comme l’animisme cosmique le conçoit. Il est encore sur le terrain de l’animisme cosmique, sauf qu’il en parle sans liaison avec les rituels, rites qui lui sont liés. Un philosophe, c’est un chamane sans les rites, si l’on veut.

Aristote dit que le monde matériel n’est pas illusoire, qu’il n’y a même que lui qui compte. L’au-delà qui amène l’énergie au monde est un simple moteur – rien de plus. Il n’y a pas à se tourner vers lui.

Autrement dit, Platon et Aristote parlent sans les rites et rituels, tous deux maintiennent l’univers comme réelle source énergétique du monde. La différence est que le premier fait un fétiche de l’au-delà, alors que le second assume le matérialisme sous une forme panthéiste.

Les bases de ces deux pensées étaient sous-jacentes dans l’animisme cosmique – un devient deux.

Les preuves de tout cela sont faciles à voir s’il en faut. Tant Platon et Aristote maintiennent le principe de l’animisme cosmique comme quoi il n’y a pas de création du monde, mais une matière informe façonné par l’énergie de l’univers.

La philosophie d’Aristote est même une « énergologie » assumée, puisque pour lui la clef de tout c’est ce qu’il appelle l’entéléchie : chaque phénomène agit conformément au mouvement qui est dans sa nature. Et le mouvement vient du moteur invisible qu’est l’univers.

C’est là dire la même chose que l’animisme cosmique, mais le redire de manière non religieuse, pour assumer un panthéisme mécaniste qui ouvre la voie du matérialisme.

Platon réfute toute orientation « énergétique » c’est-à-dire une valorisation du mouvement, car la matière ne l’intéresse pas, il veut se fondre dans l’univers conçu comme un « 1 » totalement pur.

Il ouvre la voie à l’idéalisme et à la théologie en tant que telle.

Reste qu’il y a un souci fondamental dans cette reconstruction a posteriori. Si on suit Platon jusqu’au bout, alors finalement, même s’il ne le dit pas, on est obligé de faire de Dieu la « cause » du monde, puisque ce Dieu est là avant la matière qu’il façonne (même si la matière existait de manière informe auparavant).

Et Aristote raisonne entièrement en termes de cause et de conséquence. Dieu c’est le moteur premier, et tout ce qui existe est une « énergie », un mouvement provoqué par une cause.

Or, l’animisme cosmique ne connaît pas ce concept, pas plus qu’il ne connaît son pendant, celui de conséquence. Pour lui tout se produit de manière « énergétique » au sens d’élan vital immédiat.

Il connaît cependant le concept de cycles – c’est ce concept qui permettra par la suite les concepts de cause et de conséquence. Pour comprendre cela, il faut voir comment était conçu le mouvement du monde lui-même : comme un jeu.

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La fusion cosmique dans une société complète

L’animisme cosmique considérant que l’énergie traverse toute chose, est toute chose, alors absolument rien n’échappe à l’énergie, absolument rien ne saurait ne pas être énergie. Cela signifie qu’on a la même lecture animiste du monde qu’à l’époque des petits regroupements d’êtres humains, de tribus, de clans, mais cette fois de manière bien plus développée, plus approfondie, et au niveau d’une dimension d’un royaume, d’un empire.

On ne saurait assez souligner que les civilisations babylonienne, égyptienne, chinoise, grecque, romaine, indienne, maya, aztèque, etc., étaient saturées de lectures cosmiques des événements, y compris dans l’ordre du quotidien.

L’exemple mésoaméricain est ici plein d’enseignements.

Deux nobles mayas jouent à la balle, vers le 8e siècle (wikipedia)

En Mésoamérique, on employait l’arbre à caoutchouc dénommé aujourd’hui castilla elastica ; on mélangeait sa sève au suc de la plante dénommée ipomée blanche afin de renforcer son élasticité. Cela permettait de former une grosse balle, bien rebondissante, dont on se servait pour un jeu de balle où l’on doit frapper celle-ci avec les hanches, les coudes ou les genoux.

Les points étaient accumulés et il existait également un anneau où l’on gagnait directement si on parvenait à y faire passer la balle. Le jeu a été pratiqué sans réelle modification pendant 2700 ans et toute la Mésoamérique accueillait des terrains pour cette activité : les archéologues en ont retrouvé 1300.

Anneau sur le terrain de jeu à Chichén Itzá (wikipedia)

Ce jeu avait une portée symbolique fondamentale. La sève tirée de l’arbre étant conçu comme parallèle au sang venant du cœur, comme la forme vivante de l’énergie du principe cosmique éternel, le Teotl.

La balle en mouvement était elle-même l’allégorie de la réalité en mouvement perpétuel des formes prises par le Teotl.

Terrain de jeu de balle à Monte Albán (wikipedia), dont la civilisation s’étale du 5e au 1er siècle avant notre ère

Pour cette raison, le terrain de jeu à Tenochtitlan, la future Mexico City, était aligné selon axe Est-Ouest, comme la ville elle-même : la balle était une allégorie du soleil, qui doit triompher de l’infra-monde et en ressortir.

Chez les Mayas, la légende de Hunahpu et Xbalanque consiste justement en l’aventure de deux frères jumeaux joueurs de balle réussissant à vaincre les dieux de la mort et de la maladie, à Xibalba, le « lieu effrayant », l’infra-monde.

Dora Panfilia López Márquez, dite l’exploratrice, avec les jumeaux Hunahpu et Xbalanque

Le jeu était une expression de la systématisation à tous les niveaux de la vision du monde animiste cosmique. C’est également le sens des sacrifices, où il s’agissait de verser le sang, la vie, afin de contribuer au maintien de l’ordre cosmique sous sa forme actuelle.

Le Teotl existe en effet indépendamment de tout choix et puisqu’il est dans l’intérêt des êtres humains que le monde existe, il faut contribuer à sa stabilisation. C’est le sens du sacrifice effectué aux dieux, chaque mois de 20 jours à raison de 5-6 à une vingtaine de sacrifiés par temple, à raison d’une centaine, de centaines ou de milliers lors des grandes ou très grandes occasions.

C’est le sens de la pratique régulière de l’écorchement afin d’habiller les prêtres, qui portent le vêtement humain pendant 2-3 semaines, sa décomposition étant l’équivalent d’une peau qui mue, du maïs sortant de sa feuille, d’un nouveau cycle.

Le dieu Xipe Totec (Notre Seigneur l’écorché) ici recouvert de peau humaine, en référence à la cérémonie où un prisonnier célébré est finalement tué et écorché pour honorer le dieu qui s’est lui-même écorché pour donner naissance au maïs

Il existait dans ce cadre grosso modo sept formes de sacrifices ou plus exactement, de sacrifiés. Ce qui compte dans le sacrifice, c’est en effet le sacrifié, qui est offert aux dieux et à l’ordre cosmique.

Les sacrifiés correspondent à différents degrés d’importance des sacrifices, qui étaient parfaitement ritualisés et considérés comme impératifs pour l’ordre du monde.

Le sacrifié est accueilli avec joie, dans les chants, la musique, la danse, avec une procession où la foule leur accorde un caractère divin, il est le « prix des dieux », un « cadeau à celui qui encercle la Terre » et chaque sacrifice répond à un aspect particulier de la puissance cosmique.

Les pepechhuan, les « fondements », ouvrent les cérémonies en étant sacrifié ; on parle ici de soldats ennemis de moindre importance et de criminels.

Les messagers des dieux sont des prisonniers sacrifiés pour envoyer des demandes aux dieux en spécifique ; les ixiptla sont des esclaves ou des captifs qui représentent pendant un certain temps des dieux, vivant dans le luxe, se promenant librement, bénissant les gens chacun dans sa maison, avant d’être sacrifiés.

Scène du film Apocalypto de 2007 qui reflète la démarche mésoaméricaine du sacrifice

Le ixtipla du dieu de la guerre Huitzilopochtli gouvernait même symboliquement l’empire aztèque pendant une journée avant sa mise à mort, l’empereur quittant la capitale de Tenochtitlan.

Les tlacatetcuhine sont quant à eux des enfants de familles importantes achetés à leur naissance pour être sacrifiés à l’âge de 3-7 ans ; les xochimicqui sont des soldats ennemis prisonniers qui vont « mourir telle une fleur ».

Les tlaaltilli, ceux qui sont « baignés », sont des esclaves achetés pour les sacrifices de manière plus générale, étant chacun « l’enfant chéri », « l’enfant du soleil ».

Les variantes de sacrifices sont très nombreuses, reflétant la volonté d’obéir à toutes les gammes, toutes les modalités de l’existence. Il s’agit de correspondre à tous les modes d’existence possible, d’honorer ces modes, de saluer l’énergie de ce mode en sacrifiant pour rendre cette énergie.

Dans un cas, un prêtre aztèque ne mange que des tortillas et ne boit que de l’eau pendant 80 jours, afin de faire basculer une femme au moyen d’une corde pour qu’elle s’écrase sur un rocher symbole d’un dieu.

Dans un autre, les victimes se voient pressées par un filet jusqu’à ce que les intestins sortent ; dans un autre encore, de jeunes enfants sont placés dans un petit canoë débouchant sur une cascade.

Il y a les victimes attachées à un mât et sur lesquels on tire des flèches ; il y a ceux attachés à une lourde pierre, munis d’une massue avec non pas des lames de verre volcanique tranchant mais des plumes et devant affronter plusieurs guerriers.

Plus communément, comme c’est bien connu, quatre prêtres tiennent un sacrifié qui se voit arracher le cœur vivant par un cinquième prêtre s’étant tranché un accès, au son des flûtes et des sifflets. L’action est si rapide que la victime a le temps de voir son propre cœur avant de mourir au bout de ces quelques rapides secondes.

Le coeur rejoint le soleil

Le cœur fumant est alors montré au soleil par le prêtre puis placé dans un récipient destiné au temple à l’intérieur de la pyramide, le corps dévalant les marches de celles-ci qui étaient à cet effet peu profondes et avec un bon dénivellement.

Sans cette offrande de sang, l’ordre cosmique connaîtrait une instabilité et pourrait changer de manière défavorable pour l’humanité. Les auto-mutilations étaient pour cette raison également une norme, avec le sang coulant du pénis, des oreilles, de la langue où l’on fait passer une ficelle avec des lames tranchantes, etc.

Le sacrifice est une obsession pour le maintien de la stabilité cosmique et il y eu même pendant plusieurs décennies une guerre fleurie entre Aztèques et leurs ennemis, avec des rendez-vous pour des batailles où chaque soldat a comme but de capturer son ennemi afin que par la suite il puisse être sacrifié.

Il y a ainsi une apparence macabre, parfaitement exprimé par le tzompantli, une structure de poteaux en bois sur lesquels sont empalés les crânes des suppliciés. L’alimentation de cette structure est, finalement, le sens même de l’idéologie mystico-militaire aztèque, car il s’agit pas moins que de porter l’énergie cosmique, de la révéler de l’exprimer, de la saluer, de la vivre.

Un tzompantli recueillant les crânes des sacrifiés

L’inauguration du temple majeur fut ainsi marqué par le sacrifice ininterrompu de 20 000 victimes pendant quatre jours, non pas comme expression de la mort, mais comme un immense tribut à la vie elle-même !

La société de l’animisme cosmique est complète, rien ne lui échappe, et à chaque moment l’être humain fusionne avec le mouvement de l’univers lui-même.

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La force invisible apportant l’énergie

Ce qui justifie le droit systématisé par l’animisme cosmique, c’est l’arrière-plan cosmique. Ce qui est juste, c’est ce qui va dans le sens de l’univers ; ce qui est injuste, c’est ce qui nuit à l’ordre de l’univers.

Ce qui est juste est en phase avec l’énergie transportée par l’univers, ce qui est injuste affaiblit l’énergie du monde.

Ce qu’on appelle polythéisme, c’est en effet en réalité une vision du monde où les dieux, les êtres humains, les animaux, les plantes, bref tout ce qui est vivant, dispose d’une certaine énergie. Celle-ci n’est pas inépuisable, pour personne, à part pour l’univers, qui l’apporte indifféremment, de manière neutre, impersonnelle, mais selon certaines modalités.

Le polythéisme est en fait un animisme cosmique, car l’univers repose sur un principe énergétique inépuisable, auto-régénérateur, vital, dynamique. Les dieux font partie du panorama de cet univers « énergétique » au même titre que les êtres humains, les animaux, les plantes.

Si on rate cet aspect, on ne comprend pas pourquoi les dieux connaissent des péripéties et doivent eux-mêmes obéir à un équilibre général de l’univers.

Stèle représentant la déesse Shaushga, ou la déesse Ishtar, 10-9e siècle avant notre ère

Il faut ici distinguer deux aspects fondamentaux : la nature de l’énergie et les modalités d’accès à celle-ci.

Pour le premier aspect, ce qui est commun à l’animisme cosmique dans ses différentes variantes est la non-définition de l’énergie. S’il est parlé à ce point-là des dieux pour qu’on pense qu’il s’agit d’un simple polythéisme, c’est parce que l’énergie implique des mots toujours négatifs.

Cette énergie est indéfinie, illimitée, immatérielle, inépuisable, non statique, inarrêtable, etc.

Elle circule par conséquent sans arrêt et un exemple très connu tient à l’expression chamanique (ou néo-chamanique) « ouvre tes chakras ». Les chakras dans l’hindouisme sont des points de jonction énergétique, un concept qu’on trouve dans tous les animismes, le concept s’appelant par exemple « dantian » dans la version chinoise.

Car dans tous les animismes cosmiques, il s’agit de faire passer cette énergie, de la faire circuler en soi et dans l’univers, pour être en jonction à cet élan vital dispersé, insaisissable, inépuisable sans quoi rien ne peut avoir une existence, ou plus exactement être en existence.

L’animisme cosmique assimile à la base même les notions d’énergie, d’élan vital, de destin, car tout cela façonne chaque être humain en particulier, mieux : c’est l’être humain lui-même.

Tous les commentateurs bourgeois séparent radicalement les termes employés pour désigner cela, termes qui en réalité se rejoignent toutes si on comprend ce qu’est réellement l’animisme cosmique : le « ka » égyptien, le « tonalli » aztèque, le « chi » chinois, le « mana » polynésien, le « prāṇa » hindouiste, le « manitou » algonquin, le « silap » inuit sont une seule et même chose.

Dans tous les cas, les représentants de cette conception auraient dit non pas qu’ils avaient le ka, le tonalli, le chi, etc., mais qu’ils étaient le ka, le tonalli, le chi, le mana, le prāṇa, le manitou, le silap, car c’est l’univers lui-même qui les porte et qu’ils sont eux-mêmes.

Série de dualités divines indiennes assurant la création, la conservation et la destruction: Brahma et Sarasvati, Vishnou et Lakshmi, Shiva et Parvati, 18e siècle

Pour le second aspect, la chose est relativement simple à saisir. Comme on est à l’époque barbare, l’arrière-plan idéologique porté par le patriarcat est « énergétique » au sens de vitaliste, suprématiste.

Autrement dit, l’animisme cosmique est vitaliste, car c’était la manière de l’humanité, dans un matérialisme élémentaire, de saisir la Nature comme ensemble et tous les êtres vivants comme ses composantes actives en interrelation.

Toutefois, la globalité est saisie comme un ensemble statique où, en son sein, tout s’agite de manière fondamentalement impermanente, de manière frénétique, dans une alternance ininterrompue de vie et de mort – en raison du patriarcat, la vision du monde des êtres humains était très négative, pour ainsi dire survivaliste.

C’est précisément ce que n’a pas compris le philosophe allemand Nietzsche, à la fin du 19e siècle. Lorsqu’il a alors parlé de la « volonté de puissance » comme principe universel, il n’a simplement rien inventé : il ne fait que reprendre les découvertes scientifiques au sujet des conceptions des peuples colonisés alors étudiés dans les universités européennes.

Il prônait dans les faits lui-même un retour au « barbare », car il représentait les intérêts de l’aristocratie allemande prussienne violemment anti-ouvrière, et il a puisé chez les barbares leur vision du monde « énergétique », vitaliste, pour en faire un outil idéologique.

Nietzsche n’avait rien compris au sens de l’histoire. Le survivalisme barbare s’est toujours voulu en correspondance avec le maintien de la stabilité de l’univers, et non pas comme une fin en soi.

On est pour cette raison dans une sorte d’idéologie du sacrifice permanent. Chacun doit se sacrifier pour être à sa place dans l’ordre cosmique. Chaque fonction sociale est précisément délimitée, tout est codifié car tout acte tient à se sacrifier dans l’ordre cosmique qui seul existe réellement.

Lorsque les civilisations mésoaméricaines procédaient à des sacrifices, ou lorsqu’il était procédé à des auto-mutilations afin de verser du sang (en s’incisant le pénis, en se faisant passer à travers la langue des lames tranchantes accrochées à un fil, etc.), c’était pour ramener l’énergie à sa source, comme témoignage également du passage et du passage seulement de l’énergie.

C’est le sens initial de tout sacrifice et initialement les sacrifices étaient humains. Le patriarcat imposait une vision du monde comme bataille pour « l’énergie » – mais le but n’est pas l’accumulation d’énergie pour soi, il s’agit de le rendre à l’univers.

On est ici dans une distinction, malaisée, entre l’animisme et l’animisme cosmique, le premier se focalisant sur l’immédiateté, donc l’immédiateté de l’énergie, alors que l’animisme cosmique systématise l’énergie à toutes les choses, à tous les niveaux, de manière très développée.

Guerriers grecs dits de Riace, 5e siècle avant notre ère

Lorsque dans les tribus de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les garçons de 7 à 17 ans doivent boire le sperme des hommes adultes lors de plusieurs cérémonies, c’est directement pour « récupérer » l’énergie cosmique, imaginée comme immédiate. C’est là une démarche fondamentalement animiste-patriarcale, comme le montre le fait que les femmes sont rejetées, l’odeur de leurs parties génitales considérées comme impures, etc.

On retrouve cette même démarche animiste comme reste dans le polythéisme grec, avec la pédérastie généralisée comme mode de transmission du maître au disciple. C’est vrai pour la Crète, pour Thèbes, pour Athènes, pour Sparte ; Platon valorise directement le principe dans l’ouvrage Le Banquet.

On est là dans un reste majeur du fétichisme patriarcal directement animiste, où il est raisonné en termes d’énergie, fut-elle symbolique. Mais même le symbolisme porte une valeur « énergétique », car tout est énergie, élan vital, puissance.

C’est là qu’on voit la longueur temporelle des visions du monde. D’ailleurs, la dimension sacrificielle a puissamment marqué l’humanité. Après les sacrifices d’êtres humains vinrent les animaux comme substituts, puis la suppression du sacrifice lui-même. Cependant, les alimentations cacher et halal (ou encore la circoncision) relèvent d’une dimension sacrificielle, alors que dans le catholicisme on mange littéralement le corps du Christ tandis que le prêtre boit même son sang, etc.

Ce dernier point est d’ailleurs exemplaire, car c’est seulement avec cette eucharistie, où l’on mange le Christ comme aboutissement d’une cérémonie, que l’univers tient encore en place selon le catholicisme !

On est là directement dans le prolongement de l’animisme cosmique et il faudra le protestantisme pour qu’il soit tenté de balayer ce reste animiste – après pas moins de 16 siècles de catholicisme entre-temps !

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La déesse égyptienne Maât

Dans l’Égypte ancienne des pharaons, la déesse Maât est l’équivalent direct du Brahman du brahmanisme ou du Teotl aztèque. Elle conceptualise l’arrière-plan cosmique auquel les êtres doivent tout, qu’ils soient humains ou divins.

C’est la raison pour laquelle, lorsqu’un être humain meurt, il passe en jugement et son cœur est placé sur une balance, le second poids étant la plume de Maât.

La déesse égyptienne Maât avec sa plume

Si la balance est déséquilibrée, la personne décédée a contribué au déséquilibre de l’univers et doit être condamnée. La plume de Maât est d’ailleurs une plume d’autruche qui a comme caractéristique d’être symétrique le long de son axe. On doit cependant également raisonner en termes de dualité : pour l’animisme cosmique, tout relève de la dualité.

La pesée du cœur à l’aune de la plume de Maât devant le tribunal des dieux, papyrus datant de 1250 avant notre ère

Maât est typique de cet univers vénéré par l’animisme cosmique, mais seulement à l’arrière-plan, « invisible » si on lit les choses en termes de « polythéisme ». Maât se voyait offrir une offrande par le pharaon chaque matin – en fait, comme dans les autres polythéismes, elle n’est qu’un dieu suprême à l’arrière-plan, dans un au-delà inaccessible.

Il y a 42 divinités épaulant Maât, correspondant à 42 lois à ne pas transgresser pour ne pas modifier l’ordre cosmique. Voici comment ces lois sont présentées dans le papyrus composant le « livre des morts » reposant dans le tombeau du scribe royal Ani ; le papyrus fait 23 mètres de long sur 39 centimètres de hauteur et date de la 18e dynastie (-1550/-1292).

1. Je n’ai rien fait de mal
2. Je n’ai pas été une personne malhonnête
3. Je n’ai pas volé
4. Je n’ai tué personne
5. Je n’ai pas détruit de nourriture destinée aux offrandes
6. Je n’ai pas triché sur les mesures
7. Je n’ai pas volé la propriété des Dieux
8. Je n’ai pas dit de mensonges
9. Je n’ai pas volé de nourriture
10. Je n’étais pas maussade
11. Je n’ai pas forniqué avec le fornicateur
12. Je n’ai fait pleurer personne
13. Je n’ai pas dissimulé
14. Je n’ai pas transgressé les lois
15. Je n’ai pas fait de profit avec la nourriture cultivée
16. Je n’ai pas volé de parcelle de terre
17. Je n’ai trahi aucun secret.
18. Je n’ai pas intenté d’action en justice
19. Je n’ai pas cherché à m’approprier le bien d’autrui
20. Je n’ai pas convoité une femme mariée.
21. Je n’ai pas tué de bête sacrée
22. Je n’ai pas eu de relations sexuelles à tort.
23. Je n’ai pas semé la terreur
24. Je n’ai pas transgressé la Loi
25. Je ne me suis pas mis en colère
26. Je n’ai pas contredit la parole divine
27. Je n’ai maudit personne
28. Je n’ai pas été violent
29. Je n’ai pas égaré autrui
30. Je n’ai pas été impatient
31. Je n’ai pas eu de litige
32. Je n’ai pas été inutilement bavard
33. Je n’ai trompé personne, Je n’ai rien fait de mal
34. Je n’ai pas contesté le Roi (ou les Dieux)
35. Je n’ai pas souillé l’eau d’autrui
36. Je n’ai pas parlé avec arrogance ou avec colère
37. Je n’ai pas maudit une Divinité.
38. Je n’ai pas fait preuve de vanité.
39. Je n’ai pas nui à la nourriture réservée aux Divinités
40. Je n’ai pas volé la nourriture réservée aux morts (Khenfu)
41. Je n’ai pas volé la nourriture réservée aux jeunes (Hefnu)
42. Je n’ai pas entravé les divinités de ma ville

On pense tout de suite au décalogue de Moïse et on voit ici très bien comment le monothéisme prolonge le polythéisme. En fait, le décalogue de Moïse date nécessairement d’avant le monothéisme lui-même.

Et là on trouve un aspect très intéressant : qui dit loi religieuse universelle dit religion universelle. Or, le polythéisme va de pair avec une poly-lecture des cultes, ce qui implique une relative décentralisation. On voit ici comment la contradiction entre centralisation administrative / décentralisation religieuse a joué en rapport avec la question du droit général exigé par l’État central.

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La cosmologie de l’animisme cosmique (« om »)

L’animisme cosmique a déjà une « métaphysique » de l’univers. L’univers est ici un flux ininterrompu de choses, rien ne reste à sa place. Les êtres humains morts continuent leur périple dans l’au-delà : rien ne s’arrête jamais. Dans cette transformation générale ininterrompue, même les dieux sont mortels : le Ragnarök est connu pour consister en le crépuscule des dieux scandinaves dans une grande bataille finale.

Vidar déchire la gueule du loup Fenrir, scène du Ragnarök sur une croix du Xe siècle à Gosforth en Angleterre

Ce crépuscule des dieux scandinaves a toujours été compris par les commentateurs comme devant se dérouler dans l’avenir, mais en réalité cela peut être le passé également. Car la fin n’est dans l’animisme cosmique jamais une réelle fin, seulement l’ouverture d’un nouveau cycle.

Tous les « polythéismes » raisonnent en termes de cycles. À un cycle en succède un autre, et ce pour l’éternité. Ce qu’on appelle les dieux sont une expression de ces cycles. En ce sens, on doit parler de polythéisme. Mais ce polythéisme n’est qu’un aspect de l’univers et ce n’est pas le plus important.

La raison est que ces cycles ont lieu à « l’intérieur » d’un univers stable dans sa substance. Derrière tout polythéisme, il y a un univers considéré comme une source énergétique organisée. Tous les « polythéismes » placent au-dessus des dieux une entité suprême parallèle permanente, statique, à l’écart.

Cette dimension a été « oubliée » des commentateurs bourgeois, en raison de l’absence de culte de cette entité suprême. Mais c’est que les prières, rituels et sacrifices polythéistes, dans le prolongement de l’animisme, ne concernent que le monde de l’impermanence, le monde où vivent les êtres humains.

Il n’y aurait aucun intérêt à prier une entité uniquement elle-même, consistant en l’univers lui-même. Ce n’est qu’avec le monothéisme que cet univers dieu abstrait devient précisément concret, par l’intermédiaire d’un homme « choisi » par le dieu-univers personnalisé pour « communiquer ».

Traduction actuelle de la Bible dans la langue amérindienne cree ; le terme employé pour Dieu (ici en jaune) reprend directement celui, animiste cosmique, de grand esprit: Kice-Manitou

Ce qu’on prie dans l’animisme cosmique, ce sont des forces au sein de cet univers, des éléments qui relèvent du flux ininterrompu et qui peuvent agir. Non seulement il y a des dieux pour la pluie, les moissons, la foudre, les montagnes, mais tous ces dieux emplissent la réalité de manière générale, englobant tous les aspects de la vie. On retrouve ici l’animisme – sauf que l’animisme cosmique systématise l’animisme et lui offre un arrière-plan « cosmique ».

Il est malheureusement difficile d’établir en détail cet arrière-plan. On connaît trop peu de choses des civilisations mésopotamiennes. On ne peut pas non plus regarder le polythéisme grec ou romain, voire égyptien, car là déjà on est engagé sur la voie du monothéisme, la période intermédiaire ayant été en majeure partie balayée.

Pour saisir cette vision du monde animiste cosmique, il faut pour cette raison se tourner vers les Aztèques, qui ont une civilisation datant du moyen-âge du point de vue du référentiel occidental, mais bloquée aux portes du monothéisme en pratique. Ce retard immense s’explique par l’incapacité de finaliser la domestication des animaux en l’absence d’animaux de trait et de l’inexistence de métaux dans la région.

Et on a la chance de retrouver dans l’hindouisme de très larges restes de cette période particulière, même si elle a été dépassée. La Chine propose également de nombreuses choses.

Le Taijitu, ou symbole chinois du Yin et du Yang, désigne l’énergie cosmique marquée par la dualité

Chez les Aztèques, tout repose sur le Teotl, une force impersonnelle, qui forme le véritable sacré. Plusieurs noms lui sont attribués, qui associent le plus souvent deux termes, une manière typiquement aztèque d’exprimer au maximum la dualité :

– Tloque Nahaque (le possesseur de ce qui est proche),

– Yohualli ehecatl (le mouvement de l’air et la nuit),

– Ometeotl (dieu-deux),

– Ipalnemoani (Celui par qui on vit),

– Tonacatecuhtli-Tonacahuatli (Seigneur et Dame de notre chair).

L’entité suprême Ometeotl (deux-énergie) chez les Aztèques, representé en termes de dualité par le dieu Ometecuhtli et la déesse Omecihuatl

Dans sa substance, c’est le strict équivalent de la formule du « grand Manitou » qu’on connaît comme concept amérindien ; on parle ici de ce qui est dénommé Orenda chez les Amérindiens Iroquois, Wakan, chez les Amérindiens Sioux, Pokunt chez les Amérindiens Shoshones, Manitowi chez les Amérindiens Algonquins, Urente chez les Amérindiens Iroquois Tuscarora, etc.

Ce Teotl, ou Manitou, est un sacré inaccessible, dans l’au-delà ; il ne change jamais de forme, il est ce qu’il est. Il est le principe énergétique du monde, l’énergie restant ce qu’elle est. Mais l’énergie s’exprime à travers des formes impermanentes. C’est là qu’on trouve les êtres humains, les animaux, les plantes, mais aussi en un certain sens les dieux, même s’ils sont plus proches de l’énergie « pure » que les autres.

Une référence extrêmement connue de ce concept est également le fameux « om » de l’hindouisme.

Peinture indienne pahari de la fin du 18e siècle, représentant « Om » en trois groupes symboles de la création, la conservation, la destruction (dont deux groupes au moyen d’une dualité de dieux masculin et féminin)

Dans l’hindouisme actuel, il existe plusieurs courants, chacun considérant que tel ou tel dieu, sous telle ou telle forme, est le dieu suprême, avec telle ou telle nature. Pour certains c’est Brahma, pour d’autres Shiva, pour d’autres Vishnou sous la forme de Krishna, etc.

Cependant, à la base, dans l’hindouisme, il y a un dieu conceptuel à l’arrière-plan, « Brahman ». Ce dieu était au centre de la religion précédant directement l’hindouisme, qu’on a appelé a posteriori le brahmanisme. Concrètement, il y a d’abord le védisme qui apparaît 1500 avant notre ère, cède la place au brahmanisme vers l’an – 500, pour être remplacé par l’hindouisme vers l’an 500.

Il existe bien un dieu dénommé Brahma, mais il est employé pour former un certaine représentation concrète du principe du « Brahman », et grosso modo l’intégrer aux autres dieux. Pour l’hindouisme actuel, Brahma est le créateur du monde, Vishnou le porteur du monde, Shiva le destructeur du monde, dans des cycles infinis.

Ces dieux sont représentés dans chacune des lettres du son « om », en fait AUM, considéré comme la « vibration primordiale ».

Om

Mais là on sort déjà du cadre du brahmanisme, où le « Brahman » est l’arrière-plan fondamental ; si on trouve déjà le concept dans le « védisme », il n’était pas systématisé avant justement de se transformer en brahmanisme.

Le védisme est un animisme particulièrement développé et il atteint justement sa dimension cosmique en conceptualisant le « Brahman ». Voici comment Krishna, dans la Bhagavat-Gita, présente la force cosmique qui est elle-seule réelle en fin de compte, par rapport à ce qui en profite dans le monde « réel » :

« Il n’est rien au-dessus de moi, tout est rattaché à moi, comme les rangs de perles au fil où ils sont suspendus.

Je suis la saveur de ce qui est liquide, je suis l’éclat du Soleil et de la Lune, je suis le mot mystique des Ecritures, je suis la virilité dans l’homme, l’odeur pure dans la terre, la brillance dans les flammes, je suis la vie dans tous les êtres, la contemplation dans le pénitent, la force vitale en tout ce qui vit, l’éclat en tout ce qui brille.

Toutes les natures qui existent vraiment, apparentes ou obscures, viennent de moi ; elles sont en moi, et non moi en elles. »

Le Teotl aztèque dit précisément la même chose, même si ici on a une forme de personnalisation de l’univers qui tend déjà au monothéisme, du moins à une forme en gestation qu’est l’hindouisme.

Dans le brahmanisme, on n’a pas affaire à une telle personnalisation ; on reste dans l’identification à l’univers, à la force vitale dont parle Krishna dans l’extrait de la Bhagavat-Gita mentionné. Dans le brahmanisme, se tourner vers cette force permet d’accéder à une forme supérieure sur le plan mental, appelée Satcitananda – sat signifiant en sanskrit l’être, cit la conscience spirituelle, ananda la félicité.

Les textes fondamentaux employés par le brahmanisme, ce sont les Upanishad, au nombre de 108 et on lit dans le Brihadaranyaka Upanishad, l’Upanishad des grandes forêts :

« En vérité, Brahman possède deux formes : grossière et subtile, mortelle et immortelle, limitée et infinie, définie et indéfinie.

La forme grossière est autre que l’air et l’éther (akasha – cf. shloka II-i-5). C’est une forme mortelle, elle est limitée et définie. L’essence de ce qui est grossier, mortel, limité et défini, est le soleil étincelant, car il est l’essence des trois autres éléments (terre, eau et feu).

Quant à la forme subtile, elle est d’air et d’éther. C’est une forme immortelle, elle est illimitée et indéfinie. L’essence de ce qui est subtil, immortel, illimité et indéfini, est le Purusha de l’orbe solaire, car cet Être est l’essence des deux éléments (air et éther). Cette forme subtile concerne les dieux. »

Une forme grossière, matérielle, et une forme subtile, spirituelle, c’est la vision du monde de l’animisme cosmique : il y a une force vitale qui est l’univers, et ce qui existe, dans toutes ses variations, se confond avec cette force par qui elle existe, et qui finalement seule existe, car elle seule reste.

C’est exactement ce qu’on retrouve avec Maât, la divinité suprême de l’Égypte antique.

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La nature réelle du « polythéisme »

Il est bien connu que selon les historiens bourgeois, le polythéisme a précédé le monothéisme. C’est entièrement faux et une telle affirmation correspond idéologiquement aux intérêts du monothéisme et de la bourgeoisie elle-même.

Le monothéisme a besoin de présenter sa révélation comme une victoire sur les superstitions et la barbarie, afin de gagner en prestige. Il y a là quelque chose de pragmatique-machiavélique pour nier l’intérêt des formes religieuses concurrentes, pour se prétendre radicalement différent en nature des autres expressions religieuses.

L’autre aspect est que le monothéisme représente un saut historique et forme une base authentiquement nouvelle désireuse de s’extirper de la période barbare qui la précédait, et dont elle est issue, à son corps défendant.

La déesse de la lune Séléné sur un sarcophage romain, 3e siècle

La bourgeoisie a également besoin de présenter la période précédent le monothéisme comme un polythéisme. Le mode de production capitaliste implique en effet un flux ininterrompu de marchandises s’écoulant dans la production et la consommation ; il ne peut pas concevoir un autre « flux » ou une autre conception en termes de « flux » valorisant un autre « flux ».

Or, justement, le « polythéisme » est justement en réalité un animisme cosmique, avec la considération que l’univers consiste en un flux ininterrompu de choses en transformation. La vie, les péripéties, la mort, que ce soit pour les humains, les animaux ou les dieux, relèvent de ce flux.

L’animisme cosmique est à ce titre perpétuellement agité, autant que le capitalisme l’est avec les marchandises, mais il ne l’est pas avec les marchandises. La bourgeoisie donc nier cette période et l’assimiler à un polythéisme chaotique.

On remarquera ici deux choses importantes. Le romantisme idéalisant le moyen-âge et le romantisme idéalisant les petites tribus animistes vivant dans les forêts tropicales parlent, en réalité et sans le savoir, de la période de l’animisme cosmique.

Le romantisme idéalisant le moyen-âge imagine celui-ci comme organisé, avec une importance religieuse-mystique pour chaque aspect de la vie ; le romantisme idéalisant les petites tribus animistes des jungles imagine celles-ci comme ayant une conception cosmique de l’univers. Dans les deux cas, c’est erroné.

C’est en effet l’animisme cosmique qui exprime une vision cosmologique hyper-élaboré, où chaque instant de la vie relève d’un grand mouvement universel et possède partant de là une dignité en propre.

L’animisme cosmique, qu’on caricature comme « polythéisme », ne tient pas en une société humaine superstitieuse et superficielle voyant des dieux pleins de défaut humains dans toute chose, et inventant des histoires abracadabrantes à leur sujet.

Bien souvent on souligne d’ailleurs le caractère « ridicule » des dieux polythéistes, avec leurs aventures étranges, extraordinaires ou grotesques. Ganesh a ainsi une tête d’éléphant, car fils de Pârvatî, il gardait la porte alors qu’elle prenait un bain : Shiva rentrant chez lui coupa la tête à cet intrus, pour ensuite devant la colère de Pârvatî lui remettre la tête du premier « enfant » qu’il verrait, la tête originale ayant été perdue pour avoir été projeté trop loin. Ce fut un jeune éléphant.

Représentation de Ganesha au début du 19e siècle ; on le voit traditionnellement avec des sucreries dans une main et un petit rat (ici grand) l’accompagne, lui servant de moyen de transport

Tout cela semble absurde et il est courant de dire que les Grecs de l’Antiquité ne croyaient en réalité pas vraiment en leurs dieux, que tout cela était tradition, manipulations politiques et sociales, etc.

Les choses sont bien différentes. Le « polythéisme » n’a en fait jamais existé ; il n’y a jamais eu de période avec des dieux super-puissants décidant du sort du monde. Ce qui a existé, c’est un animisme cosmique, où les dieux sont des acteurs au rôle limité au même titre que les humains et les animaux.

Le polythéisme n’est plus un animisme. L’animisme est la vision du monde des êtres humains vivant en petites tribus, voyant des esprits à l’œuvre dans chaque phénomène naturel. On parle ici d’une humanité carencée sur le plan alimentaire, consommant des produits hallucinogènes afin d’expérimenter, jusqu’au « paradis », leur esprit en plein développement.

L’animisme cosmique prolonge cette vision du monde, qui est même une « vision » au sens le plus direct du terme, mais on passe un cran au-dessus de l’époque où l’on attribue directement aux éléments naturels une dimension divine-mystique.

On continue cette attribution, et c’est l’origine des multiples dieux. Cependant, ils ne sont pas tout puissants et toutes ces histoires rocambolesques des dieux du « polythéisme » ont une origine très simple : tous obéissent à l’ordre cosmique.

Les dieux ne sont pas l’ordre cosmique, le « polythéisme » n’est pas un univers cosmique divin où des dieux auraient la place du futur dieu unique. Les dieux ne sont qu’un aspect de l’ordre cosmique.

La déesse originelle japonaise Amaterasu sortant de la caverne, estampe de Shunsai Toshimasa, vers 1887

Dans l’animisme, l’univers est saisi de manière fragmentaire, à travers l’immédiateté des choses, dans des rituels immédiatistes, de nature directement magique, où l’on s’adresse à tel esprit-dieu, tel esprit-dieu, selon les besoins.

Dans l’animisme cosmique, il y a toute une cosmologie, l’univers est saisi de manière conceptuelle. On continue de s’adresser à tel esprit-dieu, pour la pluie notamment, mais on « sait » que ce n’est qu’un aspect d’un univers unifié et structuré.

L’animisme cosmique est un animisme qui a universalisé son propos en proposant une lecture de l’univers, avec au passage un assemblage ininterrompu provoquant une accumulation énorme de dieux.

On parle en effet d’une humanité dépassant le tribalisme-localisme pour former des grands ensembles, avec des mélanges où les dieux sont assimilés, mélangés, ajoutés.

On sait comment il est parlé de la Grèce antique comme d’un monument de l’humanité, car celle-ci aurait atteint un degré élevé de compréhension « scientifique » des choses. C’est un raccourci. La Grèce antique exprimait bien une énorme avancée humaine, mais sous la forme d’un animisme cosmique, et non d’une compréhension « scientifique ».

De nombreux autres peuples sont parvenus, à différents degrés, à un tel degré de développement qui se situe juste avant le monothéisme. D’où le prestige des Babyloniens, des Égyptiens, des Mayas, des Aztèques, des Indiens, des Chinois.

La déesse bouddhiste Mārīcī, Tibet, 17e siècle ; elle fut particulièrement vénérée par la caste des guerriers en Chine, en Corée et au Japon

L’animisme cosmique n’est déjà plus l’animisme se préoccupant uniquement des choses immédiates, dans une frénésie perpétuelle pour survivre. Il correspond à une période de l’humanité où le rythme de la vie quotidienne est déjà plus stabilisé.

L’animisme correspond aux chasseurs – cueilleurs ayant commencé de manière extrêmement vague la domestication des animaux et l’agriculture ; l’animisme cosmique a déjà plus avancé en ce domaine, il peut se permettre d’avoir du temps pour l’élaboration de la culture.

En systématisant l’agriculture et la domestication des animaux, il permet l’avènement du monothéisme.

Ce dernier n’est pas la simple prise du pouvoir d’un Dieu unique qui effacerait les autres dieux ; il est le Dieu-Univers remplaçant l’univers divin de l’animisme cosmique. Car l’animisme cosmique dispose d’une très haute cosmologie.

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Un an de conflit armé en Ukraine: faire face à la guerre de repartage du monde, à l’exemple de Rosa Luxembourg !

Cela fait désormais une année que la Russie intervient militairement en Ukraine. Une année de conflit armé, où chaque jour il y a eu des soldats qui meurent, des bombes qui tombent, où la destruction est devenue reine, dans un processus assassin qui ne semble pas vouloir s’arrêter.

Et il n’y aura effectivement pas d’arrêt, car le conflit militaire en Ukraine est un aspect d’une troisième guerre mondiale qui a déjà commencé, avec en toile de fond l’affrontement entre la superpuissance impérialiste américaine hégémonique et son challenger, la superpuissance chinoise.

Cette effroyable compétition entre les deux puissances majeures qui forment le premier monde entraîne dans son sillage toutes les puissances secondaires formant le second monde.

Le troisième monde, le tiers-monde, forme quant à lui le butin.

L’Ukraine est un pays du tiers-monde, c’est une part du butin.

C’est cela la réelle raison du conflit militaire en Ukraine.

Les superpuissances et les puissances se placent pour disposer de la meilleure position mondiale possible. La Russie a pris l’initiative pour replacer l’Ukraine dans son orbite historique, la superpuissance américaine voit la possibilité de démanteler la Russie, la France entrevoit le moyen de reprendre pied en Roumanie, le Royaume-Uni aimerait se placer en Mer Noire notamment à Odessa…

Il faut se confronter à cette bataille pour le repartage du monde !

Prolétaires de tous les pays, nations et peuples opprimés, unissez-vous !

Un conflit militaire inéluctable dans le cadre de la crise générale du capitalisme

Nous avons averti du caractère inévitable du conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine plus de six mois avant son commencement. Qui maîtrise le matérialisme dialectique est en effet capable de comprendre les tendances historiques.

Le mode de production capitaliste est en crise depuis 2020. La machinerie capitaliste d’accumulation de capital s’est enrayée avec la pandémie. Tout le système de production et de consommation continue à tourner, mais de manière perturbée, voire détraquée.

Cette crise générale a clairement modifié les mentalités, les points de vue, la situation économique, le rapport à la politique, la question militaire… Plus rien n’est pareil, et rien n’en finit plus de ne plus être pareil.

Cela précipite la bataille pour le repartage du monde. Et que voit-on du côté occidental ? Quel est le point de vue à l’arrière-plan de toutes les initiatives concernant l’Ukraine ?

Ce pays devrait devenir une base industrielle pour le capital financier occidental, en profitant des ressources d’une Russie démantelée en de multiples petits États et payant des sommes colossales de « réparations ».

Une Ukraine vassalisée, une Russie colonisée, tel est le plan des impérialistes occidentaux, superpuissance impérialiste américaine en tête !

Tel est leur souhait, afin de relancer le capitalisme !

La guerre contre la Russie sert à renforcer la légitimité des régimes occidentaux

L’espoir de se « sauver » de la crise générale en utilisant l’Ukraine, puis la Russie, est immense du côté occidental.

C’est pourquoi nous avons pu voir, pendant cette première année de conflit militaire en Ukraine, que l’ensemble des forces politiques occidentales, à quelques très rares exceptions, a entièrement avalisé le discours comme quoi la Russie serait la seule menace et l’OTAN, à l’inverse, une force de paix et de concorde.

Il serait dans l’ordre des choses que l’OTAN fournisse absolument tout le soutien matériel possible au régime ukrainien, et il en irait de même pour les gouvernements des États-Unis et de l’Union européenne. Des milliards de dollars et d’euros sont ainsi donnés ou prêtés, ainsi que des armements, des informations stratégiques et tactiques, des conseillers spéciaux.

Les médias, dans leur totalité, déversent depuis une année, dans l’ensemble des pays impérialistes occidentaux, un tel bourrage de crâne que pour trouver un parallèle, il faut se tourner vers la guerre de 1914-1918.

La convergence des sociétés occidentales avec les projets impérialistes est complète. C’est tellement vrai que du côté de la gauche politique, et de la gauche de la gauche, on chercherait pratiquement en vain la thématique de la guerre en Ukraine, de l’escalade militaire de l’OTAN, des objectifs impérialistes de repartage du monde.

C’est véritablement l’Union sacrée, comme en 1914.

Contre la métropole impérialiste et le 24 heures sur 24 du capitalisme

Nous nous posons contre l’Union sacrée ; nous nous opposons à l’initiative de la superpuissance américaine de mise en place d’une structure militaire européenne homogène afin de participer à la guerre contre la Russie.

Nous sommes en mesure d’avoir ce positionnement, car nous savons faire la part des choses et voir comment la « vie politique et sociale » dans les pays impérialistes ne sort pas du cadre du capitalisme.

Les « événements » politiques ou sociaux qui se déroulent dans les pays impérialistes occidentaux n’entrent, absolument jamais, en conflit ou en rupture avec les bases fondamentales du régime.

L’exemple du mouvement actuel en France contre la réforme des retraites est révélateur : malgré la mobilisation de millions de personnes, il n’y aucune dénonciation ni du capitalisme, ni de la guerre impérialiste.

C’est inévitable, car le 24 heures du capitalisme exerce sa domination systématique sur la vie quotidienne des gens dans les pays impérialistes occidentaux.

L’aliénation au travail est massive, l’exploitation encore plus approfondie que par le passé au niveau des nerfs, de l’intellect. La dépolitisation est massive, les syndicats sont totalement imbriqués dans les institutions, le niveau de vie est élevé et la corruption par la propriété est massive.

Nous affirmons que, dans un tel cadre, celui des métropoles impérialistes, rien n’est possible sans rupture idéologique et culturelle, avec un poids accru de la subjectivité. Qui ne veut pas rompre sciemment avec le système resté lié à lui d’une manière ou d’une autre.

Cela souligne deux aspects nécessaires à toute politique révolutionnaire : l’autonomie prolétarienne vis-à-vis des institutions capitalistes, l’anti-impérialisme avec les intérêts du tiers-monde comme aspect fondamental de toute orientation politique.

C’est pourquoi il faut bien comprendre le sens de l’Histoire.

Si le régime ukrainien s’effondre, alors seulement tout est possible

Une victoire des pays occidentaux par l’intermédiaire du régime ukrainien, le démantèlement de la Russie, la fonctionnalisation de l’Ukraine et de la Russie dans le dispositif capitaliste occidental… relanceraient le capitalisme pour une période d’une, deux, plusieurs décennies.

Un triomphe fournirait aux peuples du monde l’enseignement, temporaire mais effectif, de la supériorité militaire, technologique, stratégique des pays occidentaux. Ce serait un équivalent de la victoire occidentale sur l’Irak en 1990-1991.

L’ordre mondial témoignerait alors de sa stabilité dans les faits, de sa possibilité de toujours se rattraper. Ce serait, après la neutralisation des effets économiques apparents de la pandémie, une preuve, formelle mais puissamment subjective, du caractère « invincible » du capitalisme occidental, de son mode de vie.

Inversement, l’effondrement du régime ukrainien montrerait que les pays occidentaux ne sont pas tout-puissants. Cela indiquerait qu’un pays peut bien choisir de passer entièrement dans la subordination à la superpuissance américaine, mais que cela ne le sauverait pas pour autant.

Si le régime ukrainien sauve sa tête, il servira d’exemple aux autres pays : la seule possibilité de « développement » serait l’intégration des initiatives impérialistes. Si le régime ukrainien tombe, cela exprimera l’impuissance occidentale et le fait que ce n’est pas une voie réalisable que de se vendre à la superpuissance américaine.

La chute du régime ukrainien correspond ainsi à une exigence historique, à l’époque de la chute de la suprématie du bloc capitaliste occidental ! Et du point de vue communiste, cela correspond à une vague montante, nouvelle : celle de la révolution mondiale parallèlement à la décomposition de l’ordre mondial défini par l’impérialisme.

Indépendance stratégique et lutte contre son propre impérialisme

Les communistes doivent toujours se fonder sur l’indépendance stratégique. Des pays comme la Russie et la Chine ont leur propre agenda, qui correspond à leurs intérêts en tant que grandes puissances. La Chine veut être la superpuissance dominante, la Russie réussir à tenir son rang en forçant à une nouvelle configuration « géopolitique ».

Cela peut sembler aller de soi, mais il est des forces politiques, qu’on dénomme souvent « campiste », qui ne maîtrisent en rien la dialectique et qui considèrent de manière unilatérale que tout ce qui s’oppose à la superpuissance américaine serait positif par essence. Ce sont souvent des gens qui en arrivent au raisonnement absurde que les attentats du 11 septembre 2001 auraient possédé une dimension « anti-impérialiste ».

Ni la Russie, ni la Chine ne sont en réalité des acteurs directs ou indirects de la révolution mondiale. Leurs activités jouent simplement un rôle dissolvant dans le cadre de la dégénérescence historique du mode de production capitaliste et de l’ordre impérialiste.

Il est significatif à ce niveau que face à la Russie, de nombreux pays ne s’alignent plus sur la superpuissance américaine, à l’instar du Brésil, de la Turquie, du Mexique, de l’Arabie Saoudite.

Les initiatives politiques et militaires russe, chinoise, comme sud-africaine, brésilienne, turque, mexicaine, iranienne ou encore des pays du Golfe… correspondent à l’élévation particulière des forces productives à l’échelle mondiale depuis 30 ans et de toute une série de contradictions nouvelles qui apparaissent.

C’est là une des expressions d’une situation mondiale où tout se dérègle en quantité : réchauffement climatique, développement exponentiel de la consommation de viande, expansion à marche forcée de l’urbanisation, destruction massive des écosystèmes, effondrement de la vie sauvage, accroissement de la pollution industrielle et chimique.

Plus rien ne tient dans la situation mondiale. C’est l’effondrement du capitalisme comme « civilisation ».

Et dans ce cadre, la fin du mode de vie occidental, de l’hégémonie occidentale, est un premier pas vers la grande remise en cause historique du capitalisme à l’échelle mondiale.

L’isolement anti-guerre comme Rosa Luxembourg

Il n’y a aucun mouvement de masse de dénonciation de l’OTAN dans aucun pays occidental ; tout au mieux y a-t-il des embryons de revendications pacifistes, qui assument toutefois de ne surtout pas se confronter à la question de fond, qui est celle de la situation mondiale, de la bataille pour le repartage du monde.

C’est une situation catastrophique, mais cela ne change en rien la nécessité révolutionnaire, qui est de suivre l’exemple de Rosa Luxembourg pendant la première guerre mondiale.

Isolée politiquement dans une Allemagne militarisée et militariste, trahie par une social-démocratie passée dans le camp de la guerre impérialiste, accusée de collaboration avec l’ennemi, frappée par la répression, elle n’en a pas moins levé le drapeau rouge et affirmé que l’ennemi était dans son propre pays.

Nous devons suivre son exemple, se rappeler l’adversité qu’elle a connu. C’est à ce prix que peut être maintenue la ligne rouge pour la prochaine séquence historique.

Il faut maintenir les fondamentaux. L’aspect politique principal dans les pays occidentaux est la lutte contre son propre impérialisme.

Il ne s’agit pas, comme le font les opportunistes, de critiquer la guerre de temps en temps, comme un arrière-plan militariste qui serait somme toute secondaire. Il ne s’agit pas non plus de dénoncer la guerre en général, en évitant soigneusement de se focaliser essentiellement sur son propre impérialisme.

Il ne s’agit certainement pas de faire le portrait neutre d’une situation où l’on met les forces dos à dos. Il s’agit d’oeuvrer à l’effondrement du régime en place, à sa défaite militaire.

Arborer, défendre et appliquer, principalement appliquer le marxisme-léninisme-maoïsme !

L’adversité politique complète que connaît le camp révolutionnaire depuis le tout début des années 1990 tient au développement général des forces productives dans le cadre du capitalisme.

L’intégration des pays de l’Est de l’Europe dans le capitalisme occidental à la suite de l’effondrement du social-impérialisme soviétique a joué un rôle essentiel. Le rôle majeur est bien sûr l’intégration de la Chine au marché mondial, dans le prolongement de la prise du pouvoir par le révisionnisme à la suite de la mort de Mao Zedong en 1976.

Un autre aspect tient bien entendu au développement technologique, avec l’informatique, le numérique en général.

Le 24 heures sur 24 du capitalisme s’est terriblement développé, approfondi, systématisé, enserrant encore plus les prolétaires dans le mode de production capitaliste. C’est également vrai, de manière plus relative toutefois, dans les pays du tiers-monde.

Mais les choses se transforment en leur contraire. La situation mondiale actuelle est un chaos en développement, prix à payer pour ce développement du capitalisme depuis trente ans.

C’est pourquoi nous affirmons que notre ligne est juste : ce qui compte, c’est le maintien de la proposition stratégique communiste, avec ses fondamentaux que sont le matérialisme dialectique comme science et le marxisme-léninisme-maoïsme comme idéologie.

Un immense espace s’ouvre, appelant à un saut qualitatif d’envergure historique, une rupture révolutionnaire exigeant la formation d’une nouvelle Humanité, d’une nouvelle Culture assumant le meilleur de l’héritage des siècles passés, en harmonie avec la Biosphère, les yeux tournés vers le Cosmos.

Le 21e siècle appartient aux masses mondiales, qui vont mettre à bas le mode de production capitaliste à l’échelle de la planète.

L’ennemi est dans notre propre pays : contre l’intervention politico-militaire intégrée du camp occidental contre la Russie !

Contre les projets d’asservissement de l’Ukraine et de la Russie par la superpuissance américaine pour résorber la crise générale du capitalisme !

Face à la troisième guerre mondiale, la guerre populaire mondiale !

Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste)

Février 2023

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Le matérialisme dialectique et la dialectique du carré et du rond

Le matérialisme dialectique considère que rien ne peut être statique, en équilibre, symétrique. Il y a forcément une nuance, une différence, une lutte, une contradiction, une transformation. C’est là qu’on comprend qu’il faut accorder une importance fondamentale au développement inégal, bien plus que cela ne l’a été fait au 20e siècle.

Le carré présente ici un défi puissant. En effet, dans un carré, on semble chercher en vain une transformation, une contradiction, une lutte, une simple différence, ou même juste une nuance.

Les côtés a, b, c, d d’un carré ont la même taille. Ils sont bien entendu différents, cependant ils ont une identité substantielle : on peut indifféremment les remplacer l’un par l’autre. On ne peut pas fonder une identité réelle, une différence authentique, simplement là-dessus.

Les angles sont pareillement tous de 90°. On a beau chercher, on ne trouve rien ! Il faut bien pourtant que le carré obéisse à la dialectique !

La solution est la suivante. La contradiction du carré tient à celle entre le tout et les parties. Ce n’est pas tant que les côtés du carré soient différents qui comptent, que le fait qu’il faille passer de l’un à l’autre. Ce passage est discontinu. C’est là l’aspect qualitatif.

Et quel est l’opposé du carré ? C’est le rond, justement. Car chez lui, il n’y a pas cette discontinuité ! On passe en effet d’un point à un autre, sans rupture. Par contre, ce n’est pas en suivant une ligne que l’on « progresse », mais justement de manière discontinue.

Inversement, il n’y a pas de contradiction entre le tout et les parties !

Ainsi, le carré voit sa contradiction se poser entre le tout et les parties, la discontinuité se situant au niveau du passage d’un côté à un autre. Là est la différence permettant la lutte.

Le rond voit quant à lui sa contradiction se poser dans le mouvement des points, qui n’est pas linéaire, qui n’est pas continu : il ne s’agit en effet pas simplement d’un point ajouté après un autre, mais d’une ligne connaissant une tendance à la courbe. Il n’y a par contre pas d’opposition entre le tout et les parties.

Et les deux sont des opposés, dans une opposition correspondant à la contradiction entre le tout et les parties qui s’oppose à la discontinuité linéaire.

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Le matérialisme dialectique et l’expression d’une chose par ses contraires

Le matérialisme dialectique considère que toute chose, tout phénomène repose sur une unité des contraires. La question qui se pose alors est de savoir comment exprimer correctement cette unité des contraires lorsqu’on parle d’une chose, d’un phénomène.

Cette question ne peut pas avoir de réponse tant que le matérialisme dialectique n’est pas pratiqué à l’échelle des masses. Ce n’est qu’alors que la quantité fournira à la qualité l’opposé lui manquant pour une résolution productive de la question dans le langage lui-même.

On peut cependant voir ce qui n’est pas possible, ce qui a justement été rejeté dans la pratique elle-même de l’humanité jusqu’ici.

Le problème se pose de la manière suivante. Puisque chaque chose, chaque phénomène consiste en une unité des contraires, alors les contraires peuvent et doivent être présentés pour parler de la chose, du phénomène.

Au lieu donc de parler d’une chose, d’un phénomène, on pourrait alors utiliser la paire de contraires.

Par exemple, au lieu d’utiliser le mot électricité, on pourrait le remplacer par l’expression « pôle positif – pôle négatif ». Au lieu d’employer le mot ascenseur, on pourrait bricoler le mot « monteur – descendeur ».

Il s’agit ici bien entendu d’abstractions, malhabiles qui plus est, mais il existe déjà des cas concrets. En anglais, un pompier se dit un « Fire-fighter », un « feu-combattant », soit un combattant du feu. C’est là une opposition dialectique.

Et la problématique révèle sa nature si on regarde le mot français. Le pompier, c’est en effet celui qui avec ses bras actionne une pompe, un instrument pour pomper l’eau, afin de combattre le feu.

C’est-à-dire qu’au lieu de mettre en avant les opposés, on a la considération que l’aspect principal est mise en avant de l’action, de la transformation qui a lieu. Le pompier apporte en effet, à la contradiction entre lui et le feu, de l’eau.

C’est très intéressant car cela souligne qu’il faut étudier non seulement les opposés, mais leur rapport avec les différents aspects.

Prenons un exemple où les opposés sont si sous-entendus qu’ils ne sont pas mentionnés. Au sens strict, si l’on dit d’un mur qu’il est blanc, on veut dire par là également qu’il n’est pas noir, ou d’ailleurs d’une autre couleur. Si on dit d’un mur qu’il est jaune, cela implique qu’il n’est pas blanc. C’est là facile à comprendre. Un mur est peint en couleur, ou pas. Quand on répond blanc ou une couleur, on sous-tend l’opposé, inévitablement.

La question est par contre de savoir dans quelle mesure la conscience saisit la nature dialectique de son propos et si, dans certains domaines au moins, il ne faut pas exprimer les choses en témoignant directement de l’unité des contraires.

Par exemple, il y a des gens qui dénoncent le capitalisme, mais qui en réalité n’assument pas le socialisme. C’est tellement vrai que le mot « anticapitaliste » a pris une valeur en soi.

On pourrait alors parler à la place du capitalisme, de « capitalisme-socialisme », et pour socialisme, de « socialisme-capitalisme ». Or, il faudrait dire, de manière juste, « socialisme – dépassement du capitalisme – s’auto-dépassant dans le Communisme ».

Si on parle de « capitalisme-socialisme », on oublie que le capitalisme est né contre le féodalisme ; si on parle de « socialisme-capitalisme », on oublie que le socialisme va être dépassé par le Communisme.

On comprend ici le problème de fond. Outre que toutes ces formulations sont malhabiles, elles ont comme principal problème de figer la contradiction dans le sens historique, dans le sens de la production.

Ces formulations figent également la contradiction sur le plan interne.

Si on parle de la vie par exemple, on pourrait dire la « vie-mort », et pour parler de la mort, on dirait la « mort-vie ». On présenterait une contradiction en l’associant à son contraire, et on mettrait en premier le concept dont on veut parler en particulier.

Or, si on parle de « vie-mort » pour la vie et de « mort-vie » pour la mort, on tend à séparer radicalement les deux notions, à nier la transformation, le fait que la vie devienne la mort et inversement.

Si on utilisait « paix-guerre » et « guerre-paix », alors on ne pourrait pas concevoir que la paix devienne la guerre, et inversement.

On oublierait qu’une chose peut se retourner en son contraire, que les contraires sont mutuellement dépendants au point que chaque opposé est, en même temps, son opposé.

Une autre dimension, enfin, de l’utilisation d’opposés dans l’expression d’une chose, d’un phénomène, est qu’on s’y perdrait vite.

Au lieu de dire « le réveil le matin », on dirait « l’esprit retrouvé au lever du soleil ». C’est plus poétique qu’autre chose. Encore est-ce clair, mais dans d’autres situations c’est intenable.

Au lieu de la « vue », on parlerait par exemple de « l’oeil-reflet ». Et si on est aveuglé par une lumière, il faudrait encore trouver des opposés à l’aveuglement et à la lumière, et tout mettre en vrac. Ce serait trop peu pratique.

Voilà pourquoi il n’est pas possible, dans le langage, d’utiliser directement des opposés. On nierait de manière trop prononcée l’unité des opposés, on séparerait arbitrairement les opposés, on effacerait le mouvement de la contradiction des opposés, on ne saisirait pas quel est l’aspect principal..

Est-ce à dire alors que le langage n’obéit pas à la dialectique ? Absolument pas. Cependant, il l’a fait d’une manière non formelle justement. Déjeuner est un mot né pour désigner le repas du matin et s’est construit en associant le privatif – dé avec jeûner. Déjeuner, c’est dépasser le jeûne.

Si l’on étudie l’étymologie, on peut voir comment toute la dialectique est à l’oeuvre dans la langue. C’est là qu’est exprimée, de manière créative, l’opposition des contraires.

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Le chauvinisme national et racial comme cannibalisme

Le cannibalisme est le grand non dit de l’humanité. Pendant une très longue période de son histoire, elle s’est entredévorée, néanmoins aborder le sujet est un grand tabou. Des retours en arrière dans le cannibalisme, comme raconté dans la fameuse chanson « Il était un petit navire », se sont régulièrement produits.

Le monothéisme a le cannibalisme en horreur et on peut facilement lire comment le sacrifice humain est transformé en allégorie, comme avec le sacrifice d’Isaac ou l’eucharistie catholique où l’on mange le corps du Christ et où l’on boit son sang.

Cela explique l’obsession monothéiste contre les païens. De fait, de par le manque de forces productives, le cannibalisme est inévitable. Il est d’un côté un reflet du patriarcat débridé, mais également du manque de protéine.

Jusqu’à la colonisation au 18e siècle, les Aborigènes d’Australie vivent dans une extrême précarité, nomade ou semi-nomade. Une femme ne pouvant pas porter plus d’un enfant, tout nouveau né avant que l’enfant précédent ne marche est tué, voire mangé. Les personnes trop âgées sont également massacrées.

Tout cela forme un arrière-plan très inquiétant de l’humanité et il ne faut pas chercher ailleurs la fascination pour les films de zombie, les films Alien (le monstre de nature animale mange le cerveau, nourriture centrale de l’anthropophagie) et Predator (les victimes sont dépecées, même l’arrière-plan est un criminel assassin visant les criminels assassins uniquement).

C’est ce qui explique l’analyse extrêmement juste de Staline concernant l’antisémitisme. Il répond comme suit à une question de l’Agence juive, en janvier 1931 :

« Le chauvinisme national et racial est une survivance des mœurs misanthropiques propres à la période du cannibalisme.

L’antisémitisme, comme forme extrême du chauvinisme racial, est la survivance la plus dangereuse du cannibalisme.

L’antisémitisme profite aux exploiteurs, comme paratonnerre afin que le capitalisme échappe aux coups des travailleurs.

L’antisémitisme est un danger pour les travailleurs, car c’est une fausse route qui les égare hors du droit chemin et les conduit dans la jungle.

Aussi les communistes, en tant qu’internationalistes conséquents, ne peuvent être que les ennemis jurés et intransigeants de l’antisémitisme.

En URSS, la loi punit avec la plus grande sévérité l’antisémitisme comme phénomène opposé au régime soviétique. Selon les lois de l’URSS, les antisémites actifs sont condamnés à la peine de mort. »

L’analyse de Staline est indéniablement juste, la position de l’URSS de Staline parfaitement correcte. Il est évident que le chauvinisme national et racial, exprimant une tentative de « sortie » de crise par l’assassinat systématisé, produisant le meurtre industriel des nazis, est une résurgence de la démarche cannibale.

On notera également que Staline dit cela en 1931, soit avant même la prise du pouvoir en Allemagne par les nazis, anticipant les crimes nazis constituant la Shoah.

C’est une lecture matérialiste historique tout à fait puissante. Il existe tout un cannibalisme social par ailleurs chez les gangs, les lumpenprolétaires, dans toutes les couches sociales déclassées vivant, en quelque sorte, un immense retour en arrière historique.

L’idéologie du vol est une forme atténuée de cannibalisme social, correspondant également à de l’exploitation capitaliste dans sa version raccourcie, mais sur le fond cela tend à une expression anti-travail, anti-historique, qui explique le mépris et le rejet par les masses de tout romantisme à ce sujet.

Seuls les éléments déclassés éprouvent une fascination devant une telle entreprise que les masses sentent comme un risque de retour en arrière.

Et lorsque la haute bourgeoisie cherche une voie pour sortir de la crise générale du capitalisme, elle se tourne fort logiquement vers cette idéologie néo-cannibale, y trouvant les moyens de développer son idéologie impérialiste.

=>Retour au dossier Du chamanisme au monothéisme

Le psychédélisme des années 1960 et Carlos Castaneda

L’humanité, profitant de son développement, a accentué ses connaissances en chimie. Les drogues modernes en sont issues. L’héroïne a été conceptualisée à la fin du 19e siècle par la firme Bayer ; le LSD a été conceptualisé au milieu du 20e siècle par la firme Sandoz.

Une figure particulièrement marquante est ici le Français René Daumal 1908-1944), intoxiqué massivement aux drogues les plus puissantes et se tournant vers le sanskrit et l’Inde. Cela aboutira naturellement à une production de poètes illuminés (dans la perspective inévitable d’Arthur Rimbaud et de Gérard de Nerval) et à un roman allégorie de la quête spirituelle : Le Mont Analogue.

René Daumal

Cependant, on parle ici d’une approche élitiste et littéraire, qu’on peut retrouver chez Pierre Drieu La Rochelle à la fin de sa vie ; il faut attendre les années 1960 et la société de consommation américaine pour avoir un véritable tournant.

La figure principale est ici l’Américain Alexander Shulgin (1925-2014), de la firme Dow Chemical Co, qui a systématisé la découverte des drogues synthétiques dans la seconde moitié du 20e siècle.

Ce « pape du psychédélisme » a écrit notamment deux « bibles » du consommateur de drogues synthétiques : « PiHKAL » (Phenethylamines I Have Known And Loved : A Chemical Love Story), soit Les phényléthylamines que j’ai connus et aimés. Une histoire d’amour chimique, et « TiHKAL » (Tryptamines I Have Known And Loved : The Continuation), soit Les tryptamines que j’ai connu et aimé. La suite.

Il est ici tout à fait frappant que ce culte « nouveau » des hallucinations provoquées par les drogues se produise aux Etats-Unis, au coeur du capitalisme le plus avancé. Car, ce que cela implique, c’est que le mode de production capitaliste bloquant la perspective de développement humain, il y a une expression de ce blocage par une tentative de retour en arrière historique.

Le mouvement hippie était un mouvement romantique au sens strict, idéalisant le passé, et c’est là qu’il faut bien comprendre que le culte des hallucinations n’est pas un simple produit de l’industrie moderne, mais un regard historique sur le culte des hallucinations amérindiens.

Le grand vecteur idéologique passe ici par Carlos Castaneda (1925-1998), un personnage qui fut particulièrement connu et médiatisé aux États-Unis dans les années 1960, ses ouvrages se vendant par millions.

Lui-même se présente comme un simple particulier ayant rencontré un chaman lui indiquant la voie à suivre pour atteindre une « réalité séparée ». Il n’a jamais été trop su si cette figure pittoresque était folle, mythomane ou un aventurier littéraire.

Reste qu’il est dans les pays occidentaux la principale figure idéologique d’un « retour » aux hallucinations comme voie spirituelle. Car les consommateurs de drogues psychédéliques n’ont rien à voir avec les consommateurs de cannabis, bien que ces derniers soient une variante historique appauvrie, tout comme les consommateurs d’alcool cherchant à être grisé ou saoul.

Le culte du psychédélique est culturellement et intellectuellement extrêmement recherché, avec une vision du monde qui ramène à l’humanité d’avant le monothéisme. C’est une résurgence historique d’un moment passé de l’humanité, et c’est d’autant plus fort que c’est un matérialisme dialectique inversé.

Voici comment Carlos Castaneda présente par exemple le psychédélisme, en 1993, dans L’art de rêver. C’est tout à fait représentatif de l’idéologie chamanique d’une sorte de « troisième oeil », d’une vision mystique permettant de voir le monde au-delà de son apparence matérielle, etc., avec un panthéisme inversé, une lecture cosmique de la réalité se retournant en son contraire.

« Au cours des vingt dernières années, j’ai écrit une série de livres relatant mon apprentissage avec un sorcier indien yaqui du Mexique, don Juan Matus.

Dans ces ouvrages, j’ai expliqué qu’il m’avait enseigné la sorcellerie, non pas la sorcellerie telle que nous la comprenons dans le contexte de notre monde de tous les jours, c’est-à-dire la mise en œuvre de pouvoirs surnaturels à l’encontre d’autrui, ou bien l’invocation des esprits avec des amulettes, des sorts, ou des rituels destinés à produire des effets surnaturels.

Pour don Juan, la sorcellerie était l’acte qui rend substantielles quelques prémisses particulières d’ordres pratique et théorique concernant la nature et le rôle de la perception dans notre saisie et notre modélisation de l’univers qui nous entoure.

Pour définir sa connaissance j’ai évité, à la suggestion de don Juan, l’usage d’une classification anthropologique, le chamanisme. Je l’ai toujours désignée par le terme qu’il utilisait pour la nommer : sorcellerie.

Sans aucun doute, don Juan était un intermédiaire entre le monde naturel de la vie de tous les jours et un monde invisible qu’il ne nommait pas le surnaturel, mais la ‘‘seconde attention’’.

Son rôle de maître consistait à me permettre l’accès à ce monde. Dans mes ouvrages antérieurs, j’ai décrit ses méthodes d’enseignement permettant d’atteindre ce but, ainsi que les arts de la sorcellerie qu’il me faisait pratiquer, dont le plus important se nommait ‘‘l’art de rêver’’.

Don Juan soutenait que notre monde, que nous croyons être unique et absolu, n’est qu’un parmi un groupe de mondes conjoints, disposés telles les couches d’un oignon.

Bien que nous ayons été énergétiquement conditionnés à percevoir exclusivement notre monde, il affirmait que nous avons encore la possibilité d’entrer dans ces autres royaumes qui sont aussi réels, uniques, complets et accaparants que l’est notre monde (…).

À de nombreuses reprises, don Juan insista sur le fait que tout ce qu’il m’enseignait avait été cerné et mis en œuvre par des hommes qu’il décrivait comme des sorciers de l’antiquité.

Très clairement, il établit une distinction profonde entre ces sorciers et les sorciers d’aujourd’hui.

Il définit les sorciers de l’antiquité comme des hommes qui vivaient au Mexique des milliers d’années avant sa conquête par les Espagnols, des hommes dont l’œuvre la plus grandiose avait été d’édifier les structures de la sorcellerie, en insistant sur sa réalité pratique et concrète.

Il les décrivait comme des hommes brillants mais sans sagesse. À l’inverse, il peignait les sorciers modernes comme des hommes connus pour leur esprit sain et leur capacité à rectifier, s’ils l’estimaient nécessaire, le cours de la sorcellerie (…).

Un jour, alors que nous nous promenions autour de la place de la ville de Oaxaca, don Juan me fournit, d’un point de vue de sorcier, la plus cohérente définition de rêver. ‘‘Les sorciers considèrent rêver comme un art très sophistiqué, l’art de déplacer à volonté le point d’assemblage de son habituelle position de façon à rehausser et à élargir la portée de ce qui peut être perçu.’’

Selon lui, les sorciers d’antan fondèrent l’art de rêver sur cinq conditions qu’ils virent dans le courant d’énergie des êtres humains. En premier lieu, ils virent que seuls les filaments qui passent par le point d’assemblage peuvent être assemblés en une perception cohérente.

En second lieu, ils virent que si le point d’assemblage est déplacé à un autre endroit, aussi infime que soit ce déplacement, des filaments d’énergie différents et inhabituels passent à travers lui.

Ces filaments affectent la conscience et forcent l’assemblage de ces champs d’énergie inhabituels à former une perception stable et cohérente. Troisièmement, ils virent qu’au cours de rêves ordinaires, le point d’assemblage se déplace facilement de lui-même sur une autre position à la surface ou à l’intérieur de l’œuf lumineux.

Quatrièmement, ils virent que l’on peut faire bouger le point d’assemblage en dehors de l’oeuf lumineux, dans l’immensité des filaments d’énergie de l’univers.

Et, cinquièmement, ils virent qu’avec une certaine discipline il est possible de cultiver et d’accomplir, au cours du sommeil et des rêves ordinaires, un déplacement systématique du point d’assemblage. »

Il est vraiment marquant que les propos forment une sorte de lecture matérialiste dialectique de la Nature comme grand ensemble, mais totalement inversée. Et c’est une véritable vision du monde, qui a beaucoup de déclinaisons, notamment dans les sciences physiques avec les théories les plus délirantes comme la « théorie des cordes », les « multivers » et autres idéalismes littéralement chamaniques.

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Le monothéisme et les prophètes hallucinés

Les religions monothéistes parlent de leur prophète comme d’un être à part qui a choisi de vivre à l’écart dans un souci de quête spirituelle.

Du point de vue matérialiste historique, il faut comprendre par là qu’il a choisi de se placer dans une situation de privation, de carences, d’épuisement, de manque de sommeil. C’est là absolument capital pour comprendre toute la question.

Il faut bien voir la chose suivante. Lorsque les premiers chrétiens vont dans le désert, pour vivre en ermites, ils ne le font pas comme le dit une lecture a posteriori afin d’éviter une société pleine de tentation.

En réalité, ils pratiquent une privation d’alimentation et de sommeil tendant à des expériences hallucinatoires, dont la tradition était restée. Cela change absolument tout. Et comme on le sait, par la suite, les religions monothéistes ont procédé à l’extinction de telles démarches hallucinées, de manière inégale naturellement.

Regardons ce qu’il est dit des prophètes. L’évangile selon Luc raconte comment c’est au bout de quarante jours de jeûne – donc dans un état halluciné – que Jésus a assumé sa « vision » :

« Jésus, rempli du Saint Esprit, revint du Jourdain, et il fut conduit par l’Esprit dans le désert,

où il fut tenté par le diable pendant quarante jours. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, après qu’ils furent écoulés, il eut faim.

Le diable lui dit : Si tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre qu’elle devienne du pain.

Jésus lui répondit : Il est écrit : L’Homme ne vivra pas de pain seulement.

Le diable, l’ayant élevé, lui montra en un instant tous les royaumes de la terre,

et lui dit : Je te donnerai toute cette puissance, et la gloire de ces royaumes ; car elle m’a été donnée, et je la donne à qui je veux.

Si donc tu te prosternes devant moi, elle sera toute à toi.

Jésus lui répondit : Il est écrit : Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul.

Le diable le conduisit encore à Jérusalem, le plaça sur le haut du temple, et lui dit : Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d’ici en bas ; car il est écrit :

Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet, Afin qu’ils te gardent ;

Et : Ils te porteront sur les mains, De peur que ton pied ne heurte contre une pierre.

Jésus lui répondit : Il est dit : Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu.

Après l’avoir tenté de toutes ces manières, le diable s’éloigna de lui jusqu’à un moment favorable.

Jésus, revêtu de la puissance de l’Esprit, retourna en Galilée, et sa renommée se répandit dans tout le pays d’alentour.

Il enseignait dans les synagogues, et il était glorifié par tous.

Il se rendit à Nazareth, où il avait été élevé, et, selon sa coutume, il entra dans la synagogue le jour du sabbat. Il se leva pour faire la lecture,

et on lui remit le livre du prophète Ésaïe. L’ayant déroulé, il trouva l’endroit où il était écrit :

L’Esprit du Seigneur est sur moi, Parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; Il m’a envoyé pour guérir ceux qui ont le coeur brisé,

Pour proclamer aux captifs la délivrance, Et aux aveugles le recouvrement de la vue, Pour renvoyer libres les opprimés, Pour publier une année de grâce du Seigneur.

Ensuite, il roula le livre, le remit au serviteur, et s’assit. Tous ceux qui se trouvaient dans la synagogue avaient les regards fixés sur lui.

Alors il commença à leur dire : Aujourd’hui cette parole de l’Écriture, que vous venez d’entendre, est accomplie. »

Icône du 6e siècle du Christ pantocrator c’est-à-dire en gloire, on remarquera le visage séparé en deux (divin et rédempteur à gauche, humain et tourné vers la révélation de l’autre)

On lit également dans le Nouveau Testament, dans l’Evangile selon Matthieu, au sujet de Jean Baptiste qui est celui qui a précédé Jésus :

« En ce temps-là parut Jean Baptiste, prêchant dans le désert de Judée. Il disait : Repentez-vous, car le royaume des cieux est proche.

Jean est celui qui avait été annoncé par Esaïe, le prophète, lorsqu’il dit : C’est ici la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, Aplanissez ses sentiers. Jean avait un vêtement de poils de chameau, et une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage.

Les habitants de Jérusalem, de toute la Judée et de tout le pays des environs du Jourdain, se rendaient auprès de lui ; et, confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui dans le fleuve du Jourdain. »

On a là tous les critères d’un mode de vie propice aux hallucinations. De la même manière, dans l’Islam, Mahomet est présenté comme hypersensible (par exemple aux sons, transpirant beaucoup, etc.) et il avait coutume d’aller dans une grotte comme le relate sa femme Aïcha dans une tradition relatée par l’une des principales figures de l’Islam sunnite, Mouhammad al-Boukhârî :

«  Les premiers signe précurseur de la révélation consistait dans le rêve prémonitoire ; chaque fois qu’il faisait un rêve, le contenu se concrétisait de manière aussi claire que la clarté du matin.

Il aimait à se retirer et se réfugiait dans la grotte du mont Hira. Il s’y livrait à des actes d’adoration pendant des nuits puis il rejoignait sa famille pour s’approvisionner et se rendait auprès de Khadija [sa première épouse].

Il perpétuait cette conduite jusqu’au moment où la vérité lui parvint alors qu’il se trouvait dans la grotte du mont Hira.

A ce moment, l’ange se présente à lui et lui dit : lis – je ne sais pas lire

L’ange me prit, dit-il, et me serra péniblement contre lui puis me relâcha et me dit : lis – je ne sais pas lire

Il me saisit encore et me serra péniblement contre lui puis me relâcha et dit :  lis – je ne sais pas lire.

Il se saisit de moi et me serra contre lui une troisième fois puis il me relâcha et dit : Lis, au nom de ton Seigneur qui a créé, qui a créé l’homme d’une adhérence. (Coran, 96 :1-2).

Le Messager d’Allah (bénédiction et salut soient sur lui) retint cela et rentra chez lui, le cœur battant très fort. »

Cette grotte où le jeûne aboutit à l’hallucination se retrouve pareillement chez Moïse, de manière masquée par contre ici. Dans le livre de l’exode, on a un Moïse serein rencontrant un phénomène exceptionnel, mais en réalité il est halluciné justement dans la grotte :

« Moïse était berger du troupeau de son beau-père Jéthro, prêtre de Madiane. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb.

L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu. Moïse regarda : le buisson brûlait sans se consumer.

Moïse se dit alors : « Je vais faire un détour pour voir cette chose extraordinaire : pourquoi le buisson ne se consume-t-il pas ? »

Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : « Moïse ! Moïse ! » Il dit : « Me voici ! »

Dieu dit alors : « N’approche pas d’ici ! Retire les sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte ! »

Et il déclara : « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob. » Moïse se voila le visage car il craignait de porter son regard sur Dieu. »

S’il est parlé de se voiler la face en l’honneur de Dieu, c’est simplement à la base en raison de la situation physiquement délabrée d’un Moïse hallucinant.

Moïse et le buisson ardent, Synagogue de Doura Europos, 3e siècle

De la même manière, le Bouddha est censé avoir prôné l’abandon d’un ascétisme ultra-rigoriste plein de mortifications. Mais il a prôné cela après l’avoir lui-même vécu, et tout en continuant la « méditation » :  c’est sous un figuier qu’il atteint ainsi « l’Illumination suprême ».

On a de toutes façons la preuve du caractère halluciné des prophètes avec le fait qu’aucun d’entre eux n’ait jamais rien écrit, qu’ils ont toujours vécu leur illumination sans aucun recul, les religions naissant par la suite sur la base d’une tradition fondée de manière arbitraire par d’autres figures.

Miniature persane du 16e siècle montrant le voyage nocturne de Mahomet dans les cieux au moyen de la monture Bouraq

Une autre preuve est que les monothéismes ont été prétextes à des phénomènes irrationnels de masse, montrant à quel point ils sont substantiellement en phase avec le désarroi psycho-physiologique des êtres humains.

Et cela est vrai jusqu’à aujourd’hui, car le monothéisme ne dépend pas tant d’un mode de production que d’un niveau des forces productives et concrètement du rapport entre agriculture et domestication des animaux.

Tant qu’un cap n’a pas été passé, les faiblesses des situations historiques peuvent provoquer des mouvements profonds où un vaste nombre de gens frappés par la famine ou des formes de carences basculent dans un irrationalisme à tendance hallucinée.

L’Inde, par exemple, a jusqu’au 20e siècle connu des épisodes de dépression de masse particulièrement marquants, avec une prévalence significative de la religion sur un mode halluciné. Mais des phénomènes d’hallucinations même « encadrées » se retrouvent dans la religiosité catholique à Naples ou lors des pèlerinages à La Mecque.

C’est littéralement le matériau humain qui n’est ici pas à la hauteur du matérialisme dialectique.

Et ce matériau humain se forge dans le rapport aux forces productives, les transformant et se transformant.

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La dialectique de l’illuminé et du monothéisme

Il y a un aspect important dans le passage du chamanisme au monothéisme, c’est qu’il y a un passage de la quantité à la qualité.

Dans la première phase, les êtres humains sont hallucinés en masse. Puis vient la négation de ces hallucinations de masse par l’instauration d’un clergé chamanique vivant les hallucinations de manière « pure » et plus avancée.

Puis vient la négation de la négation, comme eurent dit Karl Marx et Friedrich Engels, avec le monothéisme supprimant le chamanisme. Mais cela implique alors un « rétablissement » de l’hallucination dans sa suppression.

Et effectivement, il y a un paradoxe toujours constaté, mais jamais expliqué. Les religions sont des formes extrêmement rigoureuses sur le plan intellectuel, avec une codification particulièrement marquée de leurs rites. On y trouve une attention systématique dans l’élaboration d’un système fermé de références, de codes, de valeurs, etc.

Or, les fondateurs des religions sont toujours des illuminés, dont le mode d’expression est purement oral et se déroule à l’écart de tout processus de formalisation. Que ce soit Moïse, Jésus, Mahomet, Bouddha, Zoroastre, Chaitanya, etc., tous agissent de manière apparemment désordonnée, avec une image maniaco-dépressive, se revendiquant d’avoir été placé sous le signe de l’inspiration divine.

Représentation du Bouddha dans le bouddhisme tibétain, 17e siècle

Tous commencent leur vie spirituelle à l’écart de la société de leur époque, pour établir une religion qui devient ensuite l’ossature spirituelle de cette société. Il y a là un puissant paradoxe, une contradiction.

Cette dialectique de l’illuminé socialement isolé forgeant une religion socialement absolutiste est un aspect d’un phénomène historique dont le second aspect est l’affirmation du monothéisme.

Les religions fondées par les illuminés isolés vont en effet immanquablement dans le sens du monothéisme.

Même les cas à part vont en ce sens : Zoroastre fait de Ahura Mazda le Dieu suprême, les variantes du bouddhisme forgeront un panthéon divin hiérarchisé et de toutes façons l’univers a une dimension spirituelle absolue.

Les historiens bourgeois se contentent d’analyser cette réalité en disant que, dans une société païenne où plusieurs dieux se côtoyaient plus ou moins en concurrence, un illuminé a réussi, par inspiration divine réelle ou charisme personnel, à « inventer » une nouvelle religion surpassant toutes les autres.

C’est là bien entendu un raccourci fondamental, faisant mine de constater un phénomène dont le caractère de loi historique semble net, et pourtant apparemment inexplicable.

Mariage zoroastrien en Inde au début du 20e siècle

Il est pourtant bien constaté que, après une première phase marquée par la ferveur, les religions monothéistes procèdent à la liquidation de toute démarche d’illumination, afin de se formaliser au maximum, de rationaliser socialement sa propre autorité.

Plus une religion monothéiste est en place, plus elle s’éloigne de l’illumination, qu’elle combat même avec une grande ferveur, pour ne pas dire un fanatisme plus acharné.

L’illumination est alors simplement conservée symboliquement pour des figures passées, ou bien valorisées de manière ultra-spécifique pour des figures particulières définies comme saintes et dans tous les cas en séparation radicale avec les masses.

Les tentatives de rétablissement de l’illumination au sein des monothéismes sont systématiquement écrasées, comme dans le catholicisme romain avec la mystique rhénane des 13e-14e siècles, le jansénisme français au 17e siècle, etc., ou bien subjuguées, comme au sein de l’Islam sunnite avec les confréries soufies.

Dans tous les cas, la situation historique ne permettait de toutes façons plus des hallucinations vécues en masse. Et pour cette raison, le statut du prophète fondateur du monothéisme se devait d’obtenir un caractère de plus en plus sacré, comme clef de voûte du « sceau » de la révélation.

Autrement dit, les prophètes fondateurs se voient toujours plus présentés comme étant totalement en rupture avec leur époque. En réalité, ce ne fut justement pas le cas. Si les masses ont compris le prophète fondateur, c’est parce que leur propre vécu les y ramenait, et que c’était même valable à une échelle de plusieurs générations.

Le saint hindou du 15e siècle Chaitanya et son disciple and Nityananda lors d’un kirtan dans les rues de Nabadwip au Bengale, 19e siècle

On passe des hallucinations de masse au fétichisme des hallucinations avec le chamanisme, puis au monothéisme universalisant l’hallucination pour permettre individuellement de s’y tourner. Le monothéisme est, dans sa substance, une nécessité explicative pour donner une « origine » au monde, un outil des classes dominantes pour unifier et socialiser, mais également une formalisation de la croyance hallucinée en l’au-delà, avec un bien et un mal se confrontant.

L’illumination des prophètes fondateurs consiste ainsi en réalité, sur le plan du développement historique, en ce que Karl Marx aurait appelé la négation de la négation.

L’illumination des prophètes n’intervient pas en opposition à un monde sans illuminations, bien que ce soit le discours des religions a posteriori.

L’illumination des prophètes apparaît comme l’illumination suprême, l’illumination des illuminations et ainsi comme l’illumination contre les illuminations.

Les illuminations sont une négation spirituelle du monde matériel ; l’illumination donnant naissance au monothéisme est la négation matérielle de la négation spirituelle, en affirmant le caractère universel de la négation spirituelle aux dépens du caractère particulier de la négation spirituelle.

Carl Bloch, Le sermon sur la montagne, 1877

L’illumination du prophète fondateur n’est pas la première illumination, mais bien la dernière. C’est la dernière projection d’une humanité se débarrassant de l’hallucination due à une physiologie carencée, et cette illumination prend une dimension universelle.

C’est pour cette raison que le monothéisme peut apparaître dans des sociétés relativement différentes sur le plan du développement. Il n’est pas lié en soi à tel ou tel moment du mode de production esclavagiste ou du mode de production féodal.

Il est lié au niveau des forces productives concernant la vie quotidienne des êtres humains et ici tout se joue dans le rapport dialectique entre l’agriculture et la domestication des animaux.

Ivan Kramskoï, Le Christ dans le désert, 1872

Voilà la raison pour laquelle le chamanisme a reculé davantage dans certaines zones de la planète que d’autres. Les foyers agricoles étaient les matrices de ce rapport, se liant avec les populations nomades gérant les troupeaux de mammifères domestiqués.

En Orient par exemple, mais cela est vrai ailleurs encore, les communautés agricoles ont commencé à s’organiser dès 10 000 avant notre ère, systématisant le patriarcat à mesure que les capacités de maîtrise de la production sociale agricole se développait, et avec elle, une nouvelle vision du monde, attentive à stocker l’information et les ressources.

L’invention de l’écriture, littéraire et numéraire, à permis de franchir ici un cap déterminant sur ce plan : les premières mesures systématisées du temps, de l’espace et la classification des éléments de l’environnement humain ont permis de développer un riche lexique, enrichissant le langage et permettant de développer l’abstraction : de là, les substances alimentaires et leurs propriétés se sont vues nommées définitivement et classées en pharmacopées, le temps traduit dans des calendriers, et l’espace dans des cartes.

L’empire inca, par exemple, avait rejeté l’écriture ; les Mayas et les Aztèques disposaient de l’écriture, ils avaient une connaissance approfondie des calendriers, mais les forces productives trop faibles les firent tourner en rond aux portes du patriarcat systématisant l’agriculture et la domestication des animaux.

Les 26 premiers signes « Porteurs d’années » du « siècle » mésoaméricain

Il faut bien comprendre ici que l’humanité est en transformation. Le développement des capacités d’abstraction a permis de pouvoir traduire par le langage et la mise en symbole, l’hallucination en spiritualité, et de produire une vision du monde à proprement parler.

Les capacités humaines cognitives, transformées sans retour par ce lent travail d’accumulation quantitative, ont été alors mûres pour le développement d’un nouveau rapport religieux, tendant progressivement, mais implacablement, au monothéisme.

Cependant, ce processus était aussi fondamentalement différencié, fragile notamment au début et cela sur toute une longue période. Et il pouvait être confronté à tout moment à des remises en cause, soit par une catastrophe naturelle, ou une crise sociale interne, soit par une invasion d’un peuple externe, plus arriéré dans le chamanisme. On en voit même encore l’exemple avec toutes les difficultés de la conversion des populations turco-mongoles à l’islam à partir du XIe siècle.

Il faut voir donc ce processus de passage du fétichisme des hallucinations dans le chamanisme au monothéisme, comme se développant de manière différenciée et spiralaire sur des siècles et des siècles, mais avec des étapes marquantes.

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