Auteur/autrice : IoULeeM0n

  • La question agraire au Pérou et les traditions collectivistes incas

    L’empire inca se situe dans le prolongement des cultures « amérindiennes » et mésoaméricaine ; rien que son nom le montre : Tahuantinsuyu, le « tout de quatre parts », les quatre directions étant fondamentales dans toutes les cultures américaines précolombiennes.

    Il était vaste, comprenant la quasi-totalité des territoires actuels du Pérou et de l’Équateur, ainsi qu’une partie importante de la Bolivie, du Chili et une toute petite partie de l’Argentine (en superficie c’est plus de trois fois la France).

    (wikipédia)

    Tout un réseau de routes – autour de 30 000 kilomètres – permettait la connexion entre les différentes parties de l’empire centralisé depuis sa capitale Cuzco.

    C’est que l’État central jouait un rôle essentiel, comme dans les empires égyptien et perse, avec la même question des grands travaux d’irrigation.

    Les travaux collectifs étaient en général très importants, avec un État central chapeautant des unités locales autosuffisantes, puisqu’il n’y avait dans l’empire ni marché (ni troc), ni monnaie, ni d’ailleurs d’écriture.

    Un aspect mystérieux concernant le dernier point reste les quipus, des cordelettes avec des nœuds permettant d’accumuler des statistiques, mais leur utilisation reste encore largement inconnue.

    En tout cas, l’administration centrale disposait de toutes les informations quant à la population et la production, et c’est elle qui décidait des stocks et de la redistribution des biens (maïs et quinoa, pommes de terre lyophilisées, outils, vêtements, armes, médicaments, etc.).

    En pratique, on a ainsi un clergé et un appareil militaire-administratif qui parasite la société, mais en faisant en sorte que celle-ci soit collectivement mobilisée pour assurer une stabilité générale à l’ensemble sur le plan de la vie quotidienne.

    Quand on sait cela, on comprend quel choc cela a dû être pour les Indiens. Leur mode de vie était assuré et stable, il existait une cohérence communautaire et une entraide encadrée par l’État. Le colonialisme avait tout renversé, transformant la vie quotidienne en une terrible bataille.

    José Carlos Mariátegui présente comme suit tout cet arrière-plan fondamental de la réalité péruvienne alors.

    « Le problème agraire se présente, avant tout, comme celui de la liquidation du féodalisme au Pérou. Cette liquidation aurait déjà dû être menée à bien par le régime démocratique bourgeois formellement instauré par la révolution d’indépendance.

    Mais au Pérou, en cent ans de régime républicain, nous n’avons pas connu de véritable classe bourgeoise, ni de véritable classe capitaliste.

    L’ancienne classe féodale, camouflée ou déguisée en bourgeoisie républicaine, a conservé ses positions.

    La politique de désappropriation de la propriété agraire initiée par la révolution d’indépendance, conséquence logique de son idéologie, n’a pas conduit au développement de la petite propriété.

    L’ancienne classe des propriétaires fonciers n’a pas perdu sa prédominance.

    La survie d’un régime latifundiste a entraîné, en pratique, le maintien des latifundia. Il est bien connu que la désappropriation [=la vente des terres appartenant à l’Église, des municipalités, mais également des communautés indigènes] a porté atteinte à la communauté.

    Et le fait est qu’au cours d’un siècle de républicanisme, la grande propriété agraire s’est renforcée et étendue malgré le libéralisme théorique de notre Constitution et les nécessités pratiques du développement de notre économie capitaliste.

    Les expressions du féodalisme survivant sont au nombre de deux : le latifundia et le servage.

    Ces expressions se renforcent mutuellement et sont consubstantielles, et leur analyse nous amène à la conclusion que le servage, qui pèse lourdement sur la population indigène, ne peut être éliminé sans éliminer le latifundia.

    Affiché de cette manière, le problème agraire du Pérou ne se prête pas à des distorsions trompeuses.

    Il apparaît dans toute son ampleur comme un problème économico-social – et donc politique – dominé par des hommes qui agissent sur ce plan factuel et conceptuel.

    Et toute tentative de le transformer, par exemple, en un problème technico-agricole dominé par les agronomes est vaine (…).

    Nous ne renonçons pas, à proprement parler, à l’héritage espagnol ; nous renonçons à l’héritage féodal.

    L’Espagne nous a apporté le Moyen Âge : l’Inquisition, le féodalisme, etc. Puis elle nous a apporté la Contre-Réforme : un esprit réactionnaire, une méthode jésuite, une casuistique scolastique.

    Nous nous sommes péniblement libérés de la plupart de ces éléments par l’assimilation de la culture occidentale, parfois obtenue par l’Espagne elle-même.

    Mais nous ne nous sommes pas encore libérés de son fondement économique, ancré dans les intérêts d’une classe dont l’hégémonie n’a pas été effacée par la révolution pour l’indépendance.

    Les racines du féodalisme sont intactes. Sa persistance est responsable, par exemple, du retard de notre développement capitaliste.

    Le régime de propriété foncière détermine le régime politique et administratif de toute la nation.

    Le problème agraire – que la République n’a pas encore réussi à résoudre – domine tous nos problèmes. Les institutions démocratiques et libérales ne peuvent prospérer ni fonctionner dans une économie semi-féodale.

    Concernant le problème indigène, la subordination au problème foncier est encore plus absolue, pour des raisons particulières. La race indigène est une race d’agriculteurs.

    Le peuple inca était composé de paysans, se consacrant généralement à l’agriculture et au pastoralisme. L’industrie et les arts avaient un caractère domestique et rural.

    Au Pérou inca, le principe selon lequel « la vie vient de la terre » était plus vrai que chez tout autre peuple.

    Les travaux publics et les projets collectifs les plus admirables du Tawantinsuyo avaient des finalités militaires, religieuses ou agricoles (…).

    Le communisme inca – qui ne saurait être nié ni diminué pour s’être développé sous le régime autocratique des Incas – est donc qualifié de communisme agraire.

    Les caractéristiques fondamentales de l’économie inca – selon César Ugarte, qui définit les traits généraux de notre processus avec une grande prudence – étaient les suivantes :

    « Propriété collective des terres arables par l’ayllu, ou groupe de familles apparentées, bien que divisée en lots individuels non transférables ; propriété collective de l’eau, des pâturages et des forêts par la marca, ou tribu, c’est-à-dire la fédération d’ayllus établie autour d’un même village ; coopération commune dans le travail ; appropriation individuelle des récoltes et des fruits.« 

    La destruction de cette économie – et donc de la culture qui la soutenait – est l’un des points faibles les moins contestables du colonialisme, non pas parce qu’elle a entraîné la destruction des formes indigènes, mais parce qu’elle n’a pas réussi à les remplacer par des formes supérieures.

    Le régime colonial a désorganisé et anéanti l’économie agraire inca, sans la remplacer par une économie plus rentable.

    Sous une aristocratie indigène, les natifs constituaient une nation de dix millions d’hommes, dotée d’un État efficace et organique dont l’action s’étendait à toutes les sphères de sa souveraineté ; sous une aristocratie étrangère, les indigènes étaient réduits à une masse dispersée et anarchique d’un million d’hommes, tombés dans la servitude et le « felahismo » [le statut de fellahs comme au Moyen-Orient].

    Les données démographiques sont, à cet égard, les plus convaincantes et les plus décisives.

    Contre tous les reproches que l’on peut adresser au régime inca – au nom de concepts libéraux, c’est-à-dire modernes, de liberté et de justice – il y a le fait historique, positif et matériel, qu’il a assuré la subsistance et la croissance d’une population qui, à l’arrivée des conquistadors au Pérou, comptait dix millions d’habitants [voire selon les dernières estimations entre 12 et 16 millions] et qui, en trois siècles de domination espagnole, était tombée à un million.

    Ce fait condamne le colonialisme, non pas sur le plan abstrait, théorique ou moral – ou quel que soit le terme – de la justice, mais sur le plan pratique, concret et matériel de l’utilité.
    Le colonialisme, incapable d’organiser ne serait-ce qu’une économie féodale au Pérou, y a greffé des éléments d’une économie esclavagiste. »

    José Carlos Mariátegui souligne ici un point essentiel du vécu des Indiens.

    Cependant, il ne fait pas un fétiche du passé, il n’est pas un « indigéniste ». Et il a analysé d’autre part la réalité féodale instaurée par l’Espagne.

    Sa position est ainsi que le Pérou doit réellement naître encore, de manière démocratique, par la mise en mouvement des larges masses, en fait indiennes, qui avaient été mises de côté à l’indépendance. Cela passe par la révolution et le triomphe du socialisme.

    Cela est couramment nié, depuis plusieurs décennies, dans les universités occidentales où il existe un engouement très net pour José Carlos Mariátegui.

    Sa dimension communiste est en effet effacée et il n’est gardé que son analyse de la réalité indienne pour en faire un précurseur de la critique « post-coloniale ».

    L’interprétation « post-coloniale » de José Carlos Mariátegui vise à en faire un démocrate bourgeois moderniste, qui lutte pour les droits des minorités et des marginaux (ce qui n’est en réalité qu’une manière de réimpulser le système en place, en lui apportant du sang neuf).

    En réalité, José Carlos Mariátegui est celui qui parvient à comprendre l’ensemble de la situation et donc à dénoncer le féodalisme servant d’arrière-plan à la situation générale.

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    José Carlos Mariátegui et le matériau humain

  • La réalité des Indiens au cours du processus de naissance du Pérou

    Il faut porter son regard maintenant sur un autre aspect de la démarche de José Carlos Mariátegui.

    Celui-ci a bien constaté que ce sont les élites liées à l’Espagne qui ont abandonné celle-ci et mené la « révolution » donnant naissance à l’indépendance.

    Or, la grande majorité de la population consiste en les « Indiens ».

    Et elle a été directement frappée par le colonialisme et l’instauration d’une réalité féodale largement empreinte d’esclavagisme.

    Ici encore, José Carlos Mariátegui est en mesure de nous donner un panorama tout à fait clair de la situation.

    « La population de l’Empire inca, selon des estimations prudentes, n’était pas de moins de dix millions. Certains l’estiment à douze, voire quinze millions.

    La Conquête fut avant tout un massacre effroyable.

    Les conquistadors espagnols, en raison de leur faible nombre, ne purent imposer leur domination qu’en terrorisant la population indigène, chez laquelle les armes et les chevaux des envahisseurs, considérés comme des êtres surnaturels, produisaient une impression superstitieuse.

    L’organisation politique et économique de la colonie qui suivit la Conquête ne mit pas fin à l’extermination de la race indigène. La vice-royauté instaura un régime d’exploitation brutale.

    L’avidité pour les métaux précieux orienta l’activité économique espagnole vers l’exploitation des mines, qui, sous les Incas, avaient été exploitées à une échelle très modeste, en raison du manque d’or et d’argent à des fins ornementales et de l’ignorance de l’utilisation du fer par les Indiens, peuple essentiellement agricole.

    Pour l’exploitation des mines et des « obrajes » (ateliers), les Espagnols ont instauré un système massif de travail forcé et non rémunéré, qui a décimé la population aborigène.

    Celle-ci n’a pas été réduite à un simple état de servitude – comme cela aurait été le cas si les Espagnols s’étaient limités à l’exploitation des terres tout en préservant le caractère agraire du pays – mais, dans une large mesure, à l’esclavage.

    Les voix humanitaires et civilisatrices ne manquaient pas pour prendre la défense des Indiens auprès du roi d’Espagne.

    Le père [Bartholomé] de Las Casas excella dans cette défense.
    Les Lois des Indes s’inspiraient de la protection des Indiens, reconnaissant leur organisation typique en « communautés ».

    Cependant, en pratique, les Indiens restèrent à la merci d’un système féodal impitoyable qui détruisit la société et l’économie incas, sans les remplacer par un ordre capable d’organiser progressivement la production.

    La tendance des Espagnols à s’installer sur la côte chassa les aborigènes de cette région à tel point que la main-d’œuvre manqua.

    La vice-royauté chercha à résoudre ce problème en important des esclaves noirs, des individus bien adaptés au climat et aux rigueurs des vallées chaudes ou des plaines côtières, mais inadaptés au travail dans les mines des montagnes froides.

    L’esclave noir renforça la domination espagnole qui, malgré le dépeuplement indigène, se serait autrement sentie démographiquement trop faible par rapport à l’Indien, bien que soumis, hostile.

    Les Noirs se consacrèrent au service domestique et aux métiers.

    Les Blancs se mêlaient facilement aux Noirs, donnant naissance à ce métissage, l’un des types de population côtière les plus fortement attachés aux valeurs espagnoles et les plus réfractaires aux valeurs indigènes.

    Comme chacun le sait, la révolution pour l’indépendance n’était pas un mouvement indigène. Elle fut promue et menée en faveur des Créoles et même des Espagnols des colonies.

    Elle bénéficia cependant du soutien des masses indigènes.

    De plus, certains Indiens éclairés, comme Pumacahua, jouèrent un rôle important dans son développement. Le programme libéral de la révolution incluait logiquement la rédemption de l’Indien, conséquence automatique de l’application de ses principes égalitaires.

    Ainsi, parmi les premiers actes de la République figuraient plusieurs lois et décrets favorables aux Indiens.

    Furent ordonnées la distribution des terres, l’abolition du travail non rémunéré, etc. ; mais comme la révolution au Pérou ne représentait pas l’avènement d’une nouvelle classe dirigeante, toutes ces dispositions restèrent à l’état de texte, faute de dirigeants capables de les mettre en œuvre.

    L’aristocratie foncière de la colonie, maître du pouvoir, conserva ses droits féodaux sur les terres et, par conséquent, sur les Indiens. Toutes les dispositions apparemment destinées à la protéger n’ont rien fait pour contrer le système féodal qui perdure encore aujourd’hui.

    La Vice-royauté apparaît moins coupable que la République. À l’origine, elle portait l’entière responsabilité de la misère et de la dépression des Indiens.

    Mais, à l’époque de l’Inquisition, une grande voix chrétienne, celle du frère Bartolomé de Las Casas, défendit avec véhémence les Indiens contre les méthodes brutales des colonisateurs.

    Dans la République, il n’y a jamais eu de défenseur plus efficace et plus obstiné de la race aborigène.

    Si la Vice-royauté était un régime médiéval et étranger, la République est formellement un régime péruvien et libéral. Par conséquent, la République a des devoirs que la Vice-royauté n’avait pas. Il était du devoir de la République d’élever le statut des Indiens. Et contrairement à ce devoir, la République a appauvri les Indiens, aggravé leur dépression et exacerbé leur misère. Pour les Indiens, la République a signifié l’émergence d’une nouvelle classe dirigeante qui s’est systématiquement approprié leurs terres.

    Chez une race aux coutumes et à l’âme agraires, comme la race indigène, cette dépossession a constitué une cause de dissolution matérielle et morale.

    La terre a toujours été la seule joie de l’Indien. L’Indien a épousé la terre. Il estime que « la vie vient de la terre » et y retourne.

    Par conséquent, l’Indien peut être indifférent à tout, sauf à la possession de la terre que ses mains et son souffle cultivent et fertilisent religieusement.

    Le féodalisme créole s’est comporté, à cet égard, avec plus d’avidité et de dureté que le féodalisme espagnol.

    En général, l’« encomendero » espagnol a souvent fait preuve de nobles habitudes de seigneurie.

    L’« encomendero » créole a tous les défauts du plébéien et aucune des vertus de l’hidalgo.

    Bref, la servitude de l’Indien n’a pas diminué sous la République.

    Toutes les révoltes, toutes les tempêtes indiennes ont été noyées dans le sang.

    Les revendications désespérées de l’Indien ont toujours reçu une réponse martiale. »

    José Carlos Mariátegui est un fin observateur ; il a été capable de saisir comment les « Indiens » ont été confrontés à un profond changement de situation.

    Il va en tirer toute une série de conclusions : le Pérou reste à fonder par l’affirmation des masses mises de côté, ces masses sont indiennes, elles portent encore des traits collectivistes de l’époque inca.

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  • José Carlos Mariátegui et le chevauchement des modes de production

    La guerre du Pacifique, qui marqua la défaite face au Chili, précipita le Pérou dans une situation déjà plus que délicate. Le pays dut littéralement capituler devant le capital britannique en raison de son endettement.

    Cela produisit la mise en place du Grace Contract en 1888, où le Pérou dut céder son réseau ferroviaire pour 66 ans au Comité Inglés de Tenedores de Bonos de la Deuda Externa del Perú, qui forma The Peruvian Corporation.

    Le Pérou devait également construire 160 km de voie ferrée de plus, accorder l’utilisation des ports sans frais, accepter la priorité britannique d’exportation du guano dans une large mesure, etc.

    Comment José Carlos Mariátegui analyse-t-il cette situation ?

    « Les phases fondamentales de ce chapitre dans lesquelles notre économie, convalescente de la crise d’après-guerre, s’organise peu à peu sur des bases moins coûteuses mais plus solides que celles du guano et du salpêtre, peuvent se résumer schématiquement dans les faits suivants :

    1) L’émergence de l’industrie moderne.

    L’implantation d’usines, de centrales électriques, de transports, etc., qui ont transformé, avant tout, la vie sur la côte.

    La formation d’un prolétariat industriel avec une tendance croissante et naturelle à adopter une idéologie de classe, qui coupe l’une des vieilles sources du prosélytisme du caudillo et change les termes de la lutte politique.

    2) La fonction du capital financier.

    L’émergence de banques nationales qui financent diverses entreprises industrielles et commerciales, mais qui opèrent dans un cadre étroit, subordonnées aux intérêts du capital étranger et des grandes propriétés foncières ; et l’établissement de succursales de banques étrangères servant les intérêts de la finance américaine et anglaise.

    3) La réduction des distances et l’augmentation du trafic entre le Pérou et les États-Unis et l’Europe.

    Grâce à l’ouverture du canal de Panama, qui a considérablement amélioré notre position géographique, le processus d’intégration du Pérou à la civilisation occidentale s’est accéléré.

    4) Le dépassement progressif de la puissance britannique par la puissance américaine.

    Le canal de Panama, plutôt que de rapprocher le Pérou de l’Europe, semble l’avoir rapproché des États-Unis.

    La participation du capital américain à l’exploitation du cuivre et du pétrole péruviens, qui sont deux de nos plus gros produits, fournit une base large et durable à la domination croissante des Yankees.

    Les exportations vers l’Angleterre, qui constituaient en 1898 56,7 % de la production totale, n’atteignirent en 1923 que 33,2 %.

    Au cours de la même période, les exportations vers les États-Unis ont augmenté de 9,5 % à 39,7 %.

    Et ce mouvement a été encore plus prononcé dans les importations, puisque tandis que la part des États-Unis est passée de 10,0 % à 38,9 % sur cette période de vingt-cinq ans, celle de la Grande-Bretagne est tombée de 44,7 % à 19,6 %.

    5) Le développement d’une classe capitaliste, au sein de laquelle la vieille aristocratie cesse de prévaloir comme auparavant.

    La propriété agraire conserve son pouvoir ; mais décline celui des patronymes vice-royaux. Se constate le renforcement de la bourgeoisie.

    6) L’illusion du caoutchouc.

    À son apogée, le pays croyait avoir trouvé l’Eldorado dans les montagnes, qui ont temporairement acquis une valeur extraordinaire dans l’économie et, surtout, dans l’imaginaire du pays.

    De nombreux individus de la « forte race des aventuriers » affluent vers la montagne. Avec la baisse des prix du caoutchouc, cette illusion, d’origine et de caractéristiques plutôt tropicales, est brisée.

    7) Les profits excessifs de la période européenne. La hausse des prix des produits péruviens entraîne une croissance rapide de la richesse privée nationale.

    S’opère un renforcement de l’hégémonie de la côte dans l’économie péruvienne.

    8) La politique de prêt.

    La restauration du crédit péruvien à l’étranger a conduit l’État à recourir à nouveau aux prêts pour mettre en œuvre son programme de travaux publics.

    Dans ce rôle également, l’Amérique du Nord a remplacé la Grande-Bretagne. Riche en or, le marché new-yorkais offre les meilleures conditions.

    Les banquiers yankees étudient directement les possibilités de placer des capitaux dans des prêts aux États d’Amérique latine.

    Et ils veillent, bien sûr, à ce qu’ils soient investis avec des bénéfices pour l’industrie et le commerce américains.

    Il me semble que ce sont là les principaux aspects de l’évolution économique du Pérou dans la période qui commence avec l’après-guerre.

    Cette série de notes récapitulatives ne comprend pas un examen détaillé des vérifications ou propositions ci-dessus.

    Je n’ai proposé qu’une définition schématique de quelques traits essentiels de la formation et du développement de l’économie péruvienne.

    Je voudrais souligner une dernière observation : dans le Pérou d’aujourd’hui, coexistent des éléments de trois économies différentes.

    Sous le système économique féodal né de la Conquête, quelques vestiges vivants de l’économie communiste indigène existent encore dans les montagnes.

    Sur la côte, sur le sol féodal, se développe une économie bourgeoise qui, du moins dans son développement mental, donne l’impression d’une économie arriérée. »

    La capacité analytique de José Carlos Mariátegui s’exprime ici de manière formidable. Il a compris que les modes de production n’étaient pas séparées par des murailles de Chine ; il est capable de lire les emboîtements des activités humaines, leurs caractères et leurs structures.

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  • Le guano et le salpêtre au Pérou

    Les passages sur le guano et le salpêtre dans les Sept essais de José Carlos Mariátegui ont quelque chose de littéralement « génial ».

    C’est un exemple de sa capacité à exprimer une situation avec un caractère vivant.

    Cela fait qu’on a une véritable exposition de la situation particulière au sein d’un mode de production, en pleine considération de ses multiples aspects et de ses rapports avec la réalité économique.

    Précisons de quoi il en retourne.

    Le guano consiste en les excréments d’oiseaux marins, accumulés pendant des siècles en sorte de monticules, qu’on peut utiliser comme engrais, en raison de la présence d’azote, de phosphore et de potassium ; le terme vient du quechua, la langue issue des Incas, avec le mot wánu.

    Le guano péruvien fut hautement réputé, du moins jusqu’à la découverte des engrais élaborés au moyen de la chimie au tout début du 20e siècle.

    La récolte du guano aux îles Chincha

    La part du guano dans les recettes du Pérou passa de 5 % en 1846 à 80 % au début des années 1870.

    Durant cette période, la course au guano se répandit rapidement partout, au point que les États-Unis mirent en place un Guano Islands Act en 1856 :

    « Chaque fois qu’un citoyen des États-Unis découvre un gisement de guano sur n’importe quelle île, rocher ou îlot, qui n’est pas sous la juridiction légale d’un autre gouvernement et pas occupé par des citoyens d’un autre gouvernement, et prend possession pacifiquement de celle-ci, et l’occupe de la même façon, cette île, rocher ou îlot peut, à la discrétion du président, être considérée comme appartenant aux États-Unis. »

    Une centaine d’îles du Pacifique passèrent ainsi sous contrôle des États-Unis, sans être formellement annexé ; c’est le principe des zones insulaires des États-Unis, comme par exemple Puerto Rico (et le Groenland est désormais clairement visé par exemple).

    En plus du guano, on a le salpêtre, parfois appelé nitrate.

    C’est un minéral qu’on utilise comme engrais et pour la fabrication d’explosifs ; il fut hautement recherché jusqu’à la découverte dans la première partie du 20e siècle de la synthèse industrielle de l’ammoniac.

    La bataille pour le salpêtre a même abouti à une guerre entre le Pérou, la Bolivie et le Chili, avec ce dernier cherchant à s’approprier des territoires riches en mines et à empêcher une confédération entre le Pérou et la Bolivie.

    La guerre du Pacifique (1879-1884) fut une victoire chilienne, avec une perte de territoires pour le Pérou et la Bolivie (qui perdit alors son accès à la mer).

    On notera ici que les conditions extrêmement difficiles pour récupérer le guano et le salpêtre produisit une immigration organisée depuis la Chine, avec notamment 100 000 migrants chinois présents momentanément au Pérou entre 1850 et 1875.

    Il y eut également la mise en esclavage de 1400 indigènes de l’île de Pâques.

    Voici donc ce que nous dit José Carlos Mariátegui à ce sujet :

    « Commençons par noter que le guano et le salpêtre, substances humbles et grossières, ont joué dans les réalisations de la République un rôle qui semblait réservé à l’or et à l’argent à une époque plus chevaleresque et moins positiviste.

    L’Espagne nous aimait et nous protégeait en tant que pays producteur de métaux précieux.

    L’Angleterre nous préférait comme producteur de guano et de salpêtre.

    Mais ce geste différent ne révélait évidemment pas un motif différent. Ce qui a changé, ce n’est pas le mobile ; c’était le moment.

    L’or du Pérou perdait son pouvoir d’attraction au moment où, en Amérique, la baguette du pionnier découvrait l’or de Californie.

    En revanche, le guano et le salpêtre – qui pour les civilisations précédentes n’auraient eu aucune valeur mais qui, pour une civilisation industrielle, ont acquis un prix extraordinaire – constituaient une réserve presque exclusivement nôtre.

    L’industrialisme européen ou occidental – phénomène en plein développement – avait besoin de se procurer ces matériaux depuis la lointaine côte du Pacifique Sud.

    L’exploitation de ces deux produits n’a cependant pas été entravée, comme c’est le cas pour d’autres produits péruviens, par l’état rudimentaire et primitif des transports terrestres.

    Pour extraire l’or, l’argent, le cuivre et le charbon des entrailles des Andes, il fallait surmonter des montagnes escarpées et de vastes distances, le salpêtre et le guano se trouvaient sur la côte, presque à portée des navires qui venaient les récupérer.

    L’exploitation facile de cette ressource naturelle a dominé toutes les autres manifestations de la vie économique du pays. Le guano et le salpêtre occupaient une place disproportionnée dans l’économie péruvienne.

    Leurs revenus sont devenus la principale source de recettes fiscales. Le pays semblait riche. L’État a utilisé son crédit sans mesure. Il vécut dans l’extravagance, hypothéquant son avenir sur la finance anglaise.

    Voilà, dans ses grandes lignes, toute l’histoire du guano et du salpêtre pour l’observateur qui se considère comme un pur économiste.

    Le reste, à première vue, appartient à l’historien. Mais dans ce cas, comme dans tous les autres, la situation économique est beaucoup plus complexe et significative qu’il n’y paraît.

    Le guano et le salpêtre servaient surtout à créer un commerce actif avec le monde occidental à une époque où le Pérou, géographiquement mal situé, n’avait pas beaucoup de moyens d’attirer sur son sol les courants colonisateurs et civilisateurs qui fertilisaient déjà d’autres pays de l’Amérique indo-ibérique.

    Ce commerce a placé notre économie sous le contrôle du capital britannique, auquel, en raison des dettes contractées en garantie des deux produits, nous avons dû plus tard céder l’administration des chemins de fer, c’est-à-dire les bases mêmes de l’exploitation de nos ressources.

    Les profits du guano et du salpêtre créèrent les premiers éléments solides du capital commercial et bancaire au Pérou, où la propriété avait jusqu’alors conservé un caractère aristocratique et féodal.

    Les profiteurs directs et indirects des richesses côtières ont commencé à former une classe capitaliste.

    Au Pérou se forma une bourgeoisie, confondue et liée dans son origine et sa structure à l’aristocratie, formée principalement par les successeurs des encomenderos et des propriétaires fonciers de la colonie, mais obligée par sa fonction d’adopter les principes fondamentaux de l’économie et de la politique libérales.

    Les résultats suivants sont liés à ce phénomène, auquel je fais référence dans plusieurs passages des études qui composent ce livre [ici José Carlos Mariátegui cite son article « Le fait économique dans l’histoire péruvienne » publié dans Mundial, le 14 août 1925.] :

    « Aux premiers jours de l’Indépendance, la lutte entre factions et chefs militaires apparaissent comme une conséquence de l’absence d’une bourgeoisie organique.

    Au Pérou, la révolution a trouvé les éléments d’un ordre libéral bourgeois moins définis et plus tardifs que dans d’autres pays d’Amérique latine.

    Pour que cet ordre fonctionne de manière plus ou moins embryonnaire, une classe capitaliste vigoureuse devait être établie.

    Pendant que cette classe s’organisait, le pouvoir était à la merci des caudillos militaires.


    Le gouvernement de [Ramón] Castilla [qui fut le « caudillo » en chef du pays de 1844 à 1862] a marqué l’étape de solidification d’une classe capitaliste.


    Les concessions de l’État et les profits tirés du guano et du salpêtre ont créé le capitalisme et une bourgeoisie.

    Et cette classe, qui s’organisa plus tard avec le « civilisme » [= le Partido Civil représentant la haute bourgeoisie enrichie avec le guano cherchant à mettre les militaires de côté dans l’État], se dirigea très vite vers la conquête totale du pouvoir. »

    Une autre facette de ce chapitre de l’histoire économique de la République est l’affirmation de la nouvelle économie comme une économie à prédominance côtière.

    La recherche d’or et d’argent a forcé les Espagnols, contrairement à leur tendance à s’installer sur la côte, à maintenir et à étendre leurs avant-postes dans les montagnes.

    L’exploitation minière, activité fondamentale du régime économique établi par l’Espagne sur le territoire où s’était auparavant épanouie une société authentique et typiquement agraire, nécessitait l’établissement des fondations de la colonie dans les montagnes.

    Le guano et le salpêtre sont venus remédier à cette situation. Ils ont renforcé la puissance de la côte.

    Ils ont stimulé la sédimentation du nouveau Pérou dans les basses terres.

    Et ils ont accentué le dualisme et le conflit qui constituent jusqu’à présent notre plus grand problème historique.

    Ce chapitre sur le guano et le salpêtre ne peut donc être isolé du développement ultérieur de notre économie. Voilà les racines et les facteurs du chapitre qui a suivi.

    La guerre du Pacifique, conséquence du guano et du salpêtre, n’a pas annulé les autres conséquences de la découverte et de l’exploitation de ces ressources, dont la perte nous a tragiquement révélé le danger d’une prospérité économique soutenue ou cimentée presque exclusivement sur la possession de richesses naturelles, exposées à l’avidité et aux assauts de l’impérialisme étranger ou au déclin de ses applications en raison des mutations continues produites dans le domaine industriel par les inventions de la science.

    [Le Français Joseph] Caillaux [= homme politique radical qui fut à la tête du gouvernement, six fois ministre des Finances, etc.] nous parle, avec une pertinence capitaliste évidente, de l’instabilité économique et industrielle qu’engendre le progrès scientifique.

    Dans la période dominée et caractérisée par le commerce du guano et du salpêtre, le processus de transformation de notre économie de féodale à bourgeoise a reçu son premier élan vigoureux.

    Il est, à mon avis, indiscutable que si, au lieu d’une métamorphose médiocre de l’ancienne classe dirigeante, il y avait eu l’émergence d’une classe dotée d’un nouveau souffle et d’un nouveau talent, ce processus aurait progressé de manière plus organique et plus sûre.

    L’histoire de notre après-guerre le prouve. La défaite – qui provoqua, avec la perte des territoires salpêtres, un long effondrement des forces productives – n’apporta pas, en compensation, même dans cet ordre de choses, une liquidation du passé. »

    On a un excellent aperçu de la situation ; c’est très bien présenté et on saisit parfaitement de quoi il en retourne.

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    José Carlos Mariátegui et le matériau humain

  • Le caractère et la structure féodale du Pérou indépendant

    José Carlos Mariátegui s’intéresse aux mentalités ; il sait qu’un mode de production est porté par des gens réels, qui reproduisent la vie sociale.

    Leur manière d’être et de se comporter agit sur le plan économique, ce qui est particulièrement vrai lorsqu’on a un pays nouveau.

    Mais ce pays est nouveau sans l’être, car le Pérou a une particularité essentielle.

    Tout comme « l’empire aztèque » existait dans une large partie du Mexique, il y avait au Pérou un empire, celui des Incas.

    Cela implique un certain niveau de développement, une réelle situation économique et politique, au sens où on peut parler d’une civilisation avancée.

    Et le colonialisme espagnol, s’il les a démolies, n’a pas remplacé de manière dynamique les anciennes manières d’être.

    Des fiefs ont été attribués par la Couronne espagnole ; le fameux système des haciendas, de type féodal et marqué des formes d’esclavagisme, a prévalu dans le pays.

    Le développement du Pérou comme colonie a ainsi été cassé dès le départ.

    Voici en quels termes José Carlos Mariátegui pose la question.

    « L’héritage et l’éducation espagnols du propriétaire terrien créole pèsent lourdement sur lui, l’empêchant de percevoir et de comprendre clairement tout ce qui distingue le capitalisme du féodalisme.

    Les aspects moraux, politiques et psychologiques du capitalisme ne semblent pas avoir trouvé ici leur place.

    Le capitaliste créole, ou plutôt le propriétaire terrien, a le concept de rente avant celui de production.

    Le sens de l’aventure, l’élan créatif et le pouvoir d’organisation qui caractérisent le capitaliste authentique sont presque inconnus chez nous.

    La concentration capitaliste a été précédée d’une période de libre concurrence.

    La grande propriété moderne ne découle donc pas de la grande propriété féodale, comme l’imaginent probablement les propriétaires terriens créoles.

    Au contraire, son émergence a nécessité la fragmentation et la dissolution de la grande propriété féodale.

    Le capitalisme est un phénomène urbain : il possède l’esprit d’une ville industrielle, manufacturière et marchande.

    C’est pourquoi l’un de ses premiers actes fut la libération de la terre, la destruction du fief.

    Le développement de la ville devait être nourri par la libre activité de la paysannerie.

    Au Pérou, contrairement au sens de l’émancipation républicaine, la création d’une économie capitaliste a été confiée à l’esprit du fief – antithèse et négation de l’esprit du bourg. »

    José Carlos Mariátegui

    Les féodaux sont parfois devenus des capitalistes, mais en se posant comme des serviteurs des entreprises des pays déjà capitalistes.

    On a ainsi des féodaux et des capitalistes qui servent d’intermédiaires au vrai capitalisme. Et ce sont les deux forces économiques majeures, qui forment ainsi une sorte de monde parallèle, absolument intouchable.

    « La classe des propriétaires fonciers n’a pas réussi à se transformer en une bourgeoisie capitaliste, maîtresse de l’économie nationale.

    L’exploitation minière, le commerce et les transports sont tous entre les mains de capitaux étrangers. Les propriétaires fonciers se sont contentés de servir d’intermédiaires à ces derniers dans la production du coton et du sucre.

    Ce système économique a maintenu une organisation semi-féodale dans l’agriculture, qui constitue le fardeau le plus lourd pour le développement du pays.

    La survie du féodalisme sur la côte se reflète dans la langueur et la pauvreté de sa vie urbaine. Le nombre de villes et de villages sur la côte est insignifiant.

    Et le village lui-même n’existe guère que dans les quelques lopins de terre où la campagne enflamme encore la joie de ses parcelles au milieu de l’agriculture féodale.

    En Europe, le village descend du fief dissous. Sur la côte péruvienne, le village existe à peine, car le fief, plus ou moins intact, subsiste toujours.

    L’hacienda – avec sa maison plus ou moins classique, la rancheria généralement misérable, et son exploitation de canne à sucre et ses entrepôts – est le type dominant de groupement rural.

    Tous les points d’un itinéraire sont marqués par les noms de fermes. L’absence du village, la rareté de la ville, prolongent le désert dans la vallée, dans les terres cultivées et productives.

    Les villes, selon une loi de la géographie économique, se forment régulièrement dans des vallées, au point où leurs routes se croisent.

    Sur la côte péruvienne, de riches et vastes vallées, qui occupent une place importante dans les statistiques de la production nationale, n’ont pas encore donné naissance à une ville.

    À peine à ses carrefours ou à ses gares, prospère parfois un bourg, ville stagnante, paludéenne, décharnée, sans santé rurale et sans vêtements urbains.

    Et dans certains cas, comme dans la vallée de Chicama, les latifundia ont commencé à étouffer la ville.

    La négociation capitaliste devient plus hostile aux droits de la ville qu’au château ou au domaine féodal. Il lui conteste son métier, la dépossède de sa fonction.

    Dans le féodalisme européen, les éléments de croissance, les facteurs de vie au village, étaient, malgré l’économie rurale, beaucoup plus importants que dans le semi-féodalisme créole.

    La campagne avait besoin des services de la ville, même si elle restait fermée. Elle avait surtout un surplus de produits de la terre qu’elle avait à lui offrir.

    Alors que là, le domaine côtier produit du coton ou de la canne à sucre pour les marchés lointains.

    Une fois le transport de ces produits assuré, leur communication avec le voisinage n’a plus d’intérêt que secondaire.

    La culture des cultures vivrières, lorsqu’elle n’a pas été complètement éliminée par la culture du coton ou de la canne à sucre, est destinée à alimenter la consommation de la hacienda.

    Le village, dans de nombreuses vallées, ne reçoit rien de la campagne ni ne possède rien de la campagne.

    Il vit donc dans la misère, de tel ou tel métier urbain, des hommes qu’il fournit pour travailler dans les domaines, de sa triste fatigue de la station par laquelle transitent annuellement plusieurs milliers de tonnes des fruits de la terre.

    Un coin de campagne, avec ses hommes libres, avec sa communauté travailleuse, est une oasis rare dans une succession de fiefs déformés, avec des machines et des rails, sans les ornements de la tradition seigneuriale.

    Dans de nombreux cas, l’hacienda ferme complètement ses portes à tout commerce extérieur : les « tambos » ont le droit exclusif d’approvisionner leur population.

    Cette pratique, qui d’une part reflète l’habitude de traiter le travailleur comme une chose et non comme une personne, d’autre part empêche les villages de remplir la fonction qui garantirait leur subsistance et leur développement au sein de l’économie rurale des vallées.

    L’hacienda, en monopolisant la terre et les industries, le commerce et les transports qui y sont liés, prive la ville de ses moyens de subsistance, la condamnant à une existence sordide et maigre. »

    José Carlos Mariátegui dresse ici un portrait très vivant ; c’est l’une de ses grandes qualités que cette capacité à formuler ainsi les choses.

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    José Carlos Mariátegui et le matériau humain

  • L’indépendance du Pérou, une « révolution par en haut »

    Il faut mentionner dès le départ une des principales thèses de José Carlos Mariátegui, celle qui est même la principale sur le plan historique.

    Selon lui, l’indépendance du Pérou a été artificielle, car elle a été menée par en haut.

    Ce sont les élites installées par la colonisation qui se sont rebellées contre leurs maîtres ; voilà pourquoi il parle de

    « la révolution de l’indépendance, un mouvement de la population créole et espagnole – et non de la population indigène ».

    Cette affirmation est profondément révolutionnaire et José Carlos Mariátegui est ici le premier à avoir posé les choses de manière concrète et vraie concernant l’Amérique latine.

    José Carlos Mariátegui

    Il n’y avait pas de bourgeoisie latino-américaine pour mener une révolution démocratique et instaurer le libéralisme.

    Ce qu’il y avait, c’était des forces féodales et ce sont elles qui ont décroché par rapport à l’Espagne, lorsque celle-ci subissait l’invasion napoléonienne.

    Ces forces féodales ont « inventé » des pays et se sont alignés sur les grandes puissances capitalistes afin de s’insérer dans l’économie mondiale et d’assurer une base stable à leur domination.

    José Carlos Mariátegui pose ici de manière subtile que le Royaume-Uni était le pays porteur du capitalisme et que, partant de là, il avait tout intérêt à apporter son soutien à l’indépendance des colonies espagnoles en Amérique.

    La France, paradoxalement, était bien plus rétive à agir ainsi, car elle avait connu alors la Restauration. Les idées de la révolution française avaient touché l’Amérique, mais l’appui vint donc du Royaume-Uni, qui entrevoyait des connexions commerciales nouvelles.

    José Carlos Mariátegui constate ainsi la convergence entre les intérêts des élites criollos d’Amérique et le capitalisme se développant à l’échelle mondiale, notamment par l’intermédiaire du Royaume-Uni.

    « La politique de l’Espagne a complètement entravé et contrarié le développement économique des colonies en leur interdisant tout commerce avec d’autres nations et en leur réservant, en tant que métropole, le droit exclusif de tout commerce et de toute entreprise au sein de ses possessions.

    L’impulsion naturelle des forces productives des colonies s’efforçait de rompre ce lien.

    L’économie naissante des formations nationales embryonnaires d’Amérique avait un besoin urgent, pour se développer, de se libérer de l’autorité rigide et de s’émanciper de la mentalité médiévale du roi d’Espagne.

    Le chercheur contemporain ne peut manquer de voir ici le facteur historique dominant de la révolution d’indépendance sud-américaine, inspirée et mue, de toute évidence, par les intérêts des populations créoles, voire espagnoles, bien plus que par ceux des populations autochtones.

    Considérée sous l’angle de l’histoire mondiale, l’indépendance sud-américaine apparaît déterminée par les besoins du développement de la civilisation occidentale, ou plutôt capitaliste.

    Le rythme du phénomène capitaliste a joué un rôle moins apparent et ostensible dans le développement de l’indépendance, mais il a été sans doute beaucoup plus décisif et profond que l’écho de la philosophie et de la littérature des Encyclopédistes (…).

    L’Espagne ne pouvait fournir abondamment ses colonies qu’en ecclésiastiques, médecins et nobles.

    Ces colonies aspiraient à des choses plus pratiques et avaient besoin d’outils plus modernes.

    Par conséquent, elles se tournèrent vers l’Angleterre, dont les industriels et les banquiers, colonisateurs d’un nouveau genre, voulaient à leur tour dominer ces marchés, remplissant ainsi leur rôle d’agents d’un empire naissant grâce à une économie manufacturière et de libre-échange.

    Les intérêts économiques des colonies espagnoles et ceux de l’Occident capitaliste étaient parfaitement alignés, même si, comme souvent dans l’histoire, les protagonistes historiques des deux camps n’en étaient pas pleinement conscients. »

    On a ici une capacité d’analyse typique de José Carlos Mariátegui : il sait lire les tendances, les convergences, les articulations.

    Il a vu comment les indépendances latino-américaines se sont faites par en haut, et comment les élites locales se sont faites aspirées par le capitalisme en expansion, principalement alors celui du Royaume-Uni.

    Ce faisant, il a vu comment l’indépendance péruvienne a consisté à tout changer pour que rien ne change.

    Le féodalisme, empreint d’esclavagisme, s’est maintenu à travers l’instauration de la République marquant la fin du colonialisme espagnol.

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    José Carlos Mariátegui et le matériau humain

  • José Carlos Mariátegui, un regard sur les caractères et les structures d’une société

    En ce début de second quart du 21e siècle, il existe de très nombreux jeux de simulation sur ordinateur où l’on doit gérer une ville, un pays, une civilisation, un empire, une armée, etc.

    Des millions de personnes à travers le monde jouent à Civilization, Hearts of Iron IV, Europa Universalis IV, Victoria 3, SimCity, Manor Lords, Anno, Railway Empire, Tropico, Cities: Skylines, Stardew Valley, RimWorld, Factorio, etc.

    Cela reflète le développement d’une capacité complexe nouvelle. Les êtres humains parviennent toujours plus à avoir de la distance par rapport à l’économie, la politique, l’environnement, les idéologies.

    Si tous ces jeux reposent sur des conceptions plus ou moins sérieuses de la réalité, il n’en reste pas moins qu’il y a une mentalité nouvelle, un niveau de conscience sociale bien plus élevée qu’il y a cent ans.

    Le Péruvien José Carlos Mariátegui (1894-1930), il y a cent ans justement, disposait déjà de cette capacité.

    José Carlos Mariátegui

    Il était parmi les très rares personnes sur la planète à cette époque à disposer d’un recul suffisant pour pouvoir observer ce qui se passe, comprendre la nature de l’évolution en cours, affirmer quel doit être le cours des choses.

    Ses Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne, son ouvrage majeur publié en 1928, ont eu l’effet d’une bombe intellectuelle.

    La capacité à présenter les choses de manière claire, tout en allant au fond des choses, a valu un immense prestige à José Carlos Mariátegui.

    José Carlos Mariátegui

    Voici par exemple comment il raconte la colonisation, soulignant son caractère et sa structure.

    Analyser le caractère et la structure des choses est la qualité suprême de José Carlos Mariátegui, penseur à la fois d’une extrême finesse et d’une capacité analytique hors norme.

    « Jusqu’à la Conquête, le Pérou développa une économie spontanée et libre, issue du sol et du peuple péruviens. Dans l’Empire inca, regroupement de communautés agricoles et sédentaires, l’aspect le plus intéressant était l’économie.

    Tous les témoignages historiques s’accordent sur le fait que le peuple inca – travailleur, discipliné, panthéiste et simple – vivait dans l’aisance matérielle.

    Les moyens de subsistance étaient abondants et la population augmentait. L’Empire ignorait radicalement le problème de Malthus [avec la surpopulation amenant un effondrement des ressources].

    L’organisation collectiviste, dirigée par les Incas, avait affaibli l’esprit individuel des Indiens ; mais elle avait extraordinairement développé chez eux, au bénéfice de ce régime économique, l’habitude de l’obéissance humble et religieuse à leur devoir social.

    Les Incas tirèrent tous les bénéfices sociaux possibles de cette vertu de leur peuple, enrichissant le vaste territoire de l’Empire par la construction de routes, de canaux, etc., et l’étendant en soumettant les tribus voisines à leur autorité.

    Le travail collectif, l’effort commun, furent fructueusement mis à profit à des fins sociales.

    Les conquistadors espagnols détruisirent, sans pouvoir la remplacer naturellement, cette formidable machine de production.

    La société indigène, l’économie inca, fut complètement anéantie par le coup de la Conquête.

    Les liens de son unité brisés, la nation se dissolvait en communautés dispersées.

    Le travail indigène cessa de fonctionner de manière unie et organique.

    Les conquistadors se préoccupèrent presque exclusivement de distribuer et de se disputer l’abondant butin de guerre.

    Ils dépouillèrent les temples et les palais de leurs trésors ; ils se partagèrent les terres et les peuples, sans même envisager leur avenir en tant que forces et moyens de production.

    La vice-royauté marque le début du processus difficile et complexe de formation d’une nouvelle économie.

    Durant cette période, l’Espagne s’efforce d’organiser politiquement et économiquement sa vaste colonie.

    Les Espagnols commencent à cultiver la terre et à exploiter les mines d’or et d’argent.

    Sur les ruines et les vestiges d’une économie socialiste, ils jettent les bases d’une économie féodale.

    Mais l’Espagne n’envoie pas une force colonisatrice importante au Pérou, tout comme elle n’en envoie pas dans ses autres possessions.

    La faiblesse de l’empire espagnol réside précisément dans son caractère et sa structure, davantage militaires et ecclésiastiques que politiques et économiques.

    De larges bandes de pioneers ne débarquent pas dans les colonies espagnoles comme elles le font sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre.

    Presque rien ne débarque en Amérique espagnole, hormis des vice-rois, des courtisans, des aventuriers, des ecclésiastiques, des médecins et des soldats.

    Par conséquent, aucune véritable force colonisatrice ne se forme au Pérou.

    La population de Lima [la « ville des rois » capitale de la Vice-royauté du Pérou c’est-à-dire pratiquement toute l’Amérique du Sud] se compose d’une petite cour, d’une bureaucratie, de quelques couvents, d’inquisiteurs, de marchands, de domestiques et d’esclaves.

    Le pioneer espagnol manquaient également de capacité à créer des groupes de travail. Au lieu d’utiliser les Indiens, il semblait vouloir les exterminer.

    Les colonisateurs n’étaient pas suffisamment autosuffisants pour créer une économie solide et organique.

    L’organisation coloniale a échoué dès sa fondation. Elle manquait de base démographique.

    Les Espagnols et les métis étaient trop peu nombreux pour exploiter les richesses du territoire à grande échelle.

    De plus, comme les haciendas côtières nécessitaient l’importation d’esclaves noirs, les éléments et les caractéristiques d’une société féodale se sont mêlés à ceux d’une société esclavagiste. »

    José Carlos Mariátegui présente ici de manière limpide la nature de la colonisation espagnole, avec son impact ; c’est ce qui lui permet de comprendre l’évolution en cours, les tendances de fond.

    Il est l’exemple d’une pensée s’élevant à la hauteur de toute une époque.

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  • Le discours de Maurice Thorez à Waziers

    Voici le discours clairement révisionniste de Maurice Thorez, à Waziers, le 21 juillet 1945. La convergence avec le capitalisme correspond très clairement à l’abandon des principes de Marx, Engels, Lénine et Staline, alors qu’au même moment Mao Zedong fait avancer la révolution chinoise.


    PRODUIRE, FAIRE DU CHARBON

    Chers camarades,

    C’est pour moi, vous pensez bien, une grande joie d’avoir été chargé par le Bureau politique de présenter le compte-rendu des travaux du Xe Congrès de notre Parti communiste français aux délégués des organisations communistes du bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, à un moment, où, de l’effort des mineurs, dépend, dans une grande mesure, la renaissance de notre pays et l’indépendance de la France : une grande joie de me retrouver au milieu de tant de vieux camarades avec lesquels j’ai milité voici déjà près de vingt années.

    Il me semble que dans la vieille mairie de Waziers, j’étais venu il y a vingt trois ans; celle ci, je l’ai inaugurée aussi il y a une quinzaine d’années.

    Je songe à ceux des camarades qui ne sont plus ; à ceux qui sont tombés dans la bataille contre l’Allemand et contre les traîtres de Vichy; ceux à qui nous devons rester fidèles en comprenant quel est actuellement le devoir que nous avons à accomplir vis-à-vis de la classe ouvrière, vis-à-vis de la République, à l’égard de la France.

    Le Xe Congrès de notre Parti a été un grand congrès. Grand par le nombre des délégués : plus de 1.300 ouvriers, paysans, fonctionnaires, intellectuels parmi les plus renommés, des francs-tireurs et partisans, des hommes, des femmes, combattants de la Résistance qui, dans toutes les épreuves, ont montré leur fidélité au pays et au communisme dans la grande bataille de ces dernières années.

    Un grand congrès par le nombre même des membres de notre Parti. Dans le rapport que j’ai présenté, j’avais indiqué le chiffre de 900.000 cartes, expédiées par notre trésorier aux Fédérations. Le chiffre s’était élevé à 927.000 à la date du 30 juin. Nous allons vers le million, nous y serons bientôt.

    Un grand congrès par la profondeur et le sérieux des rapports présentés ; par la profondeur et le sérieux des discussions ; chacun des délégués ayant à l’esprit :

    « Comment travailler le plus activement, le plus efficacement à la renaissance du pays » ?

    Un grand congrès par l’écho de nos décisions en France et hors de France : en France en dépit des consignes de silence données à la presse, en dépit de ce fait bien singulier qu’en 1937, nous avions obtenu que le discours de clôture fût radiodiffusé par tous les postes et qu’en 1945, alors que nous appelons le peuple à produire, la même radio nous a été refusée.

    Un grand congrès par les manifestations émouvantes de solidarité agissante qui accueillirent les délégués des Partis communistes frères de l’Afrique du Nord, communistes d’Algérie, communistes du Maroc, communistes de Tunisie, luttant dans leur pays pour l’union confiante et libre de leur population avec le peuple de France dans une belle bataille pour la liberté et la démocratie ; manifestations de vibrant internationalisme lorsque s’élevaient les acclamations à l’adresse de Staline, le chef des peuples de l’Union soviétique, le chef de l’Armée rouge; manifestations d’internationalisme lorsque le congrès, debout acclamait en Dolorès Ibarruri le peuple d’Espagne en lutte contre Franco et que nous voulons aider à se débarrasser de Franco comme nous sommes parvenus à l’aider malgré la non intervention, responsable pour une grande part des malheurs qui se sont abattus sur la République espagnole; manifestations, acclamations envers les délégués des Partis communistes de la Belgique, de Suisse, qui étaient présents et envers le Parti communiste italien qui nous avait envoyé son salut.

    Le rapport du Comité central que j’ai eu l’honneur de présenter, comprenait trois parties :

    Une première partie : le compte-rendu d’activité du Comité central de notre parti depuis Arles, il y a presque huit ans, exposé de la politique nationale de notre parti, le seul Parti qui ait pratiqué la seule politique française, la seule politique nationale.

    Une deuxième partie : une analyse de la situation actuelle, nos mots d’ordre pour terminer la guerre, furent unir, combattre, travailler et aujourd’hui toujours unir, combattre, travailler.

    Une troisième partie : les questions intérieures à notre grande organisation.

    Je voudrais aborder ces trois parties successivement.

    La première partie du rapport comportait un rappel utile des événements et des attitudes des uns et des autres, établissant les causes véritables et les responsabilités dans la défaite et l’invasion de notre pays, dans les souffrances qui ont accablé notre peuple depuis 1939.

    Nous sommes remontés au delà du Congrès d’Arles, jusqu’à l’avènement de Hitler, lorsque la venue au pouvoir du fascisme hitlérien en Allemagne, signifiait un grand péril pour les travailleurs de notre pays, pour la démocratie, pour la France.

    Nous avions donné une juste appréciation du fascisme hitlérien, représentant des tendances les plus féroces, les plus rapaces de l’impérialisme germanique assoiffé de revanche contre notre pays. La classe ouvrière nous avait compris. Elle nous comprenait lorsque nous l’appelions à se grouper, à se rassembler dans la bataille contre le fascisme à l’intérieur, condition d’une résistance victorieuse.

    Nous avons proposé et fait accepter par le Parti socialiste le Front unique contre la guerre et contre le fascisme en juillet 1934, et non pas, comme on l’a écrit récemment, après la signature du pacte franco soviétique, lequel ne fut signé qu’en mai 1935; nous avons fait accepter le Front unique après la première tentative d’assaut du fascisme le 6 février 1934.

    C’est en 1934, que nous avons proposé, lancé et fait triompher l’idée du Front populaire pour la liberté. Quel Français, maintenant, pourrait douter que si le programme du Front populaire avait été appliqué rigoureusement par les gouvernements, bien des malheurs auraient été évités à notre pays ?

    Car le programme du Front populaire ne comprenait pas le recul devant les provocations des cagoulards, pour ne parler que de cela sur le plan intérieur, et il ne comportait pas, sur le plan extérieur, la non intervention et la capitulation de Munich. Nous ne nous étions pas contentés d’unir tous les républicains dans le Front populaire, nous avons tendu la main aux travailleurs catholiques.

    « Les curés avec nous », vous vous en souvenez, chers camarades, mais oui, les curés avec nous. Si bien des princes de l’Eglise ont été de parfaits hitlériens, la masse des catholiques est restée fidèle au pays. Combien de catholiques et combien de curés se sont battus côte à côte avec les nôtres, avec aussi des socialistes, avec des républicains de toute nature, dans un même combat contre l’Allemand et contre Vichy !

    Combien sont tombés, combien ont payé de leur sang ! Bien malheureux ceux qui, à cette époque, se sont moqués de nous, parce que nous proposions l’unité avec les travailleurs catholiques, et qui maintenant pratiquent une certaine unité, qui n’est plus la main tendue aux travailleurs catholiques…

    Nous avons proposé le Front français, l’union de tous les Français. C’était désirer éviter à notre pays la honte, l’horreur d’une dictature fasciste, alors que, de l’autre côté, les deux cents familles, les « trusts » comme on dit maintenant, voyaient en Hitler le gardien de leurs privilèges. Et il était de bon ton de dire chez certains : « Plutôt Hitler que le Front populaire ».

    Ceux là se mirent à saboter l’économie nationale, à saboter la défense nationale, à provoquer les grèves comme le rappelait tout à l’heure Martel.

    C’est vrai que nous seuls, les communistes, avons eu assez d’autorité pour pouvoir, en juin 1936, mettre un terme aux grèves, que nous seuls pouvions avoir assez d’autorité pour dire, il y a cinq mois : il faut finir avec les jeux de guerre civile et ne pas permettre des provocations contre la classe ouvrière et contre notre pays.

    Sabotage, par les deux cents familles, de l’économie nationale, si bien que nous nous sommes trouvés en 1940, dans un pays qui est le plus riche en fer, le premier pays producteur de fer, nous nous sommes trouvés presque sans tanks, dans le pays qui est le premier producteur de bauxite en Europe, nous nous sommes trouvés presque sans avions.

    Et l’oeuvre de trahison était poursuivie dans tous les domaines, non seulement dans le domaine économique mais dans le domaine militaire où les grands chefs ne croyaient pas à la guerre des moteurs; ils en restaient aux conceptions militaires de 1918.

    Les chefs militaires, dont c’est le métier d’étudier la technique, ne comprenaient pas qu’une révolution dans la technique devait apporter une révolution dans l’art militaire ; alors que nous, les militants, nous comprenions mieux qu’eux comment se déroulerait la guerre, alors que nous, les militants, dès avant la guerre, nous indiquions dans quel sens pourrait se dérouler cette guerre.

    Vous vous souvenez des campagnes que nous avons menées pour montrer ce que c’est que la guerre des tanks, la guerre de l’avion. Dans le domaine culturel, des écrivains, des artistes ne s’employaient qu’à empoisonner l’âme du peuple, à décrier tout ce qu’il pouvait y avoir de bon, de juste, de sain dans nos propos.

    On nous proposait ce qui se faisait chez le voisin, c’est à dire chez le fasciste italien, chez le fasciste allemand. Il y avait un comité France-Allemagne où l’on trouvait tous ceux qui furent les ambassadeurs de Pétain : un François Piétri, et aussi un Jules Romain qui nous revient d’Amérique avec la prétention de nous faire la leçon.

    Hitler jouait sur toutes les touches comme un bon organiste. Il jouait sur la touche ouvrière. Il avait, jusque dans les milieux ouvriers, ses agents qui prêchaient un pacifisme réactionnaire. On osait lancer cette formule déshonorante : « Plutôt la servitude que la mort ».

    Jamais nous, communistes, même lorsque nous avons lutté dans certaines circonstances contre des guerres impérialistes, contre des guerres injustes, jamais nous n’avons été des pacifistes réactionnaires.

    Toujours, nous nous sommes inspirés de cette recommandation : « Si on donne un fusil à ton fils, ne pleure pas ; dis lui qu’il apprenne à s’en servir ».

    En même temps, ils organisaient leurs cagoulards. Il paraît qu’ils étaient plusieurs bataillons organisés à Paris avec un état-major, avec leur Deloncle dont le secrétaire M. Passy est actuellement le chef d’une police spéciale.

    Le journal Combat dit que trop de cagoulards approchent encore actuellement les membres du gouvernement.

    Ces cagoulards s’étaient livrés à une besogne abominable de provocations. Ces cagoulards avaient déposé une bombe dans les locaux de la rue de Presbourg pour pouvoir en accuser les militants ouvriers.

    Heureusement, grâce à un journaliste courageux qui savait mener les campagnes, on a pu découvrir que ceux qui avaient déposé la bombe, c’étaient des ingénieurs de M. Michelin, M. Michelin de Clermont-Ferrand.

    Toute cette politique de trahison et de désorganisation de la Défense nationale avait pour complément une politique de concessions et de capitulations devant le fascisme. Politique de capitulation inaugurée par Laval, lors des accords de Rome, destinée à livrer l’Abyssinie à Mussolini. Nous avons été seuls, alors, les communistes, à voter contre cette politique.

    Et nous avons eu Munich, Munich, dont on disait :

    « C’est la paix ». Vous vous souvenez, chers camarades, « Munich c’est la paix », et celui qui venait de signer la plus grande défaite diplomatique préparant la plus grande défaite militaire de notre pays, montait l’avenue des Champs-Elysées, dans une voiture découverte, debout et salué par des gestes à l’hitlérienne par les petits « crevés » de l’Action française.

    Chers camarades, à ce moment là, un journal, Le Petit Parisien, ouvrait une souscription pour offrir une villa à M. Chamberlain, afin qu’il puisse se reposer d’une paix si chèrement gagnée.

    Et nous seuls, comme Parti, nous avons pris la responsabilité, luttant contre le courant, de dire au peuple :

    « On te trompe ; Munich, ce n’est pas la paix. Munich, c’est le noir complot contre les peuples, contre la démocratie, contre la France, contre l’Union soviétique. Munich, c’est le glissement irrésistible à la catastrophe ; il est encore temps, mais il est juste temps si nous voulons sauver la paix, empêcher la guerre ».

    Cette politique alla en s’aggravant jusqu’en 1939. Plus le péril grandissait, plus nos gouvernants, aveugles ou traîtres, s’acharnaient à isoler la France.

    La vérité sur 1939 : vous vous souvenez encore de ces journaux, chers camarades : la trahison de Staline, la trahison russe, la trahison des communistes ?

    On nous avait bâillonnés, on avait interdit notre presse. Le député communiste Quinet, avait remplacé notre Humanité interdite, par une feuille ronéotypée.

    On l’a arrêté, condamné à treize mois de prison. Il en est ressorti plus tard pour travailler avec nos militants dans l’activité clandestine contre les Allemands. Il est hélas ! tombé. Ils l’ont assassiné en Allemagne. Il a été l’une des premières victimes de la drôle de guerre, la victime des impérialistes !

    Maintenant nous savons que toute la politique de nos gouvernants était une politique de sabotage du pacte franco soviétique. Maintenant tout le monde sait qu’ils pratiquaient ce qu’ils appelaient la politique des mains libres à l’Est, c’est à dire l’invitation à l’attaque contre l’Union soviétique.

    Un texte publié à la veille de la guerre, en témoigne : c’est l’interview accordée par Vorochilov, le 26 août 1939, au journal les Isvestia :

    « Ce n’est pas, déclarait alors le maréchal Vorochilov , parce que l’URSS. a signé un pacte de non agression avec l’Allemagne que les pourparlers militaires avec la France et l’Angleterre ont été rompus, mais au contraire, parce que les pourparlers militaires avec la France et l’Angleterre se trouvaient dans une impasse par suite de désaccords insurmontables ».

    Voilà la vérité. Cette vérité, chers camarades, que beaucoup transformèrent. Nous l’avons su; nous l’avions entendu à la radio de Moscou et comme nous n’avions pas de journaux, nous avons essayé de ronéotyper nos nouvelles et de les distribuer dans toute la France. C’est pour cela que nos premiers militants ont été arrêtés, pourchassés.

    Dans son livre publié aux États-Unis , Les Fossoyeurs , Pertinax confirme que les négociateurs français et anglais prétendaient reléguer la Russie à l’arrière plan, ne traiter avec elle qu’après avoir passé contrat avec Varsovie et Bucarest, la ravaler ensuite à la fonction de magasin de ravitaillement où Polonais et Roumains puiseraient à leur aise, selon leurs besoins sans même qu’une promesse d’alliance véritable lui eût été donnée…

    La Russie, fournissant des armes, attirerait sur elle l’hostilité de Hitler, et subirait le contre coup des revers polonais. Mais elle ne serait pas autorisée à pousser ses soldats au delà du territoire national. Conception délirante !

    Et voici ce qu’Ernest Bevin, chef travailliste, qui était encore, il y a quelques semaines ministre dans le gouvernement d’unité nationale de M. Churchill, a déclaré le mois dernier au congrès du Labour Party :

    « Si nous, les travaillistes, nous avions été au pouvoir en 1939, nous aurions envoyé notre ministre des Affaires étrangères négocier avec Moscou ».

    On ne peut pas mieux dire que les négociations de Moscou n’avaient pas été menées, du côté des gouvernements de Londres et de Paris, loyalement, avec la volonté d’aboutir à un accord.

    En vérité, c’était un traquenard que l’on tendait à l’Union soviétique. On prétendait engager la guerre, une guerre où la Pologne devait s’effondrer rapidement, comme ce fut le cas, et ainsi les armées hitlériennes pourraient déferler rapidement à travers toute l’Union soviétique.

    L’Armée rouge avait été mise dans l’impossibilité de préparer sa mobilisation, l’Armée rouge était dans l’impossibilité de faire face à l’agression. C’est vrai que c’était là le plan des provocateurs de guerre. C’était contre l’Union soviétique qu’ils voulaient engager la guerre.

    Dans le journal Libération Soir, on a pu lire un extrait des carnets du comte Ciano, gendre de Mussolini, ministre des Affaires étrangères d’Italie. Il dit :

    « Au début de 1940, j’ai reçu l’ambassadeur de Finlande, qui m’a remercié pour l’aide que nous avons apportée à son pays et qui m’a demandé des armes ainsi que des techniciens. J’ai répondu, ajoute Ciano : cela n’est possible qu’aussi longtemps que l’Allemagne n’interdira pas le trafic.

    Le diplomate me répond que la chose est réglée et va jusqu’à me confier que l’Allemagne a déjà livré des armes à la Finlande, en particulier du matériel pris aux Polonais ».

    Vous entendez, chers camarades, l’Allemagne livrait des armes à la Finlande.

    Mais je lis dans le Journal officiel du 15 mars 1940, une déclaration de M. Daladier, disant :

    « Depuis le 28 février, un corps expéditionnaire de 50.000 hommes est prêt à être embarqué pour la Finlande ».

    Et je lis dans Le Temps du 9 mars 1940, que le ministre de l’Air Guy La Chambre avait envoyé 175 avions à la Finlande, avions pris sur les faibles moyens de notre armée de l’air.

    Vous comprenez, chers camarades, les Allemands et les Italiens étaient en guerre contre les Français et les Anglais, mais tous ensemble envoyaient des armes, à la Finlande contre l’Union soviétique.

    Dans le même moment, il y avait là bas, au Moyen Orient, une armée, l’armée Weygand, qui se préparait aussi à la guerre, non pas contre l’Allemagne, mais contre l’Union soviétique.

    Ici également, une lettre adressée par le général Weygand au général Gamelin, le 17 avril 1940, trois semaines avant l’offensive de Hitler, en fait foi. Weygand dit :

    « Au point où en est arrivée la préparation de bombardement des régions pétrolifères du Caucase, il est possible d’établir le délai au bout duquel ces opérations seront exécutées (suivent quelques détails techniques).

    Ce délai est nécessaire à la Turquie, poursuit Weygand, comme l’a signalé M. Massigli, qui était alors ambassadeur en Turquie et qui est maintenant, hélas ! notre ambassadeur à Londres , pour qu’elle se mette, pendant qu’il s’écoulera, en état de faire face à toutes les actions ennemies qui pourraient se produire contre elle à la suite de ces bombardements ».

    Ce n’est pas à bombarder les usines allemandes ni même à bombarder le chemin de fer qui court de l’autre côté du Rhin que l’on songeait, c’était à faire bombarder les centres de pétrole de l’Union soviétique.

    C’était la guerre contre l’Union soviétique et la guerre contre le peuple français, la répression contre les militants de la classe ouvrière restés fidèles au peuple, sous le seul prétexte de notre fidélité à l’amitié franco soviétique. Mais, camarades, pourtant, où en serions nous sans l’Union soviétique ?

    Où en serions nous sans l’Armée rouge ? Je me permets d’insister parce que ceux qui nous ont calomniés affreusement, loin de faire leur mea culpa, continuent à nous représenter comme un parti nationaliste étranger. Dans sa campagne contre l’unité, Léon Blum nous reproche de demeurer dans un état de dépendance psychique vis-à-vis de Moscou.

    Il parle de notre attachement, il dit même « notre amour » pour l’Union soviétique. Chers camarades, et si même nous nous placions sur ce terrain, et si même nous avions cet attachement pour le grand peuple soviétique, pour le premier État socialiste, en serions nous de moins bons Français ?

    En 1789, en 1792, les Anglais, les Allemands, les Autrichiens, les Espagnols, les Polonais, les Russes qui tournaient les yeux vers la grande Révolution française, qui vibraient à l’unisson avec les Jacobins, nos ancêtres, étaient ils de mauvais citoyens de leur pays ?

    Je tiens qu’ils étaient les meilleurs citoyens de leur pays, parce qu’ils voyaient, dans cette Révolution française, la préfiguration de leur propre avenir, parce qu’ils fondaient une politique juste sur ce qui naît, sur ce qui se développe, sur ce qui doit être.

    De même que nous, prolétaires et bons Français, en reconnaissant dans la Révolution soviétique certains traits d’un caractère universel qui préfigurent l’avenir vers lequel nous irons infailliblement selon des voies françaises, j’affirme que nous sommes les seuls à pouvoir préconiser et pratiquer une politique juste, conforme aux intérêts bien compris de notre pays.

    Au contraire, ceux qui méconnaissent l’Union soviétique. ceux qui lui ont été constamment hostiles, ceux qui, dans leurs journaux, ne publiaient jamais une ligne favorable à l’Union soviétique, mais qui ont fait écho à toutes les campagnes anti-soviétiques, ceux-là ne pouvaient pas pratiquer une politique juste, ils ne pouvaient pas assurer l’amitié et l’alliance de notre peuple avec le grand peuple soviétique ; ceux-là, ils devaient aller, peut-être par attachement pour les conservateurs anglais, jusqu’à la non intervention et la capitulation de Munich.

    Nous avions raison avant et pendant la « drôle de guerre » en menant le combat contre les munichois qui devaient nous conduire à la catastrophe.

    Après l’interdiction de notre Parti, le 25 septembre 1939, le Comité central de notre Parti a eu raison de me faire passer à l’action clandestine. Je me suis placé à la tête du Parti avec tout le Comité central, au service du peuple dans la bataille contre les ennemis du peuple.

    Certains appelaient cela une désertion ; nous appelions cela faire notre devoir vis-à-vis de la classe ouvrière, vis-à-vis du peuple et vis-à-vis de la France.

    Les premiers, lors de l’assaut hitlérien, nous avons été dans la bataille. Nous seuls, nous avons proposé de défendre Paris les armes à la main.

    Le chef du gouvernement, qui avait déjà introduit Pétain dans son gouvernement et placé Weygand à la tête de notre armée, se refusa à accepter les propositions des communistes et nomma Dentz, le traître Dentz, gouverneur militaire de Paris. Le résultat, c’est que Dentz livra Paris à l’occupant.

    Dès juillet 1940, nous lancions notre grand appel à la résistance.

    « La France, disions nous dans un manifeste signé de Jacques Duclos et de moi même, et diffusé dans le pays à un million d’exemplaires , la France encore toute sanglante, veut vivre libre et indépendante. Jamais un grand peuple comme le nôtre ne sera un peuple d’esclaves.

    La France ne deviendra pas une sorte de pays colonisé. La France, au passé si glorieux, ne s’agenouillera pas devant une équipe de valets prêts à toutes les besognes. Ce ne sont pas les généraux battus qui peuvent relever la France.

    C’est dans le peuple que résident les grands espoirs de libération nationale et sociale, et c’est autour de la classe ouvrière, ardente et généreuse, pleine de confiance et de courage, que peut se constituer le front de la liberté, de l’indépendance et de la renaissance de la France ».

    De Londres, le général de Gaulle lançait son appel, organisait les « Force françaises libres ». Nous menions la bataille de la résistance à l’intérieur de notre pays, la lutte contre les occupants, la lutte contre les traîtres, la lutte contre la révolution dite nationale avec sa démagogie, la lutte pour la libération.

    La révolution par en haut, cela signifiait simplement la réaction. C’était la crainte de la révolution. Il n’y a pas de révolution si ce n’est le peuple qui l’accomplit, qui la réalise.

    La « révolution nationale » de Vichy, sous le couvert d’une démagogie anticapitaliste et de la bataille contre les « trusts », mettait sur pied les Comités d’organisation où se retrouvaient les deux cents familles.

    Pétain ne voulait pas entendre parler de la lutte des classes parce qu’il pratiquait la lutte de classe à sens unique avec ses gardes mobiles, sa police, sa gestapo, ses bourreaux, dont fut victime le jeune Caron, guillotiné à la prison de Cuincy, âgé de vingt ans, et qui disait aux bourreaux : « Vous faites un vilain métier, messieurs ».

    C’était la lutte de classe à sens unique de Pétain et de ses agents, contre la classe ouvrière et contre le peuple de France. Vichy, ce n’était pas la révolution nationale, c’était la réaction antinationale, c’était un instrument au service de l’ennemi. Toute la France livrée à Hitler : nos hommes, nos ressources, nos matières premières, notre charbon, notre fer, nos locomotives, nos wagons, notre blé, notre bétail, notre vin, tout pour les Allemands, tout pour Hitler, afin qu’il puisse mener sa guerre contre le monde civilisé.

    Nous nous sommes battus, nous, les communistes, appelant en même temps à la lutte tous les bons Français, organisant la classe ouvrière, organisant le peuple.

    Dès juin 1940, nous manifestions à Paris. Un journal anglais, le Daily Telegraph, à ce moment, écrivait :

    « Un seul Parti en France manifeste de l’activité contre les occupants, c’est le Parti communiste ».

    En mai 1941, vous n’en avez pas perdu le souvenir, vous faisiez la grande grève des mineurs du Pas-de-Calais, contre les Allemands et contre les vichystes.

    C’est le mois suivant que Hitler déclencha son agression contre l’Union soviétique. Il est évident que dès l’instant où Hitler se lançait dans une aventure aussi insensée, il allait à sa perte. Chaque Français, chaque homme de bon sens comprenait que les choses allaient changer. Un nouvel élan fut imprimé à la lutte de la résistance, au sabotage, à la grève.

    Il devenait possible d’intensifier l’action armée, ne fût ce que pour cette raison de bons sens qu’au lieu d’avoir sur notre sol 60 ou 70 divisions hitlériennes, et les meilleures – qui étaient parties à l’Est se faire écraser par l’Armée rouge – nous n’avions devant nous que 20, 25 ou 30 divisions et pas parmi les meilleures. C’est alors que nous avons organisé les Francs-Tireurs et Partisans, notamment avec les camarades que nous avions dans le Pas-de-Calais, Debarge, Hapiot et d’autres.

    Toute cette bataille s’est développée. Mais l’ennemi a usé de la répression, l’ennemi a pris des otages, les a fusillés par centaines. Au lendemain de Châteaubriant, certains, cédant au chantage de l’ennemi, donnaient l’ordre à la radio de ne plus tuer d’Allemands, et le peuple disait : « Nous en tuerons davantage, nous vengerons ceux qui sont morts » et le cri de : « Mort aux traîtres, mort aux envahisseurs » ! devenait, ici comme dans toute l’Europe opprimée, notre cri de combat.

    Nous avons développé l’action armée et l’avons, en multipliant les petits groupes, combinée avec le sabotage, avec la lutte contre la politique de déportation, avec la lutte des paysans contre les réquisitions, nous l’avons combinée avec la préparation de toute une série de grèves partielles, préparation de la grande grève générale.

    C’est tout cela qui a conduit à l’insurrection nationale, c’est tout cela qui a aidé si efficacement à la victoire des Alliés, au succès du débarquement et à la rapide campagne en France. Le général Eisenhower et le maréchal Montgomery, dans leurs visites respectives à Paris, ont tous les deux proclamé :

    « On ne dira jamais assez ce que nous devons aux Forces françaises de l’Intérieur », dans lesquelles se trouvaient 90 % de nos Francs-tireurs et partisans.

    Conclusion de cette première partie : la trahison des « trusts » ; le désarroi, la confusion dans tous les milieux, excepté dans notre Parti ; les masses populaires éclairées, guidées par notre Parti communiste qui a pris leur tête. Grâce au peuple, la France a sa place parmi les nations victorieuses.

    L’AVENIR DE LA FRANCE

    Mais il ne faut pas se faire d’illusions, et j’aborde ici la deuxième partie de ce rapport : notre pays est très affaibli. Pour nous libérer, malgré tant de sacrifices, et malgré tant d’héroïsme, nous avons eu besoin de nos alliés et nous aurons encore besoin de nos alliés pour l’oeuvre de renaissance de notre pays.

    C’est pourquoi, nous suivons d’un œil si sympathique la Conférence des Trois Grands. Tous les Français de bon sens comprennent que l’accord étroit entre les trois grandes nations : les Etats-Unis, l’Angleterre, l’Union soviétique, fut indispensable pour arracher la victoire sur l’Allemagne hitlérienne et que leur accord demeure la condition d’une paix durable et solide.

    D’autant plus que la victoire militaire ne signifie pas encore la liquidation du fascisme. Il subsiste encore bien des foyers de fascisme en Europe et dans le monde la réaction est encore forte et ne se résigne pas.

    Elle ne pardonne pas à l’Union soviétique d’avoir joué un rôle décisif dans l’écrasement de l’Allemagne hitlérienne. La réaction, sur le plan international, s’efforce de diviser les forces populaires et progressistes, d’isoler la classe ouvrière. Elle recommence les campagnes antisoviétiques et anticommunistes. Nous avons vu les événements qui se déroulèrent en Grèce.

    Nous voyons comment on essaie d’imposer de nouveau un roi aux Belges qui n’en veulent plus et nous voyons comment on empêche les Italiens de se débarrasser d’une dynastie qui a soutenu Mussolini, le fasciste, pendant vingt années. Nous voyons aussi comment les trusts internationaux s’efforcent actuellement de sauver la grande industrie allemande, cette base de l’impérialisme fasciste.

    J’avais dit, dans mon rapport au Comité central, comment certains trusts. certains monopoles américains et anglais avaient entretenu non seulement avant la guerre, mais même pendant la guerre, des rapports avec des trusts allemands.

    Voici l’information que nous avons eue par la suite. C’est un journal anglais qui dit :

    « Les grandes industries de produits chimiques en Allemagne n’ont jamais été bombardées. L’immense édifice de l’administration centrale de l’I.G. Farben s’élève maintenant au dessus des ruines de Francfort. Pourtant Francfort a été systématiquement bombardé pendant trois ans.

    On aurait pu penser que le grand centre industriel, vital pour le potentiel de guerre allemand, aurait été une des cibles les plus importantes de l’aviation. On se demande s’il ne faut pas chercher l’explication de ces faits étranges dans la politique par trop internationale des grands trusts ».

    Ce n’est pas moi qui parle, c’est le journal anglais. Sous prétexte de faciliter le relèvement de ses ruines, on voit de grands trusts essayer de recommencer comme après 1914 1918 où, sous prétexte de permettre à l’Allemagne de payer les réparations, ils ont aidé l’industrie allemande.

    On a facilité son essor. On a en quelque sorte permis l’armement de Hitler qui devait servir au déclenchement de la guerre contre tous les peuples civilisés et, en définitive, l’Allemagne n’a pas payé les réparations. L’Allemagne reçut beaucoup plus des capitalistes anglais, américains et français qu’elle ne nous paya.

    Ce qui ne veut pas dire que, dans le scandale des réparations, certains, parmi les deux cents familles, chez nous, ne réalisèrent pas de belles opérations. Par exemple : MM. de Wendel qui avaient racheté pour une somme dérisoire de 750 millions, qu’ils ne payèrent jamais d’ailleurs, des entreprises évaluées à plus d’un milliard. Et ils les revendirent à Goering en 1940, pour une somme estimée à 15 ou 20 milliards.

    Nous, nous estimons qu’il est juste que les Allemands réparent. Le peuple allemand porte une part des responsabilités, pas la même responsabilité que les chefs, mais les Allemands qui ont suivi leur Hitler dans son entreprise criminelle contre tous les peuples, doivent réparer. C’est d’une justice élémentaire. Ils doivent réparer en travaillant chez eux, chez nous.

    Pourquoi n’iraient ils pas reconstruire nos villages qu’ils ont détruits, les usines et les villages polonais, et les villages soviétiques, et les chemins de fer ? Pourquoi ne seraient ils pas employés à déminer ? Actuellement, tant de jeunes Français meurent pour enlever les mines qui ont été placées par les Allemands.

    Pourquoi ne les ferions nous pas travailler dans nos fosses où nous manquons actuellement de main-d’œuvre ? Les Allemands doivent payer. Encore une fois, c’est d’une justice élémentaire.

    Voici que les groupements financiers sont plus intéressés au relèvement de l’agresseur allemand qu’à celui de notre pays et d’autres pays qui ont été envahis, ravagés et pillés par les Allemands. Et, dans le même moment, nous voyons la réaction en France qui s’efforce d’empêcher la reconstruction économique.

    Hier, elle provoquait des actions inconsidérées. De là la décision de notre Comité central d’Ivry, demandant la dissolution des gardes civiques et de tous les groupes armés.

    Aujourd’hui, chers camarades, de graves périls nous menacent dans le domaine de la production. On ne le sent pas assez.

    Les mêmes gens, les mêmes groupements, qui ont provoqué la défaite poursuivent un plan diabolique de désorganisation et de désagrégation de notre économie nationale. Ils veulent créer le chaos et le désordre. Ils veulent créer une atmosphère de panique et de trouble qui serait propice aux entreprises de la réaction.

    Il faut examiner, près d’un an après la Libération, le sombre tableau de notre situation économique. Certains disent : « Mais c’est que nous avons beaucoup plus souffert qu’après la guerre de 1914 1918 ».

    Il est vrai que la destruction s’étend sur beaucoup plus de départements, mais elle touche surtout les maisons d’habitation et les transports, qui ont été particulièrement atteints. Notre appareil industriel de base est presque intact.

    Vous le savez bien, nos houillères. à l’exception d’une partie de Béthune, de Noeux, de Bruay, et des autres concessions, plus à l’ouest, nos houillères étaient presque entièrement dévastées en 1918, noyées, toutes les installations de surface détruites. Il a fallu des années pour pouvoir revenir à la production d’avant guerre.

    Actuellement, à part un outillage usé, nos houillères sont intactes. Nos grandes usines de la sidérurgie, nos hauts fourneaux pourraient travailler à 90 % de leur potentiel d’avant guerre.

    Le problème décisif de l’heure, c’est le problème de la production. Vous le savez déjà, chers camarades, c’est ce qui m’a amené à Waziers ; c’est pourquoi le Bureau politique m’a envoyé vous parler, à vous, les mineurs. J’aborde ici une partie importante de mon rapport, la question du charbon.

    LE CHARBON

    C’est le problème le plus important à l’heure actuelle. Sans charbon, rien ne va, vous le savez bien, ni l’industrie, ni les transports ne peuvent fonctionner et, en premier lieu, sans l’augmentation de notre propre production, pas de reprise économique, pas de relèvement industriel, pas de renaissance nationale.

    Déjà avant la guerre, nous devions importer le tiers environ de nos besoins, ce qui grevait lourdement notre balance commerciale, ce qui réduisait les possibilités d’essor industriel. Avant la guerre, notre consommation s’élevait en moyenne de 60 à 70 millions de tonnes. Nous produisions 45 à 50 millions de tonnes. Nous devions importer 20 à 25 millions de tonnes de charbon.

    Et voici que la situation s’est aggravée en raison d’abord d’une diminution sensible de la production, et ensuite en raison des difficultés d’importation des autres pays qui ont également à satisfaire des besoins intérieurs et connaissent eux mêmes une crise approfondie et, soit dit en passant, même là où il n’y a pas de nationalisation.

    Certains disent que la production charbonnière dans notre région baisse en raison des premières mesures, bien insuffisantes, de nationalisation…

    En Belgique, en avril dernier, la production atteignait 1.036.000 tonnes de charbon, 46 % de la production de 1940 où elle était de 2.254.000 tonnes chaque mois.

    En Angleterre, en Hollande, crise charbonnière.

    Nous devons encore actuellement fournir, sur nos faibles ressources 300.000 tonnes chaque mois pour les besoins de l’armée alliée.

    Je voudrais établir un fait pour montrer l’effort des mineurs. En janvier, la production brute s’était élevée à 2.700.000 tonnes contre, en 1938, une production mensuelle de 3.400.000 tonnes, c’est à dire 80 % de la production.

    Le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, en janvier, avait donné 1.725.000 tonnes, en mars 1.900.000 tonnes contre une production mensuelle en 1938 de 2.350.000 tonnes, c’est à dire également 80 % de la production d’avant guerre.

    En janvier, toujours dans notre bassin, le rendement individuel pour le fond, s’était élevé à 880 kg. En mars, il s’est même élevé à 913 kg. contre 1.156 kg. en 1938, également 80 % du rendement de 1938. Je ne cite pas le rendement des années ultérieures.

    Un groupe ici à Douai a donné, dans les semaines du 19 au 22 avril une production qui égalait et parfois dépassait en certains puits celle de 1938, avec un total de 65.000 tonnes et un rendement de 1.155 kg.

    Il est vrai qu’il s’est produit un fléchissement à partir d’avril, fléchissement dans la production et fléchissement dans le rendement.

    Il y a eu diverses causes à cela : ravitaillement défectueux, manque de vêtements, et en raison d’un mécontentement plus ou moins justifié contre l’insuffisance de l’épuration. Il y a aussi des grèves, elles, très peu justifiées.

    Il y a aussi, et n’en tiennent pas compte ceux qui font les campagnes contre les mineurs, toute une série de fêtes, fêtes religieuses, Ascension, lundi de Pentecôte et fêtes de la Victoire. Tout cela entraîne, dans un métier comme le métier des mineurs, une certaine désorganisation.

    Ensuite nouveau progrès. La production en juin atteint dans notre bassin 1.650.000 tonnes. La dernière semaine du 25 juin au 1er juillet 383.000 tonnes, le rendement moyen 836 kg. Au groupe d’Hénin-Liétard 891 kg, au groupe de Valenciennes 901 kg.

    Mais on est encore loin des chiffres de janvier et de mars. Ici, dans ce groupe de Douai, loin des chiffres d’avril, avec 46.000 tonnes et 865 kg. de rendement, pour l’ouvrier du fond dans la semaine du 25 au 2 juillet, contre 63.000 tonnes et 1.155 kg. pendant la semaine du 19 au 22 avril.

    Il faut examiner honnêtement, loyalement les causes de cette situation qui est préjudiciable aux intérêts du pays et proposer des remèdes.

    La première des causes, je l’ai dit au Congrès national de notre Parti, c’est la diminution du personnel occupé. En 1929, qui fut l’année de la plus forte production charbonnière, les houillères occupaient 330.000 ouvriers, dont 186.000 pour le fond. En 1945. il ne reste que 200.000 ouvriers au total, dont 140.000 seulement pour le fond, soit 25 %, un quart en moins, pour le bassin du Nord et du Pas-de-Calais.

    Une diminution moyenne de 20 à 25 % des ouvriers dans une profession où la production générale dépend du facteur humain expliquerait déjà largement une baisse générale de la production de 20 % et expliquerait ensuite une perte du rendement individuel.

    La diminution en ce qui concerne le fond porte surtout sur les ouvriers qualifiés, alors que le personnel occupé à transporter le charbon, galibots, rouleurs, etc… reste sensiblement le même.

    La crise des effectifs risque d’ailleurs de s’aggraver avec le départ de nos camarades polonais, départ vers leur pays où ils sont assurés de trouver de meilleures conditions, un pays entièrement renouvelé.

    La réaction proteste et protestera, prétendant empêcher les mineurs polonais de regagner leur pays, parce que les conditions économiques et politiques dans lesquelles étaient maintenus les mineurs polonais en faisaient une main-d’œuvre à bon marché, concurrençant la main-d’œuvre française.

    Le premier remède, je l’ai dit à notre Congrès national, consiste à revaloriser la condition du mineur. Il faut améliorer ses conditions de salaire et ses conditions de sécurité, d’hygiène, de logement, il faut que le mineur trouve avantage à travailler de son métier.

    Il y a quarante ans, il y avait, dans les mines de Marles et dans les mines de Bruay, des mineurs qui venaient depuis au delà de Frévent jusqu’à Doullens ; ils gagnaient 50 sous dans leur village et gagnaient ici 6 fr. 50 à 7 francs ; avec une demi heure de chemin de fer le matin et une l’après-midi ; ils se trouvaient bien plus avantagés que leurs camarades restés au travail des champs.

    Il faut donner aux ouvriers mineurs du fond un certain salaire ; encore une fois, il faut qu’ils trouvent avantage à travailler de leur métier et qu’ils puissent engager leurs enfants à continuer à travailler au fond de la mine. Il faut que les mineurs aiment la mine.

    D’ailleurs, ce n’est pas vrai que les mineurs n’aiment pas leur métier. Vous savez bien que je suis d’une famille de mineurs. J’ai assisté assez souvent, à la remonte, aux discussions entre mes oncles et le grand père qui était passionné et qui ne pouvait plus aller à la mine.

    Chaque soir, il demandait : « Alors comment ça s’est il passé ? Qu’est ce que vous avez fait ? Et moi, j’aurais fait comme ça, et moi j’aurais fait autrement; je ne m’y serais pas pris comme cela, etc.. ». Il suivait au fur et à mesure avec ses fils l’avance des travaux.

    Il connaissait tout. Est ce que tous les vieux mineurs ne sont pas ainsi ? Les vieux mineurs ont l’amour de leur métier comme les marins ont l’amour du leur.

    Les prix à la tâche. On a accordé la possibilité d’une majoration qui peut aller jusqu’à 60 % et voilà que déjà on nous cite quelques groupes, où les ingénieurs réduisent les prix à la tâche. Je dis qu’il faut relever les prix à la tâche et les maintenir, payer les prix fixés, même et surtout si l’ouvrier gagne de grosses journées.

    L’essentiel est d’obtenir du charbon et pour obtenir du charbon, il faut payer les sommes fixées.

    Il faut payer les jeunes à partir de vingt et un ans comme des ouvriers. Un vrai mineur, c’est celui qui a commencé jeune, qui a été galibot, à condition qu’on reconnaisse ses mérites. Ce n’est pas bien, ce qui se passe dans telle fosse.

    Je prends le n° 7. Des dizaines de jeunes gens de vingt à vingt cinq ans, et même parfois trente ans, sont maintenus comme herscheux [= ouvrier qui fait circuler les wagons], sous prétexte qu’on manque de main-d’œuvre. Il n’y a qu’à mettre à ces travaux des ouvriers du jour qui seraient remplacés avantageusement au jour par des jeunes filles et par des femmes.

    Je pose pour vous, mes camarades mineurs, cette question. Il faut peut-être encore changer quelque chose même dans nos mœurs ici dans notre bassin minier en ce qui concerne le travail des jeunes filles et des femmes.

    Vous savez qu’il y a une trentaine d’années, nos jeunes filles étaient servantes à Lille et à Paris parce qu’il fallait quand même aider un peu au ménage. Servantes à Lille et à Paris, c’était tout l’avenir. Puis on se mariait, et c’était fini.

    Par la suite, entre les deux guerres, en particulier dans les régions d’Hénin-Liétard, de Lens, elles allaient travailler dans les usines du textile de la région lilloise.

    Je dis qu’il faut, en même temps qu’on revalorise la condition du mineur, assurer les conditions du travail normal pour les filles et pour les femmes des mineurs.

    Je le dis aussi pour ceux qui ont des idées réactionnaires sur ces questions, pour ceux qui sont, par exemple, partisans de la théorie « les femmes au foyer ». Il n’y aura pas d’émancipation de la femme aussi longtemps qu’elle n’aura pas elle même obtenu sa propre émancipation.

    Mettre des jeunes filles et des femmes à une quantité de travaux au jour, à la surface, c’est permettre d’envoyer au fond ceux qui devraient s’y trouver.

    Maintenant, et pendant une période transitoire, pourquoi ne pas mettre au fond ceux qui ont été volontaires pour le travail en Allemagne ? Comment, ces messieurs, lorsque Hitler leur a dit : « Venez travailler chez moi », y sont allés et ils reviennent maintenant et veulent reprendre leur vie tranquille ? Allez travailler au fond ! Vous y serez maintenant, enfin, utiles au pays.

    Et puis, il y a les prisonniers allemands. D’une façon générale on peut et on doit occuper davantage les prisonniers, même en tenant compte que parfois il peut y avoir un rendement inférieur. A condition naturellement que l’on crée les conditions matérielles pour que ces prisonniers puissent produire.

    Il ne s’agit pas de donner aux prisonniers le salaire des ouvriers mineurs: non, il s’agit de leur donner les conditions de ravitaillement nécessaire, de leur assurer les conditions de couchage, d’hygiène qui leur permettent tous les matins d’aller travailler et non pas de rester dans les cantonnements.

    Il ne faut pas toujours nous amener ici des prisonniers officiers pour créer des camps militaires ; qu’on nous amène des prisonniers qui iront travailler ! Autrement, on ne sera pas long à nous dire:  » Mais le rendement a encore baissé ».

    Si nous avons 15.000 ou 20.000 prisonniers, cela ne nous fera que 10.000 à 15.000 journées et des demi-journées. On s’en prendra aux ouvriers mineurs du Nord et du Pas-de-Calais.

    Et voilà la première raison : baisse du personnel. Remède: donner de meilleurs salaires, faire en sorte que le courant revienne vers les mines, qu’elles soient comme auparavant un aimant, c’est à dire qu’elles attirent ceux qui n’ont pas peur du travail et qui veulent gagner de grosses journées : donner du travail à la surface aux jeunes filles et aux femmes pour libérer la main-d’ouvre.

    Mettre, dans les périodes transitoires, des volontaires du travail en Allemagne et occuper le plus grand nombre possible de prisonniers.

    La seconde cause de la baisse de la production, du rendement, c’est la déficience physiologique des mineurs. C’est vrai que cinq années d’oppression, cinq années de privations ont amené une fatigue extrême.

    C’est vrai que beaucoup de mineurs sont à la limite de leurs forces. Il arrive une heure où la machine humaine se détraque, s’affaisse, et c’est sans doute une des explications. Mais là encore, Martel a absolument raison, faut il ne pas répéter tous les matins aux mineurs : « Vous êtes usés, vous êtes usés ». Il faut apporter le remède efficace.

    Il ne faut pas dire dans les rapports : « Les mineurs ont droit à 37 litres de vin par mois » ; il faut dire : « Les mineurs ont reçu 37 litres de vin par mois ». Il ne faut pas dire : « Les mineurs ont droit à 2,750 kg de viande par mois » ; il faut dire : « Le mois dernier les mineurs ont effectivement touché 2,750 kg de viande ».

    Les rations ne doivent pas être sur le papier, mais dans la réalité : il faut de la viande, des matières grasses, de la bière, du vin, du café, des vêtements, des chaussures pour les mineurs.

    Je puis vous dire, chers camarades, je le sais assez, je connais assez l’opinion dans toute la France, je visite assez les différentes régions de notre pays : il n’est pas un ouvrier dans une autre profession, il n’est pas un paysan, il n’est pas un seul Français qui ne soit prêt à accepter qu’on prenne sur sa propre part de beurre, de viande, de bière, de café et de vin si on lui dit

    « Tout cela, c’est afin que les mineurs puissent donner du charbon ».

    Une troisième cause, c’est la médiocrité de notre appareillage aussi bien que l’outillage individuel. Nous avons un outillage fatigué, d’un modèle usé. Et ceux qui comparent le rendement individuel du mineur français à celui des mineurs d’autres pays devraient en tenir compte.

    Ainsi, il faut faire un gros effort. Il y a eu une progression de la mécanique. En 1914, 1,7 % du charbon en Russie était extrait par les procédés mécaniques ; en 1939, 95 %.

    Chez nous, on manque de machines à air comprimé, de marteaux piqueurs, de lampes, de tuyaux. L’introduction d’un outillage perfectionné aurait permis d’économiser la peine des ouvriers en permettant l’augmentation de la production. L’outillage, c’est une grave question, c’est un grave problème. J’y reviendrai d’ailleurs.

    En raison du manque de charbon, on travaille au ralenti ; en raison aussi d’un certain sabotage. C’est un cercle vicieux : pas de charbon pour les usines, les usines ne fabriquent pas d’outils pour les mineurs.

    Il faut ici, chers camarades, saluer le sacrifice de vos camarades de la métallurgie qui viennent de renoncer à leurs vacances payées pour vous fabriquer des marteaux piqueurs.

    Ce sont les mêmes camarades qui, l’hiver dernier, aux Forges et Ateliers de Meudon, manquant de courant électrique dans le jour, avaient demandé et obtenu de leur direction, de travailler la nuit par un froid rigoureux et sans supplément de salaire, pour pouvoir produire pour vous.

    Une quatrième cause, absolument certaine quoique sujette à la controverse : c’est une certaine forme de résistance à la production et de sabotage de la part de certaines directions, de quelques employés supérieurs, de quelques ingénieurs qui n’ont pas encore compris que tout de même quelque chose a changé dans notre pays.

    Ils demeurent plus ou moins dévoués à leurs anciens maîtres et gardent quand même l’espoir que ces anciens maîtres reviendront et reprendront tout en main.

    C’est la conséquence aussi d’une épuration insuffisante, quoique ayant été prolongée indéfiniment. C’est la conséquence d’un système de nationalisation encore imparfait. Il est imparfait en raison, par exemple, de ce versement inadmissible d’une indemnité considérable aux anciens exploitants.

    Car si nous admettons le dédommagement des petits actionnaires, nous ne pouvons admettre que l’on dédommage les barons de la mine, accusés de collaboration et qui doivent être frappés de confiscation de leurs biens comme tous les traîtres à la patrie.

    Un système imparfait aussi parce que les leviers de commande sont très souvent aux mains de personnes qui ont intérêt à faire échouer ce premier essai timide de la nationalisation. Des faits, chaque minute, chaque délégué mineur nous en apportent.

    D’une façon générale, c’est l’abandon parfois de veines à grand rendement, pour l’exploitation de veines plus dures à exploiter.

    A la fosse Barrois, l’une des plus importantes d’Aniche, on se prépare à exploiter la veine 21, qui présente deux sillons de charbon de 0 m 35 séparés par un banc de terre de 0 m 50. alors que la veine 22, pour une même ouverture de 1 m 20, n’offre que 10 à 15 cm de terre.

    Au puits Saint-René, on laisse un panneau de 5.000 t. Au grand moulin 112, on exploite une veine où 17 ouvriers font 30 balles par poste alors que pendant la guerre, dans la veine Laure, un ouvrier seul faisait 20 à 25 balles.

    Quel est, ici comme ailleurs, le prétexte ? On prétend qu’il est nécessaire de revenir à une exploitation normale. Ce serait très bien si nous étions en période normale. Et il est inadmissible qu’on ne tienne compte des règles qu’après le départ forcé des Allemands et lorsqu’il s’agit de travailler pour la France.

    Au 7 de l’Escarpelle, à Courcelles, on maintient 10 ouvriers dans une taille de 69 m complètement en cran, au lieu de les déplacer dans la taille au levant de la même veine.

    A Thivencelles, on exploite une veine de 90 cm dont 80 cm de terre. De 20 balles remontées au jour, il reste, après le triage, 50 kg de charbon.

    Et je pourrais continuer ainsi longtemps, ajouter à cela des méthodes défectueuses.

    A la fosse Barrois, le triage commence à 7 h 30, ce qui retarde la coupe, puis gêne l’après-midi pour la coupe à terre qui fonctionne mal. Le matin, les mineurs perdent des heures, d’où baisse de rendement.

    A propos de coupe à terre, pourquoi ne pas généraliser les 3 X 8 : deux postes au charbon, le troisième au remblai ?

    Dans les services du jour : fours à coke, traction, etc., même gabegie, même sabotage. Des wagons demeurent chargés alors qu’on en manque. Ou bien, ils restent sur des voies de garage, faute d’une réparation minime.

    On va me dire que ces faits ne sont pas probants ; il faut en discuter. Les ingénieurs, les agents de maîtrise doivent en discuter avec le comité du puits et porter éventuellement la chose devant les conférences, devant l’assemblée des mineurs, et dire : voilà dans quelles conditions nous nous trouvons, voilà ce que nous pouvons faire. Les mineurs donneront leur avis. Il y a encore des ingénieurs qui ont ce sentiment qu’eux seuls connaissent les conditions d’exploitation.

    Ce n’est pas nous qui allons diminuer le moins du monde la valeur de la science et de la technique, mais nous savons aussi qu’un petit grain de pratique ne gêne en rien. Nous savons que les avis des ouvriers peuvent bien souvent influencer d’une façon très favorable les décisions des ingénieurs.

    Je pense qu’en définitive la décision reste à l’ingénieur et qu’une décision doit être appliquée sur l’ordre de l’ingénieur, autrement il n’y a pas d’autorité possible, d’exploitation possible.

    Il y a d’autres raisons de la crise du charbon sur lesquelles je voudrais m’expliquer aussi ouvertement et aussi franchement.

    Ce sont celles qui tiennent à l’effort insuffisant des mineurs eux mêmes, à votre effort à vous.

    Aux dernières informations, pour la semaine du 2 au 8 juillet, on indique une légère baisse de la production. Je dois dire que cette baisse provient uniquement de la baisse dans le bassin du Nord et du Pas-de-Calais.

    Dans la même période, les camarades de la Loire ont battu leur record et ils dépassent les chiffres d’avant guerre. Ici nous sommes à la traîne dans le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais.

    C’est un fait bien regrettable que, dans nos bassins tout particulièrement, tous les mineurs ne soient pas encore parvenus à la conscience juste de la responsabilité qui pèse sur eux.

    Les mineurs ont des raisons de se plaindre. Il y a des causes de mécontentement, mais ce n’est pas une raison pour ralentir l’effort. Il faut au contraire le développer et briser tous les obstacles. Vous croyez que les camarades de la Loire sont contents quand on leur envoie comme directeur l’ancien directeur épuré des Mines de Dourges ?

    Ils ne sont pas contents non plus et vous croyez qu’ils ont dit pour cela : nous faisons la grève ?

    Non. Martel a eu raison tout à l’heure de stigmatiser de telles attitudes. Ils n’ont pas cédé au courant public de démagogie et de vaine popularité. Comme disait Staline, nous ne craignons pas les difficultés, nous sommes faits pour surmonter les difficultés et nous les surmonterons.

    Les mineurs doivent vaincre la réaction. Si les agents sabotent la production générale et la production du charbon afin d’empêcher la renaissance de l’économie nationale, c’est une raison suffisante pour qu’un ouvrier comprenant son devoir multiplie son effort de production. Il y a pas mal d’exemples de mineurs qui prétendent ne pas forcer à la production, ne pas pousser à la production et pas seulement parce qu’ils ont la crainte de voir baisser les prix à la tâche.

    Par exemple, dans un rapport, je vois : « Nous avons des conditions assez normales mais si nous dépassons, on va nous baisser les prix à la tâche ». Il y a aussi le fait que ces camarades eux mêmes parfois ont peur de toucher de grosses quinzaines ; allons, disons le mot ils ne veulent pas paraître des macas [= un très bon ouvrier, dans l’argot des mineurs], n’est ce pas ? Eh bien, ce n’est pas juste. Il y a tout de même un intérêt différent.

    Les macas, chers camarades, c’étaient ceux qui forçaient à la production pour le profit du patron au détriment de leurs frères, les ouvriers mineurs. Ils forçaient à la production pour faire baisser les prix à la tâche de leurs autres camarades.

    Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’être un maca, il s’agit de produire afin que nous puissions accomplir, poursuivre, développer l’oeuvre de libération libération, non plus seulement maintenant du joug allemand, mais libération de toutes les entreprises de réaction, de toutes les entreprises fascistes.

    Je veux d’ailleurs faire remarquer une chose, chers camarades, il y a des camarades qui disent: « Mais si je travaille davantage, je donne davantage aux actionnaires, puisqu’il reste des actionnaires ». C’est une erreur, chers camarades. Dans les conditions actuelles, mettez vous bien cela dans la tête, si vous avez peu produit, les actionnaires ont leurs 8 francs et si vous produisez beaucoup, ils ont quand même leurs 8 francs.

    Je dis cela parce que cela ne doit pas vous arrêter, étant donné que si vous sortez plus de charbon, cela ne signifie pas qu’il y a un franc de plus pour les actionnaires. Par conséquent, même de ce côté, il faut écarter l’argument démagogique de ceux qui disent : « Si je produis beaucoup, c’est pour les actionnaires ». Si vous produisez beaucoup, c’est seulement dans l’intérêt du pays, et c’est dans votre propre intérêt.

    Et puis, je veux revenir sur la question des absences. On parle, on donne beaucoup de raisons, de prétextes, à ce propos. Je dois vous dire, chers camarades, que je ne suis pas tout à fait convaincu des raisons qu’on donne pour justifier les absences.

    Quand on me dit, par exemple, qu’à Notre-Dame, ou dans certaines fosses de l’ancienne concession, on a payé jusqu’à 27, 28, 30 % d’absences, je dis que c’est un scandale, ce n’est pas possible, cela ne peut pas continuer.

    On s’absente trop facilement pour un oui ou pour un non et un mineur qui a le goût de son métier, sait très bien que tant d’absences entraîne une désorganisation complète du travail. Les camarades présents sont les premiers à en souffrir.

    L’absence est justifiée ou n’est pas justifiée. Au lieu de produire, on désorganise la production, on fait tort à ses camarades, et pour quelle raison ? Parfois pour un oui ou pour un non, pour une égratignure. Je dis que c’est un scandale.

    Je ne peux pas comprendre, par exemple, que des délégués à la Caisse de secours puissent donner des billets de malade sans journée de malade.

    « Si tu es malade, tu auras ta journée de malade, tu auras tous les soins. Mais si tu n’es pas malade, tu travailleras, et si tu ne veux pas travailler, tant pis ».

    Chers camarades, celui qui a le billet de malade sans journée de malade, il a aussi son ravitaillement ; il a aussi les litres de vin, il a aussi la viande ; il mange la part de ses camarades. Ce n’est pas possible, on ne peut pas continuer comme cela.

    Il faut avoir plus de conscience. Je vais vous dire, mes chers camarades, que dans le bassin de la Loire la même question s’est posée pendant l’hiver quand il y a eu tant de grippes, quand il y a eu tant de difficultés alimentaires.

    Le syndicat a réuni les délégués des Caisses de secours et leur a dit : « Épluchez les billets de malades et discutez avec les médecins » et on leur a dit : « Ces médecins, pour la plupart, ne sont pas vos amis. Ces médecins, ils donnent facilement les billets. Eux qui ont été longtemps les adversaires de la classe ouvrière, qui sont les ennemis des nationalisations, ils donnent facilement les billets de malade ; ils poussent à la désorganisation ».

    Il va y avoir des élections à la Caisse de secours. Le syndicat doit demander que ces questions soient posées largement et dire aux délégués des Caisses de secours que vous allez élire : « Il faut être intransigeant ; c’en est fini avec de telles méthodes, parce que c’est de l’anarchie, un encouragement à la paresse ».

    Voici un autre cas. On m’a signalé l’autre jour que dans un puits, le puits de l’Escarpelle, une quinzaine de jeunes gens, des galibots, ont demandé de partir à six heures pour aller au bal. Je dis que c’est inadmissible.

    Vous le savez bien, chers camarades, j’ai été jeune aussi. J’ai été aussi au bal et j’ai dansé, mais je n’ai jamais manqué un seul poste, à cause d’une fête ou d’un dimanche, jamais. D’ailleurs, il n’aurait pas fait bon à la maison. Il m’est arrivé de rentrer à la maison à cinq heures, de passer les loques et de partir.

    Je ne dis pas que la journée ait été très grosse, mais je n’ai pas manqué. Une fois, je l’ai raconté à mes camarades, j’avais 19 ans ; il m’est arrivé de travailler un lundi de ducasse [= une fête annuelle dans le Nord de la France et en Belgique, avec des processions, une kermesse, etc.] au poste de deux heures.

    Je n’ai pas pu changer, je n’ai pas pu obtenir autre chose. J’ai travaillé au poste de deux heures et puis, la journée finie, je me suis lavé et j’ai couru à nouveau danser. Mais j’ai fait mon poste.

    Chers camarades, ici je m’adresse aux jeunes et aux jeunes tout particulièrement. Il faut faire un effort. Je l’ai dit non seulement à cette assemblée, mais au Congrès de l’Union de la Jeunesse républicaine, à Paris. il faut surmonter la crise de la moralité qui sévit en général dans notre pays et qui atteint particulièrement notre jeunesse.

    J’ai dit aux jeunes : il faut avoir le goût de son ouvrage, parce qu’il faut trouver dans son travail la condition de sa propre élévation et de l’élévation générale ; les paresseux ne seront jamais de bons communistes, de bons révolutionnaires, jamais, jamais.

    Les mineurs courageux, ceux qui ne craignent pas la peine, ceux qui connaissent leur métier, ceux là ont toujours été les meilleurs de nos militants ouvriers, ils ont été les pionniers, les organisateurs de nos syndicats, les piliers de notre Parti.

    Ici, chers camarades, je le dis en toute responsabilité au nom du Comité central, au nom des décisions du Congrès du Parti, je le dis franchement : il est impossible d’approuver la moindre grève, surtout lorsqu’elle éclate, comme la semaine dernière, aux mines de Béthune, en dehors du syndicat et contre le syndicat.

    On a pris des sanctions. Sur quatre porions [= agents de maîtrise], on en a réintégré deux, en les rétrogradant d’ailleurs.

    L’un de ces rétrogradés a été placé comme surveillant dans une taille avec des Allemands. Ce n’est pas si mal. On lui reprochait seulement d’avoir poussé au « carton » pendant l’occupation. « Eh bien ! va pousser maintenant les Allemands à faire du carton ». Ce n’est pas si mal, chers camarades.

    On peut ne pas être satisfait de cette décision, on peut ne pas être content, mais on n’a pas le droit d’en empêcher l’application. Je le dis tout net : si nous n’appliquons pas les décisions de notre propre syndicat – je suis toujours un syndiqué du syndicat minier du Pas-de-Calais – nous allons à l’anarchie, nous faciliterons les provocations contre les mineurs, contre la classe ouvrière et contre la République.

    Eh bien ! quelques camarades s’insurgent, ils déclenchent la grève au n° 2 et dans toute la concession, si bien que nous avons perdu 30.000 tonnes de charbon au moins, en une période où le pays a besoin de la moindre gaillette [= gros morceau de charbon], à l’heure où nous fermons des usines, à l’heure où dans la région parisienne, on arrête des entreprises faute de charbon, et ces ouvriers, dont on arrête les usines, apprennent que dans un des trous essentiels du bassin minier du Pas-de-Calais, on fait grève parce que le nez du porion [= agent de maîtrise] ne revient pas à un délégué.

    C’est un scandale. c’est une honte, c’est une faute très grave contre le syndicat et l’intérêt des mineurs.

    Des sanctions ont été prises, peut-être pas dans les formes où elles devaient l’être contre le délégué mineur et son suppléant. qui avaient couru les autres puits pour déclencher la grève. Je dis ouvertement que le mal, ce n’est pas la sanction ; le mal, c’est que des communistes et des militants du syndicat des mineurs se soient exposés à de telles sanctions.

    Et, sous prétexte que l’on a sanctionné le délégué mineur, on recommence la grève jusqu’à jeudi soir, et on a eu de la peine hier à faire reprendre le travail, bien que le ministre de la Production ait rapporté la sanction prise par le commissaire régional. Ce n’est pas ainsi qu’on travaille pour le pays.

    On ne peut pas épurer pendant 107 ans. On ne peut pas, pendant des mois et des mois, avoir des porions [= agents de maîtrise] qui sont payés en restant chez eux et entretenant l’agitation.

    Et puis, entre nous, sérieusement parlant, les porions, quand ils n’ont pas été des chiens, se révélant comme de vrais collaborateurs, ne sont pas les plus mauvais ; ce ne sont pas eux les principaux responsables.

    Ce ne sont pas même les ingénieurs, c’est encore plus haut qu’il faut frapper. C’est pourquoi nous demandons de véritables nationalisations et la confiscation des biens des traîtres.

    Il y a mieux ou pire. Voilà les agents de maîtrise et les employés des mines de Bruay qui décident de faire la grève. Vous voyez d’une part une exigence d’épuration contre les porions, contre les agents de maîtrise et d’autre part la grève pour soutenir les revendications des porions et des agents de maîtrise.

    Chers camarades, alors on veut à chaque fois faire la grève, pour épurer ou pour soutenir. On pourrait au fond en définir le seul but : faire la grève pourvu qu’il y ait un prétexte. On fera la grève, cela fait plaisir au porion. Ce n’est pas sérieux.

    Je voudrais attirer votre attention sur ce point, sur ces agents de maîtrise et employés qui se sont pris d’un tel zèle pour la grève. Je n’ai pas vu beaucoup de porions faire la grève en 1920, ni en 1922, 1923, ni en 1931, ni même en 1936 et moins encore en 1941.

    Comment, je le dis sans acrimonie, voilà des hommes qui, par tradition, étaient des briseurs de grève, allaient travailler sous la protection des gardes mobiles, pendant l’occupation de l’armée allemande, et les voici maintenant qui, tout feu tout flamme, veulent faire la grève et entraîner les autres à la faire ?

    Il y a des mineurs qui n’auraient pas assez de bon sens pour comprendre qu’on veut les tirer par le bout du nez et les conduire à tout prix dans une aventure.

    Je vous fais juges : vous verrez combien de journaux de Paris parleront des conseils que je viens de vous donner pour la production. Il n’y en aura pas, sauf l’Humanité . Mais faites une grève d’une demi heure, dans la plus petite fosse, à 10 ouvriers, tous les journaux de Paris, avec un grand titre, en parleront.

    L’autre tour, on m’a parlé d’une grève possible des mécaniciens d’extraction. J’ai beaucoup de sympathie pour la mécanique d’extraction. C’est vraiment un travail qui comporte une lourde responsabilité, et on trouve chez les mécaniciens d’extraction une grande conscience professionnelle.

    Je pense qu’il faut leur assurer les meilleures conditions de salaire et de travail. Mais là encore, pas par la grève. Comment, vous êtes deux et parce qu’à deux vous avez décidé de faire la grève, vous allez empêcher mille ouvriers de travailler ? Ce n’est pas possible, voyons, il faut être plus sérieux.

    Ici encore, on emploie les mêmes méthodes. On essaie par tous les moyens, chers camarades, de pousser et de profiter.

    Je voudrais vous faire comprendre, je voudrais que ce que nous pensons au Comité central puisse passer dans la tête, dans le cour de chacun de vous ici, militants communistes, secrétaires des organisations, délégués mineurs, délégués les plus responsables ; chez vous d’abord, puis chez tous les mineurs communistes, chez tous les syndiqués, chez tous les mineurs, que produire, produire et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français.

    Hier, l’arme, c’était le sabotage, mais aujourd’hui l’arme du mineur, c’est produire pour faire échec au mouvement de réaction, pour manifester sa solidarité de classe envers les ouvriers des autres corporations. Le travail, la production sont subordonnés à l’effort des mineurs.

    Pour préserver et pour renforcer l’union de la classe ouvrière avec les travailleurs des classes moyennes, avec les masses paysannes, pour assurer la vie du pays, pour permettre la reconstruction économique, pour permettre la renaissance morale et culturelle de la France, chers camarades, au nom du Comité central, au nom du Parti, au nom de tous les travailleurs, je vous dis : « Toute la France a les yeux fixés sur vous ; toute la France attend des mineurs, et tout particulièrement des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais, un nouvel et grand effort ».

    Songez que la situation est difficile et demeurera difficile encore longtemps.

    Songez que nous allons connaître un hiver qui sera sans doute plus rude que l’hiver précédent, que les usines seront fermées, que les femmes et les enfants auront froid pour le sixième hiver et, dans ces conditions, la moindre défaillance de votre part nourrirait toutes les campagnes des ennemis du pays contre vous, contre toute la masse ouvrière.

    Avec le même héroïsme dont vous avez fait preuve sous l’occupation dans la bataille contre l’occupant, il faut vous dépenser pour la production. Je suis sûr que nous gagnerons la bataille de la production comme nous avons gagné la bataille contre l’occupant.

    Électrification. – On peut faire passer de 10 à 50 milliards de kilowatts notre production électrique, jusqu’à la fin de 1947, il nous serait possible de disposer de 7 milliards de kilowatts en plus. Dans un autre ordre d’idées, la seule électrification des chemins de fer économisant 10 millions de tonnes de houille, permettrait de rallumer nos hauts fourneaux.

    Nous en avons 12 en activité sur 207 . Il y a quelques semaines, deux viennent encore de s’éteindre dans la Sambre. Alors que nous avons du fer, alors que nous pourrions en avoir encore, on nous dit : il nous faut le coke de la Ruhr, le coke de la Sarre.

    Mais de 1914 à 1918, quand ces deux bassins se trouvaient aux mains des Allemands, avions nous le coke de la Sarre, le coke de la Ruhr ? On pourrait échanger avec la Belgique du coke contre du fer, on pourrait surtout produire davantage chez nous. Ici aussi il y a un sabotage systématique.

    Toute notre industrie mécanique est à réorganiser. Nous avons l’outillage le plus désuet et n’avons que 550.000 machines outils.

    Les Anglais et les Américains ont un matériel beaucoup plus perfectionné. Imaginez ce que va être la concurrence si nous ne parvenons pas rapidement à importer quelques dizaines de milliers de machines outils perfectionnées et à en construire nous même.

    Où irons nous ? Les patrons ont réussi jusqu’ici à empêcher qu’on introduise de nouvelles machines. Ils craignent la concurrence; ils sont routiniers, et il faut dire aussi à leur décharge que l’Administration des Finances ne les encourage pas ; elle ne veut pas leur dire à quelles conditions ils pourront ensuite s’acquitter.

    Et je ne parle pas des actes de sabotage avérés ; refus de 10 camions chez Genève, à Ivry, parce que la peinture n’avait pas la couleur voulue.

    Refus de camions chez Paquette, à Bagnolet, parce que les caisses étaient en peuplier, alors qu’elles étaient prévues en sapin.

    Dans les chemins de fer, c’est un millier de wagons immobilisés à Sotteville.

    A Jarville, 25 wagons de bauxite sont restés à quai d’août 1944 à mars 1945.

    A l’origine de tous ces sabotages, on retrouve tout jours les Comités d’organisation.

    En résumé, d’abord travailler. Je répète : avoir à l’esprit toujours cette pensée, et pour produire appliquer le programme du Congrès national de la Résistance : liquider Vichy, complètement, les institutions de Vichy, l’esprit de Vichy, les Comités d’organisation de Vichy qui subsistent encore sous l’appellation d’ « Offices professionnels » ; épurer, châtier les traîtres, confisquer leurs biens et procéder aux véritables nationalisations réclamées dans le manifeste du Parti communiste et du Parti socialiste, avec une participation plus grande des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers ; l’administration des entreprises disposant d’une plus large autonomie dans leur exploitation, dans leurs possibilités commerciales et financières.

    LE RENOUVELLEMENT DE LA DÉMOCRATIE

    N’est il pas vrai, chers camarades, que nous avons des raisons d’être inquiets ? N’est il pas vrai que jusqu’ici notre République n’en a que le nom ? Nous vivons sous un régime provisoire qui se prolonge.

    Après les élections municipales, on pouvait croire qu’il y aurait quelques changements, le peuple avait signifié clairement sa volonté. Le peuple tout entier, hommes et femmes, avait voté pour la Résistance, pour la démocratie.

    Nous, communistes, nous avons toujours fait confiance aux femmes. Nous avions pensé que, dans l’ordre général, il se pourrait que les femmes votent mieux que les hommes.

    Nous ne nous sommes pas trompés. Les résultats du vote en France signifiaient que le peuple demandait qu’on en revînt à la démocratie ; eh bien ! rien n’a changé, et même la situation s’est plutôt aggravée.

    Par exemple dans l’armée : au lieu de se hâter d’organiser une véritable armée républicaine par l’amalgame de nos divisions réorganisées en Afrique et de toutes nos Forces françaises de l’Intérieur, nos bataillons innombrables de Francs-Tireurs et Partisans, on chasse les officiers FFI, on les écarte alors qu’on maintient aux postes les plus éminents des pétainistes notoires.

    Notre Xe Congrès a réclamé une Assemblée constituante souveraine. On nous propose un double vote :

    un référendum d’une part, et d’autre part, un vote pour des hommes dont on ne saura pas ce qu’ils sont au moment où nous voterons : des élus à une Chambre des Députés ou des élus à une Assemblée constituante qui pourrait être, dans un cas, vraiment souveraine et, dans un autre cas, simplement une prolongation de l’actuelle Assemblée consultative dont on demande les conseils pour ne jamais les suivre.

    On nous propose de choisir entre la Constitution de 1875 qui est morte et bien morte et qu’on ne ressuscitera pas, et la prolongation des méthodes de pouvoir personnel.

    Fait plus grave, chers camarades, le chef du gouvernement engage son autorité, dans un grand discours où il ne craint pas de dire qu’une Assemblée unique, ce serait la dictature. Comment peut on assimiler une assemblée élue par le peuple à une dictature ?

    Si le chef du gouvernement a une telle notion de la démocratie, comment voulez vous que nous ne puissions pas dire que c’est là l’expression de la crainte du peuple, la crainte devant les forces nouvelles ; et comment ne serions nous pas d’accord avec nos camarades de L’Aube lorsqu’ils disent que le référendum qu’on nous propose, c’est une tentative pure et simple d’escamotage de la Constituante souveraine ?

    Nous sommes d’accord. Le Parti communiste n’accepte pas ces escamotages et les ministres communistes les ont combattus. Nous voulons que les choses soient claires. Les communistes disent ce qu’ils font et font ce qu’ils disent.

    Devant ces faits, le CNR. et les États-généraux unanimes décidèrent d’imprimer un bulletin de vote exigeant une Assemblée constituante souveraine et voilà que ce même jour, le 13 juillet, on a donné de nouvelles explications entortillées disant qu’une troisième réponse pourrait être ajoutée. On pourrait répondre oui oui, non non. Imaginez une telle façon de voter.

    Tout cela est fait pour diviser les républicains. Le oui-oui, non non, c’est pour appeler à se diviser ceux des républicains qui pensent qu’il ne faudrait qu’une seule Chambre et ceux des républicains qui pensent qu’il faudrait deux Chambres.

    L’essentiel pour les républicains, c’est que le gouvernement soit sous le contrôle des élus de la nation. Tous sont unis sur ce point, ainsi qu’en témoigne le vote unanime de la question préalable à la Commission de l’Assemblée consultative.

    L’UNION NÉCESSAIRE

    Ici également, il importe de déjouer les manœuvres de division, telles celle tentée par cette « majorité » du Mouvement de Libération Nationale qui prétend unir tout en jetant l’exclusive contre les radicaux et contre les communistes.

    Et maintenant, elle exclut du M.L.N. les représentants de la « minorité », c’est à dire qu’en fait elle crée la scission.

    Cela n’est pas surprenant si l’on songe que M. Frenay, l’ami de Pucheu, siège à la majorité du M.L.N.

    L’union de tous les républicains, c’est d’abord l’unité de la classe ouvrière. Il faut dire partout, dans tout le pays, dans les réunions intérieures de notre Parti, il faut dire aux camarades socialistes : il est impossible que nous recommencions comme avant la guerre à nous quereller, à nous chamailler, à nous disputer et à nous battre au profit de la réaction.

    N’est il pas vrai qu’il y a vingt cinq années, à Lens, à Hénin et en quelques autres localités, nous ne nous disputions pas seulement, nous nous battions avec nos camarades socialistes ? Il y avait des divergences.

    Ce n’était pas seulement des petites querelles de tempérament et de caractère, mais il y avait des divergences sérieuses. La vie a aplani ces divergences. Nous ne pouvons pas revenir à cela.

    Je pourrais raconter comment j’ai été jeté en bas d’un mur, à Béthune, à coups de perche par les socialistes. Nous allions à une manifestation. J’y allais pour porter la contradiction à Dumoulin et à quelques autres, tous du même acabit, et puis je repris le train le soir à Béthune.

    Sur le quai de la gare de Béthune, un vieux camarade, un réformiste, j’ai toujours conservé cette scène dans mon esprit, est venu vers moi.

    C’était un jeune homme alors : il me dit: « Alors tu es content, tu t’en vas toucher tes sous ? » Comprenez, chers camarades, vous riez, moi je ne riais pas, je vous assure.

    Vous comprenez que ce militant socialiste avait la conviction honnête et sincère que nous faisions, pour le compte des compagnies, une politique de division de la classe ouvrière.

    J’ai discuté avec lui : « Vous dites des bêtises : d’abord vous me connaissez mal ; vous pourriez vous informer, vous pourriez savoir qui je suis, qui est mon père, qui est mon grand père. Vous auriez su que je suis d’une famille de militants syndiqués ».

    J’ai commencé à discuter avec lui, mais au point de départ, l’accrochage avait été un peu rude. Cela m’est toujours resté dans l’esprit, et vous savez bien, camarades du Pas-de-Calais, du Nord, vous savez bien ici dans cette région, que j’ai toujours bataillé pour l’unité.

    Je savais qu’il y avait, chez les socialistes, des dirigeants qui ne valaient pas cher, mais ce que je savais aussi, c’est qu’il y avait de bons ouvriers que nous devions gagner. Si on recrute des militaires dans le civil, il faut bien que nous allions recruter quelque part ceux qui sont dans notre Parti. Nous sommes 900.000 ; il faut bien qu’ils viennent de quelque part. Nous avons gagné les socialistes.

    Les ouvriers socialistes, comme les communistes, veulent l’unité ; ils comprennent quelle force ce serait si nous parvenions à l’unité. Quel avenir lumineux s’ouvrirait pour la classe ouvrière et pour notre pays.

    Regardez déjà aux élections municipales, quel succès ? A une Assemblée nationale constituante, si nous étions unis dans un seul parti, je vous assure que nous ne serions pas loin d’être la majorité.

    Je ne peux pas comprendre qu’on puisse se refuser à travailler à un tel avenir pour la classe ouvrière.

    Notre Parti a élaboré un projet de charte, sur la base des principes du socialisme de Marx et d’Engels, enrichi par Lénine et Staline.

    Ensemble, socialistes et communistes, nous discuterons et nous déciderons des principes, des méthodes, des cormes d’organisation du Parti ouvrier français.

    Certains objectent le climat. Le climat n’y serait pas. Chers camarades, je vous demande si le climat n’y est pas, après les épreuves de la guerre, après que tant de socialistes se sont battus au coude à coude avec les communistes contre l’ennemi commun !

    Quand nous avons tant de héros qui sont tombés côte à côte, quand le sang a été versé en commun, si les conditions ne sont pas réunies, nous n’aurons jamais l’unité.

    Ce n’est pas vrai. Ceux qui disent que le climat n’y est pas, ce sont ceux qui sont contre l’unité et qui n’osent pas le dire, qui entortillent tous leurs raisonnements afin de s’opposer à l’unité. En tout cas, que faut il faire ?

    Puisqu’on nous dit qu’il faut d’abord préserver l’unité d’action, eh bien ! il faut accepter les propositions que notre camarade Jacques Duclos a formulées à notre Xe Congrès : il faut dire que le Comité directeur du Parti socialiste et le Comité central du Parti communiste tiendront des séances en commun, que leurs bureaux politiques se réuniront en commun ; nous mettrons en commun tous nos efforts.

    Nos camarades socialistes écriront dans l’Humanité et nous écrirons dans Le Populaire. Nous offrirons les colonnes de Liberté et nous écrirons dans leurs journaux. Ainsi nous préparerons le meilleur climat s’il faut préparer le climat.

    De nombreux camarades socialistes approuvent nos propositions à Paris et en province, dans la Seine, la Somme, les Côtes-du-Nord, les congrès fédéraux du Parti socialiste se prononcent pour l’unité organique.

    LE PARTI

    Et maintenant, très rapidement, la troisième partie il s’agit des questions intérieures du Parti.

    1° Nous avons toujours été fidèles à la cause du peuple. Nous sommes restés constamment à la pointe du combat contre le complot hitlérien, ayant une politique résolument nationale, résolument française.

    2° Nous avons toujours défendu avec acharnement les intérêts des travailleurs, les intérêts des malheureux. Nos élus dans les municipalités, dans toutes les assemblées, nos camarades dans les syndicats, dans les grandes organisations, les coopératives, ont travaillé au mieux des intérêts de leurs camarades. Nous avons été le parti de la protection de l’enfance, du soutien de la famille. de la retraite pour les vieux.

    3° Nous avons toujours servi avec passion la cause de l’unité, unité de la classe ouvrière, unité entre Français.

    4° Nous avons toujours été fidèles à notre idéal communiste, aux principes du marxisme léninisme.

    5° Dans la bataille, nous n’avons jamais renoncé et jamais reculé devant tous les sacrifices imposés. Des milliers des nôtres sont tombés : membres du Comité central dont on rappelait tout à l’heure les noms, militants de cette région du Nord : les frères Martel, Hentgès, Froissard, les frères Camphin, nos délégués mineurs comme Noël, et tous les autres.

    Nous sommes devenus un grand parti, un parti de gouvernement, un parti qui a des militants dans les hautes administrations, un parti dont la voix est entendue dans tout le pays, qui est écoutée, dont on suit les indications, les conseils.

    Noblesse oblige ; nous devons être fidèles à nos morts. Nous devons être dignes de la confiance que nous accorde la classe ouvrière, que nous accorde le peuple.

    Il faut éduquer nos ouvriers, leur apprendre l’histoire du Parti, leur apprendre les enseignements de notre parti, leur montrer qu’il faut savoir être fier et intransigeant en matière de principes, leur apprendre que nous avons forgé notre Parti dans une bataille de vingt-cinq années, une bataille intransigeante contre toutes les déviations opportunistes et sectaires.

    Vous vous en souvenez, camarades du Nord et du Pas-de-Calais, des batailles que nous avons menées ici même à Douai, il y a de cela une vingtaine d’années, quand nous avons battu les tendances opportunistes, et dans le Pas-de-Calais, quand nous nous sommes battus contre l’élément sectaire et opportuniste. Nous avons développé la lutte contre les sectaires qui voulaient étouffer notre Parti.

    Les communistes doivent avoir la possibilité d’émettre librement leurs opinions dans le Parti, discuter de tous les problèmes du Parti. Il va de soi qu’une fois la discussion terminée, la décision prise, tout le monde doit appliquer la décision, majorité comme minorité.

    Par exemple, où en serions nous si nous avions permis à Doriot de développer dans le Parti des opinions opportunistes ? Est ce que notre Parti aurait pu accomplir sa tâche à la tête des masses si nous avions laissé gangrener notre Parti ? Luttons donc contre les éléments de provocation qui se sont glissés dans notre Parti.

    Dans le domaine de l’organisation, il faut prêter une grande attention au travail des cellules et des sections.

    Moins de paperasse et de bavardages inutiles. Il faut prendre des décisions et veiller à leur application; aider les secrétaires de cellule. Peut-être est il nécessaire de décentraliser.

    Il y a encore des camarades qui disent que nous manquons de cadres. Si nous manquons de cadres maintenant, qu’aurions nous dit, il y a quinze ans ?

    Les camarades qui disent cela sont des camarades qui travaillent mal ; ce sont des camarades qui ne découvrent pas toutes les richesses qui sont autour de nous dans le Parti et dans la classe ouvrière, qui ne voient pas toute cette jeunesse.

    Il faut faire confiance aux jeunes, il faut faire confiance aux femmes, il faut faire confiance aux vieux camarades expérimentés. L’enthousiasme des jeunes, l’expérience des vieux, voilà de quoi faire un bon mélange et même un mélange étonnant qui pourrait, dans tout le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, nous conduire à une meilleure production charbonnière si tous nos militants s’y attachent.

    Il est vrai aussi que parfois les camarades se considèrent arrivés quand ils sont délégués mineurs, ou maires, adjoints ou directeurs de coopérative, ou secrétaires d’une grande section. Eh bien, non, chers camarades. Il ne s’agit pas de se laisser tourner la tête, il ne s’agit pas d’avoir le vertige du succès.

    Plus nous avançons, et plus nous avons de responsabilités, et plus la tâche devient difficile, et plus il faut être attentif.

    Les camarades qui ne sont pas attentifs, ceux qui se laissent peu à peu absorber par le train train, qui oublient, qui perdent de vue le combat nécessaire de tous les instants, ceux là commettent des erreurs, commettent des fautes.

    Il faut savoir faire notre mea culpa, reconnaître qu’on a commis une faute. Lorsqu’on s’est trompé, il faut le reconnaître.

    La grande tâche pour les organisateurs communistes du Pas-de-Calais, c’est d’aller dans toutes les concessions de Béthune, il faut aller à Béthune, il faut réunir toutes les sections communistes, discuter avec chaque camarade, et amener les délégués mineurs à reconnaître qu’ils ont commis une grande erreur, qu’ils doivent comprendre cette erreur et qu’ils ne doivent plus recommencer cette faute.

    Chers camarades, je vous le dis : dans notre Parti, il n’en sera pas comme dans d’autres partis, nous avons trop le souci de nos responsabilités pour permettre que chacun fasse ce qui lui plaît. Nous exigerons de chaque camarade le respect des décisions du Xe Congrès du Parti, et le Xe Congrès du Parti a dit : « Il faut produire ».

    C’est à la volonté qu’ils mettront pour produire que nous jugerons nos militants dans le Nord et le Pas-de-Calais.

    Ce Congrès a élu, en conclusion de ses travaux, un Comité central. Nous avons réélu 29 camarades ; un est mort, malheureusement. Parmi ces 28 camarades, ici chez nous, nous avons Ramette, nous avons Martel, nous avons Bonte, du Nord.

    Nous avons Tournemaine, du Nord, de Somain ; peut-être aussi un petit peu moi et puis nous avons 41 nouveaux camarades, des anciens chefs des FTP, des militants, des ouvriers, de grands intellectuels, et des femmes qui ont donné les preuves de leur capacité, de leur courage, de leur fermeté dans l’action clandestine. Nous avons élu au Comité central.

    Lecoeur, le maire de Lens ; Camphin, l’ancien secrétaire du Pas-de-Calais (colonel Baudouin) ; Lallemand, le secrétaire fédéral du Nord ; Grenier, député de Saint Denis, ancien secrétaire de la section d’Halluin ; Jeannette Vermeersch, ouvrière du textile, dirigeante du Mouvement des femmes. Et nous avons élu à la Commission de contrôle notre camarade Calonne, le dirigeant de l’organisation de la grande grève de mai 1941.

    Tout le Parti, avec son Comité central, fera l’effort, – n’est il pas vrai, chers camarades ? – pour produire, pour assurer la renaissance économique, politique, culturelle de notre pays.

    Nous lutterons pour obtenir une Constituante souveraine et un élargissement de la démocratie.

    Nous lutterons pour constituer un grand Parti ouvrier français.

    J’ai la conviction, la certitude absolue que les mineurs communistes du Nord et du Pas-de-Calais seront au premier rang dans cette bataille pour faire une France nouvelle, une France libre, forte et heureuse.

    =>Retour au dossier sur Le Parti Communiste Français au gouvernement avec la bataille du charbon

  • L’ambiguïté du PCF sur le plan Marshall en 1947

    Léon Blum avait compris que le projet de Maurice Thorez n’était pas cohérent, puisque le Parti Communiste Français avait un pied dans le système et un pied en-dehors. D’un côté, il se voulait totalement républicain, hyperactif au service de l’économie, partie prenant des institutions. De l’autre, il prétendait vouloir une transformation générale.

    En se moquant de la rectification de Maurice Thorez, Léon Blum tapait dans le mille.

    Cette rectification s’était produite durant le congrès lui-même, en l’occurrence le 26 juin 1947, soit le deuxième jour.

    Cette rectification, au-delà de son contenu, est ignoble. Maurice Thorez, devant tous les congressistes, agresse ses camarades, les dénonce.

    Tout cela, qui plus est, pour justifier une savant ambiguïté, puisqu’il cherche à tout prix à ne pas dénoncer le plan Marshall, afin encore et toujours d’aller dans le sens de la légitimité nationale-républicaine.

    « Chers camarades. Vous savez qu’il n’est pas dans nos habitudes d’apporter des rectifications à tout ce que l’on peut dire sur notre Parti dans la presse adverse.

    Mais il s’est glissé ce matin une telle formule dans toute la presse française et étrangère qu’elle nous oblige à faire une déclaration très nette.

    Toute la presse reproduit une expression qui n’a pas été prononcé ici, que personne de vous n’a entendue, à savoir que l’on aurait dénoncé le plan Marshall comme un piège occidental.

    En militants responsables, nous avons l’habitude de peser ce que nous disons et de ne parler qu’avec beaucoup de prudence sur les problèmes de la politique extérieure qui intéressent l’avenir de notre pays.

    Je répète que nous sentons trop notre responsabilité pour créer des difficultés entre les alliés et faire quoi que ce soit qui puise gêner l’entente nécessaire entre alliés et en définitive le relèvement de notre pays. Voici donc ce que j’ai dit hier :

    « Le plan dont on parle ces jours-ci nous semble comporter de graves inconvénients.

    Tel quel, il aboutirait en fait à liquider les réparations et à mettre l’Allemagne sur le même plan que la France et les autres pays victimes de l’agression hitlérienne.

    Certains réactionnaires enragés voulaient déjà voir dans ce plan comme une machine de guerre contre l’Union Soviétique, comme l’amorce d’un bloc occidental qui couperait l’Europe et le monde en deux.

    La venue à Paris de Molotov sur l’invitation des ministres des Affaires étrangères français et anglais porte un coup aux espoirs des pêcheurs en eau trouble. »

    Voilà ce que j’ai dit. Tout autre expression ou interprétation ne peut être considérée que comme un coup dirigé à la fois contre l’unité de notre peuple et contre l’unité nécessaire entre les grands alliés.

    J’ajoute, parce que nous nous devons d’être loyaux, que les journalistes ne sont nullement responsables pour la formule incriminée.

    L’interprétation qu’ils en font est autre chose. Malheureusement, l’expression leur a été livrée dans un résumé qui a été préparé pur nos services de presse.

    Des militants responsables, au lieu de reproduire simplement ce que nous disons, croient devoir interpréter et ont commis cette faute très grave que j’avais le devoir de rectifier devant le Congrès.

    Je suis convaincu que nous pouvons compter sur la courtoisie et la bonne foi des journalistes présents à notre congrès, pour apporter partout les rectifications nécessaires. »

    C’est lamentable et, bien entendu, encore plus quand on sait que justement sur exigence révolutionnaire de la part de l’URSS, le Parti Communiste Français va être amené à combattre le plan Marshall et les initiatives américaines en France.

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  • Le PCF en 1947 : la ligne de la rectification

    Voici les extraits significatifs du rapport de Maurice Thorez au 11e congrès de juin 1947. Ils ont été choisis par les Cahiers du Communisme, qui a pris le relais des Cahiers du Bolchevisme pour la formation des cadres.

    Depuis le thème de la crise générale du capitalisme et la valorisation de l’idéologie jusqu’à la dénonciation de l’impérialisme américain en passant par la dénonciation des socialistes comme agent de celui-ci, on est très clairement sur le terrain du Kominform qui ne se formera que quelques mois après.

    C’est une modification complète de la ligne du Parti Communiste Français, et même de mise en perspective. Pendant plusieurs années, le Parti Communiste va changer son expression, il va réellement tendre vers l’idéologie de l’URSS, vers le matérialisme dialectique.

    De 1947 à 1953, le Parti Communiste assume l’affirmation d’une vision complète du monde, ce qu’il n’avait jamais fait, sauf au moment de l’arrivée juste avant l’interdiction de la traduction, massivement diffusée, du Précis d’histoire du Parti Communiste d’Union Soviétique (bolchevik).

    Tout cela a un prix, pourtant. Le Parti Communiste Français revendique, en même temps, son entière autonomie historique.

    On ne parle pas que des décisions politiques, on parle de la définition même du socialisme et du communisme.

    Le Parti Communiste Français revendique non seulement une voie française particulière au socialisme, ce qui est cohérent, il revendique également une nature historique différente pour la France.

    Il n’y a pas une idéologie universelle et une application nationale, il y a une application universelle et une idéologie nationale.

    Pour le Parti Communiste Français, en 1947, c’est officialisé : le socialisme en France est un socialisme français, mais également un socialisme à la française.

    On comprend tout à fait que le Parti Communiste Français ait pu se maintenir après 1989 et l’effondrement de l’URSS. Il a établi une idéologie qui lui est propre, de type national-républicaine.

    « I

    CAUSES ET CARACTÈRES DE LA IIe GUERRE MONDIALE

    Ce passage est extrait du chapitre « Le Combat pour l’organisation de la paix » où Maurice Thorez montre les origines de la deuxième guerre mondiale.

    La seconde guerre mondiale a éclaté comme résultat de l’approfondissement de la crise générale du capitalisme et de la rupture d’équilibre qui est apparue entre les principaux pays capitalistes.

    En janvier 1936, à Villeurbanne, nous analysions la situation internationale dans les termes suivants :

    « Deux groupes d’États coexistent dans le monde capitaliste. Ceux qui, bénéficiaires du statut de 1919, veulent le conserver et pour qui la guerre présente plus d’inconvénients que d’avantages ; ceux qui désirent bousculer par la violence des armes l’ordre de 1919.

    A l’intérieur du premier groupe, des cercles d’industriels de guerre et de militaristes défendent une politique de complaisance ou de complicité à l’égard des projets des puissances fascistes (…).

    Les trois puissances intéressées à un nouveau partage du monde (Allemagne, Italie, Japon) s’associent de plus en plus étroitement entre elles.

    L’entreprise italienne en Afrique (il s’agissait de la guerre contre l’Éthiopie) doit être considérée comme la première étape du conflit armé auquel ait abouti la lutte menée par les puissances impérialistes les plus agressives pour le bouleversement à coups de canon de la carte de l’Europe et de l’Asie (Une politique de grandeur française). »

    La méthode marxiste, la connaissance de la loi léniniste sur le développement inégal des pays capitalistes dam la période impérialiste, nous permettaient de souligner :

    1° la cause fondamentale de la guerre— qui approchait — dans le système capitaliste lui même, selon la belle image de Jaurès: « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ».

    2° la cause immédiate dans l’agressivité des États fascistes qui cherchaient à établir leur hégémonie sur le monde, à détruire dans tous les pays comme chez eux les derniers vestiges de la démocratie, à courber tous les peuples sous le joug du fascisme sanglant.

    3° l’appui direct apporté aux agresseurs fascistes par toute la réaction internationale, pratiquant à l’égard de l’Allemagne hitlérienne et de ses associés une politique de complaisance et de complicité qui devait, après notre congrès de Villeurbanne, trouver son expression dans la non-intervention, la capitulation de Munich et la drôle de guerre.

    La réaction internationale soutenait le fascisme. Chez nous, les gens de droite disaient « Plutôt Hitler que le Front Populaire ».

    Les peuples combattaient pour la liberté, contre la réaction et contre le fascisme.

    La guerre, survenue dans ces conditions, revêtit pour les peuples le caractère d’une guerre juste, d’une guerre antifasciste.

    Le crime des Munichois fut de rompre, un moment, au profit de Hitler, le front des démocraties et de dénaturer, pendant la drôle de guerre, par leur agression criminelle contre la classe ouvrière et son Parti Communiste, le caractère de la guerre.

    II

    L’EXPANSIONNISME AMÉRICAIN

    Le chapitre consacré à l’expansionnisme américain est l’occasion pour notre Secrétaire général de rappeler les caractéristiques de l’impérialisme.

    Contrastant avec l’appauvrissement général des pays européens dévasta, les États-Unis (et le Canada) sont sortis de la guerre plus riches encore.

    La guerre mondiale, les besoins des armées, la demande illimitée de marchandises, ont rendu possible le plein emploi des forces productives qui n’étaient que partiellement utilisées jusque-là.

    L’appareil de production s’est encore développé ; la productivité s’est accrue de 20 %.

    La production générale, qui était de 89 milliards de dollars en 1939, est montée à 135 milliards en 1944.

    Calculé sur la base de 100 pour la période 1935-1939, l’indice général de la production industrielle monta à 249 en octobre 1943 ; il redescendit à 211 en août 1945 et à 148 en février 1946.

    Il s’était relevé à 180 au début de cette année. C’est-à-dire que la capacité de production n’est utilisée actuellement qu’aux 3/5. La raison en est simple c’est la difficulté pour les capitalistes américains d’écouler leur production.

    Les capitalistes ne produisent pas pour les besoins des masses ; ils produisent pour le profit.

    La raison d’être du capital, c’est la production du capital. Les capitalistes américains réalisent des profits toujours plus fabuleux.

    Au cours de la guerre, ils ont eu un bénéfice net de 52 milliards de dollars. C’est en moyenne pour chaque attifée de guerre un chiffre trois fois et demi supérieur à celui des années d’avant 1939.

    La course au profit a continué depuis la fin des hostilités : 9,9 milliards en 1945, 12 milliards en 1946. Les résultats du premier trimestre font prévoir de 15 à 17 milliards pour 1947.

    Mais si les profits capitalistes montent, le niveau de vie des masses laborieuses baisse. L’inflation, la hausse des prix ont réduit le pouvoir d’achat du salaire ouvrier.

    La masse des salaires a diminué, à cause du retour à une journée de travail normale et de la suppression des heures supplémentaires qui étaient payées plus cher, et à cause du chômage qui grandit.

    2.500.000 chômeurs sont officiellement enregistrés, plus 1.600.000 démobilisés qui n’ont pas retrouvé de travail ; 8 millions d’ouvriers travaillent moins de 34 heures par semaine, dont 2 millions moins de 15 heures.

    On estime que les revenus ouvriers ont diminué de 30 % depuis la fin de la guerre.

    La conséquence, c’est la contraction du marché intérieur et la nécessité d’écouler toujours plus de produits sur les marchés extérieurs.

    Avant-guerre, les États-Unis exportaient environ 10 % de leur production.

    En 1946, ils ont exporté pour une somme de 9 milliards et demi de dollars, chiffre qui comprennent la valeur des denrées alimentaires et de matières premières et non pas seulement des produits de l’industrie.

    9 milliards d’exportation, c’est insuffisant pour maintenir l’activité industrielle des États-Unis.

    Dans le rapport au Xe Congrès, nous avions estimé que les États-Unis essayeraient de porter leurs exportations à 20 milliards de dollars.

    Dans sa conversation avec le camarade Staline, M. Stassen a parlé de 15 % de la production. En valeur absolue, c’est à peu près l’ordre de grandeur que nous avions indiqué.

    Les pays dévastés et ruinés seraient certes en mesure d’absorber les exportations américaines.

    Mais il leur manque les moyens d’achat, l’or, les devises; et ils n’exportent pas suffisamment pour payer leurs importations en marchandises. Or, les États-Unis n’ont guère besoin de marchandises.

    L’Angleterre et l’Allemagne d’avant-guerre achetaient des denrées alimentaires et des matières premières dans les pays auxquels elles vendaient les produits de leur industrie.

    Les États-Unis sont exportateurs de denrées alimentaires, et ils n’ont besoin d’importer que des quantités très restreintes de matières premières.

    Sur le marché mondial, les États-Unis sont essentiellement des vendeurs. C’est un aspect qu’il ne faut pas oublier lors-qu’on parle des crédits américains.

    Les pays appauvris ont besoin de crédits américains pour acheter des marchandises américain, et les États-Unis, pour placer leurs marchandises, sont dans l’obligation d’accorder des facilités à leurs clients possibles.

    Naturellement, tout cela ne va pas sans contradictions. Vendre sans jamais acheter, ce n’est pas une opération qui puisse durer. Mais comment les capitalistes américains pourraient-ils envisager de se laisser concurrencer sur leur marché intérieur par les marchandises étrangères ?

    D’ailleurs, leurs frais de production moins élevés les mettent à l’abri de la concurrence. Au besoin, ils useraient du dumping que facilite le capital des monopoles.

    Les capitalistes américains ont en vue d’étendre leur hégémonie sur l’Europe et le monde entier. L’octroi des crédits, estiment-ils, leur permettra d’atteindre ce but.

    Les États-Unis peuvent fournir des crédits. Ils sont exportateurs de capitaux comme ils sont exportateurs de marchandises.

    Les milliards et les milliards qui ne peuvent être réinvestis dans l’industrie américaine doivent être placés à l’étranger. Les crédits d’État ouvrent la voie aux investissements privés.

    La recherche de débouchés pour les marchandises coïncide avec la volonté de s’assurer des bases politiques à travers le monde.

    C’est pour appuyer cette politique expansionniste que le budget de guerre des États-Unis à pour cette année — d’après l’inventaire de M. Robert Schuman — s’élève à la somme formidable de 19 milliards de dollars (environ 2.600 milliards de francs, quatre fois tout le budget de la France), ce qui représente 45,7 % du total des dépenses budgétaires des États-Unis (30 % en Angleterre, 22 % en Union Soviétique).

    Mais le budget de l’instruction primaire aux États-Unis est proportionnellement plus faible qu’en aucun autre pays. 70 % des instituteurs américains doivent exercer un deuxième métier pour joindre les deux bouts.

    LA TOUTE-PUISSANCE DU CAPITAL FINANCIER ET DES MONOPOLES, LA RECHERCHE DES DÉBOUCHÉS POUR L’ÉCOULEMENT DES MARCHANDISES, L’EXPORTATION DES CAPITAUX, LE DÉVELOPPEMENT DU MILITARISME, CE SONT RIEN LA DES CARACTÉRISTIQUES DE L’IMPÉRIALISME TELLES QUE LES A DÉFINIES LÉNINE.

    Et lorsque Léon Blum écrit que les États-Unis n’ont pas besoin d’exporter, que leur attitude dans les problèmes du commerce international est guidée par des motifs paressent désintéressés, il confirme sur ce point également son éloignement du marxisme vivant.

    Il reprend la théorie de Kautsky, démentie cruellement par les événements, sur le « super-impérialisme », l’impérialisme de la paix qui se-rait capable d’organiser une économie capitaliste mondiale et unique, sans contradictions violentes entre les classes et entre les États, et sans guerres entre impérialismes rivaux.

    En fait, Léon Blum sème les illusions ; sa tentative d’idéaliser la politique expansionniste des monopoles américains ne peut que désarmer idéologiquement et politiquement la classe ouvrière et le peuple de France dans leur résistance nécessaire aux empiétements de la finance internationale qui mettent en danger notre indépendance nationale.

    « L’impérialisme — a écrit Lénine — est l’époque du capital financier et des monopole qui partent partout leurs aspirations à la domination et non à la liberté.

    Réaction sur toute la ligne, quel que doit le régisse politique, extrême tension des antagonismes en présence… tel est le résultat de ces tendances. »

    La crainte de la crise qui approche accélère ces tendances aux États-Unis.

    Les Américains vivent dans la psychose de crise. Les prodromes de crise apparaissent d’ailleurs dans l’accroissement des stocks consécutifs à la hausse des prix (34 milliards de stocks, chiffre jamais connu), dans la chute des actions en bourse, dans la diminution des investissements et la baisse des prix agricoles.

    On a jeté des millions de tonnes de pommes de terre à la mer pour maintenir les cours, tandis que les peuples souffrent de la faim en Europe et dans le monde.

    « La réaction sur toute la ligne », n’est-ce pas évident, à l’intérieur, avec les 200 projets de lois antiouvrières déposés sur le bureau du Congrès, en vue de mater les travailleurs et de faire cesser, par la force, les grèves toujours plus nombreuses.

    Avec l’anticommunisme virulent et la chasse aux éléments progressifs suspects de ne pas adorer le veau d’or (ne parle-t-on pas d’expulser l’immortel Charlot [Charlie Chaplin] ?). Avec le racisme le plus barbare allant jusqu’au lynchage des noirs.

    « La réaction sur toute la ligne s, n’est-ce pas évident, dans la politique extérieure des États-Unis, avec leur lutte systématique contre ion pays de démocratie nouvelle, leur soutien aux régimes de dictature fasciste, l’appui qu’ils donnent partout aux groupements de droite et aux factieux?

    III

    LE LIEN ÉTROIT QUI RELIE LES POSITIONS POLITIQUES ET TACTIQUES DU PARTI SOCIALISTE ET LE RÉVISIONNISME DE LÉON BLUM

    Il est impossible de ne pas remarquer le rapport direct entre les positions politiques et tactiques du Parti socialiste et le révisionnisme ouvertement prêché dans ses rangs par Léon Blum et quelques autres.

    Nous avons vu, à propos du problème des salaires et prix, à propos des caractéristiques de l’impérialisme, combien la pensée officielle du Parti socialiste s’éloigne de la doctrine de Marx.

    Nous voudrions montrer que c’est tout le marxisme qui est répudié par Léon Blum, même lorsqu’il déclare, pour la forme, s’en tenir aux principes essentiels du marxisme.

    Le débats commencé dans le Parti socialiste à l’occasion d’une proposition de modification aux statuts. Léon Blum demandait que soit abandonnée l’expression « lutte de classes ».

    Mais comme tout se tient, Léon Blum a dû s’en prendre aux fondements du marxisme.

    Il a condamné le matérialisme dialectique. Il a repoussé le matérialisme philosophique en tant que théorie de la connaissance, en tant que conception des phénomènes de la nature et d’explication de l’univers.

    Il a contesté le lien de connexion entre le matérialisme dialectique et le matérialisme historique.

    Employant une ficelle un peu grosse, Léon Blum a « essayé de distinguer — je cite ses paroles — entre le matérialisme historique de Marx et le matérialisme dialectique de Lénine et de Staline dont le livre récent [L’Homme est révolutionnaire] de Georges Izard a fourni une analyse si riche, si exact, et si profonde. »

    Aucun marxiste digne de ce nom ne saurait ignorer la riche contribution de Lénine et de Staline à l’approfondissement et au développement de la doctrine de Marx « qui n’est pas un dogme, mais un guide pour l’action ».

    Mais tous les marxistes reportent sans hésiter sur Marx le mérite d’avoir le premier formulé la conception matérialiste du monde et de son développement que l’on désigne depuis par les mots : matérialisme dialectique.

    Marx a dit que pour lui « le mouvement de la pensée n’est que la réflexion du mouvement réel transporté et transposé par le cerveau de l’homme » (Le Capital, p. 29).

    « On ne saurait, précise-t-il, séparer la pensée de la matière pensante. »

    Engels, dans le chapitre intitulé : « Matérialisme dialectique », a écrit dans son Ludwig Feuerbach, « que la conception matérialiste du monde signifie simplement la conception de la nature telle qu’elle est, sans addition étrangère ».

    Plekhanov a souligné, lui aussi, que « l’édifice entier du marxisme repose sur le matérialisme dialectique » (Le Matérialisme militant, p. 26)

    Quant au livre d’Izard, c’est en effet une attaque sur toute la ligne contre le matérialisme dialectique, et lors non point seulement contre Lénine et Staline, mais bien contre Marx, que le disciple de Blum cite abondamment et qu’il prétend réfuter et dépasser !

    Parce qu’il est sans doute tenu à moins de précautions, Izard n’hésite pas à contredire Blum et à reconnaître carré-ment que l’œuvre maîtresse de Marx, Le Capital, « n’est rien d’autre qu’une illustration du matérialisme dialectique appliqué à l’économie politique » (p. 181).

    Et voici deux échantillons de la pensée « si riche, si exacte et si profonde » de Georges Izard :

    « Bien loin que ma pensée en soit la copie, c’est la réalité qui est le miroir de ma pensée et de eue vie, sans quoi elle ne pourrait pas être la réalité ? » (p. 127)

    Et ailleurs :

    « L’esprit est le primordial… Dès qu’on admet l’activité autonome de l’esprit, il faut renoncer à le retenir au rang de la matière dans une égale dignité : il impose sa suprématie » (p. 122).

    Ainsi avec Georges Izard, avec Léon Blum et avec Maurice Schumann et le cardinal Suhard, les ouvriers socialistes devraient admettre la primauté de l’esprit sur la matière.

    Ils ne devraient plus penser avec Marx que la matière, la nature, l’être, c’est une réalité objective existant en dehors et indépendamment de la conscience, que la conscience n’est que le reflet de la matière, que la pensée n’est que le produit de la matière.

    On comprend que la réaction ait accueilli avec transport les thèses idéalistes de Léon Blum.

    La répudiation du matérialisme obtient toujours un succès certain auprès de philistins très attachés à leurs intérêts matériels, et elle flatte agréablement les préjugés de leurs idéologues.

    De l’abandon du matérialisme philosophique découle le rapprochement politique des dirigeants socialistes avec d’autres groupements qui professent l’idéalisme philosophique, le déisme, la croyance à une religion révélée.

    De là l’alliance de certains socialistes avec les adversaires de la laïcité, avec les adversaires de la pensée matérialiste des encyclopédistes.

    Marx lui-même avait noté le lien entre le socialisme, le communisme et le matérialisme d’Helvétius, de d’Holbach, de Diderot.

    Quel recul donc sur le siècle des lumières ? Comment redire avec Diderot que « la supposition d’un être quelconque placé en dehors de l’univers matériel est impossible » ?

    Léon Blum dit qu’il continue à adhérer au matérialisme historique en tant que philosophie de l’histoire.

    Il pense, toutefois, que « les phénomènes économiques n’ont rien de plus matériel que les autres ».

    Et il suggère une synthèse entre la théorie du matérialisme historique et sa conception idéaliste de l’histoire qui fait intervenir les courants de l’esprit et de la conscience, les aspirations vers la justice, vers l’humanité, vers la charité humaine, qui traverseraient l’humanité indépendamment des rapports de production, de la structure sociale aux différentes époques de l’histoire.

    Si bien que ce n’est plus, comme chez Marx, l’existence sociale qui déterminerait la conscience, mais la conscience qui déterminerait l’existence sociale.

    Ce n’est plus le mode de production de la vie matérielle qui conditionne le procès de vie social, politique et intellectuel, mais une morale indépendante des forces économiques et supérieure à elles qui déterminerait les pro-grès du mode de production de la vie matérielle.

    La conclusion pratique c’est qu’on remplace l’émancipation du prolétariat au moyen de la transformation du mode de production en une vague libération de l’humanité au moyen de l’amour, comme raillait Engels, il y a soixante années déjà.

    La conclusion politique c’est que tout le monde est « socialiste », puisque le socialisme n’est plus que l’aboutissement inévitable des lois économiques et du mouvement de la société actuelle, puisque la classe ouvrière n’est plus la force motrice des prochaines transformations, le principal agent de son émancipation et de l’affranchissement de tous les travailleurs.

    Il n’est plus nécessaires, dès lors, de rendre la classe ouvrière toujours plus consciente de sa mission historique, de l’organiser, de la préparer à cette mission.

    On doit rejeter non seulement l’expression « lutte de classes », mais aussi, comme le propose Izard, la notion de « conscience de classe ».

    Le socialisme d’une science redevient un rêve. Les masses doivent, avant tout, compter sur la générosité, sur la charité de bonnes âmes qu’il s’agit de convaincre par les raisonnements sur la morale et les vérités éternelles.

    C’est en cela que réside « l’humanisme » de ce néo-socialisme.

    Car, s’il s’agit de reconnaître le rôle des idées, la valeur des sentiments, il n’est pas besoin de « dépasser » Marx.

    Il nous a enseigné qu’une idée devient une force matérielle lorsqu’elle s’empare des masses.

    Et s’il est simplement question de l’épanouissement de la personnalité humaine, il n’y a rien non plus à ajouter aux écrits de nos maîtres.

    Il n’y a rien à ajouter à ces lignes d’Engels :

    « La possibilité d’assurer au moyen de la production sociale une existence non seulement parfaitement suffisante et plus riche de jour en jour au point de vue matériel, mais leur garantissant le développement et la mise en œuvre absolument libre de leurs DISPOSITIONS PHYSIQUES ET INTELLECTUELLES, cette possibilité existe aujourd’hui pour la première fois.

    (Par le socialisme…) « la lutte pour l’existence individuelle prend fin.

    Alors seulement l’homme sort en un certain sens du RÈGNE ANIMAL, quitte des conditions animales d’existence pour des CONDITIONS VRAIMENT HUMAINES. » (L’Anti-Dühring, p. 364)

    Il suffit aussi de constater la réalité au pays du socialisme, en Union Soviétique, où se forge l’homme nouveau.

    « L’homme, ce capital le plus précieux », a dit Staline. Les armées soviétiques ont eu des canons, des tanks, des avions ; elles en ont eu davantage que les Allemands, et d’une qualité supérieure.

    Mais ce que le régime soviétique a produit de mieux, c’est l’HOMME qui utilisait ce matériel, c’est l’HOMME soviétique qui a été supérieur, sous tous les rapports, à l’esclave de Hitler.

    DÉMOCRATIE ET SOCIALISME

    L’abandon des positions marxistes est également évident dans les thèses de Léon Blum sur le rapport entre la démocratie et le socialisme.

    Lors de mon interview au Times, où je disais que les progrès de la démocratie à travers le monde permettent d’envisager don voies nouvelles dans la marche du socialisme, Léon Blum a parlé d’un coup de barre brutal.

    Je venais de découvrir, d’après lui, « que la transformation du régime capitaliste en régime socialiste est compatible avec le maintien et le développement de la démocratie ».

    Blum avançait l’opinion, contraire à la vérité, que les communistes auraient jus-qu’alors opposé démocratie et socialisme.

    De même qu’il avait prêté à Bebel cette idée absurde que « l’évolution des partis ouvriers et prolétariens était indépendante des for-mes politiques de la société dans laquelle ils agissent ».

    Or, jamais un marxiste n’a été indifférent aux formes politiques, et, pour être plus précis, à l’existence et au progrès possibles de la démocratie.

    Bebel déclarait au Congrès d’Amsterdam :

    « Il va sans dire que nous sommes républicains, républicains socialistes. »

    Le « manifeste communiste », dont nous allons célébrer le centenaire, proclame que :

    « la première étape dans la révolution ouvrière, c’est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie. »

    Marx, en 1848, loua les Parisiens d’avoir imposé la République ; Engels, loin de se désintéresser des formes de l’État, analyse avec soin chacune de ces formes il montre que

    « NOTRE PARTI ET LA CLASSE OUVRIÈRE NE PEUVENT ARRIVER AU POUVOIR QUE SOUS LA FORME DÉMOCRATIQUE. »

    Lénine a parlé de « l’énorme importance de la démocratie dans la lutte de la classe ouvrière contre le capitalisme ».

    « Développer la démocratie jusqu’au bout, rechercher les formes de ce développement, les mettre à l’épreuve de la pratique, voilà l’un des problèmes fondamentaux de la lutte pour la révolution sociale. » (Lénine, Œuvres complètes, tome XXI, p. 506.)

    C’est sur ces notions théoriques précises que nous avons fondé notre lutte ardente contre le fascisme, notre politique du Front Populaire, notre combat pour la défense de la démocratie, pour tout ce qui était en jeu dans la dernière guerre.

    En novembre 1936, je répondais à une enquête de Raymond Millet :

    « Les communistes sont républicains. Ils sont les républicains les plus conséquents, car ils veulent une république où le régime représentatif ne puisse être faussé par les puissances d’argent.

    Les communistes sont démocrates. Ils sont les démocrates les plus conséquents, car ils entendent substituer à une démocratie encore limitée en droit et en fait une démocratie sans entraves. »

    L’idée centrale du rapport développé au Congrès d’Arles, en 1937, était que la démocratie, qui avait exercé au cours du XIXe siècle un rôle nécessaire et progressif, n’avait pas épuisé toutes ses vertus.

    Le Front Populaire, disions-nous, constitue un nouveau progrès de la démocratie. Et, il y a deux ans, nous répétions : « La démocratie est une création continue. Aujourd’hui, avec l’immense majorité des Français, nous concevons une démocratie débarrassée des trusts, une démocratie où il ne doit pas y avoir de place pour les groupements et pour les hommes qui ont trahi la France et servi Hitler. »

    Une démocratie débarrassée des trusts. En marxistes, nous posons la question du CONTENU de la démocratie ; nous ne parlons pas de la démocratie en général.

    Nous parlons d’une démocratie nouvelle et populaire où la classe ouvrière et ses organisations doivent jouer un rôle déterminant.

    Ce que ne veut pas remarquer Léon Blum quand, en 1947, dand une situation nouvelle, et forts d’une expérience à laquelle nous avons contribué pour une part honorable, nous envisageons la possibilité de voies nouvelles dans la marche du socialisme.

    Encore est-il juste de souligner que c’est à la Révolution d’Octobre, aux travailleurs de l’Union Soviétique qui ont fait tourner plus vite la roue de l’histoire — au prix de quel héroïsme, au prix de quels sacrifices — que nous devrons de toute façon de parcourir, avec moins de peine, les étapes qu’il leur fallut franchir dans des conditions plus difficiles et plus douloureuses.

    Comme résultat de notre action nationale et démocratique, nous avons obtenu la confiance toujours plus large de la classe ouvrière, des masses populaires.

    Nous avons obtenu de pousser quelques pas en avant dans la voie d’une démocratie plus effective. On a procédé à des nationalisations. On a institué les Comités d’entreprises.

    Rappelons-nous, à ce propos, ce que disait Lénine :

    « Prise à part, aucune démocratie ne donnera le socialisme ; mais, dans la vie, la démocratie ne sera jamais « prise à part », elle sera « prise dans l’ensemble », et elle exercera son influence sur l’économie dont elle précipitera la transformation tout en subissant elle-même l’influence du développement économique. Telle est le logique de l’histoire vivante. » (Œuvres complètes, tome XXI, p. 506)

    D’autres pays, nous l’avons vu, sont beaucoup plus avancés dans cette voie de la démocratie nouvelle.

    En plus des nationalisations, on pu remis la terre aux paysans. Les derniers vestiges du fascisme ont été éliminés.

    Mais nous devons remarquer que les formes parlementaires subsistent.

    « Cette démocratie populaire, a déclaré Dimitrov, n’est ni socialiste, ni soviétique. Elle est le passage de la démocratie au socialisme. Elle crée les conditions favorables eu développement du socialisme par un progrès de lutte et de travail.

    Chaque pays passera au socialisme par sa voie propre. L’avantage de cette démocratie populaire, c’est que le passage au socialisme est rendu possible sans dictature du prolétariat. »

    Je me permets de rappeler, en m’en excusant, que j’ai dit de même au rédacteur du Times :

    « Le chemin est nécessairement différent pour chaque pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition, trouverait lui-même sa voie…

    Cependant, . l’histoire montre qu’il n’y a pas de progrès sans lutte. Il n’y a pas de route toute tracée sur laquelle les hommes puissent avancer sans effort. Il leur a toujours, fallu surmonter bien des obstacles. »

    Ainsi, fidèle à l’enseignement du marxisme, nous nous appliquons à déterminer la politique et l’action de la classe ouvrière, en fonction de la situation et des perspectives.

    Comme disait Jaurès, « nous nous efforçons de comprendre le réel, pour aller à l’idéal ».

    Nous tenons compte de cet événement formidable qu’a été la bataille victorieuse livrée par les peuples libres, par les forces ouvrières et démocratiques, contre le fascisme barbare.

    Nous tenons compte des modifications profondes dans l’ordre social, économique et politique, que la victoire a déterminées en Europe et dans le monde.

    Nous tenons compte du nouveau rapport des forces de classes qui s’est établi dans notre pays et à l’échelle internationale. Nom nous efforçons d’éclairer les voies encore inexplorées qui conduisent au socialisme.

    Mais Léon Blum, aussi éloigné du marxisme en 1947 qu’en 1920 ou 1933, passe à côté de la vie et poursuit ses analyses subtiles sur la distinction entre la révolution politique et la révolution sociale, la première ne lui apparaissant que comme la conquête du pouvoir, la transformation des institutions gouvernementales, et la seconde connue une pure transformation économique.

    Comme si la méthode dialectique ne nous faisait pas saisir le rapport nécessaire entre la conquête du pouvoir par la classe ouvrière et la transformation sociale qu’elle a mission de promouvoir…

    On voit que ce n’est pas seulement la formule prétendument équivoque, mais bien la méthode du matérialisme historique que Blum rejette.

    Même dans les cas où elles n’aboutissent pas à des révolutions, toutes les luttes politiques trouvent leur origine et leur explication dans les antagonismes de classe, et elles ont pour but, en dernière analyse, l’émancipation économique de la classe exploitée.

    Cependant, la thèse de Blum n’est pas fortuite. L’opposition formelle qu’il établit entre révolution politique et révolution sociale l’avait conduit à nier le caractère socialiste de la Révolution d’Octobre.

    Certains dirigeante socialistes continuent à parler des tentatives de révolution socialiste en U.R.S.S.

    Il n’y aurait pas de révolution socialiste. Il n’y aurait pas non plus de démocratie en U.R.S.S.

    On continue à répandre les pires ragots, les pires calomnies contre l’Union Soviétique.

    On fait preuve d’une méconnaissance absolue, nullement involontaire, du contenu de la démocratie soviétique, la démocratie la plus large.

    Naturellement, les dirigeants socialistes sont aussi pleins de méfiance envers les démocraties nouvelles, les démocraties populaires de l’Europe centrale et balkanique, où l’on ne s’en tient pas aux règles de la démocratie bourgeoise, où l’on a vraiment aboli la domination des trusts, où les traîtres et les collaborateurs n’ont pas la possibilité de voter, encore moins de se faire élire.

    Les attaques contre la démocratie soviétique et contre les démocraties populaires visent peut-être à détourner l’attention des insuffisances de la démocratie chez nous, et en ces pays vers lesquels certains tournent si volontiers les yeux, cette « démocratie » qui maintient Franco au pouvoir, écrase le peuple grec, opprime les esclaves coloniaux et fait couler le sang en Palestine.

    Ainsi on ne peut contester le lien évident entre l’assaut révisionniste à l’intérieur du Parti socialiste et la politique poursuivie par ce parti : le refus de l’unité ouvrière, le soutien sans réserves longtemps accordé à de Gaulle (qu’on se rappelle du « Oui-Oui » [au premier référendum sur la constitution]) ; les brevets de républicanisme décernés au M.R.P., le rejet des communistes hors du gouvernement, la tentative de constituer une majorité parlementaire orientée à droite et dont nous serions exclus.

    La répudiation du marxisme faciliterait, croit-on, la conjonction du Parti socialiste et du M.R.P. ; et l’avènement de ce travaillisme sans travailleurs-qui hante l’esprit de certains.

    La politique de ses principaux dirigeants ne conduit pas seulement le Parti socialiste à sa perte — il est tombé de 4.500.000 à 2.700.000 voix en un an.

    Elle met en danger le mouvement ouvrier et la démocratie. Les ouvriers socialistes s’en rendent compte. Ils sont inquiets. Notre devoir de militant est de les aider à voir clair dans cette situation difficile.

    Il est de découvrir à leurs yeux les racines idéologiques de la politique erronée de leur parti. Nous devons le faire sans vains éclats de voix, sans vaines récriminations, en camarades et en frères, dont le souci exclusif est de faire progresser la cause commune, la cause des travailleurs, la cause de la France.

    Nous devons rappeler nos efforts pour parvenir à l’unité. Et le désintéressement de notre Parti en toutes occasions.

    Nous devons rappeler comment nos 186 députés, unanimes, ont porté Léon Blum à la présidence du gouvernement, malgré des préventions trop justifiées et sur lesquelles il n’est pas nécessaire d’insister, et malgré le fait que 20 députés socialistes, trois jours auparavant, avaient refusé de voter pour le candidat communiste.

    Nous devons rappeler comment, déjouant les combinaisons des partisans du pouvoir personnel, nous avons porté Vincent Auriol à la présidence de la République.

    Nous devons rappeler le concours loyal et sans réserves que nous ayons apporté au pressier gouvernement Ramadier, en taisant nos préférences doctrinales et en défendant la politique déterminée en commun.

    Les socialistes de Toulon et de Guéret, et le chef du gouvernement lui-même, n’y contrediront pas.

    Nous avons aussi le devoir de mettre en garde les ouvriers socialistes qui, sincèrement. veulent aller à gauche contre la démagogie d’éléments trotskysants, dont certains chassés de nos rangs autrefois.

    Ces gens se livrent à un verbiage pseudo-révolutionnaire pour détourner, eux aussi, les ouvriers socialistes du seul chemin qui mène au socialisme : le chemin de l’unité.

    L’unité, et encore l’unité, voilà notre loi, à nous communistes. Nous avons l’espoir d’être entendus.

    L’unité s’est réalisée dans l’action revendicative, chez les cheminots et dans les services publics, chez les employés de banque et dans les usines métallurgiques. L’unité s’est réalisée dans l’action pour la défense de la République contre les factieux du R.P.F.

    Les Comités de la Libération ont repris une vie nouvelle. Des comités de vigilance ont été constitué dans les localités et dans les usines.

    L’unité, qui est la condition du salut, doit se faire. L’unité se fera, ce sera la tâche des communiste. après la XIe Congrès de notre Parti.

    IV

    LES RACINES FRANÇAISES DU MARXISME-LÉNINISME
    ET NOTRE DEVOIR DE L’ENRICHIR

    Ce passage est tiré du chapitre sur « Le Parti » et où Maurice Thorez rappelle les sources françaises du marxisme-léninisme et justifie théoriquement la conception de la recherche des voies nouvelles conduisant au socialisme.

    Le marxisme-léninisme, le matérialisme dialectique est notre boussole.

    Il nous permet d’avancer sur un terrain pas toujours commode, sans perdre de vue le but : la totale émancipation de la classe ouvrière dans une France qui ne connaîtra plus la division en classes, l’exploitation du plus grand nombre par la minorité, et dans un monde où toutes les causes d’oppression, de misère, de conflits et de guerre auront disparu parce qu’aura disparu le capitalisme.

    Nous savons les racines profondes de notre Parti et de sa doctrine dans l’histoire nationale. Le communisme est un courant authentique de la pensée française qui procède du matérialisme des philosophes du XVIIIe siècle, et qui, de Babeuf à Cabet, de Saint-Simon et de Fourier à Blanqui, s’est nourri, gonflé, enrichi d’une critique brillante, et à bien des égards toujours actuelle, du système de production capitaliste, et de ses contradictions, de ses iniquités.

    Un siècle s’est écoulé depuis qu’Engels constatait que les notions de socialisme et de communisme étalent courantes parmi les travailleurs français.

    Il y a soixante-seize années déjà que les ouvriers parisiens firent flotter sur la capitale le drapeau de la Commune.

    Le socialisme français, a souligné Lénine, est avec la philosophie allemande et l’économie politique anglaise l’une des trois sources essentielles du marxisme.

    En particulier, c’est le communisme français, le déroulement de la lutte des classe en Europe, qu’avaient remarqué Augustin Thierry et Guizot, c’est l’expérience déjà riche alors du mouvement ouvrier dans notre pays, qui ont permis à Marx de mettre en lumière le rôle historique du prolétariat, comme édificateur de la société socialiste.

    Nous n’avons pas seulement à défendre ce que le mouvement ouvrier français, fécondé par le matérialisme philosophique français a produit de meilleur : le communisme, élevé au niveau d’une science par Marx.

    Nous n’avons pas seulement à défendre le matérialisme dialectique contre ses détracteurs, avoués ou hypocrites, et à mener un combat vigoureux contre tous les aspects de l’idéalisme philosophique, contre toutes les manifestations de l’idéologie réactionnaire.

    Nous devons aussi faire progresser la science du communisme, selon la recommandation expresse de Lénine, rappelée opportunément par le camarade Staline, dans sa réponse au professeur Razine :

    « Nous ne considérons nullement la théorie de Marx comme quelque chose d’achevé et d’inviolable ; noue sommes persuadés, au contraire, qu’elle a posé seulement la pierre angulaire d’une doctrine que les socialistes doivent pousser dans toutes les directions, s’ils ne veulent pas rester en arrière.

    Nous pensons que les socialistes russes ont besoin d’une étude PARTICULIÈRE de la théorie de Marx, car cette théorie ne donne que les directives générales qui s’appliquent en PARTICULIER à l’Angleterre autrement qu’a la France, à la France autrement qu’à l’Allemagne, à l’Allemagne autrement qu’à la Russie. » (Lénine, Marx, Engels, Marxisme. P. 81, Édition de la Bibliothèque marxiste, 1935)

    On voit combien nous sommes fidèles à l’esprit du léninisme, quand nous posons devant notre Parti et devant les masses la question de la démocratie nouvelle et des voies différentes qu’il est permis d’envisager dans notre, marche au socialisme. »

    Léon Blum répondit de manière furieuse dans Le Populaire, avec un éditorial intitulé « Les excommunications de Maurice Thorez ».

    Il est vrai cependant qu’il n’avait qu’à reprendre l’argument de départ du côté socialiste, qui est de dire qu’il n’y a pas lieu d’avoir une idéologie dirigeante, et qu’il faut de toutes façons des tendances.

    Tel est le problème : ce sont les bourgeois qui ont compris, mieux que le Parti Communiste Français, la dimension « absolue » du matérialisme dialectique. L’assumer exige un haut niveau idéologique et une ligne d’affrontement révolutionnaire.

    C’est pourquoi, dès la mort de Staline, le Parti Communiste Français s’empressera de liquider les exigences idéologiques « absolues ».

    Mais dans son éditorial, Léon Blum se moqua aussi de la « rectification » de Maurice Thorez, au sujet du plan Marshall. C’était politiquement intelligent de sa part de se moquer de l’ambiguïté de Maurice Thorez, très révélatrice justement.

    =>Retour au dossier sur Le Parti Communiste Français au gouvernement avec la bataille du charbon

  • Le PCF en 1947 : le XIe congrès, la rectification et le compromis

    Pour Maurice Thorez, c’était un désastre. Il apparaissait comme la principale cause de l’échec, il le vivait extrêmement mal.

    L’Humanité se lança alors dans une vaste campagne d’expression de « confiance et d’affection » à son sujet.

    On rentre dans une période où il va être présenté comme la grande figure, l’équivalent du Parti. Il y a ici un jeu étrange, avec des tendances contradictoires.

    D’un côté, le Parti cherche à survivre coûte que coûte, avec Maurice Thorez comme symbole, de l’autre il a besoin de justifier son existence.

    D’où la voie française au socialisme formulé en 1947.

    Tout se joue au 11e congrès du Parti Communiste Français, qui se déroula du 25 au 28 juin à Strasbourg, en présence de 1 200 délégués. Son mot d’ordre était « Au service du peuple de France » et Maurice Thorez est mis en avant comme le « guide idéologique de la classe ouvrière et du peuple ».

    Or, jusque-là, jamais le Parti Communiste Français n’avait parlé d’idéologie, si on omet la diffusion juste avant son interdiction du Petit précis d’histoire du Parti Communiste d’Union soviétique (bolchevik).

    Il s’agit là d’un changement complet. Et comment cela se concrétise-t-il ?

    Par un rapport qui contient deux choses nouvelles : tout d’abord une dénonciation de l’expansionnisme américain, ensuite une dénonciation idéologique de Léon Blum !

    Tout cela est totalement nouveau. Depuis 1945, le Parti Communiste Français n’a cessé d’appeler à l’unité organique avec les socialistes, au sein d’un Parti Ouvrier Français. On a maintenant une attaque frontale du Parti socialiste-SFIO.

    Le Parti Communiste Français n’avait jamais mené non plus de bataille idéologique et d’ailleurs la seule idéologie mise en avant était la « République » définie comme sociale et laïque. C’en était au point où le nationalisme primait et où il fallait soutenir le régime à tout prix pour servir la « renaissance française », la « grandeur nationale ».

    Que s’est-il passé ? Pour comprendre ce qui se passe au 11e congrès, il faut aller un peu plus loin.

    Maurice Thorez accorde une interview au journaliste anglais Harold Pinter, le 21 septembre 1947.

    L’Humanité la publia le lendemain. On y lit notamment :

    « Le Parti Communiste est un parti de gouvernement, dont le programme fondamental et le langage n’ont pas changé et ne changeront pas, selon que le Parti, est ou n’est pas au gouvernement (…).

    Depuis mai 1943, il n’y a plus d’internationale Communiste, pour la raison essentielle que les voies du développement du mouvement ouvrier sont devenues extrêmement diverses et que chaque Parti Communiste doit tenir compte des problèmes concrets posés devant la classe ouvrière de son pays.

    Dans une autre période historique, la même question s’était posée aux fondateurs de la Première Internationale qui l’avait résolue de la même façon. Il n’est donc pas possible de parler de « tactique d’ensemble » des partis communistes, ni pour le passé récent, ni pour l’avenir.

    Ce que peut dire tout homme attentif aux questions de politique internationale, c’est que les Partis Communistes apparaissent bien, chacun dans son pays, comme les animateurs d’une large, politique d’union ouvrière et démocratique, pour la renaissance et l’indépendance de leur patrie respective, pour l’entente entre les peuples et pour la paix. »

    Ce qu’on lit ici, c’est le grand compromis, c’est ce que Maurice Thorez a réussi à sauver de sa propre ligne. Pour le reste, il s’est fait critiquer par le Mouvement Communiste International.

    Le lendemain de la publication de ces propos s’ouvrait justement la réunion fondatrice du Kominform, le Bureau d’information des partis communistes et ouvriers.

    Celle-ci se déroula eu 22 au 27 septembre 1947, en Pologne à Szklarska Poreba, en présence de représentants des Partis communistes de l’URSS, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Pologne, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie, ainsi que de France et d’Italie.

    Le Parti Communiste Français en prit immédiatement pour son grade : qu’avez-vous fait depuis 1945, demande-t-on en substance ? Et la même accusation est faite aux communistes italiens.

    C’est Andreï Jdanov qui est en première ligne. Il critique les communistes français et italiens pour faire de la participation gouvernementale l’alpha et l’oméga de leur politique. Où est la bataille pour la prise du pouvoir ? Où est la critique de l’impérialisme américain ?

    Le Parti Communiste Français a même pris la décision de quitter le gouvernement sans en informer personne !

    Tout cela reflète que le Parti Communiste Français s’est cru dans un régime devenu démocratique, il a cru qu’il pouvait s’installer dans les institutions et qu’il suffirait de promouvoir l’unité populaire pour réussir à changer le cours des choses.

    C’était de l’opportunisme, d’où la sanction en 1947 avec une critique impliquant une rectification générale.

    Les 29-30 octobre 1947, le Comité central du Parti Communiste Français assume la critique faite à la réunion du Kominform ; le rapport qu’y fait Maurice Thorez reflète vigoureusement la ligne attendue par le Kominform, avec une dimension autocritique.

    « Le Comité Central, dans sa dernière session, avait signalé des lacunes, des erreurs dans l’activité du Parti, de ses divers organismes et des militants, aux différents postes auxquels la confiance des masses les a appelés.

    La racine de ces erreurs, nous la trouvons dans le retard du Comité Central lui-même à constater et à définir clairement la nature et la portée des changements intervenus dans la situation internationale et notamment du regroupement des forces impérialistes et antidémocratiques, sous la direction et au profit des États-Unis.

    Dès lors, nous n’avons pas souligné, dès le début, et avec la vigueur nécessaire, que nous n’avions été écartés du gouvernement que sur l’ordre exprès de la réaction américaine. Et nous avons prêté le flanc à la manœuvre de Léon BLUM et de RAMADIER qui voulaient faire croire à des divergences portant exclusivement sur les questions de salaires et de prix.

    Nous avons laissé mettre en avant ce qui n’avait été qu’un prétexte pour nous éloigner du gouvernement.

    D’autre part, si nous avons eu raison de dénoncer notre éviction du gouvernement, comme étant une violation des lois de la démocratie parlementaire — comme un nouvel indice de la crise de la démocratie bourgeoise que les capitalistes jettent par-dessus bord dès l’instant oh elle peut être utilisée par la classe ouvrière — nous avons laissé l’impression qu’il s’agissait d’une crise ministérielle plus ou moins ordinaire, tandis qu’il s’agissait d’une intervention brutale des impérialistes américains dans les affaires de la France.

    Par suite de cette faute initiale, nous n’avons pas, dès le début, démasqué impitoyablement la conduite des dirigeants socialistes, et des divers partis au gouvernement, comme étant une véritable ignominie, une honteuse trahison des intérêts nationaux.

    Il en est résulté les indécisions, les flottements de notre groupe à l’Assemblée Nationale, critiqués par le Comité Central dans sa dernière session : l’abstention au lieu d’un vote résolument hostile contre certains textes gouvernementaux (mesures de vexation envers les paysans, statut de l’Algérie) ; la dénonciation insuffisante de la loi électorale municipale DEPREUX-BARRACHIN, en raison des illusions que l’on cultivait sur l’attitude de tel ou tel groupe, sans tenir compte de la nouvelle situation en France et dans le monde.

    Pendant un certain temps, le Parti a semblé hésiter dans son opposition à un gouvernement qui méconnaît si gravement les intérêts du pays.

    Nous avons paru sensibles aux criailleries des socialistes et autres qui nota reprochaient de vouloir faire échec à l’octroi de crédits américains et de porter préjudice à notre pays, en somme, de ne pas agir en patriotes.

    Alors que, seuls, nous avons, sur ce problème comme dans toutes les autres questions, une attitude absolument conforme aux intérêts de la France.

    Alors que, seuls, nous nous comportons en patriotes passionnément attachés à leur pays.

    Les hésitations du Comité Central et du Groupe Parlementaire ont nui, dans une certaine mesure, à la rapide mobilisation des masses ouvrières et démocratiques contre le gouvernement RAMADIER et sa politique néfaste.

    Elles ont nourri les tendances opportunistes, condamnées le mois dernier par le Comité Central, et qui s’expriment dans la sous-estimation des forces de la classe ouvrière et la crainte du mouvement de masse.

    Alors que le devoir des communistes, dit notre résolution de septembre, est ‘de se placer résolument à la tête du mouvement populaire avec hardiesse et esprit de responsabilité.

    Alors que le Parti Communiste a pour mission d’élever, d’éduquer, d’organiser, de guider le mouvement de la classe ouvrière et des masses laborieuses.’ »

    Le 18 novembre 1947, Maurice Thorez se rend également à Moscou pour rencontrer Staline.

    Désormais, le Parti Communiste Français est « surveillé » de près. Cela va modifier toute sa perspective.

    Mais ce qu’on lit au 11e congrès allait déjà dans ce sens : dès la crise gouvernementale, marquée par la sortie du gouvernement, l’URSS était intervenue et c’est ce qui explique le discours subitement différent.

    Le 11e congrès a ainsi une double nature : il est acceptation de la rectification… mais au prix d’un compromis à accepter du point de vue du Mouvement Communiste International. La France aurait sa propre « voie ».

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  • 1946-1947 : le PCF débordé et sorti du gouvernement

    En 1946, l’industrie et la production en général n’étaient pas trop loin d’être revenues au niveau d’avant-guerre. Ce n’était pas vrai par contre la production des biens de consommation, plus en retard, ainsi que de l’alimentation elle encore plus en retard dans le rattrapage : le café, le pain, la viande, le beurre relevaient du marché noir.

    Une situation d’autant plus difficile que les salaires ne suivaient pas l’inflation.

    AnnéesSalairesPrix
    1938100100
    1945370398
    1946407577
    1947530856

    Autrement dit, c’est la classe ouvrière qui payait la reconstruction. La panique commençait à se faire sentir et Benoît Frachon fit en sorte qu’en décembre 1946 la Commission administrative de la CGT se mette à exiger un salaire minimum de 7000 Francs par mois ou bien 84 000 Francs par an, pour 40 heures hebdomadaires.

    Il était considéré que c’était une avancée revendicative, alors qu’en même temps, la même Commission administrative de la CGT estimait que le salaire minimum pour subsister était de 103 800 Francs !

    André Marty, l’un des dirigeants de la CGT Léon Mauvais (responsable des FTP de la zone Sud auparavant et également chargé du contrôle des cadres et de la sécurité), le chargé des intellectuels Laurent Casanova poussèrent alors à la rupture gouvernementale.

    Maurice Thorez et Jacques Duclos réagirent en envoyant une missive à toutes les Fédérations pour orienter la colère populaire en direction d’un renforcement de la présence ministérielle communiste.

    Il était trop tard : la vague de grève commença en février 1947, dans la presse parisienne tout d’abord. La fonction publique parisienne commença de son côté des manifestations contre le passage de 42 à 48 heures hebdomadaires sans augmentation de salaire.

    Cela fit contagion dans tout Paris, notamment dans la police, puis aux usines Renault de Boulogne. Cela se prolongea dans les différents ports, chez les cheminots.

    C’était la catastrophe : le Parti Communiste Français apparaissait comme celui qui avait retardé le déclenchement de la grève, et donc joué un rôle anti-revendications. La CGT, elle, se lança dans des campagnes de revendications, notamment pour élever le salaire minimum, pour tout le mois de mars.

    La contradiction de fond s’exprimait ainsi par celle entre le Parti Communiste Français et la CGT.

    Pour renforcer la gravité du contexte, le président américain Harry S. Truman présenta le 12 mars 1947 sa doctrine d’interventionnisme généralisée pour « endiguer » le communisme. Le fameux plan Marshall va être annoncé dans la foulée le 5 juin 1947.

    Entre-temps, les catastrophes s’accumulaient du point de vue gouvernemental. Les salariés d’EDF et GDF s’étaient mis en grève, avec succès pour obtenir des augmentations. Des manifestations violentes un peu partout dans le pays, sur le thème du ravitaillement, avaient éclaté en mai, durant jusqu’en septembre.

    C’est tellement vrai que des éléments gauchistes parvenaient à déclencher une grève de 1 500 travailleurs dans les usines Renault le 25 avril 1947.

    Une telle configuration semblait impossible deux ans auparavant : un petit groupe trotskiste, des gens qui avaient rejeté la résistance armée pendant la guerre, réussissait dans une grande base ouvrière à convaincre des travailleurs et à les lancer dans l’action !

    Les usines Renault, c’était la moitié des travailleurs à la CGT, 90 % des voix pour la CGT. Malgré le refus communiste, trois jours plus tard la grève fut saluée par la majorité des travailleurs, par 11 354 voix pour la grève et 8015 contre.

    Naturellement, tant les socialistes que les démocrates-chrétiens avaient massivement appuyé la grève. C’est le début du processus qui va aboutir, quelques mois après, à la cassure au sein de la CGT et la formation, avec l’appui de la CIA, de la CGT-Force ouvrière.

    C’était le grand tournant : les socialistes basculèrent alors entièrement dans l’anticommunisme, sous l’influence claire de la superpuissance impérialiste américaine. Léon Blum expliqua à Paul Ramadier que :

    « L’élimination des communistes est vitale pour la France et pour la République. »

    Le mouvement est en attendant irrépressible et le 30 avril 1947, Maurice Thorez annonce à Paul Ramadier qu’il ne s’en tiendra plus à l’accord de janvier 1947 selon lequel le Parti Communiste Français et la CGT ne feraient pas de revendications salariales avant le mois de juillet.

    Paul Ramadier pose alors le 4 mai 1947 la question de confiance, qui lui est accordée. Les députés communistes ont cependant voté contre lui. Le lendemain, Paul Ramadier fait publier au Journal Officiel que les ministres communistes ne font plus partie du gouvernement.

    C’était la fin d’une longue séquence, et c’était un désastre. Cela faisait trois ans et un mois que le Parti Communiste Français participait au gouvernement. Il n’avait réussi ni à instaurer un régime où l’assemblée décide de tout, ni à apparaître comme incontournable au gouvernement.

    En pratique, il avait simplement servi de support à la relance de la production, avant de se faire sortir du gouvernement. Et ce n’était pas un cas unique, puisque la même éjection du gouvernement était arrivée aux ministres communistes de Belgique le 19 mars, et elle arrivera à ceux d’Italie quelques jours plus tard, le 13 mai.

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  • Apogée et désillusion du PCF en 1946

    1946 est l’apogée d’une trajectoire commencée en 1934, avec un Front populaire et une Résistance déformée par la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez.

    Le Parti Communiste Français a tout perdu niveau communisme, il a tout gagné sur le plan de l’acceptation, de l’intégration.

    Même s’il est contesté, évité, rejeté, le Parti Communiste Français fait partie du paysage. On ne peut plus l’en chasser, cela lui suffit.

    Sur le plan gouvernemental, rien ne changeait vraiment. Après la démission de de Gaulle, c’est le socialiste Félix Gouin qui avait été chef du gouvernement, du 26 janvier au 24 juin 1946.

    Il fut remplacé par le démocrate-chrétien Georges Bidault jusqu’au 28 novembre 1946.

    C’est la logique du « tripartisme », avec le Parti Communiste Français, le Parti socialiste-SFIO, les démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire.

    Les socialistes avaient relativement besoin des deux autres forces, qui quant à elles espéraient obtenir assez de poids pour se passer l’une de l’autre.

    Viennent alors les élections législatives du 10 novembre 1946, les premières dans le cadre de la nouvelle constitution. Elles permettent le plus grand succès électoral du Parti Communiste Français.

    Voici les résultats :

    – le Parti Communiste Français obtient 28,26 % des voix (soit 5,4 millions d’électeurs) ;

    – les démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire obtiennent 25,96 % des voix (4,9 millions d’électeurs) ;

    – le Parti socialiste-SFIO obtient 17,87 % des voix (soit 3,4 millions d’électeurs) ;

    – la droite avec le Parti républicain de la liberté obtient 12,94 % des voix (soit 2,4 millions d’électeurs) ;

    – le Rassemblement des gauches républicaines obtient 11,12 % des voix (soit 2,1 millions d’électeurs).

    Naturellement, les deux principales forces revendiquent de former le centre de gravité. Le 11 novembre 1946, le dirigeant démocrate-chrétien Maurice Schumann explique dans le quotidien catholique L’Aube que :

    « Une majorité, quelle qu’elle soit, exige un pôle d’attraction. Il n’en est que deux possibles : le communisme ou nous. »

    Le Parti Communiste Français réclame quant à lui la direction du gouvernement, par la voix de son Bureau Politique, le 15 novembre 1946 :

    « Le Parti communiste, conscient de ses responsabilités est prêt à assumer toutes les charges qui découlent pour lui de sa position de premier Parti de France.

    C’est pourquoi, respectueux des décisions du suffrage universel, il revendique l’honneur et la responsabilité de la présidence du gouvernement de la République française, dans une volonté d’étroite collaboration avec tous les républicains soucieux de poursuivre dans l’union et la concorde, dans le respect des convictions et des croyances de chacun et dans l’exaltation de l’effort de tout un peuple, une politique démocratique, laïque et sociale, gage de la renaissance de la France

    Le Bureau Politique décide de s’adresser au Conseil National du Parti Socialiste convoqué pour le 17 novembre, et de lui faire des propositions relatives à la formation d’un gouvernement d’union démocratique, laïque et sociale, à présidence communiste.

    Le Parti communiste et le Parti socialiste disposent, dans la nouvelle Assemblée nationale, de forces suffisantes pour faire appliquer, en accord avec tous les républicains sincères, la volonté de suffrage universel. »

    Il va de soi que Maurice Thorez ne devint pas président du Conseil. Les socialistes répondirent simplement qu’il appartenait au Parti Communiste Français d’établir son projet, puisque lui revenait la première place électorale et donc le droit de proposer un président du Conseil.

    Cela torpillait sans le dire la possibilité d’un projet commun.

    Pour autant, les socialistes ajoutèrent leurs voix aux communistes pour avoir Maurice Thorez comme président du Conseil… Tout en sachant très bien que l’entreprise échouerait, aboutissant à 259 voix alors qu’il en aurait fallu au moins 310.

    Les démocrates-chrétiens se proposent alors, se font rejeter ; il ne reste bien entendu à tout le monde qu’à proposer un candidat socialiste…

    Et ce fut le retour de Léon Blum à la présidence du Conseil, avec uniquement des ministres socialistes, pour un court interlude, en raison de la prochaine élection présidentielle.

    La naïveté du Parti Communiste Française est ici édifiante, mais elle a surtout comme source l’opportunisme, car son but était d’exister à tout prix dans le cadre républicain.

    La quête de légitimité et l’expression du légitimisme l’emportaient sur toute autre considération.

    Pour cette raison, le Parti Communiste Français soutint également le socialiste Vincent Auriol comme candidat à la présidence de la République, ce que les socialistes avaient parfaitement calculé.

    Vincent Auriol fut élu (par l’Assemblée et l’équivalent de ce qu’on appellera les sénateurs) en janvier 1947 ; c’est le communiste Jacques Duclos qui annonce sa victoire (« Soyons unis pour assurer par l’effort créateur de tout un peuple la prospérité de la France et la grandeur de la République »), puis Vincent Auriol embrasse Léon Blum avant de rejoindre l’Élysée.

    Le socialiste Paul Ramadier prend alors le relais de Léon Blum à la présidence de la République, avec de nouveau des ministres communistes.

    Malgré le poids des communistes, ce sont les socialistes qui sont au centre du jeu !

    Dans le nouveau gouvernement, Maurice Thorez est vice-président du conseil et ministre d’État (comme le démocrate-chrétien Pierre-Henri Teitgen), François Billoux est ministre de la Défense nationale (mais pas ministre de la Guerre, poste occupé par un démocrate-chrétien), Charles Tillon est ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, Ambroise Croizat est ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Georges Marrane est ministre de la Santé publique et de la Population.

    Seulement, le Parti Communiste Français doit faire face à un revers terrible. Au 38e congrès du Parti socialiste-SFIO à Paris (du 29 août au 1er septembre 1946), le basculement déjà évident en 1945 s’officialise.

    La direction démissionne après que le rapport moral soit repoussé par 2 975 voix contre 1 365 (et 145 abstentions) et le document qui ressort du congrès repousse clairement le Parti Communiste Français :

    « L’unité organique du prolétariat demeure pour le Parti socialiste un objectif essentiel.

    Mais force est de constater qu’elle ne pourra être réalisée tant que les partis communistes nationaux ne se seront pas libérés de leur assujettissement politique et intellectuel vis-à-vis de l’État russe, et tant qu’ils ne pratiqueront pas une véritable démocratie ouvrière.

    Désormais le Comité directeur du Parti sera seul habilité pour prendre contact, et uniquement dans des circonstances exceptionnelles, avec les organisations politiques, syndicales ou philosophiques voisines en vue d’actions communes ayant des buts précis, limités dans leur objet et dans le temps. »

    C’en est fini de la fiction d’un possible « Parti Ouvrier Français ». Après l’échec d’une assemblée toute-puissante, il ne reste plus que le gouvernement auquel s’accrocher.

    La contestation interne se fait également toujours plus pressante. Maurice Thorez se retrouve notamment en minorité au Comité central du 19 mars 1947, où la majorité avait exigé que soit cessé l’appui aux crédits militaires pour la guerre en Indochine.

    On est ici dans un angle mort de la stratégie républicaine, puisque le Parti Communiste Français avait, de manière persistante, par souci d’acquérir une légitimité, accompagné le maintien de l’Empire français.

    Le 20 mars 1945 à l’Assemblée, André Mercier avait par exemple fait une intervention très documentée en faveur… d’un « programme colonial humain et démocratique ».

    La question de l’Indochine fit sauter ce verrou, et Maurice Thorez fut alors obligé de forcer le 22 mars 1947 à une réunion d’urgence du Bureau Politique pour soutenir le vote de confiance au gouvernement, et éviter la sortie des ministres communistes.

    Mais la question du soutien à outrance au gouvernement se posait désormais ouvertement. Manœuvrer commençait à devenir difficile, d’autant plus que sur le plan économique, les masses ne pouvaient que gronder.

    Et cette activité des masses commençait à se produire hors du cadre du Parti. En mars 1947, L’Humanité tire à 613 000 exemplaires, ce qui est à la fois beaucoup et extrêmement faible.

    Dans l’ordre des choses, ce quotidien devrait être lu par bien plus de gens que les membres du Parti, là il est lu par bien moins !

    Et quand la CGT organise une vaste journée le 25 mars 1947, il y a finalement peu de monde. 500 000 personnes à Paris, 120 000 à Lyon, 80 000 à Bordeaux, 60 000 à Marseille, 20 000 à Rouen et autant à Lille et Nîmes, 10 000 à Strasbourg et autant à Béziers, Châteauroux, Montluçon, Toulouse.

    Le 1er mai, il y a bien un million de personnes, mais cela veut dire que les mobilisations ne réussissent que de manière formalisée. Il en va de même pour les meetings : Maurice Thorez rassemble des dizaines de milliers de personnes lors de son passage dans différentes villes du monde.

    Mais il n’existe aucune dynamique idéologique, aucune dynamique politique. On marche par rituels, traditions et revendications syndicalistes.

    Le contexte va alors tout faite sauter.

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  • Maurice Thorez et l’interview au Times

    Apogée du Parti Communiste Français, 1946 est l’année où Maurice Thorez expose de manière assumée sa rupture avec l’idéal révolutionnaire en tant que prise violente du pouvoir.

    Il faut ici être très clair : dans la séquence 1945-1947, le Parti Communiste Français abandonne ouvertement le principe de l’insurrection, de destruction de l’État.

    L’épisode du Times est l’annonce la plus connue, mais elle est embryonnaire ; on trouve l’idée de manière encore plus développée et assumée au niveau du Parti en 1947.

    Pour l’épisode du Times, cela se déroule en deux temps. On a d’abord une interview accordée par Maurice Thorez au journaliste anglais Harold King et reproduite par le quotidien britannique conservateur Daily Mail (édition continentale), le 15 novembre 1946.

    On y lit :

    « Nous désirons un gouvernement dans lequel il y ait place pour tous ceux qui veulent travailler à la reconstruction de la France.

    Il n’est aucunement question de gouvernement d’un parti, mais de gouvernement de la France.

    Il est certain que le Parti communiste connaîtra de nouveaux succès aux élections à la deuxième Assemblée. II existe un courant puissant en France en faveur du Parti communiste. »

    Puis il y a la retentissante déclaration accordée au Times, revue britannique où Maurice Thorez s’était déjà retrouvé en couverture le 3 juin 1946.

    Publiée le 18 novembre 1946, la déclaration sera mise en valeur par la suite par le Parti Communiste Français pendant plusieurs décennies. On est à rebours de toute perspective de confrontation révolutionnaire.

    « Les élections du 10 novembre ont souligné une fois de plus le caractère national et démocratique du Parti communiste français, profondément enraciné dans les couches populaires, à la ville et à la campagne.

    Les travailleurs, les républicains font confiance au Parti communiste français parce qu’il a été et qu’il demeure le parti de la clairvoyance et du courage.

    Seul, avant la guerre, il a dénoncé et combattu la prétendue non-intervention et la capitulation de Munich, c’est-à-dire la politique de concessions qui a encouragé les agresseurs fascistes. Il a été, sur le sol national, l’organisateur et le dirigeant de la lutte armée contre l’envahisseur allemand et contre la trahison vichyste.

    Il est, depuis la Libération, l’initiateur et le conducteur de l’effort populaire pour la reconstruction de la France.

    Tout le monde sait qu’à l’appel du Parti communiste, les mineurs français ont, depuis un an, doublé notre production de charbon qui dépasse de quinze pour cent les chiffres d’avant-guerre.

    En même temps, grâce à l’initiative des ministres communistes, les ouvriers, les fonctionnaires, les paysans, les vieux travailleurs, les mères ont obtenu des avantages substantiels.

    Enfin, l’opinion démocratique française approuve nos positions en matière de politique extérieure, notamment sur les problèmes de la sécurité et des réparations.

    Nous n’admettons pas l’idée émise par certains de rendre à l’Allemagne une position économique dominante en Europe.

    Nous demandons l’internationalisation de la Ruhr et le rattachement de la Sarre à notre système économique. Nous voulons la liquidation du fascisme et le désarmement effectif de l’Allemagne.

    Nous estimons nécessaire, indispensable, l’entente entre nos grands alliés anglais, américain et soviétique.

    Nous repoussons toute politique de blocs et d’orientation exclusive sur l’un quelconque de nos alliés, notre gratitude allant également à tous.

    Nous souhaitons le resserrement des liens d’amitié et d’alliance entre la Grande-Bretagne et la France. Je suis d’une province arrosée de trop de sang britannique pour ne pas mesurer le prix de l’amitié franco-anglaise.

    L’accord devrait résulter d’une juste solution de la question allemande. Nous ne comprenons pas qu’on nous refuse le charbon de la Ruhr et que l’on compromette ainsi le relèvement de notre pays.

    Nous avons répété expressément au cours de notre campagne électorale que nous ne demandions pas au peuple le mandat d’appliquer un programme strictement communiste, c’est-à-dire reposant sur une transformation radicale du régime actuel de la propriété et des rapports de production qui en découlent.

    Nous avons préconisé un programme démocratique et de reconstruction nationale, acceptable pour tous les républicains, comportant les nationalisations, mais aussi le soutien des moyennes et petites entreprises industrielles et artisanales et la défense de la propriété paysanne contre les trusts.

    A l’étape actuelle du développement de la société, nous avons la conviction que les nationalisations – le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés – constituent un progrès dans la voie du socialisme.

    Les nationalisations portent atteinte à la toute-puissance des oligarchies financières, elles limitent les possibilités légales de l’exploitation de l’homme par l’homme, elles placent entre les mains d’un gouvernement démocratique des moyens appréciables pour l’œuvre de redressement économique et social du pays.

    Il est évident que le Parti communiste, dans son activité gouvernementale, et dans le cadre du système parlementaire qu’il a contribué à rétablir, s’en tiendra strictement au programme démocratique qui lui a valu la confiance des masses populaires.

    Les progrès de la démocratie à travers le monde, en dépit de rares exceptions qui confirment la règle, permettent d’envisager pour la marche au socialisme d’autres chemins que celui suivi par les communistes russes.

    De toute façon, le chemin est nécessairement différent pour chaque pays. Nous avons toujours pensé et déclaré que le peuple de France, riche d’une glorieuse tradition, trouverait lui-même sa voie vers plus de démocratie, de progrès et de justice sociale.

    Cependant, l’histoire montre qu’il n’y a pas de progrès sans lutte. Il n’y a pas de route toute tracée sur laquelle les hommes puissent avancer sans effort.

    Il leur a toujours fallu surmonter bien des obstacles. C’est le sens même de la vie.

    L’union des forces ouvrières et républicaines est le sûr fondement de la démocratie.

    Le Parti ouvrier français que nous proposons de constituer par la fusion des partis communiste et socialiste, serait le guide de notre démocratie nouvelle et populaire.

    Il ouvrirait largement ses rangs aux travailleurs catholiques auxquels nous avons tendu bien avant la guerre une main fraternelle que beaucoup ont saisie.

    Nombreux sont d’ailleurs les Français qui partagent notre conception de la laïcité : pas de guerre à la religion, neutralité absolue de l’enseignement au regard de la religion.

    Les Français communistes désirent vivement que le caractère national et démocratique de toute leur activité soit compris en Grande-Bretagne.

    Il n’en peut résulter que des effets heureux dans les rapports entre nos deux pays, pour le plus grand bien de notre cause commune, la cause de tous les peuples, la cause de la liberté et de la paix. »

    Cette déclaration va être formalisée idéologiquement en 1947.

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  • Contestation interne et soutien à la constitution

    Une fois les élections passées et l’entrée de nouveaux ministres communistes au gouvernement, le légitimisme ne va évidemment pas cesser. Le discours de Waziers est réitéré à plusieurs reprises, sous plusieurs formes, voire démultiplié avec par exemple la mise en avant de la « bataille pour l’acier », la « bataille du vin ».

    Le 17 février 1946, Maurice Thorez est à Montceau-les-Mines, où il prononce un discours dans l’esprit de celui de Waziers. Voici comment l’événement est raconté par Georges Cogniot, dans l’article « Politique de résultats, politique d’avenir » publié dans L’Humanité.

    On notera que le discours de Maurice Thorez a également été diffusé à la radio nationale.

    « POLITIQUE DE RÉSULTATS, POLITIQUE D’AVENIR

    Le magnifique congrès du Sous-Sol de Montceau-les-Mines s’est achevé dans une atmosphère de virile allégresse et d’enthousiasme réfléchi ; dimanche, au cours d’une manifestation de trente mille personnes, Maurice Thorez a parlé.

    Le secrétaire général du Parti Communiste, le vice-président du gouvernement, a développé les idées pour lesquelles, depuis dix-huit mois, il combat inflexiblement.

    Il a préconisé une fois de plus la politique de production, la politique de résultats, la politique d’avenir.

    Avec son langage direct et franc son sens aigu des réalités et son civisme il, a appelé les mineurs, — après avoir salué leurs efforts et leur victoire, — à dépasser encore leurs résultats. Il leur a demandé 100 kilos de plus par travailleur et par jour pour que la France puisse hausser sa production sidérurgique a 75% du niveau d’avant guerre.

    Maurice Thorez a redit comment l’augmentation de la production est la clé la seule clé de tous nos problèmes comment il faut accroître le volume des marchandises pour mettre fin au désordre des prix et aux risques de la monnaie, au marché noir et à la misère.

    Les forces ennemies du rétablissement national, elles aussi sont appelées par leur nom dans le discours de Montceau. C’est la gabegie, c’est l’esprit bureaucratique, c’est l’apathie et la défiance à l’égard des énergies populaires, qu’une grande voix de combattant nous exhorte à attaquer à boulet rouge, en unissant tous nos efforts, qui que nous soyons, socialistes, communistes, catholiques.

    En vain, la réaction puise dans sa collection de masques. Maurice Thorez les lui arrache l’un après l’autre.

    Comme ils s’effondrent sous ses coups, ceux qui voudraient prendre l’apparence d’une entière sécurité et camoufler nos difficultés passagères, et ces autres qui, après avoir été les idéologues de la grande pénitence, se déguisent aujourd’hui en défenseurs des libertés syndicales et ceux-là encore qui, hier partisans de la tyrannique Charte du Travail de Pétain, excitent aujourd’hui à la grève…

    Quand la classe ouvrière ne saurait pas que son intérêt est de produire elle s’en apercevrait rien qu’à voir quels sont ceux qui sabotent la production.

    A la fin de 1900 à propos du mouvement grandiose des mineurs de Montceau Jean Jaurès s’écriait : « C’est la résurrection de la classe ouvrière depuis vingt ans couchée dans sa servitude comme en un tombeau. »

    Un demi-siècle plus tard les syndicats du Sous-Sol font de nouveau des prodiges et, de nouveau, Montceau marquera, une étape sur la voie d’une reprise, d’une remontée, d’une résurrection.

    Cette fois, le prolétariat ne se relève plus seulement lui-même. Il joue son rôle, le premier, dans le redressement du pays.

    Dans sa volonté de liberté et de progrès, il se range au service de la grande politique nationale inlassablement défendue par Maurice Thorez. »

    Quelques jours plus tard, le Parti Communiste Français participait à l’esprit unanime du vote consacrant la propriété dans la constitution. C’est une reconnaissance absolue du capitalisme, une capitulation en rase campagne.

    L’article de la constitution est rédigé comme suit :

    « La propriété est le droit inviolable et sacré d’user, de jouir et de disposer des biens garantie à chacun par la loi.

    Nul ne saurait en être privé, si ce n’est pour cause d’utilité publique légalement constatée et sous la condition d’une juste indemnité fixée conformément à la loi. »

    Si on comprend que Maurice Thorez représente une ligne opportuniste de droite, on saisit forcément que tout cela est catastrophique. Il n’y a pourtant absolument personne pour le voir alors dans le Parti et il ne se formera jamais aucune opposition en son sein.

    C’est que les militants sont nouveaux, façonnés par l’élan et l’entrain du Front populaire, puis de la Résistance, tous deux interprétés comme une « fusion » populaire et nationale.

    Quant aux cadres historiques, ils sont heureux de ne pas être isolés comme le Parti l’était dans les années 1920 et c’est l’alpha et l’oméga de leur vision du monde. Tout sauf les années 1920 est la règle absolue.

    À leurs yeux, avoir été 30 000 rejetés par tout le pays était atroce, alors forcément, se retrouver à un million avec la légitimité républicaine, cela change tout pour eux.

    Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas de perplexité, voire de mécontentement profond devant ce qui est souvent considéré comme une tendance trop conciliatrice.

    À la mi-1946, la contestation commence à gronder dans les rangs ; d’ici la fin de l’année, le Parti aura perdu 100 000 membres. La direction fut dans l’obligation de maintenir toujours plus fermement sa ligne opportuniste de droite ; elle s’empressa notamment de changer les cadres dirigeants de la Charente, de la Haute-Vienne et du Lot-et-Garonne.

    Les 15 et 16 juin 1946, à la session du Comité Central, Maurice Thorez eut même un mal fou à faire passer le maintien de la ligne. Il fut obligé de dénoncer ceux qui « mettent en doute notre ligne générale ».

    En plus d’Auguste Lecœur, il est fait allusion ici à André Marty, l’ancien mutin de la Mer Noire et grand organisateur au sein des Brigades Internationales ; il était en URSS pendant la guerre. Il faisait partie des hauts dirigeants, notamment dans le cadre de la question de la mise en place du gouvernement.

    Néanmoins, André Marty ne dénonça jamais frontalement les porteurs de la ligne opportuniste de droite ; il prônait seulement une rectification. Il fut rapidement mis de côté dans le Parti lui-même, puis exclu, lui-même passant dans une sorte de mélange d’anarchisme et de révisionnisme.

    Il faut dire que la direction du Parti Communiste Français pratiquait la fuite en avant. Il parvint ainsi à un accord avec les socialistes pour proposer un projet de constitution.

    Le régime proposé consistait en une seule assemblée, où le président de la République n’avait finalement qu’un rôle honorifique. Cela eut son effet : le projet obtint 309 voix contre 249 à l’Assemblée en avril 1946 et fut donc proposé par référendum.

    L’appel de Maurice Thorez relatif à ce projet de constitution est exemplaire de l’opportunisme « républicain » désormais identité profonde du Parti Communiste Français.

    Participation à la vie de l’entreprise, protection de la propriété, justificatif par une revue conservatrice britannique, éloge de la stabilité… le document est un véritable drame historique, une honte absolue.

    « L’appel de Maurice THOREZ à la Nation française

    Français et Françaises,

    Dans quelques heures vous fixerez les destinées de la Patrie.

    Toutes les raisons du cœur et de l’esprit vous recommandent de voter OUI, de ratifier la Constitution démocratique adoptée par l’Assemblée Nationale.

    OUI POUR l’amour de la France et de la République que le sacrifice de nos héros et de nos martyrs, et l’aide de nos alliés, ont fait triompher de l’envahisseur hitlérien et de ses complices vichyssois.

    OUI PAR fidélité à l’idéal des combattants de la résistance qui s’étaient unis pour libérer la France et qui doivent le demeurer afin de poursuivre et de mener à bien l’œuvre immense de redressement national.

    OUI PAR attachement aux libertés que la Constitution garantit à tous les Français de la métropole et aux ressortissants des territoires d’outre-mer : liberté de pensée et de presse ; liberté de réunion et de défilé dans la rue ; liberté de conscience dans le respect absolu de la laïcité ; liberté d’association ; droits égaux pour la femme et pour l’homme.

    OUI POUR rendre effectifs les droits sociaux et économiques inscrits dans la Constitution : intégrité et dignité de la personne humaine ; protection de la famille, de la mère et de l’enfant ; droit à l’instruction pour tous ; droit au travail comme au repos ; droit des salariés de participer à la gestion des entreprises.

    OUI POUR sauvegarder la propriété, fruit du travail et de l’épargne, et d’autant mieux garantie que les grandes entreprises des trusts expropriateurs deviennent propriété de la Nation.

    OUI POUR ne pas laisser remettre en question les avantages acquis par le monde du travail : le principe des 40 heures et les majorations de salaires pour les heures supplémentaires ; l’organisation des Comités d’entreprises ; la retraite des vieux ; le statut du fermage et du métayage ; le prêt d’installation aux jeunes ménages paysans, etc…

    OUI ENFIN, pour sortir du provisoire, pour ne pas laisser sombrer le pays dans le chaos et l’anarchie ; pour que des institutions stables assurent les conditions les plus propres au développement de notre production, source unique de prospérité et de bien-être ;

    et pour que le gouvernement de demain soit en mesure de faire aboutir les revendications légitimes de notre pays en matière de sécurité et de réparations, gage d’une paix solide et durable.

    Français et Françaises,

    Votez OUI, pour une Constitution « raisonnable et modérée » comme le reconnaît le Times, le grand journal conservateur anglais, qui ajoute :

    « La « dictature de la majorité » – entre guillemets – qui effraye tant la droite, diffère peu des méthodes parlementaires actuellement en usage à la Chambre des Communes ».

    Le Times dit encore : « Si le peuple français vote pour la nouvelle Constitution, alors le pays aura renoué avec la tradition de 1789 ».

    Français et Françaises.

    Le PARTI COMMUNISTE vous appelle avec confiance à voter OUI.

    OUI POUR LA FRANCE DE 1789,

    OUI, POUR LA RÉPUBLIQUE DÉ

    MOCRATIQUE, LAÏQUE ET SOCIALE. »

    Le vote national fut un échec. Le 5 mai 1946, il y eut 52,82 % de « non », pour 47,18 % de « oui » (soit 10 584 359 de voix contre 9 454 034), avec 79 % de participation.

    La tentative de court-circuiter la question « deux » du référendum de 1945 était un échec. Elle avait permis de rêver pendant plusieurs mois, mais en mai 1946, on retourne à la case départ.

    Qui plus est, il était alors nécessaire de refaire des élections pour qu’une nouvelle assemblée soit élue et propose une nouvelle constitution.

    Les élections du 2 juin 1946 donnent le rapport suivant :

    – les démocrates-chrétiens du Mouvement républicain populaire obtiennent 28,22 % des voix (5,5 millions d’électeurs) ;

    – le Parti Communiste Français obtient 25,98 % des voix (soit 5,1 millions d’électeurs) ;

    – le Parti socialiste-SFIO obtient 21,14 % des voix (soit 4,1 millions d’électeurs) ;

    – la droite avec le Parti républicain de la liberté obtient 12,76 % des voix (soit 2,5 millions d’électeurs) ;

    – le Rassemblement des gauches républicaines obtient 11,61 % des voix (soit 2,2 millions d’électeurs).

    Il y a alors un nouveau projet de constitution, dans l’esprit traditionnel français avec une assemblée, un sénat, etc. Ce fut la dépolitisation massive, puisque le référendum le 13 octobre 1946 était marqué par 32 % d’abstention.

    Et le projet fut adopté par 53,24 % des voix (contre 46,76 %).

    La victoire fut courte, mais cela suffisait à anéantir tous les efforts du Parti Communiste Français depuis 1945. La nouvelle de Constitution n’avait rien à voir avec celle espérée.

    Pire encore, le Parti Communiste Français a considéré… qu’il fallait la soutenir.

    C’était un retournement de position totalement opportuniste sur le plan stratégique, mais justement : une fois ancré dans le régime, le Parti Communiste Français n’a qu’une seule obsession, la tactique pour rester dans le jeu politique, à tout prix.

    Voici son commentaire suite au résultat.

    « Vive la Constitution ! Vive la République !

    FRANÇAIS et FRANÇAISES !

    Vous venez de remporter une grande victoire républicaine en ratifiant la Constitution.

    En votant OUI, vous avez assuré le triomphe de la République et écarté le danger du pouvoir personnel. Vous avez permis ainsi à la France de sortir du provisoire propice aux désordres, aux, scandales, aux aventures.

    La France va enfin avoir les institutions stables qui vont permettre de poursuivre à l’intérieur une politique vigoureuse de Renaissance nationale, et à l’extérieur une politique de paix fondée sur l’union des alliés, la sécurité de nos frontières et le paiement des réparations.

    Les adversaires de la démocratie espéraient que la victoire des NON leur permettrait de remettre en discussion les principes républicains auxquels le peuple de France est traditionnellement attaché.

    La victoire des OUI a mis tous ces plans en échec, mais le danger réactionnaire reste menaçant.

    Autour de la nouvelle Constitution adoptée par le peuple et qui doit être la loi pour tous, autour de la République indivisible, laïque, démocratique et sociale, il faut monter une garde vigilante.

    Communistes, socialistes et républicains de toute nuance, fermement attachés à la cause de la République inséparable de celle de la France, soyons unis autour de la Constitution pour conduire notre pays vers plus de liberté et de bien-être.

    VIVE LA FRANCE ! VIVE LA RÉPUBLIQUE !

    Le Parti Communiste Français »

    Comme on le voit, le soutien au projet tient au refus des « désordres », des « scandales », des « aventures ». De quoi est-il parlé ici, au juste ?

    Tout simplement du retour politique de Charles de Gaulle. Celui-ci était à la tête du gouvernement provisoire depuis juin 1944 ; il avait conservé son poste après les élections de 1945. Mais le 20 janvier 1946, il avait démissionné.

    Son motif : il était pour un régime centralisé ; de fait, il vient de la droite la plus autoritaire, confinant au fascisme. Son explication est sans ambiguïtés par ailleurs :

    « Le régime exclusif des partis est reparu. Je le réprouve. Mais, à moins d’établir par la force une dictature dont je ne veux pas, et qui sans doute tournerait mal, je n’ai pas les moyens d’empêcher cette expérience. »

    Charles de Gaulle théorisa son refus de la quatrième république dans un premier discours à Bayeux le 16 juin 1946 (il s’agit de la première ville libérée par le débarquement et de Gaulle était présent deux ans auparavant, tenant un discours), et surtout dans un second discours à Épinal du 29 septembre 1946, où il expliqua la nécessité d’un « État fort ».

    En voici les extraits les plus significatifs.

    « La République a été sauvée en même temps que la patrie (…). Entre-temps, nous avons gouverné, en appelant à nos côtés des hommes de toutes origines.

    Nous l’avons fait, certes, avec autorité, parce que rien ne marche autrement, et nous avons sans rémission, mais non sans peine, brisé ou dissous à mesure toutes les tentatives intérieures ou extérieures d’établir quelque pouvoir que ce fût en dehors de celui du Gouvernement de la République.

    Peu à peu, la nation avait bien voulu nous entendre et nous suivre. Ainsi furent sauvés la maison et même quelques meubles. Ainsi le pays put-il recouvrer le trésor intact de sa souveraineté vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres.

    C’est pourquoi – soit dit en passant – nous accueillons avec un mépris de fer les dérisoires imputations d’ambitions dictatoriales, que certains, aujourd’hui, prodiguent à notre égard et qui sont exactement les mêmes que celles dont, depuis le 18 juin 1940, nous fûmes comblé, sans en être accablé, par l’ennemi et ses complices, par la tourbe des intrigants mal satisfaits, enfin par certains étrangers qui visaient à travers notre personne l’indépendance de la France et l’intégrité de ses droits.

    Mais, si la République est sauvée, il reste à la rebâtir (…).

    Il nous parait nécessaire que l’état démocratique soit l’état démocratique, c’est-à-dire que chacun des trois pouvoirs publics : exécutif, législatif, judiciaire, soit un pouvoir mais un seul pouvoir, que sa tâche se trouve limitée et séparée de celle des autres et qu’il en soit seul, mais pleinement, responsable.

    Cela afin d’empêcher qu’il règne dans les pouvoirs de l’État cette confusion qui les dégrade et les paralyse ; cela aussi afin de faire en sorte que l’équilibre établi entre eux ne permette à aucun d’en écraser aucun autre, ce qui conduirait à l’anarchie d’abord et, ensuite, à la tyrannie, soit d’un homme, soit d’un groupe d’hommes, soit d’un parti, soit d’un groupement de partis.

    Il nous paraît nécessaire que le Chef de l’État en soit un, c’est-à-dire qu’il soit élu et choisi pour représenter réellement la France et l’Union Française, qu’il lui appartienne, dans notre pays si divisé, si affaibli et si menacé, d’assurer au-dessus des partis le fonctionnement régulier des institutions et de faire valoir, au milieu des contingences politiques, les intérêts permanents de la nation (…).

    Nous ne résoudrons les vastes problèmes du présent et de l’avenir : conditions de la vie des personnes et des familles et, d’abord, des moins avantagées, activité économique du pays, restauration financière, réformes sociales et familiales, organisation de l’Union Française, défense nationale, refonte de l’administration, position et action de la France dans le monde, que sous la conduite d’un État juste et fort.

    Ces convictions-là sont les nôtres. Elles n’ont pas de parti. Elles ne sont ni de gauche, ni de droite. »

    Le Parti Communiste Français voit ainsi en Charles de Gaulle une menace, d’où son appel finalement à soutenir le second projet de constitution, qui aurait au moins le mérite de ne pas être centralisé.

    C’est une « constitution démocratique » afin d’éviter « le provisoire propice aux aventures ».

    Le Parti Communiste Français ne le sait pas encore, mais une telle politique de soumission au régime va permettre à Charles de Gaulle de se positionner en sauveur face à une quatrième république chaotique, d’abord en fondant un « Rassemblement du peuple français » en avril 1947, puis avec le coup d’État en 1958.

    Qui plus est, tout cela entraîne dans une logique impitoyable : le Parti Communiste Français est pour les améliorations démocratiques, donc s’il y a des améliorations démocratiques c’est que le Parti Communiste Français est pour.

    Son identité est alors forgée, comme aile « républicaine sociale » du régime, que cela soit la quatrième ou la cinquième république.

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