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  • Résolution du Kominform sur la défense de la Paix et la lutte contre les fauteurs de guerre


    La défense de la Paix et la lutte contre les fauteurs de guerre

    Novembre 1949

    Les représentants du Parti communiste de Bulgarie, du Parti ouvrier roumain, du Parti des travailleurs hongrois, du Parti ouvrier unifié de Pologne, du Parti communiste bolchevik de l’U.R.S.S., du Parti communiste français, du Parti communiste de Tchécoslovaquie et du Parti communiste italien, après avoir discuté de la défense de la paix et de la lutte contre les fauteurs de guerre, sont arrivés à un accord unanime sur les conclusions suivantes.

    Les événements des deux dernières années ont pleinement confirmé la justesse de l’analyse de la situation internationale donnée par le Bureau d’information des Partis communistes et ouvriers dans sa première conférence, en septembre 1947.

    Au cours de cette période, deux lignes se sont dessinées plus nettement encore dans la politique mondiale : celle du camp démocratique, anti-impérialiste, ayant à sa tête l’U.R.S.S, du camp qui mène une lutte persévérante et conséquente pour la paix entre les peuples, pour la démocratie, et celle du camp impérialiste, anti-démocratique, ayant à sa tête les cercles dirigeants des États-Unis d’Amérique, du camp qui a pour but principal d’établir par la violence la domination anglo-américaine sur le monde, d’asservir les autres pays et les autres peuples, d’écraser la démocratie et de déclencher une nouvelle guerre.

    En même temps, le camp impérialiste devient de plus en plus agressif. Les cercles dirigeants des États-Unis d’Amérique et de Grande-Bretagne mènent ouvertement une politique d’agression et de préparation d’une nouvelle guerre.

    Dans la lutte contre le camp de l’impérialisme et de la guerre, les forces de paix, de démocratie et de socialisme ont grandi et se sont fortifiées. Le développement continu de la puissance de l’Union Soviétique, la consolidation politique et économique des pays de démocratie populaire et leur entrée dans la voie de l’édification socialiste, la victoire historique de la Révolution populaire chinoise sur les forces conjuguées de la réaction intérieure et de l’impérialisme américain, la création de la République démocratique allemande, la consolidation des partis communistes et le développement du mouvement ouvrier et démocratique dans les pays capitalistes, l’ampleur immense du mouvement des partisans de la paix, tout cela marque un élargissement et un renforcement sérieux du camp anti-impérialiste et démocratique.

    En même temps, le camp impérialiste et anti-démocratique s’affaiblit.

    Les succès des forces de démocratie et de socialisme, le fait que la crise économique mûrit, l’aggravation continue de la crise générale du système capitaliste, l’aggravation des contradictions intérieures et extérieures de ce système attestent l’affaiblissement croissant de l’impérialisme.

    Les changements survenus dans le rapport des forces sur l’arène internationale en faveur du camp de la paix et de la démocratie provoquent la rage des fauteurs de guerre impérialistes.

    Les impérialistes anglo-américains comptent, par la guerre, changer le cours du développement historique, résoudre leurs contradictions et leurs difficultés intérieures et extérieures, consolider les positions du capital monopolise et accéder à la domination mondiale.

    Sentant que le temps travaille contre eux, les impérialistes forgent avec une hâte fébrile différents blocs et alliances des forces réactionnaires pour la réalisation de leurs plans d’agression.

    TOUTE la politique du bloc impérialiste anglo-américain sert à préparer une nouvelle guerre.

    Elle s’exprime par la mise en échec du règlement pacifique des relations avec l’Allemagne et le Japon, par l’achèvement du démembrement de l’Allemagne, par la transformation des zones occidentales de l’Allemagne et du Japon occupé par les troupes américaines en pépinières du fascisme, de l’esprit revanchard et en places d’armes pour la réalisation des plans d’agression de ce bloc.

    C’est à cette politique que servent le plan Marshall d’asservissement et sa suite directe, l’Union occidentale et le bloc militaire de l’Atlantique-nord, dirigés contre tous les peuples épris de paix ; c’est à cette politique que servent la course effrénée aux armements aux États-Unis d’Amérique et dans les pays de l’Europe occidentale, le gonflement des budgets de guerre et l’extension du réseau des bases militaires américaines.

    Cette politique s’exprime aussi dans le refus opposé par le bloc anglo-américain à l’interdiction de l’arme atomique, bien que la légende du monopole atomique américain se soit effondrée, et dans l’excitation extrême de l’hystérie belliciste.

    Toute la ligne du bloc anglo-américain à l’Organisation des Nations Unies, ligne visant à saper l’O.N.U. et à en faire l’instrument des monopoles américains, est déterminée par cette politique.

    La politique de déclenchement d’une nouvelle guerre par les impérialistes s’est également exprimée par le complot dévoilé au procès dé Rajk et de Brankov à Budapest, complot organisé par les milieux anglo-américains contre les pays de démocratie populaire et l’Union soviétique avec l’aide de la clique nationaliste et fasciste de Tito, devenue une officine de la réaction impérialiste internationale.

    La politique de préparation d’une nouvelle guerre signifie pour les masses populaires des pays capitalistes un accroissement ininterrompu d’insupportables charges fiscales, l’aggravation de la misère des masses laborieuses parallèlement à l’augmentation fabuleuse des surproduits des monopoles qui s’enrichissent dans la course aux armements.

    Le fait que la crise économique mûrit apporte aux travailleurs des pays capitalistes une misère accrue, le chômage et la faim, l’angoisse du lendemain.

    En même temps, la politique de préparation a la guerre est liée aux atteintes incessantes portées par les cercles impérialistes dirigeants aux droits vitaux élémentaires et aux libertés démocratiques des masses populaires, à l’accentuation de la réaction dans tous les domaines de la vie sociale, politique et idéologique, à l’emploi des méthodes de répression fascistes à l’égard des forces progressistes et démocratiques des peuples.

    Par ces mesures, la bourgeoisie impérialiste essaie de préparer ses arrières pour une guerre de brigandage.

    Ainsi, de même qu’hier les agresseurs fascistes, le bloc anglo-américain prépare une nouvelle guerre dans tous les domaines : mesures militaires et stratégiques, pression et chantage politiques, expansion économique et asservissement des peuples, abrutissement idéologique des masses et accentuation de la réaction.

    Les potentats de l’impérialisme américain édifient leurs plans de déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale et d’accession à la domination mondiale sans tenir compte du rapport réel des forces entre le camp de l’impérialisme et le camp du socialisme.

    Leurs plans de domination mondiale ont encore moins de fondement et sont encore plus aventureux que les plans des hitlériens et des impérialistes japonais.

    Manifestement, les impérialistes américains surestiment leurs forces et sous-estiment la force et l’organisation grandissante du camp anti-impérialiste.

    ACTUELLEMENT, la situation historique diffère radicalement de celle dans laquelle a été préparée la deuxième guerre mondiale et, dans les conditions internationales présentes, les fauteurs de guerre auront incomparablement plus de mal à mettre leurs plans sanglants à exécution.

    « Les horreurs de la guerre récente sont encore trop présentes à la mémoire des peuples et les forces sociales qui sont pour la paix sont trop grandes pour que les disciples de Churchill en matière d’agression puissent en triompher et les diriger dans le sens d’une guerre nouvelle » (J. STALINE)

    Les peuples ne veulent pas la guerre, ils haïssent la guerre. Ils ont de plus en plus conscience de l’abîme effrayant dans lequel les impérialistes essaient de les entraîner.

    La lutte instable de l’Union soviétique, des pays de démocratie populaire et du mouvement démocratique international pour la paix, pour la liberté et l’indépendance des peuples, contre les fauteurs de guerre, reçoit chaque jour un soutien plus puissant des couches les plus larges de la population de tous les pays du monde.

    D’où le développement d’un puissant mouvement des partisans de la paix.

    Ce mouvement, qui rassemble dans ses rangs plus de 600 millions d’hommes, s’élargit et grandit, englobant tous les pays du monde et entraînant dans ses rangs des combattants toujours nouveaux contre la menace de guerre.

    Le mouvement des partisans de la paix est l’indice évident que les masses populaires prennent en main la défense de la paix, en affirmant leur volonté inébranlable de sauvegarder la paix et de prévenir la guerre.

    Cependant, il serait faux et nuisible à la cause de la paix de sous-estimer le danger de la nouvelle guerre que préparent les puissances impérialistes, États-Unis d’Amérique et Grande-Bretagne en tête.

    Le développement immense des forces du camp de la démocratie et du socialisme ne doit susciter aucune quiétude dans les rangs des vrais combattants de la paix.

    Ce serait une erreur profonde et impardonnable de croire que la menace de guerre aurait diminué.

    L’expérience de l’histoire montre que plus la cause de la réaction impérialiste est désespérée, plus celle-ci devient furieuse et plus grandit le danger d’aventures militaires.

    Seules, la plus grande vigilance des peuples, leur ferme résolution de lutter activement de toutes leurs forces et par tous les moyens pour la paix conduiront à la faillite des projets criminels des fauteurs d’une nouvelle guerre.

    Dans cette situation où la menace d’une nouvelle guerre augmente de plus en plus, les partis communistes et ouvriers ont une grande responsabilité devant l’histoire.

    La lutte pour une paix solide et durable, pour l’organisation et le rassemblement des forces de paix contre les forces de guerre doit être, à l’heure actuelle, au centre de toute l’activité des partis communistes et des organisations démocratiques.

    Pour remplir cette grande et noble mission : sauver l’humanité de la menace d’une nouvelle guerre, les représentants des partis communistes et ouvriers considèrent comme primordiales les tâches suivantes :

    1. Il faut travailler avec encore plus d’opiniâtreté à l’élargissement et à la consolidation organique du mouvement des partisans de la paix en y entraînant des couches toujours nouvelles, en en faisant un mouvement de l’ensemble du peuple.

    Il faut se préoccuper particulièrement d’entraîner dans le mouvement des partisans de la paix les syndicats, les organisations de femmes, de jeunes, les organisations coopératives, sportives, culturelles et éducatives, religieuses et autres, ainsi que les savants, les écrivains, les journalistes, les intellectuels, les parlementaires et autres personnalités politiques et sociales qui interviennent pour la défense de la paix, contre la guerre.

    Aujourd’hui s’impose avec une force particulière la tâche de rassembler tous les partisans honnêtes de la paix, sans distinction de croyances religieuses, d’opinions politiques et d’appartenance de parti, sur la plus large plate-forme de lutte pour la paix, contre la menace d’une nouvelle guerre qui pèse sur l’humanité.

    2. Pour continuer à développer le mouvement des partisans de la paix, il est d’une importance décisive que la classe ouvrière participe de plus en plus activement à ce mouvement, qu’elle resserre ses rangs et qu’elle s’unisse.

    C’est pourquoi la première tâche des partis communistes et ouvriers consiste à entraîner dans les rangs des combattants de la paix les couches les plus larges de la classe ouvrière, à créer une unité solide de la classe ouvrière, à organiser les actions communes des divers détachements du prolétariat sur une base commune de lutte pour la paix et l’indépendance nationale de leur pays.

    3. L’unité de la classe ouvrière ne peut s’obtenir que par une lutte résolue contre les socialistes de droite, diviseurs et désorganisateurs du mouvement ouvrier.

    Les socialistes de droite à la Bevin, Attlee, Blum, Guy Mollet, Spaak, Schumacher, Renner, Saragat, et les chefs syndicaux réactionnaires dans le genre de Green, de Carrey, de Deakin, qui font une politique anti-populaire de division, sont les principaux ennemis de l’unité de la classe ouvrière, les complices des fauteurs de guerre et les serviteurs de l’impérialisme ; ils couvrent leur trahison d’une phraséologie cosmopolite pseudo-socialiste.

    Les partis communistes et ouvriers doivent, en luttant sans trêve pour la paix, dénoncer quotidiennement les chefs socialistes de droite comme les pires ennemis de la paix.

    Il faut développer et consolider par tous les moyens la collaboration et l’unité d’action avec les organisations et les adhérents de base des partis socialistes, soutenir tous les éléments réellement honnêtes dans les rangs de ces partis en leur expliquant combien la politique des dirigeants réactionnaires de droite est pernicieuse.

    4. Les partis communistes et ouvriers doivent opposer à la propagande haineuse des agresseurs, qui s’efforcent de transformer les pays d’Europe et d’Asie en champs de bataille sanglants, la plus large propagande en faveur d’une paix solide et durable entre les peuples ; ils doivent dénoncer inlassablement les blocs et les alliances politiques et militaires de caractère agressif (en premier lieu l’Union occidentale et le bloc de l’Atlantique-nord) ; ils doivent expliquer largement qu’une nouvelle guerre apporterait aux peuples des détresses terribles entre toutes et des destructions colossales et que la lutte contre la guerre et la défense de la paix est l’affaire de tous les peuples du monde.

    Il faut faire en sorte que la propagande belliciste, que la propagande de la haine raciale et de l’hostilité entre les peuples, faite par les agents de l’impérialisme anglo-américain, se heurte à une condamnation impitoyable de toute l’opinion publique démocratique dans chaque pays. Il faut faire en sorte qu’aucune entreprise des propagandistes d’une nouvelle guerre ne reste sans riposte de la part des partisans honnêtes de la paix.

    5. Recourir largement aux nouvelles formes, efficaces et éprouvées, de lutte de masse pour la paix, telles que les comités de défense de la paix à la ville et à la campagne, l’organisation de pétitions et de protestations, de consultations populaires, qui ont été appliquées par la Conférence des Partis communistes dans une ample mesure en France et en Italie.

    L’édition et la diffusion de littérature dénonçant les préparatifs de guerre, la collecte de fonds pour soutenir la lutte pour la paix, l’organisation du boycott des films, des journaux, des livres, des revues, des campagnes radiophoniques, des institutions et des personnalités qui font de la propagande en faveur d’une nouvelle guerre, tout cela constitue une tâche des plus importantes pour les partis communistes et ouvriers.

    6. Les partis communistes et ouvriers des pays capitalistes considèrent de leur devoir de fusionner la lutte pour l’indépendance nationale et la lutte pour la paix ; de dénoncer inlassablement le caractère antinational, le caractère de trahison de la politique des gouvernements bourgeois devenus les commis avoués de l’impérialisme agressif d’Amérique ; d’unir et de rassembler toutes les forces démocratiques et patriotiques du pays autour des mots d’ordre d’abolition de l’asservissement ignominieux aux monopoles américains et de retour, à l’extérieur et à l’intérieur, à une politique indépendante répondant aux intérêts nationaux des peuples.

    Il faut rassembler les masses populaires les plus larges des pays capitalistes pour défendre les droits et les libertés démocratiques, en leur expliquant sans trêve que la défense de la paix est indissolublement liée à la défense des intérêts vitaux de la classe ouvrière et des masses laborieuses, à la défense de leurs droits économiques et politiques.

    Des tâches importantes incombent aux partis communistes de France, d’Italie, de Grande-Bretagne, d’Allemagne occidentale et des autres pays dont les impérialistes américains veulent utiliser les peuples comme chair à canon pour réaliser leurs plans d’agression.

    Ils doivent développer avec une force accrue la lutte pour la paix, la lutte pour faire échouer les projets criminels des fauteurs de guerre anglo-américains.

    7. Les partis communistes et ouvriers des pays de démocratie populaire et de l’Union soviétique ont pour tâche, en même temps qu’ils dénoncent les fauteurs de guerre impérialistes et leurs complices, de continuer à consolider le camp de la paix et du socialisme pour la défense de la paix et de la sécurité des peuples.

    8. Les impérialistes anglo-américains réservent un rôle important à la clique nationaliste de Tito qui a pria du service dans les organismes d’espionnage des impérialistes, pour réaliser leurs plans d’agression, en particulier dans l’Europe du centre et du sud-est.

    La défense de la paix et la lutte contre les fauteurs de guerre exigent que l’on continue à dénoncer cette clique, passée dans le camp des pires ennemis de la paix, de la démocratie et du socialisme, dans le camp de l’impérialisme et du fascisme.

    Il s’est constitué, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un front organisé de la paix, ayant à sa tête l’Union soviétique, rempart et champion de la paix dans le monde entier.

    L’appel courageux des partis communistes proclamant que jamais les peuples ne feront la guerre au premier pays socialiste du monde, l’Union soviétique, gagne de plus en plus largement dans les masses populaires des pays capitalistes.

    Pendant la guerre contre le fascisme, les partis communistes ont été l’avant-garde de la résistance des peuples aux envahisseurs; dans la période d’après-guerre, les partis communistes et ouvriers sont les champions d’avant-garde des intérêts vitaux de leurs peuples, contre une nouvelle guerre.

    Rassemblés sous la direction de la classe ouvrière, tous les adversaires d’une nouvelle guerre, le monde du travail, de la science, de la culture, forment un front puissant de la paix, capable de faire échouer les projets criminels des impérialistes.

    De l’énergie et de l’initiative des partis communistes dépend, pour beaucoup, l’issue de la lutte gigantesque et toujours plus ardente pour la paix.

    Il est possible de faire échouer les plans des fauteurs de guerre. Il dépend avant tout des communistes, combattants d’avant-garde, de faire de cette possibilité une réalité.

    Les forces de la démocratie, les forces des partisans de la paix dépassent de beaucoup les forces de la réaction.

    Il s’agit maintenant de porter à un degré plus élevé encore la vigilance des peuples à l’égard des fauteurs de guerre, d’organiser et de rassembler les larges masses populaires dans une lutte active pour la défense de la paix, au nom des intérêts vitaux des peuples, au nom de leur vie et de leur liberté.


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  • Résolution du Kominform sur le Parti communiste yougoslave au pouvoir des assassins et des espions


    Le Parti communiste yougoslave au pouvoir des assassins et des espions

    Novembre 1949

    Après avoir discuté de la question : « Le Parti communiste yougoslave au pouvoir des assassins et des espions« , le Bureau d’information, composé des représentants du Parti communiste bulgare, du Parti ouvrier roumain, du Parti des travailleurs hongrois, du Parti ouvrier unifié de Pologne, du Parti communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., du Parti communiste français, du Parti communiste de Tchécoslovaquie et du Parti communiste italien, est arrivé à un accord unanime sur les conclusions suivantes.

    Si, dans sa conférence de juin 1948, le Bureau d’information des partis communistes a constaté le passage de la clique Tito-Rankovitch de la démocratie et du socialisme au nationalisme bourgeois, la période écoulée depuis cette conférence du Bureau d’information a vu s’achever le passage de cette clique du nationalisme bourgeois au fascisme et à la trahison directe des intérêts nationaux de la Yougoslavie.

    Les événements des derniers temps ont montré que le gouvernement yougoslave se trouve dans l’entière dépendance des cercles impérialistes étrangers et s’est transformé en un instrument de leur politique agressive, ce qui a abouti à la liquidation de l’indépendance et de la souveraineté de la République yougoslave.

    Le Comité central du Parti communiste et le gouvernement de Yougoslavie se sont liés complètement aux cercles impérialistes contre l’ensemble du camp du socialisme et de la démocratie, contre les partis communistes du monde entier, contre les pays de démocratie populaire et l’U.R.S.S.

    La clique des espions et des assassins à gages de Belgrade s’est ouvertement acoquinée avec la réaction impérialiste et s’est mise à son service, ainsi que l’a révélé en toute clarté le procès de Rajk et de Brankov à Budapest.

    Ce procès a montré que les gouvernants yougoslaves actuels sont passés du camp de la démocratie et du socialisme à celui du capitalisme et de la réaction, sont devenus les complices directs des fauteurs d’une nouvelle guerre et s’efforcent, par leurs actes de trahison, de mériter les louanges et de gagner les faveurs des impérialistes.

    Le passage de la clique Tito au fascisme n’est pas l’effet du hasard ; il s’est effectué sur l’ordre des maîtres de cette clique, les impérialistes anglo-américains, à la solde desquels elle est depuis longtemps, ainsi que cela vient d’être révélé.

    C’est pour exécuter la volonté des impérialistes que les traîtres yougoslaves se sont assignés le but de créer, dans les pays de démocratie populaire, des bandes politiques composées d’éléments réactionnaires, nationalistes, cléricaux et fascistes, afin de faire, avec leur appui, des coups d’État contre-révolutionnaires dans ces pays, de détacher ces pays de l’Union soviétique et de tout le camp socialiste et de les soumettre aux forces de l’impérialisme.

    La clique Tito a fait de Belgrade un centre américain d’espionnage et de propagande anticommuniste.

    Alors que tous les véritables amis de la paix, de la démocratie et du socialisme voient en l’U.R.S.S. la puissante forteresse du socialisme, le défenseur fidèle et inébranlable de la liberté et de l’indépendance des peuples, le principal soutien de la paix, la clique Tito-Rankovitch, qui s’est hissée au pouvoir en prenant le masque de l’amitié avec l’U.R.S.S., a fait, sur l’ordre des impérialistes anglo-américains, une campagne calomnieuse et provocatrice contre l’Union soviétique en se servant des inventions les plus infâmes qu’elle a reprises dans l’arsenal des hitlériens.

    La transformation de la clique Tito-Rankovitch en officine directe de l’impérialisme, en complice des fauteurs de guerre, a trouvé son couronnement dans l’adhésion déclarée du gouvernement yougoslave au bloc impérialiste dans le sein de l’Organisation des Nations Unies, où les Kardelj, les Djilas et les Bebler réalisent le front unique avec les réactionnaires américains sur les questions de politique international les plus importantes.

    Dans le domaine de la politique intérieure, le principal résultat de l’activité de la clique traîtresse Tito-Rankovitch est la liquidation de fait du régime de démocratie populaire en Yougoslavie.

    Par suite de la politique contre-révolutionnaire de la clique Tito-Rankovitch, qui a usurpé le pouvoir dans le parti et dans l’État, un régime d’État policier et anticommuniste, de type fasciste, a été instauré en Yougoslavie.

    La base sociale de ce régime, ce sont les koulaks à la campagne et les éléments capitalistes à la ville.

    En Yougoslavie, le pouvoir se trouve en fait aux mains des éléments anti-populaires, réactionnaires.

    Des militants des anciens partis bourgeois, des koulaks et autres éléments hostiles à la démocratie populaire, sont à l’œuvre dans les organismes locaux et centraux.

    La clique fasciste gouvernante s’appuie sur un appareil policier et militaire démesurément gonflé, à l’aide duquel elle opprime les peuples yougoslaves, elle a transformé le pays en un camp militaire, elle a aboli les droits démocratiques des travailleurs et elle foule aux pieds toute libre expression de la pensée.

    Les gouvernants yougoslaves trompent le peuple avec une démagogie effrontée en prétendant faussement qu’ils édifient le socialisme en Yougoslavie.

    En fait, il est clair pour tout marxiste qu’il ne peut nullement être question d’édifier le socialisme en Yougoslavie du moment que la clique Tito a rompu avec l’Union soviétique, avec le camp entier du socialisme et de la démocratie, privant ainsi la Yougoslavie de son principal appui pour édifier le socialisme, du moment que cette clique a soumis le pays, au point de vue économique et politique, aux impérialistes anglo-américains.

    Le secteur d’État, dans l’économie de la Yougoslavie, a cessé d’être le bien du peuple, puisque le pouvoir d’Etat se trouve aux mains des ennemis du peuple.

    La clique Tito-Rankovitch a donné de larges possibilités au capital étranger pour pénétrer dans l’économie du pays qu’elle a placée sons le contrôle des monopoles capitalistes.

    En investissant leurs capitaux dans l’économie yougoslave, les cercles industriels et financiers anglo-américains transforment la Yougoslavie en une dépendance qui fournit des produits agricoles et des matières premières au capital étranger.

    L’asservissement de plus en plus net de la Yougoslavie à l’impérialisme aboutit au renforcement de l’exploitation de la classe ouvrière et à l’aggravation brutale de sa situation matérielle.

    La politique des gouvernants yougoslaves à la campagne revêt un caractère koulak et capitaliste.

    Les pseudo-coopératives, organisées à la campagne par voie d’autorité, se trouvent aux mains des koulaks et de leurs agents et sont une machine à exploiter les grandes masses de paysans travailleurs.

    Après s’être emparés de la direction du Parti communiste yougoslave, les mercenaires yougoslaves de l’impérialisme ont déclenché une campagne terroriste contre les vrais communistes qui sont fidèles aux principes du marxisme-léninisme et qui combattent pour l’indépendance de la Yougoslavie à l’égard des impérialistes.

    Des milliers de patriotes yougoslaves fidèles au communisme ont été exclus du Parti, jetés en prison ou au camp de concentration, et nombre d’entre eux ont été torturés à mort et tués en prison ou traîtreusement assassinés, comme le communiste yougoslave bien connu, Arso Iovanovitch.

    La cruauté avec laquelle on extermine ceux qui, en Yougoslavie, continuent à combattre fermement pour le communisme, n’a d’égale que celle des fascistes hitlériens ou des bourreaux de Tsaldaris en Grèce et de Franco en Espagne.

    Tandis qu’ils excluent des rangs du Parti les communistes restés fidèles à l’internationalisme prolétarien, tandis qu’ils les exterminent, les fascistes yougoslaves ont ouvert toutes grandes les portes du Parti aux éléments bourgeois et koulaks.

    Par suite de la terreur fasciste exercée par la bande de Tito contre les forces saines du Parti communiste yougoslave, la direction du Parti communiste yougoslave s’est trouvée tout entière aux mains des espions et des assassins, mercenaires de l’impérialisme.

    Le Parti est tombé au pouvoir des forces contre-révolutionnaires, qui agissent arbitrairement en son nom.

    On sait, que de tout temps la bourgeoisie a recruté des espions et des provocateurs dans les rangs des partis de la classe ouvrière.

    C’est par ce procédé que les impérialistes essaient de décomposer ces partis de l’intérieur et de se les soumettre. En Yougoslavie, ils ont réussi à atteindre ce but.

    L’idéologie fasciste, la politique intérieure fasciste de la clique Tito, comme sa politique extérieure de trahison, entièrement subordonnée aux cercles impérialistes étrangers, ont irrémédiablement opposé la clique des espions fascistes Tito-Rankovitch aux intérêts fondamentaux des peuples yougoslaves épris de liberté.

    C’est pourquoi l’activité anti-populaire et traîtresse de la clique Tito se heurte de plus en plus à la résistance, tant des communistes restés fidèles au marxisme-léninisme que de la classe ouvrière et de la paysannerie laborieuse de Yougoslavie.

    Partant des faits incontestables qui attestent le passage définitif de la clique Tito au fascisme, la désertion qui l’a conduite dans le camp de l’impérialisme international, le Bureau d’information des partis communistes et ouvriers considère que :

    1. Le groupe d’espions des Tito, Rankovitch, Kardelj,Djilas, Pijade, Gochniak, Maslaritch, Bebler, Mrazovitch, Voukmanovitch, Kotche Popovitch, Kidritch, Nechkovitch, Zlatitch, Velebit, Kolichevski et autres, est l’ennemi de la classe ouvrière et de la paysannerie, l’ennemi des peuples de Yougoslavie.

    2. Ce groupe d’espions ne traduit pas la volonté des peuples de Yougoslavie, mais celle des impérialistes anglo-américains, et c’est pourquoi il a trahi les intérêts du pays et liquidé l’indépendance politique et économique de la Yougoslavie.

    3. Dans sa composition actuelle, le « Parti communiste yougoslave », tombé aux mains des ennemis du peuple, assassins et espions, a perdu le droit de s’intituler parti communiste ; il n’est qu’une machine à exécuter les missions d’espionnage de la clique Tito, Kardelj, Rankovitch et Djilas.

    Le Bureau d’information des partis communistes et ouvriers considère en conséquence que la lutte contre la clique Tito, clique d’espions et d’assassins à gages, est un devoir international pour tous les partis communistes et ouvriers.

    Les partis communistes et ouvriers ont pour obligation d’aider au maximum la classe ouvrière et la paysannerie laborieuse de Yougoslavie, qui luttent pour le retour de la Yougoslavie dans le camp de la démocratie et du socialisme.

    Le retour de la Yougoslavie dans le camp socialiste a pour condition indispensable la lutte active des éléments révolutionnaires tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Parti communiste yougoslave, pour la renaissance d’un parti révolutionnaire, véritablement communiste, fidèle au marxisme-léninisme, aux principes de l’internationalisme prolétarien et luttant pour l’indépendance de la Yougoslavie à l’égard de l’impérialisme.

    Empêchées par une terreur fasciste des plus cruelles d’intervenir ouvertement contre la clique Tito-Rankovitch, les forces de Yougoslavie fidèles au communisme ont été obligées de prendre les mêmes méthodes de lutte pour le communisme que les communistes des pays où le travail légal leur est interdit.

    Le Bureau d’information exprime la ferme certitude qu’il se trouvera parmi les ouvriers et les paysans yougoslaves des forces capables de remporter la victoire sur la clique Tito-Rankovitch, clique d’espions et d’artisans de la restauration bourgeoise ; il est certain que, sous la direction de la classe ouvrière, les travailleurs yougoslaves sauront faire revivre les conquêtes historiques de la démocratie populaire, payées par les durs sacrifices et la lutte héroïque des peuples yougoslaves, et qu’ils s’engageront dans la voie de l’édification socialiste.

    Le Bureau d’information considère comme une des tâches principales des partis communistes et ouvriers de renforcer par tous les moyens la vigilance révolutionnaire dans leurs rangs, de dénoncer et d’extirper les éléments nationalistes bourgeois et les agents de l’impérialisme, quel que soit le pavillon dont ils se couvrent.

    Le Bureau d’information estime indispensable de développer le travail idéologique dans les partis communistes et ouvriers, l’éducation des communistes dans l’esprit de fidélité à l’internationalisme prolétarien, d’intransigeance à l’égard de toute déviation des principes du marxisme-léninisme, dans l’esprit de fidélité à la démocratie populaire et au socialisme.


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  • Résolution du Kominform sur l’unité de la classe ouvrière et les tâches des Partis communistes et ouvriers


    L’unité de la classe ouvrière et les tâches des Partis communistes et ouvriers

    Novembre 1949

    La préparation d’une nouvelle guerre par les Impérialistes anglo-américains, la campagne de la réaction bourgeoise contre les droits démocratiques et les intérêts économiques de la classe ouvrière et des masses populaires imposent l’accentuation de la lutte de la classe ouvrière pour le maintien et la consolidation de la paix, pour l’organisation d’une riposte décidée aux fauteurs de guerre et à la poussée de la réaction impérialiste.

    Le gage du succès dans cette lutte, c’est l’unité des rangs de la classe ouvrière.

    L’expérience d’après guerre montre que la politique de division du mouvement ouvrier occupe une des premières places dans l’arsenal des moyens et des procédés tactiques employés par les-impérialistes pour déclencher une nouvelle guerre, pour écraser les forces de la démocratie et du socialisme, pour réduire brutalement le niveau de vie des masses populaires.

    Au cours de toute l’histoire du mouvement ouvrier international, jamais encore l’unité de la classe ouvrière, aussi bien dans chaque pays qu’à l’échelle mondiale, n’avait eu une importance aussi décisive qu’à l’heure actuelle.

    L’unité des rangs de la classe ouvrière est indispensable pour défendre la paix, pour faire échouer les projets criminels des fauteurs de guerre et le complot des impérialistes contre la démocratie et le socialisme, pour empêcher la mise en œuvre de méthodes de domination fascistes, pour opposer une riposte décidée à la campagne du capital monopoliste contre les intérêts vitaux de la classe ouvrière et obtenir l’amélioration de la situation économique des masses laborieuses.

    C’est avant tout par le rassemblement des larges masses de la classe ouvrière, indépendamment de l’appartenance politique, de l’affiliation syndicale et des croyances religieuses, qu’on peut réaliser ces tâches.

    L’unité à la base, tel est le chemin le plus sûr pour rassembler tous les ouvriers en vue de la défense de la paix et de l’indépendance nationale de leurs pays, en vue de la défense des intérêts économiques et des droits démocratiques des travailleurs.

    L’unité de la classe ouvrière peut parfaitement se réaliser en dépit de l’opposition des centres dirigeants des syndicats ou partis qui ont à leur tête des diviseurs et des ennemis de l’unité,

    La période d’après guerre a été marquée par de grands succès dans la liquidation de la division ouvrière et dans le rassemblement de toutes les forces démocratiques ; ces succès se sont traduits par la création de la Fédération syndicale mondiale, de la Fédération démocratique internationale des femmes et de la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, ainsi que par la tenue du Congrès mondial des partisans de la paix.

    Les succès de l’unité s’expriment par le renforcement de la C.G.T. en France, par la création d’une confédération syndicale unique en Italie (C.G.T.I.), par les batailles que livre le prolétariat français et italien.

    Dans les pays de démocratie populaire, des succès historiques ont été remportés dans le domaine de l’unité de la classe ouvrière : il s’est créé des partis uniques de la classe ouvrière, des syndicats uniques, des coopératives uniques, des organisations uniques de jeunes, de femmes et autres.

    Cette unité de la classe ouvrière a contribué d’une façon décisive à assurer l’essor économique et culturel victorieux des pays de démocratie populaire, à garantir le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans l’État et l’amélioration radicale de la situation matérielle des masses travailleuses.

    Tout cela montre la puissance du courant qui entraîne les masses ouvrières vers l’unité de leurs rangs et les possibilités réelles qui existent pour créer un front uni de la classe ouvrière contre les forces conjuguées de la réaction, depuis les impérialistes américains jusqu’aux socialistes de droite.

    Les impérialistes américains et anglais et leurs satellites des pays européens cherchent à disloquer et à désorganiser les forces prolétariennes et populaires en comptant particulièrement sur les socialistes de droite et sur les dirigeants syndicaux réactionnaires.

    Sur l’ordre direct des impérialistes américains et anglais, les chefs socialistes de droite et les dirigeants réactionnaires des syndicats introduisent d’en haut la division dans les rangs du mouvement ouvrier, cherchent à détruire les organisations uniques de la classe ouvrière qui avaient été créées après la guerre.

    Ils ont essayé de faire éclater de l’intérieur la Fédération syndicale mondiale ; ils ont organisé le groupement sécessionniste Force ouvrière en France, la prétendue Fédération du travail en Italie ; ils préparent la création d’une centrale syndicale internationale sécessionniste.

    Dans différents pays, des dirigeants d’organisations catholiques ont fait des tentatives dans le même sens.

    Une confirmation pleine et entière a été fournie de l’appréciation donnée par la première conférence du Bureau d’information des partis communistes sur l’activité de trahison des chefs socialistes de droite, les pires ennemis de l’unité de la classe ouvrière et les auxiliaires de l’impérialisme.

    À l’heure actuelle, les socialistes de droite agissent non seulement en qualité d’agents de la bourgeoisie de leurs pays, mais aussi en qualité d’agents de l’impérialisme américain, en transformant les partis social-démocrates des pays européens en partis américains, en instruments directs de l’agression impérialiste des États-Unis.

    Dans les pays où les socialistes de droite font partie du gouvernement (Grande-Bretagne, France, Autriche, pays Scandinaves), ils se font les défenseurs acharnés du plan Marshall, de l’Union occidentale, du Pacte atlantique et de toutes les autres formes d’expansion américaine.

    Ces pseudo-socialistes jouent le rôle le plus infâme dans la persécution des organisations ouvrières et démocratiques qui défendent les intérêts des travailleurs.

    Engagés de plus en plus dans la voie de la trahison des intérêts de la classe ouvrière, de la démocratie et du socialisme, ayant complètement renié la doctrine marxiste, les socialistes de droite se font maintenant les défenseurs et les propagandistes de l’idéologie de brigandage de l’impérialisme américain.

    Leurs théories de « socialisme démocratique »,, de « troisième force », leurs divagations empreintes de cosmopolitisme sur la nécessité de renoncer à la souveraineté nationale ne sont rien d’autre qu’un camouflage idéologique de l’agression de l’impérialisme américain et anglais.

    Le Comité des conférences socialistes internationales (C.O.M.I.S.C.O.), lamentable sous-produit de la IIe Internationale tombée vivante en putréfaction, est devenu le rendez-vous des pires sécessionnistes et des pires désorganisateurs du mouvement ouvrier.

    Ce Comité est devenu un centre d’espionnage relevant des services de renseignement anglais et américain.

    C’est seulement en luttant énergiquement contre les scissionnistes et les désorganisateurs socialistes de droite du mouvement ouvrier qu’on pourra réaliser l’unité de la classe ouvrière.

    Le Bureau d’information considère comme une tâche de premier plan, pour les partis communistes, de lutter sans trêve pour rassembler et organiser toutes les forces de la classe ouvrière, pour opposer une riposte puissante aux prétentions effrontées de l’impérialisme américain qui mise sur une nouvelle guerre mondiale, pour mettre ce plan en échec, pour défendre et consolider la paix et la sécurité internationale, pour briser l’offensive du capital monopoliste contre le niveau de vie des masses travailleuses.

    Dans la situation internationale actuelle, le premier devoir des partis communistes est d’expliquer que, si la classe ouvrière n’assure pas l’unité de ses rangs, elle se privera de son arme principale pour combattre la menace croissante d’une nouvelle guerre mondiale et l’offensive de la réaction impérialiste contre le niveau de vie des travailleurs.

    Tout en menant une lutte implacable et conséquente, en théorie et en pratique, contre les socialistes de droite et les dirigeants syndicaux réactionnaires, tout en les dénonçant sans pitié et en les isolant des masses, les communistes doivent expliquer avec patience et persévérance aux ouvriers social-démocrates de la base toute l’importance de l’unité de la classe ouvrière, les entraîner dans la lutte active pour la paix, le pain et les libertés démocratiques, faire une politique d’actions communes pour atteindre ces buts.

    L’unité d’action des différents détachements de la classe ouvrière est une méthode éprouvée pour réaliser son unité.

    Les actions communes dans les diverses entreprises, dans des branches entières de production, à l’échelle d’une ville, d’une région, d’un État et à l’échelle internationale mobilisent les larges masses dans la lutte pour leurs besoins les plus immédiats et les pins sensibles et contribuent ainsi à la réalisation de l’unité permanente des rangs prolétariens.

    La réalisation de l’unité d’action de la classe ouvrière à la base peut se traduire par la création de comités de défense de la paix dans les entreprises et dans les administrations, par l’organisation de manifestations de masse contre les fauteurs de guerre, par des actions communes des ouvriers en vue de défendre les droits démocratiques et d’améliorer leur situation économique.

    Dans la lutte pour l’unité de la classe ouvrière, il faut accorder une attention particulière aux masses d’ouvriers et de travailleurs catholiques et à leurs organisations, en ne perdant pas de vue que les croyances religieuses ne sont pas un obstacle à l’unité des travailleurs, surtout quand cette unité est indispensable au salut de la paix.

    Les actions communes, concrètes dans le domaine des revendications économiques, la coordination de la lutte entre les syndicats de classe et les syndicats catholiques, etc…, peuvent être des moyens efficaces pour entraîner les ouvriers catholiques dans le front commun de la lutte pour la paix.

    La principale tâche des partis communistes dans chaque pays capitaliste est de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assurer l’unité du mouvement syndical.

    A l’heure actuelle, il devient de la plus grande importance d’entraîner les ouvriers non syndiqués dans les syndicats et dans la lutte active.

    Dans les pays capitalistes, ces non syndiqués constituent une partie importante du prolétariat.

    Si les partis communistes développent comme il se doit leur travail auprès des ouvriers organisés, ils pourront remporter des succès sérieux dans la réalisation de l’unité de la classe ouvrière.

    Le Bureau d’information estime que, sur la base de l’unité ouvrière, il faut établir l’unité nationale de toutes les forces démocratiques afin de mobiliser les larges masses populaires dans la lutte contre l’impérialisme anglo-américain et la réaction intérieure.

    L’activité quotidienne dans les différentes organisations de masse des travailleurs : femmes, jeunes, paysans, groupements coopératifs et autres, prend une importance exceptionnelle.

    L’unité du mouvement ouvrier et le rassemblement de toutes les forces démocratiques ne sont pas seulement nécessaires pour mener à bien les tâches quotidiennes et courantes de la classe ouvrière et des masses laborieuses, mais aussi pour résoudre les questions fondamentales posées au prolétariat en tant que classe qui dirige la lutte pour abolir le pouvoir du capital monopoliste et réorganiser la société sur une base socialiste.

    En partant des succès obtenus dans le domaine de l’unité du mouvement ouvrier et du rassemblement de toutes les forces démocratiques, il deviendra possible de déployer la lutte dans les pays capitalistes pour la formation de gouvernements qui rassemblent toutes les forces patriotiques opposées à l’asservissement de leur pays par l’impérialisme américain, de gouvernements qui aient une plateforme de paix solide entre les peuples, qui arrêtent la course aux armements et qui élèvent le niveau de vie des masses laborieuses.

    Dans les pays de démocratie populaire, les partis communistes et ouvriers ont pour tâche de consolider encore l’unité de la classe ouvrière déjà réalisée et les syndicats, les coopératives, les organisations de femmes, de jeunes et autres organisations uniques déjà créées.

    Le Bureau d’information considère que les succès ultérieurs de la lutte pour l’unité de la classe ouvrière et le rassemblement des forces démocratiques dépendent avant tout de l’amélioration du travail idéologique de chaque parti communiste et ouvrier et de son travail d’organisation.

    Pour les partis communistes et ouvriers, il est d’une extrême importance de dénoncer sur le plan idéologique et de combattre sans pitié les manifestations de tout genre d’opportunisme, de sectarisme et de nationalisme bourgeois, l’infiltration des agents de l’ennemi au sein du Parti.

    Les leçons qui découlent de la dénonciation de la clique d’espions Tito-Rankovitch font aux partis communistes et ouvriers une obligation impérieuse d’élever au maximum la vigilance révolutionnaire.

    Les agents de la clique Tito apparaissent maintenant comme les pires diviseurs des rangs du mouvement ouvrier et démocratique, accomplissant la volonté des impérialistes américains.

    C’est pourquoi il faut combattre énergiquement les intrigues de ces agents des impérialistes partout où ils tentent d’agir dans les organisations ouvrières et démocratiques.

    La consolidation des partis communistes et ouvriers du point de vue idéologique, politique et de l’organisation sur la base des principes du marxisme-léninisme est la condition essentielle du succès de la classe ouvrière dans sa lutte pour l’unité de ses rangs, pour la paix, pour l’indépendance nationale, pour la démocratie et le socialisme.

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  • Le matérialisme dialectique et la matrice de la contradiction en rapport avec le faisceau de contradictions

    Unisson s-nous et luttons pour de nouvelles victoires !

    Toute contradiction obéit à son caractère interne pour sa nature.

    L’expression d’une contradiction ne peut pas s’auto-dépasser ; elle s’exprime conformément à l’affrontement-connexion de deux pôles et à cet affrontement seulement.

    Cela ne veut pas dire que cet affrontement-connexion des deux pôles ne s’insère pas dans un « système » de contradictions, ni d’ailleurs que l’expression de cet affrontement ne peut pas rejoindre d’autres contradictions, pour largement dépasser sa propre nature en procédant à cette jonction.

    Néanmoins, il n’est pas possible de transcender, de forcer, de donner un autre caractère à la matrice de la contradiction.

    Là est une grande difficulté initiale du matérialisme dialectique : on constate les contradictions, ce qui est une bonne chose, mais on tente de gommer leur processus d’expression en « imaginant à grands traits » leur tendance et on cherche alors à forcer les choses.

    D’où provient l’erreur ?

    Elle consiste justement à considérer que la matrice « héberge » les deux pôles contradictoires, alors que ce sont ces deux pôles contradictoires qui, dans leur mode initial d’expression, avec l’aboutissement inévitable déjà positionné, forment la « matrice ».

    Il n’y a pas de « lieu » où existent les deux pôles contradictoires ; il n’est pas possible de « jouer » sur la matrice, d’en modifier la nature, d’en ajuster les fondements.

    C’est possible à la marge, mais pas dans l’expression naturelle du mouvement des deux pôles contradictoires.

    Cela rejoint la définition de « nuance, différence, lutte et développement ».

    Se focaliser sur la « matrice » revient à dire qu’on peut jouer sur les nuances et modifier par conséquent les différences, par conséquent changer la lutte et le développement.

    Le révisionnisme a toujours procédé ainsi et il y en a toujours pour exprimer des idées « géniales » afin de contourner les principes généraux, pour élaborer des concepts, des modalités, des types d’action qui altéreraient les nuances et par là même tout le processus qui s’ensuit.

    On peut également inverser la proposition pour y voir plus clair.

    Si on dit que le développement est la révolution, alors on peut remonter en arrière pour trouver d’où provient la lutte, qui elle-même se fonde sur la différence, elle-même issue de la nuance.

    Ici, on voit que considérer que la lutte existe déjà est erroné, car c’est une incompréhension de l’expression du mouvement de la contradiction à travers les phases nuance, différence, lutte, développement.

    Et, pour aller plus loin encore, le mouvement procède en écho, puisque le développement produit la lutte, la lutte la différence, la différence la nuance.

    Tel est le sens même du mouvement d’un univers composé de vagues qui se mélangent à l’infini, se font écho, se retrouvent en miroir les unes des autres.

    Ici, chaque matrice d’une contradiction – consistant non pas en une « forme » hébergeant les deux pôles contradictoires, mais ceux-ci en tant que tels – s’insère dans un faisceau de contradictions, avec l’aspect principal et les aspects secondaires.

    C’est à ce niveau que jouent les nuances et il est présomptueux de penser qu’on pourrait agir « de l’extérieur » sur ces nuances, de manière artificielle.

    En réalité, il faut « plonger » dans la tendance historique dans son ensemble, afin d’avoir un aperçu suffisamment grand sur le faisceau de contradictions qui agit, pour en faire partie, pour le porter, pour être soi-même un élément dans le processus de transformation.

    Pour donner un exemple concret : la question du Communisme comme forme sociale, comme produit révolutionnaire des rapports sociaux, ne saurait être détachée de la question de l’écologie où l’humanité anthropocentriste, produit du parcours inégal de l’espèce animale humaine, a établi un rapport contradictoire avec la planète Terre comme Biosphère.

    De la même manière, ou plutôt pour la même chose vue d’un autre angle : le rapport aux animaux asservis, à la terre asservie par l’agriculture, est forcément modifié dans le processus de réalisation du communisme, puisque la domestication des animaux et l’agriculture étaient des outils historiques pour que l’humanité réalise son parcours inégal parmi les espèces animales.

    C’est très exactement pourquoi la femme, mise de côté par le patriarcat qui accompagne la domestication des animaux et l’agriculture, se réaffirme dans le processus de réalisation du communisme.

    On peut donc, certainement, considérer qu’on a une contradiction entre la matrice de la contradiction et le faisceau de contradictions, et pour en revenir à la question du communisme, considérer que la matrice de la contradiction est la lutte de classes, le faisceau de contradictions le mode de production.

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  • Message de Simón Bolívar du 15 juin 1813 (« Espagnols et Canariens, comptez sur la mort, même indifférents, si vous n’agissez pas activement en faveur de la liberté de l’Amérique »)

    Simón Bolívar, brigadier de l’Union, général en chef de l’Armée du Nord, libérateur du Venezuela.

    À ses compatriotes vénézuéliens :

    Une armée de frères, envoyée par le Congrès souverain de la Nouvelle-Grenade, est venue vous libérer, et vous l’avez déjà parmi vous, après avoir chassé les oppresseurs des provinces de Mérida et de Trujillo.

    Nous sommes envoyés pour détruire les Espagnols, protéger les Américains et établir les gouvernements républicains qui ont formé la Confédération du Venezuela.

    Les États sous nos armes sont à nouveau gouvernés par leurs anciennes constitutions et leurs magistrats, jouissant pleinement de leur liberté et de leur indépendance ; car notre mission vise uniquement à briser les chaînes de la servitude qui pèsent encore sur certains de nos peuples, sans chercher à promulguer des lois ni à exercer des actes de domination, ce que le droit de la guerre pourrait nous autoriser à faire.

    Touchés par vos malheurs, nous n’avons pu observer avec indifférence les souffrances que vous ont infligées les barbares espagnols, qui vous ont anéanti par le pillage et détruit par la mort ; qui ont violé les droits sacrés du peuple ; qui ont violé les capitulations et les traités les plus solennels ; et enfin, qui ont commis tous les crimes, réduisant la République du Venezuela à la plus effroyable désolation.

    Ainsi, la justice exige vengeance, et la nécessité nous y contraint.

    Puissent les monstres qui l’infestent et l’ont ensanglantée disparaître à jamais du sol colombien ; que leur châtiment soit à la hauteur de l’énormité de leur perfidie, lavant ainsi la tache de notre ignominie et montrant aux nations de l’univers que les enfants d’Amérique ne sont pas offensés impunément.

    Malgré notre juste ressentiment envers les méchants espagnols, notre cœur magnanime daigne encore ouvrir une dernière fois la voie à la conciliation et à l’amitié.

    Ils sont toujours invités à vivre paisiblement parmi nous si, détestant leurs crimes et se convertissant de bonne foi, ils coopèrent avec nous à la destruction du gouvernement intrusif de l’Espagne et au rétablissement de la République du Venezuela.

    Tout Espagnol qui ne conspire pas contre la tyrannie pour soutenir la juste cause par les moyens les plus actifs et les plus efficaces sera considéré comme un ennemi et puni comme traître à la patrie, et sera par conséquent irrévocablement exécuté.

    En revanche, une grâce générale et absolue est accordée à ceux qui rejoignent notre armée, avec ou sans armes, et à ceux qui aident les bons citoyens qui s’efforcent de secouer le joug de la tyrannie.

    Les officiers de guerre et les magistrats civils qui proclament le gouvernement du Venezuela et nous rejoignent seront maintenus dans leurs fonctions ; en un mot, les Espagnols qui rendent des services distingués à l’État seront considérés et traités comme des Américains.

    Et vous, Américains, que l’erreur ou la perfidie ont détournés du chemin de la justice, sachez que vos frères vous pardonnent et regrettent sincèrement vos égarements, dans l’intime conviction que vous ne pouvez être coupables et que seuls l’aveuglement et l’ignorance dans lesquels les auteurs de vos crimes vous ont maintenus jusqu’à présent auraient pu vous y conduire.

    Ne craignez pas l’épée qui vient vous venger et rompre les liens ignominieux par lesquels vos bourreaux vous lient à leur sort.

    Comptez sur une immunité absolue pour votre honneur, votre vie et vos biens ; le seul titre d’Américains sera votre garantie et votre sauvegarde.

    Nos armes sont venues vous protéger et elles ne seront jamais utilisées contre aucun de vos frères.

    Cette amnistie s’étend aux traîtres ayant récemment commis des actes criminels ; et elle sera appliquée avec tant de rigueur qu’aucune raison, aucun motif ni aucun prétexte ne suffira à nous contraindre à renoncer à notre offre, aussi grands et extraordinaires soient les motifs que vous nous donnez pour attiser notre animosité.

    Espagnols et Canariens, comptez sur la mort, même indifférents, si vous n’agissez pas activement en faveur de la liberté de l’Amérique. Américains, comptez sur la vie, même coupables.

    Quartier général de Trujillo, 15 juin 1813.
    Simón Bolívar

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Karl Marx : Bolívar y Ponte − 1858

    Bolívar y Ponte, Simon le « Libérateur » de la Colombie, né à Caracas le 25 juillet 1783, mort à San Pedro, près de Santa Marta, le 17 décembre 1830.

    Il était issu de l’une des « familias Mantuanas » qui à l’époque de la domination espagnole, constituaient la noblesse créole du Venezuela. Selon la coutume des Américains fortunés de l’époque, il fut envoyé en Europe alors qu’il n’avait que quatorze ans.

    D’Espagne, il passa en France, et résida quelques années à Paris. Il se maria à Madrid en 1802, et retourna ensuite au Venezuela, où sa femme mourut subitement de la fièvre jaune.

    Puis, il visita l’Europe une seconde fois, et assista au couronnement impérial de Napoléon en 1804, et à son accession à la couronne de fer de Lombardie en 1805.

    En 1809, il revint dans son pays natal, et en dépit des exhortations de José Felix Rivas, son cousin, il refusa de se joindre à la révolution qui éclata le 19 avril 1810 à Caracas ; mais, après cet événement, il accepta une mission à Londres pour acheter des armes et solliciter la protection du gouvernement britannique.

    Il fut apparemment bien reçu par le Marquis de Wellesley, alors secrétaire aux Affaires étrangères, mais n’obtint rien sinon l’autorisation d’exporter des armes contre argent comptant, moyennant le paiement de lourds droits de douane.

    A son retour de Londres, il se retira à nouveau de la vie publique, jusqu’en septembre 1811, lorsque le général Miranda, alors commandant en chef des forces terrestres et maritimes des insurgés, le décida à accepter le grade de lieutenant-colonel dans l’état-major, et le commandement de Puerto Cabello, la plus puissante forteresse du Venezuela.

    Les prisonniers de guerre espagnols que Miranda envoyait régulièrement à Puerto Cabello pour être enfermés dans la citadelle réussirent à triompher par surprise de leurs gardiens et à s’emparer de la citadelle : bien qu’ils fussent sans armes, alors que lui-même disposait d’une nombreuse garnison et d’importantes réserves de munitions, Bolívar s’embarqua précipitamment pendant la nuit avec huit de ses officiers, sans en informer ses propres troupes ; arrivé à l’aube à La Guayra, il se retira dans la propriété de San Mateo.

    Lorsqu’elle comprit que son commandement avait fui, la garnison quitta la place en bon ordre, et la forteresse fut immédiatement occupée par les Espagnols sous les ordres de Monteverde.

    Cet événement fit pencher la balance en faveur de l’Espagne et obligea Miranda, sur un ordre du Congrès, à signer, le 26 juillet 1812, le traité de Vittoria, qui replaça le Venezuela sous l’autorité de l’Espagne.

    Le 30 juillet, Miranda arriva à La Guayra où il avait l’intention d’embarquer à bord d’un navire anglais.

    Lorsqu’il rendit visite au commandant de la place, le colonel Manuel Maria Casas, il rencontra toute une nombreuse compagnie, dont Don Miguel Peňa et Simón Bolívar qui le persuada de passer au moins une nuit dans la maison de Casas.

    A deux heures du matin, alors que Miranda dormait profondément, Casas, Peňa et Bolívar entrèrent dans sa chambre avec quatre soldats armés, s’emparèrent prudemment de son épée et de son pistolet, puis l’éveillèrent, lui dirent sans ménagement de se lever et de s’habiller, le mirent aux fers, et le livrèrent finalement à Monteverde, qui l’envoya à Cadix où il mourut enchaîné, après quelques années de captivité.

    Cet acte, commis sous le prétexte que Miranda avait trahi son pays en capitulant à Vitoria, procura à Bolívar la faveur toute particulière de Monteverde ; quand Bolívar lui demanda son passeport, il déclara que « la requête du colonel Bolívar devait être satisfaite, en récompense du service rendu au Roi d’Espagne en livrant Miranda ».

    Bolívar fut ainsi autorisé à s’embarquer pour Curaçao où il passa six semaines ; il se dirigea ensuite, en compagnie de son cousin Rivas, vers la petite république de Carthagène, où un grand nombre de soldats qui avaient servi sous les ordres du général Miranda s’étaient réfugiés.

    Rivas leur proposa d’entreprendre une expédition contre les Espagnols au Venezuela, avec Bolívar comme commandant en chef.

    Ils acceptèrent la première proposition avec enthousiasme ; ils s’opposèrent à la seconde, mais finirent par céder, à condition que Rivas devint commandant adjoint.

    Manuel Rodriguez Torrices, président de la république de Carthagène, ajouta aux trois cents soldats ainsi enrôlés sous les ordres de Bolívar cinq cents hommes sous le commandement de son cousin, Manuel Castillo. L’expédition commença en début de janvier 1813.

    Des dissensions s’élevèrent entre Bolívar et Castillo quant au commandement suprême, et Castillo leva soudain le camp avec ses grenadiers.

    Bolívar, pour sa part, se proposait de suivre son exemple et de retourner à Carthagène, mais Rivas réussit finalement à le persuader de poursuivre sa route au moins jusqu’à Bogotá, où se tenait le congrès de Nouvelle-Grenade.

    Ils furent bien reçus : le congrès les aida de toutes les façons possibles et les éleva tous deux au grade de général ; après avoir divisé leur petite armée, ils marchèrent sur Caracas par des itinéraires différents.

    Plus ils avançaient, plus ils reçurent des renforts ; les cruautés commises par les Espagnols agirent partout comme des sergents recruteurs pour l’armée de l’indépendance.

    La capacité de résistance des Espagnols fut brisée, en partie parce que leur armée se trouvait être composée au trois quarts d’indigènes qui, à chaque combat, couraient rejoindre les rangs ennemis, et en partie en raison de la lâcheté de généraux tels que Tiscar, Cagigal et Fierro, qui désertaient leurs propres troupes à chaque occasion.

    C’est ainsi qu’un simple jeune homme, Santiago Mariňo réussit à déloger les Espagnols des provinces de l’Ouest.

    La seule résistance sérieuse de la part des Espagnols fut dirigée contre la colonne de Rivas, qui battit cependant le général Monteverde à Lostaguanes, et le força à s’enfermer dans Puerto Cabello avec le reste de ses troupes.

    A la nouvelle de l’arrivée de Bolívar, le général Fierro, gouverneur de Caracas, envoya des émissaires pour proposer une capitulation, qui fut conclue à Vitoria ; mais Fierro, frappé d’une panique soudaine, et sans attendre le retour de ses propres émissaires, décampa secrètement dans la nuit, laissant plus de mille cinq cents Espagnols à la merci de l’ennemi.

    Bolívar fut alors honoré d’un triomphe public.

    Debout sur un char de triomphe tiré par douze jeunes filles habillées de blanc et décorées aux couleurs nationales, toutes choisies parmi les meilleures familles de Caracas, Bolívar, tête nue, en grand uniforme et tenant un petit bâton à la main, mit environ une demi-heure pour être conduit aux portes de la ville à sa résidence.

    Après s’être proclamé « dictateur et libérateur des provinces de l’ouest du Venezuela » (car Mariňo avait pris le titre de « dictateur des provinces de l’est ») ; il choisit un corps de troupe d’élite pour en faire sa garde personnelle et s’entoura de l’éclat d’une Cour.

    Mais, comme la plupart de ses compatriotes, il était un ennemi de tout effort prolongé et sa dictature sombra bientôt dans l’anarchie militaire : les affaires les plus importantes étaient aux mains de favoris qui gaspillaient les finances du pays et avaient ensuite recours à des moyens odieux pour les restaurer.

    Ainsi, l’enthousiasme tout récent du peuple se transforma en mécontentement, et les forces dispersées de l’ennemi purent se reconstituer.

    Au début d’août 1813, Monteverde était enfermé dans la forteresse de Puerto Cabello, et l’armée espagnole ne possédait plus qu’une petite langue de terre au nord-ouest du Venezuela ; trois mois, plus tard, en décembre, le libérateur avait perdu son prestige et Caracas était menacée par l’apparition soudaine dans ses alentours des Espagnols victorieux sous les ordres de Boves.

    Pour renforcer son pouvoir chancelant, Bolívar réunit le 1er janvier 1814 une junte des habitants les plus influents de Caracas et déclara refuser de porter plus longtemps le fardeau de la dictature.

    Hurtado Mendoza démontra alors dans un long discours la « nécessité de laisser le pouvoir suprême aux mains du général Bolívar jusqu’à ce que le congrès de la Nouvelle-Grenade puisse se tenir et que le Venezuela s’unifie sous l’autorité d’un gouvernement ».

    Cette proposition fut acceptée, et la dictature fut ainsi en quelque sorte investie d’une sanction légale.

    La guerre contre les Espagnols se poursuivit quelque temps en une série d’engagements où aucun des deux partis n’obtenait un avantage décisif.

    En juin 1814, Boves marcha, avec ses forces unifiées, de Calabozo à La Puerta où les deux dictateurs, Bolívar et Mariňo, avaient opéré une jonction, les rencontra et ordonna de les attaquer immédiatement.

    Après quelque résistance, Bolívar s’enfuit vers Caracas, tandis que Mariňo disparaissait en direction de Cumana.

    Puerto Caballo et Valence tombaient aux mains de Boves, qui détacha alors deux colonnes (dont l’une était commandée par le colonel Gonzales) vers Caracas, par des routes différentes.

    Après que Caracas eut capitulé devant Gonzales, le 17 juillet 1814, Bolívar évacua La Guayra, ordonna que les navires se trouvant dans le port de cette ville fassent voile vers Cumana, et battit en retraite sur Barcelone avec le reste de ses troupes.

    Après une défaite infligée aux insurgés par Boves à Anguita le 8 août 1814, Bolívar abandonna ses troupes la même nuit pour gagner secrètement, en toute hâte et par des chemins détournés, Cuman où, malgré les protestations et la colère de Rivas, il s’embarqua immédiatement à bord du Bianchi avec Mariňo et quelques autres officiers.

    Si Rivas, Páez et d’autres généraux avaient suivi les dictateurs dans leur fuite, tout aurait été perdu.

    A leur arrivée à Juan Griego, sur l’île de Margarita, ils furent traités de déserteurs par le général Arismendi, qui leur ordonna de partir ; ils se dirigèrent vers Carupano, où le colonel Bermudez les reçut de la même façon, et mirent le cap sur Carthagène.

    Là, pour travestir leur fuite, ils publièrent un mémoire où ils se justifiaient avec des phrases pompeuses.

    S’étant mêlé à un complot pour le renversement du gouvernement de Carthagène, Bolívar dut quitter cette petite république, et fit route vers Tunja, où se tenait le congrès de la république fédérale de Nouvelle-Grenade.

    A cette époque, la province de Cundinamarca était à la tête de provinces indépendantes qui refusaient l’accord fédéral de Grenade, tandis que Quito, Pasto, Santa Marta et d’autres provinces restaient encore aux mains des Espagnols.

    Arrivé à Tunja le 22 novembre 1814, Bolívar fut nommé par le congrès commandant en chef des forces fédéralistes et reçut la double mission de forcer le président de la province de Cundinamarca à reconnaître l’autorité du congrès, puis de marcher contre Santa Marta, seul port fortifié que les Espagnols détenaient encore en Nouvelle-Grenade.

    La première tâche fut facilement remplie, car Bogotá, capitale de la province dissidente, était une ville sans défense.

    Bien qu’elle ait capitulé, Bolívar autorisa ses troupes à la piller pendant quarante-huit heures.

    A Santa Marta, le général espagnol Montalvo, disposant d’une faible garnison de moins de deux cents hommes et d’une forteresse presque impossible à défendre, avait déjà retenu un navire français pour assurer sa propre fuite, tandis que les habitants de la ville firent savoir à Bolívar qu’à son apparition ils ouvriraient les portes et chasseraient la garnison.

    Mais, au lieu de s’attaquer aux Espagnols de Santa Marta comme il en avait reçu l’ordre du congrès, il s’abandonna à sa rancune contre Castillo, commandant de Carthagène, et prit sur lui de conduire ses troupes contre cette ville, qui était partie intégrante de la république fédérale.

    Battu, il établit son camp sur La Papa, une grande colline, à portée d’obus de Carthagène, et installa une batterie composée d’un seul canon de faible calibre face à une forteresse disposant d’environ quatre-vingts canons.

    Puis il transforma le siège en un blocus qui dura jusqu’au début mai, sans autre résultat que celui de réduire son armée, par la désertion et la maladie, de deux mille quatre cents hommes à environ sept cents.

    Pendant ce temps, une grande expédition espagnole, partie de Cadix sous les ordres du général Morillo, était arrivée à l’île de Margarita le 25 mars 1815 et avait pu envoyer des renforts à Santa Marta et, peu de temps après, prendre Carthagène même.

    Mais, auparavant, Bolívar s’était embarqué le 10 mai 1815 pour la Jamaïque, accompagné d’une douzaine de ses officiers, sur un brick anglais armé.

    Arrivé à ce lieu de refuge, il lança à nouveau une proclamation, se prétendant la victime de quelque faction ou ennemi secret, et justifiant sa fuite devant les Espagnols comme une démission de son commandement eu égard à la paix publique.

    Durant son séjour de huit mois à Kingston, les généraux qu’il avait laissés au Venezuela, ainsi que le général Arismendi dans l’île de Margarita, tinrent résolument tête aux troupes espagnoles.

    Mais Rivas, à qui Bolívar devait sa gloire, ayant été fusillé par les Espagnols après la prise de Maturin, un autre homme le remplaça sur la scène ; il possédait des capacités encore plus grandes, mais comme il ne pouvait, en sa qualité d’étranger, jouer un rôle indépendant dans la révolution sud-américaine, il se décida à agir sous les ordres de Bolívar. C’était Louis Brion.

    Pour apporter son aide aux révolutionnaires, il était parti de Londres à Carthagène avec une corvette de vingt-quatre canons ; équipée en grande partie à ses propres frais, elle contenait quatorze mille fusils et une grande quantité de matériel militaire.

    Arrivé trop tard pour se rendre utile dans cette région, il se rembarqua pour Cayes, à Haïti, où de nombreux patriotes émigrés s’étaient rendus après la capitulation de Carthagène.

    Bolívar, pendant ce temps, était également parti de Kingston pour Port-au-Prince où sur sa promesse de libérer les esclaves, le président de Haïti, Pétion, lui offrit des fournitures importantes pour monter une expédition contre les Espagnols au Venezuela.

    A Cayes, il rencontra Brion et les autres émigrés, et, lors d’une réunion générale, se proposa comme chef de la nouvelle expédition, à condition de réunir entre ses mains les pouvoirs civils et militaires jusqu’à la convocation du congrès général.

    La majorité s’étant ralliée à sa proposition, l’expédition partit le 16 avril 1816, ayant Bolívar pour commandant et Brion pour amiral.

    A Margarita, Bolívar réussit à se concilier Arismendi, qui commanda l’île après avoir refoulé les Espagnols qui n’occupaient qu’un seul point, Pampatar.

    Sur la promesse formelle de Bolívar de convoquer un congrès national au Venezuela dès qu’il serait maître du pays, Arismendi réunit une junte dans la cathédrale de la Villa del Norte, et le proclama publiquement commandant en chef des républiques du Venezuela et de la Nouvelle-Grenade.

    Le 31 mai 1816, Bolívar débarqua à Carupano, mais n’osa pas empêcher Mariňo et Piar de se séparer de lui et d’engager une guerre contre Cumana de leur propre autorité.

    Affaibli par cette séparation, il fit voile, sur le conseil de Brion, vers Ocumare où il arriva le 3 juillet 1816, avec treize navires, dont sept seulement étaient armés.

    Ses troupes ne comprenaient que six cent cinquante hommes, mais l’enrôlement de Noirs dont il avait proclamé l’émancipation portait ce nombre à environ huit cents.

    A Ocumare, il publia à nouveau une proclamation promettant d’« exterminer les tyrans » et de « convoquer le peuple pour qu’il nomme ses délégués au congrès ».

    En avançant dans la direction de Valence, il rencontra, non loin d’Ocumare, le général espagnol Morales à la tête d’environ deux cents soldats et cent miliciens.

    Les tirailleurs de Morales ayant dispersé son avant-garde, il perdit, selon le récit d’un témoin oculaire, « toute présence d’esprit, ne dit pas un mot, fit rapidement tourner bride à son cheval, et s’enfuit à toute vitesse vers Ocumare ; il traversa le village au grand galop, sauta de son cheval, se jeta dans une barque et parvint ainsi à bord de la Diana où il ordonna à toute l’escadre de le suivre jusqu’à la petite île de Buen Aire, abandonnant tous ses compagnons sans aide d’aucune sorte ».

    Accablé de vifs reproches et de remontrances par Brion, il rejoignit les autres commandants sur la côte de Cumana ; mais, reçu avec rudesse et menacé par Piar d’être jugé devant une cour martiale comme déserteur et comme poltron, il rebroussa vite chemin et revint à Cayes.

    Après des mois d’effort, Brion parvint finalement à persuader la majorité des chefs militaires vénézuéliens, qui sentaient le besoin d’avoir au moins un chef nominal, de rappeler Bolívar à son poste de commandant en chef ; en revanche, il s’engageait formellement à convoquer un congrès et à ne pas intervenir dans l’administration civile.

    Le 31 décembre 1816, il arriva à Barcelone avec les armes, les munitions et les provisions diverses fournies par Pétion.

    Rejoint le 2 janvier 1817 par Arismendi, il proclama le 4 la loi martiale et la réunion de tous les pouvoirs en sa seule personne ; mais cinq jours plus tard, Arismendi ayant été victime d’une embuscade tendue par les Espagnols, le dictateur s’enfuit à Barcelone.

    Les troupes s’y rendirent également, et Brion lui envoya des canons aussi bien que des renforts, ce qui lui permit de rassembler un nouveau corps d’armée de mille cent hommes.

    Le 15 avril les Espagnols s’emparèrent de la ville de Barcelone, et les troupes des patriotes se replièrent vers la maison de bienfaisance, située en dehors de Barcelone ; ce bâtiment avait été fortifié sur l’ordre de Bolívar, mais il ne pouvait protéger une garnison de mille hommes en cas d’attaque sérieuse.

    Bolívar quitta son poste dans la nuit du 5 avril ; il transféra son commandement au colonel Freites, et l’informa qu’il allait chercher des renforts et serait bientôt de retour.

    Confiant en cette promesse, Freites déclina une offre de capitulation et, après l’assaut, fut massacré par les Espagnols avec toute la garnison.

    Piar, un homme de couleur natif de Curaçao, prépara et réalisa la conquête des provinces de Guyana, tandis que l’amiral Brion appuyait cette entreprise avec ses canonnières.

    Le 20 juillet, l’ensemble de ces provinces ayant été évacué par les Espagnols, Piar, Brion, Zea, Mariňo, Arismendi et d’autres réunirent un congrès provincial à Angostura, et mirent à la tête de l’exécutif un triumvirat.

    Brion haïssait Piar et il était en outre profondément attaché au succès de Bolívar : il avait misé son importante fortune personnelle sur ce succès et il réussit à le faire nommer membre du triumvirat malgré son absence.

    Lorsqu’il apprit cette nouvelle, Bolívar quitta sa retraite et apparut à Angostura ; encouragé par Brion, après avoir dissous le congrès et le triumvirat, il les remplaça pas un « Conseil suprême de la nation » dont il prit la tête ; Brion et Antonio Francisco Zea furent nommés présidents, le premier pour les affaires militaires, le second pour les affaires politiques.

    Cependant, Piar, le conquérant de la Guyana, qui autrefois avait menacé de faire passer Bolívar en cour martiale comme déserteur, n’épargnait pas ses sarcasmes contre le « Napoléon de la retraite » ; dès lors, Bolívar mit au point un plan pour s’en défaire.

    Sur la fausse accusation d’avoir conspiré contre les Blancs, comploté contre la vie de Bolívar, et aspiré au pouvoir suprême, Piar fut traduit devant un conseil de guerre présidé par Brion, reconnu coupable, condamné à mort et fusillé le 16 octobre 1817.

    Sa mort frappa Mariňo de terreur.

    Pleinement conscient de sa propre insignifiance une fois qu’il était séparé de Piar, il calomnia publiquement son ami assassiné dans une lettre des plus abjectes, désavoua ses propres tentatives de rivaliser avec le Libérateur, et en appela à l’inépuisable magnanimité de Bolívar.

    La conquête de la Guyana par Piar avait complètement retourné la situation en faveur des patriotes ; cette province fournissait à elle seule plus de ressources que les sept autres provinces du Venezuela réunies.

    On s’attendait généralement à ce que la campagne, annoncée par Bolívar dans une nouvelle proclamation, aboutît à l’expulsion définitive des Espagnols.

    Ce premier bulletin, qui faisait de quelques petits détachements espagnols à la recherche de fourrage se retirant de Calabozo des « armées fuyant devant nos troupes victorieuses », n’était pas de nature à modérer ces espoirs.

    Contre environ quatre mille Espagnols dont la jonction n’avait pas encore été effectuée par Morillo, Bolívar rassembla plus de neuf mille hommes, bien armés et bien équipés, et amplement munis de tout ce qui était nécessaire à la guerre.

    Néanmoins, vers la fin du mois de mai 1818, il avait perdu environ une douzaine de batailles et toutes les provinces situées au nord de l’Orinico. En effet, Bolívar dispersa ses forces supérieures en nombre, qui furent toujours battues séparément.

    Laissant la conduite des opérations à Páez et à ses autres subalternes, il se retira à Angostura. Les défections se multipliaient et tout semblait aller à la dérive et conduire à une défaite totale.

    A ce moment des plus critiques, un heureux concours de circonstances retourna une fois de plus la situation.

    A Angostura, Bolívar rencontra Santander, originaire de la Nouvelle-Grenade, qui le supplia de lui accorder les moyens d’envahir ce territoire, où la population était prête à déclencher un soulèvement général contre les Espagnols.

    Bolívar donna une certaine suite à cette demande, tandis que des secours importants en hommes, en navires et en munitions arrivés d’Angleterre, et que des officiers anglais, français, allemands et polonais affluaient à Angostura.

    Enfin, le Dr German Rosci, consterné par la fortune déclinante de la révolution sud-américaine, entra en scène, acquit de l’influence sur Bolívar et le décida à réunir le 15 février 1819, un congrès national, dont la seule annonce se révéla assez forte pour faire surgir une nouvelle armée d’environ quatorze mille hommes, ce qui permit à Bolívar de reprendre l’offensive.

    Les officiers étrangers lui suggérèrent de simuler l’intention d’attaquer Caracas et de libérer le Venezuela du joug espagnol ; Morillo serait ainsi amené à retirer ses forces de Nouvelle-Grenade et à les concentrer pour assurer la défense du Venezuela, tandis que Bolívar, se dirigeant soudain vers l’ouest, s’unirait aux guérillas de Santander, et marcherait sur Bogotá.

    Pour exécuter ce plan, Bolívar quitta Angostura le 24 février 1819, après avoir nommé Zea président du Congrès et vice-président de la République en son absence.

    Grâce aux manœuvres de Páez, Morillo et La Torre furent battus à Achaguas, et ils auraient été anéantis si Bolívar avait opéré une jonction de ses propres troupes avec celles de Páez et Mariňo.

    Quoi qu’il en soit, les victoires de Páez conduisirent à l’occupation de la province de Barima, ce qui permettait à Bolívar de pénétrer en Nouvelle-Grenade.

    Là, tout avait été préparé par Santander, et les troupes étrangères, composées surtout d’Anglais, décidèrent du sort de la Nouvelle-Grenade par les victoires successives remportées les 1er et 23 juillet et le 7 août, dans la province de Tunja.

    Le 12 août, Bolívar fit une entrée triomphale dans Bogotá, tandis que les Espagnols, contre lesquels toutes les provinces de Nouvelle-Grenade s’étaient soulevées, s’enfermaient dans la ville fortifiée de Mompox.

    Après avoir ouvert le congrès de la Nouvelle-Grenade à Bogotá et nommé le général Santander au poste de commandant en chef, Bolívar marcha vers Pamolona, où il passa environ deux mois à faire des fêtes et à courir les bals.

    Le 3 novembre, il arriva à Montecal, au Venezuela, où il avait ordonné aux chefs patriotiques de ce pays de s’assembler avec leurs troupes.

    Il disposait alors d’un trésor d’environ deux millions de dollars, provenant des contributions forcées des habitants de la Nouvelle-Grenade, et d’une armée de quelque neuf mille hommes, dont le tiers était composé d’Anglais, d’Irlandais, d’Hanovriens, et d’autres étrangers, bien disciplinés.

    Il put ainsi affronter un ennemi dépourvu de toute ressource et réduit à une force nominale d’environ quatre mille cinq cents hommes, dont les deux tiers étaient des indigènes auxquels les Espagnols ne pouvaient se fier.

    Morillo se retirant de San Fernando de Apure vers San Carlos, Bolívar le poursuivit jusqu’à Calabozo, de sorte que les quartiers-généraux ennemis étaient seulement à deux jours de marche l’un de l’autre. Si Bolívar s’était avancé hardiment, les Espagnols auraient été écrasés par les seules troupes européennes ; mais il préféra prolonger la guerre de cinq ans.

    En octobre 1819, le Congrès d’Angostura avait forcé Zea, sa créature, à démissionner de son poste et choisi Arismendi à sa place.

    Lorsqu’il reçut cette nouvelle, Bolívar fit soudain marcher sa légion étrangère vers Angostura, surprit Arismendi, qui n’avait que six cents indigènes, l’exila dans l’île de Margarita, et réinstalla Zea dans son ancienne dignité.

    Le Dr Rosci, qui l’enthousiasma par la perspective d’un pouvoir central, l’amena à proclamer la « République de Colombie » comprenant la Nouvelle-Grenade et le Venezuela, à publier une Constitution pour le nouvel Etat et à consentir à l’établissement d’un congrès commun pour les deux provinces. Le 20 janvier 1820, il retourna de nouveau à San Fernando de Apure.

    Le retrait soudain de la légion étrangère, que les Espagnols craignaient plus que le décuple du nombre de troupes colombiennes, avait donné à Morillo une nouvelle occasion de rassembler des renforts, tandis que l’annonce d’une formidable expédition, qui devait partir d’Espagne commandée par O’Donnell, rehaussa le moral en baisse de l’armée espagnole. Malgré la supériorité écrasante de ses forces, Bolívar n’obtint aucun résultat pendant la campagne de 1820.

    Entre-temps, on apprit d’Europe que la révolution dans l’Isle de Leon avait mis fin violemment au projet d’expédition de O’Donnell.

    En Nouvelle-Grenade, quinze provinces sur vingt-deux s’étaient ralliées au gouvernement de Colombie, et les Espagnols n’y détenaient plus que les forteresses de Carthagène et l’isthme de Panama.

    Au Venezuela, six provinces sur huit obéissaient aux lois de Colombie. Telle était la situation lorsque Bolívar se laissa entraîner par Morillo à des négociations qui aboutirent, le 25 novembre 1820, à la conclusion, à Trujillo, d’un armistice de six mois.

    Aucune mention n’était faite dans cette trêve de la République de Colombie, bien que le Congrès eût formellement interdit de conclure aucun traité avec le commandement espagnol avant que celui-ci ne reconnaisse l’indépendance de la République.

    Le 17 décembre, Morillo, désireux de jouer un rôle en Espagne, fit route vers Puerto Cabello, laissant le commandement en chef à Miguel de La Torre ; le 10 mars 1821, Bolívar écrivit à La Torre que les hostilités reprendraient à l’expiration d’un délai de trente jours.

    Les Espagnols avaient pris une position assez solide à Carabozo, village situé à mi-chemin environ de San Carlos et de Valence, mais au lieu d’y réunir toutes ses forces, La Torre y avait seulement concentré sa première division, comprenant deux mille cinq cents fantassins et environ mille cinq cents cavaliers ; Bolívar disposait d’environ six mille fantassins, dont la légion britannique, avec mille cent hommes et trois mille Ilaneros à cheval, sous les ordres de Páez.

    Mais la position de l’ennemi lui paraissait si imprenable qu’il proposa à son conseil de guerre de conclure un nouvel armistice, ce qui fut toutefois rejeté par les subalternes.

    A la tête d’une colonne composée principalement de la légion britannique, Páez réussit à contourner, par un sentier, l’aile droite de l’ennemi ; La Torre fut le premier parmi les Espagnols à s’enfuir, ne prenant aucun répit avant d’atteindre Puerto Cabello, où il s’enferma avec le reste de ses troupes.

    Puerto Cabello se serait rendue sans condition si l’armée victorieuse s’était avancée rapidement, mais Bolívar perdit son temps en s’exhibant à Valence et à Caracas. Le 21 septembre 1821, la puissante forteresse de Carthagène capitulait devant Santander.

    Les derniers faits d’armes au Venezuela – l’engagement naval de Maracaibo en août 1923 et la capitulation forcée de Puerto Cabello en juillet 1824 – furent tous deux l’œuvre de Padilla.

    La révolution de l’Isle de Leon, qui empêcha le départ de l’expédition de O’Donnell, et le concours de la légion britannique avaient évidemment fait pencher la balance en faveur des Colombiens.

    La session du Congrès colombien s’ouvrit à Cucuta en janvier 1821 ; le Congrès publia le 30 août une nouvelle constitution et confirma dans ses pouvoirs Bolívar qui, une fois de plus, avait menacé de démissionner.

    Après avoir signé la constitution, il obtint l’autorisation d’entreprendre la campagne de Quito (1822), province où les Espagnols s’étaient retirés après avoir été repoussés de l’isthme de Panama par un soulèvement populaire général.

    Cette campagne, qui se termina par l’incorporation de Quito, Posto et Guayaquil à la Colombie, fut dirigée nominalement par Bolívar et le général Sucre, mais les quelques succès de l’armée furent entièrement dus aux officiers britanniques, tel le colonel Sands.

    Durant les campagnes de 1823-1824 contre les Espagnols dans le haut et le bas Pérou, Bolívar n’estima plus nécessaire de conserver les apparences du commandement ; au contraire, il abandonna toute la direction militaire au général Sucre, se consacrant lui-même exclusivement à des entrées triomphales, à des manifestes et à la proclamation de constitutions.

    A l’aide de sa garde personnelle colombienne, il pesa sur les décisions du Congrès de Lima qui lui transféra, le 10 février 1823, les pouvoirs de dictateur, tandis qu’il assurait sa réélection à la présidence de Colombie par une nouvelle manœuvre de démission.

    Entre-temps, sa position s’était renforcée, tant par la suite de la reconnaissance formelle du nouvel Etat par l’Angleterre que grâce à la conquête, par Sucre, des provinces du haut Pérou, que ce dernier unifia en une République indépendante sous le nom de Bolivie.

    Dans ce pays, où les baïonnettes de Sucre détenaient le pouvoir suprême, Bolívar donna libre cours à ses penchants pour le pouvoir arbitraire, en introduisant le Code Boliviano, imitation du Code Napoléon.

    Son plan consistait à exporter ce Code de la Bolivie au Pérou et du Pérou à la Colombie, tout en gardant le contrôle des deux premiers Etats par des troupes colombiennes, et du dernier par la légion étrangère et des soldats péruviens.

    Par la force et par l’intrigue, il réussit effectivement, au moins pour quelques semaines, à imposer son Code au Pérou.

    Président et Libérateur de la Colombie, protecteur et dictateur du Pérou et parrain de la Bolivie, il était alors à l’apogée de sa gloire.

    Mais de graves différends avaient éclaté en Bolivie entre les centristes ou Bolívaristes et les fédéralistes ; sous ce nom, les ennemis de l’anarchie militaire s’étaient ralliés aux rivaux de Bolívar dans l’armée.

    Le Congrès colombien ayant à son instigation dressé un acte d’accusation contre Páez, vice-président du Venezuela, ce dernier riposta par une révolte ouverte, secrètement soutenue et alimentée par Bolívar lui-même, qui désirait des insurrections afin d’avoir un prétexte de renverser la constitution et ressaisir la dictature.

    A son retour du Pérou, outre sa garde personnelle, il s’était attaché mille huit cents Péruviens qu’il déclarait conduire contre les rebelles fédéralistes.

    A Puerto Cabello, où il rencontra Páez, non seulement il le confirma dans son commandement au Venezuela, mais il prit ouvertement sa défense et blâma les amis de la constitution ; par le décret de Bogotá, le 23 novembre 1826, il assuma les pouvoirs dictatoriaux.

    En 1827, début du déclin de son pouvoir, il parvint à réunir un congrès à Panama, dont le but officiel fut d’établir un nouveau Code international démocratique.

    Des délégués vinrent de Colombie, du Brésil, de La Plata, de Bolivie, de Mexico, du Guatémala, etc.

    Son intention réelle était de transformer toute l’Amérique du Sud en une république fédérative soumise à sa dictature.

    Tandis qu’il lâchait ainsi la bride à son rêve d’attacher la moitié du monde à son nom, le pouvoir réel échappait rapidement à son emprise.

    Les troupes colombiennes du Pérou, informées des mesures qu’il prenait pour introduire le Code Boliviano, déclenchèrent une insurrection armée.

    Les Péruviens élurent le général La Mar président de leur République, aidèrent les Boliviens à chasser les troupes colombiennes de leur sol et engagèrent une guerre victorieuse contre la Colombie ; un traité réduisit cette dernière à ses limites primitives, stipulant l’égalité des deux pays et séparant leurs dettes publiques.

    Le Congrès d’Ocana, convoqué par Bolívar en vue de modifier la constitution en faveur de son pouvoir absolu, fut ouvert le 2 mars 1828 par un message soigneusement élaboré qui insistait sur la nécessité d’octroyer de nouveaux privilèges à l’exécutif.

    Cependant, lorsqu’il devint évident que le projet de constitution amendé sortirait du Congrès très différent de sa forme originale, ses amis quittèrent leurs sièges : l’assemblée n’atteignit pas le quorum, ce qui mit fin à son activité.

    D’une maison de campagne à quelques kilomètres d’Ocana, où il s’était retiré, Bolívar publia un nouveau manifeste ; il se prétendait irrité par l’attitude de ses propres amis, mais il attaquait en même temps le Congrès, appelant les provinces à recourir à des mesures exceptionnelles et se déclarant prêt à assumer tout pouvoir qui lui serait confié.

    Sous la pression de ses baïonnettes, des assemblées populaires à Caracas, Carthagène et Bogotá, où il s’était rendu, l’investirent à nouveau de pouvoirs dictatoriaux.

    Il faillit être assassiné à Bogotá, dans sa chambre, et échappa à la mort en sautant du balcon pour se cacher et se réfugier sous un pont ; cet assassinat manqué lui permit d’exercer pendant un temps une sorte de terrorisme militaire.

    Toutefois, il ne toucha pas à la vie de Santander, bien que celui-ci eût participé à la conspiration ; en revanche, il fit mettre à mort le général Padilla, dont la culpabilité n’était pas du tout prouvée, mais qui, en tant qu’homme de couleur, ne pouvait se défendre.

    En 1829, une violente lutte de factions secoua la République ; dans un nouvel appel, Bolívar invita les citoyens à exprimer franchement leurs désirs quant aux modifications à introduire dans la constitution.

    Une assemblée de notables à Caracas répondit en dénonçant son ambition, en proclamant la séparation du Venezuela de la Colombie et en plaçant Páez à la tête de cette République.

    Le Sénat de Colombie soutint Bolívar, mais d’autres insurrections éclatèrent en différents endroits.

    Après avoir démissionné pour la cinquième fois en janvier 1830, il accepta une fois de plus la présidence, et quitta Bogotá pour mener campagne contre Páez, au nom du Congrès colombien.

    Vers la fin de mars 1830, il s’avança à la tête de huit mille hommes, prit Caracuta qui s’était révolté, puis se tourna vers la province de Maracaibo où Páez l’attendait avec douze mille hommes sur de solides positions.

    Dès qu’il comprit que Páez avait l’intention de se battre sérieusement, son courage l’abandonna. Pour un temps, il pensa même à se soumettre à Páez, et se retourner contre le Congrès.

    Mais l’influence de ses partisans au Congrès s’affaiblit et il dut offrir sa démission : on lui avait fait savoir qu’il devrait cette fois respecter sa décision et qu’une pension annuelle lui serait accordée s’il partait à l’étranger. Il envoya donc le 27 avril 1830 sa démission au Congrès.

    Mais il n’avait pas perdu l’espoir de regagner le pouvoir grâce à l’influence de ses partisans, et, comme une réaction se produisit contre Joaquim Mosquera, nouveau président de la Colombie, il fit traîner son départ de Bogotá, et parvint sous divers prétextes à prolonger son séjour à San Pedro jusqu’à la fin de 1830, où il mourut subitement.

    Voici le portrait que donne de lui Ducoudrey-Holstein : « Simón Bolívar mesure cinq pieds six pouces, son visage est long, ses joues creuses, son teint olivâtre ; il a des yeux assez grands et enfoncés dans leurs orbites, une chevelure peu fournie.

    Ses moustaches lui donnent un air sombre et sauvage, surtout lorsqu’il est en colère.

    Tout son corps est mince et maigre. Il ressemble à un homme de soixante-cinq ans.

    Lorsqu’il se déplace, ses bras sont sans cesse en mouvement. Il ne peut pas marcher longtemps et se fatigue vite. Il adore s’asseoir ou s’allonger dans son hamac.

    Il se laisse aller à des accès de furie et ce sont presque des crises de folie ; il se jette dans son hamac, profère des jurons et des imprécations contre tous ceux qui l’entourent.

    Il aime se répandre en sarcasmes sur les personnes absentes, ne lit que de la littérature française facile, est un hardi cavalier et se passionne pour la valse. Il s’écoute volontiers parler et porter des toasts.

    Dans l’adversité, s’il est privé d’aide extérieure, il se libère parfaitement de toute passion et de tout éclat d’humeur. Il devient alors doux, patient, docile et même humble.

    Il dissimule admirablement ses défauts sous la politesse d’un homme éduqué dans le soi-disant beau monde (en fr.), possède un talent de dissimulation quasi asiatique et fait preuve d’une meilleure compréhension des hommes que la plupart de ses compatriotes ».

    Par décret du Congrès de la Nouvelle-Grenade ses restes furent transportés en 1842 à Caracas où fut érigé un monument en son honneur.

    Voir Histoire de Bolívar par le général Ducoudrey-Holstein, continué jusqu’à sa mort par Alphonse Viollet (Paris, 1831) ; Memoirs of General John Willer (in the service of the Republic of Peru) ; colonel Hippisley, Account of his Journey to the Orinoco (London, 1919).

    K. Marx, 8 janvier 1858

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Ni Ariel, ni Caliban, mais Gonzalo

    Le vrai nom de Gonzalo, le dirigeant historique du Parti Communiste du Pérou des années 1970-1990, est Manuel Rubén Abimael Guzmán Reynoso.

    Pourquoi a-t-il choisi ce nom comme pseudonyme révolutionnaire ?

    Gonzalo ne l’a jamais expliqué directement, cependant, maintenant que nous avons compris Ariel, nous pouvons le comprendre.

    Dans la fameuse interview qu’il a donné en 1988, Abimael Guzmán a expliqué la chose suivante :

    « Souvent je n’ai pas le temps de lire ce dont j’ai envie. Ce que j’aime lire ? Je lis beaucoup de biographies ; la littérature me semble une grande expression de l’art.

    J’aime lire par exemple Shakespeare, l’étudier aussi ; je pense qu’en l’étudiant, on rencontre des problèmes politiques, des leçons bien claires, dans « Jules César » ou dans « Macbeth » par exemple.

    La littérature me plaît mais la politique l’emporte toujours et m’amène à rechercher le sens politique, le problème de fond, car, en fin de compte, derrière chaque grand artiste, il y a un homme politique, il y a un homme de son temps qui combat dans la lutte de classes. »

    Ici, Gonzalo montre sa compréhension magistrale de la pensée comme reflet de la réalité. Sa position, ici, est celle du réalisme socialiste ; il savait que l’art est en substance une forme d’expression du mouvement global de la réalité, de la lutte des classes.

    Abimael Guzmán dit Gonzalo, Augusta La Torre dit Norah, le couple ayant joué un rôle essentiel dans la reconstitution du Parti Communiste du Pérou

    Nous voyons qu’il parle de Shakespeare, alors on pense tout de suite à La tempête. Trouve-t-on un personnage dénommé Gonzalo dans cette pièce de théâtre ?

    Effectivement, c’est bien le cas, nous avons un personnage dénommé Gonzalo, qui tient un célèbre discours politique – ce qui est conforme à l’esprit de ce dont Gonzalo a parlé.

    Dans la pièce, Gonzalo est un conseiller plein d’honnêteté du roi de Naples Alonso. À un moment, il prononce un discours utopique, dans l’esprit de Thomas More et Montaigne.

    Citons la pièce de Shakespeare, où Gonzalo expose une société idéale, sans exploitation ni oppression.

    GONZALO

    Seigneur Sébastien, les vérités que vous dites manquent de bienveillance et d’opportunité. Vous irritez la blessure lorsqu’il faudrait y verser du baume.

    SÉBASTIEN

    Bien dit.

    ANTONIO

    Et on ne peut plus chirurgicalement.

    GONZALO, au Roi

    Seigneur, le temps est sombre pour nous quand votre front se couvre de nuages.

    SÉBASTIEN

    Le temps est sombre ?

    ANTONIO

    Très sombre.

    GONZALO

    Si j’étais chargé de coloniser cette île, seigneur…

    ANTONIO

    Il y sèmerait des orties.

    SÉBASTIEN

    Ou des ronces, ou de l’ivraie.

    GONZALO

    Et si j’en étais le roi, savez-vous ce que je ferais ?

    SÉBASTIEN

    Il s’abstiendrait de s’enivrer faute de vin.

    GONZALO

    Dans ma république, tout serait l’opposé de ce qui existe ; je n’y admettrais aucun commerce, aucune dignité ni magistrature ; les lettres y seraient ignorées ; point de serviteurs, ni pauvreté ni richesse ; point de contrats, point de successions ; point de limites entre les cultures, ni argent, ni blé, ni vin, ni huile ; plus de travail ; tous les hommes resteraient à rien faire, et les femmes aussi ; mais elles seraient chastes et pures ; point de souveraineté…

    SÉBASTIEN

    Et cependant il en serait le roi.

    ANTONIO

    La fin de sa république en oublie le commencement.

    GONZALO

    Tous les biens de la terre seraient en commun, et produits sans travail ni sueur ; point de trahison, de félonie, d’épée, de lance, de poignard, de mousquet, ni d’arme d’aucune sorte ; mais la nature fournirait spontanément et en abondance de quoi nourrir mon peuple innocent.

    SÉBASTIEN

    Point de mariages parmi ses sujets ?

    ANTONIO

    Non, certes ; ce serait une république de fainéants, un peuple de courtisanes et de vauriens.

    GONZALO

    Je gouvernerais mon état, seigneur, dans une perfection qui éclipserait l’âge d’or.

    SÉBASTIEN

    Dieu conserve sa majesté !

    ANTONIO

    Vive Gonzalo !

    On comprend tout de suite où Abimael Guzmán veut en venir. Il a choisi Gonzalo, pour affirmer qu’il ne choisit pas Ariel.

    Et il ne choisit pas Caliban non plus, ce qu’il aurait pu faire s’il avait été un romantique valorisant la force brute (c’est le choix de l’auteur « post-colonial » Aimé Césaire dans sa réécriture de La tempête où Caliban devient le personnage clef).

    Le choix du nom de Gonzalo est, bien entendu, d’une importance secondaire, c’est symbolique plus qu’autre chose. Cela reflète cependant à l’arrière-plan la reconnaissance du juste choix de José Carlos Mariátegui.

    Ce sont les masses qui font l’Histoire, c’est le principe du communisme ; à l’opposé, Ariel de José Enrique Rodó reflète les intérêts d’une minorité féodale, hostile au peuple.

    L’idéologie latino-américaine, produite artificiellement, est un piège visant à masquer la réalité nationale des pays latino-américains, en attente de la révolution démocratique pour apparaître pleinement sur la scène de l’Histoire.

    C’est alors que les pays latino-américains, fusionnant réellement à partir du vécu des masses, de la culture produite ensemble, pourront affirmer une Amérique latine démocratique et populaire, qui lèvera le drapeau du socialisme et contribuera à son immense mesure à la révolution mondiale.

    Il faut que chaque pays d’Amérique latine ait son José Carlos Mariátegui, son étude du parcours historique où on dépasse la lecture unilatérale d’une nation née par miracle (et en réalité par en haut), pour observer comment les masses s’installent dans la réalité quotidienne.

    C’est alors qu’il sera possible de saisir les tâches national-démocratiques à mener et de faire en sorte que les nations latino-américaines naissent vraiment, par en bas, comme production démocratique des masses et non comme cadre prétexte au maintien d’une base féodale se prolongeant sous la forme d’un capitalisme bureaucratique.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • José Carlos Mariátegui, l’anti-Ariel

    Le Péruvien José Carlos Mariátegui (1894-1930) est le titan de l’Amérique latine, celui qui a montré l’exemple.

    Pourquoi ? Parce qu’il a refusé de converger avec Ariel et que, ce faisant, il a ouvert à la voie à l’analyse de la question nationale du point de vue démocratique.

    L’ariélisme dit que les nations latino-américaines ont déjà été fondées, qu’il s’agit d’aller au progrès par l’intermédiaire d’une élite, en se fondant sur la « civilisation » latino-américaine.

    José Carlos Mariátegui affirme que les nations latino-américaines restent à affirmer, par le peuple et la démocratie, qu’il s’agit d’aller à la révolution par la classe ouvrière et les masses paysannes, en se fondant sut le socialisme.

    C’est la raison pour laquelle il a écrit son œuvre majeure, en 1928, Sept essais d’interprétation de la réalité péruvienne.

    José Carlos Mariátegui, le fondateur du mouvement communiste au Pérou

    Les chapitres de l’oeuvre sont les suivants : aperçu de l’évolution économique, le problème indien, le problème foncier, le processus d’éducation publique, le facteur religieux, régionalisme et centralisme, le processus littéraire.

    José Carlos Mariátegui y constate le féodalisme, il analyse historiquement le Pérou et sa réalité.

    « Le capitaliste, ou plutôt le propriétaire foncier créole, possède la notion de rente avant celle de production.

    Le sens de l’aventure, l’élan créatif et le pouvoir d’organisation qui caractérisent le capitaliste authentique nous sont presque inconnus.

    La concentration capitaliste a [historiquement] été précédée d’une période de libre concurrence.

    La grande propriété moderne ne découle donc pas de la grande propriété féodale, comme l’imaginent probablement les propriétaires fonciers créoles.

    Au contraire, son émergence a nécessité la fragmentation et la dissolution de la grande propriété féodale.

    Le capitalisme est un phénomène urbain : il possède l’esprit du bourg industriel, manufacturier et marchand.

    C’est pourquoi l’un de ses premiers actes a été la libération de la terre, la destruction du fief. Le développement de la ville devait être nourri par l’activité libre de la paysannerie.

    Au Pérou, contrairement au sens de l’émancipation républicaine, l’esprit du fief – antithèse et négation de l’esprit du bourg – s’est vu confier la création d’une économie capitaliste. »

    Tout cela n’a rien à avoir avec Ariel. José Carlos Mariátegui expose justement en 1928, à l’occasion du troisième anniversaire de la revue Amauta :

    « Le travail de définition idéologique semble accompli. Quoi qu’il en soit, nous avons déjà entendu les opinions catégoriques et attendues avec impatience.

    Tout débat est ouvert à ceux qui expriment leurs opinions, non à ceux qui se taisent. La première journée d’Amauta est terminée.

    Le deuxième jour, il n’est plus nécessaire de se présenter comme un magazine de la « nouvelle génération », de l’« avant-garde », de la « gauche ». Pour être fidèle à la révolution, il suffit d’être un magazine socialiste.

    « Nouvelle génération », « nouvel esprit », « nouvelle sensibilité » : tous ces termes sont devenus obsolètes.

    Il en va de même pour ces autres étiquettes : « avant-garde », « gauche », « renouveau ». Elles étaient nouvelles et pertinentes en leur temps.

    Nous les avons utilisées pour établir des démarcations provisoires, pour des raisons contingentes de topographie et d’orientation.

    Aujourd’hui, elles semblent trop génériques et amphibologiques [= ayant un double sens possible]. Sous ces étiquettes, une lourde contrebande commence à passer.

    La nouvelle génération ne sera vraiment nouvelle que dans la mesure où elle saura être, en bref, adulte et créative.

    Le mot même de « révolution », dans cette Amérique des petites révolutions, est sujet à malentendu. Nous devons le reconquérir avec rigueur et sans compromis.

    Nous devons lui restituer son sens strict et complet.

    La révolution latino-américaine ne sera ni plus ni moins qu’une étape, une phase de la révolution mondiale.

    Elle sera simplement et purement la révolution socialiste.

    À ce mot, ajoutez, selon les cas, tous les adjectifs que vous voudrez : « anti-impérialiste », « agraire », « nationaliste-révolutionnaire ».

    Le socialisme les présuppose, les précède, les englobe tous.

    À l’Amérique du Nord capitaliste, ploutocratique et impérialiste, seule une Amérique latine ou ibérique socialiste peut s’opposer efficacement.

    L’ère de la libre concurrence dans l’économie capitaliste est révolue dans tous les domaines et sous tous les aspects.

    Nous sommes à l’ère des monopoles, c’est-à-dire des empires.

    Les pays d’Amérique latine sont en retard sur la concurrence capitaliste.

    Les premières places sont déjà définitivement attribuées.

    Le destin de ces pays, au sein de l’ordre capitaliste, est celui de simples colonies. L’opposition des langues, des races et des esprits n’a aucune signification décisive.

    Il est ridicule de parler encore du contraste entre une Amérique saxonne matérialiste et une Amérique latine idéaliste, entre une Rome blonde et une Grèce pâle.

    Tous ces clichés sont irrémédiablement discrédités. Le mythe de Rodó n’a plus – n’a jamais – d’effet utile et fructueux sur les âmes.

    Rejetons inexorablement toutes ces caricatures et simulacres d’idéologies et prenons au sérieux la réalité.

    Le socialisme n’est certes pas une doctrine indo-américaine.

    Mais aucune doctrine, aucun système contemporain ne l’est, ni ne peut l’être.

    Et le socialisme, bien que né en Europe, comme le capitalisme, n’est ni spécifique ni particulièrement européen.

    C’est un mouvement mondial, dont aucun des pays qui évoluent dans l’orbite de la civilisation occidentale n’est exempt.

    Cette civilisation mène, avec une force et des moyens inégalés par aucune civilisation, à l’universalité.

    L’Indo-Amérique, dans cet ordre mondial, peut et doit avoir une individualité et un style, mais pas une culture ni un destin particuliers. »

    José Carlos Mariátegui est l’anti-Ariel, car il assume l’Amérique latine dans sa réalité, dans ses différentes réalités, les seules justement qui peuvent aboutir à une Amérique latine en fusion, par en bas, et non une construction artificielle, par en haut, par les criollos.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • La question semi-féodale : Ariel pour cacher Caliban

    Il est une question qu’il faut forcément se poser : les criollos ont pris le pouvoir au 19e siècle.

    Mais sont-ils encore là pour porter l’idéologie latino-américaine ? Les pays latino-américains n’ont-ils pas évolué, connu des transformations massives ?

    Car, en l’état, malgré les inégalités absolument terribles, avec une petite minorité profiteuse et accapareuse, on ne peut pas dire que la situation soit la même qu’au 19e siècle, avec les criollos et de vastes masses isolées, mises de côté.

    La population des pays latino-américains est désormais alphabétisée et éduquée ; elle a accès aux médias, elle profite d’internet et des smartphones.

    Elle est urbaine, en très grande majorité : à 92 % en Argentine, à 71% en Bolivie, à 88 % au Brésil, à 82 % en Colombie, à 79 % au Pérou, à 75% au Salvador, à 88 % au Venezuela.

    Même les pays les moins urbanisés sont à majorité urbaine : le Guatemala (53%), le Honduras (60%), l’Equateur (65%).

    AnnéePopulation de l’Amérique latinePopulation mondialePart de l’Amérique latine
    1950168 821 0002 536 431 0006,7 %
    1960220 470 0003 034 950 0007,3 %
    1970286 676 0003 700 437 0007,7 %
    1980361 253 0004 458 004 0008,1 %
    1990442 840 0005 327 231 0008,3 %
    2000521 836 0006 143 494 0008,5 %
    2010591 352 0006 956 824 0008,5 %
    2019648 121 0007 713 468 0008,4 %

    Ce qui est en jeu ici, c’est la question de la nature des pays latino-américains.

    Doit-on parler de nations qui existent en tant que telles, avec une base capitaliste faible mais réelle, ou bien doit-on parler de pays semi-féodaux semi-coloniaux où la question nationale n’a, jusqu’à présent, jamais été posée de manière correcte, démocratique ?

    Dans le premier cas, toute la critique qu’on aurait faite de l’idéologie latino-américaine serait unilatérale, car on n’aurait pas pris en compte la bourgeoisie nationale.

    Celle-ci serait latino-américaine dans sa définition même et par conséquent il serait dans sa nature de promouvoir l’Amérique latine.

    Dans le second cas, la bourgeoisie nationale est hors-jeu et les criollos qui étaient au pouvoir le sont restés, à travers les transformations de chaque pays.

    Or, c’est exactement ce qui s’est passé. Regardons les campagnes, par exemple pour la Colombie.

    2 362 exploitations agricoles (soit 0,1% du total) occupent soit 58,71% des terres disponibles ; on a même 1% des propriétaires fonciers qui contrôlent 81% des terres.

    99% des plus petits propriétaires fonciers occupent 19% des terres ; 81 % des plus petits propriétaires fonciers (2 hectares en moyenne) occupent moins de 5% des terres.

    Ce constat peut être fait dans chaque pays d’Amérique latine. Les grands propriétaires terriens se sont maintenus. S’ils se sont maintenus, c’est que leur base féodale est restée. Peu importe qu’ils accordent désormais des salaires, qu’ils déposent leurs richesses à la banque et voyagent en classe affaire à Madrid et à Paris.

    On dira qu’on parle là des campagnes et que l’écrasante majorité des gens sont urbanisés. C’est tout à fait exact. Mais que voit-on ? Les rapports sociaux sont extrêmement hiérarchiques et facilement violents. Ils restent féodaux, même dans le cadre urbain.

    On a des pressions permanentes pour extorquer du travail en plus, du patronage et du clientélisme. La corruption est endémique et aboutit à une extorsion en plus.

    C’est tellement puissant qu’une partie significative de l’économie fonctionne « au noir », voire de manière parallèle puisqu’il existe de très vastes regroupements d’hommes en arme pratiquant le narcotrafic, le racket, les enlèvements, etc.

    La violence intrafamiliale est une norme et les comportements toxiques des latinas sont devenus un cliché, alors que son fondement est dramatique puisque c’est une expression tortueuse d’auto-défense face à des latinos aux attitudes directement féodales, voire esclavagistes.

    Concrètement, la violence sexuelle envers les mineurs est également un problème majeur en Amérique latine. Ici encore, on est à la croisée du féodalisme et de l’esclavagisme.

    Il est toujours très difficile pour une société d’affronter de tels problèmes, mais il est évident ici que toute l’idéologie de l’Amérique latine festive et joyeuse sert également à masquer la réalité semi-féodale.

    Ariel sert à cacher Caliban.

    Le féodalisme reste, en tant qu’il y a une partie de la population qui s’approprie une rente sur la population une fois son travail effectué.

    Cela ne veut pas dire que pour le reste, il n’y ait pas des rapports capitalistes, et même des rapports capitalistes pour l’écrasante majorité des choses.

    Cependant, c’est un capitalisme à la concurrence faussée, à la compétition impossible.

    Pourquoi ? Car il existe des grands groupes capitalistes monopolistes, qui existent de manière bureaucratique en liaison avec le féodalisme des campagnes et l’État, et qui ont la main-mise sur les aspects généraux des sociétés latino-américaines.

    Ce sont les géants América Móvil, JBS, Novonor, Embraer, Vale, Televisa, Aval, Ternium, Itaú Unibanco, Grupo Sancor Seguros, Femsa Comercio, Marcopolo S.A., Cencosud, etc. ; les pays latino-américains disposent de géants dans l’énergie, l’agro-industrie, les matières premières, les technologies, les médias, etc.

    Les pays latino-américains sont nés par en haut, ils se sont développés en s’insérant sur le marché mondial en adaptant leur réalité féodale aux besoins du capitalisme des pays les plus puissants, principalement britannique et ensuite des États-Unis.

    Chaque pays dispose donc d’un parcours propre qui ne saurait être « oublié » en raison de l’existence d’une Amérique latine virtuelle.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Le style espagnol et la question hispano-américaine

    La nation espagnole est née à travers la Reconquista et, de par les conditions militaires prévalentes alors, il y a une dimension hargneuse omniprésente.

    On retrouve le même mécanisme en Amérique latine, et encore plus dans l’idéologie latino-américaine.

    Le volontarisme est de rigueur ; dans la logique aristocrate, si une chose est décidée, alors il faut assumer jusqu’au bout, sans rectification ni correction. Don Quichotte est emblématique de cette mentalité espagnole.

    José Enrique Rodó est donc formel : l’Amérique latine va remplacer les États-Unis et son « peuple cyclope ».

    « L’œuvre du positivisme américain servira en définitive la cause d’Ariel.

    Ce que ce peuple cyclope a directement accompli pour le bien-être matériel, grâce à son sens de l’utilité et à son attitude admirable envers l’invention mécanique, sera transformé par d’autres peuples, ou par lui-même à l’avenir, en moyens efficaces de sélection. »

    C’est naturellement absurde, car c’est réduire le capitalisme à une mécanisation généralisée, en omettant la question du capital.

    Mais telle est la logique de José Enrique Rodó, qui raisonne finalement « à l’espagnol », en termes de chevalerie pour ainsi dire.

    Il y a, dans l’influence féodale espagnole sur l’Amérique latine, la production d’une logique de forcené, d’attitude aristocratique poussant les choses à l’extrême même en cas d’erreur ou de faute.

    S’il y a la capacité de décision à l’espagnol, il y a également le goût de la précipitation et de l’unilatéralité dans l’engagement.

    D’où le culte de la volonté, de l’énergie de la volonté, de l’affirmation unilatérale.

    Tout Ariel est marqué par cette logique de conquistador :

    « Quiconque, dans l’Amérique contemporaine, se consacre à la propagation et à la défense d’un idéal altruiste de l’esprit – art, science, morale, sincérité religieuse, politique des idées – doit éduquer sa volonté au culte persévérant de l’avenir.

    Le passé appartenait tout entier au bras qui combat ; le présent appartient aussi, presque tout entier, au bras rude qui nivelle et construit ; l’avenir, un avenir d’autant plus proche que la volonté et la pensée de ceux qui y aspirent sont plus énergiques, offrira, pour le développement des facultés supérieures de l’âme, la stabilité, la scène et le milieu. »

    En même temps, dans les conditions latino-américaines où ont émergé de nouveaux pays, on a la formation d’un idéal-type, d’une véritable religion laïque.

    Là, on penche du côté français et allemand, avec un positivisme français corrigé à coups de volontarisme romantique allemand, en plus du culte espagnol de la « volonté ».

    « D’abord établi dans le bastion de votre vie intérieure, Ariel s’élancera de là à la conquête des âmes.

    Je le vois dans l’avenir, vous souriant avec gratitude, d’en haut, tandis que votre esprit s’enfonce dans l’ombre.

    Je crois en votre volonté, en vos efforts ; et plus encore, dans ceux de ceux à qui vous donnerez votre vie et transmettrez votre œuvre.

    Je suis souvent enivré par le rêve du jour où la réalité nous fera penser que la chaîne de montagnes qui surgit du sol américain a été sculptée pour devenir le piédestal définitif de cette statue, l’autel immuable de sa vénération. »

    José Enrique Rodó est un intellectuel idéaliste façonné par la sociologie et le psychologisme qui se sont développés en France dans la seconde partie du 19e siècle ; cela explique son intérêt profond à trouver un moteur psychologique – sociologique au développement des sociétés.

    Cela explique sa logique « républicaine » par en haut, son souhait d’établir un « culte » valable pour les masses.

    Et toute sa construction intellectuelle correspond à la nature abstraite des élites criollos, qui forment une couche sociale et pas une classe. José Enrique Rodó part à la recherche d’une vision du monde propre à une couche sociale qui, par définition, ne peut pas en avoir.

    D’où ce mélange de modernité républicaine et de conservatisme spiritualiste, afin d’inventer une nature propre aux élites criollos, à travers une mission : celle de porter la civilisation latino-américaine, fiction inventée pour l’occasion.

    Et cette occasion, c’est la construction d’un pays par en haut, avec les masses qui sont la cible de cette conceptualisation d’un fondamentalisme latino-américain, masqué par un « exceptionnalisme » latino-américain devant apporter ses lumières au monde.

    Les dernières lignes d’Ariel précisent bien ce point : il ne s’agit pas de s’enfermer dans une tour d’ivoire entre érudits, mais d’éduquer spirituellement un peuple qui, en fait, n’existe pas.

    « Et c’est alors, après le silence prolongé, que le plus jeune du groupe, qu’ils appelaient « Enjolrás » pour son absorption réfléchie, dit, désignant successivement l’ondulation paresseuse du troupeau humain et la beauté rayonnante de la nuit :

    —Alors que la foule passe, je remarque que, même si elle ne regarde pas le ciel, le ciel la regarde.

    Sur sa masse indifférente et sombre, comme la terre du sillon, quelque chose descend d’en haut.

    La vibration des étoiles est semblable au mouvement des mains d’un semeur. »

    Ariel est l’invention des peuples latino-américains ; c’est un mythe nationaliste latino-américain, mais sans nation, qui a comme but de « créer » les latino-américains comme entité de dimension continentale.

    C’est une fantasmagorie, expression du besoin historique des criollos de justifier leur existence et leur domination.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • L’Amérique latine populaire, au-delà de l’idéologie

    Bien que l’idéologie latino-américaine soit née sur une base réactionnaire, et que sa matrice est idéaliste, elle a pu être utilisée par les masses elles-mêmes, ou par des secteurs étrangers aux criollos eux-mêmes.

    Il y a ainsi déjà l’émigration qui a transformé le concept. Les émigrés latino-américains, se retrouvant dans un pays étranger (notamment aux États-Unis et en Europe), ont systématiquement utilisé le dénominateur commun « latino-américain » afin de s’entraider.

    Tant qu’il n’y a pas le poids suffisant pour établir une communauté autonome, alors il y a l’exigence de l’unité latino-américaine, au nom de traits communs fondamentaux, de valeurs communes, d’un parcours historique commun.

    On est d’une part dans l’internationalisme des travailleurs démunis et sans défense se retrouvant loin de chez eux, et le cosmopolitisme du commerçant tenant une boutique de vente de produits d’alimentation latino-américains.

    Le Monumento a la Raza en construction à Mexico
    à la fin des années 1930

    Il y a ensuite l’action de l’idéologie latino-américaine sur le continent américain lui-même. Son existence a empêché la non-saisie de connaissances, de culture d’autres pays latino-américains.

    Cela fait que, de par l’immense richesse de pays latino-américains, les échanges ont pu être réalisés de manière solide, avec des pics d’accélération sans pareil.

    Un exemple marquant est la cumbia, une musique et une danse d’origine africaine présente en Colombie, qui s’est répandue à travers tous les pays latino-américains, avec à chaque fois des adaptations.

    Ces adaptations ont elles-mêmes agi en retour et, sur ce plan, l’idéologie latino-américaine réactionnaire s’est retournée en son contraire en permettant l’existence d’une formidable caisse de résonance culturelle.

    Car en plus de la cumbia, il y a d’autres réalités culturelles qui s’échangent à grande vitesse à travers toute l’Amérique latine, facilité par l’utilisation de la même langue et de l’absence d’obstacle idéologique majeure, en raison de l’existence de l’idéologie latino-américaine.

    Un festival avec comme musique la cumbia
    dans sa variante salvadorienne

    Naturellement, c’est la petite-bourgeoisie qui récupère ces échanges, afin de promouvoir un ariélisme renouvelé. L’idéologie latino-américaine est un prétexte pour la petite-bourgeoisie pour gagner des points dans une société figée.

    L’engouement populaire est utilisé comme légitimité pour parvenir à s’inscrire dans le panorama national, en tant que « représentants » culturels de ces échanges.

    N’importe quel artiste, intellectuel ou petit commerçant d’un pays latino-américain peut s’appuyer sur la réalité des échanges latino-américains pour prétendre avoir une valeur en soi, représentant quelque chose de « latino-américain » au-dessus de la réalité locale ou nationale.

    C’est un chantage affectif ou culturel typique de la petite-bourgeoisie.

    Inversement, ce chantage peut se retourner en son contraire, par l’intermédiaire de vecteurs parvenant à transcender les frontières nationales pour développer un dénominateur commun sur le plan culturel.

    C’est absolument flagrant en ce qui concerne le développement du reggaetón (ou encore de la merengue, de la salsa, de la bachata…), qui a connu une adhésion populaire massive.

    En même temps, par retournement, le reggaetón relève de réseaux commerciaux et diffuse des valeurs atrocement patriarcales et féodales, passées à la moulinette de la société de consommation.

    En fait, tout le problème est là : l’Amérique latine devient une réalité, car des pays proches vont dans le sens de la fusion, dans un processus historique inexorable.

    Les définitions sont cependant faussées par l’idéologie latino-américaine élaborée par les criollos et se déroulent dans un cadre aux valeurs décadentes.

    C’est le piège qui se referme en permanence sur lui-même, de manière ininterrompue, et qui forme un vrai verrou à tout progrès en Amérique latine.

    Un choix graphique au minimum douteux: le drapeau de l’United Farm Workers of America, un mouvement des ouvriers agricoles d’origine mexicaine aux États-Unis, né dans les années 1960

    Cela se révèle dans la conception festive en Amérique latine. Si on regarde une danse ou une musique en Amérique latine, on s’aperçoit vite que sa dimension exubérante en apparence s’appuie en réalité sur un socle hyper codifié.

    Ce qui casse tout mouvement en Amérique latine, quel qu’il soit, intellectuel ou musical, politique ou économique, social ou culturel, c’est toujours une dimension féodale dans le fond, qui prive de ressort.

    Il y a un pompage des énergies à la base même ; le sol n’est jamais assez solide pour un réel développement qui assume une réelle dimension démocratique et populaire.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Comment Ariel dénonce la décadence des États-Unis

    L’échec de la monarchie espagnole en Amérique latine a un double caractère d’un côté, cela arrange les criollos en particulier, de l’autre cela leur indique la précarité de toute domination en général.

    Donc, évidemment, à leur fondation, les pays latino-américains s’imaginent jeunes et donc plein d’élan. Ils affirment que l’avenir leur appartient, qu’ils vont faire de grandes choses, etc.

    Et, en même temps, ils sont immanquablement touchés eux-mêmes par le recul général de la monarchie espagnole, alors qu’eux-mêmes relèvent d’un élan historique « espagnol ».

    C’est qu’on ne peut pas, en effet, en même temps affirmer une avancée de la dimension « espagnole » du monde (par l’Amérique latine) et constater le ratatinement de l’empire espagnol jusqu’à la quasi disparition, à moins d’avoir la possibilité de remplacer celui-ci.

    José de San Martín à la fin des années 1820 ; il a grosso modo joué le même rôle pour le sud de l’Amérique du Sud que Simón Bolívar dans la partie Nord

    Simón Bolívar a bien essayé d’unifier les pays latino-américains afin de former une telle puissance de remplacement, ce fut l’échec, car cela ne reposait sur rien à part une envie féodale d’établir un empire.

    En ce sens, la « constatation » par José Enrique Rodó de la décadence des États-Unis est également l’expression d’un sentiment de perdition de la part des couches féodales des criollos.

    C’est très important que de voir cet aspect, car les réactions des élites criollos d’Amérique latine vont être souvent incohérentes dans leur rapport aux États-Unis.

    Il y a à la fois de la soumission et des tentatives de manipulation, de la rancoeur et de la fascination, etc.

    Chaque pays latino-américain a ici développé son propre « style » d’adaptation à l’hégémonie des États-Unis.

    En même temps, il y a le choc du mode de production féodal des criollos et du mode de production capitaliste américain.

    Et l’idée qu’une domination ne soit pas éternelle inquiète fondamentalement des couches féodales latino-américaines, qui voient que le capitalisme peut les remplacer, mais que la base capitaliste elle-même est précaire (en raison de sa non-sélection d’une élite et de l’irruption d’une société de masse).

    Cela fait qu’Ariel est surchargé d’anticapitalisme romantique, d’idéalisme « spiritualiste », et que cette œuvre pourrait être tout à fait lue, comprise voire acceptée par les fondamentalistes musulmans qui apparaissent au même moment en Inde et dans les restes de l’empire ottoman.

    On peut même dire qu’au 21e siècle, n’importe quel fanatique hindou, catholique irlandais anti-anglais, chrétien conservateur des États-Unis, salafiste d’un pays arabe… reconnaîtrait tout de suite Ariel comme relevant d’une saine critique.

    Les propos de José Enrique Rodó sur la décadence des États-Unis sont tout à fait caractéristiques de la « révolte contre le monde moderne ».

    « La vie publique n’est certainement pas à l’abri des conséquences de la croissance du même germe de désorganisation que la société porte en elle.

    Tout observateur moyen de ses mœurs politiques vous dira comment l’obsession de l’intérêt utilitaire tend progressivement à affaiblir et à diminuer le sens du droit dans le cœur des gens.

    Le courage civique, la vieille vertu des Hamilton, est une lame d’acier qui rouille, de plus en plus oubliée dans les toiles d’araignée de la tradition.

    La vénalité, qui commence avec le vote public, s’étend à tous les mécanismes institutionnels. Le règne de la médiocrité rend vaine l’émulation qui valorise le caractère et l’intelligence et les harmonise avec la perspective de l’efficacité de son règne.

    La démocratie, qui n’a pas réussi à réglementer une notion élevée et éducative de la supériorité humaine, a toujours tendu parmi eux vers cette abominable brutalité du nombre qui sape les meilleurs bienfaits moraux de la liberté et anéantit l’opinion publique quant au respect de la dignité d’autrui.

    Aujourd’hui, en outre, une force redoutable s’élève pour contrer, de la pire des manières, l’absolutisme du nombre.

    L’influence politique d’une ploutocratie représentée par les alliés tout-puissants des trusts, monopolisateurs de la production et maîtres de la vie économique, est, sans aucun doute, l’un des traits les plus marquants de la physionomie actuelle du grand peuple.

    La formation de cette ploutocratie a rappelé, sans doute à juste titre, l’essor de la classe riche et arrogante qui, aux derniers jours de la République romaine, fut l’un des précurseurs visibles de la ruine de la liberté et de la tyrannie des Césars.

    Et le souci exclusif de l’agrandissement matériel – inspiration de cette civilisation – impose ainsi la logique de ses résultats dans la vie politique, comme dans tous les ordres d’activité, donnant la première place à la lutte audacieuse et astucieuse pour la vie, transformée par l’efficacité brutale de son effort en personnification suprême de l’énergie nationale – en candidat à sa représentation émersonienne – en personnage régnant de Taine. »

    La dénonciation de la ploutocratie et des trusts relève directement de ce qui va être, deux décennies plus tard, l’idéologie fasciste.

    Et c’est cohérent, car Ariel représente les intérêts de couches féodales, les criollos, qui sont déjà monopolistiques (par et depuis le féodalisme, à travers un capitalisme utilisé de manière monopolistique) et ne peuvent voir que d’un œil mauvais d’autres forces monopolistiques en expansion.

    La particularité d’Ariel, c’est de passer surtout par une dénonciation esthétique, culturelle, civilisationnelle.

    « Le véritable art n’a pu exister, dans un tel milieu, que comme une rébellion individuelle. Emerson et Poe y sont comme des spécimens d’une faune chassée de son véritable milieu par les rigueurs d’une catastrophe géologique (…).

    Et si jamais leur nom [aux Nord-Américains, sans compter le Mexique] devait caractériser un goût en art, ce ne pourrait être autre que celui qui renferme la négation de l’art lui-même : la brutalité de l’effet artificiel, l’ignorance de tout ton doux et de toute manière exquise, le culte d’une fausse grandeur, le sensationnalisme qui exclut la noble sérénité inconciliable avec la hâte d’une vie fiévreuse. »

    Il va de soi qu’il y a beaucoup de justesse également dans le propos : on comprend tout à fait le phénomène Donald Trump avec les dernières lignes citées ici, sur« la brutalité de l’effet artificiel, l’ignorance de tout ton doux et de toute manière exquise, le culte d’une fausse grandeur, le sensationnalisme qui exclut la noble sérénité inconciliable avec la hâte d’une vie fiévreuse. »

    Telle est l’ambiguïté de l’idéologie latino-américaine, critique romantique de la modernité avant tout, au nom d’une civilisation « alternative » dont le contenu n’est, bien entendu, jamais présenté.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Les États-Unis comme Caliban et le rôle idéologique de l’Espagne et de la France

    Revenons en 1898 et à l’intervention américaine qui traumatise les criollos.

    Que voit-on ? Que tout cela apparaît comme une immense opportunité pour l’Espagne de se remettre en avant, au nom de la défense de la « raza » et de la « latinité ».

    Le 2 mai 1898 a ainsi lieu une cérémonie au Théâtre de la Victoire à Buenos Aires, en Argentine. Elle est placée sous le patronage de la monarchie espagnole et l’ennemi affiché, ce sont les États-Unis.

    Voici le programme de la cérémonie : hymne national argentin, marche royale espagnole, conférence du Dr Roque Sáenz Peña, la Marseillaise, pot-pourri d’airs espagnols « Maiquez », conférence de monsieur Paul Groussac, marche royale italienne, jota de « Los Dolores » [épisode d’un opéra de l’Espagnol Tomás Bretón], conférence du Dr. José Tarnassi, marche de Cadix.

    Roque Sáenz Peña est un avocat et homme politique, qui sera par la suite président de l’Argentine de 1910 à 1914.

    Paul Groussac est un écrivain argentin d’origine française, José Tarnassi est un écrivain argentin d’origine italienne…

    Roque Sáenz Peña dénonce de la manière suivante les États-Unis.

    « La doctrine du président Monroe, contenue dans le message de décembre, a été prononcée contre l’intervention, mais cette déclaration a suscité des réserves mentales, qui rendent douteux leurs objectifs et pernicieux leurs effets.

    En principe, il condamne les interventions européennes, mais réserve en fait celles américaines, ce qui signifie et dit qu’il ne s’agit pas d’une doctrine générale et scientifique, avec unité de conception et de principe, mais un fait national et propre, qui est notifié aux nations comme l’idiosyncrasie d’un gouvernement fort et d’un pouvoir incontestable.

    Car il convient de rappeler que l’arrogance de la Maison Blanche a été soutenue dans ce cas par les flottes britanniques et le soutien du ministère de Canning [le premier ministre britannique].

    Cette doctrine est, à mon avis, la cause et l’origine des écarts actuels par rapport au droit public.

    La doctrine de Mackinley est simplement l’épilogue de Monroe et Polk ; il ne s’agit pas de trois doctrines, mais de trois actes consacrant une même usurpation : l’intervention des États-Unis dans les destinées et la vie des peuples américains (…).

    Les républiques hispano-américaines doivent revendiquer avec honneur et fierté les efforts généreux de la nouvelle doctrine, consacrée par Bolívar lorsqu’il a convoqué et établi le Congrès de Panama.

    Bolívar avait, sans aucun doute, la perception exacte de l’avenir, et pouvait comprendre à distance, que le message de décembre avait son talon d’Achille, comme avait des mâchoires troyennes [allusion à Hercule trompé par Troie] la solidarité proclamée par le Capitole.

    La note de programme avec laquelle Bolívar a convoqué ce Congrès a consacré la doctrine de non-intervention, mais pas contre l’Europe, mais contre toutes les puissances étrangères ; telle était la doctrine, dans son caractère légal et universel.

    C’était la vérité politique à laquelle aspirait le peuple américain : se sentir souverain et libre, non seulement face à l’Europe, mais avant l’universalité des nations (…).

    Les principes du droit public, les messages et les doctrines avec lesquels le cabinet de Washington ébranle périodiquement la tranquillité des nations, autorisent cette franche conclusion : le bonheur des États-Unis est l’institution la plus lourde qui pèse sur le monde ! »

    José Tarnassi lut un poème d’inspiration italienne « pour l’Espagne » ; quant à Paul Groussac il lance une attaque violente contre les États-Unis et ce qu’ils représentent, à travers un éloge fantasmatique de l’Espagne historique.

    Paul Groussac

    C’est là qu’intervient la mise en parallèle avec Caliban.

    « Pour la même raison que nous pensons et sentons ainsi dans notre propre cause, plaçant la notion absolue de justice et de droit bien au-dessus de la vaine gloire et des ambitions égoïstes, nous pouvons, nous, le plus humble défenseur de cette sainte doctrine, protester haut et fort contre une entreprise de mensonges et de trahison, qui a dû cacher ses indicibles desseins sous un masque d’indépendance ; contre une agression barbare, qui est une parodie de tous les droits et la justice, et qui, en ensanglantant les eaux de Cuba et des Philippines, commet un crime inexpiable contre l’humanité (…).

    Le 20 avril 1493, — date qui, comme vous le savez, correspond exactement au 2 mai de notre calendrier moderne, les Rois Catholiques recevaient, dans l’ancien palais des Comtes de Barcelone, le navigateur génois qui revenait de Cuba et leur apportait le Nouveau Monde.

    Une heure sublime et unique dans l’histoire de la planète, si imposante par son annonce brutale et ses conséquences infinies, que l’imagination la plus riche pourrait simuler la scène, sans dépasser ni atteindre les proportions grandioses et l’éclat éblouissant de la réalité ! (…)

    Cette heure suprême et indélébile de l’histoire de l’évolution humaine, l’Espagne, je le répète, l’a connue et savourée dans sa plénitude.

    Elle laisse son effigie énergique et gracieuse éternellement frappée dans la monnaie des siècles ; elle a réalisé à son tour un idéal humain de courage, de noblesse, de hauteur chevaleresque, de spiritualisme exalté et mystique (…).

    À travers les abîmes et les collisions sanglantes, les revers sombres et les longues périodes de déclin, la civilisation latine a la gloire immortelle d’avoir marché pendant dix-huit siècles les yeux vers le ciel…

    Ici maintenant, au seuil du vingtième siècle, elle voit naître un ennemi plus formidable et redoutable que les hordes barbares, à l’assaut desquelles l’ancienne civilisation a succombé.

    C’est le yankeeisme démocratique, athée de tous les idéaux, qui envahit le monde.

    En moins de cent ans – car les colonies de la Nouvelle-Angleterre avaient un caractère très différent – un organisme social monstrueux, un peuple alluvial, est né et s’est développé entre ses deux océans, du cercle polaire aux tropiques, artificiellement et pressés par les déversements d’autres peuples, sans donner le temps à l’assimilation, et dont le trait marquant et caractéristique n’est autre que celui-ci : l’absence absolue de tout idéal.

    Ce n’est pas une nation, bien qu’elle présente les formes extérieures des nations, ni ne ressemble à aucun peuple de structure compacte et homogène, – s’écartant de plus en plus des Anglais, dont descend le noyau occidental [du pays], et se dilue aujourd’hui dans la masse adventice [= poussant telles des mauvaises herbes].

    Groupement fortuit et colossal, établi dans un semi-continent de richesses naturelles fabuleuses, sans racines historiques, sans traditions, sans résistances internes ni obstacles externes, il s’est développé à outrance avec toute l’exubérance des organismes élémentaires ; et les observateurs ordinaires l’ont admiré pour sa grandeur matérielle, née seulement des circonstances, et pour sa conception du gouvernement libre, qu’il a héritée de la mère patrie et qu’il n’a modifiée que pour la corrompre.

    Ce noyau primitif de la Nouvelle-Angleterre a prévalu jusqu’au milieu de ce siècle, suffisant à maintenir apparemment intacts, quoique déjà affaiblis, tous les organes indispensables à la vie sociale.

    Ainsi les États-Unis ont pu apparaître de loin avec la prétention de leur propre pensée, alors qu’ils ne faisaient que refléter la pensée européenne dans les productions de leurs plus illustres médiocrités.

    Mais depuis la guerre civile et l’invasion brutale de l’Ouest, l’esprit yankee s’est librement détaché du corps informe et « calibanien », et le vieux monde a regardé avec anxiété et terreur la toute nouvelle civilisation venir supplanter l’ancienne.

    Cette civilisation, embryonnaire et incomplète dans sa difformité, veut remplacer la raison par la force, l’aspiration généreuse par la satisfaction égoïste, la qualité par la quantité, l’honnêteté par la la richesse, le sentiment de beauté et de bonté avec la sensation de luxe plébéien, la loi et la justice avec une législation occasionnelle de leurs assemblées.

    Elle confond le progrès historique avec le développement matériel ; elle croit que la démocratie consiste dans l’égalité de tous par le partage commun, et applique à sa manière le principe darwinien de sélection, éliminant de son sein les aristocraties de la moralité et du talent.

    Elle n’a pas d’âme, ou plutôt, elle ne possède que cette âme appétitive qui, dans le système de Platon, est la source des passions grossières et des instincts physiques. »

    Cette référence à Caliban va être reprise quelques jours plus tard par Félix Rubén García Sarmiento, plus connu sous le nom de Rubén Darío (1867-1916), un poète du Nicaragua. Il écrit un article, « Le Triomphe de Caliban », publié dans El Tiempo de Buenos Aires, le 20 mai 1898. 

    Rubén Darío

    L’article commence ainsi et se prolonge dans un éloge de la cérémonie du 2 mai 1898.

    « Non, je ne peux pas, je ne veux pas être du côté de ces buffles aux dents d’argent. Ce sont mes ennemis, ce sont les ennemis du sang latin, ce sont les barbares. Ainsi tremble aujourd’hui tout cœur noble, ainsi proteste tout homme digne qui conserve quelque chose du lait de la louve [romaine].

    Et j’ai vu ces Yankees, dans leurs villes écrasantes de fer et de pierre, et les heures que j’ai vécues parmi eux, je les ai passées avec une vague angoisse.

    Il me semblait ressentir l’oppression d’une montagne, j’avais l’impression de respirer dans un pays de cyclopes, de mangeurs de viande crue, de forgerons bestiaux, d’habitants de maisons de mastodontes.

    Le visage rouge, lourd, grossier, ils marchent dans les rues en se poussant et en se frottant les uns contre les autres comme des animaux, à la recherche de dollars.

    L’idéal de ces Calibans se limite à la bourse et à l’usine. Ils mangent, mangent, calculent, boivent du whisky et gagnent des millions.

    Ils chantent Home, sweet home ! et leur maison est un compte courant, un banjo, un homme noir et une pipe.

    Ennemis de toute idéalité, ils sont dans leur progrès apoplectique, de perpétuels miroirs grossissants (…).

    Toutes les tempêtes des siècles ne pourront pas polir l’énorme Bête.

    Non, je ne peux pas être de leur côté, je ne peux pas être pour le triomphe de Caliban.

    [Suit la présentation des trois orateurs et de leurs discours, avec à chaque fois leur éloge.]

    Eh bien alors, nous tous qui avons écouté ces trois hommes, représentants de trois grandes nations de race latine, nous avons tous pensé et senti combien cette explosion était juste, combien cette attitude était nécessaire, et nous avons vu palpable l’urgence de travailler et de lutter pour que l’Union latine ne continue pas à être une fatamorgana [= mirage] du royaume d’Utopie, car le peuple, au-dessus des politiques et des intérêts d’un autre ordre, sent, quand le moment précis arrive, la vague de sang et la vague de l’esprit commun.

    De la même manière, notre race devrait s’unir, comme elle s’unit dans l’âme et le cœur, dans les moments de trouble ; nous sommes une race sentimentale, mais nous avons aussi été des maîtres de la force.

    Le soleil ne nous a pas abandonnés et la renaissance est caractéristique de notre arbre séculaire.

    Du Mexique à la Terre de Feu, il y a un immense continent où la semence ancienne se féconde et prépare dans la sève vitale la grandeur future de notre race.

    D’Europe, de l’univers, vient un vaste souffle cosmopolite qui contribuera à revigorer notre propre jungle.

    Mais voici que du Nord viennent des tentacules de chemins de fer, des bras de fer, des bouches absorbantes (…).

    Quand les grands penseurs annoncent un avenir dangereux et que l’avidité du Nord est en vue, il ne reste plus qu’à préparer la défense.

    Mais il y en a qui me disent : « Ne vois-tu pas qu’ils sont les plus forts ? Ne sais-tu pas que, selon une loi fatale, nous devons périr, engloutis ou écrasés par le colosse ? Ne reconnais-tu pas leur supériorité ? »

    Oui, comment pourrais-je ne pas voir la montagne qui forme le dos du mammouth ?

    Mais face à Darwin et Spencer, je ne poserai pas ma tête sur la pierre pour que la grande Bête m’écrase le crâne.

    Behemoth [= un monstre de la Bible] est gigantesque, mais je ne me sacrifierai pas de mon plein gré sous ses pattes, et s’il réussit à me capturer, au moins ma langue finira de lancer sa malédiction finale, avec le dernier souffle de vie.

    Et moi qui ai été partisan d’une Cuba libre, ne serait-ce que pour accompagner tant de rêveurs dans leurs rêves et tant de martyrs dans leur héroïsme, je suis ami de l’Espagne dès que je la vois attaquée par un ennemi brutal, qui porte comme drapeau la violence, la force et l’injustice.

    « Et n’avez-vous pas toujours attaqué l’Espagne ? » Jamais. L’Espagne n’est pas le courtisan fanatique, ni le pédant, ni le malheureux maître d’école, dédaigneux de l’Amérique qu’il ne connaît pas.

    L’Espagne que je défends s’appelle Hidalguia [le principe des « hidalgos »], Idéal, Noblesse ; elle s’appelle Cervantes, Quevedo, Góngora, Gracián, Velázquez ; elle s’appelle El Cid, Loyola, Isabel.

    On l’appelle la Fille de Rome, la Sœur de la France, la Mère de l’Amérique.

    Miranda préférera toujours Ariel ; Miranda est la grâce de l’esprit ; et toutes les montagnes de pierres, de fer, d’or et de lard ne suffiront pas à mon âme latine pour se prostituer à Caliban ! »

    Eh oui, derrière Ariel, il y a la folie de la « Raza », il y a la fantasmagorie idéologique d’une « civilisation » espagnole, ou hispano-américaine.

    Et pour bien fermer la boucle, il faut remonter un tout petit plus en avant dans le temps.

    On trouve alors le Français Ernest Renan (1823-1892), un penseur majeur alors, qui tente de combiner un principe de république autoritaire et une démocratie en apparence.

    C’est le sens de sa pièce de théâtre Caliban, suite de la Tempête (1878), où la brute Caliban représente le peuple et la démocratie, qui doivent être guidés par Prospero pour parvenir à quelque chose.

    Ernest Renan reflète ici les intérêts de la bourgeoisie qui a besoin du peuple pour contrer le catholicisme et les monarchistes, mais ne compte pas pour autant établir une république populaire !

    Ernest Renan continua sur sa lancée avec L’eau de Jouvence. Suite de « Caliban » (1881), où est mis en avant l’idéal spirituel afin de permettre de faire avancer, par à coups, par réformes régulières, la civilisation.

    On retrouve Ariel, naturellement.

    Mais on retrouve également la base idéologique qui va permettre, par la suite, de rependre le thème de Caliban dénonçant les États-Unis.

    L’idéologie latino-américaine est une construction, de A à Z ; c’est un produit de laboratoire intellectuel, réalisé par les criollos en panique devant la faiblesse de leur féodalisme face au capitalisme des États-Unis.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • La raza et les castes en fonction de la couleur de peau

    Le terme de « race » n’a pas originellement forcément un sens ethnique ; il désigne davantage une communauté, avec par contre effectivement le plus souvent une dimension « raciste », c’est-à-dire comme possédant des traits, des caractéristiques « uniques » et irréductibles.

    Une fois cela compris, on peut dire que le concept de « la raza » est indissociable de l’idéologie latino-américaine.

    Il ne s’agit pas ici au sens strict de la vision du monde national-socialiste, de l’imaginaire de la forteresse civilisationnelle assiégée.

    Naturellement, cela a un rapport, mais on touche ici l’ambiguïté fondamentale d’une Amérique latine née par les criollos mais où, au fur et à mesure, l’ensemble de la population va être amenée à s’identifier au pays malgré tout.

    Initialement, la question raciste joue beaucoup dans l’Amérique latine libérée, dans le prolongement de l’Amérique coloniale.

    On a toute une liste de catégories, avec une hiérarchie selon le degré de « présence raciale » espagnole dans le « sang ».

    On a, en plus des criollos et des peninsulares, le castizo et la castiza (mélange espagnol / métis), le mestizo et la mestiza (européen / amérindien), le indo et la inde (amérindien), le pardo et la parda (européen, amérindien et africain), le mulato et la mulata (européen et africain), le zambo et la zamba (amérindien / africain), le negro et la negra (africain), etc.

    Chaque mélange ethnique est catégorisée, formant un système de castes :
    ici une représentation d’Amérique latine du 18e siècle

    Il est bien connu en Europe qu’en Amérique latine il existe une logique de caste fondée sur la race, où plus on est « blanc » plus on a un meilleur statut.

    Même si cela s’estompe, cela reste une tendance de fond.

    Et tout cela vient d’Espagne. L’Espagne de la Reconquista a basculé dans un fanatisme de la race, à travers la promotion d’un catholicisme « pur », en fait l’outil idéologique de la monarchie.

    L’expulsion des Juifs et Musulmans d’Espagne s’est accompagné d’un culte des « preuves » du « sang » espagnol, dont la situation en Amérique latine est l’écho direct (c’est le principe de la « limpieza de sangre », de la « pureté du sang »).

    La formation de ce principe espagnol dérive de celui de la noblesse de sang, dont l’ensemble des héritiers, riches ou pauvres, forment la classe sociale des « hidalgos », forme locale et particulière de la « chevalerie » féodale, dans les royaumes de l’Espagne féodale qui émerge de la Reconquista. 

    Autour de cette classe sociale, alors décadente, se développe toute une idéologie des valeurs aristocratiques militaires hargneuses devant triompher du destin, de la pauvreté ou de toutes les épreuves de la vie avec panache et un sentiment de supériorité « raciale » affirmé à tout propos, brutalement même et jusqu’au-boutiste jusqu’à l’absurde le plus baroque, mais serein et policé sur la forme : c’est ce qui constitue la hidalguia comme style total de vie et vision du monde en tant que morgue aristocratique propre historiquement à la noblesse espagnole et « exporté » en Amérique.

    « De negro é india sale lobo « , vers 1780

    Et derrière cela, il y a l’ombre de l’esclavage, qui a duré jusqu’à 19e siècle dans toute l’Amérique latine, après avoir été de très grande envergure, et dans une logique meurtrière.

    Entre le 16e et le 19e siècle, 12,5 millions d’Africains (surtout du Congo et de l’Angola actuels) ont été capturé et amené aux Amériques, dans des conditions terrifiantes, 10,5 millions survivant au voyage.

    Environ un demi-million seulement avait comme destination les États-Unis, les autres ayant comme destination les Caraïbes et l’Amérique du Sud.

    Cela veut dire que l’esclavage dont on parle très souvent pour les États-Unis a eu une dimension bien plus immense dans le reste de l’Amérique (tout comme d’ailleurs l’esclavage organisé par l’Islam qui a touché une population bien plus importante, avec également la systématisation de la castration et de l’esclavage sexuel des femmes).

    En ce sens, l’ultra-violence de l’esclavage est une véritable toile de fond de l’Amérique latine, dans une sorte de non-dit plus ou moins violent.

    Les trois races ou l’égalité devant la loi,
    par le peintre péruvien Francisco Laso, 1859

    Par exemple, l’origine du tango argentin, depuis le terme jusqu’à sa base musicale, est africaine et provient des esclaves noirs ; cela reste invisible en Argentine, un pays qui s’est orienté de manière brutale, voire sanglante vers une identité « européenne » (notamment contre les amérindiens Mapuches avec la « Conquête du Désert » argentine parallèle à la « pacification de l’Araucanie » chilienne, à la fin du 19e siècle).

    C’est toute la signification de l’idéologie latino-américaine qui intervient dans ce contexte, car elle permet de masquer toute cette question du racisme, qui au fond pose la question démocratique, car on a compris que ce sont les criollos qui sont à la base de tout le problème.

    Et ce problème, c’est la constitution par le haut des nations latino-américaines.

    Représentation de castes par Ignacio Maria Barreda (dans l’actuel Mexique), 1777

    Cela ramène à la question de « la raza ».

    Celle-ci est célébrée lors d’un jour spécial en Amérique latine, depuis le début du 20e siècle, à la suite d’une initiative espagnole, car on se doute que l’Espagne n’a eu de cesse de profiter de l’idéologie latino-américaine, pourtant à l’origine produite par ceux ayant rompu avec l’Espagne.

    On est ici vraiment dans une fiction « nationaliste » (sans nation unique), une sorte de fanatisme à prétention civilisationnelle.

    Comble du comble, le « jour de la race » a lieu le 12 octobre : c’est un 12 octobre qu’ut lieu le débarquement de l’équipage de Christophe Colomb sur l’archipel des Bahamas, en 1492.

    On a donc la négation directe des populations amérindiennes, avec une affirmation de l’Espagne, tout cela pour célébrer des pays fondés par en haut par les criollos !

    La célébration du jour de « la raza » ainsi été instaurée en 1915 au Salvador en Uruguay comme Jour des Amériques, en 1917 en Argentine (depuis 2010 elle est dénommée Jour du respect de la diversité culturelle), en 1921 au Venezuela en 1922 en Chili comme anniversaire de la Découverte de l’Amérique (puis depuis 2000 comme jour de la rencontre de Deux Mondes), au Mexique en 1928 (depuis 2020 comme jour de la nation pluriculturelle), en 1939 au Colombie (depuis 2021 elle est appelée jour de la diversité ethnique et culturelle de la nation colombienne), au Costa-Rica en 1968 comme Jour de la découverte et de la race (depuis 1994 comme jour des cultures), etc.

    Comme le montrent les changements de nom, toute cette histoire de « raza » tient de moins en moins, en raison de l’appropriation du cadre national (même construit artificiellement) par les larges masses.

    Car le temps a passé depuis Ariel et les pays fictifs sont devenus des réalités, par contre foncièrement tourmentées voire autodestructrices de par leur parcours historique.

    Mais il est nécessaire ici de souligner encore plus la question du thème de la « raza », en montrant comment le thème d’Ariel contre Caliban est directement issue de la propagande espagnole.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)

  • Amérique latine : l’idéal racial et spirituel pour la jeunesse

    Comme déjà mentionné, c’est l’aspect le moins connu de l’Amérique latine, car les latino-américains ne mettent pas cette dimension réellement en avant.

    Elle saute aux yeux, néanmoins, quand on y prête l’attention. L’Amérique latine est toujours un « idéal » à atteindre et la dimension « raciale » est toujours présente.

    Cette dimension « raciale » est souvent maquillée derrière le côté spiritualiste de la chose ; il n’en reste pas moins que l’idéologie latino-américaine revendique un certain « physique ».

    L’Amérique latine représente un « idéal », un futur à obtenir, et ce sont des latino-américains « racialement » définis qui doivent le réaliser. Ariel résume très bien cette conception systématiquement présente dans les variantes de l’idéologie latino-américaine.

    « Peut-être, dans notre caractère collectif, les contours sûrs de la « personnalité » font-ils défaut.

    Mais en l’absence de cette nature parfaitement différenciée et autonome, nous, Latino-Américains, avons un héritage racial, une grande tradition ethnique à préserver, un lien sacré qui nous unit aux pages immortelles de l’histoire, confiant à notre honneur sa pérennité.

    Le cosmopolitisme, que nous devons attaquer comme une nécessité irrésistible de notre formation, n’exclut ni ce sentiment de fidélité au passé, ni la force directrice et formatrice avec laquelle le génie de la race doit prévaloir dans la refonte des éléments qui constitueront l’Américain définitif du futur. »

    Ainsi, l’idéologie latino-américaine est toujours au départ et à l’arrivée de l’agitation des élites criollos pour trouver une porte de sortie à leur situation irrémédiablement instable, à leur statut parasitaire cosmopolite.

    Elle porte un « idéal » vers lequel il faudrait tendre, une pureté absolue de portée transcendante source d’une nouvelle civilisation.

    Et comme le pays latino-américains sont divisés et s’affrontent, cet aspect est d’autant plus renforcé par José Enrique Rodó.

    Ici, on voit qu’Ariel représente en fait une idéologie fasciste tournée vers la jeunesse. L’Amérique latine est l’idéologie transcendante en laquelle la jeunesse doit s’identifier et se confondre.

    On lit dans Ariel :

    « La jeunesse redeviendra-t-elle une réalité de la vie collective, comme elle l’est de la vie individuelle ? (…)

    Ce que l’humanité doit préserver de tout déni pessimiste, ce n’est pas tant l’idée de la bonté relative du présent, mais plutôt la possibilité d’atteindre un but meilleur grâce à un développement hâtif et dirigé de la vie, guidé par l’effort humain.

    La foi en l’avenir, la confiance en l’efficacité de l’effort humain, sont les préalables nécessaires à toute action énergique et à tout projet fructueux (…).

    Peut-être, universellement, aujourd’hui, l’action et l’influence de la jeunesse sont-elles moins efficaces et moins intenses qu’elles ne devraient l’être dans le progrès des sociétés humaines.

    [L’écrivain et archéologue français] Gaston Deschamps l’a récemment constaté en France, commentant l’initiation tardive des jeunes générations à la vie publique et à la culture de ce peuple, et le peu d’originalité avec laquelle elles contribuent à la formation des idées dominantes.

    Mes impressions sur l’Amérique actuelle, pour autant qu’elles puissent avoir un caractère général malgré le pénible isolement où vivent les peuples qui la composent, justifieraient peut-être une observation semblable.

    Et pourtant, je crois voir s’exprimer partout le besoin d’une révélation active de forces nouvelles ; je crois que l’Amérique a grand besoin de sa jeunesse. »

    Sous des dehors lyriques et intellectuels, Ariel est une œuvre qui pousse à l’action et c’est très exactement ainsi qu’elle a été interprétée en Amérique latine et qu’on lui a accordé un immense succès.

    Ariel est, en définitive, l’affirmation du culte de la « raza » en action.

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    L’idéologie latino-américaine (Ariel, Caliban, Gonzalo)