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  • Le mode de production, cœur de l’approche matérialiste dialectique de l’être humain

    En 2025, rien n’est plus étranger aux gens que le concept de « mode de production ». Il faut une vue d’ensemble, ils ne l’ont pas et en plus il y a de très nombreuses idéologies produites dans les universités pour désorienter.

    Dans le même temps, le degré d’interconnexion des gens, leur niveau de culture générale, leur rapport général à la technologie et à la science, font qu’il n’a jamais autant été possible que le prolétariat comprenne dans toutes ses implications le concept de « mode de production ».

    Or, comme on le sait, rien ne naît spontanément des esprits. Dans la société de consommation capitaliste, saisir le mode de production, c’est tout à la fois faire œuvre de rupture et témoigner d’une haute conscience historique. L’un ne va pas sans l’autre.

    Rien n’est plus vrai aujourd’hui que la thèse léniniste de l’avant-garde, combinant le meilleur de la science et la rupture pratique avec un ordre social décadent, pour saisir le concept de « mode de production ».

    Dans les sociétés capitalistes du XXe siècle, l’imbrication d’avec l’ancien ordre féodal était encore tenace. La classe ouvrière a pu sortir de son enveloppe, en cours de maturation et d’expérimentation, ne pouvait comprendre le concept de « mode de production » que de manière bornée, séparée, unilatérale, notamment par rapport à la matière vivante en général : le rapport aux animaux reflète en soi un manque de maturité historique tout au long du 20e siècle.

    La circulation marchande n’a, par exemple, triomphé totalement en France que dans les années 1950, voir 1960, débouchant sur la période du capitalisme pleinement développé.

    Ce n’est qu’avec la spécificité du mode de production capitaliste pleinement développé que le concept général, universel, de mode de production peut être saisi dans tous ses aspects, car il est le mode de production du développement de la productivité sociale sur la base de l’utilisation maximale de la science et de la technique.

    Le point nodal de la nature humaine

    Au cœur même d’un mode de production, il y a la dialectique des besoins et des moyens de les satisfaire.

    C’est la raison pour laquelle le communisme a toujours insisté sur le fait que le travail, productif, est un besoin essentiel de l’être humain : il est l’expression du caractère naturel de l’être humain, l’expression de sa liaison naturelle avec sa propre nature d’être vivant. Le travail, c’est la raison d’être naturel de l’Humanité.

    Ce qui apparaît ensuite comme relevant de la « conscience » est le résultat de la stabilisation de l’être humain face à l’environnemental naturel, avec des moyens sécurisés pour satisfaire les besoins fondamentaux.

    C’est le début de la séparation entre travail manuel et travail intellectuel, permettant à la « conscience » de se développer de manière autonome, puis carrément de manière indépendante de la réalité matérielle, ce qui a engendré le courant de l’idéalisme.

    À l’inverse, la tâche du matérialisme a toujours été de relier le parcours du développement de la conscience humaine avec le mode de production, la nature humaine.

    L’être humain est avant toute chose un animal qui a des besoins primaires à satisfaire avant même d’être un être culturel, de loisir et de science.

    Karl Marx et Friedrich Engels nous disent dans l’idéologie allemande :

    « Force nous est de débuter par la constatation de la présupposition première de toute existence humaine, partant de toute histoire, à savoir que les hommes doivent être à même de vivre pour pouvoir « faire l’histoire ».

    Mais pour vivre, il faut avant tout boire, manger, se loger, s’habiller et quelques autres choses encore.

    Le premier fait historique est donc la production des moyens permettant de satisfaire ces besoins, la production de la vie matérielle elle-même, et c’est même là un fait historique, une condition fondamentale de toute histoire que l’on doit, aujourd’hui encore comme il y a des milliers d’années, remplir jour par jour, heure par heure, simplement pour maintenir les hommes en vie. »

    L’être humain relève de la matière, précisément de la matière vivante. Dans ce cadre, un mode de production, c’est l’écho pour l’Humanité du développement de la matière vivante en général, qui n’est elle-même qu’un écho du développement infini de l’Univers tout entier.

    La Planète-Terre a engendré des conditions propices à la vie et à l’intérieur de celle-ci a vu naître une forme de vie spécifique qui est l’être humain qui possède une nature spécifique, comme l’a dit Engels :

    « L’homme est le seul animal qui puisse sortir par le travail de l’état purement animal ; son état normal est celui qui correspond à la conscience et qu’il doit lui-même créer. »

    Au départ totalement dépendant de l’élément extérieur naturel, la vie humaine a eu son propre parcours, jusqu’à s’autonomiser de la matière vivante pour mieux l’exploiter (agriculture, domestication des animaux, puis transformation complexe des éléments naturels en éléments propres à satisfaire des besoins ou des moyens de les reproduire, tels le métal, le bronze, l’argile, etc.).

    Lorsque l’être humain apparaît, il est un être vivant intégré et soumis à la chaîne de la matière vivante toute entière.

    Pour satisfaire ses besoins primaires, il se fonde d’abord sur des clans fondés sur la mise en commun des ressources, étape historique obligée face à un environnement naturel incompris et difficilement maîtrisable.

    Puis, progressivement, avec un mouvement en spirale, l’être humain établit des rapports de plus inter-dépendants, dépassant la logique des clans pour aller vers ce qui a été appelé une « société ».

    Le matérialisme historique, comme expression spécifique du matérialisme dialectique, est là pour analyser la dimension particulière de cet écho, mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il n’y a pas une séparation absolue d’avec le développement de la matière en général.

    Le concept développé par Karl Marx de « mode de production » est précisément là pour rappeler cette dimension tout à la fois spécifique de l’être humain (les animaux n’ont pas de mode de production) et son caractère universellement animal du fait qu’il a un rapport de transformation de la nature pour satisfaire sa propre nature. Les forces de la production représentent l’essence de l’Humanité, nous disent Karl Marx et Friedrich Engels :

    « Cette somme de forces de production, de capitaux, de formes de relations sociales, que chaque individu et chaque génération trouvent comme des données existantes, est la base concrète de ce que les philosophes se sont représenté comme «substance» et « essence de l’homme ». »

    La nature, première des forces productives

    La nature est la première des forces productives données à l’être humain pour lui permettre de satisfaire ses besoins. C’est la raison pour laquelle les religions, polythéistes, mais aussi ensuite monothéistes, y ont attaché une si grande importance en l’« objectifiant ».

    La pluie, le soleil, les cycles saisonniers, etc., sont autant d’éléments qui concourent à réaliser la production des moyens de satisfaire les besoins humains.

    Ne pas en tenir compte, c’est se couper d’un des moyens de réalisation de la production. Cela vaut pour l’agriculture, mais aussi pour le reste des branches industrielles, comme par exemple le rôle de la lumière, des températures, de l’eau etc., qui entrent en ligne de compte.

    Dans le livre II du Capital, Karl Marx établit une différence entre procès de travail et procès de production, afin de mieux révéler la différence entre la force productive naturelle et celle issue de la médiation par le travail humain, conscient.

    C’est par exemple la question de la fermentation, et plus généralement du mûrissement des aliments, mais aussi du refroidissement de l’acier. Cela relève du temps long de la production et non directement du processus du travail transformateur.

    Or, si la matière naturelle est l’une des premières forces productives, alors l’être humain lui-même, comme bloc spécifique de la matière vivante, est également une de ses propres forces productives.

    On parle là de la force physique élémentaire évidemment, mais aussi de la force cérébrale transformatrice issue de la capacité de réflexion et de synthèse des lois naturelles qui président au mouvement de la matière universelle.

    C’est ce que rappelle bien Karl Marx par la comparaison entre l’œuvre de l’abeille et celle du travail de l’architecte :

    « Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature.

    L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie.

    En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent.

    Nous ne nous arrêterons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore dépouillé son mode purement instinctif.

    Notre point de départ c’est le travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme.

    Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte.

    Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.

    Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et auquel il doit subordonner sa volonté. »

    Là est la clef de différenciation entre l’être humain naturel et le reste de la matière vivante : l’Humanité possède une capacité de synthèse de la réalité, au départ à travers de l’expérience collective accumulée de générations en générations, puis synthétisée dans une approche générale et conceptuelleL

    L’être humain est alors en capacité de projeter ses besoins et les moyens de les satisfaire. Il est donc en mesure de produire des outils mais aussi et surtout de produire les moyens, de reproduire ces mêmes outils, ce qu’aucun autre bloc de la matière vivante n’est en mesure de faire de part l’absence de synthèse du réel. Les orangs-outans ou les dauphins n’ont jamais construit d’ateliers ou d’usines, car cela nécessite la capacité cérébrale de synthèse des lois objectifs du monde naturel.

    La production consciente de la reproduction sociale, au sens de la transmission productive, sociale et culturelle des moyens de satisfaire les besoins, est l’élément déterminant d’un mode de production, l’élément central de la nature de l’Humanité elle-même.

    Cela signifie que dans le processus de son développement naturel dialectique – élargissement de ses besoins / approfondissement des moyens de les produire et les reproduire – l’être humain voit son travail être toujours plus efficace, efficient, tout autant qu’il voit se capacité de synthèse du réel, autrement dit sa conscience – s’approfondir.

    Comme nous l’enseigne Friedrich Engels :

    « Le développement du cerveau et des sens qui lui sont subordonnés, la clarté croissante de la conscience, le perfectionnement de la faculté d’abstraction et de raisonnement ont réagi sur le travail et le langage et n’ont cessé de leur donner, à l’un et à l’autre, des impulsions sans cesse nouvelles pour continuer à se perfectionner. »

    Historiquement, cette élévation de la productivité du travail débouche sur une division sociale des tâches, avec certaines parties de la société toujours plus affectées à des tâches manuelles productives, et d’autres à des tâches générales d’organisation et de synthèse du réel. L’élévation de la productivité du travail passe par une mise en commun des forces physiques humaines, au départ par la communauté clanique, puis ensuite par la mise en coopération hiérarchisée et dominatrice d’une classe sociale par une autre.

    La nature même de l’être humain ne peut en faire autrement, puisqu’il est contraint de produire et de reproduire ses moyens de satisfactions des besoins sans cesses élargis, et dans le même temps d’avoir le temps de synthétiser l’expérience collective accumulée pour mieux maîtriser ces mêmes processus de satisfaction.

    Ce processus dialectique s’opère à des moments historiques, des nexus, dans lesquels l’Humanité a été contrainte de se diviser en classe sociales antagonistes.

    On ne pouvait satisfaire l’élargissement des besoins sociaux et culturels sans l’esclavage, exigeant la mise en coopération immédiate d’une abondante force physique collective.

    C’est dans ce cadre qu’apparaissent les modes de production fondés sur l’exploitation de la matière vivante, avec l’agriculture et la domestication des animaux, et de la force productive naturelle de l’être humain, avec le mode de production esclavagiste.

    Les révoltes d’esclaves apparaissent déjà comme un cri du cœur contre l’exploitation et les débuts de l’aliénation humaine intolérable avec une classe sociale exploiteuse, s’appropriant les fruits de la nature humaine au détriment de l’Humanité toute entière.

    Toutefois, cela ne pouvait aboutir à l’abolition du mode de production fondé sur l’exploitation humaine, mais, au mieux, sur sa transformation dans une exploitation « améliorée », celle du servage féodal, car le serf devient maître d’un lopin de terre.

    « Si » l’Humanité avait été consciente de tout ce processus, jamais la division en classes n’aurait eu lieu.

    Évidemment, cette conscience des choses était impossible dans les circonstances de l’époque marquée par une trop faible productivité sociale, obligeant l’Humanité au passage forcé, nécessaire, dans des formes d’exploitation et de domination de la propre nature et de la nature elle-même. En quelque sorte, l’être humain a du se cannibaliser pour se développer et se permettre les conditions futures d’un développement apaisé, harmonieux.

    Le mode de production, la clef du processus historique de formation des sociétés humaines

    Dans les traditions empiriste/libérale et démocratique issues des Lumières, ou bien il y a l’individu isolé doué de raison qui entreprend des choses et transforme le réel à son échelle, ou bien il y a des individus doués de raison qui, un beau jour, on ne sait trop comment, décident de s’associer ensemble, pour survenir à leurs besoins et ainsi satisfaire à leur sécurité face aux affres de la nature.

    Karl Marx naît dans l’époque qui suit ces errements idéologiques. C’est en posant le concept même de mode de production que naît véritablement, tel un coup de massue idéologique, le matérialisme dialectique.

    Il faut ici saluer l’expérience de l’Union Soviétique de Staline qui a publié en 1932 le manuscrit de l’« Idéologie allemande » écrit conjointement par Marx et Engels aux alentours de 1845.

    Ce texte fournit les éléments d’analyse les plus approfondis sur le concept de « mode de production ».

    Dans ce texte, Marx et Engels règlent leurs compte avec la mystification de l’individu isolé et de la raison amenant un « contrat social ».

    Le marxisme reflète le parcours de l’Humanité comme relevant d’une nécessité historique, ayant amené les êtres humains à coopérer ensemble pour satisfaire leurs besoins et les reproduire, tout en élevant et perfectionnant à chaque génération qui s’empile les moyens de satisfaction de ses besoins.

    Des besoins qui, au fur et à mesure que se sophistiquent leurs moyens de production et de reproduction, s’élargissent, s’approfondissent tant le domaine « organique » que dans les domaines culturels. C’est donc une sorte de mouvement en spirale infinie, inarrêtable, progressant ensemble vers toujours plus de complexité, écho indirect de l’Univers en développement toujours plus complexe.

    Historiquement, le problème a été que ce processus a vu le processus de division sociale du travail, avec notamment l’opposition entre travail manuel et travail intellectuel, faire que l’Histoire apparaît comme le résultat de l’action des « grands hommes », des « grandes idées », des religions, des empires, etc.

    S’il est difficile pour les gens de saisir le concept même de mode de production, c’est parce qu’il véhicule en son sein le principe de relations historiques et sociales entre les gens sans qu’ils ne semble les contrôler.

    Partir de l’idée du mode de production, c’est reconnaître qu’il y a « quelque chose » au-dessus des gens, de leur stricte individualité. Par conséquent, il y a une nécessité historique qui s’impose à eux, à travers eux et, bien souvent, malgré eux.

    C’est ce qu’a expliqué Karl Marx dans la fameuse Préface à la contribution de la critique de l’économie politique de 1859, qui est le second texte majeur posant les bases du concept de « mode de production » :

    « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles. »

    Le mode de production conditionne tout

    Historiquement, le matérialisme dialectique a posé le concept de « mode de production » dans le cadre de la naissance du marxisme au milieu du XIXe siècle. Il faut attendre la stabilisation de la première expérience d’État ouvrier et paysan avec l’URSS dans les années 1930 pour avoir une première synthèse de ce concept. Une synthèse d’autant plus précieuse qu’elle se fonde sur le renversement du mode de production capitaliste et sa transformation en un nouveau mode de production, le Socialisme.

    C’est dans ce cadre que le grand dirigeant Joseph Staline a synthétisé une première étape du matérialisme dialectique dans le classique du communisme, Matérialisme dialectique et matérialisme historique, publié en 1938.

    Véritable livre de chevet de nombreux cadres de l’Internationale communiste, ce texte a apporté une lecture pédagogique des plus accessibles pour saisir le concept de « mode de production ».

    Forcément, Joseph Staline se fonde tout entier sur la Préface à la contribution de la critique de l’économie politique de Karl Marx, source fondamentale du concept de « mode de production ». C’est avec la première systématisation du matérialisme dialectique dans le cadre de la stabilisation de l’URSS qu’est diffusé massivement cette approche du mode de production en termes d’infrastructure / superstructure.

    L’idée c’est de bien faire comprendre les choses avec la métaphore d’une maison : si l’on veut comprendre une société, il faut partir de ses fondements, que sont les manières de produire, d’échanger entre les êtres humains.

    On peut alors comprendre leurs manières de voir les choses, de se comporter, de régler leurs attitudes par des lois, une morale, etc.

    Malheureusement, cette métaphore qui se voulait d’ordre pédagogique pour faire pénétrer le concept dans les plus larges masses a très vite été dévoyé par le révisionnisme.

    Il faut avoir en tête que le texte est publié en 1938, soit un an avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, qui a vu l’activité idéologique des Partis Communistes être réduite par les circonstances, avant qu’un nouvel élan naisse de la victoire sur l’Allemagne hitlérienne.

    Le révisionnisme arrivé au pouvoir en 1953, mais déjà présent, n’a pas laissé suffisamment de temps pour que cette métaphore soit bien appropriée et digérée par la masse des militants communistes.

    Elle a finalement laissé très vite la place à une interprétation mécanique, non dialectique, dans le cadre de l’interprétation universitaire, bourgeoise, révisée du marxisme.

    Cette révision présente le mode de production comme la base matérielle de l’être humain, séparé de la nature. Il y aurait d’un côté la nature, de l’autre l’être humain et ses capacités productives.

    Il n’y a alors pas de mode de production comme reflet dans l’Humanité du développement de la matière vivante.

    Cette révision a été rendu possible par l’arrivée au pouvoir en URSS d’une nouvelle bourgeoisie, transformant celle-ci en social-impérialisme.

    Au-delà d’une incompréhension de la lutte toujours nécessaire entre la ligne rouge et la ligne noire, il y a que le matérialisme dialectique n’avait pas eu le temps de présenter le mode de production comme un écho du développement de la matière vivante dans le cadre du développement de l’être humain.

    Du fait de l’arriération des pays du socialisme, entre 1917 et 1953 pour l’URSS, et 1949-1976 pour la Chine populaire, l’étendue du concept de mode de production n’a pu être correctement synthétisé et présenté dans le cadre du matérialisme dialectique.

    Il faut attendre la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne lancée par Mao Zedongpour avoir le commencement de cette systématisation.

    Il faut ici citer l’éditorial du Quotidien du peuple du 2 juin 1966, Une Grande Révolution qui touche l’homme dans ce qu’il a de plus profond.

    « Il est faux d’affirmer qu’il n’existe pas de contradictions dans la société socialiste ; cela va à rencontre du marxisme-léninisme et est en désaccord avec la dialectique.

    Comment pourrait-il ne pas y avoir de contradictions ?

    Il y en aura toujours, dans mille ans, dix mille ans, voire cent millions d’années.

    La terre serait-elle détruite et le soleil se serait-il éteint qu’il en existerait encore dans l’univers.

    Chaque chose est en contradiction, lutte et changement. C’est cela le point de vue marxiste-léniniste.

    L’essence même du marxisme est critique et révolutionnaire. Il a pour base la critique, la lutte et la révolution.

    Et c’est cela seul qui fait progresser continuellement notre cause socialiste.

    Le président Mao nous a souvent rappelé, par le dicton : « L’arbre préfère le calme, mais le vent continue de souffler », que la lutte des classes est un fait objectif, indépendant de la volonté de l’homme. »

    La lutte de classe comme fait objectif, indépendant de la volonté de l’humanité, est ce qui est à difficile à appréhender. Selon le matérialisme dialectique, un mode de production, c’est l’essence même des formations sociales, des sociétés.

    En même temps, comme c’est un concept, il n’est pas « visible » dans le réel. Il faut un saut qualitatif historique pour le retrouver et le comprendre dans tous ses aspects.

    C’est aspects sont innombrables.

    On a les idées, la morale, les normes éthiques du moment, les manières de se comporter, les manières de consommer les produits, le rapport à la vie naturelle mais aussi aux autres, le psychisme des gens à un moment donné, etc.

    Des aspects qui sont inter-connectés bien sûr, avec les manières de produire et de reproduire la vie réelle, avec par conséquent un rôle parfois moteur dans les transformations.

    Rien n’évolue de manière séparé, tout est relié. Il serait résolument faux que de considérer un mode de production comme un simple équivalent de « société » ou d’une « économie » ou même d’un mode de gouvernement : le mode de production c’est le fondement historique de l’organisation de l’Humanité à des stades de son développement.

    Comme le souligne Karl Marx de manière synthétique :

    « Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté ; ces rapports de production qui correspondent à un degré de développement donné de leurs forces productives matérielles.

    L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur quoi s’élève une superstructure juridique et politique, et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel, en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence ; c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. »

    Cela signifie que les mœurs, les idées d’une époque, la morale, le code juridique, etc., relèvent du mode de production. Il n’y a rien en dehors ou à côté du mode de production.

    Les forces productives, le nexus de l’expérience humaine invisible à l’œil nu

    Les forces productives, c’est le rapport central de l’Humanité avec la Nature et avec elle-même, ce qui revient dialectiquement au même.

    En effet, les forces productives, c’est avant tout la capacité de travail humaine puis, au fil des générations, un empilement d’expériences qui, passées au prisme de l’analyse scientifique, se cristallise en une technique ainsi qu’une technologie. Le fil conducteur de l’Histoire humaine, c’est finalement l’archéologie des moyens d’élévation de la productivité du travail.

    Les forces productives ne sont nullement un démiurge qui sortent ex nihilo pour « aider » l’humanité à produire et reproduire ses besoins. Elles représentent au contraire l’Humanité elle-même qui se saisit de son rapport à elle-même et à la Nature dans son processus de reproduction de sa vie réelle.

    C’est l’expression de sa propre vie en train de se faire et de se léguer aux générations suivantes, dans des moments particuliers de son développement général, donc de sa capacité de synthèse du réel lui-même.

    Si Karl Marx a insisté sur la dialectique entre les forces productives et les rapports de production, ce fut précisément pour insister sur ce caractère proprement humain, vivant du processus.

    Cependant, il n’y a pas d’un côté les forces productives, et de l’autre les rapports de production, deux entités qui seraient séparées et cloisonnées. Il n’y a pas une « rencontre » entre les deux, comme si l’un étant « naturel » et l’autre « culturel ».

    C’est simplement our avoir une approche claire du développement qu’l y a eut nécessité de découper ces deux entités. Il faut considérer ce découpage de l’analyse comme une nécessité conceptuelle pour saisir l’Humanité dans son développement historique.

    Dans les faits matériels, toutefois, les forces productives ce sont les rapports de production et inversement.

    C’est exactement ce que souligne Karl Marx dans la « Préface » de 1859 :

    « À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors.

    De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves.

    Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. »

    Dans le développement de l’Humanité, on a les forces productives et on a les rapports de production. Les deux sont liés, inter-connectés, en contradiction dans le cadre des modes de production fondés sur l’extraction d’un sur-produit, puis d’une plus-value dans le cadre du capitalisme.

    Au cœur de la contradiction, il y a toujours la capacité de synthèse du réel par l’Humanité, donnant lieu à de nouvelles techniques et technologies, et donc à de nouveaux besoins.

    Il est très important de saisir cet aspect des choses car, comme on le sait, séparation et cloisonnement ne sont pas des catégories dialectiques.

    Cela ne peut donc pas être le reflet du processus réel. Dans les faits, ce type de raisonnement a été celui du révisionnisme, d’abord social-démocrate, puis soviétique et enfin chinois.

    À chaque fois, il a été avancé la fausse thèse du « développement neutre des forces productives », développement dont le moteur sortirait d’on ne sait trop où.

    Il n’y a pas de développement « objectif », « neutre » ; il y a implication, participation, coopération, expérimentation d’une masse infinie de travailleurs sur des décennies et des décennies, des siècles et des siècles.

    Il n’y avait pas de recul sur ce processus, et si les forces productives ont trop souvent été considérés comme sorties d’on ne sait trop où, c’est justement du fait de l’absence d’une vision du monde totalisante telle que le matérialisme-dialectique l’offre.

    Le développement des forces de la production est longtemps apparu comme quelque chose de mystique, pratiquement divin, d’autant plus qu’elles se sont ensuite enveloppées dans la forme marchande et ont vu l’orientation de leur progrès être séparé de la société toute entière, du fait d’une couche d’intellectuels et de scientifiques placés au service de la classe sociale exploiteuse et dominante.

    Il faut ajouter à cela le fait que ce développement relève d’un coopération de millions et de millions d’êtres humains, en fait de toute l’Humanité, et que la synthèse n’arrive bien souvent qu’après des décennies de reproduction besogneuse de la vie réelle, qui plus est dans un cadre déformé par l’exploitation de l’homme par l’homme.

    Forcément il y a comme l’impression que tout cela tombe du ciel, après coup, que cela relève d’une « force » au-dessus de la masse des producteurs coopérants.

    Par conséquent, le développement des forces productives relève d’un processus humain invisible à « l’œil nu », qui exige un effort d’abstraction dans l’analyse.

    Seul le matérialisme dialectique a offert le microscope historique capable de dévoiler « le mystère » de l’histoire de l’Humanité en proposant le concept anthropologique de « mode de production ».

    C’est pour cela que le socialisme est scientifique et exige une avant-garde qui formule cette synthèse, pour proposer un filtre, une vision du monde qui oriente le cours des choses en rapport avec le mouvement dialectique.

    Le matérialisme dialectique offre une capacité de synthèse et d’abstraction permettant de retrouver le fil de l’Humanité concrète.

    C’est ce qui a été bien expliqué par Karl Marx :

    « Le concret est concret parce qu’il est la synthèse de multiples déterminations, donc unité de la diversité.

    C’est pourquoi il apparaît dans la pensée comme procès de synthèse, comme résultat, non comme point de départ, bien qu’il soit le véritable point de départ et par suite également le point de départ de la vue immédiate et de la représentation.

    La première démarche [du « concret » à l’ « abstrait »] a réduit la plénitude de la représentation à une détermination abstraite ; avec la seconde, les déterminations abstraites conduisent à la reproduction du concret par la voie de la pensée. »

    Cela a été approfondi et synthétisé par Mao Zedong :

    « Le premier pas dans le processus de la connaissance, c’est le contact avec le monde extérieur : le degré des sensations.

    Le second, c’est la synthèse des données fournies par les sensations, leur mise en ordre et leur élaboration : le degré des concepts, des jugements et des déductions.

    C’est seulement lorsque les données sensibles sont en grand nombre (et non pas fragmentaires, incomplètes), conformes à la réalité (et non pas illusoires), qu’il est possible, sur la base de ces données, d’élaborer des concepts corrects, une logique juste. »

    Le « mode de production », c’est l’abstraction qui permet de penser l’Humanité en chair et en os, de manière concrète, dans son développement concret d’avec le reste de la complexification de la matière en général.

    Comme toute chose, le mode de production
    est soumis à la loi du développement inégal

    Voilà les choses claires et posées : le mode de production relève de la nature humaine en lien avec le développement universel de la matière et dans ce cadre, il n’est pas « visible » à l’œil nu. Comme tant d’autres phénomènes de la nature, il y a besoin d’outils et de concepts pour saisir correctement ce processus.

    Le mode de production est le concept qui saisit la nature même de l’être humain en transformation, dans le cadre général de transformation de l’univers, de la planète.

    On a ici quelque chose d’essentiel, car une incompréhension sur ce plan produit le volontarisme vitaliste, le subjectivisme dans l’approche de l’Histoire.

    Sans le concept de mode de production, on ne peut pas avoir une approche scientifique du réel et sans une telle approche, on cherche à « forcer les choses ».

    C’est ce qu’on appelle le gauchisme, qui se transforme en tendance droitière ouverte une fois l’échec de ses prétentions.

    Et le gauchisme se nourrit, aussi, de l’incompréhension du développement inégal.

    Dans les faits, il y a le développement inégal comme loi du matérialisme dialectique. Cela veut dire qu’il y a donc toujours différents modes de production qui subsistent lors d’une époque donnée, avec même l’existence de tous les mode de production passés de l’Humanité à l’échelle du globe.

    On sait par exemple qu’il subsiste de manière très limité » des tribus isolés de situant en quelque sorte entre le matriarcat et l’esclavagisme. Il y a les pays semi-féodaux, semi-coloniaux qui ont un développement bancal avec l’imbrication d’un capitalisme déformé fondé sur un féodalisme lui-même déformé.

    Si l’on regarde les débuts du lancement du mode de production capitaliste au 15e siècle, on remarque qu’il y a l’imbrication de ce mode de production avec le féodalisme, puis le retour de l’esclavagisme avec les grandes plantations d’Amérique.

    C’est la raison pour laquelle les critiques du matérialisme dialectique se sont frayés un chemin dans les interstices du réel pour mieux contester ses prétentions scientifiques.

    C’est en considérant cette critique que Mao Zedong intervient comme un apport monumental avec son texte De la contradiction publié en 1937.

    En lien avec la thèse scientifique du développement inégal, Mao Zedong rappelle que le réel se développe de manières « multi-couches », avec des inter-connexions qui, en apparence, partent dans tous les sens.

    De la même manière que cohabitent des manières de voir, de penser, mais aussi de produire, très différentes à l’échelle du globe.

    Pourtant, dans les faits, la tendance qui anime de manière principale le cours de l’évolution historique, c’est la dynamique du mode de production de type capitaliste.

    Sa dynamique est telle qu’il s’est précisément imbriqué dans d’autres mode de production antérieurs à son existence, pour mieux s’appuyer dessus et le renforcer. C’est l’aspect principal.

    Ce qui ne signifie pas qu’il en soit de même partout : dans les pays semi-féodaux, semi-coloniaux, le maintien d’une production agraire régie par des rapports féodaux forme l’aspect principal du mode de production.

    Les exploiteurs se font une illusion
    sur la réalité du mode de production

    Si l’on résume donc à grands traits un mode de production, c’est la mise en forme déterminée par la luttes des classes de forces productives « disponibles » à un moment donné de l’Histoire.

    La « disponibilité » des forces productives relève en fait de la complexification humaine dans le cadre de la complexification de la matière universelle en développement infini.

    C’est pourquoi la classe sociale qui voit sa force physiologique et psychique être exploitée résiste et cherche à réorienter les choses. Le degré de complexification atteint à un moment donné ne correspond pas à l’état de ses propres conditions d’existence qui restent le plus souvent bornées, mutilées, vidées de ses potentialités historiques.

    À l’inverse, les classes possédantes cherchent à se maintenir en laissant penser que le mode de production qui les porte est immuable, éternel. Pour cela, elle diffuse des conceptions idéalistes ou semi-matérialistes qui visent à masquer le mode de production lui-même et le caractère naturel, donc historique car dialectique, des forces productives.

    Karl Marx indique ici que :

    « Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle.

    La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante.

    Les pensées dominantes ne sont pas autre chose que l’expression idéale des rapports matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme d’idées, donc l’expression des rapports qui font d’une classe la classe dominante; autrement dit, ce sont les idées de sa domination. »

    Dans le mode de production pré-esclavagiste, les forces productives sont tellement peu développées que la communauté primitive triomphe, ne nécessitant pas de masquer les choses.

    Dans les modes de production fondés sur l’exploitation de l’homme par l’homme, la nature des forces productives est continuellement présentée comme relevant d’un supposé pouvoir « magique », « divin », « entreprenant » des classes possédantes.

    Les exploiteurs dominent la couche des intellectuels pour mieux tromper les travailleurs sur leur force.

    La mystification historique fait partie de la stratégie non consciente des classes possédantes pour neutraliser la révolution.

    Dans les modes de production pré-capitalistes, il n’y a pas de classe sociale parvenue à un tel stade de coopération inter-humaine et de rapport à la synthèse du réel qu’elle puisse avoir les moyens idéologiques adéquates pour démystifier l’Histoire.

    La classe opprimée reste ballottée par le grand moteur historique, la lutte des classes comme reflet de la hausse de la productivité du travail. Les révoltes d’opprimés ne prennent pas la voie de la synthèse générale, mais de synthèses particulières dans le langage des idées dominantes.

    Friedrich Engels nous explique à ce sujet que :

    « Depuis l’apparition historique du mode de production capitaliste, la prise de possession de l’ensemble des moyens de production par la société a bien souvent flotté plus ou moins vaguement devant les yeux tant d’individus que de sectes entières, comme idéal d’avenir.

    Mais elle ne pouvait devenir possible, devenir une nécessité historique qu’une fois données les conditions matérielles de sa réalisation.

    Comme tout autre progrès social, elle devient praticable non par la compréhension acquise du fait que l’existence des classes contredit à la justice, à l’égalité, etc., non par la simple volonté d’abolir ces classes, mais par certaines conditions économiques nouvelles. »

    Sur cet aspect, le mode de production capitaliste pleinement développé fait atteindre un niveau inégalé de tromperie.

    En même temps, ce n’est que dans ce mode de production, avec un prolétariat mature, que l’être humain peut enfin mettre fin à son parcours torturé, bénéficiant d’une la synthèse générale, le matérialisme dialectique.

    Le fétichisme de la marchandise et le mode de production capitaliste pleinement développé

    Dans les modes de production pré-capitalistes, le processus de socialisation des travailleurs n’est pas encore très approfondi.

    Il y a des grandes plantations dans le féodalisme, des vastes chantiers dans l’esclavage, mais cela se réduit à des secteurs précis de la production matérielle, qui plus est dans des secteurs tournés vers des produits pour les plus riches (palais, édifices religieux, produits de luxe, etc). Il n’y a pas le marché mondial pour tout faire inter-pénétrer et coopérer sur une échelle immense.

    Avec le mode de production capitaliste, l’inter-connexion de dizaines, de centaines de milliers de travailleurs, de millions, de milliards de travailleurs est toujours plus approfondie. Au départ à l’échelle d’une région, puis d’un pays tout entier donnant justement lieu à la formation des nations, puis à l’échelle du monde lui-même avec le processus de la « mondialisation. »

    Or, le mode de production capitaliste reste un mode de production fondé sur l’exploitation de l’homme par l’homme avec par conséquent une classe exploiteuse qui domine et empêche d’avoir une lecture scientifique des choses.

    Qui plus est, le développement du mode de production capitaliste, qui repose sur l’inter-connexion immense de travailleurs dans un contexte sans précédent d’élévation de leur force productive, prend forme dans une enveloppe marchande.

    Si dans les modes de production pré-capitalistes, il est aisé de constater que les hommes travaillent pour satisfaire à leurs besoins, les niveaux et degrés d’inter-connexion dans le capitalisme rendent les choses opaques, invisibles d’un coup d’un seul, car la coopération humaine universelle disparaît au profit du seul échange entre des « marchands » isolés les uns des autres.

    La production et la reproduction de la vie réelle apparaît dans le mode de production capitaliste comme quelque chose qui tombe du ciel. Cela est renforcé ensuite par les dispositifs publicitaires qui cherchent précisément à masquer les choses pour mieux le rendre « magiques ».

    Avec le capitalisme développé, marqué par une société de consommation, il y a une obscurcissement tel des conditions de la production sociale que les individus eux-mêmes atomisés perdent le fil de l’Histoire.

    Non pas seulement des conditions de production des biens qu’ils consomment, mais aussi de leur propre histoire en tant qu’être humain.

    En ce sens le mode de production capitaliste est le dernier mode de production qui voit l’apogée de l’être humain atteindre le stade ultime de son aliénation.

    Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il n’y a rien là qui soit l’œuvre de forces maléfiques comme le diffusent, volontairement ou non, les critiques romantiques du capitalisme.

    Si le mode de production capitaliste parvient à un tel stade de mystification, c’est qu’il est l’expression d’un développement sans précédent de la productivité du travail social.

    Ce développement débouche sur l’abondance des biens dans une forme complexe, la marchandise, car elle constitue la forme la plus avancée du mode de connexion entre les gens.

    Ce développement est donc le reflet d’une Humanité, partie spécifique de la matière vivante, parvenue à un point d’interconnexion et d’interpénétration sans précédent.

    L’être humain est parvenu à développer massivement sa force productive, donc sa propre nature d’être transformateur du réel, qu’il peut enfin se retrouver lui-même, dans le grand tout de la Biosphère.

    Mais comme il n’y a pas l’intelligence collective qui met à jour consciemment ce niveau de force de productive, le fétichisme de la marchandise couplé à l’idéologie libérale-individualiste de la bourgeoisie produit des ténèbres. C’est le retour d’un obscurantisme dans des conditions modernes.

    On ne peut comprendre l’état d’esprit général, la déformation et la mutilation des personnalités en ce début de 21e siècle, sans saisir tout ce parcours historique débouchant sur le mode de production capitaliste pleinement développé.

    Les personnalités sont littéralement comprimées dans leur psyché et cela débouche sur des retours en arrière barbares, dans la quête torturée d’un retour à la Nature, une quête d’autant plus intense qu’elle est appelée nécessairement par le mode de production capitaliste pleinement développé.

    Les différents modes de production comme conscience de l’interconnexion humaine dans le cadre de la matière vivante

    L’histoire de l’Humanité est donc l’histoire des manières de produire et de reproduire sa vie réelle qu’elle a mise en place spontanément et inconsciemment et de manière toujours plus différenciées.

    Mais qu’y a t-il qui gît au fond même de l’évolution des modes de production ? La productivité sans cesse approfondie du travail social.

    Comment cette productivité s’approfondit-elle sans cesse ? Par la synthèse de l’expérience et du rapport transformateur au réel que l’on nomme « conscience ».

    Par conséquent, si l’on suit la tendance de fond du parcours de l’Humanité, on suit en réalité le parcours du développement de sa propre conscience.

    Comme l’a toujours rappelé le matérialisme, il ne faut jamais perdre de vue que cette conscience est le fruit, le résultat, de la Nature. Avec le matérialisme dialectique, on sait maintenant que cette nature, c’est la capacité productive humaine elle-même imbriquée dans le grand tout de la matière en développement.

    Reste que le progrès de l’Humanité en tant que succession des modes de production traduit le progrès de la clarté de l’Homme avec lui-même et avec la Nature.

    Il progresse toujours plus vers la voie de la compréhension de son environnement et donc dans les moyens de mettre en place les capacités de rendre sa vie meilleure, plus douce, plus calme, plus simple, plus pacifiée.

    Dans le développement historique de l’Humanité, les modes de production voient les producteurs entrer en coopération pour la satisfaction de leurs besoins.

    Ils ne choisissent rien de tout cela, ce sont les conditions qui se trouvent toutes prêtes.

    Et lorsque l’état de développement des forces productives atteint un seuil, il y a la nécessité de déchirer l’unité de ces forces avec leur mise en forme sociale et historique (les rapports de production). C’est dans ce moment que l’on passe de la reproduction spontanée, inconsciente de la masse des hommes à un processus de conscience, de l’évolution à la Révolution.

    Comme le note Staline :

    « Le conflit entre les forces productives nouvelles et les rapports de production anciens, les besoins économiques nouveaux de la société donnent naissance à de nouvelles idées sociales ; ces nouvelles idées organisent et mobilisent les masses, celles-ci s’unissent dans une nouvelle armée politique, créent un nouveau pouvoir révolutionnaire et s’en servent pour supprimer par la force l’ancien ordre de choses dans le domaine des rapports de production, pour y instituer un régime nouveau.

    Le processus spontané de développement cède la place à l’activité consciente des hommes ; le développement pacifique, à un bouleversement violent ; l’évolution, à la révolution. »

    En ce sens, en filiation avec la thèse léniniste de l’avant-garde, le Parti de la Révolution, c’est le Parti de la science et de la conscience historique.

    Ce n’est pas un prétexte pour le rassemblement d’individus « combatifs », « mieux organisés », etc., comme le veut la tradition gauchiste. C’est bien plus que cela, bien mieux que cela : c’est le parti de la civilisation, incarnant la clarté des choses devant l’être humain lui-même.

    Par conséquent, dans le fond du développement de mode de production que l’Humanité se donne et se lègue de générations en générations, il y a une tendance qui est celle de la civilisation, qui veut que l’être humain approfondisse toujours plus sa conscience de lui-même et de son rapport à la nature grâce à l’élévation de ses capacités productives.

    La succession des modes de production en tant qu’élévation contradictoire du niveau des forces productives relève en fait du parcours de l’Humanité progressant sur le chemin de la conscience d’elle-même, comme expression de la Biosphère ayant la capacité de synthèse du réel.

    Avant les modes de production fondés sur l’exploitation anthropocentriste de l’homme par l’homme, les hommes se reproduisaient par « générations spontanées » c’est-à-dire sans aucun maîtrise de leurs destinées collectives.

    L’apparition des modes de production pré-cités sonnent comme le début de l’Histoire humaine en tant que processus allant vers la pleine conscience de sa propre naturalité.

    On sait combien la religion est apparue comme l’apogée même de la mystification de la nature humaine, obstruée par un grand être au-dessus de tout, impulsant tout, etc.

    Karl Marx rappelle que l’illusion humaine de sa propre nature doit s’achever avec le mode de production socialiste :

    « En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature.

    La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’œuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social.

    Mais cela exige dans la société un ensemble de conditions d’existence matérielle qui ne peuvent être elles-mêmes le produit que d’un long et douloureux développement. »

    Dans cette évolution, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne commencée en 1966 en Chine a été le point d’orgue du processus d’approfondissement de la conscience par la mise au poste de commande du matérialisme dialectique dans l’ensemble des domaines de la vie.

    Avec la Révolution culturelle, il a été compris la dimension matérialiste dialectique d’un mode de production contre le subjectivisme le réduisant en instrument volontariste d’une classe sociale.

    Le mode de production socialiste apparaît ici comme le début de la fin de l’Histoire, car il est le point d’aboutissement du parcours de l’Humanité. On a ici en tête la clef essentielle du basculement du mode de production en capitaliste en mode de production socialiste : l’appropriation privée des fruits de la production sociale.

    Cette contradiction entre l’intérêt social, collectif, et celui privé, de la propriété privée, relève en fait de la contradiction entre barbarie et civilisation, entre obscurantisme et Lumières, entre spontanéisme et conscience.

    En faisant triompher la conscience générale des lois qui régissent le réel grâce à la planification démocratique des besoins et des moyens de les reproduire, le Socialisme permet à l’Humanité d’aller vers l’ère du Communisme.

    C’est le triomphe d’un être humain redevenu maître de lui-même, mais avec un haut degré d’intelligence collective et de maîtrise de son processus de développement dans le cadre de la matière vivante.

    Avec l’élévation des forces de productives et la succession des modes de production fondés sur l’exploitation de l’homme par l’homme et l’anthropocentrisme, l’être humain a perdu le fil de sa propre nature.

    Dans de telles conditions, il ne parvient plus à comprendre le caractère de son propre développement, il s’emmêle les pinceaux et fait du produit de sa conscience un fétiche à la source même de sa propre nature.

    La force du matérialisme dialectique qui met en avant la thèse du reflet dans le cadre d’un mode de production est de retrouver ce fil perdu par le prisme de la conscience.

    Voici comment Karl Marx présente admirablement bien les choses :

    « Voici donc les faits : des individus déterminés qui ont une activité productive selon un mode déterminé entrent dans des rapports sociaux et politiques déterminés.

    Il faut que dans chaque cas isolé, l’observation empirique montre dans les faits, et sans aucune spéculation ni mystification, le lien entre la structure sociale et politique et la production.

    La structure sociale et l’État résultent constamment du processus vital d’individus déterminés ; mais de ces individus non point tels qu’ils peuvent s’apparaître dans leur propre représentation ou apparaître dans celle d’autrui, mais tels qu’ils sont en réalité, c’est-à-dire, tels qu’ils œuvrent et produisent matériellement ; donc tels qu’ils agissent sur des bases et dans des conditions et limites matérielles déterminées et indépendantes de leur volonté.

    Les représentations que se font ces individus sont des idées soit sur leurs rapports avec la nature, soit sur leurs rapports entre eux, soit sur leur propre nature.

    Il est évident que, dans tous ces cas, ces représentations sont l’expression consciente réelle ou imaginaire de leurs rapports et de leur activité réels, de leur production, de leur commerce, de leur organisation politique et sociale.

    Il n’est possible d’émettre l’hypothèse inverse que si l’on suppose en dehors de l’esprit des individus réels, conditionnés matériellement, un autre esprit encore, un esprit particulier.

    Si l’expression consciente des conditions de vie réelles de ces individus est imaginaire, si, dans leurs représentations, ils mettent la réalité la tête en bas, ce phénomène est encore une conséquence de leur mode d’activité matériel borné et des rapports sociaux étriqués qui en résultent. »

    Le mode de production socialiste comme étape visant la généralisation de la conscience civilisée à l’ensemble des domaines de la société grâce au matérialisme dialectique permet à l’Humanité de s’émanciper de l’obscurité nouvelle et passée, d’aller vers le chemin de sa rédemption : le communisme.

    Le communisme, c’est le retour de l’Humanité à elle-même, en faisant en sorte que sa nature et son produit, les forces productives, soit comprises comme relevant de sa capacité de synthèse du réel, devant par conséquent être maîtrisées et orientées correctement dans le cadre de la Biosphère dans son ensemble.

    On comprend désormais ce que Karl Marx veut dire quand il explique que :

    « La dépendance universelle, cette forme naturelle de la coopération des individus à l’échelle de l’histoire mondiale, sera transformée par cette révolution communiste en contrôle et domination consciente de ces puissances qui, engendrées par l’action réciproque des hommes les uns sur les autres, leur en ont imposé jusqu’ici, comme si elles étaient des puissances foncièrement étrangères, et les ont dominés. »

    L’humanité marche au communisme, sa voie est celle de la guerre populaire, théorie militaire du prolétariat, car chaque classe a sa propre théorie.

    Les masses, qui attendant depuis des centaines d’années, des milliers d’années leur libération, se précipiteront dans le combat révolutionnaire, érigeant leur nouveau pouvoir, établissant le mode de production socialiste.

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  • Le matérialisme dialectique, idéologie révolutionnaire de l’époque de l’intelligence artificielle

    Qu’est-ce que l’intelligence artificielle ? C’est une interface utilisant les statistiques des mots afin de fournir des réponses sur les thèmes les plus variés. Pour cela, l’intelligence artificielle profite des immenses bases de données permises par internet.

    Par conséquent, il y a une rupture anthropologique ; l’humanité connaît une évolution.

    Les êtres humains capable d’employer l’intelligence artificielle sont en mesure de se confronter à bien plus d’informations et de connaissances qu’auparavant. Ils interagissent avec ce que l’intelligence artificielle fournit, il y a un rapport dialectique qui s’établit, à la fois passif et actif.

    De plus, la question de l’utilisation de ces informations et connaissances implique une capacité de synthèse, dont l’humanité ne dispose pas encore.

    La masse d’informations et de connaissances est telle qu’il faut trouver des lignes de conduite pour que l’intelligence artificielle soit productive, et celle-ci est brimée par sa logique de constatation des statistiques des mots.

    Il y ici toute une série de contradictions explosives, qui de manière historique impose que le matérialisme dialectique soit au poste de commande.

    Au fond, on peut dire qu’il s’agit de la contradiction entre l’individu isolé et l’universalité des informations et connaissances, ainsi que la contradiction entre l’universalité de l’humanité utilisant l’intelligence artificielle et le caractère particulier, unique de celle-ci. Ce sont les deux mêmes faces d’une même pièce.

    Plus simplement dit : l’intelligence artificielle implique le concept de « totalité » et, pour cette raison, exige un raisonnement capable de commencer et de terminer en se fondant sur ce concept.

    Les êtres humains s’amusent à piocher, à expérimenter avec l’intelligence artificielle, mais la tendance de fond est la systématisation d’une connaissance « totale ».

    C’est d’ailleurs la hantise de la bourgeoisie qui produit toute une série de films, séries, romans, articles scientifiques… au sujet d’une possible « prise du pouvoir » par l’intelligence artificielle, aux dépens de l’humanité. C’est en réalité la peur du matérialisme dialectique comme science de la totalité.

    Il ne s’agit nullement de dire que la diffusion des informations et la facilité d’accès aux connaissances portent en soi le Communisme. Ce serait là imaginer que le Communisme est l’humanisme du 16e siècle ou bien les Lumières du 18e siècle transposés au 21e siècle. En un sens, c’est vrai, mais on ne saurait être unilatéral et considérer que l’humanisme est un strict équivalent des Lumières, et que l’humanisme et les Lumières sont pareils au Communisme. Le Communisme porte le meilleur du passé, voilà en quelle mesure c’est vrai, mais là on est dans une époque nouvelle.

    Dans cette époque, il en va du tout pour le tout : une seule humanité, une seule planète, une seule vision du monde. C’est le grand bond en avant, le retour à la Nature de l’humanité socialisée ayant développé les forces productives.

    Pour en arriver là, il faut un véritable niveau de conscience, avec une subjectivité révolutionnaire adéquate. Seul le matérialisme dialectique est à la hauteur pour cela. Les utopies « technologiques », qu’on trouvait dans les années 1990 dans les milieux des informaticiens ou de la musique techno, ont d’ailleurs disparu, parce que le cynisme l’a emporté : les informations et les connaissances sont mises à disposition par le capitalisme, à travers le capitalisme, pour le capitalisme.

    Ce qu’il convient de dire, c’est que l’humanité a modifié son rapport au monde, en acceptant le principe universel de l’intelligence artificielle comme fournisseur de savoirs. On a ici l’équivalent de « l’intellect agent » d’Aristote et de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

    On a l’affirmation d’un grand « tout » qu’il est possible d’appréhender, de découvrir, de connaître.

    Un être humain utilisant l’intelligence artificielle ne se dit pas qu’il n’y a pas de réponse possible. Ce simple changement de mentalité torpille le relativisme bourgeois, il produit une tension de la conscience allant dans le sens d’une connaissance maîtrisée de la réalité.

    L’intelligence artificielle, utilisable sur toute la planète, va bien plus loin qu’internet, également mondialisé. L’intelligence artificielle se pose comme outil universel, à la fois planétaire et ouvert à chacun, avec une capacité d’aborder tous les thèmes, tous les domaines. C’est une révolution anthropologique.

    Comment les religions pourront-elles d’ailleurs se maintenir face à une force capable de provoquer l’adhésion de chaque être humain ? Seul le matérialisme dialectique peut ici être la science de l’humanité, car seul le matérialisme dialectique est capable de fournir des lignes de conduite satisfaisantes à une intelligence artificielle par définition non dialectique.

    Toutes les autres approches provoqueront l’éparpillement, l’éclectisme, les points de vue unilatéraux, la logique du copié-collé, les habitudes du prêt à porter de la bien-pensance bourgeoise.

    Une humanité nouvelle se forme, bien moins cultivée que les générations précédentes, mais beaucoup plus ouverte aux nuances et aux différences, et vraiment plus rapide également.

    Le véritable choc des générations tient à la vitesse de la pensée ; la vivacité des nouvelles générations contraste terriblement avec la lenteur et la rugosité des réflexions des générations passées.

    Il est vrai qu’il y a dans la jeunesse une tendance à l’instantané, que la capacité d’attention est extrêmement courte. Les réseaux sociaux ont ici plombé les esprits, tout comme les jeux vidéos lorsqu’ils sont tournés vers des satisfactions rapides et répétitives.

    Cependant, il faut voir l’aspect principal historiquement : les forces productives se sont développées de manière immense. N’importe qui, dans un pays capitaliste mais également dans une certaine mesure dans de très nombreux pays du tiers-monde, est en mesure de développer ses facultés dans des domaines extrêmement variés, allant du cyclisme à tous les genres de musique, du dessin à la photographie, en passant par le cinéma.

    En fait, on peut même dire que, sur la planète, bien que ce ne soit pas encore vrai partout, n’importe qui peut être amené à faire n’importe quoi. Il y a encore d’immenses obstacles matériels et idéologiques, notamment en raison des restes claniques, tribaux, féodaux, des préjugés ethniques et communautaires ou encore religieux.

    Néanmoins, les marges de manœuvre sont devenues immenses et, par l’existence des réseaux sociaux, l’insertion dans une sorte de communauté mondiale est très grandement facilitée.

    Il est vrai qu’on n’en est pas encore à d’immenses échanges entre, disons, l’Europe et les Etats-Unis, avec la Chine, avec l’Inde, avec l’Afrique, avec l’Amérique latine, mais la tendance est déjà là et se généralise.

    Il faut qu’il en aille de même pour le matérialisme dialectique. Grâce aux traductions automatisées, qui ont connu des améliorations formidables, il va être possible de faire avancer les connaissances, les échanges d’expérience, les éléments scientifiques du Japon au Kenya, du Paraguay à l’Irak.

    En fait, avec une idéologie portant l’universel, il ne saurait plus y avoir d’obstacles alors que l’intelligence artificielle se diffuse largement, toujours plus profondément. Ce saut technologique est le dernier fruit de la mondialisation, celui qui a le plus d’ampleur. Il est la rencontre d’internet et des équipements informatiques, à l’échelle de la planète.

    C’est un rêve qui devient réalité, c’est l’ouverture d’une nouvelle époque, celle d’une humanité unifiée à l’échelle planétaire. La République socialiste mondiale est inévitable et sa réalisation nécessaire s’exprime chaque jour davantage, partout et sans laisser personne de côté !

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  • Le matérialisme dialectique, aboutissement du long cheminement de l’Humanité depuis la sortie de la Nature

    Le matérialisme dialectique n’a pas été compris et arboré de manière approfondie, maîtrisée et prolongée en France.

    Cela tient au fait fondamental que le marxisme n’a pas été compris en tant que tel, en raison de la puissance culturelle de la bourgeoisie en France et de l’incapacité de la gauche à assimiler le concept de mode de production, et en conséquence, de lutte des classes.

    La lutte des classes et la notion de capitalisme elle-même ont a toujours été compris depuis un point de vue non antagoniste à la bourgeoisie. La notion de Révolution n’était en fait saisie que par le biais de la grande Révolution bourgeoise de 1789.

    Le matérialisme en France est, en fait, à l’origine même un matérialisme bourgeois, c’est-à-dire un matérialisme incomplet, jamais pleinement saisi, systématiquement relativisé et fatalement dérivé, frelaté, finalement dénaturé.

    Ce n’est pas faire injure ici à Diderot, La Mettrie, d’Alembert, Voltaire, d’Holbach, Monstesquieu, Helvétius, Rousseau, Condorcet… que de dire cela.

    Posons de manière ramassée et encadrée trois points qui, selon notre analyse forgée par la pratique révolutionnaire active et l’intense réflexion théorique sur la société française, entrave la juste compréhension du matérialisme dialectique, afin d’armer idéologiquement les agents de la rupture en France pour qu’ils puissent jeter sur le feu de la décadence de la France bourgeoise l’implacable huile de la Révolution et sa perspective culturelle totale, se dressant face à la bourgeoisie sur tous les fronts.

    Idéologie, Religion, Cosmologie :
    le sentier lumineux de la vision du monde totale

    Radicalement, on veut la Révolution, car on rejette le monde actuel. On veut en modifier les fondements. Cela implique d’analyser, de comprendre le monde dans lequel on vit, non pas de manière unilatérale ou binaire, mais dialectique.

    Le monde n’est pas « pur » ou « impur », pas plus qu’il n’est immobile, ou en « transition ». Il n’existe pas non plus de zones « anticapitalistes » ou non-capitalistes ; il n’y a aucun refuge contre le réel, il n’existe pas de petit coin de paradis en enfer.

    Il existe une période historique, qui définit l’ensemble des faits, leur attribuant des caractéristique. Cela rentre dans un cadre beaucoup plus général, beaucoup plus vaste : l’univers lui-même est en transformation de manière différenciée. Il y a des contrastes, des différences, des luttes, entraînant le développement de certains aspects contre d’autres avec, au bout du compte, la transformation générale.

    Tout n’avance pas bien sûr au même rythme, toutefois il y a un ensemble, formant une réalité, et tout ce qui se joue dans cet ensemble participe de la transformation. Rien ne peut émerger sans se rattacher à la réalité en étant en même temps issue d’elle.

    Par exemple, une personne qui va s’engager politiquement à Droite de l’échiquier politique parce qu’elle refuse la violence sociale, les trafics, les agressions dans la rue, a tort politiquement, mais son engagement relève d’une certaine dignité : une dignité égarée, mais réelle. On ne peut pas dire à cette personne une chose comme : « tu as tort de t’engager à Droite car il n’existe pas de violence sociale ou de trafics, etc. »

    C’est ce que nous appelons : la dignité du réel. De la même manière, pourquoi certains travailleurs sont-ils égoïstes, et se comportent en capitalistes s’ils le peuvent ? C’est qu’ils ont compris qu’il fallait l’abondance matérielle, mais ils choisissent de s’extraire de la classe et de viser une abondance égoïste.

    Le capitalistes eux-mêmes sont, pour caricaturer, des « communistes » égoïstes, qui veulent vivre leur propre « communisme », bien entendu défiguré, fondé sur l’appât du gain, avec l’argent comme fétiche d’une possibilité pratique d’abondance.

    Autrement dit, rien n’existe sans origine historique, sans relever du réel, car toutes les activités et les pensées de l’Humanité ne sont que le reflet du réel, comme ensemble en transformation.

    Cet ensemble en transformation est, à le prendre de la manière la plus complète possible, le Cosmos, éternel et infini, dont notre planète comme biosphère est un élément particulier, tout comme l’Humanité forme dans la biosphère un élément particulier, en tant que matériel biologique participant à l’ensemble de manière symbiotique et toujours plus complexe.

    Fondamentalement, c’est là le coeur du matérialisme dialectique.

    Ajoutons que l’Humanité s’est développée et affirmée dans sa particularité comme matière pensante, la pensée étant une activité produite par le mouvement naturel de la matière vers la vie toujours plus complexe.

    C’est cette particularité qui a fait que l’Humanité a travaillé et s’est organisée de manière consciente, produisant des sociétés toujours plus complexes et différenciées, produisant des contradictions entre les sociétés et la Nature, mais aussi entre les sociétés elle-même.

    Ce mouvement relativement propre aux sociétés humaines, c’est l’Histoire, qui s’est traduite par une transformation de l’Humanité comme espèce sociale, entraînant une rupture relative, mais impossible dans l’absolu, entre l’Humanité et la Nature.

    La conscience de ce mouvement historique a mis des millénaires à émerger dans la pensée humaine, jusqu’à la compréhension que l’Histoire n’était qu’une contingence relative et particulière à l’Humanité, finalement englobée dans l’ensemble de la réalité matérielle en mouvement.

    En somme, ce qu’on appelle le matérialisme historique, qui traite de l’histoire plus directement, est un élément du matérialisme dialectique, et le premier est appelé à se fondre dans le second, dont il est issu.

    On peut considérer que l’Histoire de l’humanité aura une fin, mais pas le mouvement dialectique de la matière, car l’Humanité va « revenir » dans la Nature, transformée par l’Histoire, avant d’entrer dans l’ère consciente de la symbiose toujours plus complète et complexe avec le Cosmos éternel et infini.

    C’est ce que Karl Marx appelait un « Humanisme de la Nature et une Naturalisation de l’Humanité ».

    C’est ce qui a été précisée dans la Chine révolutionnaire à l’époque de Mao Zedong (extrait de la revue Dialectique de la Nature, n°1, 1973) :

    « Toutes les choses produites sont vouées à disparaître. Les particules « élémentaires » sont vouées à se transformer, les humains sont voués à mourir, la Voie Lactée, le Soleil et la Terre sont vouées à se décomposer et à être détruites.

    Même quelque chose qui dure aussi longtemps que « le Ciel et la Terre » [issu dans le taoïsme de l’oeuf cosmique se brisant] finira par disparaître.

    Même l’espèce humaine elle-même va changer et s’éteindre.

    Mais la fin du Soleil, de la Terre et de l’espèce humaine n’est pas un « jour du jugement dernier de l’univers ».

    Lorsque la Terre s’éteindra, il y aura des niveaux encore plus élevés de corps célestes pour la remplacer.

    À ce moment-là, les gens célébreront la victoire de la dialectique, accueillant la naissance de nouvelles étoiles.

    Lorsque l’espèce humaine disparaîtra, des espèces encore plus élevées apparaîtront.

    De ce point de vue, les activités humaines créent les conditions pour l’apparition d’espèces encore plus élevées.

    Si l’ancien ne disparaissait pas, le nouveau ne viendrait pas. La mort de l’ancien est précisément la condition nécessaire à la naissance du nouveau.

    « Il en est toujours ainsi dans le monde, le nouveau remplaçant l’ancien, l’ancien étant remplacé par le nouveau, l’ancien étant éliminé pour faire place au nouveau, et le nouveau émergeant de l’ancien. » [Mao Zedong, De la contradiction]

    Le fini se transforme en infini.

    C’est précisément parce que toutes les choses de l’univers changent et se développent continuellement qu’elles constituent le développement sans fin de l’univers tout entier.

    C’est précisément parce que tout a sa naissance et sa mort, son commencement et sa fin que l’univers dans son ensemble peut être sans naissance ni mort, sans commencement ni fin.

    Toutes les choses sont comme des milliers et des millions de ruisseaux qui se rejoignent et forment un long fleuve inépuisable de l’univers.

    En ce qui concerne les choses concrètes, leur développement est fini, le temps est fini.

    Mais infinies sont les transitions d’une espèce de chose à une autre, d’une forme de matière à une autre, c’est-à-dire d’un temps concret à un autre temps concret.

    C’est précisément à cause de la finitude des choses concrètes dans le temps qu’elles constituent l’infinité de l’univers dans son ensemble dans le temps, et le développement de l’univers ne s’achèvera jamais, n’atteindra jamais son apogée.

    De même que dans l’espace, l’univers dans le temps est à la fois fini et infini, et l’infini est composé uniquement de ce qui est fini et transformé à partir de ce qui est fini. »

    Comprendre et assimiler cette perspective, c’est ce que nous appelons notre Cosmologie, notre vision du monde.

    L’Humanité, depuis les débuts de l’Histoire, n’a eu de cesse dans son activité pensante, c’est-à-dire culturelle, d’élaborer, de produire, de discuter, d’affiner sa cosmologie.

    Celle-ci à pris mille et une voies, mille et une formes, mais il s’agit d’un seul et même mouvement, différencié et contradictoire. C’est la raison pour laquelle nous affirmons que la la Culture est une, différenciée et contradictoire, et que notre démarche est celle de l’Encyclopédisme.

    Le matérialisme dialectique porte en effet la Culture, il est le fruit prolongé de tout ce mouvement productif, de toute cette activité concernant et impliquant l’ensemble de l’Humanité, sur toute la planète, à toutes les époques.

    Le caractère unifiée mais différencié de la Culture implique de comprendre qu’il y ait des étapes dans le processus historique. Les éléments structurant ces étapes, ce sont les modes de production.

    À chaque étape, à chaque mode de production, correspond une certaine période de la Culture, reflétant la manière dont celle-ci, comme vision du monde allant à la symbiose, a pu être appréhendée par la pensée humaine.

    Cela implique aussi de considérer que ces étapes laissent des empreintes, des traces dans la Culture, même lorsqu’une étape est passée. Cela, nous le désignons sous le terme de nexus ; c’est le moment dans un processus où se voient nettement la tendance à élever la conscience et la Culture et celle à s’effondrer dans le siphon de la réaction, sous une forme plus ou moins barbare.

    Les grandes étapes historiques selon le matérialisme dialectique, ce sont les modes de production qui permettent de les distinguer : l’esclavagisme, le féodalisme, le capitalisme et le socialisme sont les principaux modes de production historique.

    Mais de par la différenciation relative, des éléments du tribalisme primitif se sont maintenus relativement dans l’esclavagisme tardif, de même que des éléments du tribalisme et de l’esclavagisme se sont maintenus relativement dans le féodalisme, et que de même des éléments du tribalisme, de l’esclavagisme et du féodalisme se sont maintenus relativement dans le capitalisme, même à l’époque du capitalisme généralisé.

    C’est là une tendance inévitable, car seule la « sortie » de l’Histoire qui se réalisera progressivement dans le Socialisme permettra de dépasser définitivement ces contradictions, jusqu’au Communisme, où le développement différencié s’exprimera sous une autre forme, une nouvelle forme qui ne sera plus celle héritée par les contradictions empilées de l’Histoire que nous connaissons.

    Il ne peut y avoir qu’une seule vision du monde correcte : celle allant par la Culture et la Science matérialiste dialectique à la symbiose entre l’Humanité et le Cosmos.

    Cette vision du monde a été porté historiquement par des titans comme Aristote par exemple à l’époque de l’esclavagisme, et plus relativement par des mouvements entiers, par exemple celui des Lumières à l’époque tardive du féodalisme.

    Cela pose la question de l’idéologie. Dès lors que s’affirme nettement un mouvement dans la pensée allant jusqu’à la Culture, alors on parle d’idéologie.

    La religion monothéiste est ainsi l’idéologie typique du féodalisme, le libéralisme est l’idéologie typique du capitalisme en croissance. En un sens, le matérialisme dialectique est l’idéologie typique du Socialisme, comme drapeau de la Révolution, avant qu’idéologie et vision du monde ne fusionnent définitivement dans le Communisme.

    Le long cheminement historique transporte les restes du passé, jusqu’au dépassement final de l’Histoire

    En raison du développement inégal, des variétés, des courants divers peuvent exister dans une idéologie.

    Il existe par exemple toute une variété de religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme, l’islam et cela sans même prendre en considération les religions poly-monothéistes comme le brahmanisme ou le bouddhisme.

    Et d’ailleurs ces religions se divisent encore en confessions, sectes, écoles etc. De même le libéralisme se décline en néo-libéralisme, social-libéralisme, libertarianisme etc.

    Cependant, plus la société humaine se complexifie, plus il devient possible de comprendre les modes de production obsolètes. En effet, si on considère le processus historique, le modes de production dominant est aussi en quelque sorte celui qui n’est plus avant lui (et même ceux encore avant), et il est celui qui n’est pas encore (et même au-delà puisque le besoin de Communisme s’exprime déjà sous de multiples aspects).

    Tout cela est bien entendu très complexe, car l’éventail des phénomènes apparaît énorme plus on remonte dans le passé. Les sociétés du tribalisme ont été d’une variété gigantesque, de même que les sociétés esclavagistes ou féodales. Il y a moins de différence aujourd’hui dans le mode de vie entre un Australien et un Français qu’entre deux paysans français vivant au 12e siècle à cent kilomètres de distance.

    Tel est le long cheminement historique vers l’unité de l’humanité. Et nous pouvons généraliser nos connaissances, si nous commençons à définir chaque mode de production de manière négative. Par exemple, le féodalisme est entre le système esclavagiste mature et le système capitaliste naissant, possédant une différence significative par rapport aux deux.

    Le féodalisme n’est donc pas un type ossifié de relation de production, mais un processus qui remplit l’intervalle entre l’autre.

    L’ensemble de ses définitions et caractéristiques est donc énorme, mais n’est pas illimité pour autant : comme il s’agit d’un processus historique relatif, on peut en cerner des limites dans les caractéristiques fondamentales distinctives de ces diverses formes passées.

    Selon la loi matérialiste dialectique du « Un devient deux », il existe donc un féodalisme, sous des formes différenciées, mais avec un dénominateur commun sur le plan de la nature de l’idéologie dominante. L’enjeu est donc de saisir les caractéristiques générales, la substance du féodalisme comme phénomène unifié.

    C’est ce qui implique d’affirmer que la religion est une idéologie. À proprement parler, il n’y a pas d’histoire des religions, il y a une histoire des modes de production et de leur idéologie.

    Et cette histoire doit être abordée comme relevant d’une double tendance fondamentale. En raison du développement différencié, il existe fondamentalement une ligne rouge, celle élevant la société humaine vers la Culture et la symbiose finale, et une ligne noire ramenant la société en arrière, ou plutôt tentant de la ramener en arrière ou de la figer.

    La lutte des deux lignes est pour l’Humanité une bataille culturelle ; c’est également une dynamique qui traverse éternellement le mouvement de la matière : c’est la bataille du nouveau contre l’ancien.

    Le rôle des idéologies et la question française

    Dans le cadre de l’Histoire, cette lutte s’exprime à travers les idéologies. Une seule idéologie est le reflet de la dynamique vers la Culture, alors que les autres, produits résiduels de l’Histoire, ne sont que des versions obsolètes plus ou moins décadentes.

    Cependant, même une personne s’engageant dans une idéologie obsolète, dans une version du libéralisme par exemple, le fait avec une certaine dignité : toute l’Humanité ne peut que chercher la symbiose, même par la dérive. Même la pire lie de l’Humanité, qui la nie ouvertement, ne fait que refléter le négatif de la symbiose.

    Ni la dérive, ni la négation ne sont donc acceptable, et elles n’ont de toute manière pas la puissance du mouvement qui porte la Culture. Leur antagonisme est d’autant plus faible en réalité qu’il n’est qu’une contingence historique : ce n’est fondamentalement que la dérive ou la négation du reflet d’un reflet.

    Et il y a les « adaptations ». Les religions féodales n’existent plus comme telles, elles ont été transformées par le capitalisme et son idéologie libérale.

    C’est pourquoi il doit être parlé de semi-féodalisme à propos des religions. Depuis l’émergence et l’hégémonie du libéralisme, les religions ne sont plus que des idéologies, fondamentalement réactionnaires, mais aussi un reflet de la dérive d’ une quête de la cosmologie allant à la Culture.

    Il faut en effet considérer que le capitalisme et son idéologie imprègnent tout comme vision du monde, en fait comme vision du monde dépassée.

    En France en particulier, la bourgeoisie a développé une hégémonie culturelle redoutable et de très grande ampleur. Il faut se souvenir que la France a été à la pointe de la vision du monde féodale dans sa version catholique, puis à la pointe dans la vision du monde libérale avec les Lumières, puis l’élan de la grande Révolution Bourgeoise de 1789.

    En France, la bourgeoisie post-révolutionnaire a produit des figures remarquables, comme Lamennais, Saint-Simon, Cuvier, mais aussi Benjamin Constant, Mme de Staël ou Balzac.

    Toutes ces figures ont contribué puissamment à affirmer un matérialisme bourgeois, portant la Science et la Culture, mais sans pouvoir aller au bout, avec l’idée, tout au contraire du matérialisme dialectique, de réconcilier les différences idéologiques relatives au lieu de les liquider.

    L’idéologie libérale française est toute entière possédée de la notion de la Concorde, de la paix civile, de la convergence progressive dans l’unité, du « deux donne un ».

    Le courant dit « radical » (en fait les « centristes ») et la tradition de la franc-maçonnerie, si puissante en France, notamment sous la IIIe République, relèvent de la logique bourgeoise française de « Concorde ».

    Les forces féodales en France ont au fur et à mesure totalement capitulé devant la bourgeoisie, c’est ce que l’étude de figures comme Lammenais ou Chateaubriand permet de saisir : le libéralisme bourgeois est implacable, mais il lui faut ou bien une morale, c’est la doctrine sociale de l’Église que Lamennais posera le premier, ou bien il lui faut avancer lentement, avec l’escorte romantique d’un semi-féodalisme mu en réaction conservatrice devant organiser sa liquidation, par étape, raisonnable.

    Toute la Droite française, nationale-catholique et réactionnaire sort de là : de la volonté de faire de l’idéologie religieuse une sorte de « guide » moral du capitalisme.

    On comprend ainsi autant la fascination historique des islamistes pour l’idéologie de la Droite en France, tout autant que la fascination-rejet de la Droite en France de l’islam, exprimé dans un « orientalisme » chaotique, mais très sophistiqué.

    Dans l’autre sens, les libéraux ont littéralement annexés la gauche, en construisant une idéologie mécaniste de leur vision du monde, autour notamment de la pensée de Saint-Simon, considérant que l’État bourgeois et son administration militarisée était une force « neutre » devant imposer la Raison bourgeoise sur le principe de l’ingénierie sociale.

    Cette idéologie mécaniste s’est aussi renforcée du positivisme, affirmant la relativité du réel et sa convergence dans le « progrès », c’est-à-dire dans le Libéralisme.

    Les religions en France n’existent en fait plus que sous cet aspect : comme élément positivement « attardé » du progrès, mais allant à la convergence avec le libéralisme. Toute la gauche du régime bourgeois est sur cette ligne concernant les religions.

    Ainsi, l’islam ne serait qu’une sorte de « choix », s’expliquant de manière positiviste et relative, mais convergent au bout du compte dans la « Concorde » sociale et le progrès libéral.

    Ce que la gauche bourgeoise demande aux musulmans, c’est cela : la capitulation de l’essence féodale de l’islam pour prendre les habits communs du libéralisme, comme l’ont fait historiquement les forces féodales en France.

    Bien sûr, les gens qui voudraient prendre cependant au sérieux les religions se trouvent ici piégés : ou bien assumer de relativiser leur idéologie comme un simple masque du libéralisme hégémonique, et donc se borner à faire de la religion non plus une idéologie mais une « identité » relative et différentialiste et au final une simple marchandise, ou bien assumer l’essence féodale de leur idéologie et sombrer toujours plus loin dans la réaction.

    Cela explique aussi que la gauche en France n’existe que comme un prolongement du Libéralisme, entretenant la lutte avec le conservatisme de repli de la Droite, et entretenant la mauvaise conscience du Libéralisme.

    Une telle annexion a ouvert un espace « ultra » à la gauche, où tout et n’importe quoi a un espace pour se développer : l’anarchisme de Proudhon aussi bien que le syndicalisme révolutionnaire de la CGT historique, le « trotskisme », le « social-écologisme » ou le « populisme de gauche ».

    Le tout devant converger dans la « grande maison commune » de la gauche qui ne cesse de multiplier ses divisions et d’en appeler néanmoins à la Concorde.

    Mais ni le libéralisme et sa gauche de cinéma, et encore moins les religions, ne peuvent en fait assumer l’enjeu titanesque d’une vision du monde réelle et puissante.

    Et ce que cherchent les gens qui s’engagent dans une idéologie, fondamentalement, c’est tout cela.

    La vision du monde de notre époque, dans le prolongement de l’Histoire, c’est la recherche de l’Encyclopédisme universel, de la Fraternité et de la Paix. C’est là la pleine et unique eschatologie de la Culture, et seul le matérialisme dialectique de notre époque porte ce drapeau.

    C’est pourquoi nous disons : l’idéologie doit être au poste de commande, car seule le matérialisme dialectique, comme antagonisme complet et d’avant-garde en termes de vision du monde, est en mesure de se confronter au Libéralisme comme ultime vision du monde obsolète, et de liquider toutes les idéologies obsolètes que le Libéralisme n’a pas été en mesure de dépasser et de fondre en lui, en raison de sa perspective essentiellement erronée du « deux donne un », laissant subsister les pires éléments des époques passées de nos ancêtres.

    Le matérialisme dialectique est l’idéologie révolutionnaire de notre époque, qu’il faut arborer et développer pour en faire la vision du monde de l’Ordre nouveau à venir.

    Prolétariat, esprit prolétarien : la subjectivité révolutionnaire et la promotion de nouvelles valeurs

    L’Histoire est toute entière l’Histoire de la lutte des classes.

    Si la cosmologie est unique par essence, mais « dévoilée » (pour ainsi dire) par étapes à mesure que se développent et se complexifient les sociétés humaines, les idéologies sont multiples, mais tendent toutes à l’effondrement réactionnaire, sauf celle qui prend la direction de la Culture, de la symbiose avec le Cosmos, celle qui devient la Cosmologie.

    Mais l’affirmation d’une idéologie ne repose pas sur un « choix » personnel que feraient des individus « éclairés » par une sorte de « conversion ». Une idéologie est avant tout le produit de la lutte des classes. Elle n’existe que dans la réalité d’un rapport de classe au sein d’un mode de production historique.

    Dès lors qu’elle existe, des individus s’alignent, d’autres s’éloignent ou se détournent. Les individus qui s’engagent dans une idéologie portent cette idéologie et la transforment aussi bien que celle-ci les porte et sont transformés par elle.

    Tout alignement reste un processus dynamique, la transformation produit des lignes, ligne Rouge, ligne Noire, et la bataille du discernement ne cesse jamais, même au sein de l’avant-garde révolutionnaire et de son Parti.

    C’est que précisément ce ne sont pas des « choix » qui déterminent les alignements et les engagements idéologiques, ce sont des « modèles sociaux ». Les mères dans le communisme primitif, les patriarches dans le tribalisme, les grands propriétaires aristocratiques dans l’esclavagisme, la noblesse seigneuriale dans le féodalisme, la bourgeoisie dans le capitalisme, le prolétariat dans le Socialisme.

    Ces modèles sociaux forment plus précisément des classes, des régiments dans l’immense bataille que l’Humanité mène contre elle-même pour revenir à la Nature, enrichie des acquis de l’Histoire.

    Un mode de production n’existe que parce qu’une classe sociale le dirige, se propose de modéliser totalement la société et l’existence sociale toute entière sous le rapport de sa direction.

    La classe sociale dirigeante domine la culture, car elle dispose de tous les leviers structurels pour reproduire l’ordre social et le commander.

    L’ordre social est composé de diverses catégories, mais seules celles en mesure de produire une idéologie allant à une vision du monde peuvent être appelées classes sociales.

    Ainsi, la noblesse seigneuriale a été la seule à pouvoir porter le féodalisme. Sans cette classe sociale, il n’existe plus qu’un féodalisme amputé, un demi-féodalisme.

    Le christianisme, sans la noblesse seigneuriale, ne peut plus exister en tant que tel, en tant que vision du monde, pas plus que l’islam d’ailleurs. Il ne peut être qu’une illusion petite-bourgeoise ou une annexe de la réaction, il ne peut plus être qu’une semi-idéologie allant au Libéralisme ou au néant.

    La petite-bourgeoisie ainsi ne peut être une classe sociale à part entière, elle ne peut que frelater, trafiquer les idéologies obsolètes entre elles, ou avec le Libéralisme ou éventuellement des éléments du matérialisme dialectique, soit par sincérité et prolétarisation relative, soit comme cinquième colonne au service de la bourgeoisie.

    Le capitalisme a accompli une gigantesque mise à jour, clarifiant comme jamais la réalité des rapports sociaux.

    Dans son cadre, la bourgeoisie toute entière a imposé le Libéralisme, beaucoup plus puissamment qu’aucune idéologie, aucune vision du monde ne l’avait réussi. Mais le Libéralisme s’est épuisé sous son propre poids, incapable de porter le matérialisme jusqu’au bout, car la bourgeoisie n’est pas la classe sociale capable de mettre un terme à l’Histoire.

    En édifiant le Capitalisme et en le faisant triompher totalement, partout sur l’espace terrestre comme tout le temps dans notre existence sociale, la bourgeoisie a fait grandir les forces collectives, a rassemblé les capacités, les intelligences, a accumulé les savoirs, les moyens et les pouvoirs.

    Elle a forgé les bras d’une Humanité nouvelle qu’elle a façonné en partie, d’une Humanité agissant collectivement, expérimentant chaque jour sa capacité à produire, à analyser, à discuter, se heurtant chaque jour à mille et une frustrations, limites dans ses savoirs, dans ses moyens dans son pouvoir.

    La bourgeoisie a forgé le prolétariat, tout comme jadis la noblesse seigneuriale en concentrant les forces de travail a forgé la bourgeoisie.

    Le prolétariat est la classe sociale du collectivisme, le prolétariat est la classe sociale de la démocratie, c’est la classe sociale produite par les immenses capacités industrielles, scientifiques et entreprenantes que l’Humanité a commencé à assembler et à organiser depuis des milliers et des milliers d’années et qui aujourd’hui tient entre ses mains la clef de la connaissance de la matière, de l’infiniment petit, à l’infiniment grand.

    Le prolétariat est la classe sociale qui annonce l’ère de l’Humanité infinie et éternelle, prête à se fondre dans le Cosmos

    Tout comme la noblesse féodale a affirmé dans la Francie occidentale l’Homme nouveau purifié et chevalier du Christ au tournant du premier millénaire, comme la bourgeoisie a affirmé dans le mouvement des Lumières au XVIIIe siècle l’Homme nouveau, social, rationnel et libre par Nature et a posé son droit à entreprendre selon ses talents ce que son travail peut produire de propre à s’affirmer comme personne, ainsi qu’à affirmer son État comme Puissance et à affirmer l’Humanité comme horizon (au lieu des divisions féodales, mais à travers ses séparations nationales), le prolétariat est un nouvel être humain, celui d’un Ordre Nouveau annonçant le Socialisme.

    Ce n’est pas parce que le prolétariat serait majoritaire qu’il faut qu’il prenne le pouvoir, c’est parce qu’il porte une vision du monde. La noblesse seigneuriale, tout comme la bourgeoisie n’ont de même été que des minorités sociales, bien plus étroites d’ailleurs, mais elles portaient une vision du monde. L’horizon social était modelé par la noblesse sous le féodalisme comme il est modelé par la bourgeoisie sous le capitalisme, comme il sera modelé par le prolétariat sous le Socialisme.

    Le prolétariat n’attend pas une quelconque « justice sociale », telle une meilleure répartition des richesses. Une telle interprétation relève de la compréhension « concordataire » de la gauche bourgeoise, qui cherche encore à sauver l’ordre capitaliste.

    Il exige l’anéantissement de la bourgeoisie en tant que classe.

    Et ce qui est nécessairement un crime pour la bourgeoisie sera une libération totale pour l’Humanité, car en liquidant la bourgeoisie, l’Ordre Nouveau, socialiste, mettra fin à l’épuisante guerre que se livre l’Humanité depuis la perte de son Eden, depuis son entrée dans l’Histoire avec la sortie de la Nature.

    Se ranger derrière le prolétariat et sa lutte, c’est assumer cette lutte à mort, totale et implacable. Les chaînes que briseront le prolétariat libéreront l’Humanité entière, rassemblant les masses derrière le modèle d’Humanité que l’Histoire a forgé patiemment dans le sang et le labeur des masses innombrables de nos ancêtres, un être humain démocratique, scientifique, producteur, bienveillant et pacifique, une humanité dont les femmes seront à l’avant-garde de l’affirmation, elles qui furent le dernier rempart de la Nature étant tombé devant l’inévitable entrée dans l’Histoire et qui seront les pionnières de la fusion dans l’Ordre Nouveau de l’Homme social et du Cosmos.

    Une Humanité épanouie dans une biosphère toujours plus symbiotique, respectant pleinement la vie sous toute ses formes et vivant sa Culture dans une Nature étendue et fusionnelle, jusqu’au Communisme le plus total.

    Se conformer à cette exigence, c’est cela chercher et affirmer l’esprit prolétarien. Ce n’est que sur cette base que peut s’affirmer le matérialisme dialectique comme idéologie révolutionnaire, annonçant la nouvelle Cosmologie, toujours plus complète.

    L’État, l’armée, la conquête des institutions et le processus d’éducation socialiste de la Nouvelle Humanité

    La Révolution consiste à changer la vie, du tout au tout. Et cela, seule les masses peuvent le faire. Sans les masses, les patriarches du tribalisme n’auraient pas triomphé.

    Sans les masses, l’aristocratie des grands propriétaire esclavagistes n’auraient pas triomphé ; sans les masses, la noblesse seigneuriale n’aurait pas triomphé. Sans les masses, la bourgeoisie ne peut rien faire. Elle sera mis à bas par les masses, qui se soulèveront derrière le Prolétariat, lorsque leurs yeux brilleront de se conformer à l’idéologie de l’Ordre Nouveau que porte le Prolétariat devant les masses.

    Sans le Prolétariat, les masses ne peuvent aller à la Révolution. Sans les masses, le Prolétariat ne peut rien changer. Ce seront les masses qui feront l’Histoire, comme elles l’ont toujours fait.

    Renverser la bourgeoisie pour instaurer un Nouvel Ordre, suppose d’assumer l’Histoire. La bourgeoisie sera renversée par les forces qu’elle a accumulé et organisé. La lutte contre la bourgeoisie est une lutte de classe, elle suppose donc un antagonisme affirmé.

    Face à l’armée bourgeoise, une armée populaire doit se former. Face aux institutions bourgeoises, de nouvelles institutions démocratiques et populaires doivent se former. Face à l’État bourgeois, un État prolétarien doit se former.

    Armée, institutions, État. C’est le parcours de la Révolution qu’il s’agit de tracer.

    L’objectif fondamental de la Révolution est un processus éducatif : il s’agit de former une Humanité nouvelle. La subjectivité révolutionnaire est donc une exigence totale. Un révolutionnaire doit transformer sa vie, personnellement et collectivement, entretenant son autocritique pour juguler la Ligne noire en lui-même comme autour de lui.

    Le travail théorique sur l’idéologie et pratique sur l’éducation révolutionnaire autour de soi doit être entretenu en permanence et de manière toujours plus complète, complexe et étendu, de manière démocratique, bienveillante sur le fond, mais directive dans la forme.

    La perspective étant dictatoriale au sens strict du terme : l’éducation socialiste consiste à dicter la conduite prolétarienne à tenir.

    La subjectivité révolutionnaire de notre époque impose aussi un style : dans l’alimentation, dans la manière de se vêtir, de parler, de se comporter, dans les mille et un geste du quotidien mais aussi par les valeurs : la curiosité encyclopédique universaliste devant porter la Culture, la sensibilité pour les arts et le respect dû aux artistes selon les exigences révolutionnaires, la promotion d’un Droit total conforme à la Morale, la loyauté et la fraternité, l’engagement complet pour la Cause, le respect et l’enthousiasme pour la Nature en général et les êtres vivants en particulier.

    Le processus révolutionnaire de notre époque a commencé, mais il est par définition nouveau. L’immense expérience accumulée doit être arborée et assimilée, et non pas regardée comme un fétiche. Tout se transforme, notre époque appelle donc des exigences aussi nouvelles, qu’il nous faut découvrir pas à pas.

    Le Futur a commencé, soyons au rendez-vous avec le Parti de la science, le Parti du prolétariat, le Parti de la révolution.

    Le Parti qui affirme la contradiction comme vision du monde, qui indique quel est le combat du Nouveau contre l’Ancien, qui affirme la Guerre Populaire jusqu’au Communisme !

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  • La France, une urbanisation tardive et relative

    « Douze siècles ne sont rien pour une caste que le spectacle historique de la civilisation n’a jamais divertie de sa pensée principale, et qui conserve encore orgueilleusement le chapeau à grands rebords et à tour en soie de ses maîtres, depuis le jour où la mode abandonnée le lui a laissé prendre. » (Honoré de Balzac, Les paysans, 1855)

    La base paysanne est fondamentale dans le développement moderne de la France, ce qui donne historiquement une importance aux mentalités issues des campagnes par rapport aux villes et aux mentalités urbaines.

    Malheureusement, c’est principalement une mentalité étriquée, restreinte dans sa perspective, bien qu’elle relève également d’un rapport très efficace et pragmatique à la réalité, au quotidien, c’est-à-dire une intelligence pratique indéniable.

    C’est très utile pour faire la révolution, mais c’est largement insuffisant pour faire face à l’esprit de civilisation portée par la bourgeoisie dans les villes (y compris au 21e siècle alors que cet esprit est très largement décadent).

    L’opposition ville/campagne se résume en France pratiquement à une confrontation entre Paris et le reste du pays, avec tout au plus une dizaine de villes ayant un centre suffisamment développé pour avoir une nature véritablement urbaine, donc en fait surtout Lyon et Marseille.

    Un simple fait : le département de la Seine (75), qui ne comporte que Paris intra-muros, soit une superficie d’un peu plus de 100 km², est peuplé de 2,13 millions d’habitants.

    Le Nord, département le plus peuplé compte 2,61 millions d’habitants (pour 5700 km²), puis les Bouches-du-Rhône comptent 2,05 millions d’habitant (pour 5000 km²). Paris absorbe tout en matière d’urbanité en France, et produit, en miroir, un opposé culturel partout ailleurs.

    Si les Parisiens sont condescendants à l’égard de la province, celle-ci le lui rend bien.

    Partout ailleurs, les gens n’aiment pas Paris, ou plutôt ils aiment critiquer les Parisiens et l’idée qu’ils se font de la vie parisienne. Le cliché absolu étant celui du Parisien stressé et toujours pressé dans le métro, alors qu’en réalité il n’y a pas plus stressé et pressé qu’un Français de la campagne sur les petites routes, évoluant à toute allure et ne supportant pas la moindre contrariété, tel un groupe de cycliste ou encore pire, une voiture immatriculée dans un autre département et respectant les limitations de vitesse devant lui.

    Au-delà de l’anecdote, on a ici un trait caractéristique de la composition du pays et de cette opposition ville/campagne, Paris/province.

    La population des villes et des campagnes

    En 1850, 26 millions de personnes vivaient à la campagne, contre un peu de moins de 9 millions dans les villes, souvent petites et isolées : c’est une proportion de 3/4 contre 1/4.

    Si l’on regarde par département, c’est alors encore plus net : seuls quatre départements étaient majoritairement urbains dans leur composition : la Seine (Paris et première couronne), les Bouches-du-Rhône, le Rhône et le Var. Encore que dans ces deux derniers cas, ce n’est qu’un petit peu plus de la moitié de la population qui était urbaine.

    L’exode rural forcé par le développement des moyens de production a bien entendu changé la donne. Entre 1851 et 1891, la mécanisation et le développement des techniques de production a bouleversé le secteur agricole qui occupait plus de 14 millions au début de la période, pour ne plus en occuper que 6,5 millions à la fin de la période.

    Toutefois, en 1911, 22,1 millions de Français (soit 56 % de la population) vivaient encore dans les campagnes contre 17,5 millions (soit 44 % de la population) dans les villes, souvent petites et isolées.

    Entre 1911 et 1921, la population des campagnes a décliné de près de 2 millions de personnes, alors que la population urbaine a stagné (malgré les immenses pertes humaines de la guerre).

    Ce n’est qu’autour de 1936 que la population urbaine a véritablement pris le dessus, avec près de 53 % de la population. En 1968, la population des campagnes ne représentait plus que 30 % du total (environ 15 millions de personnes).

    Néanmoins, il convient de relativiser, ou en tous cas d’affiner cette idée d’une population majoritairement urbaine. Dans les années 1950 puis 1960, un basculement majeur s’est produit : c’est la péri-urbanisation.

    En raison du développement des transports, et surtout de l’automobile, les villes ont commencé à s’étaler, pour former de larges agglomérations, mais ne formant plus des continuités urbaines à proprement dit, au sens culturel.

    Si l’expression « maison de ville » existe pour décrire des bâtiments étroits et construits en hauteur, mitoyens d’autres bâtiment et ayant pignon sur rue, la réalité consiste au contraire en la prédominance en France de maisons qui ne sont pas « de ville », mais de banlieue, avec une avant-cour et un jardin, sans mitoyenneté.

    En 2023, plus de 55 % des Français vivent en maison, contre près de 45 % dans des appartements.

    De surcroît, les populations immigrées de première ou deuxième génération représentent une forte proportion de la population des appartements, alors que l’intégration à partir de la deuxième ou troisième génération consiste particulièrement en le fait d’avoir une maison.

    Dans les unités urbaines de moins de 100 000 habitants, la proportion est encore plus imposante : plus du double d’habitants de maisons contre ceux des immeubles. C’est cela qui fait que la notion de ville doit être considérée de manière relative.

    La définition française d’une agglomération est la suivante, d’après l’Insee :

    « Une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants. Si l’unité urbaine se situe sur une seule commune, elle est dénommée ville isolée.

    Si l’unité urbaine s’étend sur plusieurs communes, et si chacune de ces communes concentre plus de la moitié de sa population dans la zone de bâti continu, elle est dénommée agglomération multicommunale. »

    Cela ne dit pas grand-chose quant au caractère de ces agglomérations et de leur population, qui peuvent être urbaines dans la forme, mais pas dans l’esprit.

    En fait, c’est précisément à cet aspect qu’on peut comprendre en quoi il y a en France la prédominance d’une mentalité paysanne, avec la fascination pour son bout de jardin, comme reflet d’une revanche sur le féodalisme où l’arrachement d’un lopin de terre à la société est l’aspiration idéale du paysan.

    Selon l’Observatoire des territoires, qui dépend du gouvernement, en 2024, 80 % des Français déclaraient préférer vivre dans une maison individuelle (60 % des résidents d’appartement disent qu’ils opteraient pour la maison s’ils en avaient la possibilité).

    D’après cette enquête, la principale motivation est de profiter d’un jardin (49 % des sondés), et la deuxième est de s’affranchir de la copropriété (39 % des sondés).

    Ce prisme de la maison, de préférence en étant propriétaire, de préférence en étant (relativement ou franchement) isolé du voisinage, caractérise très bien la mentalité française, qui se veut fondamentalement anti-urbaine, comme prolongement d’une mentalité paysanne.

    Il est essentiel de saisir cette dimension historique de la France, qui conditionne la société et ses contradictions.

    Les Paysans de Balzac (1855) : une précieuse fresque française

    « Comment depuis trente ans que le père Rigou vous suce la moelle de vos os, vous n’avez pas core vu que les bourgeois seront pires que les seigneurs ?

    Dans cette affaire-là, mes petits, les Soudry, les Gaubertin, les Rigou vous feront danser sur l’air de : J’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ! L’air national des riches, quoi !… Le paysan sera toujours le paysan ! Ne voyez-vous pas (mais vous ne connaissez rien à la politique !…) que le Gouvernement n’a tant mis de droits sur le vin que pour nous repincer notre quibus, et nous maintenir dans la misère !

    Les bourgeois et le gouvernement, c’est tout un. Quéqu’ils deviendraient si nous étions tous riches ?… Laboureraient-ils leurs champs, feraient-ils la moisson ? Il leur faut des malheureux ! J’ai été riche pendant dix ans, et je sais bien ce que je pensais des gueux !… »

    Honoré de Balzac a mis beaucoup de cœur à l’ouvrage pour décrire des « scènes de la vie de campagne » dans son roman (inachevé) Les paysans. Il considérait ce livre, « pendant huit ans, cent fois quitté, cent fois repris » comme « le plus considérable » de ceux qu’il avait résolu d’écrire.

    C’est qu’Honoré de Balzac, cet immense écrivain, grande figure nationale française, s’intéressait au réel, et il a bien compris à quel point la mentalité paysanne était absolument incontournable en France.

    Il le dit avec des mots sévères, mais juste, dans sa préface :

    « Le but de cette étude, d’une effrayante vérité, tant que la société voudra faire de la philanthropie un principe, au lieu de la prendre pour un accident, est de mettre en relief les principales figures d’un peuple oublié par tant de plumes à la poursuite de sujets nouveaux.

    Cet oubli n’est peut-être que de la prudence, par un temps où le peuple hérite de tous les courtisans de la royauté. On a fait de la poésie avec les criminels, on s’est apitoyé sur les bourreaux, on a presque déifié le prolétaire ! Des sectes se sont émues et crient par toutes leurs plumes : Levez-vous, travailleurs, comme on dit au tiers état : Lève-toi !

    On voit bien qu’aucun de ces Erostrates n’a eu le courage d’aller au fond des campagnes étudier la conspiration permanente de ceux que nous appelons encore les faibles, contre ceux qui se croient les forts, du paysan contre le riche…

    Il s’agit ici d’éclairer, non pas le législateur d’aujourd’hui, mais celui de demain. Au milieu du vertige démocratique auquel s’adonnent tant d’écrivains aveugles, n’est-il pas urgent de peindre enfin ce paysan qui rend le Code inapplicable, en faisant arriver la propriété à quelque chose qui est et qui n’est pas ?

    Vous allez voir cet infatigable sapeur, ce rongeur qui morcelle et divise le sol, le partage, et coupe un arpent de terre en cent morceaux, convié toujours à ce festin par une petite bourgeoisie qui fait de lui, tout à la fois, son auxiliaire et sa proie.

    Cet élément insocial créé par la révolution absorbera quelque jour la bourgeoisie comme la bourgeoisie a dévoré la noblesse.

    S’élevant au-dessus de la loi par sa propre petitesse, ce Robespierre à une tête et à vingt millions de bras, travaille sans jamais s’arrêter, tapi dans toutes les communes, intronisé au conseil municipal, armé en garde national dans tous les cantons de France, par l’an 1830, qui ne s’est pas souvenu que Napoléon a préféré les chances de son malheur à l’armement des masses. »

    Sur la forme, le roman est quelque peu rugueux, comme souvent le sont les romans chez Balzac, qui se perdent dans un amont de détail, au contraire de ses nouvelles dont le rythme est toujours haletant. Cela n’enlève rien à son intérêt, qui est de saisir avec une grande finesse la mentalité française d’alors, dont notre époque est encore le produit.

    Voici deux extraits, très significatifs, qui vont précisément dans le sens de la pensée-guide pour la France sur le capitalisme considéré comme féodalisme renouvelé.

    « — Comment un homme comme vous s’est-il laissé tomber dans la misère ? Car, dans l’état actuel des choses, un paysan n’a qu’à s’en prendre à lui-même de son malheur, il est libre, il peut devenir riche. Ce n’est plus comme autrefois. Si le paysan sait amasser un pécule, il trouve de la terre à vendre, il peut l’acheter, il est son maître !

    — J’ai vu l’ancien temps et je vois le nouveau, mon cher savant monsieur, répondit Fourchon, l’enseigne est changée, c’est vrai, mais le vin est toujours le même ! Aujourd’hui n’est que le cadet d’ hier. Allez ! mettez ça dans vout’journiau ! Est-ce que nous sommes affranchis ? nous appartenons toujours au même village, et le seigneur est toujours là, je l’appelle Travail. La houe, qu’est toute notre chevance, n’a pas quitté nos mains. Que ce soit pour un seigneur ou pour l’impôt qui prend le plus clair de nos labeurs, faut toujours dépenser not’vie en sueurs…

    — Mais vous pouvez choisir un état, tenter ailleurs la fortune, dit Blondet.

    — Vous me parlez d’aller quérir la fortune ?… Où donc irais-je ? Pour franchir mon département, il me faut un passeport, qui coûte quarante sous ! V’là quarante ans que je n’ai pas pu me voir une gueuse ed ’pièce de quarante sous sonnant dans mes poches avec une voisine. Pour aller devant soi, il faut autant d’écus que l’on trouve de villages, et il n’y a pas beaucoup de Fourchon qui aient de quoi visiter six villages ! Il n’y a que la conscription qui nous tire ed ’nos communes. Et à quoi nous sert l’armée ? à faire vivre les colonels par le soldat, comme le bourgeois vit par le paysan. Compte-t-on sur cent un colonel sorti de nos flancs ? C’est là, comme dans le monde, un enrichi pour cent aut ’qui tombent. Faute de quoi tombent-ils ? Dieu le sait et l’zusuriers aussi ! Ce que nous avons de mieux à faire est donc de rester dans nos communes, où nous sommes parqués comme des moutons par la force des choses, comme nous l’étions par les seigneurs. Et je me moque bien de ce qui m’y cloue. Cloué par la loi de la Nécessité, cloué par celle de la Seigneurie, on est toujours condamné à perpétuité à la tarre. Là où nous sommes, nous la creusons la tarre et nous la bêchons, nous la fumons et nous la travaillons pour vous autres qu’êtes nés riches, comme nous sommes nés pauvres. La masse sera toujours la même, elle reste ce qu’elle est… Les gens de chez nous qui s’élèvent ne sont pas si nombreux que ceux de chez vous qui dégringolent !… Nous savons ben ça, si nous ne sommes pas savants. Faut pas nous faire nout ’procès à tout moment. Nous vous laissons tranquilles, laissez-nous vivre… Autrement, si ça continue, vous serez forcés de nous nourrir dans vos prisons où l’on est mieux que sur nout ’paille. Vous voulez rester les maîtres, nous serons toujours ennemis, aujourd’hui comme il y a trente ans. Vous avez tout, nous n’avons rien, vous ne pouvez pas encore prétendre à notre amitié !

    — Voilà ce qui s’appelle une déclaration de guerre, dit le général. »

    « Ce qui se passe dans cette vallée a lieu partout en France, et tient aux espérances que le mouvement de 1789 a jetées chez les paysans.

    La Révolution a plus profondément affecté certains pays que d’autres, et cette lisière de la Bourgogne, si voisine de Paris, est un de ceux où le sens de ce mouvement a été pris comme le triomphe du Gaulois sur le Franc. Historiquement, les paysans sont encore au lendemain de la Jacquerie, leur défaite est restée inscrite dans leur cervelle. Ils ne se souviennent plus du fait, il est passé à l’état d’idée instinctive. Cette idée est dans le sang paysan comme l’idée de la supériorité fut jadis dans le sang noble.

    La révolution de 1789 a été la revanche des vaincus. Les paysans ont mis le pied dans la possession du sol que la loi féodale leur interdisait depuis douze cents ans. De là leur amour pour la terre qu’ils partagent entre eux jusqu’à couper un sillon en deux parts, ce qui souvent annule la perception de l’impôt, car la valeur de la propriété ne suffirait pas à couvrir les frais de poursuites pour le recouvrement…

    — Leur entêtement, leur défiance, si vous voulez, est telle, à cet égard, que dans mille cantons, sur les trois mille dont se compose le territoire français, il est impossible à un riche d’acheter du bien de paysan, dit Blondet en interrompant l’abbé. Les paysans, qui se cèdent leurs lopins de terre entre eux, ne s’en dessaisissent à aucun prix ni à aucune condition pour le bourgeois.

    Plus le grand propriétaire offre d’argent, plus la vague inquiétude du paysan augmente. L’expropriation seule fait rentrer le bien du paysan sous la loi commune des transactions. Beaucoup de gens ont observé ce fait et n’y trouvent point de cause.

    — Cette cause, la voici, reprit l’abbé Brossette en croyant avec raison que chez Blondet une pause équivalait a une interrogation.

    Douze siècles ne sont rien pour une caste que le spectacle historique de la civilisation n’a jamais divertie de sa pensée principale, et qui conserve encore orgueilleusement le chapeau à grands rebords et à tour en soie de ses maîtres, depuis le jour où la mode abandonnée le lui a laissé prendre.

    L’amour dont la racine plongeait jusqu’aux entrailles du peuple, et qui s’attacha violemment à Napoléon, dans le secret duquel il ne fut même pas autant qu’il le croyait, et qui peut expliquer le prodige de son retour de 1815, procédait uniquement de cette idée. Aux yeux du Peuple, Napoléon, sans cesse uni au Peuple par son million de soldats, est encore le roi sorti des flancs de la Révolution, l’homme qui lui assurait la possession des biens nationaux. Son sacre fut trempé dans cette idée…

    — Une idée à laquelle 1814 a touché malheureusement, et que la monarchie doit regarder comme sacrée, dit vivement Blondet, car le peuple peut trouver auprès du trône un prince à qui son père a laissé la tête de Louis XVI comme une valeur d’hoirie.

    — Voici madame, taisons-nous, dit tout bas l’abbé Brossette, Fourchon lui a fait peur, et il faut la conserver ici, dans l’intérêt de la Religion, du Trône et de ce pays même. »

    Pour réussir la révolution dans un pays, il faut une analyse historique du parcours de celui-ci, c’est ce qui permet de saisir les contradictions en posant des nuances, des contrastes, des luttes.

    Il n’y a pas de méthode abstraite pour la révolution, pas de recette miracle, de technique passe-partout. Il n’existe pas de marxisme cosmopolite qui flotterait au-dessus de la société, et où on pourrait piocher comme on le voudrait, selon les besoins du moment. Les révolutionnaires ne disposent d’aucune caisse à outils où prendre ce qui leur est nécessaire.

    Ce qu’il faut, c’est la science : le matérialisme dialectique, affirmé historiquement par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong. La science portée par le prolétariat, qui porte en elle l’antagonisme, la subjectivité révolutionnaire.

    La compréhension de la situation historique de la France dans son rapport à la paysannerie est ainsi une clef permettant de comprendre la France pour ce qu’elle est, de démasquer les positions non prolétariennes, notamment petite-bourgeoises populistes ou semi-prolétariennes.

    Pour faire triompher la révolution en France, c’est-à-dire la guerre populaire, on a besoin du Parti Matérialiste Dialectique, qui pose les jalons historiques et permet de dépasser les obstacles érigés par la bourgeoisie en tant que classe.

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  • Pensée-guide pour la France : le mouvement ouvrier a considéré de manière erronée que le capitalisme était un féodalisme renouvelé, avec la rente et la corvée

    Pour faire la révolution dans un pays, il faut comprendre son cheminement historique : d’où il vient, où il va, où il en est. C’est une tâche difficile qui demande de combiner la théorie et la pratique.

    Il ne s’agit pas seulement d’enquêter ou de participer à la lutte des classes, ou encore d’expérimenter des formes de lutte. Il est nécessaire d’atteindre une dimension historique, ce qui est beaucoup plus exigeant.

    C’est sur cet écueil que viennent se briser beaucoup de gens sincères. Ces derniers constatent la comédie contestataire et ils partent à la recherche d’une approche véritablement révolutionnaire.

    Cependant, comme ils apparaissent « étranges », comme ils sont en décalage sur le plan des idées par rapport à l’opinion publique, ils sombrent vite dans une certaine marginalité intellectuelle ou militante, et ils finissent par capituler.

    Périodiquement, on a ainsi de nouveaux groupes révolutionnaires qui apparaissent, portés par des gens jeunes ou très jeunes, qui pensent avoir découvert la « méthode » ultime pour faire avancer les choses. Cela s’agite un temps, puis ça s’arrête.

    C’est, au fond, qu’ils recherchaient une « clef » pratique, quelque chose qui fasse bouger les lignes. Or, ce n’est pas ce qu’il faut ; ce qu’il faut atteindre, c’est une dimension historique. C’est alors seulement que ce qu’on fait peut avoir une réelle portée.

    Nous voulons à ce titre exposer un aspect essentiel de la société française, du mouvement ouvrier en particulier. Il ne s’agit pas d’une idée que nous avons eu, c’est le fruit d’une synthèse politico-idéologique reposant sur notre activité révolutionnaire.

    Une activité révolutionnaire qu’on ne saurait confondre avec l’agitation et la propagande, même si elles sont nécessaires : ce qui compte avant tout c’est l’affirmation stratégique de l’idéologie communiste, telle que posée par Marx, Engels, Lénine, Staline, Mao Zedong.

    Une idéologie qui est passée par le marxisme, puis le marxisme-léninisme et le marxisme-léninisme-maoïsme, ce que nous appelons désormais le matérialisme dialectique afin d’en souligner le caractère synthétique.

    Une idéologie qui consiste en la vision du monde du prolétariat et affirme la nécessité de l’océan des masses armées afin d’établir la république socialiste mondiale, comme produit de la révolution mondiale avec les révolutions socialistes dans les pays impérialistes et les révolutions démocratiques dans les pays semi-féodaux semi-coloniaux.

    Si on regarde l’histoire du mouvement ouvrier, dans la seconde moitié du 19e siècle et tout le 20e siècle, on a une idée fixe : celle que la bourgeoisie est injuste.

    Elle est injuste, car elle s’enrichit, alors qu’une partie grandement majoritaire de la société vit dans la pauvreté – cela, c’est pour la seconde moitié du 19e siècle et la première partie du 20e siècle.

    Elle est injuste, car elle parasite largement les fruits de la croissance économique – cela, c’est pour la seconde partie du 20e siècle.

    Le mouvement ouvrier français n’a pas considéré que la bourgeoisie exploitait, il a considéré que la bourgeoisie parasitait. Pour le syndicaliste de la fin du 19e siècle, pour les socialistes et les communistes du 20e siècle, le bourgeois est un rentier.

    C’est ce qui explique paradoxalement qu’il y ait toujours eu une France une Droite populaire : les masses ont bien vu que les patrons charbonnaient, que les entrepreneurs s’activaient. Ne comprenant pas l’accusation de la Gauche, considérée comme injuste, le peuple a accepté la Droite au nom du travail (et de la propriété).

    Naturellement, la dénonciation de l’exploitation a existé durant toute cette période, que ce soit dans la seconde partie du 19e siècle ou tout au long du 20e siècle. Mais cette exploitation n’était pas comprise comme Karl Marx l’a fait dans Le Capital.

    Pour Karl Marx, le capitalisme est un mode de production, et chaque fois qu’un prolétaire travaille, une partie du fruit de son travail « disparaît » comme plus-value pour le capitaliste. Pour le mouvement ouvrier français, l’exploitation vient au bout du processus productif, au moment de la répartition.

    C’est là une conception syndicaliste et il faut bien voir l’importance de la CGT à la fin du 19e siècle et au tout début du 20e siècle. Le style « syndicaliste révolutionnaire » a été massivement présent dans notre pays, il a réussi à s’ancrer et à maintenir une tradition. Même en 2025, on retrouve à la CGT des approches caractéristiques du syndicalisme révolutionnaire.

    Ce qui révèle la justesse de notre analyse, c’est qu’en raison de tout cela, la bourgeoisie n’est pas dénoncée comme classe au sein d’un mode de production.

    Ceux qui sont la vindicte d’une telle approche, ce sont les rentiers, l’oligarchie, le néo-libéralisme, éventuellement (mais de moins en moins) le grand capital.

    Nous ne voulons pas ici rentrer trop loin dans l’analyse idéologique, car il ne s’agit pas d’extrapoler ; en même temps, il faut bien souligner l’aspect suivant, qui explique bien des choses.

    Le matérialisme dialectique critique le capital en général ; bien entendu, il faut différencier le petit du grand, le capital industriel et le capital financier, etc. Cependant, l’ennemi, c’est la classe capitaliste.

    Le fascisme est né comme mouvement populiste prônant une distinction, une séparation entre un capital productif (national et bon) et un capital parasitaire (cosmopolite et mauvais).

    Heureusement, le mouvement ouvrier français n’est pas fasciste ; il faut en même temps noter que la tendance idéaliste visant les « rentiers » se retrouve immanquablement en écho avec le populisme fasciste. C’est que le mouvement ouvrier français se place historiquement en écho de la révolution française, qu’il souhaite rééditer.

    Si on regarde les positions historiques du mouvement ouvrier français, si on discute avec des « anticapitalistes » en 2025, on retrouvera deux ennemis : les riches et l’État.

    Les riches sont considérés comme des néo-féodaux : grâce à leur argent, ils parasitent l’économie. Ils font l’acquisition de leur capital en attendant leurs rentes, tout comme la noblesse dans le féodalisme.

    L’État est considéré comme exigeant et expéditif, il est au service des riches et il impose l’équivalent de la corvée au moyen-âge.

    Il va de soi qu’il est impossible de réellement combattre le capitalisme avec une telle approche. Le capitalisme n’est pas un féodalisme capitaliste, où l’argent a remplacé les titres de noblesse. C’est pourtant ainsi que voient 99,9 % des gens dénonçant le capitalisme en France en 2025.

    Les origines d’une telle position sont faciles à comprendre. Tout d’abord, la révolution française a été un très long processus, qui a marqué les esprits et a connu de nombreux soubresauts, reculs et avancées, de 1789 jusqu’à 1870 et l’instauration pour toute la nouvelle période de la république bourgeoise.

    Ensuite, le mouvement ouvrier français a connu sur le plan des conceptions une hégémonie du socialisme français, qui assumait ouvertement de faire triompher la République « jusqu’au bout ».

    C’était de l’opportunisme, car ainsi le mouvement ouvrier se mettait à la remorque des républicains bourgeois et de la franc-maçonnerie qui avaient besoin d’alliés pour combattre la droite monarchiste.

    C’est ce qui explique la défaite du Front populaire, où au lieu de déborder les « radicaux », les socialistes et les communistes les ont mis sur un piédestal, avant de se faire trahir par eux (et les socialistes trahissant alors les communistes).

    C’est ce qui explique que les armes ont été rendues après la victoire sur l’Allemagne nazie, ou bien que mai 68 n’a pas eu d’expression politique révolutionnaire continue.

    Tant les socialistes que les communistes ont systématiquement voulu rester dans le cadre de la « république », car la république doit aller jusqu’au bout, et ce serait ça le socialisme.

    C’est ce qui explique inversement le programme commun de 1981. L’objectif de nationaliser les banques et d’avoir un Etat dirigé par la Gauche correspondait entièrement au combat contre les rentes et la corvée.

    C’est également ce qui permet de comprendre pourquoi les ouvriers sont passés en masse dans un vote pour l’extrême-droite dans les années 2000-2010-2020 : ils on retrouvé chez Marine Le Pen la dénonciation des rentiers et de la corvée, à travers la dénonciation de la mondialisation et des décisions des élites de l’appareil d’État.

    Il suffit de se tourner vers ce que raconte la gauche contestataire pour retrouver les mêmes obsessions. Les prétentions à disposer d’une économie politique s’effacent devant la tradition française de dénoncer les rentes et la corvée. Dans sa version modernisée, ce vise les riches « hors-sol » et l’État.

    Fin mai 2025, Lutte Ouvrière propose une caricature où le ministre de l’intérieur (et désormais chef de la Droite) Bruno Retailleau veut construire des prisons. Un jeune avec des cités à l’arrière-plan lui dit : « Pour les voleurs capitalistes et leurs politiciens corrompus ? ». Sont ici exactement visées les rentes et la corvée.

    Le Parti Communiste Français explique dans une résolution de la mi-mai 2025 que « le pouvoir national comme les actionnaires s’enferment dans l’impératif de rentabilité avec comme seule variable d’ajustement les salaires ». On retrouve les rentiers et la corvée.

    Pour La France Insoumise, « La concentration des pouvoirs entraîne une dérive autoritaire. Elle favorise le pouvoir des milliardaires. » C’est encore les rentes et la corvée.

    On peut continuer longtemps ainsi, qu’on ait affaire à des partis électoralistes (donc ouvertement pro-républicains) ou à des mouvements d’ultra-gauche (étrangers à l’idéologie républicaine).

    C’est dans la matrice du mouvement ouvrier français, c’est la tradition dominante à l’arrière-plan, qui rattrape tout le monde.

    Le PRCF appelle à une « République sociale et souveraine au service du peuple et du monde du travail », le NPA constate qu’« il y en a ras-le-bol des politiques gouvernementales et patronales visant à prendre l’argent dans les poches de ceux qui travaillent pour les distribuer aux actionnaires ».

    Les « jeunes révolutionnaires » expliquent que « tout le monde a en tête décembre 2018, où ‘‘le peuple’’ attendait le triangle magique : Gilets jaunes, CGT, quartiers populaires… Nous pouvons imaginer réciproquement que tous les parasites de France (bourgeois monopolistes, banquiers, boursicoteurs, politicards achetés, Généraux, juges et flics pourris, mafieux) devaient trembler dans leurs redingotes face à cette possibilité. »

    Il ne faut pas s’étonner ici de la référence aux « gilets jaunes » de 2018, un mouvement populiste typique de la dénonciation des « rentes et de la corvée », tout comme avant eux Nuit debout en 2016, les bonnets rouges en 2013, etc.

    Si on veut parvenir à la révolution en France, il faut s’arracher à cette logique visant à se focaliser sur un capitalisme interprété comme un féodalisme renouvelé.

    Cela ne veut pas seulement dire qu’il faille éviter cette erreur. Il faut lui opposer également la ligne rouge, sans quoi inévitablement on retomberait dans un tel travers, tellement c’est ancré en France.

    Cette question de l’interprétation du capitalisme comme féodalisme renouvelé rejoint également bien d’autres questions, comme celle de savoir pourquoi il n’y a pas eu de social-démocratie révolutionnaire en France avant 1914, pourquoi Maurice Thorez et le Parti Communiste Français basculent dans les années 1930 dans le culte de la « République ».

    En fait, cela explique pourquoi, à chaque fois, la contestation a été intégrée par le capitalisme, par l’intermédiaire de la « République ».

    C’est la raison également pour laquelle les forces de répression visent en France systématiquement la désescalade. Si on met de côté la démagogie qui imagine la France comme Etat policier, on peut constater une ligne droite de mai 1968 à aujourd’hui, où les préfectures tolèrent les manifestations et la casse, afin d’éviter toute polarisation, en visant une réintégration « républicaine » progressive.

    Cela rejoint également la question du rôle des syndicats comme soutiens permanents au régime, au nom de la République ; tout révolutionnaire sérieux sait que depuis les années 1960, la CGT a joué un rôle contre-révolutionnaire majeur.

    Mais ce n’est pas le lieu pour systématiser cette hypothèse fondamentale, qui sonne juste et éclaire par-là même tellement de choses.

    Pour parvenir en France à la révolution, il faut comprendre le capitalisme pour ce qu’il est, et il n’est pas un féodalisme renouvelé.

    Il faut donc mettre en avant deux choses : d’une part, la dialectique qui permet de comprendre comment l’exploitation a lieu réellement, non pas après la production et dans la répartition, mais dans la production elle-même. Le Capital de Karl Marx est ici incontournable.

    D’autre part, le principe de mode de production, qui seul permet d’appréhender la réalité et sa transformation historique, depuis le matriarcat et l’esclavagisme jusqu’au féodalisme, au capitalisme, puis le socialisme et enfin le communisme.

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  • Le Pakistan sans le Bangladesh : la logique de la forteresse assiégée

    La perte du Pakistan oriental, qui devint le Bangladesh, fut une catastrophe stratégique pour le Pakistan dans son opposition à l’Inde. L’armée américaine dut même venir à sa rescousse, en envoyant des navires de guerre pour empêcher une intervention maritime militaire indienne.

    Quant aux forces aériennes, elles avaient prouvé leur efficacité, en décembre 1971, avec l’opération Gengis Khan. Furent alors visées de nombreuses bases aériennes indiennes : Amritsar, Ambala, Agra, Awantipur, Bikaner, Halwara, Jodhpur, Jaisalmer, Pathankot, Bhuj, Srinagar and Uttarlai, ainsi que les radars d’Amritsar et Faridkot.

    Ce fut un échec toutefois, dans le prolongement de celui de l’opération Gibraltar de 1965, où l’armée pakistanaise pénétra au Cachemire pour tenter de lancer une insurrection anti-indienne.

    Le nom de Gibraltar fait référence à la conquête de la péninsule ibérique par les forces arabes précisément depuis Gibraltar, au 8e siècle.

    L’invasion de l’Afghanistan par le social-impérialisme soviétique changea cependant totalement la donne. Le Pakistan devint l’interface américaine pour former et armer les rebelles.

    Les Talibans viennent de là : le terme veut dire « étudiants » et on parle des étudiants afghans ayant étudié dans les écoles coraniques pakistanaises après l’invasion soviétique.

    Qui plus est, les Talibans sont des Pachtounes, et les 3/4 des Pachtounes vivent au Pakistan. Il fut facile pour les services secrets pakistanais, la Inter-Services Intelligence (ISI), d’agir en Afghanistan ; l’ISI acquiert alors un rôle éminent dans l’État pakistanais.

    Les avancées des Talibans sont absolument indissociables de l’État pakistanais ; des dizaines de milliers de Pakistanais ont combattu dans les rangs des Talibans par ailleurs, au-delà de l’appui technique.

    Cela conforta l’ISI dans sa démarche « profonde » et c’est lui qui joua un rôle clef dans l’appui militaire et technique au Sri Lanka afin d’écraser en 2009 les Tigres Tamouls, qui étaient appuyés par l’Inde dans leur tentative de former un État séparé.

    Surtout, il y a de la part de l’ISI l’appui aux forces islamistes au Cachemire, qui luttent contre l’Inde mais également contre les indépendantistes cachemiris.

    Ces forces islamistes sont multiples et d’autant plus prétextes à des actions armées pour lesquelles le Pakistan nie toute responsabilité : Jaish-e-Mohammed (l’armée de Mahomet), Lashkar-e-Taiba (l’armée des pieux), Hizbul Mujahideen (le parti des moudjahidines), etc.

    Le drapeau des fanatiques religieux de la Lashkar-e-Taiba

    C’est Lashkar-e-Taiba qui a revendiqué le meurtre de 25 touristes hindous et d’un guide touristique musulman au Cachemire le 22 avril 2025, déclenchant un nouvel affrontement indo-pakistanais.

    De manière notable, il y avait juste avant, le 16 avril 2025, un discours du dirigeant de l’armée pakistanaise, Asim Munir, à des Pakistanais expatriés. Le Cachemire y fut présenté comme « la veine jugulaire » du Pakistan.

    Il affirma de manière catégorique la théorie des deux nations :

    « Vous devez raconter l’histoire du Pakistan à vos enfants afin qu’ils n’oublient pas que nos ancêtres pensaient que nous étions différents des hindous dans tous les aspects de la vie.

    Nos religions sont différentes, nos coutumes sont différentes, nos traditions sont différentes, nos pensées sont différentes, nos ambitions sont différentes.

    C’est le fondement de la théorie des deux nations qui a été posée. Nous sommes deux nations, nous ne sommes pas une seule nation (…).

    Peu importe où vous vivez, rappelez-vous que vos racines se trouvent dans une haute civilisation, une idéologie noble et une identité fière. »

    Pour comprendre l’importance de l’armée comme fer de lance de l’idéologie nationale pakistanaise, il suffit de constater que jamais aucun premier ministre n’a été en mesure de terminer son mandat. Les coups d’État pour propulser un nouveau régime sont réguliers, ceux qui ont réussi s’étant déroulés en 1958, en 1977 et en 1999.

    Ce sont des généraux qui ont façonné les traits généraux du pays : Ayoub Khan dans les années 1960, Yahya Khan et Zia ul Haq dans les années 1980, Pervez Musharraf dans les années 2000.

    Tout cela tient à la combinaison d’une base féodale sur laquelle vient se construire une dimension coloniale, puisque le Pakistan est historiquement un acteur au service de la superpuissance impérialiste américaine.

    Mais à cela s’ajoute, comme pour Israël, une spécificité historique dans la constitution du pays lui-même, ce qui produit une logique de la forteresse assiégée devenant elle-même assiégeante.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La question du Bengale avec le Pakistan puis « l’indépendance »

    De 1574 à 1717, le Bengale a été gouverné par 32 subahdars – un subah étant une province moghole et le subahdar un mot désignant le gouverneur, bien sûr choisi par le (grand) moghol ou les plus hauts officiers.

    Le pays est considéré comme un territoire riche devant revenir à l’État central, avec de nombreux cadres envoyés en ce sens et même un nouveau calendrier, fondé sur les calendriers musulmans hégirien (donc lunaire) et hindou (donc solaire) par l’empereur Akbar afin de pouvoir mieux récolter les impôts des paysans au bon moment.

    La victoire moghole sur le dernier sultan du Bengale, Daud Khan Karrani (qui disposait de 40 000 cavalry, 3 600 éléphants, 140 000 fantassins et de 200 canons) en 1576, vers 1596-1600

    On a alors une domination qui étouffe le Bengale, avec une nouvelle aristocratie intégrée à l’empire moghol et qui parle ourdou comme au nord de l’Inde.

    Cela produit un pouvoir avec plus d’indépendance, Murshid Quli Khan devenant le premier Nawab (de 1717 à 1727), dans le cadre d’une réorganisation où l’empire perd en fait sa capacité à centraliser.

    Preuve de ce changement, Murshid Quli Khan fit en sorte d’abolir le système du jagirdar, terre donnée pour la vie à quelqu’un qui était considéré comme méritoire pour son service militaire (lors de sa mort, la terre revenait, théoriquement, dans les mains du monarque).

    C’en était fini de la logique militaire de conquête. Désormais, la terre était louée à un ijaradar – un fermier général, avec le système mal zamini.

    Akbar est informé de la victoire au Bengale en 1576, vers 1603-1605

    Murshid Quli Khan organisa son système ijaradar de la façon suivante. Il a divisé la province en 13 divisions administratives appelées chaklahs, les plus gros fermiers généraux étant des chaklahdars. Des 20 fermiers généraux choisis par Murshid Quli Khan, 19 étaient des hindous.

    Cette modification de l’agriculture, couplé au début de la pénétration coloniale britannique au Bengale, provoqua une instabilité majeure, dont l’une des expressions est la grande famine de 1770, qui tua le tiers de la population, soit 10 millions de personnes.

    L’empire britannique sera par la suite directement responsable d’autres famines, comme en 1783, 1866, 1873-1874, 1892, 1897, et surtout en 1943, provoquant la mort d’entre deux et quatre millions de personnes.

    Il est considéré qu’avec les famines et les maladies, cinquante millions de personnes sont mortes au Bengale entre 1895 et 1920.

    Le colonialisme britannique préférait bloquer les approvisionnements, qui étaient au service de ses bénéfices, même si cela signifiait la mort par la faim de millions de personnes.

    L’empire britannique a d’ailleurs directement repris le principe des fermiers généraux, instaurant un système héréditaire à la fin du 18e siècle.

    Karl Marx, dans La domination britannique en Inde (1853), a décrit cela comme un « despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique » :

    « Il ne peut pas, cependant, rester aucun doute, comme quoi la souffrance infligée par les Britanniques sur l’Hindoustan est d’ordre essentiellement différente et infiniment plus intense que ce que tout l’Hindoustan a eu à souffrir auparavant.

    Je ne parle pas du despotisme européen, planté sur le despotisme asiatique, par la British East India Company, formant une combinaison plus monstrueuse que tout monstres divin nous surprenant dans le Temple de Salsette [île de Salsette, au nord de Bombay et célèbre pour ses grottes aux 109 temples bouddhistes].

    Ce n’est pas une caractéristique distinctive de la domination coloniale britannique, mais seulement une imitation des Hollandais (…).

    Aussi étrangement complexe, rapides et destructrices que puissent apparaître l’action successive en Hindoustan de toutes les guerres civiles, les invasions, les révolutions, les conquêtes, les famines, tout cela n’est pas allé plus loin que sa surface.

    L’Angleterre a décomposé l’ensemble du cadre de la société indienne, sans aucun symptôme de la reconstitution qui apparaîtrait.

    Cette perte de son ancien monde, avec aucun gain d’un nouveau, donne un genre particulier de mélancolie à la misère actuelle de l’Hindou, et sépare l’Hindoustan, gouverné par la Grande-Bretagne, de toutes ses anciennes traditions, et de l’ensemble de son histoire passée. »

    L’empire britannique sut s’accorder avec des couches prêtes à se lier à lui. Des commerçants travaillent avec la Compagnie des Indes dans les périodes 1736-1740, l’ensemble des 52 bengali à Calcutta étaient hindous, 10 des 12 de ceux à Dacca, et l’ensemble des 25 à Kashimbazar.

    L’empire britannique put ensuite défaire le nawab à la bataille de Plassey en 1757.

    Cette situation provoqua le développement du fondamentalisme musulman, avec le mouvement Faraizi (terme qui désigne l’obligation due à Dieu), fondée par Haji Shariatullah (1781-1840).

    Ce dernier se rendit pour toute une période en Arabie Saoudite et à son retour au Bengale appela à la modification des pratiques en cours, considérées comme ayant connu des déviations et des modifications.

    Mais ce fondamentalisme, comme on est au Bengale, fut interprété par les masses paysannes comme un appel à la révolte contre les propriétaires terriens hindous. La figure clef est ici Muḥsin ad-Dīn Aḥmad (1819–1862), connu sous le nom de Dudu Miyān, qui mena une lutte pour former un nouveau pouvoir régional.

    En miroir, on a un processus équivalent chez les hindouistes, dans les villes cette fois, et justement de manière inversée. C’est la Brahmo Samaj (société de Dieu), fondée par le brahmanes et bourgeois Dwarkanath Tagore (1794 – 1846) et le brahmane et intellectuel Raja Ram Mohan Roy (1772-1833).

    Le roman Gora de Rabindranath Tagore, publié en 1910, est incontournable pour saisir l’esprit de l’époque en Inde et notamment au Bengale avec la Brahmo Samaj

    On est ici dans le contraire du fondamentalisme, car il s’agit de pratiquer la méditation, de mettre de côté les rites contraignants, de faire des réformes sociales, d’accepter la modernité et de reconnaître la place de la femme.

    Il s’agit d’un courant porté par ce qui est appelé jusqu’à aujourd’hui les « bhadralok » (ou Bhodro Lok), c’est à dire les « gens meilleurs », qui rejetaient la culture occidentale tout en cherchant à en élaborer une variante conforme à leurs propres attentes.

    Cette situation très contrastée porte déjà les germes d’une opposition entre le Bengale à majorité hindoue et celui à majorité musulmane, et en 1905 l’empire britannique procéda à sa division administrative.

    De manière intéressante, l’opposition fut virulente et le Bengale fut réunifié dès 1919.

    Néanmoins, les élections étaient séparées pour les hindous et pour les musulmans et finalement les féodaux musulmans réussirent à faire en sorte que le Bengale oriental devienne le Pakistan oriental.

    Cela fait que, malgré l’indépendance du Bangladesh, au prix du sang, il existe une immense base féodale musulmane et celle-ci revient par vagues à la surface politiquement, produisant une relecture des événements, dans le sens d’un soutien à l’Islam totalement incohérent si on prend la guerre d’indépendance.

    La mosquée du Fort de Lalbagh, Dacca, 17e siècle

    C’est là que les grandes puissances jouent un rôle.

    Lors de l’indépendance du Bangladesh, le dirigeant de la Ligue Awami, Sheikh Mujib, est devenu le premier ministre, puis le président, avec comme ligne directrice « le nationalisme, la laïcité, la démocratie et le socialisme ».

    Mais il représentait une bourgeoisie bureaucratique inféodée à l’Inde, qui avait formé l’armée de libération, ainsi qu’au social-impérialisme soviétique.

    Sheikh Mujib devint donc président à vie, et il fit en sorte qu’un seul parti politique existe réellement, sous forme d’une coalition appelée Ligue Krishak Sramik Awami du Bangladesh (Baksal), avec la Ligue Awami et d’autres partis comme le Parti Communiste du Bangladesh soutenant l’URSS social-impérialiste.

    Les masses commencèrent à se révolter, notamment après la famine de 1974, qui provoqua 1,5 millions de personnes. Il se produisit alors un coup d’État militaire pro-américain en août 1975 ; Sheikh Mujib fut alors exécuté.

    L’officier Ziaur Rahman devint le dirigeant du pays, avec un nouveau parti politique exprimant les intérêts de la superpuissance impérialiste américaine et de la bourgeoisie bureaucratique qui lui était soumis : le Bangladesh Nationalist Party (BNP).

    Ziaur Rahman

    Ziaur Rahman a fait une politique qui était à l’opposé de la précédente, l’État a fait des privatisations, l’islam s’est vu donné un rôle national ; Ghulam Azam, chef exilé des islamistes Jamaat-e-Islami, a été autorisé à revenir en Juillet 1978 avec un passeport pakistanais et a pu rester, même après l’expiration du visa, etc

    Ziaur Rahman a subi quelques différents coups d’État, qui ont tous échoué, même si finalement l’un deux amena sa mort en 1981.

    Son successeur, le lieutenant-général Hussain Muhammad Ershad, a suivi sa politique, mais avec son propre parti politique, le Parti Jatiya.

    Gouvernant d’une manière autocratique, Ershad a ouvert la voie à un Bangladesh « démocratique » – une « démocratie » sous le contrôle des deux fractions de la bourgeoisie bureaucratique.

    Khaleda Zia, veuve de Zia, est alors devenue la dirigeante du BNP, qui a été (et est) une force pro-américaine, et a formé l’alliance des sept partis.

    Ziaur Rahman et Khaleda Zia

    De l’autre côté, la Ligue Awami a été dirigée par Sheikh Hasina, la fille de Sheikh Mujib ; la Ligue était (et est) une force pro-indo-soviétique, formant historiquement l’alliance des quinze partis.

    Sheikh Hasina et le président russe Vladimir Poutine

    La Ligue Awami boycotta les élections de 1987, rejoint par le BNP pour les élections de 1988, et Ershad démissionna en 1990.

    En 1991, les deux parties étaient à peu près équivalentes, puis, le BNP a gagné en 1996, la Ligue Awami dans une autre élection en 1996, le BNP gagna à nouveau en 2001, la Ligue Awami de nouveau en 2008.

    De 1991 à 1996, Khaleda Zia a été Première ministre, Sheikh Hasina a ensuite dominé de 1996 à 2001. Khaleda Zia revint de 2001 à 2006, et après un gouvernement de transition dans une situation instable, avec même un état d’urgence, Sheikh Hasina est revenue au 2009, jusqu’en 2024 où un soulèvement l’oblige à s’enfuir en Inde.

    Khaleda Zia, mise en prison depuis six ans, est alors libérée, alors que l’armée organise un gouvernement de transition.

    Mais dans le contexte de cette bataille entre deux factions bourgeoises bureaucratiques pour le pouvoir central, les féodaux restent à l’arrière-plan, l’Islam reste prépondérant, les islamistes maintiennent un hyper-activisme et leur fanatisme se réactive toujours plus fort comme fondamentalisme, engloutissant les aspirations des masses du Bangladesh, nation séparée du Pakistan, un Pakistan séparé de l’Inde, une Inde où le Bengale occidental est issu de tout un parcours historique avec le Bengale oriental.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La question du Bengale avant le Pakistan : avant l’empire moghol

    Le fait que le Bengale se soit historiquement coupé en deux, avec une partie à grande majorité hindoue et de l’autre une partie à grande majorité musulmane, a toujours interpellé ceux qui s’y sont intéressés. Pourquoi un peuple, unifié culturellement et sur le plan linguistique, se scinde-t-il en deux parties religieuses bien distinctes ?

    L’un des facteurs essentiels fut, outre les conversions de masses dans le Bengale oriental amenées par les missionnaires musulmans et l’influence de la conquête islamique, l’importance du commerce, particulièrement sur la zone côtière, avec le port de Chittagong notamment.

    C’est un processus ainsi non violent, dissolvant les rapports féodaux, avec notamment la question des castes et des intouchables. Ces derniers avaient tout intérêt à se convertir à l’Islam, du moins ils n’avaient rien à perdre.

    Ce processus se déroula sans heurts ; pour preuve les musulmans du Bengale ont conservé de larges traits historiques propres au Bengale. La langue, le bangla ou bengali, puise massivement au niveau du vocabulaire dans le sanskrit, en plus des emprunts aborigènes, et tant les hindous que les musulmans l’ont conservé ainsi.

    Il faut dire que les autres zones musulmanes sont lointaines, et d’ailleurs l’Islam historique du futur Bangladesh est profondément marqué par le soufisme, le mysticisme.

    Ce qui joue ici, c’est que le Bengale a également connu une période où l’hégémonie était non pas hindouiste, mais bouddhiste, avec une bonne partie tendant au même bouddhisme mystique qu’au Tibet, ainsi qu’au Cachemire à cette époque-là.

    En fait, si l’Islam a réussi à se développer, c’est que tout le système des castes était déjà profondément ébranlé au Bengale, une zone qui plus est lointaine et excentrée des Indes.

    Ainsi, suivant les Manusmṛti, connus en Europe sous le nom de « Lois de Manu » (entre 200 avant et 200 de notre ère), le Bengale ne faisait pas partie de l’Āryāvarta (« la demeure des Aryens » en sanskrit).

    Ce n’est que sous l’empire Maurya (321-185 avant notre ère) que la partie occidentale du Bengale a été jointe pour la première fois à l’Inde ancienne, la partie orientale formant l’extrémité de l’empire.

    Cet Empire, c’est notamment le grand empereur bouddhiste Ashoka, avec un vrai saut dans la civilisation, une vraie administration.

    (wikipédia)

    Puis, c’est lors de l’empire Gupta (320-550 de notre ère), que les chefs locaux ont été écrasés au Bengale. Et cet empire pourchasse le bouddhisme, au nom de l’hindouisme.

    (wikipédia)

    Le Bengale est devenu le dernier endroit de confrontation entre l’hindouisme et le bouddhisme, et forcément, lorsqu’arrivent les missionnaires promouvant l’hindouisme, ils vont propager un vrai mysticisme pour convaincre les masses. Cela va conditionner toute la culture du Bengale.

    Ce processus contradictoire n’est pas terminé, puisque l’effondrement de l’empire Gupta a amené une situation de chaos au Bengale, une situation appelée « matsyanyayam », c’est-à-dire la loi du plus fort. On était dans une situation de chaos complet, d’anarchie générale.

    Une nouvelle dynastie connut une naissance localement, les Palas, qui mirent alors en avant le bouddhisme – clairement pour avoir un meilleur rapport de force avec l’Inde ancienne, qui était sous domination hindouiste. Même dans le sud est du Bengale, les rois locaux suivaient cette politique pro-bouddhisme.

    La déesse Durga, Bengale, 10e siècle

    Mais les Palas essayèrent d’envahir certaines parties de l’Inde ancienne, particulièrement le Bihar, à l’ouest du Bengale. Le centre de gravité se décala à l’ouest, s’éloignant toujours plus du Bengale oriental.

    Au cours de ce processus, l’hindouisme commença à prendre le dessus au niveau de l’État.

    Le bouddhisme n’était maintenu sous les Palas qu’afin de conserver une identité distincte et que le règne des Palas soit justifié, et également parce qu’il s’agissait d’une expression de la culture bengalie de cette époque.

    La principale figure bouddhiste de l’époque des Palas, Athisha, né en 982 au Bengale, décédé en 1054 au Tibet

    Cependant, les rois Palas étaient entourés d’un appareil d’Etat hindou (de la poésie aux ministres), ils se marièrent à des femmes de familles brahmanes ; dans ce processus, le Bengale occidental était attiré par l’Inde hindoue, cette fois de manière décisive, mais c’était beaucoup moins vrai pour le Bengale oriental.

    Ce n’était qu’une question de temps avant que les forces féodales reliées à l’Inde hindoue renversent la dynastie des Palas.

    Cela se fit sous Vijaysena, un brahmane-guerrier du sud de l’Inde, qui établit une dynastie hindoue, intégrant le Bouddha comme un avatar (maléfique) de Vishnou.

    La dynastie des Senas mit en avant l’hindouisme d’une manière massive, amenant des brahmanes du reste de l’Inde pour former une nouvelle classe dominante, avec des dons de terres également. Les Senas installèrent une petite minorité comme pure « élite » religieuse, d’une manière fortement hiérarchique.

    (wikipédia)

    La dynastie des Senas marqua la ruine du commerce des marchands, qui soutenaient le bouddhisme – ici l’aspect « égalitaire » du bouddhisme montre son aspect pré-bourgeois, très proche du protestantisme, avec également de soulignées la civilisation globale et l’administration unifiée.

    C’est alors que se produisit l’invasion musulmane. On devine que l’Islam a remplacé le bouddhisme comme outil d’opposition au féodalisme pour les marchands et artisans, mais également dans des secteurs de masse désireux d’échapper au système des castes.

    Cela ne veut pas dire pour autant que, en raison des zones aborigènes et des restes du bouddhisme mystique, les conceptions chamaniques disparurent.

    On en a la preuve quand on sait que l’Islam du Bengale oriental est très marqué par le soufisme, le mysticisme, le panthéisme. Les bardes itinérants, appelés Bâuls (les fous), sont incontournables de la culture bengalie, avec leur syncrétisme hindou-musulman à visée humaniste.

    L’irruption des conquérants musulmans a ainsi été en fait le détonateur de tout un moment historique de la lutte de classe. D’où un islam sunnite dans sa forme mais qui en même temps célèbre les saints, où il y a des pèlerinages sur les tombes, une approche mystique, etc.

    On peut le vérifier en regardant du côté de l’hindouisme au Bengale. La manière principale de considérer l’hindouisme est le kali-kula – le culte de la grande déesse (Mahadevi), également connu sous le nom de shaktisme, soit la « doctrine de l’énergie, du pouvoir, de la déesse éternelle ».

    Représentation de Mahadevi, Rajasthan, 18e siècle

    Le film de Satyajit Ray « Devi » dépeint cette réalité ; au Bengale, la déesse Kali est révérée, et le shaktisme est davantage présent au Bengale que le shivaïsme (le culte de Shiva) et le vaishnavisme (le culte de Vishnou), qui représentent quant à eux des aspects plus typiques de la culture et de l’idéologie patriarcales indo-aryennes.

    Pour cette raison, au Bengale occidental et oriental, l’hindouisme célèbre des déesses comme Durga, Kali, Lakshmi, Sarasvati, Manasa, ou Shashthi, Shitala, Olai Chandi.

    Kali, ici sous la forme Mahakali

    Pour en ajouter à la complexité, comme le shaktisme était la conception dominante, la résistance populaire a appuyé le vaishnavisme.

    C’est là où on retrouve l’illuminé Chaitanya qui au 16e siècle mit en avant un vaishnavisme adorant Krishna et rejetant le système des castes. Le mouvement dit des Hare Krishna au 20e siècle est un prolongement monothéiste américain du vaishnavisme.

    On voit la complexité de la situation historique du Bengale, mais ce n’est pas tout.

    Sous Shamsuddin Ilyas Shah, qui régna de 1342 à 1358, le Bengale a été unifié. Le Sultanat nouvellement formé a même été capable de résister, à la fois sous des généraux hindous et musulmans, à l’attaque du Sultanat de Delhi, dirigé par Firuz Shah Tughlaq.

    Le Bengale était alors connu sous le nom de Bangalah, et l’État était le sultanat musulman du Bengale. Le sultan était appelé Sultan-i-Bangalah, Shah-i-Bangalah, ou de Shah-i-Bangaliyan.

    La mosquée Adina construite au 14e siècle au Bengale (wikipédia)

    Le mot est venu en Europe par Marco Polo, donnant naissance au mot « Bengale » (Marco Polo n’a jamais été au Bengale et a même fait une confusion, pensant en fait à une partie de la Birmanie).

    Le nouvel État islamique a modernisé le pays et son système administratif. La culture idéologique, basé sur la culture populaire du Bengale, mettait en avant l’islam, mais de manière locale.

    De nombreux éléments ont ainsi été pris aux arts bouddhiste et hindou (lotus ouvert de profil, éléments floraux, le lotus et le diamant, le lotus à pétales en frise, le trèfle, la rosette, le fleuron, le feston, la corde torsadée, damier, le diamants croisé etc.).

    Husain Shah avait même des hindous comme Premier ministre (vizir), médecin, chef des gardes du corps, secrétaire privé, surintendant, etc.

    Le sultanat sous Husain Shah (wikipédia)

    Ala-ud-din Husain Shah, qui régna de 1494 à 1519, a également défendu la littérature bengalie, promu la coexistence religieuse au Bengale, donnant à Chaitanya pleine possibilité de faire la diffusion de sa version mystique du Vaishnavisme.

    Au cours de ce processus, les hindous ont été intégrés dans la noblesse bengalie nommée par les dirigeants musulmans. Le processus fut profond et connut un saut qualitatif lorsque le grand propriétaire terrien hindou Raja Ganesha prit le pouvoir, au 15e siècle.

    Il dut laisser la place à son fils devant se convertir à l’islam, fils qui redevint hindou, pour finalement revenir musulman, donnant en tout cas un élan plus directement « bengali » tant au pouvoir en place qu’à la diffusion massive et forcée de l’Islam.

    On a en fait ici une centralisation, mais elle parvint pas à ses fins, le sultanat du Bengale s’effondrant devant l’empire moghol, dont il devint une province.

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  • La sanglante partition Pakistan – Bangladesh

    Muhammad Ali Jinnah se retrouva à la tête du Pakistan à sa fondation. Il s’adressait en anglais à la population, tout en soulignant que l’ourdou était la langue du Pakistan – lui-même ne le parlant toutefois pas, bien qu’il ait fait des efforts pour l’employer pour de brefs moments, à portée symbolique.

    L’ourdou n’était de toutes façons pas non plus la langue des peuples formant le Pakistan ; le choix de l’ourdou était de portée symbolique, avec comme référence le haut niveau de civilisation de l’empire moghol.

    L’ourdou n’est pas du tout la langue maternelle de l’écrasante majorité des Pakistanais (wikipédia)

    Muhammad Ali Jinnah présenta ainsi de manière suivante le Pakistan lors de son discours d’investiture à la présidence du nouveau pays, le 11 janvier 1947 :

    « Il n’y aura aucune limite au progrès que vous ferez si vous changez votre passé et travaillez ensemble dans un esprit tel que chacun d’entre vous, quelle que soit la communauté à laquelle il appartient, quel que soit le rapport qu’il avait avec vous dans le passé, quelles que soient sa couleur, sa caste ou sa croyance, est à la fois le premier, le second et le dernier des citoyens de cet Etat, avec des droits, des privilèges et des obligations égaux (…).

    Vous êtes libres ; vous êtes libres d’aller à vos temples, vous êtes libres d’aller à vos mosquées ou à toute autre place de vénération dans cet Etat du Pakistan.

    Vous pouvez appartenir à n’importe quelle religion, caste ou croyance – cela n’a rien à voir avec les affaires d’État. »

    Cette affirmation d’un État laïc, pourtant né d’une logique religieuse, est très étonnante et en fait très hypocrite.

    La partition, réalisée de manière forcée par les forces féodales musulmanes, a provoqué le déplacement de 12,5 millions de personnes et le massacre de centaines de milliers d’autres.

    Ce fut une véritable guerre de religion, sans pitié, hindous contre musulmans, avec les Sikhs au milieu.

    Il y eut également deux situations anti-populaires par définition : le souverain musulman du Hyderabad choisit le Pakistan, alors qu’il se retrouvait au sud de l’Inde et avec une large majorité hindoue. L’armée indienne résolut la question au moyen d’une invasion.

    Au Cachemire, le souverain était hindou et choisit l’Inde malgré une large majorité musulmane. Cela provoqua une situation explosive jusqu’à aujourd’hui.

    Reste que le Pakistan se retrouvait immédiatement avec une nouvelle problématique.

    L’engouement religieux avait, en effet, ajouté un élément nouveau au concept de Pakistan. La partie orientale du Bengale était musulmane et elle avait décidé de rejoindre le Pakistan au moment de la partition de l’Inde.

    Les majorités religieuses en 1909

    C’était une situation qui n’avait absolument pas été prise en compte à l’origine. La tradition musulmane de l’Inde puise sa source dans la Perse, ce sont les régions historiques du Nord-Ouest de l’Inde qui forment le noyau dur de la culture islamique indienne.

    Voilà que le Pakistan se retrouvait avec un territoire lointain, à 1 600 kilomètres de distance, avec sa propre tradition islamique, avec une langue, le bangla ou bengali, qui n’avait rien à voir avec l’ourdou.

    Il était facile de comprendre le point de vue du point de vue des féodaux de l’Est du Bengale : en se rattachant au Pakistan comme Pakistan « oriental », ils obtenaient une légitimité complète, espérant d’autant plus en profiter que le Pakistan « occidental » était loin.

    C’était cependant de l’idéalisme complet de la part des féodaux, qui n’avaient pas pris en compte la question du développement du capitalisme bureaucratique.

    Celui-ci se développa massivement au Pakistan occidental, dans le cadre d’une soumission complète à l’impérialisme britannique à l’origine, mais ensuite très rapidement à la superpuissance impérialiste américaine.

    La situation devint rapidement totalement déséquilibrée. Il y avait 69 millions de personnes au Pakistan occidental, contre 44 millions étant au Pakistan oriental. Le Pakistan occidental disposait de la capitale fédérale, du commandement militaire, de la cour suprême de justice.

    Il s’appropriait les ¾ des fonds de développement et le Pakistan oriental se voyait réduit à une colonie intérieure. Il produisait ainsi la plupart des exportations (jute, thé…), mais obtenait seulement ¼ des revenus.

    La domination des militaires du Pakistan occidental finit par rendre la situation explosive, avec la mise en place par les étudiants en 1969 d’une contestation générale, suivie ensuite par les paysans et les ouvriers.

    Le soulèvement amena un changement de dirigeant du côté de l’État central, avec un nouveau militaire prenant la place du précédent.

    Dans cette nouvelle situation, le Parti Awami National ne se présenta pas aux élections. Il avait été fondé par un intellectuel rural qui était parvenu à unir le mouvement démocratique paysan au Bengale : Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani.

    Maulana Abdul Hamid Khan Bhashani à Cuba pour une réunion de la coopération afro-asiatique, en 1965

    Profondément influencé par la Chine, il s’était même séparé de la Ligue Awami pro-bourgeois (Awami signifiant peuple), pour former le Parti Awami National.

    Mais ce dernier fit le choix du boycott des élections de 1970, ce qui permit à la Ligue Awami d’obtenir une victoire totale, avec 167 des 169 sièges de l’Assemblée nationale au Pakistan oriental.

    Son dirigeant, Sheikh Mujibur Rahman, apparut alors comme le vrai porteur du soulèvement populaire de 1969.

    Sheikh Mujibur Rahman sortant de prison en 1969, à la suite d’une tentative de l’accuser de conspiration contre le Pakistan en liaison avec l’Inde

    Les contradictions ne cessèrent de se développer, notamment avec le cyclone de 1970, où 200 000 personnes sont mortes, et où l’État pakistanais n’avait pas été en mesure d’organiser un secours sérieux.

    À ce moment, l’armée officielle du Pakistan – où les officiers étaient bien entendu principalement du Pakistan occidental – a commencé à être considéré par les larges masses comme une armée d’occupation.

    Tout se précipita alors le 25 mars 1971, avec l’intervention militaire de l’armée pakistanaise.

    Son objectif était d’écraser tous les intellectuels de langue bengalie, de violer des femmes autant que possible (environ 200 000), de massacrer les hindous (qui formaient autour de 14 % de la population totale).

    Le massacre systématique des intellectuels bengalis (médecins, journalistes, professeurs, etc.) se produisit dès le début. Photo de Rashid Talukder, Ittefaq, 1971

    La langue bengalie et les hindous ont été considérés comme un obstacle à l’unification islamique, et donc, comme des cibles.

    Mais ce n’était pas seulement une tactique de l’armée pakistanaise. C’était conforme à l’idéologie d’une partie de la petite-bourgeoisie du Bengale, celle qui s’était placée dans l’orbite des féodaux, qui utilisaient l’Islam comme vecteur.

    Par conséquent, le parti Jamaat-e-Islami a aidé dans les massacres, en tant que volontaires (les « Razakars ») et la formation de milices – Al-Badar et Al-Shams.

    Les résultats de ce processus a été trois millions de morts. Ce fut un épisode terrifiant de plus pour les Bengalis à travers leur histoire et cela marqua très profondément les esprits au niveau mondial.

    Le télégramme horrifié du consul général américain à Dacca, Archer Blood, avec 19 autres membres du personnel diplomatique, sur les événements de 1971, avec une protestation ouverte contre le gouvernement américain

    Il faut ici souligner la tenue d’un grand concert de solidarité avec le Bangladesh à New York le premier août 1971, à l’initiative de l’ex-Beatles George Harrison et de l’illustre joueur de sitar Ravi Shankar. Ce fut le premier du genre historiquement.

    Les événements sur le terrain furent bien moins connus et pourtant leur dimension historiquement révolutionnaire étaient d’une immense ampleur. C’est le soulèvement de masse, la grève générale, la lutte armée généralisée qui a permis de vaincre l’offensive pakistanaise.

    Dans ce cadre, les conseils ouvriers et paysans se répandaient dans tout le pays, et la guerre populaire avait été déclenchée par différentes organisations adoptant la ligne de Mao Zedong, en particulier le Purba Bangla Sarbohara Party (Parti prolétarien du Bengale oriental), dirigé par Siraj Sikder.

    Siraj Sikder fut torturé et tué par la police, sur ordre direct de Sheikh Mujibur Rahman

    L’Inde vint d’un mauvais œil la tournure des choses ; Peter Hazlehurst du Times commentait alors que « Le Bengale rouge alarmerait Delhi encore plus qu’Islamabad ».

    L’armée indienne lança alors une offensive contre le Pakistan et organisa à grande échelle la « Mukti Bahini », « l’armée de libération » sous contrôle de la Ligue Awami.

    Cela torpilla le caractère populaire de la guerre de libération.

    Il est à noter que le philosophe français Bernard-Henri Lévy était allé au Pakistan tant occidental qu’oriental, et qu’il a participé à cette guerre de libération, dans les rangs de l’armée indienne. Il avait agi ainsi après avoir été déçu par une tendance gauchiste des partisans de Mao Zedong qui refusaient d’affronter le Pakistan ; s’il avait connu Siraj Sikder sa trajectoire aurait pu être totalement différente.

    Bernard-Henri Lévy soutint ensuite le nouveau régime et travailla un temps au ministère de l’Économie et du Budget, avant de se faire éjecter du jour au lendemain sous pression de l’Inde, car il avait connu des maoïstes auparavant.

    Ensuite, il devint une figure des « nouveaux intellectuels » prenant une direction anti-communiste et entièrement favorable à la superpuissance américaine.

    Quant à Siraj Sikder et son parti, ils échouèrent, bien qu’ils ouvrirent la voie de la révolution pour la suite (et même en fait de la guerre de libération contre le Pakistan occidental).

    Leur situation était incroyablement complexe ; ils ont dû se battre contre l’expansionnisme indien et le colonialisme pakistanais, mais aussi contre les forces féodales, alors qu’en plus l’impérialisme américain et le social-impérialisme soviétique étaient de la partie.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La partition de l’Inde en août 1947

    L’indépendance de l’Inde le 15 août 1947 fut considérée comme un jour noir par beaucoup de progressistes dans tout le pays, en raison de la tragédie que cela impliquait avec la séparation du Pakistan.

    Mohandas Karamchand Gandhi ne participa ainsi pas aux festivités, et les communistes, qui s’étaient opposés au gandhisme comme idéologie passive et soumise aux féodaux indiens, aux capitalistes indiens liés aux Britanniques, se retrouvaient sur la même position. La division des peuples apparaissaient comme une catastrophe.

    En 1947, toutefois, le processus était déjà avancé ; Mohandas Karamchand Gandhi lui-même accepta de reconnaître le Pakistan afin d’éviter un bain de sang qui eut lieu de toute manière, sans doute de moindre ampleur cependant que ça l’aurait été dans le cadre d’une guerre de religion généralisée.

    (wikipédia)

    12,5 millions de personnes se déplacèrent pour rejoindre l’Inde ou le Pakistan, et le nombre de morts fut immense, et très difficile à évaluer, sans doute autour d’un million, à quoi il faut ajouter les viols en masse.

    Voici comment Mikhail Alexeïev présente les grands traits politiques de la partition dans sa présentation de la situation pour Bolchevik, la revue théorique du Parti Communiste d’Union Soviétique (Bolchevik), en juin 1948.

    « La haine envers les esclavagistes britanniques atteignit son paroxysme.

    Elle se manifesta par des manifestations massives à Calcutta et à Bombay à l’automne 1945, par une multiplication des grèves (près de deux millions de travailleurs y participèrent en 1946) et par le mécontentement au sein de l’armée et de la marine.

    La mutinerie des matelots de la Royal Indian Navy, qui éclata en février 1946, fut soutenue par de puissantes grèves de solidarité, auxquelles participèrent plus de 300 000 ouvriers, par des grèves dans l’armée de l’air et par des « mutineries » dans diverses unités de l’armée (à Jubbulpore et Dehra Dun). Au Bengale, au Bihar et dans plusieurs États du sud de l’Inde, le mouvement paysan contre les propriétaires fonciers prit une large ampleur (…).

    Déjà durant la période de lutte de libération nationale qui a suivi la Première Guerre mondiale, la grande bourgeoisie et les propriétaires fonciers indiens, alarmés par la montée du mouvement ouvrier et le développement de la révolution paysanne, avaient conclu un accord avec l’impérialisme britannique et trahi les intérêts de leur propre pays.

    Staline soulignait en 1925 : « Dans les conditions d’existence de colonies comme l’Inde, la nouveauté fondamentale réside non seulement dans la scission de la bourgeoisie nationale entre partis révolutionnaire et conciliateur, mais surtout dans le fait que la partie conciliatrice de la bourgeoisie a déjà trouvé un accord avec l’impérialisme sur les questions principales.

    Plus effrayée par la révolution que par l’impérialisme, plus soucieuse de ses richesses que des intérêts de son propre pays, cette partie de la bourgeoisie, la plus riche et la plus influente, a complètement rejoint le camp des ennemis irréconciliables de la révolution, en formant un bloc avec l’impérialisme contre les ouvriers et les paysans de son propre pays.» (Marxisme et question coloniale nationale, page 209, édition russe de 1939).

    Aujourd’hui, après la Seconde Guerre mondiale, la grande bourgeoisie indienne recourt à de nouvelles manœuvres face à la recrudescence de la lutte de libération nationale.

    Spéculant sur le mouvement anti-impérialiste des masses, elle tente de négocier avec les cercles dirigeants britanniques un certain nombre de concessions.

    Ils ne souhaitent pas une véritable indépendance du pays, craignant une révolution anti-impérialiste.

    Parallèlement, la grande bourgeoisie met tout en œuvre pour maintenir le mouvement de masse sous son influence et empêcher la classe ouvrière de le diriger.

    En recourant largement à la démagogie anti-impérialiste et sociale, elle appelle les masses à suivre le Congrès national indien et ses dirigeants – Gandhi et Nehru.

    Les cercles dirigeants britanniques, qui tentaient autrefois de présenter la lutte indienne comme un mouvement orchestré par une poignée d’agitateurs et d’instigateurs, peu enracinés dans la population, furent contraints d’admettre, comme le montrent les discours de plusieurs ministres du Travail en 1946, que le mouvement avait pris un caractère de masse et menaçait de balayer la domination britannique.

    Afin d’empêcher l’effondrement de leur domination en Inde, les colons britanniques décidèrent, d’une part, de faire quelques concessions à la grande bourgeoisie indienne et, d’autre part, d’intensifier leur politique traditionnelle de division du mouvement de libération nationale sur des bases religieuses et communautaires, en dressant hindous et musulmans les uns contre les autres.

    En mars 1946, une mission politique composée de trois ministres britanniques, dirigée par Pethick Lawrence, secrétaire d’État pour l’Inde, fut envoyée en Inde.

    La mission élabora un plan pour la forme de gouvernement de l’Inde, qui prévoyait sa partition en États hindou et musulman.

    L’impérialisme britannique comptait maintenir sa position en Inde en opposant ces États les uns aux autres et en s’appuyant sur les princes féodaux indiens.

    Cependant, à l’été 1946, les cercles dirigeants britanniques ne parvinrent pas à trouver un compromis avec la bourgeoisie indienne sur la base du plan de Pethick Lawrence.

    Le Congrès national indien, dont la direction représentait la grande bourgeoisie indienne, mais bénéficiait alors d’une large adhésion, s’opposa à la division du pays sur des bases religieuses et communautaires et exigea une déclaration d’indépendance complète de l’Inde.

    Le Congrès national accepta le plan de Pethick Lawrence uniquement comme base d’examen ultérieur par l’Assemblée constituante. La Ligue musulmane accepta ce plan, mais ne put compter que sur le soutien d’une minorité de la population.

    Mais, manœuvrant habilement, les cercles dirigeants britanniques tentèrent d’aggraver les divergences entre le Congrès et la Ligue et, en incitant à des émeutes hindoues-musulmanes, d’accroître la pression sur les dirigeants bourgeois du Congrès.

    En juin 1946, la Ligue musulmane déclara qu’elle boycotterait la convocation de l’Assemblée constituante pan-indienne et lancerait une lutte pour la formation de l’État musulman indépendant du Pakistan.

    Lord Wavell, vice-roi, demanda alors à Jawaharlal Nehru, président du Congrès national, de former un cabinet, réservant cinq sièges aux représentants de la Ligue.

    Le Congrès national accepta cette fois la proposition du vice-roi et Nehru forma un gouvernement provincial.

    La formation du gouvernement provincial, dirigé par Nehru, servit de prétexte à la Ligue musulmane pour lancer une campagne en faveur de la création d’un État musulman indépendant.

    Le 16 août 1946 fut déclaré journée de lutte pour le Pakistan. Ce jour-là, des conflits sanglants éclatèrent entre hindous et musulmans à Calcutta, au Bengale, puis au Bihar, où ils dégénérèrent en véritable massacre.

    Des bandes d’agents secrets de la police britannique tentèrent par tous les moyens de provoquer des pogroms dans toute l’Inde. La politique britannique de dresser les musulmans contre les hindous porta ses fruits.

    Le front anti-impérialiste unique des hindous et des musulmans fut brisé.

    Mais la fin de l’année 1946 fut marquée par une nouvelle poussée du mouvement ouvrier en Inde. La vague de grèves s’étendit à presque tous les secteurs de l’industrie indienne.

    Non seulement les ouvriers, mais aussi les fonctionnaires et les enseignants se mirent en grève. La grève des employés des Postes et Télégraphes et des Cheminots, en particulier, fut marquée par la ténacité et l’organisation.

    C’est à cette époque qu’un mouvement démocratique de masse s’éleva contre le régime des Princes des différents États.

    Les paysans se soulevèrent contre l’exploitation et l’oppression des propriétaires fonciers féodaux. Dans les États de Travancore et d’Hyderabad, ce mouvement se transforma en soulèvements paysans.

    L’Inde était à la veille d’une révolution nationale anti-impérialiste. Non seulement la domination britannique en Inde, mais aussi les intérêts de classe de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers indiens étaient menacés.

    La peur de la classe ouvrière, l’exploit de la paysannerie, poussèrent la grande bourgeoisie indienne à conclure un nouveau pacte avec les colons britanniques. Cette situation fut également habilement exploitée par le gouvernement travailliste.

    Le 20 février 1947, le Premier ministre britannique, Attlee, fit une déclaration à la Chambre des communes sur la politique indienne du gouvernement. Voici en substance le contenu de cette déclaration.

    1. Le gouvernement britannique transférera le pouvoir aux Indiens au plus tard en juin 1948.

    2. Le pouvoir ne sera transféré au gouvernement central de l’Inde que s’il est reconnu par tous les principaux groupes politiques du pays. En l’absence d’un tel gouvernement en Inde, il sera transmis aux gouvernements provinciaux ou aux gouvernements des groupes de provinces qui seront constitués d’ici là.

    3. Le vice-roi Wavell a été rappelé et Lord Mountbatten a été nommé pour le remplacer.

    Appuyant ces propositions, Stafford Cripps et Alexander ont déclaré que si la Grande-Bretagne refusait volontairement de transférer le pouvoir aux Indiens, une révolution éclaterait en Inde.

    Cripps a déclaré que la Grande-Bretagne pourrait tenir l’Inde par la force pendant plusieurs années encore, mais qu’il serait nécessaire pour cela d’augmenter considérablement les contingents de forces britanniques sur place, ce qui constituerait un fardeau insupportable pour la Grande-Bretagne.

    Suivant les calculs des dirigeants du Parti travailliste, l’incitation des Britanniques à « quitter » l’Inde était de fournir à la Grande-Bretagne la possibilité de maintenir son autorité en Inde.

    Les nouvelles propositions britanniques envisageaient clairement la division de l’Inde en transférant le pouvoir non pas au gouvernement central, mais aux gouvernements des différentes provinces ou de leurs groupes.

    Néanmoins, les plus hautes instances du Congrès national indien accueillaient favorablement ce nouveau plan et trahissaient ouvertement les intérêts nationaux de l’Inde.

    La direction du Congrès national, qui reflétait les intérêts de la grande bourgeoisie indienne, accepta un compromis avec l’impérialisme britannique sur la base d’un partage de l’Inde selon des critères religieux.

    Cette fois encore, comme cela s’était produit à plusieurs reprises auparavant, l’impérialisme britannique conserva l’Inde en faisant des concessions aux classes possédantes indiennes, concessions qui contribuaient également à leur nouvelle trahison des intérêts de leur pays.

    La Ligue musulmane, qui représentait les intérêts des propriétaires fonciers musulmans et de la bourgeoisie commerciale compradore, soutint pleinement la politique du gouvernement britannique.

    Craignant une révolution paysanne, les dirigeants de la Ligue musulmane, en plein accord avec l’impérialisme britannique, prônèrent la partition de l’Inde et le maintien de la domination britannique.

    Ils réclamèrent la création d’un État musulman, attisant ainsi l’animosité religieuse entre hindous et musulmans.

    Le 3 juin 1947, un nouveau plan britannique de division de l’Inde, connu sous le nom de Plan Mountbatten, fut publié.

    Fruit d’un accord entre le gouvernement britannique, la [grande] bourgeoisie indienne et les propriétaires fonciers musulmans, ce plan comprenait essentiellement les propositions suivantes :

    1. L’Inde serait divisée en deux dominions : l’Hindoustan pour les hindous et le Pakistan pour les musulmans ;

    2. Afin de définir les frontières des dominions, les mesures suivantes seraient prises à titre provisoire :

    a) la question de la division des provinces du Pendjab et du Bengale serait tranchée ;

    b) un référendum sur l’annexion de la province de la Frontière du Nord-Ouest à l’Inde ou au Pakistan serait organisé ;

    c) un référendum similaire serait organisé dans le district de Sylhet, dans la province d’Assam ;

    d) le conseil législatif provincial du Sind déciderait du rattachement de cette province au Pakistan ou à l’Hindoustan.

    3. Par la suite, les assemblées constituantes seront convoquées et les gouvernements des deux dominions seront formés.

    4. Les États pourront rejoindre n’importe lequel des dominions nouvellement formés.

    La Ligue musulmane et le Congrès national acceptèrent ces propositions et appelèrent la population à collaborer avec les autorités britanniques pour mettre en œuvre le plan Mountbatten.

    Le 15 août 1947, la loi de partage de l’Inde entra en vigueur et, à la place de l’Inde unie, deux « Dominions » furent créés : l’Hindoustan, qui adopta par la suite le nom d’« Union indienne » ou simplement de « Dominion de l’Inde », et le Pakistan.

    Le pays fut alors divisé en deux parties selon des principes religieux et communautaires. Ni la composition nationale de la population, ni les liens économiques, ni même l’intégrité territoriale ne furent pris en compte.

    La partition de l’Inde n’a résolu aucun problème, y compris celui des hindous et des musulmans. Au contraire, elle a exacerbé les divergences religieuses, notamment en lien avec la partition de la province du Pendjab, et a favorisé l’exacerbation de conflits sanglants entre hindous, sikhs et musulmans.

    Des millions de réfugiés se sont précipités d’un territoire à l’autre. Les Hindous et les Sikhs ont fui vers l’Hindoustan et les musulmans vers le Pakistan.

    Des villages entiers ont été dépeuplés, les récoltes n’ont pas été faites, les champs n’ont pas été ensemencés.

    Dans l’Hindoustan, les organisations hindoues réactionnaires – l’Hindou Mahasabha et le Rashtria Swayam Sevak Sangh, ainsi que le Parti Sikh Akali – ont intensifié leurs massacres ; au Pakistan, les gardes nationaux ont été organisés par la Ligue musulmane.

    Ces bandes armées, organisées selon des principes fascistes et inondées d’agents de la police secrète britannique, organisèrent le massacre des musulmans dans l’Hindoustan, ainsi que des hindous et des sikhs au Pakistan.

    Les affrontements fratricides dans l’Hindoustan et au Pakistan furent bénéfiques à l’impérialisme britannique et à ses agents.

    La partition de l’Inde fut effectuée dans le but de maintenir la domination politique et économique de l’impérialisme britannique dans le pays divisé en plusieurs parties.

    Les dominions nouvellement formés sont des États extrêmement artificiels, tant du point de vue de leur économie que de la composition nationale de leur population. La population du Pakistan totalise environ 70 millions d’habitants. Toutes les provinces du Pakistan sont des régions agricoles arriérées.

    Sur son territoire, on ne compte que 10 % de l’industrie, y compris l’industrie minière, puisque 90 % des mines sont concentrées sur le territoire de l’Hindoustan. Il n’existe aucun grand centre industriel au Pakistan.

    Le Pakistan est un pays à l’économie coloniale typique, ce qui facilite la tâche de l’impérialisme anglo-américain qui veut faire du Pakistan son appendice agraire. Le Pakistan est composé de deux parties séparées l’une de l’autre.

    À l’ouest, les différentes provinces pakistanaises sont reliées économiquement entre elles : elles disposent d’un réseau ferroviaire commun et d’un accès maritime commun par le port de Karachi.

    En revanche, il n’existe aucune connexion économique entre les parties occidentale et orientale du Pakistan. Le Bengale oriental est séparé des autres provinces du Pakistan par une distance de 1 300 kilomètres. De plus, la composition nationale du Pakistan n’est pas homogène.

    L’Union indienne est devenue un pays relativement plus industrialisé que l’Inde avant sa partition. Près de 90 % de l’ensemble de l’industrie, y compris l’exploitation minière, subsiste sur son territoire.

    Pourtant, l’économie de l’Union indienne est également une économie coloniale typique. Le principal secteur industriel est le textile.

    La métallurgie s’est peu développée, tandis que la construction mécanique est quasi inexistante.

    Arrachée aux grandes régions agricoles qui ont été rattachées au Pakistan, l’Union indienne connaîtra sans aucun doute une grave pénurie de matières premières et de produits alimentaires.

    L’Union indienne reste plus multinationale que le Pakistan. La population totale de l’Union indienne est d’environ 300 millions d’habitants, sans compter la population de l’État d’Hyderabad (16 millions).

    La partition de l’Inde a été menée par le gouvernement travailliste, plus souple et plus à même de recourir à la démagogie sociale et nationale que le précédent gouvernement conservateur.

    Cette manœuvre fut plus facile pour le Parti travailliste, car les dirigeants du Congrès national indien avaient toujours entretenu un certain accord avec lui et étaient plus disposés à accepter un compromis avec le gouvernement travailliste.

    Il est caractéristique que le Parti conservateur ait soutenu le plan de partition de l’Inde proposé par le gouvernement travailliste.

    Cela témoigne du fait que ce plan est un plan impérialiste britannique dans son ensemble et correspond à ses intérêts et à ses calculs.

    Ce n’est pas sans raison que, lors du débat sur le projet de loi à la Chambre des communes et à la Chambre des lords britanniques, les dirigeants du Parti conservateur ont salué le plan du gouvernement comme un plan venant au secours de l’impérialisme britannique, et le gouvernement travailliste comme le fidèle défenseur des intérêts de l’Empire britannique.

    Après avoir divisé l’Inde et conféré à l’Hindoustan et au Pakistan le « titre de dominion », l’impérialisme britannique a ainsi maintenu sa domination coloniale sur l’Inde.

    Le capital britannique occupe, comme par le passé, une position dominante dans l’économie de l’Hindoustan et du Pakistan. Le système bancaire est un puissant levier de l’exploitation coloniale de l’Inde.

    Toutes les grandes banques indiennes, à l’exception de deux, sont gérées par des monopoleurs britanniques. Elles détiennent ainsi les plus gros capitaux qu’elles peuvent investir dans l’industrie, les chemins de fer, les ports, etc.

    L’industrie indienne dépend entièrement des banquiers britanniques. Plus de la moitié de l’industrie du jute et du thé de l’Hindoustan, un tiers de l’industrie sidérurgique, la totalité de la production minière, les plantations de caoutchouc, etc. appartiennent au capital britannique.

    L’un des leviers de la domination coloniale britannique en Inde est constitué par les sociétés par actions anglo-indiennes.

    Grâce à ces sociétés, qui occupent une place importante dans le commerce et l’industrie, les intérêts des capitalistes indiens sont étroitement liées à celles des capitalistes britanniques, le rôle dominant revenant bien sûr à ces derniers (…).

    Aucun changement fondamental n’a eu lieu dans la structure interne du Pakistan et de l’Union indienne.

    Au Pakistan, où les propriétaires terriens sont au pouvoir, tous les États ont conservé pleinement leur structure politique féodale.

    Le gouvernement pakistanais a déclaré considérer les États comme des gouvernements souverains et ne pas s’ingérer dans leurs affaires intérieures.

    Même dans l’Union indienne, où la bourgeoisie est au pouvoir et où le gouvernement est dirigé par les dirigeants du Congrès national, qui s’étaient autrefois prononcés contre le régime féodal arbitraire, les princes ont conservé leur pouvoir (…).

    Dans l’Union indienne comme au Pakistan, les inégalités nationales sont prédominantes.

    L’hindi et l’anglais ont été déclarés langues d’État de l’Union indienne. Les langues de la plupart des peuples de l’Inde ont été reléguées au second plan.

    Au Pakistan, le gouvernement a déclaré l’ourdou langue d’État, bien que plus de la moitié de la population ne la connaisse pas. »

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • Muhammad Ali Jinnah et le Pakistan

    Il est intéressant de jeter un regard sur l’arrière-plan social de Muhammad Ali Jinnah pour comprendre son choix tactique puis stratégique de la rupture.

    Si la famille de Mohamed Iqbal, d’un milieu humble, était devenue musulmane depuis de nombreuses générations, la famille (aisée) de Muhammad Ali Jinnah était musulmane depuis trois générations seulement, et alignée sur l’Islam chiite ismaélien.

    Muhammad Ali Jinnah devint un chiite traditionnel et après sa mort des proches dirent qu’il était devenu sunnite. C’est obscur, mais révélateur : l’Islam est ici une identité, une tradition, avant toute chose.

    Muhammad Ali Jinnah

    Mohamed Iqbal et Muhammad Ali Jinnah avaient étudié en Angleterre, devenant des avocats, mais le second s’est orienté vers un style de vie largement occidentalisé, avec une très grande réputation pour ses costumes impeccables, et lui-même ne parlait pas ourdou, tandis que Mohamed Iqbal maîtrisait en poète tant le persan que l’ourdou.

    Cela n’empêchait pas Mohamed Iqbal de souligner l’identité musulmane, sans pour autant vouloir une séparation hindoue-musulman : son raisonnement s’appuyait sur une vision poétique de l’identité religieuse et c’est pour cette raison qu’il a pu écrire un poème en ourdou comme Sare Jahan se Accha Hindustan hamara (Mieux que le monde entier est notre Hindoustan).

    Mohamed Iqbal avait compris le rôle historique de l’Islam en Inde ; il en faisait un fétiche, mais il avait une lecture culturelle. Muhammad Ali Jinnah jetait quant à lui un regard politique et s’il avait initialement un positionnement similaire, sa démarche était pragmatique.

    C’est la raison pour laquelle il développa un discours toujours plus agressif contre le Congrès national indien et son projet d’Inde centralisée, chose qui se ferait selon lui inévitablement aux dépens de la minorité musulmane.

    Cela alla toujours plus loin et Muhammad Ali Jinnah devint la figure tutélaire de l’appel à un pays musulman rompant avec l’Inde.

    Muhammad Ali Jinnah en 1938

    Ce choix fut effectué par la Ligue musulmane à Lahore en 1940, avec la revendication d’États indépendants qui seraient « autonomes et souverains », ce qui peut sembler contradictoire car l’autonomie ne peut qu’exister dans un cadre fédéral, ce qui s’oppose au principe de souveraineté.

    Cependant, lors d’une adresse à la Ligue musulmane à cette occasion, Muhammad Ali Jinnah fut très clair sur le plan de la signification de la rupture :

    « Un journal d’importance comme le London Times, commentant le Government of India Act de 1935, a écrit que « sans nul doute, la différence entre les hindous et les musulmans n’est pas religieuse au sens strict, mais également de nature juridique et culturelle, ce qui fait qu’on peut dire de fait qu’ils représentent deux civilisations entièrement distinctes et séparées. Néanmoins, au cours du temps, les superstitions s’épuiseront et l’Inde se façonnera en une seule nation. » (…)

    C’est certainement un dédain flagrant de l’histoire récente du sous-continent indien, tout comme de la conception islamique fondamentale de la société vis-à-vis de l’hindouisme, que de les caractériser de pures « superstitions ».

    Malgré mille ans de contact proche, les nationalités divergent aujourd’hui plus que jamais, on ne peut pas attendre qu’à un moment elles se transforment en une seule nation purement et simplement en les soumettant à une constitution démocratique et en les maintenant par la force ensemble, avec les méthodes non naturelles et artificielles des statuts parlementaires britanniques (…).

    Il est extrêmement difficile d’apprécier pourquoi nos amis hindous ne parviennent pas à comprendre la nature réelle de l’islam et de l’hindouisme.

    Ce ne sont pas des religions au sens strict du mot, mais, en fait, des ordres sociaux différents et distincts, et l’idée que les hindous et les musulmans puissent jamais parvenir à une nation commune est un songe, et cette erreur d’une nation indienne unique est allé au-delà des bornes, et mènera l’Inde à sa destruction si nous échouons à corriger nos idées à temps.

    Les hindous et les musulmans appartiennent à deux philosophies religieuses, des pratiques sociales et des littératures différentes.

    Ils ne se marient pas ensemble, ni ne mangent ensemble et, en effet, ils appartiennent à deux civilisations différentes qui sont principalement fondées sur des idées et des conceptions différentes.

    Il est assez clair que les hindous et les musulmans puisent leur inspiration de sources historiques différentes. Ils ont des épopées différentes, des héros différents, et différentes périodes historiques [essentielles]. Très souvent, le héros de l’un est l’antagoniste de l’autre, et de la même manière, leurs victoires et leurs défaites se correspondent.

    Assujettir ensemble deux telles nations sous un seul État, l’une en tant que minorité numérique et l’autre comme majorité, ne manquera pas de mener à un mécontentement grandissant et à la destruction finale de toute structure qui pourrait avoir été conçue pour le gouvernement d’un tel État. »

    Muhammad Ali Jinnah considère ici comme un fait acquis la théorie des deux nations, que lui-même rejetait pourtant encore quelque temps auparavant.

    Muhammad Ali Jinnah en 1943

    Et à partir de 1940, le concept de Pakistan qui avait désormais sa base fut diffusée massivement par la Ligue musulmane désormais entièrement sous le contrôle de Muhammad Ali Jinnah, qui était désormais le QuaideAzam (le grand dirigeant).

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  • Muhammad Ali Jinnah et la faiblesse de la Ligue musulmane

    Muhammad Ali Jinnah était initialement favorable à une jonction des efforts hindous et musulmans, dans le prolongement du pacte de Lucknow initié en 1916. Il ne participa toutefois qu’à deux des trois conférences ayant respectivement lieu en 1930, 1931 et 1932, décidant alors de passer plusieurs années en Angleterre.

    Muhammad Ali Jinnah en 1910

    Cette décision ne doit pas surprendre, l’élite musulmane ayant fait le choix de soutenir le Raj, la Grande-Bretagne se montrait particulièrement bienveillante.

    De 1924 à 1936 à part en 1933, tous les présidents de la Ligue musulmane ont été nommés chevaliers (Sir Reza Ali en 1924, Muhammad Ali Jinnah en 1925 mais il refusera, Sir Abdur Rahim en 1926, Sir Mohammad Yakub et Sir Muhammad Shafi en 1927, Sir Ali Muhammad Khan en 1928, Sir Mohamed Iqbal en 1930, Sir Zafarullah Khan en 1931, Mian Abdul Aziz et Khan Bahadur Hafiz Hidayat Hussain en 1933, Sir Wazir Hasan en 1936).

    Toutefois, le Government of India Act de 1935, qui marquait l’établissement d’une certaine autonomie et d’élections directes, fit que Muhammad Ali Jinnah revint en Inde, reprenant les commandes d’une Ligue musulmane qui s’était assoupi et n’avait plus tenu de congrès depuis 1933, alors que deux factions se faisaient face.

    Face au processus d’indépendance qui s’enclenchait, l’élite musulmane ne pouvait pas rester passive et devait se poser comme une sorte d’équivalent pour la population musulmane du Congrès national indien, comme au moment du pacte de Lucknow en 1916.

    Ce fut toutefois un échec électoral relatif lors des élections de 1937 : la Ligue musulmane obtint 40 des 119 sièges réservés aux musulmans au Bengale, 2 de 86 au Pendjab, aucune au Sind et dans la province du nord-ouest en raison de l’absence de candidats.

    Les résultats furent meilleurs par contre dans les régions où les musulmans étaient minoritaires : 29 de 39 en Uttar Pradesh, 20 de 29 à Mumbai, 11 de 28 à Madras.

    Au total, cela fit que la Ligue musulmane obtint 109 sièges des 482 destinés aux musulmans, alors que le Congrès national indien avait 707 sièges en tout, dont 25 des sièges réservés aux musulmans.

    Les féodaux musulmans ne parvenaient pas à avoir une prise sur la situation et il leur était absolument nécessaire de provoquer une rupture, une cassure, pour apparaître comme la seule solution pour l’ensemble des musulmans.

    Cela provoqua une intense polarisation de leur part, avec notamment trois thèmes conducteurs.

    La première est ce qui fut appelé le « Wardha Scheme », c’est-à-dire la ligne éducative élaborée par la India National Education Conference en octobre 1937 à partir d’un article de Gandhi dans l’hebdomadaire Harijan, le 31 juillet 1937 : il s’agissait d’instaurer une éducation laïque. C’était considéré comme inacceptable pour des tenants de l’Islam.

    Le second reproche portait sur la politique de Vidya Mandir pratiquée dans les provinces contrôlées par le Congrès national indien. Ces « temples de l’éducation » étaient directement calqués sur le système éducatif hindou, le gurukula. Ce ne pouvait qu’être repoussé pour des musulmans cherchant à activer un fondamentalisme.

    Enfin, l’hymne Vande Mataram restait un obstacle identitaire majeur. Cela aurait été reconnaître la majorité hindoue et donc temporiser, remettre en cause la logique de l’Islam exigeant que l’hégémonie lui revienne toujours.

    Cela amena le Congrès national indien à considérer toujours plus la Ligue musulmane comme le jouet de la politique extérieure britannique cherchant à « diviser pour régner », ce qui était objectivement vrai.

    Inversement, la Ligue musulmane considérait que le Congrès national indien tentait de le phagocyter au nom du combat pour l’indépendance, ce qui était vrai également, dans la mesure où l’arrière-plan féodal – hindou l’emportait tendanciellement sur la dimension démocratique.

    L’élite musulmane fit alors bloc autour de Muhammad Ali Jinnah. C’est lui qui allait assumer la revendication d’un « Pakistan », alors que paradoxalement il avait été jusqu’au milieu des années 1930 un partisan de l’unité indienne.

    Mais c’est qu’il représente les intérêts de la féodalité musulmane et celle-ci comptait conserver ses prérogatives coûte que coûte, et là la situation exigeait de la jouer à quitte ou double de leur point de vue. Toutes les combinaisons, y compris menant à des désastres humains, étaient acceptables du moment que la féodalité musulmane restait le socle des zones où il y avait des musulmans.

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  • Choudhry Rahmat Ali et le concept de Pakstan

    L’affirmation en faveur d’une entité musulmane sur un territoire déterminé, théorisée de manière romantique par Mohamed Iqbal, fut par la suite repris par un jeune étudiant, Choudhry Rahmat Ali, qui forma alors le concept de « Pakstan ».

    Étudiant à l’université anglaise de Cambridge, Choudhry Rahmat Ali reprenait directement la conception de Syed Ahmed Khan.

    Choudhry Rahmat Ali publia en janvier 1933 un pamphlet intitulé Now or Never; Are We to Live or Perish Forever (Maintenant ou jamais ; allons-nous vivre ou périr pour toujours).

    Il y proposa l’unification étatique des cinq zones du nord-ouest de l’Inde, en tant que « Pakstan », acronyme des régions concernées : le Pendjab, la North-West Frontier (Afghan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan. Cette unification devait se faire dans un cadre extérieur à l’Inde, de manière explicitement contraire à la ligne de Mohamed Iqbal, qui lui souhaitait maintenir le cadre fédéral.

    Choudhry Rahmat Ali

    Il est à noter la construction intellectuelle choisie : en persan, en ourdou et en pachtoune, pak signifie « pur », alors que le suffixe persan -stan signifie « pays », « terre de ». Le « Pakstan », par la suite le « Pakistan », c’est ainsi « la terre des purs ».

    Choudhry Rahmat Ali proposa le « Pakstan » aux délégués indiens de la troisième des Round Table Conferences organisées par le gouvernement britannique pour discuter du futur de l’Inde avec des délégués indiens.

    Dans sa lettre accompagnant le pamphlet, Choudhry Rahmat Ali expliqua ainsi sa démarche :

    « Je joins à la présente un appel au nom des trente millions de musulmans du Pakistan, qui vivent dans les cinq régions du nord de l’Inde : le Pendjab, la province de la Frontière du Nord-Ouest (Afghanistan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan.

    Cet appel incarne leur demande de reconnaissance de leur statut national, distinct de celui des autres habitants de l’Inde, par l’octroi au Pakstan d’une Constitution fédérale distincte sur des bases religieuses, sociales et historiques. »

    Le pamphlet commençait de la manière suivante :

    « En cette heure solennelle de l’histoire de l’Inde, alors que les hommes d’État britanniques et indiens posent les bases d’une Constitution fédérale pour ce pays, nous vous adressons cet appel, au nom de notre héritage commun, au nom de nos trente millions de frères musulmans qui vivent au PAKSTAN – par lequel nous entendons les cinq unités du nord de l’Inde, à savoir : le Pendjab, la province de la frontière du Nord-Ouest (province afghane), le Cachemire, le Sindh et le Baloutchistan. »

    Le pamphlet attaque ensuite violemment les responsables de la Ligue musulmane pour accepter des discussions sur Inde indépendante et unie, qui se ferait selon lui aux dépens des musulmans.

    « La délégation musulmane indienne à la Table ronde a commis une erreur inexcusable et prodigieuse. Elle s’est soumise, au nom du nationalisme hindou, à la soumission perpétuelle de la nation musulmane malchanceuse.

    Ces dirigeants ont déjà accepté, sans la moindre protestation ni objection et sans la moindre réserve, une Constitution fondée sur le principe d’une Fédération pan-indienne.

    Cela revient, en substance, à signer l’arrêt de mort de l’islam et de son avenir en Inde. Ce faisant, ils se sont abrités derrière le prétendu Mandat de la communauté (…).

    En ce moment critique, alors que cette tragédie se joue, permettez-nous de faire appel à votre compassion et à votre soutien actif pour la revendication d’une Fédération séparée – une question de vie ou de mort pour les musulmans d’Inde – telle que décrite et expliquée ci-dessous.

    L’Inde, telle qu’elle est constituée actuellement, n’est pas le nom d’un seul pays, ni le foyer d’une seule nation. Il s’agit en réalité de la désignation d’un État créé pour la première fois dans l’histoire par les Britanniques.

    Elle comprend des peuples qui n’ont jamais fait partie de l’Inde à aucune période de son histoire, mais qui, depuis l’aube de l’histoire jusqu’à l’avènement des Britanniques, ont possédé et conservé leurs propres nationalités.

    Dans les cinq provinces du nord de l’Inde, sur une population totale d’environ quarante millions d’habitants, nous, les musulmans, représentons environ trente millions.

    Notre religion, notre culture, notre histoire, nos traditions, notre système économique, nos lois sur l’héritage, la succession et le mariage sont fondamentalement différents de ceux des populations du reste de l’Inde.

    Les idéaux qui poussent nos trente millions de frères et sœurs vivant dans ces provinces à consentir aux plus grands sacrifices sont fondamentalement différents de ceux qui inspirent les hindous. Ces différences ne se limitent pas aux grands principes fondamentaux, loin de là.

    Elles s’étendent aux plus infimes détails de nos vies.

    Nous ne dînons pas entre nous ; nous ne nous marions pas entre nous. Nos coutumes nationales, nos calendriers, et même notre alimentation et nos vêtements sont différents (…).

    Nous sommes confrontés à une tragédie de premier ordre, sans précédent dans la longue et mouvementée histoire de l’islam.

    Il ne s’agit pas de la disparition d’une secte ou d’une communauté ; il s’agit du problème suprême qui affecte le destin de l’islam tout entier et des millions d’êtres humains qui, jusqu’à récemment, étaient les gardiens de la gloire de l’islam en Inde et les défenseurs de ses frontières.

    Un avenir encore plus grand s’ouvre à nous, si seulement notre âme pouvait être sauvée de l’esclavage perpétuel forgé dans une Fédération pan-indienne.

    Ne nous y trompons pas. L’enjeu est maintenant ou jamais. Soit nous vivons, soit nous périssons à jamais.

    L’avenir ne nous appartient que si nous vivons fidèlement à notre foi. Il ne repose pas entre les mains des dieux, mais entre nos mains.

    Nous pouvons le construire ou le gâcher. L’histoire du siècle dernier est pleine d’avertissements clairs, et ils sont aussi clairs que ceux qui ont jamais été adressés à une nation.

    Devra-t-on dire de nous que nous avons ignoré tous ces avertissements et laissé notre héritage ancestral périr entre nos mains ?

    Il y aurait donc une prétendue opposition intrinsèque aux non-musulmans en Inde. La séparation est donc catégoriquement nécessaire. C’est Muhammad Ali Jinnah qui va en devenir le porte-drapeau.

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  • Mohamed Iqbal et l’Islam en Inde comme réalisation éthique

    Le mouvement du Khilafat était né du terreau de l’identité musulmane en Inde ; sa nature était à la fois religieuse et sentimentale, il y manquait la dimension intellectuelle : c’est le poète et avocat Mohamed Iqbal (1877-1938) qui l’apportera. C’est lui qui allait donner à la Ligue musulmane sa vision du monde.

    Son rôle historique est immense ; en fait, il préfigure toute une génération de musulmans éduqués à l’occidental et basculant dans une lecture idéale-romantique de l’Islam.

    Désorienté par le poids des transformations historiques, par la dimension et l’ampleur des changements, ce type d’intellectuel devient le partisan de la fuite en avant.

    Somme toute, on est dans ce qu’on appelle historiquement le fascisme, qui idéalise le passé pour appeler à une unité raciale, ethnique, nationale ou religieuse.

    Et les idéologues du FLN algérien ou du Hamas palestinien sont très exactement, au-delà de leurs perspectives divergentes, des intellectuels de ce type. Ce sont des féodaux intellectualisés par le processus colonial.

    Mohamed Iqbal attribuait à l’Islam une importante signification éthique, de dimension universelle, liée à la nature même de l’Islam, de par sa prétention universaliste et son affirmation d’une Umma, la communauté, sans frontières ethniques ni nationales.

    Mohamed Iqbal

    Il formula sa conception dans un ouvrage publié en 1934, intitulé Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam, qui rassemble ses propos tenus lors de conférences en faveur d’un Islam essentiellement spirituel et tenus à Madras, Hyderabad, Aligarh, Londres, de 1928 à 1932.

    Les conférences dont on parle ici ont comme titres, tout à fait représentatifs de la vision du monde de Mohamed Iqbal, « La connaissance et l’expérience religieuse », « Le « test » philosophique des révélations de l’expérience religieuse », « La conception de Dieu et la signification de la prière », « L’ego humain : sa liberté et son immortalité », « L’esprit de la culture musulmane », « Le principe du mouvement dans la structure de l’Islam », « La religion est-elle possible ? ».

    Il s’agit d’une tentative de combiner rationalisme et religiosité la plus profonde, Mohammed Iqbal considérant que le Coran permet justement d’ailleurs la rationalité.

    Si Averroès était matérialiste et rejetait de manière formelle le mysticisme, utilisant dans le Coran ce qui lui était utile pour affirmer la philosophie d’Aristote, Mohamed Iqbal a une lecture associant directement rationalité et mysticisme, au nom du caractère naturaliste du Coran, formulation par Dieu de la nature elle-même de l’univers.

    C’est une « modernisation » de l’idéologie musulmane des forces féodales. Cela amène évidemment Mohamed Iqbal à faire du Coran le point de départ du rationalisme et même sa base :

    « Ce qu’il y a lieu de noter, c’est l’attitude empirique en général du Coran, laquelle engendra chez ses adeptes un sentiment de respect pour les faits et fit d’eux en définitive les fondateurs de la science moderne (…).

    Le Coran, reconnaissant que l’attitude empirique constitue une étape indispensable dans la vie spirituelle de l’humanité, accorde une égale importance à tous les champs de l’expérience humaine, en tant qu’ils offrent une possibilité de connaissance de la Réalité ultime, laquelle révèle ses symboles à la fois au-dedans et au-dehors.

    Une façon indirecte d’établir des relations avec la réalité qui nous confronte consiste en l’observation réfléchie et le contrôle de ses symboles, tels qu’ils se révèlent à la perception sensorielle ; l’autre moyen est de s’associer directement avec cette réalité telle qu’elle se révèle à l’intérieur de nous-mêmes. »

    Ainsi, seul le Coran permettrait à la science d’acquérir une certaine plénitude. Pour cette raison, le maintien de la communauté musulmane en tant que structure est considéré par Mohamed Iqbal comme primordial.

    C’est l’identité même de celle-ci qu’il s’agit de préserver et cela amena Mohamed Iqbal à vouloir considérer comme nécessairement séparée la communauté musulmane.

    Il est historiquement considéré que ce sont les propos tenus par Mohamed Iqbal à Allahabad lors de la 25e conférence de la Ligue musulmane, en décembre 1930, qui inaugurèrent la théorie des deux nations.

    Il y dit notamment les choses suivantes :

    « Ce n’est de fait pas une exagération que de dire que l’Inde est le seul pays dans le monde où l’Islam, comme force construisant le peuple, a fonctionné le mieux.

    En Inde, comme ailleurs, la structure de l’Islam en tant que société est presque entièrement due au travail de l’Islam comme culture inspirée par un idéal éthique spécifique.

    Ce que je veux dire est que la société musulmane, avec sa remarquable homogénéité et son unité intérieure, a grandi jusqu’à être ce qu’elle est, sous la pression des lois et institutions associée à la culture de l’Islam (…).

    Jamais dans l’histoire, l’Islam n’a eu à faire face à une telle épreuve que celle à laquelle il est confronté aujourd’hui (…).

    Les éléments de la société indienne ne sont pas territoriales comme dans les pays européens. L’Inde est un continent de groupes humaines appartenant à différentes races, parlant différentes langues, et ayant différentes religions.

    Leur comportement n’est pas entièrement déterminé par la conscience ethnique [race-consciousness], comme dans les pays européens. Même les hindous ne forment pas un groupe homogène.

    Le principe de la démocratie européenne ne peut pas être appliquée en Inde sans la reconnaissance du fait des groupes communautaires. La revendication des musulmans pour la création d’une Inde musulmane au sein de l’Inde est, pour cette raison, parfaitement justifiée (…).

    Personnellement, j’irai plus loin que les exigences formulées [par la résolution de la conférence de tous les partis musulmans à Delhi].

    J’aimerais voir amalgamés le Penjab, la province frontalière du Nord-Ouest [North-West Frontier Province], le Sindh et le Baloutchistan en un seul État.

    L’auto-gouvernement au sein de l’empire britannique, ou sans l’empire britannique, la formation d’un État musulman indien du Nord-Ouest consolidé, apparaît à mes yeux comme la destinée finale des musulmans, au moins dans l’Inde du Nord-Ouest. »

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  • Le mouvement du Khilafat

    Le phénomène colonialiste n’a pas que ruiné historiquement l’hégémonie musulmane aux Indes, il a également joué un rôle dans d’autres pays marqués par l’Islam.

    Et l’un des facteurs déterminants pour que puisse apparaître la théorie des deux nations a été l’affirmation identitaire musulmane indienne au moment où l’empire ottoman connaissait son processus d’effondrement.

    La branche sunnite de la religion islamique se fonde en effet sur le principe qu’un calife doit diriger politiquement la communauté, prenant le relais du prophète Mahomet.

    La tradition islamique sunnite valorise de manière très importante les « califes bien guidés », c’est-à-dire les quatre premiers califes après Mahomet (al-Khulafā’u r-Rāshidūn). Or, l’empire ottoman a prétendu représenter cette tradition dès sa fondation, le sultan étant en même temps calife.

    Son affaiblissement et son effondrement à la suite de la première guerre mondiale faisaient donc craindre que la religion musulmane n’aurait plus de calife. Par conséquent émergea en Inde le mouvement du « Khilafat », c’est-à-dire du califat, exigeant du gouvernement britannique qu’il préserve l’empire ottoman, au nom de la préservation du califat.

    Pour cette raison, des érudits musulmans, appelés maulanas, intervinrent dans l’opinion publique de leur communauté : Maulana Mohammad Ali Jauhar (1878-1931) publia l’hebdomadaire Comrade et le quotidien Hamdard, Maulana Zafar Ali Khan (1873-1956) lança le quotidien Zamindar et Maulana Sayyid Abul Kalam Ghulam Muhiyuddin Ahmed Azad (1888-1958) l’hebdomadaire Al-Hilal.

    Maulana Mohammad Ali Jauhar

    Il est intéressant de noter ici que ce dernier rejoindra par la suite les initiatives du « Mahatma » Gandhi, devenant un partisan de l’Inde unifié. Mais il est vrai qu’alors, le mouvement du Khilafat ne se posait pas de manière communautaire isolée : Mahatma Gandhi participa en personne à la journée panindienne du khilafat, le 17 octobre 1919.

    Le comité central du mouvement du Khilafat, la ligue musulmane panindienne et le Congrès national indien participèrent d’ailleurs tout à fait officiellement à la campagne. Les émissaires du mouvement rendirent également visite au pape au Vatican.

    Le mouvement du Khilafat s’orientait principalement autour de deux soucis, exprimant une profonde inquiétude autour des valeurs musulmanes considérées comme essentielles sur le plan de l’identité.

    Il s’agissait de préserver les lieux sacrés de toute « souillure » non musulmane, ainsi que de maintenir l’empire ottoman comme force capable de servir à la protection des musulmans à travers le monde et de fait notamment en Inde, où les musulmans consistaient en une communauté minoritaire à l’échelle du pays.

    Des activistes du mouvement du Khilafat

    On est dans un fantasme idéologique, propre au clergé et à certains secteurs des masses qui prennent au pied de la lettre la fiction d’une communauté musulmane unifiée à l’échelle mondiale.

    Pour cette raison même, cela sous-tendait une posture identitaire très forte, qui se cristallisa en effet dans le mouvement de la hijrat, c’est-à-dire de l’émigration vers un pays considéré comme correspondant au statut de daru’l-Islam (maison de l’Islam) et non de daru’l-harab (maison de la guerre).

    Dans l’Islam, en effet, si la juridiction n’est pas musulmane, alors il faut l’imposer militairement. Si c’est impossible, alors il faut émigrer.

    Naturellement, dans les faits, cela se passe bien différemment. Cependant, c’est le principe de base, qui a donné comme on le sait de multiples variantes non-militaires afin de parvenir à ses fins : formation d’îlots piétistes séparés de la société (les salafistes), conquête de positions idéologiques et institutionnelles (les Frères musulmans), etc.

    Maulana Shaukat Ali, grand frère de Maulana Mohammad Ali Jauhar mentionné plus haut (et partisan de Muhammad Ali Jinnah, qui joua un rôle essentiel ici), expliqua dans une conférence en faveur du Khilafat à Patna, en 1920, que :

    « Tous les musulmans qui veulent remplir leurs obligations islamiques doivent quitter l’Inde. Ceux qui ne peuvent pas émigrer immédiatement doivent aider les émigrants. La Charia ne donne pas d’autre alternative que l’émigration.

    L’émigration depuis l’Inde était désirable avant la guerre, maintenant elle est obligatoire. Ne peuvent seulement rester en Inde les musulmans qui sont nécessaires pour mener la lutte ou ont des raisons acceptables contre l’émigration. »

    Dans les faits, cela se concrétisa par une émigration de 25 000 personnes en Afghanistan, le gouvernement de ce pays bloquant finalement le mouvement, qui mobilisa encore 60 000 personnes en Inde.

    Quant au mouvement en faveur du Khilafat, il dut reconnaître sa défaite avec la fondation de la république turque le 29 octobre 1923, dont le parlement abolit le califat le 3 mars 1924.

    Le clergé voyait ses rêves se défaire et l’aristocratie musulmane voyait arriver à grands pas une situation où elle devrait s’effacer devant la majorité hindoue dans le cadre d’une Inde devenant un jour indépendante.

    C’était inenvisageable de par la dimension patriarcale de l’Islam façonné par la conquête de l’Inde. Cela donna naissance à la théorie du « Pakistan ».

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