La célébration de l’univers, la fin des religions

Pourquoi les religions existent-elles encore au début du 21e siècle ? C’est parce qu’en plus de refléter des intérêts de classe, elles forment une réponse civilisationnelle à la crise de la nature humaine. En effet, l’humanité est en crise, depuis son émergence historique « hors de la Nature », comme animal ou ancien animal capable de réflexion avancée et en mesure de transformer la Nature.

Un animal qui n’en est plus un, voilà comment est désormais l’être humain. La sortie de l’animalité par l’espèce humaine est ainsi contradictoire : elle s’est concrètement réalisée, mais en même temps elle est illusoire car les êtres humains restent des animaux. Les religions tentent alors de fournir un cadre général à l’humanité afin de pouvoir se regarder dans le miroir.

C’est la raison pour laquelle Jésus pouvait dire que « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! ». En effet, les personnes ayant un problème intellectuel majeur, étant « simplet » ou « attardé », n’ont pas à jongler entre le bien et le mal comme les êtres humains en général, ou plus exactement avec des situations ressenties comme vraiment « positives » et d’autres vécues comme particulièrement « négatives ».

Ils n’ont donc pas l’angoisse, l’inquiétude qui tourmente l’humanité en général, ce va-et-vient positif et négatif qui bouleverse le vécu. Toute l’Amérique précoloniale célébrait, pour la même raison que Jésus, les personnes ayant un retard intellectuel ou mental, y voyant des êtres en contact avec le divin, avec la bonté, avec le ciel.

Les religions, c’est une tentative de préserver les apparences, de neutraliser l’oscillation entre le « bien » et le « mal ». Les religions, c’est l’obsession de maintenir un cadre à l’humanité, pour s’extraire de la barbarie de la période où l’humanité vivait « sur le tas », avec des institutions sommaires établies à petite échelle.

C’est le paradoxe dialectique : d’un côté, les religions disent que l’humanité est mauvaise, de l’autre c’est par cette capacité non-animale à être mauvais que l’humanité peut être bonne. C’est un message contradictoire qui traverse toute la religion, à l’instar de ce qu’on lit dans le Coran : « En vérité, Nous avons proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes le Dépôt. Ils ont refusé de le porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé ; il est vraiment foncièrement injuste et ignorant. »

Les religions sont une fiction, car elles disent que l’humanité oscille tout le temps entre le bien et le mal, et pourtant c’est vers elle que se tournerait Dieu. En réalité, Dieu est un moyen de « tenir », de poser un certain calme.

C’est en ce sens qu’il est intéressant de regarder le double aspect de ce qui se passe au début du 21e siècle. D’un côté, les religions ne cessent de reculer, s’effaçant devant la vie quotidienne capitaliste qui ne laisse pas d’espace à une telle démarche spirituelle.

De l’autre, les religions ne cessent de s’agiter, multipliant leurs formes, leurs tentatives de jouer autant que possible sur la direction des sociétés. L’hindouisme veut l’hégémonie sur l’Inde, l’Islam sur toute une série de pays, le judaïsme entend contrôler Israël, le bouddhisme cherche à façonner les pays où il est majoritaire, l’évangélisme exige de prendre les commandes morales aux Etats-Unis, le catholicisme romain se veut un profond levier culturel et moral, alors que l’Église orthodoxe marche en tandem avec l’État russe.

Les religions agonisent et en même temps elles visent une expansion, afin de s’ancrer dans la modernité. C’est là lourd de sens, car ce qui se joue, c’est la modification complète de la vision du monde qu’a l’humanité. Les forces productives se sont tellement développées que les religions sont une anomalie, dont l’existence correspond à une humanité du passé. On en sait trop pour que les religions n’aient même la moindre crédibilité. On en sait trop sur le passé de la planète dans le cadre cosmique, sur le passé des animaux avec les dinosaures, sur l’évolution de l’humanité comme espèce…

Et pourtant les religions existent encore. Ce paradoxe implique qu’elles doivent disparaître. En ce début de 21e siècle, alors qu’on en passe le dernier quart, une rupture va se dérouler au sein de l’humanité, avec les religions qui sont remplacées non pas simplement par une lecture « sociale » des choses, mais par une vision matérialiste de la réalité, à la hauteur de l’univers.

C’est le rêve de Spinoza que le 21e siècle va réaliser, avec une humanité reconnaissant la Nature comme système et abandonnant l’hypothèse vaniteuse de « l’Homme dans la nature comme un empire dans un empire ».

La grille d’analyse nécessaire au PMD

Pour transformer un pays par la révolution, il faut une analyse stratégique. Sans stratégie, il n’y a rien ; on peut mener autant d’initiatives tactiques que l’on voudra, cela n’aboutira à rien, car la quantité n’est pas la qualité. Espérer pareillement qu’à force d’initiatives, la quantité se transforme en qualité, est vain, car des initiatives dispersées, sans fil conducteur, ne relèvent pas seulement de la quantité, mais de la qualité individuelle, avec une très mauvaise qualité.

Seule une vision sur le long terme permet de voir ce que veut telle ou telle chose, l’impact que peut avoir telle ou telle initiative. Pour avoir une grille de lecture, il faut envisager les choses en termes de périodes, de développement historique, d’exigences propres à ces périodes et ce développement.

Alors, quand on fait quelque chose, on le calibre en fonction des objectifs, des attentes historiques ; si on constate un phénomène, on évalue s’il est en phase ou non avec les attentes historiques.

Il faut toujours évaluer ce qu’on fait, ce qu’on constate, au moyen d’une analyse des deux lignes : quelle est la ligne rouge, quelle est la ligne noire, où se situe la chose, le phénomène, par rapport à ces lignes.

C’est ainsi de l’opportunisme que de se précipiter dans la moindre exigence revendicative, la moindre grève, la moindre contestation. De toutes manières, la France moderne, celle de 1945 à 2023, a été rempli de contestations, de grèves, de protestations, sans que jamais on aboutisse à une contestation de masse du capitalisme. La gréviculture de fonctionnaires et l’esprit étudiant de révolte n’ont jamais abouti à rien de concret.

Prenons un exemple concret. La France est un pays en décadence. Chez les gens, le niveau scientifique, culturel et sur le plan des idées connaît un effondrement prononcé. Il y a un laisser-aller général, une attitude pleine d’oisiveté car reflétant la situation parasite de la France par rapport au tiers-monde. Les Français veulent conserver leurs acquis, et cela s’arrête là.

Si on porte son attention sur les modalités et l’état d’esprit du mouvement contre la réforme des retraites de 2023, ou bien les Gilets Jaunes auparavant, on voit très bien alors qu’on a affaire à des initiatives réactionnaires visant à simplement conserver le capitalisme français tel quel. Rien ne pouvait en sortir de bon.

Comment faut-il envisager la ligne rouge, alors ? Il faut constater que la France est un pays qui perd des positions sur le marché mondial ; le niveau de vie ne peut pas être maintenu. Il y a déjà une vraie cassure entre une bourgeoisie vivant dans une bulle prononcée de consommation ostentatoire et des larges masses vivant sur le tas, avec la propriété de son habitation comme considération centrale. Cette cassure va s’élargir, produisant mécaniquement de l’aigreur et de la rancoeur.

Ce dernier aspect représente la difficulté morale majeure, puisqu’on est dans l’attitude rétrograde du prolétaire de pays riches. Néanmoins, l’aspect positif qui l’emporte est qu’il est désormais possible d’affirmer la civilisation comme socialiste.

Dans les années 1960, 1980, 2000… la bourgeoisie était encore éduquée, bien élevée, capable de cadrer les choses. Elle disposait du prestige de la tradition, de la continuité morale et civilisationnel. Qui allait faire confiance à des gauchistes ou des syndicalistes pour partir à l’aventure ? Personne, bien entendu.

Désormais, le prolétariat ne fait plus face à un ennemi si solide. Il lui reste toutefois à se transformer lui-même, massivement et profondément, pour s’assumer comme classe dominante.

Les syndicalistes de 2023 ou les Gilets Jaunes convergent-ils avec cette nécessité d’auto-critique du prolétariat, avec l’idée d’une civilisation socialiste ? Pas du tout. Les syndicalistes et les Gilets Jaunes s’alignaient sur l’illusion du capitalisme redistributeur à l’infini, pour peu qu’on puisse « gratter » des acquis.

Comment le PMD doit-il voir les choses ? Il doit partir du principe que le capitalisme français n’est pas statique, qu’il évolue. Il évolue en raison de ses contradictions internes, et il est en rapport également avec la compétition mondiale des puissances, petites et grandes. L’évolution interne, c’est la décadence ; le rapport avec la compétition mondiale, c’est la guerre. La France va à la guerre, elle est obligée pour chercher à maintenir son rang dans les rapports de force mondiaux, et également pour essayer de renforcer ses propres positions.

Au ratatinement interne s’associe donc une tendance à la guerre qui, nécessairement, va provoquer des remous dans la société. On tend alors à une situation révolutionnaire, que Lénine décrit comme suit :

« La loi fondamentale de la révolution, confirmée par toutes les révolutions et notamment par les trois révolutions russes du XX° siècle, la voici : pour que la révolution ait lieu, il ne suffit pas que les masses exploitées et opprimées prennent conscience de l’impossibilité de vivre comme autrefois et réclament des changements.

Pour que la révolution ait lieu, il faut que les exploiteurs ne puissent pas vivre et gouverner comme autrefois. C’est seulement lorsque« ceux d’en bas » ne veulent plusetque « ceux d’en haut » ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, c’est alors seulement que la révolution peut triompher.

Cette vérité s’exprime autrement en ces termes : la révolution est impossible sans une crise nationale (affectant exploités et exploiteurs).

Ainsi donc, pour qu’une révolution ait lieu, il faut: premièrement, obtenir que la majorité des ouvriers (ou, en tout cas, la majorité des ouvriers conscients, réfléchis, politiquement actifs) ait compris parfaitement la nécessité de la révolution et soit prête à mourir pour elle ; il faut ensuite que les classes dirigeantes traversent une crise gouvernementale qui entraîne dans la vie politique jusqu’aux masses les plus retardataires (l’indice de toute révolution véritable est une rapide élévation au décuple, ou même au centuple, du nombre des hommes aptes à la lutte politique, parmi la masse laborieuse et opprimée, jusque-là apathique), qui affaiblit le gouvernement et rend possible pour les révolutionnaires son prompt renversement. »

Le PMD doit, pour chaque chose ou phénomène, se demander non pas simplement une « position de classe », mais en quoi il y a connexion avec le Nouveau ou l’Ancien. En quoi, la chose, le phénomène, contribue-t-il à la décadence, ou au contraire y fait obstacle ? En quoi, la chose, le phénomène, contribue-t-il à la tendance à la guerre, ou au contraire y fait obstacle ?

Puis, vient la question de se placer historiquement : en quoi, la chose, le phénomène, converge-t-il, reflète-t-il à la conscience prolétarienne, à la vision du monde matérialiste dialectique ? Car sans le matérialisme dialectique, il n’y a pas de solidité suffisante.

C’est une analyse des deux lignes tout d’abord, puis de l’alignement avec l’exigence historique de civilisation socialiste ensuite. C’est le moteur du Parti et c’’est pourquoi Mao Zedong dit que se tenir sur une position de classe ne suffit pas en soi. Il faut s’aligner entièrement sur le Parti qui exprime le nouveau dans son caractère historique, complet.

« Nous nous tenons sur les positions du prolétariat et des masses populaires. Pour les membres du Parti communiste, cela implique la nécessité de se tenir sur la position du Parti, de se conformer à l’esprit de parti et à la politique du Parti. »

Le nouveau chasse l’ancien, le Parti porte l’avenir.

La mise en avant du matérialisme dialectique comme reflet de la maturité prolétarienne

Lorsque la bourgeoisie part à la conquête du pouvoir, elle se confronte à l’idéologie de l’ancienne classe dominante matérialisée dans l’Église et la religion catholique. Les Lumières ont été l’aboutissement du conflit idéologique avec la superstructure d’ancien régime, en mettant en avant la figure de l’individu doué de raison et d’un libre-arbitre.

La mise en place du mode de production capitaliste, ou plutôt la consolidation du pouvoir de la bourgeoisie sur toute la société tout au long du XIXe siècle, amène une transformation des valeurs et du style de vie. Karl Marx et Friedrich Engels avaient déjà remarqué cela dans le Manifeste de 1847, disant de la bourgeoisie que :

« Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques.

Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses « supérieurs naturels », elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du « paiement au comptant ».

Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste.

Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce.

En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale.

La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages.

La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent. »

Cette transformation du mode de vie fut bien décrite dans les œuvres d’Honoré de Balzac, avec une portée critique, sur une base romantique d’idéalisation du passé. Marx et Engels ont qualifié de « socialisme féodal » cette idéologie venant justifier le retour un retour à l’ancien régime, et qui se recombinera au XXe siècle dans le fascisme et son idéologie corporatiste.

Toujours est-il que le rôle historique de la bourgeoisie fut celle de la dissolution la plus complète de toutes les normes morales de l’ancien régime.

Dans le cadre de la France, on peut affirmer que la mission historique de la bourgeoisie se déploie sur deux siècles, entre 1789 et 1989.

Entre 1789 et 1917, on a la pleine affirmation de la bourgeoisie face aux couches sociales d’ancien régime dans ses prétentions à diriger la société. Cela passe évidemment par une lutte principalement politique, notamment sur les questions d’ordre institutionnel, scolaire et clérical. C’est l’époque du tâtonnement de la bourgeoisie pour parvenir à former le régime politique le plus apte à affirmer sa domination et sa capacité de direction.

Ainsi en 1875 est actée la forme républicaine du régime, puis dans la foulée ce sera l’école comme institution centrale, l’influence de l’Église étant historiquement mise de côté en 1905 dans la « querelle des inventaires », jusqu’en 1913 où est inscrite dans la loi l’obligation du vote secret dans l’isoloir et par enveloppe, mettant fin à l’hégémonie du tandem curé-notable dans les campagnes.

La Première Guerre mondiale est le point d’aboutissement du processus : il n’y a pas de craquage dans l’édifice politique, la mobilisation pour la guerre est pleine et entière, à tous les niveaux de la société. La bourgeoisie apparaît comme la force dirigeante ayant triomphé entièrement de l’ancienne classe dominante.

Mais cela ne signifie pas que la bourgeoisie ait terminé ses tâches historiques car il lui reste à former et consolider un prolétariat, encore bien trop immature, non au sens pour lui-même mais par rapport aux nécessités d’accumulation du capital.

Il faut bien comprendre que, jusqu’aux années 1920, en France, la population reste encore massivement rurale, avec un océan de producteurs domestiques autosuffisants et une industrie encore éclatée et mise en branle par des travailleurs professionnels aux savoirs hérités de la corporation. De la même manière, jusqu’aux années 1970, subsiste la figure de l’« ouvrier-paysan » dans de nombreuses régions industrielles françaises, tout comme certains foyers ouvriers dans les campagnes les plus isolées n’ont pas de toilettes et d’eau courante.

Ainsi débute au cœur même de la première crise générale du capitalisme, la seconde mission de la bourgeoisie : la transformation de la paysannerie, elle-même formatée par l’ancien régime en un prolétariat n’existant pas dans le capitalisme, mais par l’accumulation du Capital.

Avec le recul historique, on peut donc affirmer sans peine que la France voit se former un prolétariat dans la période 1920-1970, au même moment où le mode de production capitaliste connaît sa première cassure qualitative.

À ce point de vue, on doit affirmer la chose suivante : la première crise générale du capitalisme n’est pas l’espace de la confrontation entre le prolétariat et la bourgeoisie, mais plutôt l’espace d’affirmation de la bourgeoisie sur le prolétariat.

Les prolétariats de chaque pays étaient encore trop immatures pour se poser en protagoniste positif face à une bourgeoisie qui n’était entrée que relativement en décomposition, puisque victorieuse que par un de ses côtés, celui de sa confrontation avec l’ancien régime féodal, encore si prégnant sur l’ensemble du globe.

Il ne faut pas oublier non plus l’émergence des Etats-Unis, vaste pays au capitalisme se déployant sans obstacles, généralisant un mode de vie parfaitement adapté aux besoins capitalistes, sans avoir à se confronter à la situation historique telle qu’elle existe en Europe.

Les expériences socialistes du 20e siècle apparaissent comme la tentative d’un prolétariat naissant de prendre en charge le mouvement historique, universel, d’élévation des forces productives. C’est une contradiction de taille : une force sociale historique encore au stade de sa chrysalide a été amenée à diriger un processus scientifique majeur que fut l’industrialisation.

C’était un processus d’autant plus difficile à diriger par la planification que le prolétariat mûrissait lui-même à l’intérieur du processus. Cette contradiction s’est matérialisée dans les débats sur les modalités du nouvel appareil d’État socialiste et les tâtonnements sur la mise en œuvre de la planification.

Ce n’est qu’après cette période d’établissement économique que le prolétariat de ces pays, 1930-1940 pour l’URSS, 1950-1960 pour la Chine populaire, voit s’ouvrir à lui la pleine compréhension de sa propre vision dirigeante, le matérialisme dialectique.

Mais c’est également à ce tournant que le prolétariat a échoué face au révisionnisme, car la bourgeoisie était encore sur sa lancée, elle n’avait pas totalement réalisée sa seconde tâche, n’étant entrée en décadence que de manière relative.

Si le prolétariat « termine » en des pays arriérés les deux missions de la bourgeoisie, révélant ainsi sa supériorité historique, il est resté au seuil de la réalisation de sa mission propre à lui-même. L’affirmation de l’idéologie socialiste-communiste s’est ainsi cantonné dans l’affirmation du prolétariat comme pôle opposé à la bourgeoisie, illustré par son emblème du marteau de la faucille.

Lorsque le prolétariat vise (et parvient à) la conquête du pouvoir au XXe siècle, c’est avant tout pour orienter les forces productives dans le sens de la pleine satisfaction des besoins de la société. Ce qui est l’objectif, c’est une production quantitative sur la base d’une planification harmonieuse.

C’est le sens du Socialisme que d’en finir avec le paupérisme, mais aussi avec l’individu-roi illustré par le triomphe de l’entrepreneur privé décidant de la vie de travailleurs tout autant que des consommateurs.

Dans cette optique, le prolétariat n’est pas confronté aux conséquences de l’industrialisation capitaliste sur le plan de la société de consommation. La société de consommation, c’est le point d’aboutissement historique du mode de production capitaliste, celui qui ouvre la voie au prolétariat de se saisir lui-même, pour lui-même et avec sa propre mission historique.

La raison est simple : il fallait que l’emprise de la marchandise se soit généralisée à tous les aspects de la vie humaine, et qu’à la subsomption du travailleur se superpose la subsomption du consommateur comme achèvement du mode de production capitaliste.

Ce n’est pas pour rien si Marx commence le Capital par l’analyse de la marchandise et cette affirmation si connue « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une ‘‘immense accumulation de marchandises’’ ».

Prenons une image. Si l’on fait lire « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret » à un ouvrier des années 1920, il en percevra la dimension mais pas avec une telle profondeur que le prolétaire de 2023. L’ouvrier des années 1920 est marginalisé sur le plan de la consommation, il vit de manière restreinte sur ce plan ; il ne connaît pas les marchandises comme le prolétaire de 2023, dont la consommation est partout présente.

Si on fait lire « La journée de travail » à un prolétaire de 2023, il en saisira inversement la substance, mais pas avec une telle intensité que l’ouvrier de 1936. Non pas que le prolétaire de 2023 travaille moins, mais l’implication psychique et psychologique du travail l’empêchent d’avoir la même distance que l’ouvrier par rapport au travail en 1936.

On assiste à l’achèvement de la seconde mission historique de la bourgeoisie avec l’existence d’un prolétariat participant de plain-pied, tout à la fois comme producteur et comme consommateur, au capitalisme.

Dialectiquement, c’est également la consécration de la maturité du prolétariat. On ne peut pas avoir un prolétaire consommateur, donc aliéné, sans avoir un prolétaire subjectivement actif dans des choix de consommation.

La société de consommation correspond à un stade de développement approfondi des forces productives qui, dans son cadre capitaliste, donne lieu à des multitudes de marchés valorisant des tas d’identités subjectives. Cela exige une certaine disposition cognitive en tant que consommateur, mais également un degré d’enrichissement intellectuel en tant que producteur.

En ce sens, la classe ouvrière peut se saisir de la science, non plus simplement comme modalité d’analyse de chaque secteur de la vie (biologie, chimie, neurologie, etc., etc.), mais comme un principe universel qui prend le nom de matérialisme dialectique. Cette compréhension est d’autant plus facilitée par l’héritage de la vaste et longue expérience du 20e siècle.

Jusqu’au développement de la société de consommation, la contradiction entre prolétariat et bourgeoisie posait un cadre qu’on peut dire encore formel. Il y avait les bourgeois d’un côté, les prolétaires de l’autre.

La compréhension du matérialisme dialectique restait encore marquée par des résidus de conceptions « unilatérales » : si ce n’était pas bourgeois, c’était prolétaire, et inversement. Le contenu réel de la bourgeoisie et du prolétariat comme classes s’effaçait devant des considérations restreintes, ce qui a amené le triomphe des tendances économistes, syndicalistes, réformistes.

Même en refusant l’abandon de la cause, c’était réducteur que de considérer qu’il fallait « appliquer » la dialectique dans tel domaine, chaque domaine étant vu de manière séparée, comme s’ils avaient une vie propre sans connexions logiques entre eux dans le tout général.

C’est ce qui fait que, même avec la meilleure volonté du monde, la social-démocratie d’avant 1914, le mouvement communiste de la première moitié du 20e siècle, puis même la Chine populaire de la seconde moitié du 20e siècle, devaient toujours courir derrière, à l’aveugle, les problèmes pour essayer de les résoudre. Il manquait la capacité à une vue globale.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (GRCP) fut justement la compréhension de ce manque de vue globale. Avant la GRCP, le Parti apparaissait comme un centre qui devait se charger de soutenir et d’orienter dans la bonne direction. Avec la GRCP, le Parti est considéré comme le noyau dur irradiant tout le pays de sa démarche. La Chine populaire appela ça la « pensée Mao Zedong », considérant qu’il s’agissait à la fois d’idéologie, d’idéologie appliquée aux conditions concrètes de la Chine, d’un état d’esprit, d’une mentalité.

C’est tout à fait juste et chaque pays a besoin effectivement d’une pensée-guide, synthèse historique de la réalité nationale exposant les contradictions.

Néanmoins, la GRCP ce n’est pas que l’expression du besoin d’une pensée-guide, c’est aussi la considération de l’idéologie comme irradiant tout le pays depuis son noyau dur, le Parti.

Il est évidemment plus facile de comprendre cette vision des choses au 21e siècle qu’en 1966. Dans un pays peu développé, et même dans la seconde partie du 20e siècle en général, on avait tendance à séparer les choses, à considérer que chaque chose existait à part, formant un domaine à part.

Avec le développement des forces productives, il apparaît au contraire immédiatement que tout est lié : il n’est plus possible de faire de l’économie sans mathématiques, de la physique sans de la philosophie, de la géographie sans de la physique, de l’archéologie sans l’astronomie, du droit sans l’histoire, de l’architecture sans l’esthétique, de la mécanique sans l’informatique, du sport sans de la biologie, etc.

Avant, il y avait peu de marchandises et un reflet d’artisanat était encore présent, ou bien on s’imaginait quelques grosses usines pour les biens les plus massifs, tels les automobiles. Désormais, on sait qu’il y a des industries variées, dans différents pays, des concepteurs dans d’autres pays, des vendeurs, des transporteurs, des livreurs, etc.

L’existence même d’internet comme réseau mondial implique les connexions multiples. Naturellement, ce réseau est découpé, séparé par les pays et leurs blocages éventuels, les monopoles s’accaparant son utilisation, le manque d’accès technique dans certains pays du monde encore, etc. Néanmoins, une conscience humaine qui connaît internet est foncièrement différente de celle ne l’ayant pas connu.

Pour résumer, on voit désormais comment tout est relié. Malheureusement, cette élévation du niveau de connaissances se déroule dans le cadre du capitalisme, parallèlement à une généralisation de la consommation. Tout ce qui est intelligence sert la concurrence capitaliste et la systématisation de la marchandisation à tous les niveaux.

Le matérialisme dialectique se pose comme le niveau de compréhension de cette contradiction entre des forces productives développées et une lecture des choses démolie par la société de consommation. Le matérialisme dialectique fait se rejoindre là où le capitalisme divise, et il sépare là où le capitalisme fait artificiellement se rassembler.

Ce qui se joue concrètement, ce n’est pas simplement une nouvelle répartition matérielle au sein de l’humanité, mais le rétablissement de l’être humain comme animal social après un détour commencé avec l’agriculture et l’élevage. La civilisation humaine cesse de vivre « à côté » de la réalité, dans l’illusion de la toute-puissance.

Le Parti Matérialiste Dialectique (PMD) assume de mettre en avant cette thèse essentielle pour le 21e siècle : la lutte de classe prolétarienne ne se situe pas simplement dans un espace-temps humain, mais se déroule dans le cadre du développement cosmologique lui-même.

Dit autrement, la révolution prolétarienne n’est pas simplement la réconciliation de l’Humanité avec elle-même, mais l’unification harmonieuse d’elle-même avec la matière vivante toute entière, avec la planète considérée comme Biosphère. En tant que pôle opposé à la bourgeoisie, le prolétariat porte une révolution sociale mais aussi un saut qualitatif pour l’Humanité tout entière.

Cette conception de la révolution prolétarienne comme vecteur du prolongement-enrichissement de la civilisation avait bien été aperçu par les fondateurs du matérialisme dialectique. C’est la thèse bien connue du communisme comme « fin de la préhistoire » que l’on trouve dans la Préface à la critique de l’économie politique, de 1859 de Marx, Préface rendu célèbre par Staline lui-même qui s’efforça de présenter ce texte comme le classique général du matérialisme dialectique et historique.

Voici ce que Marx écrit :

« Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale, contradictoire non pas dans le sens d’une contradiction individuelle, mais d’une contradiction qui naît des conditions d’existence sociale des individus ; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s’achève donc la préhistoire de la société humaine. »

Historiquement cette thèse a été comprise comme cela de la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme et plus généralement de toute oppression. C’est tout à fait juste, mais dit ainsi c’est la limiter à une seule dimension. Il faut insister sur le fait qu’il est parlé de « préhistoire » et non pas simplement d’« histoire » : il y a une lecture du développement de l’Humanité non pas seulement par et pour elle-même mais dans le cadre de la Matière toute entière, dont l’humanité est une partie seulement.

Pour le comprendre, il faut lire ce passage du Capital où est analysé « le caractère fétiche de la marchandise et son secret » :

« En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature.

La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’œuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social.

Mais cela exige dans la société un ensemble de conditions d’existence matérielle qui ne peuvent être elles-mêmes le produit que d’un long et douloureux développement. »

Le mode de production socialiste, c’est l’humanité qui se saisit elle-même et, se saisissant elle-même, ne peut que saisir sa propre nature d’être vivant agissant dans le grand tout de la matière en mouvement. Dialectiquement, il fallait arriver à cette époque de généralisation de la marchandise pour que la révolution prolétarienne soit un point d’aboutissement pour l’Humanité, celui du passage vers une nouvelle Civilisation permise par la vision du monde matérialiste dialectique.

Du marxisme au matérialisme dialectique

Le marxisme est né avec le mouvement ouvrier ; il consiste en les écrits de Karl Marx et de Friedrich Engels, mais également en leur action politique, avec la première Internationale et la naissance de la social-démocratie allemande.

Ce dont on parle ici, c’est de gens en particulier, dans un pays en particulier, avec des idées en particulier. Et de par la dimension de ces idées de ces gens dans ce pays, c’est l’universel qui a prévalu et dans le monde entier, le marxisme a été reconnu comme juste par le mouvement ouvrier. Comme juste, non pas seulement pour l’Allemagne, mais pour tous les pays.

D’autres idées sont apparues et se sont ajoutées au marxisme, se plaçant en son sein, le développant à travers des obstacles, des difficultés, des conflits. Pareillement des idées développées en Russie et en Chine ont été reconnues ayant une valeur non pas simplement pour ces pays seulement, mais pour tous les pays.

Lénine et Mao ont été des références dans le monde entier.

Pourrait-alors penser que le processus peut continuer comme cela à l’infini, que d’autres peuvent s’ajouter, que le marxisme continuerait ainsi de se développer ?

Bien sûr, mais alors on doit reconnaître que ce n’est plus du marxisme. Le marxisme serait la base encore, mais il y aurait tellement d’ajouts, d’approfondissements, que le marxisme serait méconnaissable. Ce serait le marxisme, mais transformé. Déjà à l’époque de Lénine, le marxisme était transformé de manière profonde par rapport à l’époque de Marx, et c’est pareil avec Mao.

Une discussion intéressante avait eu lieu à ce sujet, dans les années 1990 entre les maoïstes français et des représentants en France du Parti Communiste du Pérou. Ces derniers expliquaient que pour comprendre le marxisme, il fallait d’abord comprendre le maoïsme, car le maoïsme était la forme la plus avancée du marxisme.

Pour les communistes français, cela semblait être le contraire : c’est en comprenant bien le marxisme qu’on arrivait, fort naturellement, au maoïsme. En un sens, les deux ont naturellement raison, car c’est une contradiction. Cependant, si c’est une contradiction, alors elle est productive.

C’est justement en se tournant vers cette nature productive qu’on dépasse les séparations entre marxisme, léninisme, maoïsme et qu’on saisit l’unité de substance, qui permet de voir en quoi il s’agit d’une seule et même chose, et non de trois choses avec lesquelles il faudrait « composer ».

Mao Zedong avait déjà pressenti ce qu’il faut bien appeler la mort du marxisme, mort non pas au sens où il est dépassé, devenu inutile ayant fait son temps, mais au sens où il forme de la matière qui s’est insérée dans quelque chose de plus développé.

Mao Zedong dit avec une profonde justesse et un regard historique d’une vaste ampleur que :

« Le monde est infini. A la fois dans le temps et l’espace, le monde est infini et inépuisable. Au-delà de notre système solaire, il y a de nombreuses étoiles qui, ensemble, forment la Voie Lactée. Au-delà de cette galaxie, il existe de nombreuses autres galaxies.

Considéré globalement l’univers est infini, et considéré étroitement, l’univers est aussi infini.

Non seulement l’atome est divisible, mais c’est aussi le cas du noyau atomique et il peut être divisé à l’infini (…).

Tous les individus et toutes les choses spécifiques ont leurs naissances, leurs développements, et leurs morts.

Chaque personne meurt, parce qu’elle est née. L’être humain doit mourir, et Chang San [NDLR : équivalent de Dupont, Durand, etc.] étant un homme, il doit mourir.

Personne ne peut voir Confucius qui vivait il y a 2000 ans, parce qu’il devait mourir.

L’humanité est née, et par conséquent l’humanité doit aussi mourir. La Terre est née, et ainsi elle doit également mourir.

Toutefois, quand nous disons que l’humanité mourra et que la Terre mourra, c’est différent de ce que disent les chrétiens au sujet de la fin du monde.

Lorsque nous parlons de la mort de l’humanité et de celle de la Terre nous voulons dire que quelque chose de plus avancé que l’humanité viendra la remplacer, et ceci est un stade plus élevé dans le développement des choses.

J’ai dit que le marxisme avait également sa naissance, son développement et sa mort. Cela peut sembler absurde.

Mais comme Marx dit que toutes les choses qui se déroulent ont leur mort, comment cela ne serait-il pas applicable au marxisme lui-même ?

Dire qu’il ne mourra pas, c’est de la métaphysique.

Naturellement, la mort du marxisme signifie que quelque chose de plus élevé que le marxisme viendra le remplacer. »

La mort du marxisme dont parle ici Mao Zedong, c’est la naissance du matérialisme dialectique.

Est-ce que cela veut dire que le matérialisme dialectique lui-même connaîtra la mort, disparaîtra ? C’est évidemment le cas ; le matérialisme dialectique connaîtra le même sort que le marxisme : il s’effacera pour laisser place à une compréhension plus approfondie du monde. Ce sera le matérialisme dialectique ayant connu un saut qualitatif.

Quand cela déroulera-t-il ? Très certainement dans les décennies suivant l’unification de l’humanité et la systématisation du matérialisme dialectique au niveau mondial. Il y aura alors un tel approfondissement, un tel développement de nuances, que des différences apparaîtront et que la loi de la contradiction s’appliquera au matérialisme dialectique lui-même.

Mais on n’en est, bien sûr, pas encore là. Ce dont il s’agit, pour la période donnée, c’est que l’humanité assimile les fondamentaux du matérialisme dialectique et sache les manier dans la pratique, ou plutôt : que le matérialisme dialectique soit porté comme vision du monde par toujours davantage de gens, jusqu’à la généralisation complète à l’échelle de la société.

Le socialisme triomphera lorsque le prolétariat comprendra la contradiction qui le lie et l’oppose à la bourgeoisie, et lorsque la loi de la contradiction sera saisie dans la vie quotidienne, dans l’expérimentation scientifique et les sciences, dans la production industrielle et sa conception, dans les arts et les lettres.

C’est une nouvelle ère où, plus les connexions sont comprises, plus les connexions se développent, le saut qualitatif connaît sa maturité, et se réalise.

L’esprit français et la révolution

La France est un pays qui a son propre parcours historique et la révolution sera nécessairement le fruit de ce parcours spécifique. C’est pour cela qu’il faut maîtriser parfaitement la trajectoire nationale française, l’évolution de la société et des modes de production, cet ensemble posant le cadre où les contradictions s’expriment et mettent en perspective l’avenir comme fruit du passé.

La France est née au 16e siècle, lorsque l’unification réalisée par la monarchie, avec François Ier principalement, permet d’établir un cadre d’ampleur suffisante à la langue française, un territoire profitant d’une homogénéité relative sur le plan de l’unification, une économie commune au moins significativement, une culture assez active pour établir une formation psychique.

Cependant, la France naissante affronte les guerres de religion qui vont la traumatiser, et le maintien de son existence est passée par l’existence d’un appareil d’État centralisé mis en place par les « Politiques ». Ceux-ci mettaient de côté les religions et les luttes de factions ; leur mot d’ordre était le « scepticisme » afin de maintenir un certain rationalisme. Son philosophe fut Montaigne, qui était au premier rang pour épauler Henri IV. Ce dernier changea six fois de religion dans sa vie, la dernière fois afin de devenir roi de France.

Ce scepticisme à prétention rationaliste est l’essence de l’esprit français ; même au 17e siècle, où le rationalisme triomphe en tant que tel avec l’esprit classique, les penseurs et écrivains s’activent à porter un regard sceptique sur la nature humaine et les mœurs, avec l’espoir de les corriger (Molière, Racine, La Fontaine, La Rochefoucauld, La Bruyère, etc.).

Par la suite, les Lumières se poseront surtout comme un scepticisme généralisé de l’idéologie dominante, de la monarchie absolue et du catholicisme ; la démarche reste principalement au niveau du regard critique, de la critique mordante dont Voltaire est le plus grand représentant. S’il a bien existé un matérialisme français (Diderot, d’Holbach, Helvétius, La Mettrie) dont l’Encyclopédie est la somme, il ne s’est jamais élevé à une synthèse et ne s’est jamais généralisé en un système de pensée. Pour cette raison, la révolution française passée, il s’étiola très rapidement.

En France, le protestantisme a donc échoué au 16e siècle, le classicisme du 17e siècle n’a jamais composé de monument théorique et la vision des Lumières du 18e siècle ne s’est jamais non plus établie en système complet. C’est vrai pour le 19e siècle également. Aucun des mouvements le marquant profondément n’aura érigé de doctrine : ni la franc-maçonnerie, ni le royalisme de l’Action française, ni le radicalisme républicain, ni le mouvement ouvrier (qu’il soit socialiste ou syndicaliste).

Le scepticisme reste la substance qu’on retrouve en filigrane dans l’esprit français et si on regarde bien, on peut voir que son pendant est le légitimisme. L’esprit français étant à prétention rationaliste, il considère tant que les choses sont, il y aura moyen de les prolonger d’une manière ou d’une autre. Pour qu’il y ait un engouement nouveau, il faut au préalable qu’une nouvelle légitimité ait pu être instaurée.

Les Lumières n’ont pour cette raison pas été un mouvement de masse en France ; elles ont été un mouvement de conquête de légitimité des idées nouvelles, ouvrant la porte à une transformation du scepticisme français qui est alors passé du scepticisme pour le nouveau, au scepticisme pour l’ancien.

Pareillement, le Front populaire et la Résistance n’ont pas été des mouvements de masse : c’est après leur installation et en raison d’une situation historique « bloquée » que les masses, reconnaissant leur légitimité, se sont précipitées à leur suite.

Cette question de la légitimité explique la défaite complète de Mai-1968 dont l’irruption brutale ne sut pas s’inscrire dans la société française, sauf par François Mitterrand et le long travail de légitimité menée depuis 1945 par la « seconde gauche » ; elle permet également de comprendre le triomphe complet du coup d’État du général de Gaulle en 1958, porté par la légitimité de son action en réponse à la défaite de 1940.

Si la question de la légitimité nouvelle joue toujours un rôle fondamental dans l’établissement d’un nouveau régime, il faut bien en saisir les modalités par rapport à l’esprit français sceptique à prétention rationaliste. C’est un écueil qui ne se contourne pas et qu’il faut affronter comme la grande épreuve pour parvenir à la révolution en France.

Nous avons besoin du Parti matérialiste dialectique

Nous voulons ici exprimer une réflexion qui, à nos yeux, possède une valeur très importante, dans la mesure où elle souligne qu’il faut être inscrit dans son époque, afin d’avoir non pas seulement un sens historique, mais également une signification sur le long terme.

Autrement dit, nous sommes au 21e siècle et celui-ci se transforme à très grande vitesse depuis 2020. Il est donc impossible d’en rester à des manières anciennes de voir les choses. Le nouveau chasse l’ancien, c’est la loi même du mouvement des choses.

Lorsqu’on est porté par un élan historique, l’aspect principal a d’autant plus d’importance et on possède alors vraiment les défauts de ses qualités. C’est ce qui explique que Karl Marx et Friedrich Engels, lorsqu’ils comprennent sur le long terme les modes de production et la dialectique de la Nature sur le très long terme, envisagent le succès des luttes de classe du prolétariat à relativement court terme.

On raisonnait alors en termes d’années, avec une visibilité sur quelques décennies. Cela contraste avec la compréhension des modes de production sur des millénaires et de la dialectique de la Nature sur des centaines de milliers, des millions d’années.

Chez Lénine, c’est également vrai, mais dans une moindre mesure. La fondation de l’Internationale Communiste en 1919 amenait initialement à envisager la victoire de la révolution mondiale en quelques années, puis rapidement il fut raisonné en termes de décennies.

Par contre, les conceptions scientifiques de l’URSS de Staline analysaient déjà les phénomènes sur le très long terme, que ce soit en cosmologie, en histoire, en physique, en chimie, etc. La conception soviétique du voyage spatial, de la conquête de l’espace par l’humanité, élaborée par Constantin Tsiolkovsky ressort de cette lecture au long cours, tout comme la compréhension par Vladimir Vernadsky de la planète Terre comme « Biosphère » façonnée par la vie pendant un temps immense.

Avec Mao Zedong, les choses connurent un saut qualitatif. Il fallait immédiatement raisonner en décennies et cette nouvelle lecture du rapport au temps s’inscrivait dans un approfondissement de la compréhension du rôle des mentalités, de la culture, de la vie quotidienne, des arts et des lettres.

C’est la raison pour laquelle a été développée en Chine la « révolution culturelle » comme accompagnatrice des phases d’intenses transformation. Il a dès le départ été considéré qu’il faudrait plusieurs révolutions culturelles pour avancer historiquement, dans le cadre du socialisme. On a là une lecture sur le très long terme.

Pour résumer :

* chez Karl Marx et Friedrich Engels, la révolution était conçue comme une révolte populaire de masse organisée par une classe ouvrière organisée en Parti (c’est la social-démocratie), avec une victoire à relativement court terme ;

* chez Lénine, la révolution était déclenchée dans chaque pays par un état-major mondial (l’Internationale Communiste) agençant les luttes de classes pour aller à la victoire dans les 5, 10, 15 ans ;

* chez Mao Zedong, l’affrontement entre révolution et contre-révolution continue même après une victoire, amenant à voir les choses en termes de décennies, voire à raisonner en siècles.

Le Parti Communiste de Chine constate la chose suivant dans ses statuts de 1973 :

« La société socialiste s’étend sur une assez longue période historique.

Tout au long de cette période existent les classes, les contradictions de classes et la lutte de classes, de même que la lutte entre la voie socialiste et la voie capitaliste, le danger d’une restauration du capitalisme, ainsi que la menace de subversion et d’agression de la part de l’impérialisme et du social-impérialisme.

Toutes ces contradictions ne peuvent être résolues que grâce à la théorie de la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat et à la pratique guidée par cette théorie.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine est précisément une grande révolution politique que le prolétariat mène, dans les conditions du socialisme, contre la bourgeoisie et toutes les autres classes exploiteuses, en vue de consolider la dictature du prolétariat et de prévenir la restauration du capitalisme.

Une telle révolution devra encore être menée à de nombreuses reprises dans l’avenir. »

Voici un bon résumé de la question des phases historiques, par le Parti Communiste du Pérou, en 1988 :

« Le Président Gonzalo nous dit que les trois moments du processus mondial d’élimination de l’impérialisme et de la réaction de la face de la terre sont :

1° Défense stratégique ;

2° Equilibre stratégique ;

et

3° Offensive stratégique de la révolution mondiale.

Il l’énonce en appliquant à la révolution la loi de la contradiction, car la contradiction existe en toutes choses et toute contradiction a deux aspects en lutte, dans ce cas révolution et contre-révolution.

La défense stratégique de la révolution mondiale, opposée à l’offensive de la contre-révolution, débute en 1871 avec la Commune de Paris et prend fin avec la Seconde Guerre Mondiale.

L’équilibre stratégique se situe autour du triomphe de la révolution chinoise, de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et du développement des puissants mouvements de libération nationale.

Postérieurement, la révolution passe à l’offensive stratégique ; on peut situer ce moment vers les années 80 quand nous distinguons des signes tels que la guerre Iran-Irak, l’Afghanistan, le Nicaragua, le début de la guerre populaire au Pérou, époque qui s’inscrit dans « les prochaines 50 à 100 années ».

A partir de là [c’est-à-dire la victoire sur l’impérialisme au niveau mondial] se développera la contradiction entre le capitalisme et le socialisme dont la solution nous mènera au communisme.

Nous concevons un processus long et non pas court, convaincus que nous arriverons au communisme, même si l’on doit connaître une série de détours et de revers qui se produiront nécessairement.

De plus, ce n’est pas étonnant que nous appliquions les trois moments à la révolution mondiale, car le Président Mao les a appliqués au processus de la guerre populaire prolongée.

Et, en tant que communistes, nous devons penser non seulement au moment présent mais aussi aux longues années à venir. » (La ligne internationale)

Tout cela est indéniablement juste.

Il existe une grande différence de conception entre le marxisme, le léninisme et le maoïsme au sujet du rapport entre le Parti, l’État, l’armée, l’école, les arts.

Karl Marx et Friedrich Engels n’ont pas accordé une place principale à ces thèmes. À leurs yeux, il s’agissait de phénomènes surtout secondaires par rapport à l’aspect principal qu’était la question du mode de production. Le travail énorme à réaliser à ce niveau ne leur a pas permis d’approfondir vraiment les autres thèmes, même s’il faut bien souligner que ces titans s’intéressaient à tout, conformément à l’esprit matérialiste.

La révolution russe d’octobre 1917 a été inversement confrontée à la nécessité d’établir des définitions les plus précises pour le Parti, l’État, l’armée, l’école, les arts. Rien que la définition de l’État a valu à Lénine non seulement de développer celle-ci, mais également de se confronter aux déformations opportunistes, révisionnistes d’une social-démocratie devenue réformiste.

La conception qui en a découlé est la suivante : le Parti est le dirigeant, comme grand accompagnateur. Il joue le rôle de grand frère ou de grande sœur, ou si l’on veut de « commissaire politique ».

L’État, l’armée, l’école, les arts… tout comme la culture en général et les sciences, existent donc en dehors du Parti, mais connaissent des interventions de celui-ci pour fixer les grandes orientations ou procéder à des rectifications, des corrections.

Avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine populaire, cette conception d’une action de l’extérieur est par contre remise en cause. Il a été considéré que tous ces domaines qui formaient des « royaumes indépendants » étaient autant de portes ouvertes à des conceptions hostiles au prolétariat, au socialisme.

Les communistes chinois profitaient également de l’expérience soviétique où les communistes devaient parfois intervenir en catastrophe, afin de rétablir la ligne rouge dans les arts ou les sciences, alors que se propageaient des conceptions capitalistes.

C’est pourquoi en Chine, la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne des années 1970, dans le prolongement de l’expérience des communes populaires des années 1960, a procédé à l’assimilation de l’État, de l’armée, de l’école, des arts, des sciences, de la culture.

Il fallait arrêter de concevoir de manière séparée les structures de l’État, de l’armée, de l’école, des arts, des sciences, de la culture. Il fallait trouver un moyen de relier tout cela : c’est là précisément l’esprit de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne.

Cela voulait dire que le Parti, après avoir procédé à une mise en forme des structures nouvelles à la suite de la révolution, ne pouvait plus se contenter d’un avis extérieur à ces domaines. Il devait porter lui-même tous ces domaines. Son rôle s’élargit.

Le Grande Révolution Culturelle Prolétarienne n’a ainsi pas seulement été une mobilisation populaire pour redresser le Parti face à la menace de trahison interne, mais également et surtout une généralisation de la vision communiste du monde à absolument tous les domaines, dans la considération que tout est lié à tout.

Dans les constitutions de l’URSS et des démocraties populaires (avant la mort de Staline), le Parti Communiste n’apparaît pas : il forme un levier lié à la société dans son ensemble, mais en tant qu’appareil extérieur.

La constitution chinoise de 1975 affirme inversement que :

« Article premier.

La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature du prolétariat, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans.

Article 2.

Le parti communiste chinois est le noyau dirigeant du peuple chinois tout entier. La classe ouvrière exerce sa direction sur l’État par l’intermédiaire de son détachement d’avant-garde, le parti communiste chinois.

Le marxisme, le léninisme, la pensée Mao Zedong constituent le fondement théorique sur lequel notre État guide sa pensée. »

Il est donc établi que le Parti n’est pas là pour « pousser » à la révolution, en utilisant la lutte des classes comme « levier ». Son rôle dirigeant tient à sa dimension d’avant-garde : le Parti porte en lui le nouveau et rejette l’ancien, il ouvre la voie de l’avenir en l’incarnant, car il sait où il faut aller et comment, de par son propre vécu.

Cette dimension d’avant-garde n’est pas seulement politique, elle porte sur tous les domaines, même si naturellement la dimension politique est l’aspect principal, car il s’agit de mener la révolution, afin de pouvoir réaliser les changements, les transformations.

Le Parti de la révolution ne peut pas se disperser sur toutes les questions secondaires, il se focalise sur l’aspect principal : le renversement du mode de production. En même temps, il ne saurait « attendre » que la révolution ait eu lieu pour avoir un point de vue sur par exemple les arts ou l’école, car avoir un point de vue erroné à ce sujet, ou pas d’avis du tout, conduit à l’échec.

On ne peut en effet porter le socialisme, le communisme, si en certains domaines on se laisse emporter par la ligne noire. Tel est le grand enseignement de la révolution culturelle en Chine. La ligne rouge ne doit rien laisser passer et toucher tous les domaines.

Naturellement, cela ne veut pas dire qu’il faille passer au « gradualisme » et s’imaginer qu’il suffirait d’avoir des points de vue justes sur tout au sein du capitalisme pour parvenir à aller de manière « naturelle », évolutionniste, au socialisme. Tel était le point de vue du chef de la social-démocratie, Karl Kautsky, au début du 20e siècle, puis de tous les révisionnistes « révisant » le marxisme.

Mais cela ne veut pas dire pour autant que le Parti soit une simple structure d’accueil de contestataires qui désirent la « révolution » et qui ne portent eux-mêmes aucun contenu révolutionnaire.

La révolution n’est pas une forme, c’est un contenu. Les valeurs révolutionnaires s’incarnent : tel est l’enseignement de la révolution culturelle en Chine.

Bien sûr, les communistes ont toujours porté une grande attention au style de vie, à la morale des membres du Parti.

Néanmoins, il ne s’agit pas seulement d’être correct, mais bien d’être en phase avec l’esprit du changement historique. Comme nous sommes en France, nous pouvons résumer ici facilement cette conception en disant que si pour arriver à 1789 il y avait une séparation entre les Lumières et les forces politiques bourgeoises, la révolution socialiste implique par contre que ce soit le Parti qui porte les nouvelles Lumières.

La société française a totalement changé en 2020, avec l’ouverture de ce que nous considérons comme une crise générale du capitalisme au niveau mondial, où la tendance au repartage militaire du monde devient prédominante.

Partant de là, si on veut affirmer un esprit des « Lumières » du 21e siècle, il faut partir de cette nouvelle séquence dans tout ce qu’on fait, en n’ayant aucun fétichisme pour le passé.

Notre passé politique est le suivant : au début des années 2000 nous avons signé « pour le Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste », puis nous sommes passés à Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste et enfin à Parti Communiste de France (Marxiste-Léniniste-Maoïste).

Cela reflète la tentative qui a été la nôtre de profiter du passé maoïste français des années 1960-1970 pour réaffirmer que l’option du maoïsme était la seule viable. Plus les années ont passé et plus la dimension programmatique, idéologique, culturelle nous est apparue comme essentielle.

Car il ne s’agit pas de se poser comme fraction d’une révolte existante : il n’y a en fait strictement plus rien et tout est à reconstruire. Il faut oser le dire : la première vague de la révolution mondiale, commencée en 1917, a été battue.

Soit on dit qu’il faut la prolonger, la continuer, en rectifiant le tir (ce que nous avons fait avant 2020 grosso modo), soit on dit que l’on est dans une nouvelle époque. Ce n’est pas que le capitalisme a changé, c’est que ses modalités ne sont plus les mêmes ; la réalité des pays elle aussi a changé.

Il ne faut pas se voiler la face non plus : le capitalisme a incroyablement profité de la chute en 1989 du bloc dirigé par le social-impérialisme soviétique, ainsi que de l’intégration de la Chine dans le marché mondial. De 1989 à 2020, le capitalisme a connu une incroyable expansion, rendant impossible toute avancée révolutionnaire réelle. Il suffit de constater le développement massif des forces productives dans le monde entier.

Avec 2020, tout change, l’expansion du capitalisme a rencontré sa limite et désormais tous les pays cherchent à se replacer sur la carte mondiale, au moyen de l’affrontement militaire. On ne peut donc pas simplement re-proposer ou proposer de faire mieux, ou se contenter d’affirmer une simple continuité sur le plan des idées, des valeurs, des conceptions. Il y a la nécessité de passer une étape historique, imposant une rupture.

C’est donc le moment de dire : on a compris le passé, on comprend ce qui se passe, voilà comment on pose la solution aux problèmes.

Le marxisme-léninisme-maoïsme est l’idéologie du prolétariat, il ne peut en être qu’ainsi, mais parler de marxisme-léninisme-maoïsme, c’est politiquement affirmer le 20e siècle et non le 21e. C’est là un problème fondamental pour faire passer un message.

Il est évident que pour les gens au 21e siècle, on ne peut pas avoir l’air de vouloir comme modèles des sociétés du 20e siècle. Sur le fond, les gens ont tort, car ils devraient regarder la substance de ces « modèles » ; en pratique, ils souffrent pourtant déjà à comprendre leur propre époque, alors on ne peut pas s’aventurer à vouloir leur expliquer le 20e siècle de long en large.

C’est d’autant plus vrai que le 20e siècle sera compris justement par le prisme des avancées du 21e siècle. C’est par la compréhension matérialiste dialectique de la France au 21e siècle qu’on comprendra l’URSS et la Chine populaire du 20e siècle, et non pas le contraire.

Ce qui joue ici, c’est notre insistance sur la socialisation. Il ne sert à rien d’être « radical » si c’est pour être hors-sol, tout comme il n’est pas utile d’être présent dans la société française si c’est pour être intégré, désintégré par le capitalisme.

C’est pourquoi nous pensons que « Parti matérialiste dialectique » est en phase avec notre époque et ses attentes, plus que Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste), même si cela revient substantiellement au même.

C’est un pas nécessaire, non pas cosmétique, mais exprimant que le nouveau chasse l’ancien, qu’il faut entièrement assumer le nouveau et ne pas faire un fétichisme de l’ancien. Tel est notre souci de ne pas nous faire piéger par la contre-révolution, qui propose des « balles enrobées de sucre » tels des postes ou des emplois « dorés » ou bien des cultes sectaires sur la base de caricatures d’expériences du passé.

Nous sommes des scientifiques, pas des prédicateurs et autres gourous des réseaux sociaux, et c’est par la science que nous l’emporterons sur le capitalisme, pour arriver au Communisme à travers la guerre populaire et les révolutions culturelles.

Voici quatre idées marquantes pour saisir notre manière de voir les choses.

a) Shein, Ikea, Google, Vinted, Facebook… représentant des socialisations, une expression de collectivisme… mais au sein du capitalisme. La bourgeoisie a été contrainte dans son capitalisme de tendre aux monopoles, avec une dimension mondiale. Cela se signifie une grande maturation vers la fusion de l’humanité dans une seule et même économie, de type socialiste. Cela implique également un renforcement paradoxal du capitalisme et une profonde aliénation.

b) Le prolétariat peut (et va) se saisir plus facilement de la science qu’auparavant grâce aux formidables moyens matériels dont dispose l’humanité désormais. C’est une question de maturité. Mais pour que cette saisie soit opérationnelle, il faut ne pas se disperser, par exemple en jetant un regard trop fort vers le passé, et il faut aussi parvenir à proposer une rupture subjective pour qu’il y ait un décrochage avec les mentalités capitalistes. C’est pourquoi nous nous focalisons en pratique précisément sur la question de la subjectivité révolutionnaire.

c) On a cru trop longtemps que la révolution socialiste était le renversement d’une classe par une autre sous la direction du prolétariat et qu’on arriverait à la fin de l’histoire. La révolution, c’est en réalité le début de l’humanité au niveau du matérialisme dialectique. Et le communisme, bien loin d’être une simple répartition, est ainsi la résolution des contradictions nées de l’affirmation historique de l’humanité, du néolithique : l’enjeu n’est rien d’autre que de trouver notre place en tant qu’espèce, de dépasser le passé pour établir un rapport productif avec la planète comme Biosphère (puis au Cosmos).

d) Le Parti ne se résume pas à un vecteur politique réalisant une proposition stratégique ; il doit être un moteur idéologique et scientifique formant une base dont la portée est justement par-là même politique et culturelle. Il exprime de manière incarnée une conception du monde tout autant qu’il la propose. Il porte en lui la résolution des contradictions historiques manuel/intellectuel, villes/campagnes, théorie/pratique, à travers le passage nécessaire à une forme supérieure de développement.

Guerre populaire jusqu’au Communisme !

Décembre 2023

Constitution de la Chine populaire du 17 janvier 1975

Préambule.

La fondation de la République populaire de Chine a marqué la grande victoire de la révolution de démocratie populaire nouvelle que le peuple chinois après plus d’un siècle de lutte héroïque, a finalement remportée sous la direction du parti communiste de Chine, en renversant par la guerre révolutionnaire populaire la domination réactionnaire de l’impérialisme, du féodalisme et du capitalisme bureaucratique ; et elle a inauguré une période historique nouvelle, celle de la révolution socialiste et de la dictature du prolétariat.

Au cours des vingt et quelques années écoulées, le peuple de toutes les nationalités, poursuivant sa marche triomphale sous la direction du parti communiste de Chine, a remporté de grandes victoires dans la révolution et l’édification socialistes ainsi que dans la Grande Révolution culturelle prolétarienne, et a consolidé et renforcé la dictature du prolétariat.

La société socialiste s’étend sur une assez longue période historique.

Tout au long de cette période existent les classes et la lutte de classes, de même que la lutte entre la voie socialiste et la voie capitaliste, le danger d’une restauration du capitalisme, ainsi que la menace de subversion et d’agression de la part de l’impérialisme et du social-impérialisme.

Toutes ces contradictions ne peuvent être résolues que grâce à la théorie de la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat et à la pratique guidée par cette théorie.

Nous devons maintenir la ligne et les principes politiques fondamentaux du parti communiste de Chine élaborés pour toute la période historique du socialisme et persévérer dans la continuation de la révolution sous la dictature du prolétariat pour que notre grande patrie avance toujours dans la voie indiquée par le marxisme, le léninisme, la pensée Mao Zedong.

Nous devons consolider la grande union du peuple de nos diverses nationalités, dirigée par la classe ouvrière et basée sur l’alliance des ouvriers et des paysans et développer le front uni révolutionnaire.

Nous devons distinguer les contradictions entre l’ennemi et nous, et les contradictions au sein du peuple, puis leur donner une juste solution.

Nous devons poursuivre les trois grands mouvements révolutionnaires que sont la lutte des classes, la lutte pour la production et l’expérimentation scientifique, mener l’édification du socialisme selon les principes : indépendance et autonomie ; compter sur nos propres forces ; travailler dur ; édifier le pays avec diligence et économie ; déployer tous nos efforts ; aller toujours de l’avant ; quantité, rapidité, qualité et économie.

Nous devons nous préparer en prévision d’une guerre et de calamités naturelles, et tout faire dans l’intérêt du peuple.

Dans les affaires internationales, nous devons rester fidèles à l’internationalisme prolétarien. La Chine ne sera jamais une superpuissance.

Nous devons resserrer notre unité avec les pays socialistes et tous les peuples et nations opprimés, en renforçant le soutien mutuel, oeuvrer pour la coexistence pacifique avec les pays à systèmes sociaux différents, sur la base des cinq principes : respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression mutuelle, non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, égalité et avantages réciproques, coexistence pacifique, et lutter contre la politique d’agression et de guerre de l’impérialisme et du social-impérialisme, contre l’hégémonie des superpuissances.

Notre peuple a la ferme conviction que, sous la direction du parti communiste de Chine, il vaincra les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur et surmontera toutes les difficultés pour faire de la Chine un puissant État socialiste de dictature du prolétariat et apporter une plus grande contribution à l’humanité.

Que le peuple de toutes nos nationalités s’unisse pour remporter des victoires encore plus grandes !

Chapitre premier.
Des principes généraux.

Article premier.

La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature du prolétariat, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans.

Article 2.

Le parti communiste de Chine est le noyau dirigeant du peuple chinois tout entier. La classe ouvrière exerce sa direction sur l’État par l’intermédiaire de son détachement d’avant-garde, le parti communiste de Chine.

Le marxisme, le léninisme, la pensée Mao Zedong constituent le fondement théorique sur lequel notre État guide sa pensée.

Article 3.

Tout le pouvoir de la République populaire de Chine appartient au peuple. Les organes par lesquels le peuple exerce son pouvoir sont les assemblées populaires aux divers échelons, composées principalement de députés ouvriers, paysans et soldats.

Les assemblées populaires aux divers échelons et tous les autres organes de l’État pratiquent le centralisme démocratique.

Les députés aux assemblées populaires des différents échelons sont élus par voie de consultation démocratique.

Les unités électorales et les électeurs ont le droit d’exercer leur contrôle sur les députés qu’ils ont élus, et de les remplacer à tout moment conformément aux dispositions prévues par la loi.

Article 4.

La République populaire de Chine est un État multinational uni. Les régions où est appliquée l’autonomie régionale des nationalités sont partie inséparables de la République populaire de Chine.

Toutes les nationalités sont égales en droits. Il faut s’opposer au chauvinisme de grande nationalité et au chauvinisme de nationalité locale.

Toutes les nationalités jouissent de la liberté d’utiliser leur langue parlée et écrite.

Article 5.

A l’étape actuelle, la propriété des moyens de production en République populaire de Chine se présente essentiellement sous les deux formes suivantes : la propriété socialiste du peuple tout entier et la propriété collective des masses travailleuses.

L’État permet aux travailleurs individuels non agricoles d’exercer, dans les limites autorisées par la loi et sans exploiter autrui, une activité individuelle, conformément aux dispositions d’ensemble prises par les organisations de quartier dans les villes et les bourgs, ou par les équipes de production des communes populaires rurales. Il convient en même temps de les guider afin qu’ils prennent graduellement la voie de la collectivisation socialiste.

Article 6.

L’économie d’État est la force dirigeante de l’économie nationale.

Les ressources minières, les eaux, ainsi que les forêts, les terres incultes et autres ressources que l’État possède, sont propriété du peuple entier.

L’État peut, selon les dispositions de la loi, exproprier, réquisitionner ou nationaliser la terre ou les autres moyens de production dans les villes et les campagnes.

Article 7.

La commune populaire rurale est une organisation qui fusionne le pouvoir de l’échelon de base et la gestion économique.

A l’étape actuelle, l’économie relevant de la propriété collective de la commune populaire rurale présente, en général, un système de propriété à trois échelons ayant l’équipe pour base, c’est-à-dire la propriété de la commune populaire, de la brigade de production et de l’équipe de production, celle-ci étant l’unité de compte de base.

Dans les conditions où sont assurés le développement et la prépondérance absolue de l’économie collective des communes populaires, les membres de celles-ci peuvent cultiver de petites parcelles réservées à leur propre usage et se livrer, dans des limites restreintes, à des occupations subsidiaires familiales ; dans les régions d’élevage, les membres peuvent posséder un petit nombre de têtes de bétail à titre individuel.

Article 8.

Les biens publics socialistes ne souffrent aucune atteinte.

L’État assure la consolidation et le développement de l’économie socialiste et interdit à quiconque de nuire, de quelque manière que ce soit, à l’économie socialiste et à l’intérêt public.

Article 9.

L’État applique le principe socialiste : « Qui ne travaille pas, ne mange pas » et « de chacun selon ses capacités, à chacun selon son travail ».

L’État protège le droit des citoyens à la propriété des revenus du travail, d’épargnes, de maisons d’habitation et d’autres mayens d’existence.

Article 10.

L’État applique le principe dit : faire la révolution et promouvoir la production, améliorer le travail et se préparer activement en prévision d’une guerre ; en prenant l’agriculture comme base et l’industrie comme facteur dominant, et en faisant pleinement jouer l’initiative de l’autorité centrale et de l’autorité locale, il stimule le développement planifié et proportionné de l’économie socialiste.

Il améliore graduellement la vie matérielle et culturelle du peuple, sur la base de l’accroissement continu de la production sociale, et consolide l’indépendance et la sécurité du pays.

Article 11.

Les organismes d’État et les travailleurs d’État doivent étudier consciencieusement le marxisme, le léninisme, la pensée Mao Zedong, placer toujours la politique prolétarienne au poste de commande, combattre la bureaucratie, se lier étroitement aux masses, et servir le peuple de tout coeur. Les cadres des différents échelons doivent participer au travail collectif de production.

Les organismes d’État doivent appliquer le principe d’une administration simplifiée ; leurs organes dirigeants doivent incarner la triple union des personnes âgées, des personnes d’âge moyen et des jeunes.

Article 12.

Le prolétariat doit exercer sa dictature intégrale sur la bourgeoisie dans le domaine de la superstructure, y compris les divers secteurs de la culture. La culture et l’éducation, la littérature et l’art, le sport et la santé publique, la recherche scientifique doivent servir la politique prolétarienne, servir les ouvriers, paysans et soldats, et être combinés avec le travail productif.

Article 13.

La libre expression d’opinions, le large exposé de vues, le grand débat et le dazibao sont des formes nouvelles créées par les masses populaires pour mener la révolution socialiste.

L’État assure aux masses populaires le droit d’y recourir, pour créer une atmosphère politique où règnent à la fois le centralisme et la démocratie, la discipline et la liberté, l’unité de volonté et, pour chacun, un état d’esprit fait de satisfaction et d’entrain, afin de favoriser la consolidation de la direction du parti communiste chinois sur l’État, la consolidation de la dictature du prolétariat.

Article 14.

L’État défend le régime socialiste, réprime toute activité contre-révolutionnaire et de trahison nationale, châtie tous les traîtres à la nation et éléments contre-révolutionnaires.

L’État, en vertu de la loi, prive les propriétaires fonciers, les paysans riches, les capitalistes réactionnaire et les autres éléments malfaisants des droits politiques pour une période déterminée, tout en leur accordant un moyen de gagner leur vie, afin qu’ils se réforment par le travail et deviennent des citoyens observant la loi et vivant de leur propre labeur.

Article 15.

L’armée populaire de libération de Chine et la milice populaire sont les forces armées de nos ouvriers et paysans, dirigées par le parti communiste de Chine, les forces armées du peuple de nos diverses nationalités.

Le président du comité central du parti communiste de Chine assume le commandement de toutes les forces armées du pays.

L’armée populaire de libération de Chine sera toujours un corps de combat et en même temps un corps de travail et un corps de production.

Les forces armées de la République populaire de Chine ont pour tâche de défendre les conquêtes de la Révolution socialiste et les réalisations de l’édification du socialisme, de défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et la sécurité du pays, et de préserver le pays de la subversion et de l’agression de l’impérialisme, du social-impérialisme et de leurs laquais.

Chapitre II.
De la structure de l’État.

Section 1. De l’Assemblée populaire nationale.

Article 16.

L’Assemblée populaire nationale est l’organe suprême du pouvoir d’État, placé sous la direction du parti communiste de Chine.

L’Assemblée populaire nationale est composée de députés élus par les provinces, les régions autonomes, les municipalités relevant directement de l’autorité centrale et l’armée populaire de libération. S’il y a nécessité, des personnalités patriotes peuvent y être spécialement invitées à titre de députés.

L’Assemblée nationale populaire est élue pour une durée de cinq ans. Dans des cas exceptionnels, cette durée peut être prolongée.

L’Assemblée populaire nationale se réunit une fois par an. S’il y a nécessité, sa convocation peut être avancée ou retardée.

Article 17.

L’Assemblée populaire nationale exerce les fonctions et pouvoirs suivants : amender la Constitution ; voter les lois ; sur proposition du comité central du parti communiste de Chine, nommer le premier ministre du Conseil des affaires d’État et les membres du Conseil des affaires d’État, et les décharger de leurs fonctions ; approuver les plans de l’économie nationale, le budget d’État et le rapport sur l’exercice budgétaire ;et exercer les autres fonctions et pouvoirs qu’elle jugera nécessaire d’assumer.

Article 18.

Le comité permanent de l’Assemblée populaire nationale est l’organe permanent de ladite assemblée . Il exerce les fonctions et pouvoirs suivants : convoquer les sessions de l’Assemblée populaire nationale ; interpréter les lois ; prendre des décrets ; nommer et rappeler les représentants plénipotentiaires à l’étranger ; recevoir les représentants diplomatiques des États étrangers ; ratifier et dénoncer les traités conclus avec les États étrangers ; et exercer les autres fonctions et pouvoirs qui lui seraient impartis par l’Assemblée populaire nationale.

Section 2. Du Conseil des affaires d’État.

Article 19.

Le Conseil des affaires d’État est le gouvernement populaire central. Il est responsable devant l’Assemblée populaire nationale et le comité permanent de celle-ci, et leur rend compte de son activité.

Le Conseil des affaires d’État est composé du premier ministre, des vice-premiers ministres, des ministres et des ministres chargés des commissions.

Article 20.

Le Conseil des affaires d’État exerce les fonctions et pouvoirs suivants : conformément à la Constitution, aux lois et aux décrets, arrêter des mesures administratives, émettre des décisions et promulguer des ordonnances ; exercer une direction unifiée sur l’activité des ministères, des commissions et des organismes d’État locaux des divers échelons dans tout le pays ; arrêter et mettre en application les plans de l’économie nationale et le budget d’État ; et exercer les autres fonctions et pouvoirs qui lui seraient impartis par l’Assemblée populaire nationale ou par son comité permanent.

Section 3. Des assemblées populaires locales et des comités révolutionnaires locaux aux différents échelons.

Article 21.

Les assemblées populaires locales des différents échelons sont les organes locaux du pouvoir d’État.

La durée des pouvoirs des assemblées populaires des provinces et des municipalités relevant directement de l’autorité centrale est de cinq ans. Celle des assemblée populaires des préfectures, des municipalités et des districts est de trois ans Celle des assembles populaires des communes populaires rurales et des bourgs est de deux ans.

Article 22.

Les comités révolutionnaires locaux des divers échelons sont les organes permanents des assemblées populaires locales et, en même temps, les gouvernements populaires locaux, aux divers échelons.

Un comité révolutionnaire local est composé du président, des vice-présidents et des membres, qui sont élus et peuvent être relevés de leurs fonctions par l’assemblée populaire de l’échelon correspondant ; leur élection et révocation doivent être soumises à l’organe d’État de l’échelon immédiatement supérieur pour examen et approbation.

Un comité révolutionnaire local est responsable devant l’assemblée populaire de l’échelon correspondant et l’organe d’État de l’échelon immédiatement supérieur, et leur rend compte de son activité.

Article 23.

Les assemblées populaires locales des divers échelons, ainsi que les comités révolutionnaires locaux qui en sont issus, assurent la mise en application des lois et décrets dans leurs régions respectives, dirigent la révolution et l’édification socialistes dans leurs régions respectives, examinent et approuvent les plans locaux de l’économie nationale, les budgets locaux et les rapports sur l’exercice budgétaire, maintiennent l’ordre révolutionnaire et protègent les droits des citoyens.

Section 4. Des organes d’administration autonome des régions d’autonomie nationale.

Article 24.

Les régions autonomes, les départements autonomes et les districts autonomes sont tous des régions d’autonomie nationale ; leurs organes d’administration autonome sont les assemblées populaires et les comités révolutionnaires.

Outre les fonctions et pouvoirs des organes locaux d’État, définis dans la section 3 du chapitre II de la présente Constitution, les organes d’administration autonome des régions d’autonomie nationale peuvent exercer l’autonomie dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi.

Les organes d’État des échelons supérieurs doivent assurer aux organes d’administration autonome des régions d’autonomie nationale le plein exercice de leur autonomie et soutenir activement les différentes minorités nationales dans la révolution et l’édification socialistes.


Section 5. Des organes judiciaires et des parquets.

Article 25.

La Cour populaire suprême, les tribunaux populaires locaux des divers échelons et les tribunaux populaires spéciaux exercent le pouvoir judiciaire.

Les tribunaux populaires aux divers échelons sont responsables devant les assemblées populaires des échelons correspondants et leurs organes permanents, auxquels ils rendent compte de leur activité.

Les présidents des tribunaux populaires aux divers échelons sont nommés et déchargés de leurs fonctions par les organes permanents des assemblées populaires des échelons correspondants.

Les attributions des parquets incombent aux organes de la sécurité publique aux divers échelons.

Pour enquêter et pour juger une affaire, il faut appliquer la ligne de masse. Pour les cas graves de délit pénal contre-révolutionnaire, il faut mobiliser les masses pour qu’elles les soumettent à la discussion et à la critique.

Chapitre III.
Des droits et des devoirs fondamentaux des citoyens.

Article 26.

Le droit et le devoir fondamentaux de tout citoyen, c’est d’être pour la direction du parti communiste de Chine, pour le régime socialiste, et de se conformer à la Constitution et aux lois de la République populaire de Chine.

Défendre la patrie et résister à l’agression est la noble obligation de chaque citoyen. Accomplir le service militaire, conformément à la loi, est un devoir d’honneur pour les citoyens.

Article 27.

Tous les citoyens ayant dix-huit ans révolus ont le droit d’élire et d’être élus, à l’exception des personnes privées de ce droit par la loi.

Les citoyens ont droit u travail et à l’instruction. Les travailleurs ont droit au repos et ont droit à l’assistance matérielle ans la vieillesse, en cas de maladie ou de perte de leur capacité de travail.

Les citoyens ont le droit de porter plainte auprès des organes d’État de tous les échelons par écrit ou oralement contre tout travailleur d’un organisme d’État pour violation de la loi ou manquement à son devoir ; il est interdit à quiconque de susciter des obstacles ou d’empêcher la formulation de telles plaintes, ou d’user de représailles.

La femme jouit des mêmes droits que l’homme dans tous les domaines.

L’État protège le mariage, la famille, la mère et l’enfant.

L’État protège les droits et intérêts légitimes des Chinois résidant à l’étranger.

Article 28.

Les citoyens jouissent de la liberté de parole, de correspondance, de la presse, de réunion, d’association, de cortège, de manifestation et de grève ; ils ont la liberté de pratiquer une religion, la liberté de ne pas pratiquer de religion et de propager l’athéisme.

La liberté individuelle et le domicile des citoyens sont inviolables. Aucun citoyen ne peut être mis en état d’arrestation sans décision d’un tribunal populaire ou approbation d’un organe de la sécurité publique.

Article 29.

La République populaire de Chine accorde le droit de résidence à tout étranger poursuivi pour avoir défendu une juste cause, pour sa participation à un mouvement révolutionnaire ou en raison de son activité scientifique.

Chapitre IV.
Du drapeau national, de l’emblème national, de la capitale.

Article 30.

La drapeau national est un drapeau rouge à cinq étoiles.

L’emblème comporte au centre la porte Tien-an-men surmontée de cinq étoiles, encadrée d’épis de céréales, avec une roue dentée à la base.

La capitale est Pékin.

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Statuts du Parti Communiste de Chine (IXe congrès-1969)

Chapitre premier.
Programme général.

Le Parti communiste de Chine est un parti politique prolétarien.

Le programme fondamental du Parti communiste de Chine est de renverser définitivement la bourgeoisie et toutes les autres classes exploiteuses, de substituer la dictature du prolétariat à la dictature de la bourgeoisie, d’assurer le triomphe du socialisme et le capitalisme. Le but final du Parti est la réalisation du communisme.

Le Parti communiste de Chine est composé d’éléments avancés du prolétariat ; il est une organisation d’avant-garde, dynamique, qui dirige le prolétariat et les masses révolutionnaires dans leur combat contre l’ennemi de classe.

Le fondement théorique sur lequel le Parti communiste de Chine guide sa pensée, c’est le marxisme, le léninisme, la pensée Mao Zedong. La pensée Mao Zedong est le marxisme-léninisme de l’époque où l’impérialisme va à son effondrement total et où le socialisme marche vers la victoire dans le monde entier.

Pendant un demi siècle, au cours des grandes luttes qu’il a dirigées dans l’accomplissement de la révolution de démocratie nouvelle et dans la révolution et l’édification socialistes en Chine, de même qu’au cours de la grande lutte du mouvement communiste international contre l’impérialisme, le révisionnisme moderne et toute la réaction, le camarade Mao Zedong a uni la vérité universelle du marxisme-léninisme à la pratique concrète de la révolution, continué, sauvegardé et développé le marxisme-léninisme, et il l’a fait accéder à une étape supérieure, toute nouvelle.

Le camarade Lin Piao a toujours porté haut levé le drapeau de la pensée Mao Zedong. Il applique et défend avec la plus grande loyauté et la plus grande fermeté la ligne révolutionnaire prolétarienne du camarade Mao Zedong. Le camarade Lin Piao est le proche compagnon d’armes et le successeur du camarade Mao Zedong.

Le Parti communiste de Chine ayant le camarade Mao Zedong pour dirigeant est un grand, un glorieux et un juste parti, il constitue le noyau dirigeant du peuple chinois. Il s’est aguerri dans la longue lutte de classes qu’il a menée pour prendre et consolider le pouvoir par les armes, s’est renforcé et développé dans la lutte contre les lignes opportunistes de droite et « de gauche » et, plein de confiance, il avance vaillamment sur la voie de la révolution et de l’édification socialistes.

La société socialiste s’étend sur une assez longue période historique.

Tout au long de cette période existent les classes, les contradictions de classes et la lutte de classes, de même que la lutte entre la voie socialiste et la voie capitaliste, le danger d’une restauration du capitalisme, ainsi que la menace de subversion et d’agression de la part de l’impérialisme et du révisionnisme moderne.

Toutes ces contradictions ne peuvent être résolues que grâce à la théorie marxiste de la révolution continue et à la pratique guidée par cette théorie. La Grande Révolution culturelle prolétarienne en Chine est précisément une grande révolution politique que le prolétariat mène, dans les conditions du socialisme, contre la bourgeoisie et toutes les autres classes exploiteuses.

Tout le parti doit porter haut levé le grand drapeau rouge du marxisme, du léninisme et de la pensée Mao Zedong et diriger les centaines de millions d’hommes de nos diverses nationalités dans la poursuite des trois grands mouvements révolutionnaires que sont la lutte des classes, la lutte pour la production et l’expérimentation scientifique et le renforcement de la dictature du prolétariat, et dans l’édification du socialisme selon les principes suivants : indépendance et autonomie ; compter sur ses propres forces ; travailler dur ; déployer tous ses efforts ; aller toujours de l’avant ; quantité, rapidité, qualité et économie.

Fermement attaché à l’internationalisme prolétarien, le Parti communiste de Chine s’unit résolument avec les partis et groupements marxistes-léninistes authentiques, avec le prolétariat, et avec les peuples et la nations opprimés du monde entier dans la lutte en commun pour abattre l’impérialisme ayant à sa tête les États-Unis, le révisionnisme moderne ayant pour centre la clique des renégats révisionnistes soviétiques, ainsi que toute la réaction, et parvenir à l’abolition sur le globe du système d’exploitation de l’homme par l’homme, qui apportera l’émancipation à toute l’humanité.

Les membres du Parti communiste de Chine, qui ont fait serment de consacrer leur vie à la cause du communisme, doivent s’armer de résolution, ne reculer devant aucun sacrifice et surmonter les difficultés pour remporter la victoire !

Chapitre II.
Les membres.

Article premier.

Peut être membre du Parti communiste de Chine tout ouvrier, paysan pauvre, paysan moyen-pauvre, militaire révolutionnaire et autre révolutionnaire chinois, ayant dix-huit ans révolus, qui accepte les statuts du Parti, adhère à l’une de ses organisations et y milite activement, applique les résolutions du Parti, observe la discipline du Parti et acquitte ses cotisations.

Article 2.

Celui qui demande à entrer au Parti doit suivre la procédure d’admission individuelle, être présenté par deux membres du Parti et remplir une demande d’admission ; une enquête sera faite à son sujet par la cellule, qui recueille largement l’opinion des masses au sein et en dehors du Parti ; sa demande doit être acceptée par l’assemblée générale de la cellule et l’admission ratifiée par le comité du Parti immédiatement supérieur.

Article 3.

Tout membre du Parti communiste de Chine doit :

1. Étudier et appliquer de façon vivante le marxisme, le léninisme, la pensée Mao Zedong ;

2. Lutter pour les intérêts de l’immense majorité de la population de la Chine et du monde ;

3. Être capable de s’unir avec le plus grand nombre, y compris ceux qui, à tort, se sont opposés à lui, mais qui se corrigent sincèrement de leurs erreurs. Cependant, il faut être particulièrement vigilant afin d’empêcher les arrivistes, les comploteurs et les individus à double face d’usurper le direction du Parti et de l’État, à quelque échelon que ce soit, et de garantir que la direction du Parti et de l’État soit à jamais entre les mains des révolutionnaires marxistes ;

4. Consulter les masses pour tout problème ;

5. Pratiquer courageusement la critique et l’autocritique.

Article 4.

Si un membre commet une infraction à la discipline du parti, l’organisation du Parti de l’échelon intéressé, dans les limites de ses attributions et selon le cas considéré, lui appliquera l’une des sanctions suivantes : avertissement, blâme, destitution des fonctions au sein du Parti, mise en observation, exclusion du Parti.

La mise en observation d’un membre est de deux ans au plus. Pendant la durée de cette mise en observation, il n’a pas le droit de vote ni le droit d’élire et d’être élu.

Quant aux membres qui restent dans l’inertie et ne font aucun progrès en dépit des efforts pour les éduquer, il faut les persuader de se retirer du Parti.

Quand un membre demande à quitter le Parti, sa radiation doit être confirmée par l’assemblée générale de la cellule qui en informe le comité du Parti immédiatement supérieur en vue d’enregistrement. En cas de nécessité, la radiation peut être portée à la connaissance des masses en dehors du Parti.

Les renégats, les agents secrets, les responsables obstinément engagés dans la voie capitaliste, les éléments dégénérés et les éléments étrangers à nos rangs de classe, contre lesquels on possède des preuves irrécusables, seront expulsés du Parti et ne seront jamais autorisée à le réintégrer.

Chapitre III.
Le principe d’organisation du Parti.

Article 5.

Le principe d’organisation du Parti est le centralisme démocratique.

Les organes de direction à tous les échelons du Parti sont élus par voie de consultation démocratique.

Tout le Parti doit se soumettre à une discipline unique : l’individu doit se soumettre à l’organisation, la minorité à la majorité, l’échelon inférieur à l’échelon supérieur et l’ensemble du Parti au comité central.

Les organes de direction à tous les échelons du Parti doivent régulièrement rendre compte de leur travail aux congrès ou aux assemblées générales des membres, recueillir constamment au sein et en dehors du Parti l’opinion des masses et accepter leur contrôle.

Tout membre a le droit d’adresser des critiques et des suggestions aux organisations du Parti et aux dirigeants à tous les échelons.

Tout membre, qui est en désaccord avec les résolutions ou instructions des organisations du Parti, est autorisé à réserver son opinion et a le droit de s’adresser directement aux échelons supérieurs, et ce jusqu’au comité central et au président du comité central.

Il faut créer une atmosphère politique où règnent à la fois le centralisme et la démocratie, la discipline et la liberté, l’unité de volonté et, pour chacun, un état d’esprit fait de satisfaction et d’entrain.

Les organes du pouvoir d’État de la dictature du prolétariat, l’Armée populaire de Libération, ainsi que la Ligue de la Jeunesse communiste, les organisations des ouvriers, des paysans pauvres et moyens-pauvres, des gardes rouges et les autres organisations révolutionnaires de masse doivent se soumettre sans exception à la direction du Parti.

Article 6.

L’organe suprême de direction du Parti est le congrès national et, dans l’intervalle des congrès, le comité central élu par lui.

L’organe de direction du Parti, sur le plan local, dans l’armée et dans les différents départements, est le congrès ou l’assemblée générale des membres de l’échelon correspondant ainsi que le comité du Parti qui en est issu. Les congrès du Parti à tous les échelons sont convoqués par les comités du Parti des échelons correspondants.

Sur le plan local et dans l’armée, la convocation des congrès du Parti et la liste des membres élus des comités respectifs doivent être soumises à l’approbation des organisations de l’échelon supérieur.

Article 7.

Les comités du Parti aux différents échelons établissent des bureaux de travail ou délèguent leurs organismes représentatifs, conformément aux principes de direction unique, de liaison étroite avec les masses et d’administration simplifiée.

Chapitre IV.
L’organisations centrale du Parti.

Article 8.

Le congrès national du Parti est convoqué tous les cinq ans. Dans des cas exceptionnels, sa convocation peut être avancée ou retardée.

Article 9.

La session plénière du comité central du Parti élit le bureau politique du comité central, le comité permanent du bureau politique ainsi que le président et le vice-président du comité central.

La session plénière du comité central du Parti est convoquée par le bureau politique du comité central.

Dans l’intervalle des sessions plénières du comité central, le bureau politique du comité central et son comité permanent exercent les fonctions du comité central.

Sous la direction du président, du vice-président et du comité permanent du bureau politique du comité central, seront établis les organismes indispensables, simples mais efficaces, qui régleront de manière centralisée les affaires courantes du Parti, du gouvernement et de l’armée.

Chapitre V.
L’organisation du Parti sur le plan local et dans l’armée.

Article 10.

Les congrès du Parti, sur le plan local, à l’échelon du district et au-dessus, et dans l’Armée populaire de Libération, à l’échelon du régiment et au-dessus, sont convoqués tous les trois ans. Dans des cas exceptionnels, leur convocation peut être avancée ou retardée.

Les comités du parti aux différents échelons, sur le plan local et dans l’armée, élisent leurs comités permanents ainsi que leurs secrétaires et secrétaires adjoints.

Chapitre VI.
L’organisation de base du Parti.

Article 11.

Il sera créé en général une cellule dans chacune des unités de base : usines, mines et autres entreprises, communes populaires, organismes, écoles, magasins, organisations de quartier, compagnies de l’Armée populaire de Libération, etc. ; une cellule générale et un comité de base peut être établi lorsque les membres du Parti sont nombreux ou que la lutte révolutionnaire l’exige.

Dans les organisations de base du Parti, les élections ont lieu une fois par an. Dans des cas exceptionnels, elles peuvent être avancées ou retardées.

Article 12.

Les organisations de base du Parti doivent porter haut levé le grand drapeau rouge du marxisme, du léninisme, de la pensée Mao Zedong, donner la primauté à la politique prolétarienne et faire s’épanouir le style qui consiste à unir la théorie et la pratique, à se lier étroitement aux masses populaires, à pratiquer la critique et l’autocritique. Leurs tâches principales sont les suivantes :

1. Diriger les membres du Parti et les larges masses révolutionnaires dans l’étude et l’application vivantes du marxisme, du léninisme, de la pensée Mao Zedong ;

2. Éduquer constamment les membres du Parti et les larges masses révolutionnaires dans l’esprit de la lutte de classes et de la lutte entre les deux lignes, les diriger dans une lutte résolue contre l’ennemi de classe ;

3. Propager et matérialiser la politique du Parti, appliquer ses résolutions, accomplir les tâches assignées par le Parti et l’État ;

4. Se lier étroitement aux masses, se tenir constamment au courant de leurs opinions et de leurs désirs, développer au sein du Parti une lutte idéologique positive afin que la vie du Parti soit pleine de dynamisme ;

5. Recruter de nouveaux adhérents, appliquer la discipline du Parti, procéder constamment à la consolidation des organisations du Parti, rejeter ce qui est altéré et absorber de nouveau, afin de maintenir les rangs du Parti dans toute leur pureté.

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La CFDT et la Gauche Prolétarienne

Le 1er novembre 1973, les maoïstes de la Gauche Prolétarienne procédèrent à leur auto-dissolution. L’organisation avait été fondée en 1968, comme convergence des maoïstes de l’Union de la Jeunesse Communiste (Marxiste-Léniniste) et des révolutionnaires « anti-autoritaires » issus mouvement du 22 mars, fondé à Nanterre et jouant un rôle significatif lors de Mai 1968.

La Gauche Prolétarienne appliquait deux lignes : la prolétarisation et la militarisation. Les militants devaient s’intégrer aux masses, en cherchant à vivre et travailler dans des endroits sélectionnés pour leur radicalisation possible.

La perspective était d’aller vers la guerre de partisans, comme « nouvelle résistance ». Une « nouvelle résistance populaire » fut fondée en 1970 en ce sens, afin de mettre en place des actions violentes.

La Gauche Prolétarienne fut extrêmement célèbre en France durant sa brève existence ; elle fut interdite en 1970, mais maintint son existence, en ayant notamment le soutien de nombreux intellectuels et artistes, dont le philosophe Jean-Paul Sartre et Jean-Luc Godard.

La Gauche Prolétarienne, sur la fin, tenta à la fois de générer un mouvement contestataire de masse, quitte à développer une presse de style très populiste, et de systématiser la violence. La direction finit par considérer qu’elle était en roue libre et procéda, plus qu’à une auto-dissolution, à une liquidation par en haut.

Il fut souligné deux choses par la direction.

Primo, qu’il fallait éviter la lutte armée pour la lutte armée, la direction assimilant en quelque sorte lutte armée et terrorisme. Cela conduisit l’ancienne direction de la Gauche Prolétarienne et même la quasi totalité des cadres à rejoindre la bourgeoisie, alors qu’en Allemagne (avec la RAF) et en Italie (avec les Brigades Rouges) la Gauche Prolétarienne avait servi de modèle.

Secundo, qu’il était apparu de nouvelles formes de lutte, comme l’autogestion de l’usine LIP ou l’occupation du plateau Larzac pour s’opposer à l’extension massive d’une base militaire. Cet aspect était considéré comme essentiel et servait de base à la justification de la liquidation de la Gauche Prolétarienne, pour laisser place à une généralisation de ces mouvements.

Or, tous ces « nouveaux mouvements sociaux » trouvaient une organisation qui les soutenaient et s’en revendiquaient : la centrale syndicale CFDT. Et celle-ci, alors que la Gauche Prolétarienne disparaît, en 1973, assume un discours de révolutionnarisation générale de la société qui est clairement parallèle avec les positions de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au même moment.

Il y a ici un paradoxe historique, ou plus exactement un grand ratage. La Gauche Prolétarienne aurait dû comprendre qu’elle avait systématisé une idéologie, le maoïsme, et voyant les nouvelles formes de lutte, saisir la chance d’avoir une immense caisse de résonance avec la CFDT.

On pourrait dire pour faire plus simple que la Gauche Prolétarienne avait la guerre et la CFDT le peuple, que la guerre populaire aurait dû naître de leur rencontre.

C’était impossible néanmoins, car la Gauche Prolétarienne perdait toujours plus de vue l’idéologie, au point de s’en passer totalement sur la fin ; les derniers et rares débris militants de l’organisation passeront dans le camp de l’anarcho-syndicalisme, du spontanéisme chez les autonomes ou bien dans le vide intellectuel et culturel des pro-albanais.

Si la Gauche Prolétarienne avait mis en place une véritable base idéologique, elle aurait pu travailler la CFDT au corps, lui fournissant les fondements qui lui auraient permis de saisir la portée de sa critique du capitalisme développé et de la société de consommation.

Il est vrai que la Gauche Prolétarienne n’avait pas de réflexion concernant ce dernier point. Mais elle était issue de mai 1968, comme les activistes de la CFDT du même moment ; comme la CFDT de 1973, elle rejetait tant le modèle américain que le modèle soviétique ; le rôle de la conquête démocratique des masses – dans une optique de mobilisation révolutionnaire – se posait tant chez l’un que chez l’autre avec les mêmes bases.

La Gauche Prolétarienne a ici commis une double erreur d’évaluation historique.

D’abord, elle était totalement focalisé sur la CGT, ce qui a été une double erreur : il y a eu sous-estimation de l’affrontement idéologique avec le PCF révisionniste, et il y a eu un fétichisme sur la dimension traditionnelle syndicaliste révolutionnaire des travailleurs français.

Autrement dit, la CGT était vue plus comme un concurrent qu’autre chose et c’était une obsession. Comme la CFDT marchait en tandem avec la CGT, la Gauche Prolétarienne considérait d’autant plus que de toutes façons, la CFDT fonctionnait comme appendice de la CGT.

Ensuite, elle a justement rejeté la CFDT selon des critères erronés. Pour la Gauche Prolétarienne, la CFDT ne pouvait pas être prise au sérieux, car elle ne concevait pas le changement de société comme un préalable à tout changement.

Si abstraitement cela est juste, cela revenait à dire la même chose que la CGT sur la CFDT, la CGT affirmant qu’il fallait au préalable à tout progrès réel un gouvernement de gauche par les élections.

La Gauche Prolétarienne considérait la CFDT comme une expression petite-bourgeoise, correspondant aux intérêts des couches intermédiaires – cadres et techniciens – dans les entreprises.

Elle ne prenait pas au sérieux les prétentions de la CFDT à élargir à tous les niveaux une critique générale de la société. Pour la Gauche Prolétarienne, la CFDT était un syndicat qui s’imaginait aller dans le sens d’être plus qu’un syndicat, ce qui était absurde.

Au lieu d’une absurdité, la Gauche Prolétarienne aurait dû comprendre avec le matérialisme dialectique qu’il s’agissait là d’une contradiction. Elle aurait alors compris son rôle historique par rapport à la CFDT.

C’est même en comprenant cela qu’on comprend pourquoi la Gauche Prolétarienne s’est effondrée du jour au lendemain : son rôle historique était terminé, c’est la CFDT qui formait désormais l’aspect principal sur le plan historique.

Et c’est ce qui explique que la CFDT en faveur de la révolutionnarisation de la société n’a elle-même duré que quelques années. Sans la Gauche Prolétarienne pour apporter le maoïsme, elle ne pouvait pas s’assumer elle-même et devait s’effondrer sous la pression de la ligne noire en son sein.

La conjugaison de la Gauche Prolétarienne et de la CFDT, c’est l’absence historique fatale à la révolution en France, c’est ce qui explique la disparition du camp révolutionnaire, le triomphe du Programme commun PS-PCF avec François Mitterrand.

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La CFDT, la CGT et la « seconde gauche »

On ne peut pas comprendre le tournant imposé de manière réussie par Edmond Maire sans comprendre le rapport à la « seconde gauche ». Le triomphe d’Edmond Maire, c’est en effet celui de l’aile droite du Parti socialiste unifié, des socialistes autogestionnaires basculant dans le « modernisme » le plus complet, et dont la principale figure est Michel Rocard.

Lorsque paraît en octobre 1953 la première version imprimée (et non ronéotypée, ou plus exactement polycopié) de Reconstruction, on trouve en première page une citation d’un de ses cadres, Charles Savouillan :

« Cette gauche renouvelée ne peut être, à nos yeux, que démocratique, laïque et socialiste. »

Cette citation provient d’un discours intitulé « Pour une gauche démocratique laïque et socialiste » tenu en mai 1953 à Puteaux lors d’une conférence des socialistes de la SFIO. Le discours avait même été publié dans l’organe du Parti socialiste SFIO, Le Populaire, le 8 juin 1953, pour être publié par Reconstruction également (en juin et en octobre).

On lit dans le discours notamment la chose suivante :

« Notre Groupe a été fondé il y a sept ans par des travailleurs manuels et intellectuels, militants syndicalistes, résolus à ne point laisser subordonner leur organisation à un parti, mais également résolus à élucider et à vouloir toutes les conditions, même politiques, d’une action ouvrière efficace.

Au premier rang de ces conditions, nous plaçons un renouvellement de la gauche française. Cette gauche renouvelée ne peut être, à nos yeux, que démocratique, laïque et socialiste.

Démocratique évidemment et anti-totalitaire : nous n’avons pas à insister devant vous sur ce point pour nous essentiel ; une transformation des structures économiques serait vaine à nos yeux si elle ne s’accompagnait pas du respect et du développement des libertés politique, syndicale et spirituelle historiquement solidaires.

Cette gauche française renouvelée sera nécessairement laïque par sa conception d’un Etat indépendant des confessions, respectueux des croyances comme des incroyances, sauvegardant pour chaque citoyen, la liberté de conscience, le droit à la sincérité : aux hommes qui ont fait la loi Barangé [qui accorde une subvention aux parents scolarisant leurs enfants dans les écoles privées], nous avons reproché et reprochons d’avoir rétabli dans la vie publique française une ligne de démarcation confessionnelle.

Cette ligne, nous voulons, au contraire, l’effacer dans le monde salarié pour accroître les forces de transformation sociale, donner à la gauche non communiste toute son ampleur.

Si elle veut pouvoir maîtriser demain les grands problèmes nationaux, cette gauche sera délibérément socialiste.

Nos camarades ne sauraient se contenter d’un vague esprit « social », compatible avec des survivances paternalistes ou corporatistes.

Ils ne sauraient se satisfaire, non plus, de simples déclarations anti-capitalistes ; ce qui se trouve aujourd’hui en question, à leurs yeux, c’est, au centre même du régime capitaliste, le statut de la fonction d’investissement, fonction d’une importance primordiale dans une nation appauvrie, d’un développement technique insuffisant, comme la France aujourd’hui : cette fonction, il n’est pas possible de l’abandonner, selon la tradition capitaliste, au jeu de l’épargne spontanée et du marché des capitaux ; dans ce domaine, une planification s’impose, comportant à la fois une politique d’investissement public, éventuellement alimentée par l’impôt, après réforme fiscale, et un contrôle public de l’auto-financement privé, lequel constitue en fait un véritable impôt indirect.

L’Etat démocratique qui résoudra les problèmes vitaux de notre pays devra être un Etat socialiste.

Tel est l’esprit dans lequel notre Groupe fait siennes les idées directrices du socialisme démocratique dans la synthèse qui en a été présentée à la Conférence Internationale de Francfort de juin-juillet 1951.

Si, comme nous en avons la conviction, le monde du travail français s’oriente, sous la pression de l’actuelle réaction, vers un mouvement social plus profond et plus exigeant que ceux de 1936 et de 1944, c’est vers un socialisme démocratique qu’il convient dès maintenant de diriger les énergies, en renforçant les organisations de base, seules capables d’éviter la déviation totalitaire. »

Reconstruction publiera dans la foulée, en novembre 1953, « Qu’est-ce que le socialisme démocratique ? », rédigé par Bernard Vacheret, qui aux côtés de Raymond Létoquart et Pierre Cournil soulignaient l’importance désormais fondamentale de l’éducation pour l’économie, en raison des exigences techniques se généralisant.

On a ici une réflexion « moderniste » typique de Reconstruction, et de la future CFDT.

Reconstruction soutient alors le « Front républicain » aux élections de 1956, « Front » dont la figure de proue est Pierre Mendès-France et dont les composantes sont les Républicains sociaux (du gaulliste Jacques Chaban-Delmas, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (de François Mitterrand), le Parti radical-socialiste et le parti socialiste SFIO.

Pierre Mendès-France (wikipédia)

Ce fut un succès pour le Front républicain, avec 29,2 % des suffrages et la mise en place d’un gouvernement, dirigé pourtant non pas par Pierre Mendès-France mais Guy Mollet du Parti socialiste SFIO ; Pierre Mendès-France, vice-chef du gouvernement, démissionna au bout de quelques mois, en raison du manque de volonté de cesser la guerre d’Algérie de la part de Guy Mollet.

Cet échec gouvernemental eut son aboutissement dans le coup d’État gaulliste de 1958, qui instaura la Ve République et dispersa toutes les forces de la gauche.

Le Parti socialiste SFIO tenta de pousser à l’union générale à partir de 1963 et l’hebdomadaire L’Express proposa alors en 1965 un candidat « X », capable de les réunir. Il s’agissait en fait de Gaston Defferre, socialiste SFIO, maire de Marseille, anticommuniste complet ayant remis la gestion du personnel de la mairie, du recrutement aux promotions, à la CGT-Force ouvrière.

Gaston Defferre (wikipédia)

La CFTC devenu CFDT correspondait parfaitement à ce positionnement, de par son origine catholique (et son lien aux centristes) et son engagement nouveau « socialiste démocratique » (donc parallèle à la SFIO). Aussi parut dans Le monde du 17 décembre 1965 un manifeste signé de cinq « clubs » politiques et d’un « Groupe de Recherche Ouvrier et Paysan » comprenant des dirigeants nationaux de la CFTC/CFDT. qui s’engageaient dans la brèche.

Cependant, contrairement aux socialistes les centristes du MRP ne voulaient pas de la moindre ouverture à la base du Parti communiste français, ruinant le projet. La CFTC/CFDT ne voulait pas non plus s’engager, craignant :

– d’une part que sa base ne suive pas, car n’ayant aucune expérience d’unité à gauche de par son parcours ;

– que la minorité se maintenant comme CFTC gagne des points, notamment en Alsace, en accusant la nouvelle CFDT de politisation.

Sans les radicaux, aucune « grande fédération » de la seconde gauche n’était possible et ce fut donc l’échec de la tentative de Gaston Defferre et de son mouvement « Horizon 80 ».

François Mitterrand prit alors l’initiative en juillet 1965 de pousser à une « petite fédération », le congrès du Parti socialiste SFIO quelques mois plus tard soutenant l’initiative.

François Mitterrand

Cela donna naissance, en septembre 1965, à la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), unissant le parti socialiste SFIO (de Guy Mollet), le Parti radical, la Convention des Institutions Républicaines (de François Mitterrand), l’Union des groupes et clubs socialistes (de Jean Poperen), l’Union des clubs pour le renouveau de la gauche (d’Alain Savary).

Mais de manière notable, la direction n’est pas composée que des représentants des partis : à parts égales, on a les représentants des « clubs » politiques (comme le Cercle Jean-Jaurès). C’est à ce titre qu’on retrouve Reconstruction.

Profitant en effet de sa propre activité, et du lien du SGEN depuis la fin de la seconde guerre mondiale avec les socialistes et à partir de 1953 avec Pierre Mendès-France, Reconstruction se vit inviter à avoir une place au Comité Exécutif au sein du FGDS.

Afin de maintenir la fiction de l’indépendance et de l’apolitisme, un « Comité Syndicaliste d’Etudes Politiques (Groupe Reconstruction) » fut mis en place. Officiellement, ce Comité n’était qu’un « club » syndicaliste membre invité de la Fédération, et Reconstruction continuait son activité indépendante à côté de la Fédération et de ce « Comité ».

En pratique, Reconstruction commençait à encenser François Mitterrand de manière ininterrompue, alors que le manifeste électoral de la FGDS, « Pour la République des citoyens », est qualifié de « document synthétique d’un style remarquable ».

Reconstruction décida également de soutenir les cadres CFTC ayant rejoint le Parti socialiste unifié (PSU) se développant en parallèle.

Puis vint l’unification autour de François Mitterrand dans un « Parti socialiste » en 1971 lors du congrès d’Epinay et les Assises du socialisme de 1974 organisées par Michel Rocard. La gauche gouvernementale était unie et cherchait un programme commun avec le Parti communiste français, qui ne cessa de faire monter les enchères, notamment par l’intermédiaire de la CGT.

Ce dernier aspect est essentiel. Le programme commun PS-PCF a causé un mal fou à la CFDT qui cherchait à se positionner comme indépendante, mais en étroit rapport avec une CGT de plus en plus ouvertement liée au PCF en raison de la perspective d’un succès électoral.

On a ainsi encore un dense communiqué commun CFDT-CGT le 1er décembre 1970, qui met en avant cinq thématiques de lutte : salaires et pouvoir d’achat, retraites, heure d’information syndicale, durée du travail, emploi.

Trois campagnes communes furent menées en 1971, autour des retraites, des droits syndicaux et de la répression patronale, ainsi que des droits des immigrés.

Et lorsque la CGT produit un document intitulé « Les perspectives du socialisme pour la France et le rôle du syndicat », la CFDT lui répond en octobre 1971 avec le document « Pour un socialisme démocratique », à quoi répond encore la CGT avec des articles de son secrétaire Henri Krasucki dans la Vie Ouvrière en mars et avril 1972.

Le point culminant du processus fut pratiquement une forme d’unité CFDT-CGT avec l’accord du 26 juin 1974.

Mais, donc, le programme commun vient tout faire tomber à l’eau, le PCF neutralisant la CGT afin de faire sentir son poids au sein du rapport de force général.

La CFDT, un temps, fera face, avec des discours sur l’union de la gauche, l’union des forces populaires et elle soutiendra malgré ses discours anti-politiques, la candidature du socialiste François Mitterrand aux élections présidentielles de 1974.

Cependant, elle aurait aimé rester indépendante au maximum, et elle voyait qu’elle était marginalisée par le Programme commun.

En 1973, la CFDT constatait que font partie du courant socialiste autogestionnaire : le Parti socialiste (qui l’assumait effectivement dans son programme de 1971), le Parti socialiste unifié, Objectif socialiste, l’Alliance marxiste révolutionnaire (issu du trotskisme), le CERES (socialiste), les anarchistes.

Au final, il ne resta que le Parti socialiste unifié qui lui-même se saborda dans les socialistes. La CFDT n’avait plus d’expression politique, risquait de se faire happer par les socialistes et devait affronter une CGT revigorée et ambitieuse.

Il y avait donc un espace pour une réaffirmation de la CFDT comme « syndicat libre » tourné sur lui-même, que prit Edmond Maire qui ne croyait pas au succès de François Mitterrand en 1981, ni à celle de la gauche en général.

Edmond Maire, ancien Parti socialiste unifié avec Michel Rocard, avait pourtant adhéré avec lui au Parti socialiste en 1974. Mais justement, la position d’Edmond Maire exprimait l’autogestion comme capitulation, tout comme Michel Rocard s’opposa à François Mitterrand sur une ligne droitière.

D’aile gauche des socialistes, les autogestionnaires du courant Michel Rocard – Edmond Maire devinrent l’aile droite, et cela correspond à une restauration aux valeurs d’avant Mai 1968. On est revenu à Reconstruction, aux socialistes démocratiques accompagnant le capitalisme américain.

Toute la scène « autogestionnaire » était contradictoire, et si les congrès de 1973 et 1976 exprimaient l’aspect positif, rouge, sans pour autant réussir le saut au maoïsme, c’est finalement l’aspect noir, contre-révolutionnaire qui l’a emporté, en profitant de la matrice de la CFDT issue de la CFTC.

Autrement dit, il aurait fallu que la CFDT de 1973-1976 connaisse un saut qualitatif, que les communistes, sur la base du maoïsme, contribue à sa réalisation. C’est là que tout se jouait alors, à la suite de Mai 1968 ; la défaite à ce niveau anéantissait toute possibilité d’émergence, avant l’ouverture d’un nouveau cycle.

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La CFDT recentrée par Edmond Maire et l’intégration complète

La cause est ainsi entendue à la fin des années 1970 : le socialisme est impossible, reste le « recentrage sur la logique syndicale », qui est le grand mot d’ordre de la CFDT.

Un puissant outil pour cela fut le « syndicat libre » polonais Solidarność de Lech Wałęsa, apolitique et pro-catholique dans son opposition à la Pologne soumise au social-impérialisme soviétique.

Le secrétaire général Edmond Maire fit en sorte que la CFDT s’implique ostensiblement dans le soutien au syndicat polonais, ce qui fut un excellent moyen tant de dénoncer l’échec du communisme que de promouvoir le recentrage, tout en dynamitant les liens avec la CGT pro-soviétique.

La rupture avec la CGT fut d’ailleurs officialisée en septembre 1980, en raison de ses liens avec le Parti communiste français dans le cadre de la mise en place du programme commun PS-PCF.

La clef est donc ici la non-participation de la CFDT à la victoire de la gauche en 1981, même s’il faut la relativiser par l’entrée de cadres de la CFDT dans des cabinets ministériels.

Edmond Maire laissa nettement la centrale syndicale à l’écart, au point même de saluer le fameux « tournant de la rigueur » de 1983, un choix de portée stratégique afin que la CFDT soit considérée par le patronat comme le partenaire crédible pour l’avenir.

« Clairvoyance sur l’action syndicale », « Pluralité des combats »…

À partir de 1981 d’ailleurs, la CFDT multiplie les rencontres secrètes avec le patronat pour les négociations ; c’est un début masqué de la CFDT moderniste accompagnant l’évolution du capitalisme.

Plus rien ne changera. Jean Kaspar, qui succéda à Edmond Maire en 1988, n’eut aucun mal la même année à exclure une révolte des syndicats PTT de la région parisienne liée à un mouvement des infirmières à l’automne. Les exclus partirent fonder SUD–PTT (Solidaires Unitaires Démocratiques – Postes, Télégraphes et Télécommunications).

Les syndicats CRC d’Île-de-France furent exclus quant à eux en mars 1989 en raison de leur opposition à l’accord Evin la même année, signé par la CFDT, et mirent en place SUD–Santé.

Le symbole de la CFDT dans les années 1990

Mais tout cela restait marginal, dans la passivité totale de la base de la CFDT. La grande preuve, ce furent les grandes grèves de 1995, massives comme jamais depuis le début des années 1980, contre le plan Juppé qui prévoyait des restructurations (dans la santé, dans les retraites de la fonction publique).

Malgré une contestation interne allant jusqu’à un désaveu interne majoritaire, la secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, en place depuis 1992, maintint sa position de soutenir le plan Juppé.

La figure de François Chérèque, qui lui succéda de 2002 à 2012, fut dans la même veine, lui qui aura été président du « think tank » de gauche libérale Terra Nova de 2013 à sa mort en 2017.

Le logo de la CFDT des années 2000

Mais c’est surtout le parcours de son père Jacques Chérèque qui est emblématique. Ouvrier spécialisé, il devint secrétaire général de la Fédération générale de la métallurgie (FGM-CFDT) en 1971, puis secrétaire général adjoint de la CFDT en 1979 ; il fut ensuite nommé préfet délégué pour le redéploiement industriel en Lorraine en 1984, avant de devenir quelques années plus tard ministre chargé de l’Aménagement du territoire et à la reconversion industrielle (« Il faut retirer les hauts fourneaux de la tête des sidérurgistes lorrains »).

On a ici une démarche typique d’accompagnement et de recherche des meilleures améliorations ou sorties possibles, dans l’absence de toute contestation.

La boucle est même pratiquement bouclée quand on sait que le secrétaire général de 2012 à 2023, Laurent Berger, avant d’être permanent CFDT, a été un permanent de la Jeunesse ouvrière chrétienne et a écrit son mémoire de maîtrise d’histoire sur « L’épiscopat nantais de Monseigneur Villepelet (1936-1966) ».

Reconstruction avait réussi : un grand syndicat réformiste moderniste s’était mis en place, capable de tenir tête à la CGT, et même de la dépasser : à partir de 2017, la CFDT dépasse la CGT dans le secteur privé.

Le logo « moderne » tout à fait représentatif de la CFDT des années 2010

Car la CFDT est un syndicat de masse. Si on regarde les effectifs, on a à la CFTC 340 000 membres en 1953, 433 000 en 1961, puis à la CFDT 678 000 membres en 1970, 900 000 en 1977, 535 000 en 1988, 757 000 en 1998, 883 000 en 2002, 851 000 en 2010 et 623 000 en 2018 (le comptage du nombre d’adhérents fut modifié en 2017), 612 000 en 2022.

Cela aurait été impossible sans la proposition stratégique de Reconstruction et la mise en place des outils adéquats en ce sens.

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La CFDT en 1976 et la tentative d’un programme subversif

La CFDT de 1976 se situe dans la même perspective qu’en 1973 ; on retrouve encore des thèses parallèles à celles de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne en Chine au même moment, sans que les cadres de la CFDT ne fassent eux-mêmes le rapprochement.

Ce qui est dit sur la santé, par exemple, est extrêmement puissant.

« La santé est l’un des besoins fondamentaux que la société capitaliste, de par son type de développement et ses contradictions internes, est incapable de satisfaire.

La crise, par ses effets, accentue ces contradictions.

Les travailleurs « paient» les nuisances du développement capitaliste dans leurs conditions de travail et dans leurs conditions de vie.

Malgré le chômage, la dégradation des conditions de travail se poursuit : charges de travail excessives, aggravation des agressions dues aux nuisances – bruits, produits dangereux, atmosphères empoussiérées, etc. – mise en fabrication de produits sans connaître leurs effets possibles sur la santé – extension du travail de nuit et en équipe – accélération des rythmes de la production et du travail.

Les conditions de vie, elles, sont marquées très fortement par les déficiences de l’urbanisme, de l’habitat, des transports collectifs, de l’organisation des soins, des équipements culturels, sociaux, des loisirs, toutes fonctions collectives sacrifiées à l’« impératif industriel» et aux lois du profit.

D’où, conséquences sociales bien connues de ces carences : un surcroît de fatigue physique et mentale, l’apparition et le développement de nouvelles « maladies » dont les causes sont attribuées à la « vie moderne » (maladies cardio-vasculaires, maladies nerveuses, etc.) et surtout l’inadaptation et la marginalisation d’un nombre toujours croissant d’individus et de catégories.

Pour la CFDT, la santé n’est pas l’absence de maladie ni, non plus, un état de bien-être physique, mental et social, sorte de nirvâna passif qui peut même traduire l’aliénation totale.

La santé, c’est la capacité active et autonome de chacun à se situer dans les différents rapports qu’il entretient dans toutes ses activités, individuelles et sociales : rapport à son propre corps, rapports interpersonnels, rapports sociaux.

Ces différents rapports sont en interaction : le rapport qu’un homme ou une femme entretient avec son propre corps de même que leurs relations interpersonnelles, sont influencés par la façon dont sont répartis, vécus, représentés, les rôles entre hommes et femmes dans une société donnée.

La santé est donc « un produit social » déterminé par des conditions individuelles et collectives. »

La CFDT de 1976 assume un combat qui dépasse très largement la perspective syndicale, puisque tous les aspects de vie sont touchés et doivent être révolutionnés.

« Dans la société française, l’ébranlement signifié par mai 1968 s’est amplifié. Parce que le mouvement étudiant et lycéen manque de continuité apparente, on a trop vite oublié que c’était l’ensemble de la société qui avait été remis en cause.

Les valeurs bourgeoises s’effritent. L’ordre social est ébranlé et ne peut plus être stabilisé par les solutions politiques de la bourgeoisie.

Les institutions les plus solides, comme l’armée, la médecine, la justice, sont maintenant contestées de l’intérieur. La multiplication de tous les mouvements de libération manifeste un profond désir de changement dans les rapports sociaux.

Le progrès, le travail, la hiérarchie, ne sont plus des valeurs intangibles. Le type de développement fondé sur la croissance marchande est accusé.

Il n’y a pas de domaine de la vie quotidienne et de la vie sociale qui ne soit aujourd’hui touché par cette lame de fond dont mai 68 avait manifesté l’émergence.

Ce sont tous les fondements idéologiques, culturels, industriels de la société bourgeoise qui sont en procès. C’est aussi cela la crise.

Bien sûr, tout est loin d’être clair dans cette vaste contestation multiforme dont le contenu anticapitaliste semble parfois absent, autorisant bien des formes de récupération, de manipulation.

Mais cette confusion même est le signe de l’ampleur du phénomène.

Et la crise économique, dans tout cela ? Y aurait-il deux crises ? Une crise globale de la société, d’une part, et une crise économique juxtaposée, d’autre part ?

Non, car par bien des aspects, les deux sont liées : on ne peut séparer la crise économique de la modification des rapports de forces internationaux ; on ne peut isoler, dans la crise de la croissance capitaliste, les aspects économiques et les aspects sociaux. »

La CFDT de 1976, comme celle de 1973, tient un discours appelant les masses à révolutionner leur situation. Si on retrouve un discours « autogestionnaire », les ambitions vont bien plus loin qu’une simple gestion locale et il est appelé à un changement sur tous les plans plus qu’autre chose.

« Car il ne suffit pas de remplacer les ministres et les PDG. Ce sont les structures mêmes du pouvoir qu’il faut modifier pour que les travailleurs puissent se l’approprier réellement.

Changer l’Etat, socialiser les moyens de production, briser les schémas hiérarchiques, démasquer l’autorité paternaliste, remettre en cause les structures et les manifestations d’oppression et de domination à tous les échelons, tels sont les impératifs d’une transition au socialisme.

Ces changements sont essentiels : c’est souvent d’eux que dépendront les possibilités de mettre en œuvre !es autres transformations.

Permettre une égalité devant la décision, décentraliser celle-ci et la faire prendre en charge par les intéressés eux-mêmes : c’est à la fois le but et le moyen de réaliser le socialisme autogestionnaire.

C’est pourquoi les objectifs en matière de pouvoir ne sont pas « un luxe », seulement accessibles dans une phase avancée et lointaine de construction du socialisme. Ils constituent un objectif majeur et prioritaire.

Dès aujourd’hui nous préparons la transition par la façon dont nous élaborons et posons nos revendications et associons les travailleurs à ce processus.

C’est là que réside notre responsabilité principale d’organisation syndicale. C’était la signification de notre dernier congrès : ‘‘Vivre demain dans nos luttes d’aujourd’hui’’. »

La nouveauté, en 1976, c’est la tentative de formaliser un programme. Naturellement, sans le maoïsme, les limites vont être patentes. Voici comment la CFDT de 1976 présente la situation.

« 203. La société capitaliste est un ensemble social fondé sur l’exploitation, l’aliénation et la domination des travailleurs. Elle comporte :

• une organisation économique liant indissolublement et conflictuellement la propriété privée des moyens de production et le salariat ;

• une organisation sociale perpétuant des rapports hiérarchiques et inégalitaire ;

• une idéologie, ciment du système, conditionnant les individus pour assurer le pouvoir de la classe dominante.

204. Ces trois éléments sont interdépendants et inséparables dans le fonctionnement de la société capitaliste. L’un d’entre eux peul être dominant pendant une période, aucun ne l’est de manière permanente.

205. Dans cet ensemble, l’Etat, à la fois administration, institution et appareil de répression, reflète les conflits et les luttes dans la société et s’attache à les neutraliser pour maintenir la prédominance de la classe au pouvoir, dont il est de fait l’instrument.

206. Cette société est marquée structurellement par la lutte de classe entre les tenants du système et ceux qui, exploités., domines, aliénés, le contestent et oeuvrent par leurs luttes à la construction du socialisme (…).

244. Dans ce processus, les luttes sociales sont le moteur essentiel de la transformation sociale, un facteur déterminant pour modifier les structures économiques, les rapports de production et rapports sociaux, conquérir le pouvoir politique.

La CFDT entend faire ainsi de la période actuelle de lutte anti-capitaliste une période de préparation du passage au socialisme en développant une action de masse et de classe :

245. – permettant des amélioration immédiates de la situation des travailleurs ;

– favorisant à travers la responsabilité collective, la prise de conscience par les travailleurs de la nécessité et de la possibilité du socialisme autogestionnaire ;

– préparant les travailleurs à exercer collectivement leurs responsabilités sans que leur pouvoir soit confisqué par une bureaucratie ou une technocratie qui gouvernerait en leur nom. »

Et voici ce que la CFDT de 1976 considère comme objectifs de transformation :

« • Socialisation des principaux moyens de production, d’échange et de communication (établissements de crédit, groupes industriels dominants, secteurs technologiquement stratégiques, grands moyens d’information et de culture) (…)

• Maîtrise et transformation du type de développement économique et social par la planification démocratique. (…)

• Définition de nouveaux droits et Instauration de nouveaux rapports sociaux dans l’entreprise et les institutions sociales, permettant de progresser vers l’autogestion (extension du pouvoir syndical, droit du travail facteur d’égalité et de modification des rapports sociaux, remise en cause des structures hiérarchiques, modification de l’organisation du travail remettant en cause la division sociale et technique du travail, la séparation entre conception et exécution, travail manuel et travail intellectuel, commandement et exécution, etc. ainsi que la nature de la production).

• Instauration de nouveaux droits pour l’ensemble des catégories sociales victimes de discriminations tenant à leur race, à leur sexe, à leur âge.

• Socialisation et autogestion des moyens d’information et de formation. L’information et la formation (école, éducation permanente) doivent être des facteurs d’égalité et de liberté.

• Décentralisation des pouvoirs de l’Etat et remise en cause de sa fonction répressive, création d’instances poli- tiques régionales.

• Mise en œuvre d’une politique internationale fondée sur la coopération et le développement du socialisme. »

On est ici dans une incapacité de réaliser le saut au maoïsme, de formaliser de manière syndicale un programme dont la dimension révolutionnaire est typique d’un Parti révolutionnaire.

Le congrès de 1976 exprime ainsi que la CFDT se heurte à un mur et le choc se produit en deux temps.

Il y a d’abord la base qui ne peut certainement pas assumer tout cela et qui commence à se désengager. Ainsi, la résolution générale n’obtient que par 15 833 mandats (66,04 %), faisant face à un rejet de la part de 5 127 mandats (21,38 %) et une puissante abstention avec 3 017 mandats (12,58 %).

Ensuite, le dirigeant Edmond Maire va procéder à une restauration généralisée des positions à l’avant-Mai 68.

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La CFDT en 1973 et le maoïsme

Les thèses du congrès de la CFDT de 1973 ont une grande importance dans le domaine des idées. Elles sont idéologiquement très pointues, bien trop pour que la base CFDT puisse ne serait-ce que les approcher.

Il suffit d’ailleurs de voir qu’au début des années 1970, la CFDT dispose d’autour de 700 000 membres, alors que son Magazine n’est publié qu’à 127 000 exemplaires, un chiffre très faible, et son hebdo à 30 500 exemplaires.

On a clairement affaire à des écrits réalisés par un état-major disposant d’une base de masse et profitant d’un système de pensée et d’observation de la société française. Sauf que cet état-major, porté par Mai 1968, ne dispose pas des outils intellectuels pour comprendre son propre discours.

Il est en effet absolument évident que les thèses du congrès correspondent entièrement à la démarche qu’on trouve en Chine parallèlement avec la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, depuis 1966.

La lutte des classes est ainsi définie non pas selon un prisme économiste, mais bien en prenant en compte le 24 heures sur 24 du capitalisme développé.

« La lutte de classe est une réalité centrale de la société capitaliste.

Elle se manifeste dans trois dimensions à la fois :

dimension économique (salaires, emploi, conditions de travail) ;

dimension sociale (remise en cause de l’autorité patronale et de la hiérarchie, suppression de la condition salariale) ;

dimension idéologique (contestation du caractère soi-disant neutre et scientifique du développement capitaliste, remise en cause de l’idéologie dominante).

Ces trois dimensions de la lutte de classe sont liées dans la mesure où, la société capitaliste est à la fois un système économique, un mode d’organisation des rapports sociaux et une idéologie.

Ce qui se manifeste actuellement de plus en plus nettement, c’est que la lutte de classe ne se limite plus à l’entreprise, elle s’étend aussi hors de l’entreprise.

Ceci s’explique par le fait que le capitalisme en se développant est conduit à intervenir dans tous les aspects de la vie sociale (loisirs, urbanisme, transports, culture, etc …) dans le but :

– de les modeler pour reproduire hors de l’entreprise le type de rapports sociaux hiérarchiques et inégalitaires nécessaires au maintien de l’exploitation.

– d’étendre les relations marchandes en suscitant de nouveaux besoins pour constituer de nouveaux marchés.

Cette extension du champ de l’exploitation et de la domination des êtres humains ne réduit pas l’importance de la lutte sur les lieux de travail.

Mais elle ouvre de nouveaux terrains à la lutte de classe et oblige à une réflexion sur des concepts jusqu’alors tenus pour acquis. »

Ce qui est donc frappant, c’est le rejet de la position révisionniste du PCF qui entend simplement prendre les commandes de l’État. Les thèses de la CFDT soulignent que l’État est en relation avec les rapports sociaux, qu’il ne flotte pas au-dessus de la réalité.

Cette juste critique est impressionnante, car elle ne profite pas du maoïsme comme idéologie, tout en y parvenant par la dignité du réel ; malheureusement et évidemment, la CFDT envisage comme solution la décentralisation de l’État, une sorte de dissolution de type anarchiste.

« La C.F.D.T. entend modifier la nature de l’Etat, notamment en décentralisant les centres de pouvoir.

Comme l’Etat n’est pas un appareil neutre manipulé par des gens qui, eux, évidemment, ne sont pas neutres, il ne suffit pas d’un changement de direction politique (le gouvernement et le Président) pour changer l’Etat.

Il ne s’agit pas seulement de « nationaliser » un Etat qui aurait été confisqué par un petit groupe, ou d’utiliser autrement un appareil d’Etat qui resterait inchangé : il faut modifier sa nature.

C’est pour cela, notamment, que la C.F.D.T. s’oppose aux thèses du P.C. sur le capitalisme monopoliste d’Etat. Cette thèse avance que l’Etat a été confisqué au seul profit des grands monopoles, et que leur nationalisation suffira à en changer la nature dans le sens souhaité.

Elle oublie que la forme de l’Etat est liée aux rapports sociaux dans leur ensemble, qui incluent les conflits à. l’intérieur de la classe dominante et le jeu d’ensemble du rapport des forces dans la société.

Elle tend à faire croire faussement qu’il est un appareil neutre, qu’un groupe au pouvoir pourrait faire fonctionner différemment sans le modifier.

Si la thèse du capitalisme monopoliste d’Etat est erronée, c’est qu’elle se fonde sur une analyse trop partielle des rapports sociaux dans leur ensemble, mettant d’un côté les grands monopoles et de l’autre la classe ouvrière entourée d’une cohorte hétéroclite « d’alliés ».

La réalité sociale est plus complexe, la réalité de l’Etat est donc plus complexe aussi. »

Si on veut comprendre le sens de ce paradoxe d’une CFDT de 1974 exprimant les thèses du maoïsme, il faut se tourner vers la critique romantique du capitalisme porté par le catholicisme, qui portait une grande attention aux mentalités, à la technique, à l’esprit du travail, à la division du travail.

La Grande Révolution Culturelle Prolétarienne a porté une grande attention à ces thèmes, dans le cadre de la remise en cause de la division entre travail manuel et travail intellectuel. Voici ce que dit la CFDT en 1973 :

« Décentralisation et démocratisation des pouvoirs

a) Le développement technique n’est pas neutre, Il est lié aux rapports sociaux existants.

La technique a aujourd’hui pour but premier de permettre la valorisation du capital, de développer sa rentabilité. Les machines sont d’abord conçues en fonction du profit et non pas des travailleurs qui les utilisent.

L’exemple des chaînes dans l’automobile ou l’électronique montre clairement que le choix des techniques de production est profondément lié à une certaine division sociale du travail.

La révolte des O.S. [ouvriers spécialisés, sans qualification professionnelle et exécutant des tâches répétitives] remet à la fois en cause la division technique et la division sociale du travail.

Si la science peut être considérée comme neutre, ce n’est souvent qu’au niveau abstrait et très global de la recherche fondamentale. Le plus souvent la recherche s’effectue en fonction de problèmes posés à résoudre.

Mais quelles sont les questions prioritaires que la science s’attache aujourd’hui à travailler ?

Ce qui est alors en cause, ce sont les orientations et les modalités de la recherche. On peut se demander par exemple, si l’ergonomie et la médecine du travail ont aujourd’hui une place suffisante.

Il est de plus certain, pour reprendre cet exemple de la médecine du travail, que la recherche prend un sens différent selon que les médecins connaissent ou non les conditions très concrètes de travail.

Ainsi, si la science est neutre, l’orientation de la recherche scientifique, qui est dépendante de choix globaux et des questions concrètes qui sont posées aux chercheurs, ne l’est pas.

Il s’agira donc pour nous non pas de nier le rôle de la science et de la technique, mais de remettre en cause le choix de certaines techniques de production, de contester certaines orientations globales de l’effort de recherche, d’insister sur les préoccupations avec lesquelles doivent travailler les chercheurs. »

Partant de là, la CFDT de 1973 remet en cause la fascination passive pour les forces productives, comprenant que des choix idéologiques sont à faire lorsqu’on décide de la production.

Voici ce que dit la CFDT de 1973 :

« Par bien des aspects, la préparation du VIe Plan a constitué en France un moment de clarification.

Le Plan est nettement apparu comme un simple encadrement du développement capitaliste : les espoirs ou les velléités manifestés lors des précédents Plans pour infléchir le développement capitaliste spontané se sont définitivement effondrés.

La C.F.D.T. a alors été la seule organisation syndicale à contester le type de croissance capitaliste proprement dit et pas seulement la répartition des fruits de cette croissance. Par delà les problèmes de partage ou de distribution du « gâteau », c’était en effet, radicalement, le type de société qui était en cause.

Cette contestation « explosive » de la société capitaliste avait alors été accueillie, de divers côtés, par un scepticisme affiché quand il ne s’agissait pas de ricanements impuissants.

Deux années plus tard, la croissance se trouve mise en accusation de diverses manières : travaux du Club de Rome (à partir du rapport de l’Institut de technologie du Massachusetts,) lettre de [Sicco] Mansholt [travailliste néerlandais proposant la décroissance], colloques divers, actions militantes qui se développent sur le cadre de vie (urbanisme, transports).

La croissance et l’environnement sont en passe de devenir des thèmes « tarte à la crème » que tout le monde agite, mais qui sont rarement analysés vraiment sur le fond.

La position de la C.F.D.T., face à ce déferlement de discussions, reste claire : il faut mettre en cause la croissance capitaliste.

Contester le capitalisme, ce n’est pas simplement critiquer la répartition qu’il de la croissance, c’est aussi mettre en lumière les incohérences d’un développement qui privilégie toujours le produit individuel de consommation par rapport aux équipements et services collectifs. »

L’insistance sur la modification des mentalités, alors que la société de consommation envahit les démarches de manière systématique, est particulièrement forte.

« La croissance comme but de l’économie marchande, l’idéologie de la consommation – obsession, la consommation des seuls objets rentables comme finalité, non seulement ne répondent pas à l’aspiration des êtres humains mais ne peuvent même plus être poursuivis sans conduire le monde à la catastrophe.

Dans le capitalisme, c’est donc une conception totalement fausse et abstraite de l’efficacité qui domine. Il peut être rentable de détruire l’équilibre naturel d’une région si l’entreprise ne paie pas le coût des nuisances; une nouvelle machine peut être rentable même si elle aggrave la tension nerveuse des travailleurs, dans la mesure où la santé n’est pas un but de l’entreprise, etc.

Pour la C.F.D.T. il est donc clair que c’est la logique du capital, la mesure « très spéciale » que le capitalisme fait de l’efficacité, qui doit être contestée d’abord.

C’est pourquoi il faut remettre en cause le profit en tant que critère principal des choix économiques et non seulement dans son utilisation.

Ce n’est pas avec les outils faussés de la société capitaliste que l’on peut construire le socialisme.

Si le capitalisme s’appuie d’abord sur les groupes sociaux qui profitent de ce fonctionnement de la société, il doit aussi de plus en plus compter sur un appui idéologique.

Il s’agit de faire reconnaître comme universellement valable ce qui n’est qu’une caractéristique de la société capitaliste.

Ainsi, dans le langage courant, il est clair pour tout le monde qu’une affaire rentable est celle qui rapporte de l’argent et non pas celle qui rend un service maximum pour un coût :social minimum.

Tout changement de la société qui n’opère pas à ce niveau un bouleversement culturel et idéologique risque donc de reproduire une société du même type, même si la répartition des revenus se modifie.

C’est pourquoi la C.F.D.T. refuse par delà le capitalisme toute société de type productiviste.

L’expérience de nombreux pays étrangers montre que cette précision dans l’analyse n’est pas inutile : la glorification de la production pour la production dans les pays de l’Est conduit souvent à restaurer, même si les modalités changent, une dictature d’objectifs faisant abstraction d’un certain nombre de besoins déterminants pour l’épanouissement des travailleurs. »

On a ainsi une résolution sur la lutte de classe où la CFDT de 1973 explique que la lutte de classe ne se résume pas du tout à l’entreprise, qu’il faut envisager les rapports de production, et même les rapports sociaux !

« 30) La société capitaliste est marquée par la lutte de classe entre les tenants de ce système et ceux qui, exploités, dominés, aliénés, le contestent et ont intérêt à la construction du socialisme. Sur les intérêts et les objectifs que s’est fixés la classe ouvrière, d’autres couches sociales peuvent s’engager dans un processus de renversement du capitalisme.

31) Si la réalité de la lutte de classe est le plus vivement vécue sur les lieur. de travail, elle s’exprime largement en dehors de l’entreprise dans la mesure où la logique du développement du capitalisme le conduit à intervenir dans tous les aspects de la vie sociale (loisirs. urbanisme, culture, transports, etc.). La lutte de classe manifeste des intérêts et des projets antagonistes, c’est-à-dire inconciliables.

32) Pour la C.F.D.T., engagée dans cette lutte, les clivages s’opèrent non seulement à partir des rapports de production, mais aussi des rapports sociaux et de l’ensemble des luttes contre le capitalisme.

33) La conscience de classe est indispensable à la destruction du capitalisme. Elle se forge à partir d’une réalité vécue. d’une situation concrète et de luttes communes pour la réalisation d’un projet socialiste. C’est donc la capacité de se mobiliser durablement et solidairement pour des changements fondamentaux qui définit la nature et les contours du rassemblement des forces anticapitalistes.

34) La C.F.D.T. contribue dans l’action à dégager les conditions d’un rassemblement de classe, autour d’un projet socialiste, de tous ceux qui, exploités, dominés, aliénés, peuvent et doivent se rassembler pou, le socialisme démocratique. »

On a ici une réflexion sur le capitalisme développé qu’on ne retrouve que chez le Collectif Prolétaire Métropolitain italien, qui donnera les Brigades Rouges.

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Le style CFDT « alternatif » : l’autogestion

Les événements de Mai 1968 vont pousser la CFDT à adopter un discours plus « radical », dont l’arrière-plan n’est pas tant l’acquisition de principes « révolutionnaires » que la nécessité d’avoir une contre-proposition au gaullisme.

Ainsi, le 16 mai 1968, le Bureau Confédéral de la CFDT avait-il lancé le mot d’ordre :

« A la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures démocratiques à base d’autogestion. »

L’humanisme-existentialisme de la CFDT va alors se transformer, en apparence, en revendications socialistes, sous l’impulsion d’un « groupe de synthèse » mis en place par la direction.

On a ainsi en 1969 les exigences suivantes :

– la démocratisation des moyens d’information (à une époque où l’ORTF étatique prédomine ;

– une planification démocratique (en écho au « plan » gaulliste) ;

– un véritable pouvoir syndical dans les entreprises (par opposition à la prime d’intéressement promue par le gaullisme) ;

– une démocratisation de la gestion des entreprises appartenant à l’État (à l’opposé du régime gaulliste à ce niveau) ;

– une nationalisation des entreprises dominantes et des secteurs-clefs de l’économie.

Ce dernier point est naturellement le plus « radical ». Il tranche avec ce qui était demandé auparavant, où les nationalisations n’étaient que conçues que comme éventuelles et comme support à une orientation « meilleure » de l’investissement.

Le manifeste aux travailleurs adoptés par le Congrès de 1963 disait ainsi que :

« La C.F.T.C. rappelle solennellement que lorsqu’elle a proposé une « planification démocratique» elle affirmait que cette organisation de l’économie au service des besoins du peuple supposait une nationalisation totale du système bancaire et de crédit.

Elle opposait au capitalisme moderne — sous quelque forme de planification qu’il se dissimule — une économie socialisée où la fonction d’investissement deviendrait une responsabilité publique, y compris par d’éventuelles nationalisations des secteurs-clés de l’économie. »

Désormais, on passe à autre chose : à la suite de Mai 1968, la CFDT assume de remettre en cause la propriété privée des moyens de production.

Cependant, ce n’est pas au nom des classes, mais toujours de l’Homme : on ne sort pas du fond humaniste-existentialiste. L’objectif, c’est la « propriété sociale des moyens de production » et la CFDT insiste sur le mot « social », soulignant qu’il peut y avoir énormément des formes possibles.

Il y a en fait une sorte d’assimilation-élargissement l’un à l’autre des concepts de démocratie et d’autogestion.

Inévitablement, une précision fut nécessaire et l’autogestion fut le thème d’une conférence dans la petite ville normande de Bierville, où est basé un centre de formation de la CFDT, les 7 et 8 décembre 1968.

Elle rassembla, sous le titre « Pour des structures démocratiques à base d’autogestion dans l’entreprise », les cadres présents dans les entreprises les plus marquées par les événements de Mai 1968.

L’autogestion est alors présentée par la CFDT comme une alternative tant au néocapitalisme qu’à la technocratie. Par « néocapitalisme », la CFDT reprend un concept développé par certains économistes, trotskistes, notamment ; le capitalisme serait devenu subordonné aux « décideurs » des entreprises et non plus à la bourgeoisie.

Par technocratie, la CFDT désigne le socialisme étatique, considéré comme bureaucratique. L’autogestion est vue comme une troisième voie, la seule démocratique.

La CFDT met par conséquent en avant la mobilisation des travailleurs pour en quelque sorte prendre les choses en main, pour assumer les choix dans la société.

On comprend ici que la CFDT puisse, au moment de son congrès fondateur, dénoncer le Parti communiste français comme « peu dynamique et peu imaginatif », et que c’est encore plus vrai après Mai 1968.

La CFDT a pris en compte les profondes modifications de la société française, ayant compris que le modèle américain l’emportait – à ceci près que la CFDT accepte ces modifications, en voulant composer avec elles.

Elle ne veut d’ailleurs pas d’autogestion généralisée car cela présupposerait une révolution et donc une dictature ; elle dit bien en 1970, année du 35e congrès qui officialise les thèses de l’autogestion, qu’il s’agit d’abord de commencer l’autogestion dans les entreprises clefs du secteur nationalisé, et de convaincre ensuite la majorité de la population.

La CFDT est certaine de gagner, en raison de la modernité triomphante, une modernité que le PCF ne constate pas du tout, maintenant son discours misérabiliste sur le paupérisme absolu.

On parle pourtant de gens de la même génération : à son 33e congrès en 1965, la moyenne d’âge des délégués de la CFDT est de 38 ans, soit pareil qu’à la CGT.

Mais là où la CGT a une hégémonie ouvrière, avec des ouvriers s’alignant sur un Parti communiste français devenu révisionniste, rabougri intellectuellement, avec des ouvriers accédant à la propriété et se repliant sur eux-mêmes dans leurs municipalités, la CFDT a une hégémonie de cadres, techniciens et employés, tournés vers le changement et la modernité.

D’où la célébration du « pluralisme des modes de vie », suivant le modèle américain.

Et si l’on regarde bien, l’autogestion est avant tout un masque. Chez le PCF, qui met également au même moment en avant l’autogestion contre le « capitalisme monopoliste d’État, c’est le masque d’un changement de pouvoir dans un sens favorable au social-impérialisme soviétique.

Chez la CFDT, l’autogestion est le masque de la négociation systématisée et à tous les niveaux. Ce que veut la CFDT, c’est que le syndicat joue un rôle sur tous les tableaux, qu’il soit incontournable.

Elle mobilise sur le mythe d’un socialisme démocratique, afin de mieux s’implanter. Ce qu’elle dit en 1970 le montre très bien :

« La négociation est un aspect essentiel de la lutte pour la démocratisation.

Lorsque la négociation est l’aboutissement d’une action menée par les travailleurs sur des objectifs auxquels ils adhèrent pleinement, elle est manifestation d’un rapport de forces et traduction de ce rapport de forces dans les relations entre les travailleurs et l’entreprise.

C’est un moment privilégié pendant lequel sont conquises de nouvelles libertés et s’affirme le pouvoir syndical face à celui de l’entreprise capitaliste. C’est aussi un moment important pour la syndicalisation des travailleurs.

Une articulation doit être recherchée entre les différents niveaux de négociation à deux points de vue différents : la négociation de caractère national, régional ou local doit se prolonger par une négociation au plan de l’entreprise, aider la négociation dans l’entre-prise et non pas la supprimer.

De même la négociation au plan national ou régional ou local ne doit pas déporter la négociation des problèmes au plan de l’entreprise sur d’autres institutions que le syndicat et, par exemple, sur le comité d’entreprise.

L’articulation des négociations doit donc valoriser la négociation au plan de l’entreprise et non pas en faire disparaître les raisons d’être.

L’accord d’entreprise, complément de la Convention Collective, doit se généraliser et garantir bien des aspects du contrat de travail qui ne peuvent être valablement régis à l’extérieur de l’entreprise.

Pour cela, le contenu de ces accords doit porter non seulement sur la structure et le taux des salaires réels, sur la durée du travail, sur les garanties collectives, mais aussi sur les règles générales du contrat de travail : critères d’embauche, de licenciement, principes en matières de formation professionnelle…

Le rôle du syndicat trop limité actuellement à quelques aspects – collectifs – du contrat de travail, doit s’étendre à l’ensemble du contenu de celui-ci, à tous les aspects de la condition salariale.

Il s’agit là en fait de revaloriser l’action syndicale en faisant des problèmes les plus immédiatement ressentis par les salariés, les objectifs de notre action revendicative quotidienne (…).

Le système économique capitaliste, obstacle essentiel par ses fondements juridiques et de classe à une démocratisation des décisions majeures, doit être enserré, peu à peu, dans la contrainte de la force collective des travailleurs.

Si l’autogestion et la planification démocratique dépendent de conditions politiques, elles dépendent aussi et d’abord de cette volonté révolutionnaire de démocratie dans l’entreprise, base première de l’action syndicale. »

C’est là une sorte de conquête du capitalisme par la démocratisation. Le grand symbole, c’est Lip. L’usine de montres Lip devant être liquidée, les travailleurs décident d’en prendre le contrôle, avec comme base syndicale une majorité CFDT. Ils organisent la production et mettent en place un système de vente, qui périclitera rapidement, jusqu’à la faillite en 1977.

Les limites de cette démocratisation sont évidentes ; dans le contexte capitaliste, il n’y a pas d’espace. Se produit alors un grand paradoxe : dans les années 1970, la CFDT va associer à cette démarche réformiste-moderniste une dénonciation virulente du capitalisme développé et son élargissement à la vie quotidienne, dont les fondements sont extrêmement proches du maoïsme.

Pour compenser les blocages particuliers, la CFDT va généraliser sa critique générale, faisant de la CFDT le cœur d’un projet à portée révolutionnaire.

Il y a ici un rendez-vous historique raté, qui surprend immanquablement tous les historiens bourgeois qui, bien entendu, ne voient pas cette dimension. Ils constatent avec étonnement que la CFDT est passé du catholicisme à un discours radical, pour ensuite devenir entièrement conformiste, sans saisir la nature du processus.

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La CFDT en tandem avec la CGT et Mai 1968

Dès sa fondation, la CFDT maintient évidemment la ligne de l’unité d’action avec la CGT.

Le 10 janvier 1966 est signé un accord CGT-CFDT ; en pratique, le contenu de l’accord tient surtout du programme revendicatif de la CFDT élaboré en avril 1965. Les deux pensent être gagnants, pour les raisons suivantes.

Pour la CGT, il s’agit de renforcer l’agitation sociale ; à l’arrière-plan, il y a son parti politique, le Parti communiste français, même si officiellement c’est la CGT qui est la courroie de transmission du Parti communiste français.

Pour la CFDT, il y a les moyens de davantage se faire connaître, surtout depuis la transformation de la CFTC en CFDT, et de davantage s’ancrer dans les « réformes de structure ». La CFDT observe avec attention les modifications sociales et économiques faites par le gaullisme, elles les considèrent comme erronées et en proposent d’autres.

C’est qu’elle propose surtout, c’est une planification démocratique, dont les principaux ressorts sont :

– une politique fiscale différente ;

– la nationalisation de la banque, du crédit, de l’industrie pharmaceutique, du pétrole, des télécommunications ;

– la mise en place d’organismes politiques régionales aux pouvoirs étendus pour jouer sur l’économie.

Tout cela relève de la « planification démocratique », et on voit aux exigences qu’il faut comprendre comme une sorte de « démocratie planificatrice ». C’est pourquoi la CFDT ne cesse d’appuyer la construction européenne, qu’elle voit comme un vecteur de démocratisation, la démocratisation permettant des orientations nouvelles.

La ligne est totalement distincte de celle de la CGT qui veut renverser le gaullisme, gaullisme que la CFDT veut contourner avec la construction européenne.

En pratique, si on regarde les implications, on peut dire que la CGT est alignée sur la superpuissance sociale-impérialiste soviétique et la CFDT sur la superpuissance impérialiste américaine.

L’opposition commune au gaullisme les amène pourtant à agir ensemble et l’année 1966 prolonge de manière approfondie la liaison CGT-CFDT.

Le travail en commun se généralise à la base avec de multiples grèves, alors qu’une manifestation commune a lieu le 15 mars devant le siège à Paris du syndicat patronal, le CNPF, puis un meeting commun au mois de mai.

Une déclaration commune CGT-CFDT est réalisée en août 1967 ; lorsque la CFDT tient son 34e congrès en novembre 1967, le bilan est considéré comme positif : « l’unité d’action » fonctionne, l’unité n’est que tactique et la CFDT continue de progresser.

Mais, en même temps, la CFDT refuse de s’aligner sur la CGT qui soutient le rapprochement entre les socialistes et le PCF, au nom du refus de la politique. Elle joue ainsi un rôle majeur dans l’apolitisme du côté des travailleurs.

Le schéma se répète à l’occasion de Mai 1968. Le mouvement étudiant possédait une véritable charge révolutionnaire, ce que la CFDT refuse. Aussi s’aligne-t-elle sur la CGT, farouchement opposé au mouvement, pour la grève et la manifestation du 13 mai 1968, réalisée avec l’UNEF, et où se rassemblent un million de personnes.

La CFDT se contente de parler de « revendications » et de « démocratie sociale, économique et politique » ; son discours est celui d’un existentialisme chrétien. On lit ainsi dans la revue Syndicalisme CFDT :

« Quand les jeunes réclament – avec des méthodes qui peuvent être maladroites, anarchiques, choquantes quelques fois pour des « adultes », mais cela ne change rien au problème de fond – un nouveau style de relations entre maîtres et élèves, la participation des étudiants à l’organisation et à la vie des facultés, à l’élaboration des programmes, ils s’inscrivent très exactement dans le combat fondamental que les travailleurs mènent de leur côté pour mettre en cause le pouvoir capitaliste dans l’entreprise, dans l’économie, dans la nation, le combat pour une démocratie réelle, qui assure à tous les niveaux de la société la participation des hommes. »

Cette conception de la « participation » des hommes aux différents aspects de la société est exemplaire de l’existentialisme chrétien et de la notion d’autogestion, qui s’associe à une lecture petite-bourgeoise anarchisante de ce qu’est l’État et de ce que sont les structures sociales.

De ce fait, la CFDT n’appellera pas, pas plus que la CGT, à la grève générale durant les événements de mai et juin 1968. Sa ligne se résume parfaitement avec ce qu’on lit dans son communiqué du 16 mai 1968 :

« La CFDT dont l’action est déterminée par la volonté d’associer le plus largement possible les travailleurs aux décisions qui les concernent, les appelle aujourd’hui à discuter, à s’organiser et à agir sur tous les lieux de travail (…).

La lutte des étudiants pour la démocratisation des universités est de même nature que celle des travailleurs pour la démocratisation des entreprises.

A la monarchie industrielle et administrative, il faut substituer des structures administratives à base d’autogestion… L’extension des libertés syndicales, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, la garantie de l’emploi, le droit des travailleurs à la gestion de l’économie et de leur entreprise doivent être affirmés avec plus de force. »

La perspective de la CFDT, c’est l’établissement de commissions de travail qui analysent les différents aspects des entreprises et œuvrent à sa « démocratisation ».

En l’absence de tout contenu, de toute ligne idéologique, cela ne fait que contribuer à la cogestion, mais cela apparaît comme ultra-démocratique de par la ligne de la CGT qui n’aborde aucun aspect de la vie quotidienne et se contente de revendications sur le pouvoir d’achat et les conditions de travail.

C’est en ce sens que le fait de coller à la CGT permet à la CFDT d’acquérir à la fois une légitimité et une dimension « moderne ».

Le processus continue bien évidemment pour cette raison lorsque, fin mai 1968, la France est paralysée par la grève. La CGT et la CFDT font un communiqué commun pour demander des négociations, ce que le gouvernement lance dans la foulée.

Ces négociations, qui commencèrent le 25 mai avec la CFDT, la CGT, la CGT-FO, la CGC, la CFTC (maintenue), la FEN, le syndicat patronal CNPF et les représentants des PME est un triomphe pour la CFDT. De syndicat chrétien à la marge du mouvement ouvrier, elle se voit obtenir une légitimité complète.

Vu de 2023 où la CFDT a dépassé la CGT en termes du nombre d’adhérents, on semble assister à un processus inéluctable où un syndicat existentialiste-moderniste « mange » littéralement un syndicat revendicatif.

D’ailleurs, lorsque l’UNEF organise un meeting au stade de Charléty à Paris le 27 mai 1968, la CFDT est de la partie et elle apparaît comme le lieu où doivent s’investir les « contestataires » liés à Mai 1968. La CFDT, avec son discours ultra-démocratique, capte toute la petite-bourgeoisie s’imaginant une force « révolutionnaire ».

Dans la foulée, la CFDT appuie alors Mendès-France, chef de file des socialistes qui se réorganisent, et demande aux travailleurs de cesser leur action en général pour se tourner vers les élections de juin 1968 (où les forces conservatrices obtiennent un succès général).

Et elle développe une nouvelle thématique, accolée à la planification démocratique : l’autogestion.

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