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  • Bergson et «L’étranger» de Camus

    Quand on lit Henri Bergson, on se dit qu’au final ses constructions n’aboutissent à rien de concret, voire de compréhensible. Quel est l’intérêt de son travail ? Eh bien son influence est en fait telle, que l’on peut dire que l’idéologie dominante en France est traversée par le bergsonisme en la plupart des points.

    La manière dont la science est considérée en France relève du bergsonisme ; on dit que les Français sont cartésiens, on devrait dire que la France relève du bergsonisme.

    Nous avons vu que, selon Henri Bergson, le cerveau est une sorte de processeur utilisant un disque dur : l’être humain est un esprit qui vit dans l’immédiat, et que dans l’immédiat. Henri Bergson dit par exemple que :

    « Bien plus : admettons un instant que le passé se survive à l’état de souvenir emmagasiné dans le cerveau. Il faudra alors que le cerveau, pour conserver le souvenir, se conserve tout au moins lui-même.

    Mais ce cerveau, en tant qu’image étendue dans l’espace, n’occupe jamais que le moment présent ; il constitue, avec tout le reste de l’univers matériel, une coupe sans cesse renouvelée du devenir universel. »

    Or, l’une des conséquences est qu’il n’y a pas de « passé » en général, mais toujours un passé en particulier. On a là une approche subjectiviste qui justement satisfait la bourgeoisie. Henri Bergson dit ainsi :

    « Mais comment le passé, qui, par hypothèse, a cessé d’être, pourrait-il par lui-même se conserver ? N’y a-t-il pas là une contradiction véritable ? – Nous répondons que la question est précisément de savoir si le passé a cessé d’exister, ou s’il a simplement cessé d’être utile.

    Vous définissez arbitrairement le présent ce qui est, alors que le présent est simplement ce qui se fait. Rien n’est moins que le moment présent, si vous entendez par là cette limite indivisible qui sépare le passé de l’avenir.

    Lorsque nous pensons ce présent comme devant être, il n’est pas encore ; et quand nous le pensons comme existant, il est déjà passé.

    Que si, au contraire, vous considérez le présent concret et réellement vécu par la conscience, on peut dire que ce présent consiste en grande partie dans le passé immédiat.

    Dans la fraction de seconde que dure la plus courte perception possible de lumière, des trillions de vibrations ont pris place, dont la première est séparée de la dernière par un intervalle énormément divisé. Votre perception, si instantanée soit-elle, consiste donc en une incalculable multitude d’éléments remémorés, et, à vrai dire, toute perception est déjà mémoire.

    Nous ne percevons, pratiquement, que le passé, le présent pur étant l’insaisissable progrès du passé rongeant l’avenir.

    La conscience éclaire donc de sa lueur, à tout moment, cette partie immédiate du passé qui, penchée sur l’avenir, travaille à le réaliser et à se l’adjoindre.

    Uniquement préoccupée de déterminer ainsi un avenir indéterminé, elle pourra répandre un peu de sa lumière sur ceux de nos états plus reculés dans le passé qui s’organiseraient utilement avec notre état présent, c’est-à-dire avec notre passé immédiat ; le reste demeure obscur.

    C’est dans cette partie éclairée de notre histoire que nous restons placés, en vertu de la loi fondamentale de la vie, qui est une loi d’action : de là la difficulté que nous éprouvons à concevoir des souvenirs qui se conserveraient dans l’ombre.

    Notre répugnance à admettre la survivance intégrale du passé tient donc à l’orientation même de notre vie psychologique, véritable déroulement d’états où nous avons intérêt à regarder ce qui se déroule, et non pas ce qui est entièrement déroulé. »

    Cela signifie que l’être humain vit dans l’intuition. Il n’y a pas de synthèse entre les sensations et le cerveau, et l’être humain n’est ici ni ses sensations, ni le « disque dur », il est esprit. On a là la même vision que René Descartes, et précisément ce qu’on pourrait définir comme la « philosophie française ».

    On ne saurait comprendre l’existentialisme, Jean-Paul Sartre, Albert Camus ou encore la « déconstruction » sans voir que cela prolonge Henri Bergson et son être à mi-chemin. Voici ce que dit Henri Bergson :

    « Il n’y a pas, chez l’homme au moins, d’état purement sensori-moteur, pas plus qu’il n’y a chez lui de vie imaginative sans un substratum d’activité vague. Notre vie psychologique normale oscille, disions-nous, entre ces deux extrémités. »

    Si l’on lit L’étranger de Albert Camus (ou encore La peste ou La chute), on retrouve cette même problématique : l’être humain ne devrait tomber ni purement dans les sens, ni totalement dans sa vie imaginative, et le personnage principal de L’étranger semble précisément tomber dans les deux, au lieu d’être un esprit qui « choisit », d’avoir un « esprit ».

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  • Bergson : mémoires vive et morte

    Henri Bergson considère en pratique le corps humain à peu près comme on conçoit un ordinateur personnel aujourd’hui. Dans ce dernier cas, il y a trois éléments : la mémoire vive qui consiste grosso modo en la capacité de calcul de mémorisation de l’ordinateur lors de ses activités, cette mémoire s’effaçant quand on l’éteint.

    Il y a ensuite la mémoire morte, contenant les données de démarrage de l’ordinateur (aujourd’hui on peut réécrire ces données donc la mémoire n’est plus vraiment « morte »). Et enfin, il y a le disque dur qui stocke les données.

    Il y a bien entendu tout le reste, avec notamment la carte-mère, le processeur, etc : c’est ce qui est en quelque sorte pour Henri Bergson l’esprit.

    L’esprit « tourne » tel un ordinateur ; il reçoit des informations de l’extérieur, par la mémoire vive (qui sont les sens) et lui-même a une mémoire morte qui tourne en arrière-plan. Comme on le sait, les ordinateurs ne « pensent » pas d’eux-mêmes : cette mémoire morte n’est pas active d’elle-même.

    Les scientifiques bourgeois tentent de résoudre ce problème, qui n’a aucun sens car le principe même de mémoire morte est incohérent, anti-matérialiste.

    Mais donc Henri Bergson considère que l’humain dispose d’une « mémoire morte » active. L’être humain, ou plutôt son esprit (en quoi il consiste vraiment) a donc deux « entrées ». Voici ce que dit Henri Bergson :

    « En d’autres termes enfin, les centres où naissent les sensations élémentaires peuvent être actionnés, en quelque sorte, de deux côtés différents, par devant et par derrière.

    Par devant ils reçoivent les impressions des organes des sens et par conséquent d’un objet réel; par derrière ils subissent, d’intermédiaire en intermédiaire, l’influence d’un objet virtuel.

    Les centres d’images, s’ils existent, ne peuvent être que les organes symétriques des organes des sens par rapport à ces centres sensoriels. Ils ne sont pas plus dépositaires des souvenirs purs, c’est-à-dire des objets virtuels, que les organes des sens ne sont dépositaires des objets réels. »

    Il faut ici faire attention, car entre les mémoires morte et vive, Henri Bergson place à la fois le disque dur et l’ensemble carte-mère processeur etc. Son « coup de génie » consiste en une séparation idéaliste des deux.

    Afin de bien s’opposer au matérialisme, il précise bien qu’il y a un tri dans les informations. Voici ce qu’il dit :

    « Ce que vous avez donc à expliquer, ce n’est pas comment la perception naît, mais comment elle se limite, puisqu’elle serait, en droit, l’image du tout, et qu’elle se réduit, en fait, à ce qui vous intéresse (…).

    Il ne faut donc pas s’étonner si tout se passe comme si votre perception résultait des mouvements intérieurs du cerveau et sortait, en quelque sorte, des centres corticaux. Elle n’en saurait venir, car le cerveau est une image comme les autres, enveloppée dans la masse des autres images, et il serait absurde que le contenant sortît du contenu. »

    On a là un résultat idéaliste : l’ensemble carte-mère processeur etc. fait appel au disque dur, mais parfois il a des soucis et les informations du disque dur ne sont pas utilisables. Il n’y a donc aucun résultat de l’apport d’informations du disque dur, et donc on pense qu’il n’y a pas d’informations. En réalité, le problème tient à « l’esprit ».

    Voici comment Henri Bergson formule cela :

    « Dans les cas où la reconnaissance est attentive, c’est-à-dire où les souvenirs-images rejoignent régulièrement la perception présente, est-ce la perception qui détermine mécaniquement l’apparition des souvenirs, ou sont-ce les souvenirs qui se portent spontanément au-devant de la perception ?

    De la réponse qu’on fera à cette question dépend la nature des rapports qu’on établira entre le cerveau et la mémoire. Dans toute perception, en effet, il y a un ébranlement transmis par les nerfs aux centres perceptifs. Si la propagation de ce mouvement à d’autres centres corticaux avait pour réel effet d’y faire surgir des images, on pourrait soutenir, à la rigueur, que la mémoire n’est qu’une fonction du cerveau.

    Mais si nous établissions qu’ici, comme ailleurs, le mouvement ne peut produire que du mouvement, que le rôle de l’ébranlement perceptif est simplement d’imprimer au corps une certaine attitude où les souvenirs viennent s’insérer, alors, tout l’effet des ébranlements matériels étant épuisé dans ce travail d’adaptation motrice, il faudrait chercher le souvenir ailleurs.

    Dans la première hypothèse, les troubles de la mémoire occasionnés par une lésion cérébrale viendraient de ce que les souvenirs occupaient la région lésée et ont été détruits avec elle. Dans la seconde, au contraire, ces lésions intéresseraient notre action naissante ou possible, mais notre action seulement.

    Tantôt elles empêcheraient le corps de prendre, en face d’un objet, l’attitude appropriée au rappel de l’image : tantôt elles couperaient à ce souvenir ses attaches avec la réalité présente, c’est-à-dire que, supprimant la dernière phase de la réalisation du souvenir, supprimant la phase de l’action, elles empêcheraient par là aussi le souvenir de s’actualiser.

    Mais, pas plus dans un cas que dans l’autre, une lésion cérébrale ne détruirait véritablement des souvenirs. Cette seconde hypothèse sera la nôtre. »

    C’est une conception idéaliste du cerveau. Afin de maintenir la fiction de l’être humain qui « pense », afin de combattre tant Aristote, Avicenne, Averroès que Denis Diderot et Baruch Spinoza, sans parler de Karl Marx et Friedrich Engels, Henri Bergson a été obligé de construire tout un système où la pensée n’est jamais le reflet de la réalité, mais une utilisation personnelle d’informations d’un « disque dur » issue d’une mémoire vive et façonnée selon une « mémoire morte ».

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  • Bergson et le «bureau téléphonique central»

    Tout cela n’aurait rien d’original, si Henri Bergson n’était pas en mesure de dresser le constat, soi-disant, comme quoi l’intuition est précisément ce qui caractérise la nature humaine. Car c’est bien là la conclusion logique de son double refus de « l’idéalisme » et du « réalisme ».

    Henri Bergson compare, en effet, le cerveau à un bureau téléphonique central, qui à l’époque consistait en une personne déplaçant des câbles pour les placer de telle manière que deux personnes puissent se parler au téléphone.

    Un standard téléphonique en 1967

    Il rejette l’idéalisme, en disant que le cerveau ne peut pas « créer » de représentations, d’images. Mais en même temps, il rejette que la conscience ne soit que le reflet de la réalité, de ces « images ».

    Alors, précisément comme dans l’existentialisme de Jean-Paul Sartre, il y le primat de « l’action ». L’être humain est placé dans des situations où il doit « réagir ». Chez Jean-Paul Sartre, cela passe par la volonté, la morale, etc., chez Henri Bergson qui en est une version « droitière », cela passe par l’intuition.

    L’être humain « enregistre » des images, qui le font réagir. Voici comment il formule cela :

    « C’est dire que le système nerveux n’a rien d’un appareil qui servirait à fabriquer ou même à préparer des représentations.

    Il a pour fonction de recevoir des excitations, de monter des appareils moteurs, et de présenter le plus grand nombre possible de ces appareils à une excitation donnée.

    Plus il se développe, plus nombreux et plus éloignés deviennent les points de l’espace qu’il met en rapport avec des mécanismes moteurs toujours plus complexes : ainsi grandit la latitude qu’il laisse à notre action, et en cela consiste justement sa perfection croissante.

    Mais si le système nerveux est construit, d’un bout à l’autre de la série animale, en vue d’une action de moins en moins nécessaire, ne faut-il pas penser que la perception, dont le progrès se règle sur le sien, est tout entière orientée, elle aussi, vers l’action, non vers la connaissance pure ?

    Et dès lors la richesse croissante de cette perception elle-même ne doit-elle pas symboliser simplement la part croissante d’indétermination laissée au choix de l’être vivant dans sa conduite vis-à-vis des choses ? »

    Cela signifie que la connaissance ne peut être que relative. Nous ne pouvons connaître que ce qui correspond à notre activité possible. L’humanité consiste ici en une sorte de caisse de résonance, incapable de science générale, ne pouvant connaître que les actions correspondant à des « ébranlements » provoqués par la perception.

    Un être humain est ici un automate qui ressent, et dont l’action répond à ce qui est ressenti. Henri Bergson résume ce point de la manière suivante :

    « La réalité de la matière consiste dans la totalité de ses éléments et de leurs actions de tout genre. Notre représentation de la matière est la mesure de notre action possible sur les corps; elle résulte de l’élimination de ce qui n’intéresse pas nos besoins et plus généralement nos fonctions. »

    De là vient l’esprit, de là vient la dimension « individuelle » selon Henri Bergson. Un esprit consiste en un « discernement » quant à une situation extrêmement précisé, propre à un ressenti particulier. C’est un éloge du subjectivisme, de la situation totalement unique à chaque individu en particulier.

    Et dans ce processus, l’humanité est présentée comme une caisse de résonance en expansion : plus elle a de perception, plus elle a les moyens d’agir. On est dans un subjectivisme vitaliste : plus il y a de vie (ici, de « perception ») plus la conscience subjective peut s’élancer dans l’action.

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  • Bergson entre «idéalisme» et «réalisme»

    Après avoir établi la base de sa position idéaliste sur la « durée » et la primauté de la conscience sur la matière, Henri Bergson tenta de systématiser son approche dans Matière et mémoire, dont le sous-titre est « essai sur la relation du corps à l’esprit », publié en 1896.

    On est là dans le refus catégorique du « monisme », du caractère uniquement matériel du monde. Dans l’avant-propos à la septième édition, les premières lignes sont d’ailleurs on ne peut plus claire :

    « Ce livre affirme la réalité de l’esprit, la réalité de la matière, et essaie de déterminer le rapport de l’un à l’autre sur un exemple précis, celui de la mémoire. Il est donc nettement dualiste. »

    Son but reste le même : comme René Descartes, il veut trouver une « troisième voie » entre ce qu’il appelle « idéalisme » et « réalisme ». Pour ce faire, Bergson attaque cette fois directement la théorie du reflet.

    Selon le matérialisme dialectique, la réalité se reflète dans la conscience, façonnant cette dernière. Henri Bergson attaque cela en disant que les images qui se reflètent dans le cerveau sont certes statiques dans la mesure où elles reflètent le réel, mais elles sont également en quelque sorte « travaillables » dans le cerveau, par ce qu’on pourrait appeler ici l’imagination. Voici ce qu’il dit :

    « Comment expliquer que ces deux systèmes coexistent, et que les mêmes images soient relativement invariables dans l’univers, infiniment variables dans la perception ?

    Le problème pendant entre le réalisme et l’idéalisme, peut-être même entre le matérialisme et le spiritualisme, se pose donc, selon nous, dans les termes suivants : D’où vient que les mêmes images peuvent entrer à la fois dans deux systèmes différents, l’un où chaque image varie pour elle-même et dans la mesure bien définie où elle subit l’action réelle des images environnantes, l’autre où toutes varient pour une seule, et dans la mesure variable où elles réfléchissent l’action possible de cette image privilégiée ? »

    Tout trouve sa source dans le fait que pour Henri Bergson, le monde est statique, ne connaissant au mieux que des rapports cause-effet qui, justement, sont étrangers au matérialisme dialectique.

    Il est alors facile pour lui d’opposer ce qui est en quelque sorte une photographie d’une réalité statique et une image qu’on pourrait dire « travaillables » dans le cerveau.

    Il prétend ainsi :

    « Le réaliste part en effet de l’univers, c’est-à-dire d’un ensemble d’images gouvernées dans leurs rapports mutuels par des lois immuables, où les effets restent proportionnés à leurs causes, et dont le caractère est de n’avoir pas de centre, toutes les images se déroulant sur un même plan qui se prolonge indéfiniment.

    Mais force lui est bien de constater qu’en outre de ce système il y a des perceptions, c’est-à-dire des systèmes où ces mêmes images sont rapportées à une seule d’entre elles, s’échelonnent autour de celle-ci sur des plans différents, et se transfigurent dans leur ensemble pour des modifications légères de cette image centrale.

    C’est de cette perception que part l’idéaliste, et dans le système d’images qu’il se donne il y a une image privilégiée, son corps, sur laquelle se règlent les autres images. »

    Or, et justement, pour le matérialisme dialectique, rien n’est statique, et il ne saurait donc y avoir la même image. D’où la thèse classique du matérialisme dialectique selon laquelle la conscience est toujours en retard dans sa saisie de la réalité.

    Le reflet se produit alors que la réalité s’est déjà relativement transformée, et qui plus est la conscience doit synthétiser ce reflet, ce qui ajoute du temps.

    Mais chez Henri Bergson, justement, le temps n’existe que dans la conscience, l’univers étant « statique » ou en tout cas mécanique.

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  • Bergson et le libre-arbitre comme intuition

    Il va de soi que l’éloge du subjectivisme va forcément de pair avec celui du libre-arbitre. C’est un élément de base du rejet du matérialisme, et a fortiori du matérialisme dialectique. Henri Bergson considère qu’il va plus loin qu’Emmanuel Kant (et donc que René Descartes) dans sa défense de ce principe.

    Il faut dire ici qu’Henri Bergson a fort à faire. D’un côté, il doit combattre le déterminisme sans jamais pour autant aborder le matérialisme dialectique (dont les principes sont bien entendu niés, comme son existence). Et de l’autre, il doit tout de même lier la conscience à la réalité pour ne pas basculer dans une abstraction mystique, métaphysique, qui n’aurait été d’aucune utilité pratique.

    Henri Bergson pave ici la voie à l’existentialisme.

    Comment s’y prend-il ? Il dit que la conscience décide dans le temps, et qu’elle amène une action dans l’espace.

    Il explique alors que la plupart des gens ne le voient pas et s’imaginent décider dans l’espace, alors que seule leur action est dans l’espace. La décision a été prise de manière libre au plus profond de la conscience (sinon la décision vient de la surface et peut être un réflexe, une habitude, etc.).

    On a là une véritable apologie de l’intuition. Car la décision n’est pas réfléchie, elle n’est pas rationnelle, c’est-à-dire pour nous selon le matérialisme dialectique : elle n’est pas synthétisée. La décision est prise, et la manière dont elle est prise – au fond d’un moi prétendument fondamental selon Henri Bergson – serait par définition libre, car relevant du temps et non de l’espace.

    Henri Bergson expose sa conception de la manière suivante :

    « Il faut chercher la liberté dans une certaine nuance ou qualité de l’action même, et non dans un rapport de cet acte avec ce qu’il n’est pas ou avec ce qu’il aurait pu être.

    Toute l’obscurité vient de ce que les uns et les autres se représentent la délibération sous forme d’oscillation dans l’espace, alors qu’elle consiste en un progrès dynamique où le moi et les motifs eux-mêmes sont dans un continuel devenir, comme de véritables êtres vivants.

    Le moi, infaillible dans ses constatations immédiates, se sent libre et le déclare ; mais dès qu’il cherche à s’expliquer sa liberté, il ne s’aperçoit plus que par une espèce de réfraction à travers l’espace. De là un symbolisme de réfraction à travers l’espace.

    De là un symbolisme de nature mécaniste, également impropre à prouver la thèse du libre arbitre, à la faire comprendre, et à la réfuter. »

    Seulement, pour justifier l’intuition, Henri Bergson doit empêcher que la conscience soit statique. Il doit présenter une conscience en mouvement ininterrompu, à travers le temps, par la durée. La liberté de la conscience doit être complète, au point que la conscience peut changer, se transformer.

    C’est elle qui décide, qui prend les choses comme elle l’entend. Le mouvement du Nouveau roman en littérature dans la France des années 1960 va précisément suivre ce fil conducteur.

    Voici comment Henri Bergson présente le jeu que fait la conscience avec les sensations:

    « Nos sensations simples, considérées à l’état naturel, offriraient moins de consistance encore.

    Telle saveur, tel parfum m’ont plu quand j’étais enfant, et me répugnent aujourd’hui. Pourtant je donne encore le même nom à la sensation éprouvée, et je parle comme si, le parfum et la saveur étant demeurés identiques, mes goûts seuls avaient changé. Je solidifie donc encore cette sensation ; et lorsque sa mobilité acquiert une telle évidence qu’il me devient impossible de la méconnaître, j’extrais cette mobilité pour lui donner un nom à part et la solidifier à son tour sous forme de goût.

    Mais en réalité il n’y a ni sensations identiques, ni goûts multiples ; car sensations et goûts m’apparaissent comme des choses dès que je les isole et que je les nomme, et il n’y a guère dans l’âme humaine que des progrès.

    Ce qu’il faut dire, c’est que toute sensation se modifie en se répétant, et que si elle ne me paraît pas changer du jour au lendemain, c’est parce que je l’aperçois maintenant à travers l’objet qui en est cause, à travers le mot qui la traduit.

    Cette influence du langage sur la sensation est plus profonde qu’on ne le pense généralement.

    Non seulement le langage nous fait croire à l’invariabilité de nos sensations, mais il nous trompera parfois sur le caractère de la sensation éprouvée.

    Ainsi, quand je mange d’un mets réputé exquis, le nom qu’il porte, gros de l’approbation qu’on lui donne, s’interpose entre ma sensation et ma conscience ; je pourrai croire que la saveur me plaît, alors qu’un léger effort d’attention me prouverait le contraire. Bref, le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal, qui emmagasine ce qu’il y a de stable, de commun et par conséquent d’impersonnel dans les impressions de l’humanité, écrase ou tout au moins recouvre les impressions délicates et fugitives de notre conscience individuelle.

    Pour lutter à armes égales, celles-ci devraient s’exprimer par des mots précis ; mais ces mots, à peine formés, se retourneraient contre la sensation qui leur donna naissance, et inventés pour témoigner que la sensation est instable, ils lui imposeraient leur propre stabilité. »

    On comprend alors ce qu’a fait Henri Bergson. Il a inversé les faits. Au lieu d’avoir une conscience reflet, il présente une conscience ayant une vie interne toute puissante et façonnant la réalité.

    Au lieu d’une réalité se transformant de manière interne éternellement à travers le temps, par la durée (des transformations) on a une réalité consistant en une accumulation de faits mécaniques.

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  • Bergson et le «moi fondamental»

    Henri Bergson s’évertue à justifier ce que René Descartes a justifié. Il parle ainsi d’un « moi fondamental », qui serait au plus profond de la conscience, formant la dimension réellement personnelle et créative alors qu’en surface on ne trouve que ce qui est réflexe, réflexions qu’il dit « solidifiées » et par conséquent codées dans le langage.

    Les mots sont considérés comme une forme insuffisante ne permettant pas de révéler la complexité de la conscience, on est plus que des mots: on touche ici la dimension anti-rationnelle typique du post-modernisme.

    Le moi, comme dans le post-modernisme, se renouvelle de manière ininterrompue: les objets sont statiques dans l’espace, même s’ils changent parfois (et jamais de manière interne, jamais qualitativement) alors que dans le temps, à travers la durée, la conscience se modifie. Henri Bergson nous dit ainsi :

    « Les éléments psychologiques, même les plus simples, ont leur personnalité et leur vie propre, pour peu qu’ils soient profonds ; ils deviennent sans cesse, et le même sentiment, par cela seul qu’il se répète, est un sentiment nouveau. »

    En surface, des gens peuvent avoir les mêmes réflexes, mais au fond, chacun est radicalement différent ; on est ici dans la réfutation de la psychologie du reflet, dans le rejet de la tradition d’Aristote, Avicenne, Averroès, ainsi bien entendu que celle du matérialisme dialectique.

    Henri Bergson fait ici office de Sigmund Freud pour la France : il invente une couche cachée dans la conscience, comme Sigmund Freud avec l’inconscient. Il prétend qu’il y a différentes couches, et que la dernière n’est pas atteinte par la réalité, qu’elle est indépendante, autonome, que rien ne saurait l’influencer.

    Le langage, la raison, etc. ne peuvent pas définir cette réalité obscure, prenant des formes infinies, et surtout personnelles. Voici ce que dit Henri Bergson : 

    « Le moi touche en effet au monde extérieur par sa surface ; et comme cette surface conserve l’empreinte des choses, il associera par contiguïté des termes qu’il aura perçus juxtaposés : c’est à des liaisons de ce genre, liaisons de sensation,- tout à fait simples et pour ainsi dire impersonnelles, que la théorie associationniste convient.

    Mais à mesure que l’on creuse au-dessous de cette surface, à mesure que le moi redevient lui-même, à mesure aussi ses états de conscience cessent de se juxtaposer pour se pénétrer, se fondre ensemble, et se teindre chacun de la coloration de tous les autres. Ainsi chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière.

    Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. »

    On a alors une sorte de prose à moitié folle sur la dimension profonde, pratiquement infinie de la conscience. On a ici un mélange de conception baroque de la vie (« la vie est un songe »), de psychologie et de psychanalyse, où les incohérences sont maquillées en créativité de la conscience, où le subjectivisme est présenté comme une expression personnelle, etc.

    Voici comment Henri Bergson formule cela:

    « Mais si, creusant au-dessous de la surface de contact entre le moi et les choses extérieures, nous pénétrons dans les profondeurs de l’intelligence organisée et vivante, nous assisterons à la superposition ou plutôt à la fusion intime de bien des idées qui, une fois dissociées, paraissent s’exclure sous forme de termes logiquement contradictoires.

    Les rêves les plus bizarres, où deux images se recouvrent et nous présentent tout à la fois deux personnes différentes, qui n’en feraient pourtant qu’une, donneront une faible idée de l’interpénétration de nos concepts à l’état de veille. L’imagination du rêveur, isolée du monde externe, reproduit sur de simples images et parodie à sa manière le travail qui se poursuit sans cesse, sur des idées, dans les régions plus profondes de la vie intellectuelle. »

    Le rêve n’est pas, comme chez Aristote ou le matérialisme, un reste d’images reflétées dans le cerveau, mais ici la preuve d’une vie cachée, d’une vie que Henri Bergson appelle intérieur. C’est la justification du subjectivisme.

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  • Bergson: une science demeurant éternellement soumise à la loi de non-contradiction

    En accordant une dimension centrale à la conscience, Henri Bergson réalise un tour de passe-passe visant à supprimer tout espace théorique où l’on pourrait accorder à la matière un mouvement interne.

    Le temps n’existe plus pour les objets et les phénomènes, il ne s’y passe rien, en raison de ce que Henri Bergson interprète comme la loi de la conservation de l’énergie. Seule la conscience perçoit les changements, seule elle peut en définitive agir réellement.

    Voici comment il formule sa vision du monde :

    « Tandis que le temps écoulé ne constitue ni un gain ni une perte pour un système supposé conservatif, c’est un gain, sans doute, pour l’être vivant, et incontestablement pour l’être conscient.

    Dans ces conditions, ne peut-on pas invoquer des présomptions en faveur de l’hypothèse d’une force consciente ou volonté libre, qui, soumise à l’action du temps et emmagasinant la durée, échapperait par là même à la loi de conservation de l’énergie ? »

    La réalité ne possède pas de contradiction, elle est uniforme. Les seules transformations tiennent à des rencontres de choses, selon la loi de la conservation de l’énergie.

    Il n’y a jamais de transformations qualitatives, uniquement différents aspects avec la conscience en privilégiant certains pour comprendre ce qui se passe. On a là quelque chose de très important chez la bourgeoisie décadente : le relativisme pragmatique, frappé du sceau de l’unilatéralisme.

    Henri Bergson explique cela de la manière suivante:

    « Certes, toute opération mathématique que l’on exécute sur une quantité donnée implique la permanence de cette quantité à travers le cours de l’opération de quelque manière qu’on la décompose.

    En d’autres termes, ce qui est donné est donné, ce qui n’est pas donné n’est pas donné, et dans quelque ordre qu’on fasse la somme des mêmes termes, on trouvera le même résultat.

    La science demeurera éternellement soumise à cette loi, qui n’est que la loi de non-contradiction ; mais cette loi n’implique aucune hypothèse spéciale sur la nature de ce qu’on devra se donner, ni de ce qui restera constant.

    Elle nous avertit bien, en un certain sens, que quelque chose ne saurait venir de rien ; mais l’expérience seule nous dira quels sont les aspects ou fonctions de la réalité qui, scientifiquement, devront compter pour quelque chose, et quels sont ceux qui, au point de vue de la science positive, ne devront compter pour rien.

    Bref, pour prévoir l’état d’un système déterminé à un moment déterminé, il faut de toute nécessité que quelque chose s’y conserve en quantité constante à travers une série de combinaisons ; mais il appartient à l’expérience de prononcer sur la nature de cette chose, et surtout de nous faire savoir si on la retrouve dans tous les systèmes possibles, si tous les systèmes possibles, en d’autres termes, se prêtent à nos calculs. »

    La conscience peut calculer des phénomènes, car elle dispose du recul nécessaire pour cela d’un côté, et de l’autre il y a une évolution de la réalité qu’on doit appeler ici mécanique : ce qui se produit ne connaît pas de changement interne. Cela est impérativement nécessaire afin de maintenir la fiction d’une conscience qui, pareillement, ne connaît pas de modification interne.

    Henri Bergson

    En fait, chez Henri Bergson, il y a l’espace avec les objets, et des rencontres, des phénomènes, des chocs, etc. qui provoquent des modifications spatiales, en s’accordant avec ce qu’il appelle la loi de la conservation de l’énergie. Le temps, en tant que tel, n’existe pas, à part pour la conscience.

    On a ici un monde consistant en une accumulation de choses et de faits, dont la somme énergétique reste la même, ne connaissant aucune transformation, avec des humains disposant d’une conscience soi-disant assez profonde pour saisir une nouvelle dimension : le temps.

    On a la même justification de l’activité humaine que chez René Descartes (parfaitement comprise alors par Karl Marx), c’est-à-dire un rationalisme sans matérialisme. Emmanuel Kant avait corrigé le tir, formulant une sorte de matérialisme mathématique. Avec Henri Bergson, on replonge dans l’idéalisme.

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  • Bergson et la confusion de l’espace et du temps

    La pensée de Henri Bergson se déploie au même moment où la classe ouvrière surgit et produit le matérialisme dialectique. Cette mise en perspective permet de comprendre sur quoi Henri Bergson met l’accent.

    Si en effet il considère la conscience comme « prioritaire » dans la saisie de la réalité, il doit aller plus loin. Il doit systématiser le fait que la réalité a plusieurs aspects ou plutôt plusieurs vérités. Il doit rendre baroque la réalité, il doit la rendre kaléidoscopique, et surtout il doit rendre « spatial » ce qui est spirituel.

    Voici une explication de Henri Bergson. Il parle de sons de cloche, que l’on peut soit distinguer un à un, ou bien considérer selon une perspective d’ensemble. Mais dans ce dernier cas, cela signifie qu’un son passé, n’existant plus, a maintenu son existence dans l’esprit, qui a pu ainsi le relier aux autres sons.

    Henri Bergson en conclut que le son a une réalité « spatiale » ! Voici comment il décrit ce processus :

    « Certes, les sons de la cloche m’arrivent successivement ; mais de deux choses l’une. Ou je retiens chacune de ces sensations successives pour l’organiser avec les autres et former un groupe qui me rappelle un air ou un rythme connu : alors je ne compte pas les sons, je me borne à recueillir l’impression pour ainsi dire qualitative que leur nombre fait sur moi.

    Ou bien je me propose explicitement de les compter, et il faudra bien alors que je les dissocie, et que cette dissociation s’opère dans quelque milieu homogène où les sons, dépouillés de leurs qualités, vidés en quelque sorte, laissent des traces identiques de leur passage.

    Reste à savoir, il est vrai, si ce milieu est du temps ou de l’espace. Mais un moment du temps, nous le répétons, ne saurait se conserver pour s’ajouter à d’autres. Si les sons se dissocient, c’est qu’ils laissent entre eux des intervalles vides.

    Si on les compte, c’est que les intervalles demeurent entre les sons qui passent : comment ces intervalles demeureraient-ils, s’ils étaient durée pure, et non pas espace ? C’est donc bien dans l’espace que s’effectue l’opération.

    Elle devient d’ailleurs de plus en plus difficile à mesure que nous pénétrons plus avant dans les profondeurs de la conscience. Ici nous nous trouvons en présence d’une multiplicité confuse de sensations et de sentiments que l’analyse seule distingue. Leur nombre se confond avec le nombre même des moments qu’ils remplissent quand nous les comptons ; mais ces moments susceptibles de s’additionner entre eux sont encore des points de l’espace.

    D’où résulte enfin qu’il y a deux espèces de multiplicité : celle des objets matériels, qui forme un nombre immédiatement, et celle des faits de conscience, qui ne saurait prendre l’aspect d’un nombre sans l’intermédiaire de quelque représentation symbolique, où intervient nécessairement l’espace. »

    Ce faisant, Henri Bergson ne fait pas qu’accorder une valeur spatiale à quelque chose de « spirituel ». Il bouleverse également le mouvement de la matière, en séparant radicalement la matière de son mouvement, dans la mesure où ce dernier n’est considéré que selon la conscience.

    Henri Bergson reprend la dimension idéaliste présente chez Emmanuel Kant : on connaît un aspect d’une chose, celui « pour nous », mais la chose « en soi » reste incompréhensible.

    Il y a ainsi non plus une réalité, mais la réalité telle que nous la saisissons. Cela permet de nier les lois de la matière.

    Comme on le sait, la question de la transformation de la quantité en qualité est notamment très importante pour le matérialisme dialectique : le « saut » est au cœur du mouvement dialectique.

    Bien entendu, Henri Bergson doit à tout prix saborder toute approche sérieuse de cet aspect fondamental de la réalité.

    Pour ce faire, il utilise le subjectivisme, bien entendu. Il donne un exemple où quelqu’un doit ramasser un panier qu’il pensait plus lourd que ce qu’il n’est en réalité. La différence de poids, quantitative, se transforme en différence de « qualité » pour la conscience, « choquée » qu’elle serait de la différence de poids.

    C’est là bien entendu nier que le mouvement est inhérent à la matière, et que le saut est inhérent au mouvement de la matière. Voici comment Henri Bergson formule son exemple totalement idéaliste :

    « Il faut ajouter que la différence de qualité se traduit spontanément ici en différence de quantité, à cause de l’effort plus ou moins étendu que notre corps fournit pour soulever un poids donné. Vous vous en convaincrez sans peine si l’on vous invite à soulever un panier que l’on vous aura dit rempli de ferraille, alors qu’il est vide en réalité.

    Vous croirez perdre l’équilibre en le saisissant, comme si des muscles étrangers s’étaient intéressés par avance à l’opération et en éprouvaient un brusque désappointement.

    C’est surtout au nombre et à la nature de ces efforts sympathiques, accomplis sur divers points de l’organisme, que vous mesurez la sensation de pesanteur en un point donné ; et cette sensation ne serait qu’une qualité si vous n’y introduisiez ainsi l’idée d’une grandeur. »

    On est là dans le subjectivisme.

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  • Bergson: «où notre pensée s’absorbe et où notre volonté se perd»

    Henri Bergson, avec sa conception de la conscience toute puissante, inverse la théorie matérialiste dialectique du reflet. Ce n’est plus la conscience qui est imprimée par la réalité, mais l’inverse.

    Cela signifie que ce qu’on appelle mémoire n’est pas une impression, comme dans le matérialisme dialectique où la conscience est imprimée, mais un simple outil pour l’intuition, pour l’action future de la conscience. Le monde consiste en l’avenir de la conscience agissante.

    Ainsi, selon Henri Bergson :

    « L’état affectif ne doit donc pas correspondre seulement aux ébranlements, mouvements ou phénomènes physiques qui ont été, mais encore et surtout à ceux qui se préparent, à ceux qui voudraient être. »

    La nature (divine) a donc ici permis une conscience toute puissante, dont la mémoire n’a de sens que comme vecteur du libre choix de la conscience agissante. L’être humain n’est plus façonné par la réalité : il dessine lui-même la réalité par sa conscience. Tout passe et tourne autour de la conscience.

    Par conséquent, l’art ne doit plus proposer une synthèse de la réalité, mais hypnotiser la conscience afin de proposer un contenu satisfaisant à la conscience toute puissante. Henri Bergson dit ainsi :

    « En se plaçant à ce point de vue, on s’apercevra, croyons-nous, que l’objet de l’art est d’endormir les puissances actives ou plutôt résistantes de notre personnalité, et de nous amener ainsi à un état de docilité parfaite où nous réalisons l’idée qu’on nous suggère, où nous sympathisons avec le sentiment exprimé.

    Dans les procédés de l’art on retrouvera sous une forme atténuée, raffinés et en quelque sorte spiritualisés, les procédés par lesquels on obtient ordinairement l’état d’hypnose. »

    On a ici un équivalent du principe des « correspondances » formulé par Charles Baudelaire dans Les fleurs du mal. La conscience se retrouve, elle a des « sympathies » (au sens d’atomes crochus, d’affinités électives) avec quelque chose. Cette rencontre produit quelque chose de magique, où la conscience s’efface.

    Henri Bergson en 1878

    Voici comment Henri Bergson explique que la « volonté se perd » devant des statues antiques :

    « Si les œuvres de la statuaire antique expriment des émotions légères, qui les effleurent à peine comme un souffle, en revanche la pâle immobilité de la pierre donne au sentiment exprimé, au mouvement commencé, je ne sais quoi de définitif et d’éternel, où notre pensée s’absorbe et où notre volonté se perd. »

    La conscience est chez Henri Bergson tellement centrale que tout tourne littéralement autour de sa propre existence : soit elle s’abandonne, soit elle se dirige vers la réalité en agissant, mais jamais elle n’existe comme impression, comme reflet de la réalité.

    Il y a bien un rapport au corps, mais il y a l’esprit est indépendant, même s’il est « touché » par la réalité organique. On a là la même démarche que René Descartes : le spirituel est sauvé, et il y a également l’action qui est possible (conformément aux exigences bourgeoises en termes de pratique).

    L’époque est toutefois différente. Là où René Descartes pouvait être une relative arme anti-féodale de par l’affirmation de la conscience « scientifique » agissante dans un monde (donné par Dieu), on a, avec Henri Bergson, une célébration de la toute puissance du subjectivisme au sein d’une société déjà bourgeoise.

    La bourgeoisie n’a eu cesse de le célébrer et de le remercier, en le faisant par exemple président de l’Académie des sciences morales et politiques, grand-croix de la Légion d’honneur, membre de l’Académie française ou encore prix Nobel de littérature.

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  • Bergson comme renouvellement de la démarche subjectiviste de Descartes

    Le premier ouvrage d’Henri Bergson a un titre particulièrement évocateur : Essai sur les données immédiates de la conscience. Paru en 1889, cet ouvrage tente de maintenir l’équilibre qu’a réalisé René Descartes entre la religion et le matérialisme.

    René Descartes avait tenté d’ouvrir un espace à la bourgeoisie pour qu’elle réalise la science, dans des conditions difficiles où le catholicisme prédominait. En Angleterre, Francis Bacon pouvait ouvertement revendiquer les cinq sens comme base de la connaissance, mais en France ce n’était pas possible. Cela permit à René Descartes d’émerger comme un penseur « radical » alors qu’il n’était en réalité qu’un penseur coincé entre deux eaux.

    Henri Bergson va essayer de maintenir ce savant équilibre, qui tente de faire cohabiter le spiritualisme le plus intransigeant, avec une âme individuelle et un monde conçu par un Dieu tout puissant, et un matérialisme transformant la réalité.

    Henri Bergson,
    Essai sur les données immédiates
    de la conscience

    Bien entendu, le grand thème de René Descartes est l’espace. S’appuyant sur sa conscience, il remet en cause l’espace autour de lui, qui est peut-être une illusion. La seule chose dont il soit certain, c’est qu’il pense : c’est le fameux « cogito ergo sum », « je pense donc je suis ».

    Là où le matérialisme anglais dit que la réalité est vraie (mettant ainsi Dieu de côté), René Descartes fait face à l’Église de manière plus prudente en disant que la réalité doit être remise en cause, ou plutôt mise en doute, pour être ainsi dire « recalculée » rationnellement.

    La « conscience » de René Descartes pratique en effet le doute radical pour utiliser les mathématiques comme vérité, contournant la religion en affirmant que cette raison consiste justement en le libre-arbitre donné par Dieu. Comme il s’agit d’un idéalisme religieux, René Descartes raisonne en s’appuyant sur le néo-platonisme issu du pythagorisme, c’est-à-dire sur un Dieu (unique) ayant créé le monde en utilisant des chiffres pour créer le multiple alors que lui-même est « 1 » et seulement « 1 ».

    Henri Bergson reprend directement ce schéma. Mais au lieu de procéder au recalcul rationnel de la réalité au moyen des mathématiques, il va rejeter l’espace pour n’accorder de l’attention qu’au temps, c’est-à-dire à la conscience elle-même.

    Henri Bergson va donc tenter de montrer que l’esprit peut modifier le corps. Pour cela, il prend l’exemple des sensations : il dit d’abord que celles-ci connaissent différentes intensités, et que la gamme de cette intensité ne dépend pas que des sens. L’esprit agirait dans l’évaluation des sensations.

    Voici ce que dit Henri Bergson :

    « Essayons de démêler en quoi consiste une intensité croissante de joie ou de tristesse, dans les cas exceptionnels où aucun symptôme physique n’intervient. La joie intérieure n’est pas plus que la passion un fait psychologique isolé qui occuperait d’abord un coin de l’âme et gagnerait peu à peu de la place.

    A son plus bas degré, elle ressemble assez à une orientation de nos états de conscience dans le sens de l’avenir.

    Puis, comme si cette attraction diminuait leur pesanteur, nos idées et nos sensations se succèdent avec plus de rapidité ; nos mouvements ne nous coûtent plus le même effort.

    Enfin, dans la joie extrême, nos perceptions et nos souvenirs acquièrent une indéfinissable qualité, comparable à une chaleur ou à une lumière, et si nouvelle, qu’à certains moments, en faisant retour sur nous-mêmes, nous éprouvons comme un étonnement d’être.

    Ainsi, il y a plusieurs formes caractéristiques de la joie purement intérieure, autant d’étapes successives qui correspondent à des modifications qualitatives de la masse de nos états psychologiques. »

    C’est là du subjectivisme. Ce qui se passe dans l’esprit devient non seulement indépendant, mais le moteur de la réalité individuelle. Marcel Proust ne dit pas autre chose dans l’exemple de sa fameuse « madeleine ».

    Voici comment Henri Bergson reformule cette approche, cette fois non pas avec un gâteau, mais avec la danse :

    « Si les mouvements saccadés manquent de grâce, c’est parce que chacun d’eux se suffit à lui-même et n’annonce pas ceux qui vont le suivre. Si la grâce préfère les courbes aux lignes brisées, c’est que la ligne courbe change de direction à tout moment, mais que chaque direction nouvelle était indiquée dans celle qui la précédait.

    La perception d’une facilité à se mouvoir vient donc se fondre ici dans le plaisir d’arrêter en quelque sorte la marche du temps, et de tenir l’avenir dans le présent. Un troisième élément intervient quand les mouvements gracieux obéissent à un rythme, et que la musique les accompagne.

    C’est que le rythme et la mesure, en nous permettant de prévoir encore mieux les mouvements de l’artiste, nous font croire cette fois que nous en sommes les maîtres.

    Comme nous devinons presque l’attitude qu’il va prendre, il paraît nous obéir quand il la prend en effet ; la régularité du rythme établit entre lui et nous une espèce de communication, et les retours périodiques de la mesure sont comme autant de fils invisibles au moyen desquels nous faisons jouer cette marionnette imaginaire.

    Même, si elle s’arrête un instant, notre main impatientée ne peut s’empêcher de se mouvoir comme pour la pousser, comme pour la replacer au sein de ce mouvement dont le rythme est devenu toute notre pensée et toute notre volonté. »

    Ce qui se passerait dans l’esprit serait, parfois, tout ce qui compterait. C’est la toute puissance de la conscience individuelle, c’est la même méthode que René Descartes.

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  • Le subjectivisme français à la recherche de l’intuition

    La France a connu de nombreux penseurs, et de grands auteurs de littérature. Leur grand point commun, c’est leur préoccupation pour le style et le mode de vie, c’est-à-dire, en fin de compte, pour une manière de vivre vertueuse, ou morale.

    La France dite classique du XVIIe siècle, c’est celle des moralistes en quête de vertu, et celle des Lumières, c’est celle de la morale universaliste ; les auteurs réalistes, voire naturalistes, du XIXe siècle, se sont préoccupés de l’état d’esprit d’une époque où le capitalisme s’approprie toutes les initiatives.

    Pour cette raison, la France n’a pas connu de philosophes en tant que tel. Les « philosophes des Lumières » sont des essayistes et des écrivains, nullement des philosophes en tant que tel. Aussi, l’élaboration de systèmes de pensée cohérents et complets est inconnue en France. Ni René Descartes ni Denis Diderot, ni Pierre-Joseph Proudhon ni Jean Jaurès n’ont cherché à systématiser leur pensée, à ériger une démarche complète, cohérente sur tous les plans.

    Leurs œuvres, comme celle de Jean-Jacques Rousseau, furent nombreuses et denses, mais il n’y a pas de diderotisme ni de jauressisme, ou encore de cartésianisme ou de proudhonisme : ces termes, lorsqu’ils existent, désignent l’approche de chaque auteur, nullement son « système ».

    Il y a ici un caractère propre à la culture française, qui a toujours été plus intéressée par le psychisme de l’individu dans sa manière de vivre, que les grands systèmes. On est ici toujours dans l’esprit des essais de Montaigne, des poètes de la Pléiade : une personne découvre, raconte, explique à sa manière, est prétexte à l’inspiration, à la réflexion.

    Rares sont ceux qui ont su dépasser cela et atteindre l’universel à partir du particulier. Jean Racine et Honoré de Balzac sont ici les titans de notre culture, de par leur précision formidable dans leur description de l’âme humaine. Ces deux auteurs ont systématiquement souligné la dimension dialectique propre aux situations, avec le reflet dans l’esprit provoqué par la réalité.

    De manière plus traditionnelle, il y a un certain « psychologisme » qui s’est développé, pour s’imposer dans l’idéologie dominante. Deux grands auteurs ont joué un rôle décisif ici : Marcel Proust (1871-1922) et Henri Bergson (1859-1941), qui ont tous deux travaillé sur la question du temps tel qu’il est ressenti.

    Marcel Proust vers 1895

    Ces deux auteurs ont, en pratique, posé les bases du subjectivisme à la française. S’ils y sont arrivés, c’est parce que Juifs, ils ont apporté au catholicisme dominant une dimension qui manquait et permettant l’existentialisme.

    Dans le protestantisme, l’individu est livré à lui-même, tout comme dans le judaïsme et l’Islam. Mais dans le catholicisme, il y a l’Église dont l’individu reste une composante ; il n’est pas libre de s’épancher de manière existentielle, sauf au sein d’un mysticisme issu du baroque et de la contre-réforme. Charles Baudelaire (1821-1867) avait le premier tenté de valoriser un aventurisme existentialiste, avec ses Fleurs du mal, très proche du romantisme noir de Jules Barbey d’Aurevilly (1808-1889).

    Ce sont cependant Marcel Proust et Henri Bergson qui vont parvenir à ouvrir la voie à un subjectivisme français : puisque le subjectivisme protestant, juif, musulman, s’appuyait sur l’espace où l’individu est livré à lui-même (ce qu’il n’est pas dans le catholicisme), alors le subjectivisme catholique va s’appuyer sur le temps.

    C’est cela la clef de la profonde différence entre les romans modernes américains ou anglais et ceux d’Italie ou d’Amérique latine : les premiers sont subjectivistes dans un esprit de voyageur, les seconds accordent une importance démesurée à la durée, à la perception du temps qui passe.

    Dans ce dernier cas, on joue sur la modification de la perception du temps, alors il n’y a plus rien à part l’individu : c’est le sens des romans de Marcel Proust et celle de la philosophie d’Henri Bergson. Dans cet « espace » qu’est le temps ressenti de manière personnelle, il n’y a rien à part la pensée pure, qui « saisit » les choses par intuition.

    Bergson va être le grand concepteur de cette vision du monde. Là où le subjectivisme allemand va produire l’existentialisme des défilés en uniformes ou le romantisme d’une âme errante, le subjectivisme français va produire l’existentialisme d’une sorte de hippie de droite, d’homme frugal portant un béret symbole de sa quête nostalgique et de sa posture aristocratique.

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  • Friedrich Engels sur l’échec national de la France du Sud

    L’échec du calvinisme est l’expression de l’échec du sud de la France à former une nation, malgré certains éléments constitutifs présents. Théodore Agrippa d’Aubigné lui-même vient de Pons, dans la région de Saintonge dans le Sud-Ouest de la France.

    La localisation de Pons en France

    Friedrich Engels le constate bien, en comparant la situation du Sud de la France à celle de la Pologne au XVIIIe siècle. La Pologne a réussi à se maintenir en tant que nation par la dimension anti-féodale de son action, là où la France du Sud, de par le maintien complet du féodalisme, n’a pas pu se développer.

    La haute aristocratie française, non seulement n’était pas l’ennemi du calvinisme, mais une de ses fractions la dirigeait. Cela signifiait l’impossibilité d’une révolution agraire.

    Les huguenots en France en 1562, avec les églises organisées,
    et le fameux croissant formant leur bastion.

    La nation tchèque s’est maintenue au contraire justement parce que le hussitisme a donné le taborisme, cette guerre des paysans ; la nation allemande a profité pareillement de la guerre des paysans, initiée par Thomas Münzer et à laquelle s’est opposée Martin Luther, ce qui a amené de terribles problèmes dans l’affirmation nationale.

    Voici ce qu’il constate dans La Nouvelle Gazette Rhénane, en septembre 1848.

    Au Moyen-Âge la nationalité de la France du Sud n’était pas plus proche de celle de la France du Nord que la nationalité polonaise ne l’est actuellement de la nationalité russe.

    La nationalité de la France du Sud, vulgo la nation provençale, avait au Moyen-Âge non seulement un « précieux développement », mais elle était même à la tête du développement européen. Elle fut la première de toutes les nations modernes à avoir une langue littéraire.

    Son art poétique servait à tous les peuples romans, et même aux Allemands et aux Anglais, de modèle alors inégalé.

    Dans le perfectionnement de la civilisation courtoise féodale, elle rivalisait avec les Castillans, les Français du Nord et les Normands d’Angleterre ; dans l’industrie et le commerce, elle ne le cédait en rien aux Italiens.

    Ce n’est pas seulement « une phase de la vie du Moyen-Âge… qui avait connu grâce à elle » un grand éclat, elle offrait même, au cœur du Moyen-Âge, un reflet de l’ancienne civilisation hellène.

    La nation de la France du Sud n’avait donc pas « acquis » de grands, mais d’infinis « mérites envers la famille des peuples d’Europe ».

    Pourtant, comme la Pologne, elle fut partagée entre la France du Nord et l’Angleterre et plus tard entièrement assujettie par les Français du Nord.

    Depuis la guerre des Albigeois jusqu’à Louis XI, les Français du Nord, qui, dans le domaine de la culture, étaient aussi en retard sur leurs voisins du Sud que les Russes sur les Polonais, menèrent des guerres d’asservissement ininterrompues contre les Français du Sud, et finirent par soumettre tout le pays.

    La « république des nobles du Midi de la France » (cette dénomination est tout à fait juste pour l’apogée) « a été empêchée par le despotisme de Louis XI d’accomplir sa propre suppression intérieure », qui, grâce au développement de la bourgeoisie des villes, aurait été au moins aussi possible que l’abolition de la république polonaise des nobles, grâce à la constitution de 1791.

    Des siècles durant, les Français du Sud luttèrent contre leurs oppresseurs. Mais le développement historique était inexorable.

    Après une lutte de trois cents ans, leur belle langue était ramenée au rang de patois, et ils étaient eux-mêmes devenus Français. Le despotisme de la France du Nord sur la France du Sud dura trois cents ans et c’est alors seulement que les Français du Nord réparèrent les torts causés par l’oppression en anéantissant les derniers restes de son autonomie.

    La Constituante mit en pièces les provinces indépendantes ; le poing de fer de la Convention fit pour la première fois des habitants de la France du Sud des Français,et pour les dédommager de la perte de leur nationalité, elle leur donna la démocratie.

    Mais ce que le citoyen Ruge dit de la Pologne s’applique mot pour mot à la France du Sud pendant les trois cents ans d’oppression : « Le despotisme de la Russie n’a pas libéré les Polonais; la destruction de la noblesse polonaise et le bannissement de tant de familles nobles de Pologne, tout cela n’a fondé en Russie aucune démocratie, aucun humanisme. »

    Et pourtant, on n’a jamais traité l’oppression de la France du Sud par les Français du Nord «d’ignominieuse injustice ». Comment cela se fait-il, citoyen Ruge ? Ou bien l’oppression de la France du Sud est une ignominieuse injustice ou bien l’oppression de la Pologne n’est pas une ignominieuse injustice. Que le citoyen Ruge choisisse.

    Mais où réside la différence entre les Polonais et les Français du Sud ? Pourquoi la France du Sud fut-elle prise en remorque par les Français du Nord, comme un poids mort jusqu’à son total anéantissement, tandis que la Pologne a toute perspective de se trouver très bientôt à la tête de tous les peuples slaves ?

    La France du Sud constituait, par suite de rapports sociaux que nous ne pouvons expliquer plus amplement ici, la partie réactionnaire de la France.

    Son opposition contre la France du Nord se transforma bientôt en opposition contre les classes progressives de toute la France.

    Elle fut le soutien principal du féodalisme et elle est restée jusqu’à maintenant la force de la contre-révolution en France.

    La Pologne en revanche fut, en raison de rapports sociaux que nous avons expliqués ci-dessus, la partie révolutionnaire de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse.

    Son opposition à ses oppresseurs était en même temps à l’intérieur une opposition à la haute aristocratie polonaise.

    Même la noblesse qui se trouvait encore en partie sur un terrain féodal, se rallia avec un dévouement sans exemple à la révolution démocratique agraire. La Pologne était déjà devenue le foyer de la démocratie de l’Europe orientale alors que l’Allemagne tâtonnait encore dans l’idéologie constitutionnelle la plus banale, et l’idéologie philosophique la plus délirante.

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  • Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné – 5e partie : «l’âme extatique»

    Le projet étant en échec, la perspective bloquée, Les Tragiques ne pouvaient exprimer le calvinisme français que par un ton chaotique, un fil décousu, une approche à la fois satirique et tragique, dans une impression de confusion générale.

    Il s’agit d’une fuite en avant, propre par ailleurs à la faiblesse idéologique du calvinisme naissant.

    Martin Luther, une fois qu’il aura soutenu la noblesse contre les paysans révoltés, se précipitera pareillement dans une fuite en avant dans une sorte d’anticapitalisme romantique avant l’heure, adoptant un ton forcené appelant au massacre des sorcières et des juifs, afin de trouver une « direction » à indiquer, une perspective communautaire donnant du sens en apparence.

    C’est pourquoi Théodore Agrippa d’Aubigné appelle à accepter la défaite pour porter une forme de transcendance :

    « A vous la vie, à vous qui pour Christ la perdez,

    Et qui en la perdant très-sûre la rendez,

    La mettez en lieu fort, imprenable, en bonn’ ombre,

    N’attachant la victoire et le succès au nombre »

    Il s’agit ici en effet d’une référence au psaume 91, dit psaume de la protection (« Celui qui demeure sous l’abri du Très-Haut Repose à l’ombre du Tout Puissant »). On est là dans un appel désespéré et voici justement comment se concluent les Tragiques :

    « Chétif, je ne puis plus approcher de mon œil

    L’œil du ciel; je ne puis supporter le soleil.

    Encor tout ébloui, en raisons je me fonde

    Pour de mon âme voir la grand’ âme du monde,

    Savoir ce qu’on ne sait et qu’on ne peut savoir,

    Ce que n’a ouï l’oreille et que l’œil n’a peu voir :

    Mes sens n’ont plus de sens, l’esprit de moi s’envole,

    Le cœur ravi se tait, ma bouche est sans parole :

    Tout meurt, l’âme s’enfuit et, reprenant son lieu,

    Extatique, se pâme au giron de son Dieu. »

    On est là bien loin de tout rationalisme ; c’est ici une perspective mystique, propre à Saint Augustin (l’Église catholique romaine s’appuyant à la fois sur lui et sur Thomas d’Aquin, en un savant équilibre et un grand compromis).

    C’est un mysticisme ainsi féodal et les commentateurs bourgeois n’ont pas perçu le caractère réel des Tragiques, l’œuvre n’ayant par ailleurs aucun impact historique, étant simplement redécouverte au XIXe siècle comme une sorte de curiosité baroque.

    Il n’y a pourtant aucun rapport avec le baroque, cette forme culturelle agressive de catholicisme visant à la « reconquête » idéologique ; la base réelle, c’est la faiblesse de fond de la direction du calvinisme français, en raison de l’effondrement de l’aristocratie comme classe autonome par rapport à la monarchie, qui devient absolue.

    Théodore Agrippa d’Aubigné témoigne, pour cette raison même, d’une incapacité à se concentrer sur un seul système de références, à se place dans une perspective cohérente.

    Voici un exemple où il prend comme référence Skanderbeg (Georges Castriote) (1405-1468), qui enfant fut enlevé par l’Empire ottoman et devint un chef de guerre, avant de se retourner contre eux, devenant ainsi le héros national albanais et une figure de l’opposition aux conquêtes musulmanes en terres chrétiennes.

    Skanderbeg, portrait gravé de 1660

    Pourquoi Théodore Agrippa d’Aubigné est-il allé chercher une telle référence ? Quel rapport à la cause protestante ? Théodore Agrippa d’Aubigné est ici aveuglé par les images fortes ; de ce fait, il sort de la démarche culturelle française historiquement nationale.

    « Ainsi de Scanderbeg l’enfance fut ravie

    Sous de tels précepteurs, sa nature asservie

    En un sérail coquin; de délices friand,

    Il huma pour son lait la grandeur d’Orient;

    Par la voix des muphtis on emplit ses oreilles

    Des faits de Mahomet et miracles des vieilles;

    Mais le bon sens vainquit l’illusion des sens,

    Lui faisant méprisé tant d’arborer croissants

    (Les armes qui faisaient courber toute la terre),

    Pour au grand empereur oser faire la guerre

    Par un petit troupeau ruiné et mal en point;

    Se fit le chef de ceux qu’il ne connaissait point.

    De là tant de combats, tant de faits, tant de gloire,

    Que chacun les peut lire, et nul ne les peut croire. »

    Voici un autre passage, tout à fait représentatif du flot de reproches et d’attaques, d’appels à Dieu et d’images tellement travaillées qu’on en perd le fil, de manière totalement à rebours tant de l’esprit français qui se forme et qui donnera le classicisme, que de la base rationaliste calviniste elle-même, qui a pourtant permis l’émergence du classicisme en tant que tel.

    « Qui se cache ? qui fuit devant les yeux de Dieu ?
    Vous, Caïns fugitifs, où trouverez-vous lieu ?

    Quand vous auriez les vents collés sous vos aisselles
    Ou quand l’aube du jour vous prêterait ses ailes,
    Les monts vous ouvriraient le plus profond rocher,
    Quand la nuit tâcherait en sa nuit vous cacher,
    Vous enceindre la mer, vous enlever la nue,
    Vous ne fuirez de Dieu ni le doigt ni la vue.

    Or voici les lions de torches acculés,
    Les ours à nez percés, les loups emmuselés :
    Tout s’élève contre eux : les beautés de Nature,
    Que leur rage troubla de venin et d’ordure,
    Se confrontent en mire et se lèvent contre eux.

    « Pourquoi, dira le Feu, avez-vous de mes feux,
    Qui n’étaient ordonnés qu’à l’usage de vie,
    Fait des bourreaux, valets de votre tyrannie ? »

    L’air encore une fois contre eux se troublera,
    Justice au juge saint, trouble, demandera,
    Disant : « Pourquoi, tyrans et furieuses bestes,
    M’empoisonnâtes-vous de charognes, de pestes,
    Des corps de vos meurtris ? » – « Pourquoi, diront les eaux,
    Changeâtes-vous en sang l’argent de nos ruisseaux ? »
    Les monts, qui ont ridé le front à vos supplices :

    « Pourquoi nous avez-vous rendu vos précipices ?
    – Pourquoi nous avez-vous, diront les arbres, faits
    D’arbres délicieux, exécrables gibets ? »

    Nature, blanche, vive et belle de soi-même,
    Présentera son front ridé, fâcheux et blême,
    Aux peuples d’Italie et puis aux nations
    Qui les ont enviés en leurs inventions,
    Pour, de poison mêlé au milieu des viandes,
    Tromper l’amère mort en ses liqueurs friandes,
    Donner au meurtre faux le métier de nourrir,
    Et sous les fleurs de vie embûcher le mourir. »

    La forme même de l’œuvre était insupportable pour la culture française parvenant à une simplicité très élaborée ; la monarchie absolue l’emportait sur un calvinisme davantage décentralisateur qu’authentiquement capitaliste.

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  • Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné: des Misères au Jugement

    Cette limitation historique du calvinisme en France qui s’exprime dans Les Tragiques se lit également dans la forme du recueil. L’œuvre est divisée en sept parties, appelées livres, avec chacune un titre : Misères, Princes, La chambre dorée, Les feux, Les fers, Vengeances, Jugement.

    On peut y voir, dans sa structure, un parallèle avec les sept sceaux de l’Apocalypse de Jean ; on retrouve, pareillement, des descriptions de choses monstrueuses, avant que les justes soient sauvés.

    Misères décrit la terrible situation d’alors, alors que Théodore Agrippa d’Aubigné se présente comme un nouveau Hannibal partant en guerre contre Rome.

    Cela va naturellement de pair avec une obsession, propre aux monarchomaques : la dénonciation de Catherine de Médicis, considérée comme à l’origine de tous les maux, avec son activité d’empoisonneuse et de semeuses de troubles, elle qui est à l’origine du massacre de la Saint-Barthélémy.

    Il y a ici une lecture bien trop unilatérale, témoignant d’un irrationnalisme qui coûta la victoire à la direction calviniste :

    « En vain, Reine, tu as rempli une boutique
    Des drogues du métier, et, ménage magique,
    En vain fais-tu amas dans les tais des défunts
    De poix noire, de camphre à faire tes parfums;

    Tu y brûles en vain cyprès et mandragore,
    La ciguë, la rue et le blanc hellébore,
    La teste d’un chat roux, d’un céraste la peau,
    De la chauve-souris le sang, et de la louve

    Le lait chaudement pris sur le point qu’elle trouve
    Sa tanière volée et son fruit emporté :

    Le nombril frais-coupé à l’enfant avorté,
    Le coeur d’un viel crapaud, le foie d’un dipsade,
    Les yeux d’un basilic, la dent d’un chien malade
    Et la bave qu’il rend en contemplant les flots;

    La queue du poisson Ancre des matelots,
    Contre lequel en vain vent et voile s’essaye;

    Le vierge parchemin, le palais de fressaye [l’effraie, une chouette].
    Tant d’étranges moyens tu recherches en vain,
    Tu en as de plus prompts en ta fatale main :

    Car, quand dans un corps mort un démon tu ingères,
    Tu le vas menaçant d’un fouet de vipères »

    Voici un autre passage, où Théodore Agrippa d’Aubigné décrit les punitions qu’ont connu ceux qui se sont mal comportés.

    On est ici en plein mysticisme digne justement du catholicisme pourtant combattu et Théodore Agrippa d’Aubigné pensait même qu’on connaîtrait la fin des temps à court terme.

    « Paul, pape incestueux, premier inquisiteur,

    S’est vu mangé des vers, salle persécuteur.

    Philippe, incestueux et meurtrier, cette peste

    T’en veut, puis qu’elle en veut au parricide inceste.

    Néron, tu mis en poudre et en cendre et en sang

    Le vénérable front et la gloire et le flanc

    De ton vieux précepteur, ta patrie et ta mère,

    Trois que ton destin fit avorter en vipère,

    Chasser le docte esprit par qui tu fus savant,

    Mettre en cendre ta ville, et puis la cendre au vent;

    Arracher la matrice à qui tu dois la vie.

    Tu devais à ces trois la vie aux trois ravie,

    Miroûer de cruauté, duquel l’infâme nom

    Retentira cruel, quand on dira Néron.  »

    Le second livre, Princes, dénonce Charles IX et Henri II (avec ses « mignons ») ainsi que les magistrats dans La chambre dorée, qui désigne en fait la grande chambre du Parlement de Paris, au Palais de Justice.

    Voici un extrait de ce troisième livre du recueil :

    « Encor fallut-il voir cette Chambre Dorée
    De justice jadis, d’or maintenant parée
    Par dons, non par raison : là se voit décider
    La force et non le droit; là voit-on présider
    Sur un trône élevé l’Injustice impudente.

    Son parement était d’écarlate sanglante
    Qui goutte sans repos; elle n’a plus aux yeux
    Le bandeau des anciens, mais l’éclat furieux
    Des regards fourvoyants; inconstamment se vire
    En peine sur le bon, en loyer sur le pire;

    Sa balance aux poids d’or trébuche faussement ;
    Près d’elle sont assis au lit de jugement
    Ceux qui peuvent monter par marchandise impure,
    Qui peuvent commencer par notable parjure,
    Qui d’âme et de salut ont quitté le souci. »

    On trouve ensuite Les feux et Les fers, racontant comment les protestants furent brûlés, massacrés, mais triomphent dans les cieux ; voici un passage où Théodore Agrippa d’Aubigné mentionne le martyr de Jan Hus, à l’origine du hussitisme qui se prolongea en le taborisme, marquant l’émergence du protestantisme :

    « Âmes dessous l’autel victimes des idoles,
    Je prête à vos courroux le fiel de mes paroles,
    En attendant le jour que l’ange délivrant
    Vous aille les portaux du paradis ouvrant.
    De qui puis-je choisir l’exemple et le courage ?

    Tous courages de Dieu, j’honorerai votre âge,
    Vieillard de qui le poil a donné lustre au sang,
    Et de qui le sang fut décoré du poil blanc :

    Hus, Jérôme de Prague, images bien connues
    Des témoins que Sodome a traînés par les rues
    Couronnées de papier, de gloire couronnés.

    Par le siège qui a d’or mitrés et ornés
    Ceux qui n’étaient pasteurs qu’en papier et en titres,
    Et aux évêques d’or, fait de papier les mitres. »

    L’œuvre se concluant par le livre militant Vengeances, où les méchants sont frappés par le courroux divin et enfin Jugement, racontant le rétablissement de la justice à la fin des temps.

    Il s’agit d’un appel à « l’Eternel » à faire descendre ses « hauts cieux » :

    « Dieu veut que son image en nos cœurs soit empreinte

    Être craint par amour et non aimé par crainte ;

    Il hait la pâle peur d’esclaves fugitifs,

    Il aime ses enfants amoureux et craintifs. »

    C’est, on le comprend, la clef de l’œuvre. Théodore Agrippa d’Aubigné appelle à croire en la victoire coûte que coûte ; il s’imagine représenter une victoire possible au-delà d’une défaite temporaire, alors qu’en réalité il exprime un effondrement général.

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  • Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné: défense de la royauté et charge anti-féodale

    En tant que recueil poétique, Les Tragiques reflètent à la fois une démarche de rupture avec le féodalisme porté par le calvinisme, mais également l’échec du calvinisme français de par la base de sa direction largement soumise à des fractions aristocratiques.

    C’est une œuvre significative de tout un processus historique ayant eu une importance capitale en France, puisque conditionnant les modalités de l’affirmation de la monarchie absolue.

    Cela représente également la preuve que le calvinisme en français, dans sa charge anti-féodale, malgré sa correspondance aux attentes de la bourgeoisie et du capitalisme, a été porté, dans sa direction, par une partie de l’aristocratie.

    Théodore Agrippa d’Aubigné lui-même est un aristocrate, dont l’histoire familiale témoigne de cette catastrophe que connut le calvinisme en France. Né en 1552, il a eu comme père un juge de la ville de Pons qui était de grande instruction humaniste ; sa mère mourut à sa naissance, ce qui lui valut son prénom, du latin aegre partus, accouchement difficile.

    Pour l’anecdote, il est tout à fait possible, ce que les commentateurs bourgeois n’ont pas vu, que le nom fasse référence au Pons Agrippae, un pont à Rome en l’honneur de Marcus Agrippa – la famille d’Aubigné venant de Pons, dans le Sud-Ouest.

    Théodore Agrippa d’Aubigné en 1622

    Théodore Agrippa d’Aubigné apprit dès l’enfance le français, le latin, le grec, l’hébreu. S’il s’était converti tardivement au calvinisme, son père y prit part de manière décidée et fit jurer à son fils de venger les martyrs de la conjuration d’Amboise, alors que ceux-ci avaient leurs têtes coupées posées sur des pieux.

    Mais cet engagement ne sera que l’épisode d’une génération. Son fils Constant sombra dans la décadence, devenant un débauché ayant tué sa première femme, sa petite-fille Françoise devint marquise de Maintenon, maîtresse de Louis XIV, avec qui elle finit par se marier secrètement à la fin de sa vie.

    C’est tout à fait représentatif : la génération calviniste fut brillante, mais éphémère. Elle fut portée par l’humanisme et la bourgeoisie naissante, mais dominée par les fractions aristocratiques cherchant d’un côté à s’émanciper du clergé, de l’autre à refuser la centralisation inévitable du pays.

    Théodore Agrippa d’Aubigné, dans Les Tragiques, oscille invariablement entre deux pôles. D’un côté, il développe une tonalité militante, de nature anti-féodale, de l’autre il bascule dans le pessimisme, la passivité, le chaos propre à une couche sociale en train de mourir.

    La conséquence en est une œuvre donnant une terrible impression de fourre-tout, puisqu’on voit pas les contours, ni les lignes directrices. Le mélange des références à l’antiquité gréco-romaine et de celles à la Bible trouble, tout comme les constats d’échecs et d’impuissance accouplés à des appels à la révolte généralisée.

    Cela produit une nostalgie absurde d’une royauté idéale, dans l’esprit des monarchomaques dénonçant le « tyran », sans voir que ce regard anti-féodal ne pouvait être porté que par la bourgeoisie, non pas par une aristocratie anti-centralisatrice.

    Voici une dénonciation représentative de l’esprit de Théodore Agrippa d’Aubigné, que l’on trouve dans le troisième livre de son recueil :

    « Jadis nos rois anciens, vrais pères et vrais rois,

    Nourrissons de la France, en faisant quelquefois

    Le tour de leur pays, en diverses contrées,

    Faisaient par les cités de superbes entrées.

    Chacun s’éjouissait : on savait bien pourquoi ;

    Les enfants de quatre ans criaient : Vive le roi !

    Les villes employaient mille et mille artifices

    Pour faire comme font les Meilleures nourrices,

    De qui le sein fécond se prodigue à s’ouvrir,

    Veut montrer qu’il en a pour perdre et pour nourrir.

    Il semble que le pis, quand il est ému, voie :

    Il se jette en la main, dont ces mères de joie

    Font rejaillir, aux yeux de leurs mignons enfants,

    Du lait qui les regorge : à leurs Rois triomphants,

    Triomphants par la paix, ces villes nourricières,

    Prodiguaient leur substance, et, en toutes manières,

    Montraient au ciel serein leurs trésors enfermés,

    Et leur lait et leur joie à leurs Rois bien-aimés.

    Nos tyrans aujourd’hui entrent d’une autre sorte ;

    La ville qui les voit a visage de morte ;

    Quand son prince la foule, il la voit de tels yeux

    Que Néron voyait Rome en l’éclat de ses feux.

    Quand le tyran s’égaie en la ville où il entre,

    La ville est un corps mort, il passe sur son ventre,

    Et ce n’est plus du lait qu’elle prodigue en l’air,

    C’est du sang (…). »

    Or, cette approche est contradictoire : soit le calvinisme veut aller de l’avant et donc dépasser le féodalisme – ce qu’il a fait par exemple aux Pays-Bas – soit il veut retourner vers une forme passée, mais cette forme était par définition liée à la féodalité.

    Théodore Agrippa d’Aubigné exprime le point de vue des aristocrates refusant la centralisation et donc regardant en arrière, mais opposé au clergé et donc regardant en avant.

    Mais le fait même de vouloir aller de l’avant annule la position aristocratique, tout comme le fait de vouloir retourner à une forme passée annule la charge anti-cléricale. La conséquence en est une incohérence qui a, davantage que la répression, fait s’effondrer le calvinisme français.

    C’est la raison pour laquelle Les Tragiques n’eurent aucun écho historique, laissant seulement une trace.

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