Si l’on prend l’article Un effet ne peut pas se produire avant la cause qui en est à l’origine, publié ce 1er décembre 2011, et on le met en rapport avec l’article Inévitabilité du communisme et thermodynamique publié le 15 novembre 2010, on a un aperçu relativement clair du principe du saut qualitatif.
Imaginons en effet quelqu’un qui ferme un robinet, arrêtant le
processus où l’eau s’écoule. A-t-il réalisé un retour en arrière
dans le temps, au moment où l’eau ne coulait pas, avant que l’eau ne
s’écoule ?
Non, évidemment. Prenons un autre exemple : une équipe de
football marque un but, après que l’autre équipe ait marqué
également. On en revient à un score d’égalité, 1 partout. Mais
est-il juste de dire qu’on en « revient » à un tel score
d’égalité, qui auparavant était justement de 0 à 0 et non de 1
partout ?
En fait, non, et c’est là une des bases du matérialisme
dialectique : le retour en arrière n’est pas possible. C’est ce
qu’explique le document sur l’inévitabilité du communisme et la
thermo-dynamique ; pour citer Engels :
« C’est pourquoi la méthode dialectique
considère que le processus du développement doit être compris non
comme un mouvement circulaire, non comme une simple répétition du
chemin parcouru, mais comme un mouvement progressif, ascendant, comme
le passage de l’état qualitatif ancien à un nouvel état
qualitatif, comme un développement qui va du simple au complexe, de
l’inférieur au supérieur. »
En marquant un but, le match est allé de l’avant ; même une
égalisation n’est pas un retour en arrière. D’ailleurs le
chronomètre n’est pas remis en arrière (ne serait-ce que
symboliquement puisqu’on ne retourne pas en arrière dans le temps
non plus).
Mais il ne faudrait pas penser que les choses vont de manière
linéaire. Prenons l’exemple d’un couple, qui en arrive à une
rupture.
Est-il possible à ce couple de réparer les dégâts et de
« revenir ensemble » ? Non ce n’est pas possible. Le
couple peut se reformer, mais ce n’est plus le même couple pour
ainsi dire, il y a eu un saut qualitatif et la nature de leur
relation a atteint un niveau plus complexe.
On peut même considérer qu’un couple n’existe qu’une fois
atteint justement un certain niveau de complexité. Et c’est vrai
pour tout phénomène : tant qu’un certain niveau n’est pas
atteint, la situation est précaire. Un enfant n’est pas un adulte,
il est faible ; ce n’est qu’au bout du processus qu’il le sera
définitivement.
Ce processus étant évidemment, en quelque sorte, parsemé
d’embûches.
Le matérialisme dialectique enseigne ainsi que le « développement
qui va du simple au complexe, de l’inférieur au supérieur »
n’est pas linéaire. La révolution peut l’emporter, mais n’étant
pas complète ou plus exactement complétée, la contre-révolution
revient temporairement, la révolution grandissant et l’emportant de
nouveau (finalement), dans un processus ne se terminant que lorsque
le nouveau écrase l’ancien pour de bon.
C’est cela qui explique pourquoi en Chine populaire, Deng Xiaoping
n’a pas été fusillé, alors qu’il représentait la ligne noire,
anti-Mao Zedong. Mao Zedong avait parfaitement compris la
dialectique, nous permettant de comprendre celle-ci précisément
(notamment grâce à son classique « De la contradiction »).
Il savait que la présence de Deng Xiaoping permettait de
comprendre plus facilement où était la ligne noire, alors que si on
le fusillait, la ligne noire continuerait d’exister sans pour autant
être visible facilement.
D’ailleurs, à la mort de Mao Zedong, ce n’est pas officiellement
Deng Xiaoping qui prend le pouvoir, pour une raison tactique, afin de
masquer le révisionnisme.
Mao Zedong avait compris que la Chine devait connaître une
avancée dans les forces productives, mais la question était de
savoir si elle serait portée par la ligne rouge ou la ligne noire.
La construction du socialisme dans un pays anciennement
semi-féodal semi-colonial consiste en effet en des étapes
difficiles et douloureuses, présentant autant de dangers face à la
bourgeoisie.
Celle-ci était incapable de porter auparavant le capitalisme dans
tout le pays et d’unifier celui-ci ; mais dans le socialisme, la
bourgeoisie peut trouver une petite place, et même soumise elle
tente de prendre le pouvoir. C’est le sens de la Grande Révolution
Culturelle Prolétarienne (GRCP) de viser à empêcher cela.
Mais empêcher cela ne signifie pas s’y opposer mécaniquement. Il
y a des étapes dans la GRCP, strictement parallèlement aux étapes
de la construction du socialisme en Chine populaire.
Et une fois l’étape (déterminée précisément) terminée, une
fois le « développement qui va du simple au complexe, de
l’inférieur au supérieur » réalisée, il n’y a plus de
retour en arrière.
Toutefois, regardons ce qui se passe si la ligne noire l’emporte.
Si l’on prend par exemple l’URSS dans les années 1950, le pays
s’était reconstruit après la seconde guerre mondiale impérialiste.
Il y avait là un tournant, un « développement qui va du
simple au complexe, de l’inférieur au supérieur. »
Ce tournant n’a pas été compris de manière complète par la
ligne rouge, malgré un aperçu relativement net (Staline : Les
problèmes économiques du socialisme en URSS, 1951).
Le résultat a été le triomphe de la ligne noire, avec
Khrouchtchev (et ici justement et d’ailleurs en URSS les communistes
n’avaient pas compris le principe dialectique de la lutte de deux
ligne).
L’URSS a alors connu un « développement qui va du simple au
complexe, de l’inférieur au supérieur » car l’économie
s’est modernisée et renforcée, mais sous la direction de la ligne
noire. Cela a amené la naissance du social-impérialisme russe.
Et, de fait, une fois le développement réalisé, impossible
d’aller en arrière. Cela signifie-t-il que la révolution a échoué,
dans son ensemble ?
Non, mais cela signifie que pour cette étape, la ligne noire
l’emporte, qu’objectivement la base a été modifié et qu’ainsi, la
révolution connaît un redémarrage, non pas dans ses fondamentaux,
mais dans sa force.
Le triomphe du révisionnisme en URSS en 1953 et en Chine
populaire en 1976 marque l’aboutissement d’un processus ;
celui-ci réalisé, il n’est pas possible de retourner en arrière.
Il y avait un « développement qui va du simple au complexe,
de l’inférieur au supérieur » et la ligne noire en a
profité pour l’emporter. Mais le principe de la thermodynamique, qui
finalement appartient à la dialectique, fait qu’on ne peut pas
réparer les erreurs, la base a changé, il faut « recommencer. »
De la même manière qu’un couple qui se reforme de ne « reforme »
pas, mais forme une relation renouvelée.
C’est le principe du nouveau qui chasse l’ancien, non pas de
manière linéaire, mais par sauts qualitatifs.
Mais qu’est-ce qui pourrait empêcher de penser alors que la roue
de l’histoire peut aller de l’avant si la ligne rouge l’emporte, et
en arrière si la ligne noire l’emporte ?
Qu’est-ce qui au fond empêche tout retour en arrière, pourquoi
la ligne noire ne ferait-elle pas reculer l’histoire, disons au
moyen-âge ou la barbarie ?
Eh bien, ce n’est pas possible en raison des forces productives ;
leur accroissement amène une situation différente, permettant un
développement différent.
Bien entendu, si une série de catastrophes nucléaires
anéantissaient l’ensemble de la planète, alors le processus
recommencerait à un développement plus bas. Encore est-il que cela
est même improbable (la série de catastrophes nucléaires) si l’on
considère que le développement est ce qui compte.
Mao Zedong a souligné cela, en partant non point de vue de notre
simple planète, mais du développement de l’univers lui-même :
« Même si les bombes atomiques américaines
étaient d’une telle puissance que, larguées sur la Chine, elles
feraient un trou à travers la planète, ou la feraient exploser,
cela ne signifierait presque rien, à l’échelle de l’univers –
quoique ce puisse être un événement notable pour le système
solaire. »
Mao Zedong a raison de considérer ici que le développement
n’est pas simplement à notre échelle, mais à celui de l’univers
qui se transforme.
Cependant, à part ce cas de figure, le développement amène
inévitablement le triomphe du communisme. Reste à savoir si les
étapes seront rendues plus simples ou pas, selon le degré de
conscience de l’humanité.
Il est évident, par exemple, que sans une juste compréhension de
la biosphère, l’humanité se complique grandement la tâche. Même
si inversement et justement, les problèmes du réchauffement
climatique se posent comme réalité matérielle que l’humanité doit
saisir dans sa conscience.
Pour résumer : une fois une étape matérielle passée, un
retour en arrière n’est pas possible. Le capitalisme ne peut pas se
transformer en féodalisme.
Mais, par conséquent, lorsque la ligne noire triomphe sur la ligne rouge et profite d’un problème lors d’une étape, alors inévitablement la situation est modifiée et la ligne rouge doit se reformuler, selon les nouvelles conditions.
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