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  • Choudhry Rahmat Ali et le concept de Pakstan

    L’affirmation en faveur d’une entité musulmane sur un territoire déterminé, théorisée de manière romantique par Mohamed Iqbal, fut par la suite repris par un jeune étudiant, Choudhry Rahmat Ali, qui forma alors le concept de « Pakstan ».

    Étudiant à l’université anglaise de Cambridge, Choudhry Rahmat Ali reprenait directement la conception de Syed Ahmed Khan.

    Choudhry Rahmat Ali publia en janvier 1933 un pamphlet intitulé Now or Never; Are We to Live or Perish Forever (Maintenant ou jamais ; allons-nous vivre ou périr pour toujours).

    Il y proposa l’unification étatique des cinq zones du nord-ouest de l’Inde, en tant que « Pakstan », acronyme des régions concernées : le Pendjab, la North-West Frontier (Afghan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan. Cette unification devait se faire dans un cadre extérieur à l’Inde, de manière explicitement contraire à la ligne de Mohamed Iqbal, qui lui souhaitait maintenir le cadre fédéral.

    Choudhry Rahmat Ali

    Il est à noter la construction intellectuelle choisie : en persan, en ourdou et en pachtoune, pak signifie « pur », alors que le suffixe persan -stan signifie « pays », « terre de ». Le « Pakstan », par la suite le « Pakistan », c’est ainsi « la terre des purs ».

    Choudhry Rahmat Ali proposa le « Pakstan » aux délégués indiens de la troisième des Round Table Conferences organisées par le gouvernement britannique pour discuter du futur de l’Inde avec des délégués indiens.

    Dans sa lettre accompagnant le pamphlet, Choudhry Rahmat Ali expliqua ainsi sa démarche :

    « Je joins à la présente un appel au nom des trente millions de musulmans du Pakistan, qui vivent dans les cinq régions du nord de l’Inde : le Pendjab, la province de la Frontière du Nord-Ouest (Afghanistan), le Cachemire, le Sind et le Baloutchistan.

    Cet appel incarne leur demande de reconnaissance de leur statut national, distinct de celui des autres habitants de l’Inde, par l’octroi au Pakstan d’une Constitution fédérale distincte sur des bases religieuses, sociales et historiques. »

    Le pamphlet commençait de la manière suivante :

    « En cette heure solennelle de l’histoire de l’Inde, alors que les hommes d’État britanniques et indiens posent les bases d’une Constitution fédérale pour ce pays, nous vous adressons cet appel, au nom de notre héritage commun, au nom de nos trente millions de frères musulmans qui vivent au PAKSTAN – par lequel nous entendons les cinq unités du nord de l’Inde, à savoir : le Pendjab, la province de la frontière du Nord-Ouest (province afghane), le Cachemire, le Sindh et le Baloutchistan. »

    Le pamphlet attaque ensuite violemment les responsables de la Ligue musulmane pour accepter des discussions sur Inde indépendante et unie, qui se ferait selon lui aux dépens des musulmans.

    « La délégation musulmane indienne à la Table ronde a commis une erreur inexcusable et prodigieuse. Elle s’est soumise, au nom du nationalisme hindou, à la soumission perpétuelle de la nation musulmane malchanceuse.

    Ces dirigeants ont déjà accepté, sans la moindre protestation ni objection et sans la moindre réserve, une Constitution fondée sur le principe d’une Fédération pan-indienne.

    Cela revient, en substance, à signer l’arrêt de mort de l’islam et de son avenir en Inde. Ce faisant, ils se sont abrités derrière le prétendu Mandat de la communauté (…).

    En ce moment critique, alors que cette tragédie se joue, permettez-nous de faire appel à votre compassion et à votre soutien actif pour la revendication d’une Fédération séparée – une question de vie ou de mort pour les musulmans d’Inde – telle que décrite et expliquée ci-dessous.

    L’Inde, telle qu’elle est constituée actuellement, n’est pas le nom d’un seul pays, ni le foyer d’une seule nation. Il s’agit en réalité de la désignation d’un État créé pour la première fois dans l’histoire par les Britanniques.

    Elle comprend des peuples qui n’ont jamais fait partie de l’Inde à aucune période de son histoire, mais qui, depuis l’aube de l’histoire jusqu’à l’avènement des Britanniques, ont possédé et conservé leurs propres nationalités.

    Dans les cinq provinces du nord de l’Inde, sur une population totale d’environ quarante millions d’habitants, nous, les musulmans, représentons environ trente millions.

    Notre religion, notre culture, notre histoire, nos traditions, notre système économique, nos lois sur l’héritage, la succession et le mariage sont fondamentalement différents de ceux des populations du reste de l’Inde.

    Les idéaux qui poussent nos trente millions de frères et sœurs vivant dans ces provinces à consentir aux plus grands sacrifices sont fondamentalement différents de ceux qui inspirent les hindous. Ces différences ne se limitent pas aux grands principes fondamentaux, loin de là.

    Elles s’étendent aux plus infimes détails de nos vies.

    Nous ne dînons pas entre nous ; nous ne nous marions pas entre nous. Nos coutumes nationales, nos calendriers, et même notre alimentation et nos vêtements sont différents (…).

    Nous sommes confrontés à une tragédie de premier ordre, sans précédent dans la longue et mouvementée histoire de l’islam.

    Il ne s’agit pas de la disparition d’une secte ou d’une communauté ; il s’agit du problème suprême qui affecte le destin de l’islam tout entier et des millions d’êtres humains qui, jusqu’à récemment, étaient les gardiens de la gloire de l’islam en Inde et les défenseurs de ses frontières.

    Un avenir encore plus grand s’ouvre à nous, si seulement notre âme pouvait être sauvée de l’esclavage perpétuel forgé dans une Fédération pan-indienne.

    Ne nous y trompons pas. L’enjeu est maintenant ou jamais. Soit nous vivons, soit nous périssons à jamais.

    L’avenir ne nous appartient que si nous vivons fidèlement à notre foi. Il ne repose pas entre les mains des dieux, mais entre nos mains.

    Nous pouvons le construire ou le gâcher. L’histoire du siècle dernier est pleine d’avertissements clairs, et ils sont aussi clairs que ceux qui ont jamais été adressés à une nation.

    Devra-t-on dire de nous que nous avons ignoré tous ces avertissements et laissé notre héritage ancestral périr entre nos mains ?

    Il y aurait donc une prétendue opposition intrinsèque aux non-musulmans en Inde. La séparation est donc catégoriquement nécessaire. C’est Muhammad Ali Jinnah qui va en devenir le porte-drapeau.

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  • Mohamed Iqbal et l’Islam en Inde comme réalisation éthique

    Le mouvement du Khilafat était né du terreau de l’identité musulmane en Inde ; sa nature était à la fois religieuse et sentimentale, il y manquait la dimension intellectuelle : c’est le poète et avocat Mohamed Iqbal (1877-1938) qui l’apportera. C’est lui qui allait donner à la Ligue musulmane sa vision du monde.

    Son rôle historique est immense ; en fait, il préfigure toute une génération de musulmans éduqués à l’occidental et basculant dans une lecture idéale-romantique de l’Islam.

    Désorienté par le poids des transformations historiques, par la dimension et l’ampleur des changements, ce type d’intellectuel devient le partisan de la fuite en avant.

    Somme toute, on est dans ce qu’on appelle historiquement le fascisme, qui idéalise le passé pour appeler à une unité raciale, ethnique, nationale ou religieuse.

    Et les idéologues du FLN algérien ou du Hamas palestinien sont très exactement, au-delà de leurs perspectives divergentes, des intellectuels de ce type. Ce sont des féodaux intellectualisés par le processus colonial.

    Mohamed Iqbal attribuait à l’Islam une importante signification éthique, de dimension universelle, liée à la nature même de l’Islam, de par sa prétention universaliste et son affirmation d’une Umma, la communauté, sans frontières ethniques ni nationales.

    Mohamed Iqbal

    Il formula sa conception dans un ouvrage publié en 1934, intitulé Reconstruire la pensée religieuse de l’Islam, qui rassemble ses propos tenus lors de conférences en faveur d’un Islam essentiellement spirituel et tenus à Madras, Hyderabad, Aligarh, Londres, de 1928 à 1932.

    Les conférences dont on parle ici ont comme titres, tout à fait représentatifs de la vision du monde de Mohamed Iqbal, « La connaissance et l’expérience religieuse », « Le « test » philosophique des révélations de l’expérience religieuse », « La conception de Dieu et la signification de la prière », « L’ego humain : sa liberté et son immortalité », « L’esprit de la culture musulmane », « Le principe du mouvement dans la structure de l’Islam », « La religion est-elle possible ? ».

    Il s’agit d’une tentative de combiner rationalisme et religiosité la plus profonde, Mohammed Iqbal considérant que le Coran permet justement d’ailleurs la rationalité.

    Si Averroès était matérialiste et rejetait de manière formelle le mysticisme, utilisant dans le Coran ce qui lui était utile pour affirmer la philosophie d’Aristote, Mohamed Iqbal a une lecture associant directement rationalité et mysticisme, au nom du caractère naturaliste du Coran, formulation par Dieu de la nature elle-même de l’univers.

    C’est une « modernisation » de l’idéologie musulmane des forces féodales. Cela amène évidemment Mohamed Iqbal à faire du Coran le point de départ du rationalisme et même sa base :

    « Ce qu’il y a lieu de noter, c’est l’attitude empirique en général du Coran, laquelle engendra chez ses adeptes un sentiment de respect pour les faits et fit d’eux en définitive les fondateurs de la science moderne (…).

    Le Coran, reconnaissant que l’attitude empirique constitue une étape indispensable dans la vie spirituelle de l’humanité, accorde une égale importance à tous les champs de l’expérience humaine, en tant qu’ils offrent une possibilité de connaissance de la Réalité ultime, laquelle révèle ses symboles à la fois au-dedans et au-dehors.

    Une façon indirecte d’établir des relations avec la réalité qui nous confronte consiste en l’observation réfléchie et le contrôle de ses symboles, tels qu’ils se révèlent à la perception sensorielle ; l’autre moyen est de s’associer directement avec cette réalité telle qu’elle se révèle à l’intérieur de nous-mêmes. »

    Ainsi, seul le Coran permettrait à la science d’acquérir une certaine plénitude. Pour cette raison, le maintien de la communauté musulmane en tant que structure est considéré par Mohamed Iqbal comme primordial.

    C’est l’identité même de celle-ci qu’il s’agit de préserver et cela amena Mohamed Iqbal à vouloir considérer comme nécessairement séparée la communauté musulmane.

    Il est historiquement considéré que ce sont les propos tenus par Mohamed Iqbal à Allahabad lors de la 25e conférence de la Ligue musulmane, en décembre 1930, qui inaugurèrent la théorie des deux nations.

    Il y dit notamment les choses suivantes :

    « Ce n’est de fait pas une exagération que de dire que l’Inde est le seul pays dans le monde où l’Islam, comme force construisant le peuple, a fonctionné le mieux.

    En Inde, comme ailleurs, la structure de l’Islam en tant que société est presque entièrement due au travail de l’Islam comme culture inspirée par un idéal éthique spécifique.

    Ce que je veux dire est que la société musulmane, avec sa remarquable homogénéité et son unité intérieure, a grandi jusqu’à être ce qu’elle est, sous la pression des lois et institutions associée à la culture de l’Islam (…).

    Jamais dans l’histoire, l’Islam n’a eu à faire face à une telle épreuve que celle à laquelle il est confronté aujourd’hui (…).

    Les éléments de la société indienne ne sont pas territoriales comme dans les pays européens. L’Inde est un continent de groupes humaines appartenant à différentes races, parlant différentes langues, et ayant différentes religions.

    Leur comportement n’est pas entièrement déterminé par la conscience ethnique [race-consciousness], comme dans les pays européens. Même les hindous ne forment pas un groupe homogène.

    Le principe de la démocratie européenne ne peut pas être appliquée en Inde sans la reconnaissance du fait des groupes communautaires. La revendication des musulmans pour la création d’une Inde musulmane au sein de l’Inde est, pour cette raison, parfaitement justifiée (…).

    Personnellement, j’irai plus loin que les exigences formulées [par la résolution de la conférence de tous les partis musulmans à Delhi].

    J’aimerais voir amalgamés le Penjab, la province frontalière du Nord-Ouest [North-West Frontier Province], le Sindh et le Baloutchistan en un seul État.

    L’auto-gouvernement au sein de l’empire britannique, ou sans l’empire britannique, la formation d’un État musulman indien du Nord-Ouest consolidé, apparaît à mes yeux comme la destinée finale des musulmans, au moins dans l’Inde du Nord-Ouest. »

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  • Le mouvement du Khilafat

    Le phénomène colonialiste n’a pas que ruiné historiquement l’hégémonie musulmane aux Indes, il a également joué un rôle dans d’autres pays marqués par l’Islam.

    Et l’un des facteurs déterminants pour que puisse apparaître la théorie des deux nations a été l’affirmation identitaire musulmane indienne au moment où l’empire ottoman connaissait son processus d’effondrement.

    La branche sunnite de la religion islamique se fonde en effet sur le principe qu’un calife doit diriger politiquement la communauté, prenant le relais du prophète Mahomet.

    La tradition islamique sunnite valorise de manière très importante les « califes bien guidés », c’est-à-dire les quatre premiers califes après Mahomet (al-Khulafā’u r-Rāshidūn). Or, l’empire ottoman a prétendu représenter cette tradition dès sa fondation, le sultan étant en même temps calife.

    Son affaiblissement et son effondrement à la suite de la première guerre mondiale faisaient donc craindre que la religion musulmane n’aurait plus de calife. Par conséquent émergea en Inde le mouvement du « Khilafat », c’est-à-dire du califat, exigeant du gouvernement britannique qu’il préserve l’empire ottoman, au nom de la préservation du califat.

    Pour cette raison, des érudits musulmans, appelés maulanas, intervinrent dans l’opinion publique de leur communauté : Maulana Mohammad Ali Jauhar (1878-1931) publia l’hebdomadaire Comrade et le quotidien Hamdard, Maulana Zafar Ali Khan (1873-1956) lança le quotidien Zamindar et Maulana Sayyid Abul Kalam Ghulam Muhiyuddin Ahmed Azad (1888-1958) l’hebdomadaire Al-Hilal.

    Maulana Mohammad Ali Jauhar

    Il est intéressant de noter ici que ce dernier rejoindra par la suite les initiatives du « Mahatma » Gandhi, devenant un partisan de l’Inde unifié. Mais il est vrai qu’alors, le mouvement du Khilafat ne se posait pas de manière communautaire isolée : Mahatma Gandhi participa en personne à la journée panindienne du khilafat, le 17 octobre 1919.

    Le comité central du mouvement du Khilafat, la ligue musulmane panindienne et le Congrès national indien participèrent d’ailleurs tout à fait officiellement à la campagne. Les émissaires du mouvement rendirent également visite au pape au Vatican.

    Le mouvement du Khilafat s’orientait principalement autour de deux soucis, exprimant une profonde inquiétude autour des valeurs musulmanes considérées comme essentielles sur le plan de l’identité.

    Il s’agissait de préserver les lieux sacrés de toute « souillure » non musulmane, ainsi que de maintenir l’empire ottoman comme force capable de servir à la protection des musulmans à travers le monde et de fait notamment en Inde, où les musulmans consistaient en une communauté minoritaire à l’échelle du pays.

    Des activistes du mouvement du Khilafat

    On est dans un fantasme idéologique, propre au clergé et à certains secteurs des masses qui prennent au pied de la lettre la fiction d’une communauté musulmane unifiée à l’échelle mondiale.

    Pour cette raison même, cela sous-tendait une posture identitaire très forte, qui se cristallisa en effet dans le mouvement de la hijrat, c’est-à-dire de l’émigration vers un pays considéré comme correspondant au statut de daru’l-Islam (maison de l’Islam) et non de daru’l-harab (maison de la guerre).

    Dans l’Islam, en effet, si la juridiction n’est pas musulmane, alors il faut l’imposer militairement. Si c’est impossible, alors il faut émigrer.

    Naturellement, dans les faits, cela se passe bien différemment. Cependant, c’est le principe de base, qui a donné comme on le sait de multiples variantes non-militaires afin de parvenir à ses fins : formation d’îlots piétistes séparés de la société (les salafistes), conquête de positions idéologiques et institutionnelles (les Frères musulmans), etc.

    Maulana Shaukat Ali, grand frère de Maulana Mohammad Ali Jauhar mentionné plus haut (et partisan de Muhammad Ali Jinnah, qui joua un rôle essentiel ici), expliqua dans une conférence en faveur du Khilafat à Patna, en 1920, que :

    « Tous les musulmans qui veulent remplir leurs obligations islamiques doivent quitter l’Inde. Ceux qui ne peuvent pas émigrer immédiatement doivent aider les émigrants. La Charia ne donne pas d’autre alternative que l’émigration.

    L’émigration depuis l’Inde était désirable avant la guerre, maintenant elle est obligatoire. Ne peuvent seulement rester en Inde les musulmans qui sont nécessaires pour mener la lutte ou ont des raisons acceptables contre l’émigration. »

    Dans les faits, cela se concrétisa par une émigration de 25 000 personnes en Afghanistan, le gouvernement de ce pays bloquant finalement le mouvement, qui mobilisa encore 60 000 personnes en Inde.

    Quant au mouvement en faveur du Khilafat, il dut reconnaître sa défaite avec la fondation de la république turque le 29 octobre 1923, dont le parlement abolit le califat le 3 mars 1924.

    Le clergé voyait ses rêves se défaire et l’aristocratie musulmane voyait arriver à grands pas une situation où elle devrait s’effacer devant la majorité hindoue dans le cadre d’une Inde devenant un jour indépendante.

    C’était inenvisageable de par la dimension patriarcale de l’Islam façonné par la conquête de l’Inde. Cela donna naissance à la théorie du « Pakistan ».

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  • La Ligue musulmane

    Un événement déterminant pour la formation de la Ligue musulmane fut le processus aboutissant en 1905 à la division administrative du Bengale.

    Justifiée par l’empire britannique pour une question d’efficacité administrative concernant un vaste territoire, elle provoqua cependant la colère du Congrès national indien, qui y vit une politique de « diviser pour régner », dans la mesure où le Bengale oriental devenait alors une province à majorité musulmane.

    Le mouvement d’opposition hindoue à l’empire britannique était par ailleurs très puissant au Bengale, avec comme symbole le roman Le Monastère de la félicité publié en 1882 par Bankim Chandra Chatterji.

    Bankim Chandra Chatterji

    On y découvre une présentation romancée d’une vaste révolte de renonçants contre le nabab musulman du Bengale, en pleine famine à la fin du 19e siècle, dans une opposition sanglante tant avec l’empire britannique qu’avec les musulmans.

    Le culte de la déesse-mère est assimilé à la protection de l’Inde face aux envahisseurs, en l’occurrence anglais et musulman.

    Le roman aura un immense succès et le slogan revenant dans le roman, Vande mataram, « Salut à la mère », deviendra le grand mot d’ordre des nationalistes indiens se revendiquant de l’hindouisme.

    La réunification administrative du Bengale fut ensuite obtenue dans la foulée, en 1911, au grand dam des dirigeants musulmans qui perdaient ce qui formait à leurs yeux une base sûre.

    C’est dans ce contexte que se forme la Ligue musulmane panindienne, en décembre 1906, comme rassemblement de l’élite musulmane, en tant que prolongement direct de la All India Muhammadan Educational Conference à Dacca.

    La réunion de 1906 de la All India Muhammadan Educational Conference dans le palais du Nawab de Dacca.

    Le « Nawab » Vicar-ul-Mulk, c’est-à-dire un aristocrate musulman (le mot existe en français sous la forme nabab) est élu secrétaire général à cette occasion ; dans son discours d’intronisation le jour même, il présenta de la manière suivante la situation :

    « Les musulmans ne sont qu’un cinquième, en nombre, comparé à la population totale du pays, et il est manifeste que si dans un certain délai le gouvernement britannique cesse d’exister en Inde, alors le pouvoir passera dans les mains de la communauté qui est pratiquement quatre fois plus nombreuse que nous le sommes.

    Maintenant, messieurs, considérons chacun ce que sera notre considération si une telle situation se produit en Inde. Alors, notre vie, notre propriété, notre honneur et notre foi seront tous en grand danger. »

    Pour cette raison, explique le Nawab, il faut soutenir, de manière égoïste, l’autorité de la Grande-Bretagne, de la manière la plus loyale.

    On a ici le développement naturel de l’activité de Syed Ahmad Khan.

    Et cela exprime une claire convergence des féodaux de la minorité musulmane avec le colonialisme britannique, très heureux de trouver des alliés dans son travail de stabilisation de la situation afin de perpétuer sa domination.

    Dans ce cadre, les Britanniques mirent en place en 1909 une séparation électorale entre hindous et musulmans ; en 1919, il en alla de même pour les Européens, les chrétiens, les Sikhs.

    C’était la voie ouverte pour les partis communautaires, la Ligue musulmane en premier lieu.

    Initialement, le nombre d’adhérents à la Ligue musulmane était limité à 400, avec un revenu annuel important exigé pour pouvoir être membre ; la constitution votée lors de la première conférence, à Karachi, s’appuyait sur un projet établi tout d’abord à Dacca, puis à Aligarh, alors que fut nommé président Aga Khan III, chef de file religieux des ismaéliens nizârites.

    La Ligue musulmane représentait des forces féodales, dont le capital accumulé tient entièrement à une position aristocratique dans un cadre musulman. La remise en cause de ce cadre signifiait simplement la perte de la base de la production de cette richesse.

    Cependant, la première guerre mondiale fit évidemment vaciller la confiance en la domination de la Grande-Bretagne sur l’Inde, alors que le mouvement pour l’indépendance s’amplifiait également. La Ligue musulmane avait grandi, mais les possibilités de se placer sous l’égide de l’empire britannique s’amenuisait clairement.

    Le sol commençait à se dérober sous les pieds des forces féodales musulmanes. Pour cette raison, grâce au rôle d’intermédiaire de Muhammad Ali Jinnah, un musulman membre du Congrès national indien, ce dernier réalisa avec la Ligue musulmane le pacte de Lucknow en 1916.

    Ce pacte exigeait de la Grande-Bretagne, à la sortie de la première guerre mondiale, un gouvernement proprement indien, avec également 1/3 des places du gouvernement central qui soient réservés aux musulmans.

    Pour les musulmans de l’Inde, c’était le début d’une fuite en avant : puisque l’empire britannique reculait et qu’aucun retour en arrière n’apparaissait comme possible, alors il fallait faire monter les enchères, faire vibrer l’identité, développer un fondamentalisme.

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  • Syed Ahmad Khan et l’inquiétude de l’Islam autrefois dominant

    Il faut souligner ici deux faits importants datant de la domination britannique et mettant symboliquement à mal l’influence musulmane sur le sous-continent indien.

    Tout d’abord, l’anglais devint la langue prédominante selon le English Education Act de 1835, ce qui mit de côté le persan dans les hautes cours juridiques. Le persan fut également mis de côté par un Act de 1837 imposant une langue indienne vernaculaire comme langue officielle locale.

    Ensuite, l’ourdou qui avait pris en partie la place du persan fut également lui-même écarté sous la pression des partisans du hindi.

    L’ourdou et l’hindi sont historiquement la même langue, le premier étant pratiqué par les musulmans (et écrit en s’appuyant sur l’alphabet arabe), le second par les hindous (et écrit en s’appuyant sur l’alphabet Devanagari issu du sanskrit), avec parfois le terme de hindoustani pour éviter toute connotation religieuse.

    Le poète Nusrati écrivant (en 1657) Gulshan-i ʿishq, Le Jardin de roses de l’amour, 1743

    En 1872, le hindi remplaça ainsi l’ourdou dans neuf districts des provinces centrales (l’actuel Madhya Pradesh).

    Avec la fondation en 1885 du parti politique dénommé Congrès national indien (avec bientôt Mohandas Karamchand Gandhi à sa tête), il apparaissait comme évident, aux yeux d’une partie des intellectuels musulmans et bien sûr des féodaux, que la communauté musulmane voyait son hégémonie historique entièrement s’évanouir.

    C’est alors Syed Ahmad Khan qui prit les rênes des revendications musulmanes.

    Syed Ahmad Khan

    S’il travailla pour la East India Company et resta loyaliste envers l’empire britannique, y compris durant la révolte des cipayes de 1857, Syed Ahmad Khan était intransigeant à l’encontre du Congrès national indien, y voyant une force portée par l’hindouisme pour phagocyter la communauté musulmane.

    Il développa alors la thématique selon laquelle il existait plusieurs nations dans le Raj britannique, les hindous n’en formant pas une en tant que telle, ce qui était par contre le cas pour les musulmans. Dans un discours à Lucknow en 1887, il affirma ainsi :

    « Quelle est notre nation ? Nous sommes ceux qui ont dirigé l’Inde pour six ou sept cent ans (…).

    Notre nation est du sang de ceux qui ont fait trembler non seulement l’Arabie, mais également l’Asie et l’Europe.

    C’est notre nation qui a conquis par son épée l’ensemble de l’Inde, bien que ses peuples avaient la même religion. »

    Dans un discours à Meerut, en 1888, Syed Ahmad Khan exposa de la manière suivante la question des « deux nations » qui se poserait inévitablement en l’absence du pouvoir britannique :

    « Supposons que tous les Anglais, et l’ensemble de l’armée anglaise, quittait l’Inde, prenant avec eux tous les canons et toutes leurs splendides armes et tout, alors qui seraient les dirigeants de l’Inde ?

    Est-il possible que dans de telles circonstances, deux nations – les musulmans et les hindous – pourraient s’asseoir sur le même trône et resteraient égaux en pouvoir ? Très certainement pas.

    Il est nécessaire que l’un deux subjugue l’autre et écarte l’autre. Espérer que les deux restent égaux est désirer l’impossible et l’inconcevable. »

    Pour cette raison, il fallait selon Syed Ahmad Khan appuyer le pouvoir britannique, afin d’empêcher la mainmise hindoue sur l’Inde, et cela signifiait aussi élever considérablement le niveau de connaissance de l’élite musulmane, dans le domaine de la langue anglaise, mais également sur le plan des sciences, des techniques.

    Il fallait que la communauté musulmane s’abstienne de toute politique, tout en se montrant indispensable au pouvoir britannique.

    C’est pourquoi Syed Ahmad Khan fonda une « association patriotique » en 1888, puis une « association de défense musulmane anglo-orientale », en 1894, ainsi que dans le domaine de l’éducation, l’université à Aligarh, le Muhammadan Anglo-Oriental College, en 1875, ainsi que la All India Muhammadan Educational Conference, en 1886.

    Lui-même mourut en 1899, mais son positionnement eut un succès très important, refaçonnant toute la perspective de l’élite musulmane.

    La conséquence la plus concrète fut la formation de la Ligue musulmane.

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  • Les populations musulmane et hindoue dans le Raj britannique et la théorie des deux nations

    Le Royaume-Uni a colonisé « les Indes » ; le territoire est passé à partir de 1757 sous la coupe de la « Compagnie des Indes orientales », avant d’être administré directement par le gouvernement britannique assumant le contrôle du pays.

    Pour comprendre la question musulmane dans l’Inde britannique, il faut regarder la proportion de musulmans et d’hindous.

    La part de la population musulmane en Inde en 1909

    Voici les chiffres des documents officiels de l’empire britannique à l’époque.

    Date du recensementPopulation hindouePopulation musulmane
    1867/1876139 343 82040 867 125
    1901158 601 28853 904 517
    1911163 621 43157 423 889

    C’est l’un des points les plus importants et les plus significatifs : la population musulmane est importante, mais les Hindous sont trois fois plus nombreux. Cela tient à ce que les Indes ont été colonisées par les conquérants musulmans avant de l’être par le colonialisme britannique.

    Le Nord des Indes devient le Sultanat de Delhi au 13e siècle et la conquête se prolongera jusqu’à l’empire des Moghols.

    Cet empire, c’est notamment le fameux Taj Mahal ; c’est également pour le suzerain un trône en or serti de 26 733 pierres précieuses, pour un prix équivalant à l’époque à la construction du château de Versailles.

    En pratique, la domination moghole était classique de l’Islam : la conquête militaire produit un État militaire, qui exerce un pouvoir centralisé et vit des tributs organisés administrativement de manière toujours meilleure. Cela instaure une féodalité, mais militarisée et encore largement liée à la logique du mode de production esclavagiste.

    Le Taj Mahal dans les années 1870

    Un tel système ne pouvait qu’entrer en décadence et, naturellement, ne faisait pas le poids face au colonialisme britannique porté par le capitalisme en pleine lancée.

    Le contraste justement entre la prépondérance de la minorité musulmane de l’époque précédente et la gestion coloniale britannique va provoquer une profonde inquiétude dans l’élite musulmane, bien entendu avant tout composée de féodaux.

    Ce n’était pas seulement que, désormais, l’hindouisme et l’Islam apparaissaient comme équivalents, somme toute, face à l’empire britannique dirigé par des chrétiens.

    C’est surtout – et c’est là absolument capital – que cela remet en cause la lecture tant des élites musulmanes que celles des hindoues.

    Avant la colonisation, les musulmans considèrent l’hindouisme comme les restes d’une invasion qui n’est pas allée jusqu’au bout. Ils pensent que l’hindouisme va s’effacer. Inversement, les hindouistes considèrent l’islam comme le produit d’une invasion, et pensent donc qu’il va disparaître car formant un phénomène étranger.

    Le colonialisme britannique vient annuler les prétentions des uns et des autres.

    Le poète de langue ourdou Mir Taqi Mir, 1786

    Cela impose une coexistence, qui de fait existait déjà, mais pas dans les imaginaires, pas dans les idéologies. Il y avait bien sûr des échanges religieux, des emprunts et des influences, ainsi que la naissance de syncrétismes. L’empereur Akbar essaya même d’impulser une Dîn-i-Ilâhî (religion de Dieu) pour relier Islam et hindouisme.

    Mais les Moghols exprimaient la logique féodale-militaire de conquête de l’Islam, avec une tendance à l’esclavagisme, ce qui n’était aucunement capable de donner naissance à un phénomène idéologiquement supérieur.

    Il y avait donc de la part des Moghols à la fois une acceptation qu’une majorité de la population des Indes était païennes, une volonté de convaincre, une envie de réprimer, une grande tolérance et une féroce agressivité.

    Ce fut d’autant plus la panique sur le plan idéologique avec le colonialisme britannique et c’est là que naît la « théorie des deux nations ».

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • La mise en place du Raj britannique

    L’impérialisme colonial britannique en Inde, comme celui des autres nations de cette époque, a été mené initialement par une Compagnie commerciale, c’est-à-dire un monopole de marchands capitalistes agissant dans le cadre d’un contrat avec l’État britannique : l’East India Company, fondée en 1600.

    Cette Compagnie, inspirée des premières associations de marchands formées dans la féodalité méditerranéenne, arabe puis latine, fut même un modèle du genre, inspirant la fondation de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (Vereenigde Oostindische Compagnie) en 1602, en attendant les Compagnies françaises fondées par Colbert, en tant que Compagnie du levant et Compagnie des Indes, quelques décennies plus tard.

    L’East India Company peut compter sur les forces armées britanniques pour étendre son influence auprès des royaumes féodaux d’Inde, jouant sur leurs contradictions internes, notamment religieuses, et sur les allégeances concurrentes, aux Français notamment.

    La Guerre de 7 ans, opposant les colonialismes français et britannique par l’intermédiaire de leurs Compagnies, en Amérique et en Inde notamment, donne l’avantage définitif aux seconds.

    L’East India Company étend progressivement sa « protection » militaire, commerciale et administrative notamment sur le principal État féodal indien : l’Empire moghol, fondé par une dynastie turco-mongole de culture persane.

    L’empereur moghol Akbar avec des jésuites et des représentants de différentes religions, fin du 17e siècle

    L’Empire moghol est démantelé de fond en comble par l’East India Company suite au traité Surji-Anjengaon en 1803, la Compagnie faisant feu de tout bois pour élever toutes les contradictions (y compris religieuses) de l’Empire en sa propre faveur.

    Mais sa pression continue entraîne en 1857-1858 la grande révolte dite des Cipayes, nom donné aux soldats indigènes de l’armée coloniale de l’East India Company et formé sur le persan sipayi (soldat), composés tant de combattants hindous que musulmans.

    Cipayes dépendant de la France à Pondichéry en 1905

    Formellement, la révolte démarra avec la découverte par ces soldats que la graisse enrobant les cartouches à déchirer avec les dents pour charger leurs fusils était lubrifiée au moyen de graisse de porc ou de bœuf, deux animaux relevant d’un interdit religieux.

    La révolte est cependant le fruit d’une société dépassée par la dimension capitaliste moderne du colonialisme britannique. La révolte des Cipayes fut brutalement écrasée, l’armée britannique faisant notamment exécuter les officiers indiens révoltés en les attachant à la bouche d’un canon.

    C’était la fin de l’empire moghol, avec comme dernier avatar une proclamation faite à Azamgarh en 1857 par Firoz Shah, petit-fils de l’empereur Muhammad Bahadur II (1837-1858). Celle-ci est explicitement adressée aux plus riches et aux moudjahidines, pour qu’ils se rebellent contre le colonialisme britannique et que les hindous se rallient à eux.

    L’empereur déchu Bahadûr II présenté comme un calligraphe, milieu du 19e siècle

    La Couronne britannique prit ensuite directement en main l’administration de l’Inde et de sa conquête, c’est la fin de l’East India Company et le début du Raj britannique, c’est-à-dire de l’Empire des Indes.

    Le Raj reprend largement les bases de l’Empire moghol, et des autres principautés féodales.

    Pour cela, il ôta tout pouvoir militaire aux gestionnaires – fonctionnaires des différents territoires, tout en les transformant en grands propriétaires terriens pour en faire des subordonnés, leur reconnaissant toute une série de statuts : Maharaja, Raja et Rai, Babu, Malik, Chaudhary et Chowdhury, Nawab (ou Navab), Munshi, Khan, Sardar.

    L’empereur déchu Bahadûr II (au centre, assis) entouré de ses fils Mirza Jawan Bakht et Mirza Shah Abbas, vers 1858

    Il y a donc, pour la première fois, une unification des « Indes », mais c’est réalisé depuis l’extérieur, par l’impérialisme britannique qui compte perpétuer les bases de sa domination. Le colonialisme, ouvert ou bien masqué, a toujours besoin d’un socle féodal.

    Les Britanniques jouèrent à fond sur ce plan ; c’est une époque où il y a une mise en valeur « rationalisée » et modernisée des bases féodales de l’Inde, notamment avec les études systématiques par les savants britanniques des textes de l’hindouisme, et il en sera de même pour l’Islam, les traditions bouddhistes, zoroastriennes, etc.

    Concrètement, le Raj britannique s’instaura en utilisant toutes les variantes du féodalisme indien déjà présentes, en jouant sur leurs variété interne, dans une perspective séparatiste imposant l’unification par le haut, par l’administration et l’armée britannique.

    Cela permit à l’empire britannique de devenir la première puissance mondiale, avec comme principale figure la reine Victoria (1837-1901) couronnée en 1876.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • Le Pakistan et Israël, deux choses réelles nées artificiellement

    En 1947 naissait le Pakistan, en 1948 Israël. Dans les deux cas, on a deux États qui sont nés d’un processus artificiel : ils prétendent rassembler, à partir de rien, des populations culturellement très variées, parlant des langues différentes.

    Mais tous deux prétendaient que la religion était un moteur transcendant les nuances et les différences, et que l’État nouveau servirait de force unificatrice. Une langue, nouvelle pour la grande majorité des populations, fut imposée ; l’idéologie de l’État imposait une lecture de l’Histoire aboutissant à cet État lui-même, comme expression mystico-religieuse de l’action de Dieu lui-même.

    Les armoiries du Pakistan en 1947

    On ne peut pas comprendre ni le Pakistan ni Israël sans voir que ces pays s’assignent un rôle historique particulier ; s’ils sont nés d’une vraie souffrance de la part des populations qui ont senti le besoin de se réunir, il y a en ces États une dimension à la fois catastrophiste et démesurée.

    C’est que, tout comme l’État d’Israël est indéniablement né de la Shoah même si le sionisme apparaît plusieurs décennies auparavant, l’État pakistanais naît des grands massacres de masse de 1947.

    Au-delà de toutes les considérations sur le caractère artificiel de leur fondation, sur la dimension fictive de leur idéologie, sur la non-unification concrète de leurs populations si on observe bien les choses, ce n’est pas pour rien qu’ils existent : ils s’imaginent être des forteresses assiégées, ce qu’ils sont également d’une certaine manière.

    Autrement dit, les sociétés pakistanaise et israélienne existent ; leurs existences sont regrettables, car elles sont nées d’une séparation d’autres populations dont elles faisaient partie. Elles n’en sont pas moins un fait historique bien déterminé.

    Tant le Pakistan qu’Israël sont nés des activités des impérialismes britannique et américain ; ils n’auraient pu ni apparaître ni se maintenir sans cet arrière-plan.

    Et leur fondation possède une dimension « assiégée » en faisant des acteurs virulents, empoisonneurs des régions où ils vivent, là encore au service des impérialistes, principalement la superpuissance américaine.

    Et en même temps, leur existence a été le produit d’événements réels, puissants, produisant le Pakistan et Israël de manière quasi inévitable. Impossible de les comprendre donc sans saisir le processus amenant à leur naissance.

    Mais il est possible de dire de manière extrêmement simple les choses, pour comprendre de quoi il en retourne finalement. Le Pakistan et Israël sont nés comme des États laïcs, et en même temps leur idéologie est religieuse.

    Ils sont nés pour permettre à des populations d’avoir un État « normal » à eux, et leur État est tout sauf normal. Ils se sont construits pour permettre la « paix » et pourtant ce sont les militaires qui y jouent un rôle central permanent.

    Le Pakistan et Israël sont des tentatives d’atteindre le particulier – une identité nationale – à travers l’universel – un État comme tous les autres États. Et en même temps, ce sont des tentatives d’atteindre l’universel – la vérité religieuse de l’Islam ou du judaïsme – à travers le particulier – un État unique en son genre.

    Le Pakistan et Israël sont très clairement des accidents historiques, et ils existent en même temps réellement comme produits de l’Histoire. Leurs contradictions internes les relient à ce titre immanquablement à l’Histoire de la région où ils sont nés.

    Le Pakistan ne changera jamais sans changement régional, il en va de même pour Israël.

    Ils sont artificiels, mais expriment le besoin de forteresse anti-génocidaire, et pour cette raison basculent eux-mêmes dans des logiques de destruction de l’ennemi, de tendance au génocide pour parer à leur propre génocide.

    Le Pakistan et Israël, deux choses réelles nées artificiellement, sont le produit des tourments de l’Histoire, du caractère sinueux de l’Histoire. Rien ne serait plus faux que d’avoir un avis unilatéral à leur sujet.

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    les exemples du Pakistan et du Bangladesh

  • 1er mai 2025 : à un tournant historique

    Le monde va mal, très mal et de plus en plus mal. Donald Trump a mis le feu au monde, il annonce que la superpuissance américaine ne compte pas perdre sa place au profit de la superpuissance chinoise.

    Renversement d’alliances, relance du capitalisme notamment avec l’intelligence artificielle, offensive idéologique sur les mentalités, omniprésence des questions militaires… tout va très vite.

    Tout va trop vite, tout le monde est perdu, tout le monde se sent débordé, dans le prolongement de la crise culturelle née en 2020, une crise également économique, une crise des idées aussi, une crise morale avec une fatigue psychologique générale…

    C’est là où il faut être dialectique et comprendre que l’Histoire recule pour mieux sauter. Ce n’est pas un vœu pieux, ce n’est pas un faux espoir. C’est simplement une obligation dialectique.

    Les choses ne se produisent pas mécaniquement, rien ne va en ligne droite. Toute transformation passe par des détours, le nouveau est faible et l’ancien semble omnipotent. Qu’on pense au temps qu’a mis l’esclavage à disparaître !

    Il est, malheureusement, dans l’ordre des choses que les masses mondiales appréhendent avec difficulté ce qui se passe. Chacun veut vivre, et les moyens de le faire avec une plus grande aisance matérielle se sont largement améliorés depuis 1989.

    Il est inévitable que les gens apprécient, avec nostalgie également, la mondialisation et ses effets, malgré toute l’aliénation produite et malgré l’exploitation d’autant plus pernicieuse. Sur le plan matériel, le niveau de vie a monté, il y a davantage de biens de consommation, davantage de moyens de s’occuper en dehors du travail, de trouver des choses intéressantes.

    C’est là qu’il faut rappeler que 2025 est aussi loin de 1985 que 1985 est loin de 1945.

    Préserver les acquis de la modernité en se débarrassant de l’aliénation et du capitalisme exploiteur est donc un immense défi. On ne doit pas s’étonner que cela impressionne, que cela inquiète, que cela désoriente.

    Il faut avoir confiance en la maturation des consciences, en la systématisation des expériences, en la capacité de synthèse des masses exploitées à l’échelle mondiale. Et on ne parle pas que de la conscience politique : le métissage des idées, des cultures, des êtres humains se produit de manière toujours plus grande.

    Si en 2025 le monde se divise, se fracture… il y a l’inverse qui est présent et se renforce malgré tout : l’unification de l’humanité, l’effacement des nationalismes, la reconnaissance de la question animale, la compréhension de la planète comme Biosphère où tout est lié.

    La fuite en avant dans les particularismes, les conquêtes impérialistes nationalistes, les cultes des identités… pèsera toujours moins lourd, au fur et à mesure, face à l’affirmation révolutionnaire du collectivisme, de la planification, de l’unification.

    Comme l’a souligné Mao Zedong, le chemin est sinueux, mais l’avenir est lumineux ! 

    Et les capitalistes, qui marchent à une troisième guerre mondiale pour s’en sortir par une bataille générale pour le repartage du monde, ne parviendront pas à empêcher la révolution dans chaque pays, la révolution mondiale !

    Centre Marxiste-Léniniste-Maoïste – Belgique
    Parti Matérialiste Dialectique – France
    1er mai 2025

    =>La page de Connexions

  • Résolution du Bureau d’information sur la situation dans le Parti Communiste de Yougoslavie

    Juin 1948

    Le Bureau d’information, composé des représentants du Parti Ouvrier (Communiste) Bulgare, du Parti Ouvrier Roumain, du Parti des Travailleurs Hongrois, du Parti Ouvrier Polonais, du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., du Parti Communiste Français, du Parti Communiste de Tchécoslovaquie et du Parti Communiste Italien, ayant discuté la question de la situation existant dans le Parti Communiste de Yougoslavie et constatant que les représentants du Parti Communiste de Yougoslavie ont refusé de venir à la session du Bureau d’information, a adopté à l’unanimité les conclusions suivantes :

    Le Bureau d’Information remarque que la direction du Parti Communiste de Yougoslavie suit ces derniers temps, dans les questions principales de la politique extérieure et intérieure, une ligne fausse représentant l’abandon de la doctrine marxiste-léniniste.

    En conséquence, le Bureau d’information approuve l’action du Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., qui a pris l’initiative de dévoiler la politique fausse du Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie et, avant tout, celle des camarades Tito, Kardelj, Djilas et Rankovie.

    Le Bureau d’information constate que la direction du Parti Communiste de Yougoslavie poursuit une politique inamicale à l’égard de l’Union Soviétique et du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S.

    On a laissé se développer en Yougoslavie une politique indigne de diffamation contre les spécialistes militaires soviétiques et de discrédit de l’Année Soviétique.

    En ce qui concerne les spécialistes civils soviétiques en Yougoslavie, on a créé pour eux un régime spécial en vertu duquel ils ont été soumis à la surveillance des organes de sécurité d’Etat de Yougoslavie et ils ont été suivis par des agents.

    Le représentant du Parti Communiste (bolchevik) de l’U.R.S.S. dans le Bureau d’information, le camarade Youdine, et nombre de représentants officiels de l’U.R.S.S. en Yougoslavie ont été soumis à la même surveillance de la part des organes de sécurité d’Etat de Yougoslavie.

    Tous ces faits et d’autres faits semblables témoignent que les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie ont adopté une position indigne pour des communistes : les dirigeants yougoslaves ont commencé à identifier la politique extérieure de l’U R.S.S. avec celle des puissances impérialistes et se comportent envers l’U.R.S.S. comme à l’égard des Etats bourgeois.

    En conséquence de cette attitude antisoviétique, dans le Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie s’est répandue une propagande calomniatrice sur la « dégénérescence » du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., sur la « dégénérescence » de l’U.R.S.S., etc., empruntée à l’arsenal du trotskisme contre-révolutionnaire.

    Le Bureau d’information condamne cette orientation anti
    soviétique des dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie,
    incompatible avec le marxisme-léninisme et ne convenant qu’à
    des nationalistes.

    Dans leur politique à l’intérieur du pays, les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie abandonnent les positions de la classe ouvrière et rompent avec la théorie marxiste des classes et de la lutte des classes.

    Ils nient le fait de l’accroissement des éléments capitalistes dans leur pays et l’accentuation de la lutte des classes dans la campagne yougoslave, qui en découle.

    Cette négation a son origine dans la thèse opportuniste selon laquelle, dans la période de transition du capitalisme au socialisme, la lutte des classes ne s’accentuerait pas, comme l’apprend le marxisme-léninisme, mais s’affaiblirait, comme l’affirmaient les opportunistes du type Boukharine, qui propageait la théorie d’une intégration pacifique du capitalisme au socialisme.

    Les dirigeants yougoslaves poursuivent une politique fausse a la campagne, en ignorant la différenciation des classes à la campagne et en considérant les paysans individuels comme un tout unique, en dépit de l’enseignement marxiste-léniniste sur les classes et la lutte de classes, en dépit de la thèse connue de Lénine selon laquelle la petite exploitation individuelle engendre constamment, chaque jour, chaque heure, spontanément et à une grande échelle le capitalisme et la bourgeoisie.

    Or, la situation politique dans la campagne yougoslave ne donne aucune raison de suffisance et d’insouciance.

    Dans les conditions de prédominance en Yougoslavie de la petite exploitation paysanne individuelle — la nationalisation de la terre n’étant pas réalisée et la propriété privée de la terre continuant à exister, l’achat et la vente des terres étant libres, les koulaks concentrant dans leurs mains de grandes propriétés terriennes et le travail salarié étant employé, etc. — on ne peut pas éduquer le parti dans l’esprit de l’apaisement de la lutte de classes et de l’effacement des contradictions de classes, sans le désarmer devant les difficultés de la construction du socialisme.

    Les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie glissent de la voie marxiste-léniniste dans la voie du parti des koulaks et des populistes, sur la question du rôle dirigeant de la classe ouvrière, en affirmant que les paysans constituent « la base la plus solide de l’Etat yougoslave ».

    Lénine nous enseigne que le prolétariat « comme seule classe révolutionnaire jusqu’à la fin de la société moderne… doit avoir le rôle dirigeant, l’hégémonie dans la lutte du peuple entier pour la transformation démocratique complète, dans la lutte de tous les travailleurs et exploités contre les oppresseurs et les exploiteurs ».

    Les dirigeants yougoslaves violent cette thèse du marxisme-léninisme.

    En ce qui concerne la paysannerie, sa majorité, c’est-à-dire les paysans pauvres et moyens, peut s’allier on s’est déjà alliée à la classe ouvrière, le rôle dirigeant dans cette alliance appartenant à cette dernière.

    L’orientation sus-indiquée des dirigeants yougoslaves viole
    cette thèse du marxisme-léninisme.

    Comme on le voit, cette orientation reflète un point de vue convenant aux nationalisées petits-bourgeois, mais non aux marxistes-léninistes.

    Le Bureau d’information estime que la direction du Parti Communiste de Yougoslavie révise la doctrine marxiste-léniniste sur le parti.

    Selon la théorie marxiste-léniniste, le parti est la force dirigeante principale dans le pays, ayant son propre programme et ne se dissolvant pas dans la masse des sans-parti.

    Le parti est la forme supérieure de l’organisation et l’arme la plus importante de la classe ouvrière.

    Mais en Yougoslavie c’est le Front Populaire et non le Parti Communiste qui est considéré comme la force dirigeante dans le pays.

    Les dirigeants yougoslaves abaissent le rôle du Parti Communiste ; ils le dissolvent en effet dans le Front Populaire des sans-parti, qui comprend des éléments très différents du point de vue de classe (ouvriers, paysans travailleurs ayant une exploitation individuelle, koulaks, commerçants, petits fabricants, intellectuels bourgeois, etc.), ainsi que des groupements politiques de toute sorte, y compris certains partis bourgeois.

    Les dirigeants yougoslaves s’entêtent à ne pas reconnaître la fausseté de leur orientation, selon laquelle le Parti Communiste de Yougoslavie ne peut pas et ne devrait pas avoir son propre programme particulier, mais doit se contenter du programme du Front Populaire.

    Le fait qu’en Yougoslavie seul le Front Populaire agit sur l’arène politique, tandis que le parti et ses organisations ne se présentent pas ouvertement devant le peuple, non seule ment abaisse le rôle du Parti dans la vie politique du pays, mais sape le Parti comme force politique indépendante appelée à conquérir la confiance grandissante du peuple et à attirer sous son influence des masses toujours plus larges de travailleurs, par une activité politique ouverte et par la propagation ouverte de ses points de vue et de son programme.

    Les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie répètent les fautes des menchéviks russes concernant la dissolution du parti marxiste dans l’organisation des masses de sans-parti.

    Tout cela témoigne de l’existence des tendances liquidatrices
    à l’égard du Parti Communiste en Yougoslavie.

    Le Bureau d’information estime qu’une telle politique du Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie menace l’existence même du Parti Communiste et, en fin de compte, comporte le danger de dégénérescence de la République Populaire de Yougoslavie.

    Le Bureau d’information considère que le régime bureaucratique créé par les dirigeants yougoslaves dans le Parti est néfaste pour la vie et le développement du Parti Communiste de Yougoslavie.

    Dans le Parti, il n’y a ni démocratie intérieure, ni éligibilité des organes dirigeants, ni critique et autocritique.

    En dépit des assertions sans fondement des camarades Tito et Kardelj, le Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie se compose en majorité de membres cooptés et non élus.

    Le Parti Communiste se trouve en réalité dans une situation semi-légale.

    Les réunions du Parti ne sont pas convoquées ou le sont dans le secret, ce qui ne peut pas ne pas nuire à l’influence du Parti dans les masses.

    Cette forme d’organisation du Parti Communiste de Yougoslavie ne peut être qualifiée que de sectaire et bureaucratique.

    Cela mène à la liquidation du Parti en tant qu’organisme actif
    et indépendant, développe dans le Parti les méthodes militaires
    de direction, semblables aux méthodes propagées autrefois
    par Trotski.

    Il est tout à fait intolérable que dans le Parti Communiste de Yougoslavie soient foulés aux pieds les droits les plus élémentaires des membres du Parti, la moindre critique des ordres injustes dans le Parti attirant des représailles sévères.

    Le Bureau d’information considère comme infâmes des faits tels que l’exclusion du Parti et l’arrestation des membres du Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie, les camarades Jujovic et Hebrang, frappés pour avoir osé critiquer les tendances antisoviétiques des dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie et osé se prononcer pour l’amitié entre la Yougoslavie et l’U.R.S.S.

    Le Bureau d’information considère qu’on ne peut pas tolérer dans le Parti Communiste un régime aussi honteux, purement despotique et terroriste.

    L’intérêt du développement et de l’existence même du Parti Communiste de Yougoslavie exige qu’on mette fin à un tel régime.

    Le Bureau d’information considère que la critique des fautes du Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie, de la part du Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. et des Comités Centraux d’autres Partis Communistes, représente une aide fraternelle au Parti Communiste de Yougoslavie et crée pour la direction de ce Parti toutes les conditions nécessaires a la correction aussi rapide que possible des fautes commises.

    Mais au lieu de reconnaître honnêtement cette critique et d’utiliser la voie de la correction bolchévik des fautes commises, les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie, en proie à une ambition sans bornes, à l’arrogance et à la présomption, ont accueilli la critique avec animosité, ont manifesté de l’hostilité envers elle et se sont engagés dans une voie anti-parti, en niant complètement leurs fautes, en repoussant la théorie marxiste-léniniste concernant la position d’un parti politique envers ses fautes et en aggravant ainsi leurs fautes contre le parti.

    Les dirigeants yougoslaves, qui se sont avérés sans arguments devant la critique du Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. et des Comités Centraux d’autres Partis frères, ont pris la voie du mensonge flagrant à l’égard de leur parti et de leur peuple, en cachant au Parti Communiste de Yougoslavie la critique de la politique fausse du Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie, en dissimulant au parti et au peuple les causes réelles de la répression infligée aux camarades Jujovic et Hebrang.

    Ces derniers temps, déjà, après la critique faite par le Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. et des Partis frères des fautes commises par les dirigeants yougoslaves, ceux-ci ont tenté de promouvoir un certain nombre de nouvelles dispositions gauchistes.

    Les dirigeants yougoslaves se sont empressés de publier une nouvelle loi sur la nationalisation du petit commerce et des petites industries, loi dont l’application n’a nullement été préparée, si bien que cette précipitation ne peut qu’entraver le ravitaillement de la population yougoslave.

    C’est avec la même précipitation qu’ils ont promulgué une nouvelle loi relative à l’impôt sur le blé pour les paysans, loi qui n’a pas été non plus préparée et qui peut en conséquence compromettre l’approvisionnement de la population des villes en blé.

    Enfin, les dirigeants yougoslaves ont annoncé d’une manière tout à fait inattendue, par des déclarations tapageuses, leur amour et leur attachement envers l’Union Soviétique, alors qu’il est bien connu que dans la pratique ils ont poursuivi jusqu’à présent une politique inamicale envers l’U.R.S.S.

    Mais ce n’est pas tout.

    Les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie déclaraient ces derniers temps, avec beaucoup d’aplomb, qu’ils mèneraient une politique de liquidation des éléments capitalistes en Yougoslavie. Dans leur lettre adressée au Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., en date du 13 avril dernier, Tito et Kardelj ont écrit que « la session plénière du Comité Central avait adopté des mesures proposées par le Bureau Politique du Comité Central, visant la liquidation des restes du capitalisme dans le pays ».

    Conformément à cette orientation, dans son discours prononcé à l’Assemblée de la République Fédérative Populaire de Yougoslavie, le 25 avril, Kardelj a déclaré : « Dans notre pays, les jours sont comptés pour tous les restes de l’exploitation de l’homme par l’homme. »

    Cette orientation des dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie, visant la liquidation des éléments capitalistes dans les conditions actuelles de la Yougoslavie, y compris la liquidation des koulaks en tant que classe, ne peut être qualifiée que d’aventuriste et non-marxiste.

    Il est impossible de résoudre cette tâche tant que prédomine dans le pays une exploitation individuelle paysanne, qui engendre inévitablement le capitalisme, avant que ne soient préparées les conditions de la collectivisation massive dans l’agriculture, avant que la majorité des paysans ne soit convaincue de la supériorité des méthodes collectives dans l’agriculture.

    L’expérience du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. témoigne que la liquidation de la dernière et la plus nombreuse classe d’exploiteurs — la classe des koulaks — n’est possible que sur la base de la collectivisation en masse dans l’agriculture, et que la liquidation des koulaks en tant que classe est une partie intégrante de ia collectivisation de l’agriculture.

    Afin de liquider avec succès les koulaks en tant que classe, et, par conséquent, les éléments capitalistes à la campagne, le Parti doit accomplir un long travail préparatoire et préliminaire pour limiter les éléments capitalistes à la campagne, pour renforcer l’alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie, sous la direction de la classe ouvrière, pour développer l’industrie socialiste capable d’organiser la production des machines nécessaires au travail collectif dans l’agriculture.

    La précipitation dans ce cas ne peut que causer des préjudices irréparables.

    Le passage de la limitation des éléments capitalistes à la campagne à leur liquidation n’est possible que sur la base de ces mesures soigneusement préparées et conséquemment appliquées.

    Toutes les tentatives des dirigeants yougoslaves pour résoudre cette tâche précipitamment et par la voie de décrets bureaucratiques ne représentent qu’une aventure vouée d’avance à l’échec ou une vantardise démagogique dépourvue de fondement.

    Le Bureau d’information estime que les dirigeants yougoslaves, en utilisant une tactique aussi fausse et démagogique,
    veulent démontrer qu’ils se tiennent non seulement sur le
    terrain de la lutte de classes, mais qu’ils dépassent même les
    exigences qu’on pourrait présenter au Parti Communiste de
    Yougoslavie dans le domaine de la limitation des éléments
    capitalistes du point de vue des possibilités réelles.

    Le Bureau d’information considère que les décrets et les déclarations gauchistes des dirigeants yougoslaves, n’étant que démagogiques et irréalisables dans le moment présent, ne peuvent que compromettre la cause de la construction socialiste en Yougoslavie.

    Aussi le Bureau d’information apprécie-t-il une telle tactique aventuriste comme une manœuvre indigne et comme un jeu politique inadmissible.

    Comme on le voit, les mesures et les déclarations démagogiques et gauchistes sus-mentionnées des dirigeants yougoslaves ont pour but de masquer leur relus de reconnaître et de corriger honnêtement leurs fautes.

    Tenant compte de la situation créée dans le Parti Communiste de Yougoslavie et s’efforçant de montrer une issue aux dirigeants du Parti Communiste Yougoslave, le Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S. et les Comités Centraux d’autres Partis frères ont proposé d’examiner la question de la situation dans le Parti Communiste de Yougoslavie à la session du Bureau d’information, sur la base des principes qui règlent la vie normale des partis, comme cela eut lieu à la première session du Bureau d’information, où fut examinée l’activité d’autres Partis Communistes.

    Mais les dirigeants yougoslaves ont opposé leur refus aux propositions répétées des Partis Communistes frères de discuter la question de la situation dans le Parti Communiste de Yougoslavie au Bureau d’information.

    Essayant de fuir la critique juste des Partis frères au Bureau d’information, les dirigeants yougoslaves ont inventé une version sur leur position soi-disant inégale.

    Il convient de dire que cette version ne correspond en rien à la vérité.

    Il est bien connu que lors de l’organisation du Bureau d’information, les Partis Communistes partaient de la thèse indiscutable selon laquelle chaque parti devra rendre compte de son activité au Bureau d’information, et n’importe quel parti a le droit de critiquer les autres partis.

    Le Parti Communiste de Yougoslavie a largement utilisé ce droit à la première Conférence des neuf Partis Communistes.

    Le refus des Yougoslaves de rendre compte de leurs actes au Bureau d’information, d’écouter les remarques critiques des autres Partis Communistes, signifie en fait une violation du principe de l’égalité des Partis Communistes, équivalant à la demande de créer pour le Parti Communiste de Yougoslavie une position privilégiée au Bureau d’information.

    Tenant compte de ce qui précède, le Bureau d’information se solidarise avec l’appréciation de la situation dans le Parti Communiste Yougoslave et avec la critique des fautes commises par le Comité Central de ce Parti, comme avec l’analyse politique de ces fautes, exposées dans les lettres du Comité Central du Parti Communiste (bolchévik) de l’U.R.S.S., envoyées au Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie, du mois de mars au mois de mai 1948.

    Le Bureau d’Information est unanime à conclure que les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie — par leurs vues antisoviétiques et étrangères au parti, incompatibles avec le marxisme-léninisme, par toute leur conduite et leur refus de participer à la session du Bureau d’information — se sont mis dans l’opposition envers les Partis Communistes adhérents au Bureau d’information ; qu’ils se sont engagés dans la voie de la division du front unique socialiste contre l’impérialisme, dans la voie de la trahison de la cause de la solidarité internationale des travailleurs et dans le passage aux positions du nationalisme.

    Le Bureau d’information condamne cette politique antiparti et l’attitude du Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie.
    Le Bureau d’information constate qu’en raison de tout ce qui a été exposé le Comité Central du Parti Communiste de Yougoslavie se met et met le Parti Communiste Yougoslave en dehors de la famille des Partis Communistes frères, en dehors du front communiste unique et, par conséquent, en dehors du Bureau d’information.

    Le Bureau d’information estime que toutes ces fautes des dirigeants du Parti Communiste Yougoslave découlent du fait indiscutable que les éléments nationalistes, qui existaient auparavant sous une forme voilée, ont pris le dessus au cours des cinq ou six derniers mois dans la direction du Parti Communiste de Yougoslavie, que les dirigeants du Parti Communiste de Yougoslavie ont rompu avec les traditions internationalistes de ce Parti et se sont engagés dans la voie du
    nationalisme.

    Les dirigeants yougoslaves, surestimant les forces nationales intérieures et les possibilités de la Yougoslavie, croient qu’ils peuvent conserver l’indépendance de la Yougoslavie et créer le socialisme sans le soutien des Partis Communistes des autres pays, sans le soutien des pays de démocratie populaire, sans le soutien de I’U.R.S.S.

    Ils croient que la nouvelle Yougoslavie peut se passer de l’appui de ces forces révolutionnaires.

    Mais les dirigeants yougoslaves, s’orientant mal dans la situation internationale et intimidés par le chantage à la menace des impérialistes, estiment qu’ils pourraient gagner la bienveillance des Etats impérialistes par des concessions faites à ces Etats, s’entendre avec eux sur l’indépendance de la Yougoslavie et inculquer peu à peu au peuple yougoslave l’orientation vers ces Etats, c’est-à-dire l’orientation vers le capitalisme.

    En faisant cela, ils partent tacitement d’une thèse nationaliste bourgeoise bien connue, selon laquelle « les Etats capitalistes présentent un moindre danger que l’U R.S.S. pour l’indépendance de la Yougoslavie ».

    Les dirigeants yougoslaves ne comprennent probablement pas, ou peut-être font semblant de ne pas comprendre, qu’une pareille thèse nationaliste ne peut aboutir qu’à la dégénérescence de la Yougoslavie en une République bourgeoise ordinaire, à la perte de l’indépendance de la Yougoslavie et à sa transformation en une colonie des pays impérialistes.

    Le Bureau d’information ne doute pas qu’il y a au sein du Parti Communiste Yougoslave des éléments sains, fidèles au marxisme-léninisme, fidèles aux traditions internationalistes
    du Parti Communiste Yougoslave, fidèles au front socialiste
    unique.

    A ces forces saines du Parti Communiste de Yougoslavie
    incombe la tâche d’obliger leurs dirigeants actuels à reconnaître ouvertement et honnêtement leurs fautes et à les corriger, à rompre avec le nationalisme, à revenir à l’internationalisme et à renforcer par tous les moyens le front socialiste unique contre l’impérialisme; ou bien, si les dirigeants actuels du Parti Communiste de Yougoslavie s’en montrent incapables, de les changer et de promouvoir une nouvelle direction internationaliste du Parti Communiste de Yougoslavie.

    Le Bureau d’information ne doute pas que le Parti Communiste de Yougoslavie puisse accomplir cette tâche d’honneur.

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  • Le matérialisme dialectique et la définition par la négative pour saisir les deux opposés

    Le rêve du peuple est devenu réalité !

    La dialectique implique que toute avancée a comme opposé le recul. L’avancée s’oppose au recul : lorsqu’on avance, on ne recule pas, et inversement.

    En même temps, toute avancée est un recul et tout recul est une avancée.

    On a également le recul qui se transforme en avancée, l’avancée en recul.

    Les opposés ne sont pas figés l’un par rapport à l’autre : ils s’opposent mais en même temps ils coexistent, ils se succèdent, ils se remplacent l’un l’autre, ils deviennent l’un l’autre.

    Il a été appelé nexus le moment de tension maximale de la contradiction, le point où chaque opposé devient l’autre au maximum, tout en restant lui-même, provoquant le saut qualitatif.

    C’est une manière de voir les choses qui clarifie beaucoup le processus du saut, du bond en avant.

    Il faut néanmoins définir de manière plus approfondie ce qui signifie que toute avancée est un recul et tout recul est une avancée.

    Il y a, en effet, deux aspects. Il y a déjà que toute avancée signifie un recul : en général il y a avancée, mais de par le développement inégal, il y a recul en particulier à un certain niveau. C’est valable pour le recul également, bien entendu.

    Il y a ensuite que toute avancée signifie un recul en même temps, tout comme un recul signifie une avancée. C’est le paradoxe dialectique : un recul est en fait une avancée, une avancée est en fait un recul.

    Lorsque la guerre commence en 1914, le mouvement ouvrier connaît un recul terrible, mais c’est en même temps quelque part une avancée, puisque la première vague de la révolution mondiale se lance en 1917.

    Il y a un renversement, mais en même temps pour que cela ait eu lieu, cela veut dire que le recul a en même temps été une avancée, sans quoi l’avancée n’aurait pas pu exister par la suite.

    Toute la question est ici, si l’on préfère, de savoir si le recul de 1914 a en même temps été une avancée, ou s’il implique une avancée par la suite, de par son existence même. Les deux sont vrais, mais dans quelle mesure ?

    Prenons une voiture qui avance.

    Elle ne recule pas et, même, le fait d’avancer ne semble impliquer aucunement qu’en même temps qu’elle avance, elle serait en train de reculer.

    Quand on tombe, on ne part pas vers le haut ; quand on va vers la gauche, on ne va pas en même temps vers la droite.

    Quand on prend quelque chose de la main droite, on n’agit pas en même temps pareillement de la main gauche ; lorsqu’on lance quelque chose dans une direction, on ne projette rien en sens inverse.

    Ou encore, quand on dort, on n’est pas éveillé et il n’y a rien qui semble montrer qu’en même temps qu’on dort, on est en partie éveillé.

    Ce dernier exemple est intéressant, car on sait combien le fait de dormir reste très mystérieux encore sur le plan de l’activité cérébrale. Et inversement le fait d’être éveillé voudrait dire ici qu’en même temps, on dort.

    Essayons de voir ce que cela signifierait pour les autres exemples.

    Déjà, on peut s’apercevoir que les notions de haut et de bas, de gauche et de droite sont relatives. On peut dire que le haut est le bas et le bas le haut, tout dépend du référentiel.

    On peut plutôt se tourner vers l’exemple de la lancée d’un objet. On jette une balle dans une direction, elle ne va pas en même temps dans l’autre direction.

    Et, pourtant, c’est bien le cas, sauf qu’elle ne le fait pas.

    Pourquoi ? Parce que lorsqu’on jette une balle, on fournit une énergie pour compenser la gravité pendant un certain temps. La lancée n’est pas quelque chose de positif, mais de négatif : on s’oppose à la gravité, de manière relative et temporaire.

    Autrement dit, si on définit les choses par la négative et non plus la positive, alors on peut voir que faire une chose, c’est faire son inverse.

    Cela renverse tout : le contraire d’aller à gauche, ce n’est pas d’aller à droite, mais de ne pas aller à gauche. Le fait d’aller en haut n’a pas comme contraire d’aller en bas, mais de ne pas aller en haut.

    La voiture avance et son contraire n’est pas de reculer, mais de ne pas avancer. Avancer et reculer sont la même chose, mais dans deux directions opposées seulement du point de vue du référentiel. Que la voiture recule ou fasse demi-tour revient au même.

    Maintenant, il faut faire attention. Est-on ici vraiment dans les opposés, ou simplement dans la question de l’identité ?

    Une chose est et n’est pas, en même temps, car elle se transforme.

    Le fait d’avancer et de ne pas avancer sont-ils des contraires, ou bien correspondent-ils à l’identité de la chose, qui avance et n’avance pas en même temps, car elle est et elle n’est pas, en même temps ?

    On est, en fait, bien dans les opposés, car on ne parle pas de la chose qui avance, mais de l’avancée elle-même.

    C’est ce qui fait que lorsque la voiture démarre, on a l’impression d’être tiré en arrière sur son siège, alors qu’en fait on est poussé en avant par le siège. L’inverse se produit lorsque la voiture ralentit, car le corps conserve la vitesse initiale de la voiture, par inertie.

    Toute cette question est, finalement, extrêmement complexe, car ce dont il s’agit, c’est de voir comment quelque chose allant dans un sens implique que, forcément, il y ait un mouvement dans l’autre sens en même temps.

    Et on sait comment l’humanité a pu faire un fétiche parfois de la souffrance, la liant à la joie, en raison de l’intensité et du fait que, forcément, la joie implique ou « contient » de la souffrance comme opposé.

    Ce n’est pas seulement ici que toute détermination est négation.

    C’est que la négation est la détermination, et que l’affirmation est une négation de l’inverse de l’affirmation en même temps qu’il y a cette affirmation.

    Notre univers est en miroir, systématiquement, partout et tout le temps.

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    sur le matérialisme dialectique

  • Le matérialisme dialectique et l’infini de l’addition-soustraction et de la multiplication-division

    Bien-aimé Staline – le bonheur du peuple !

    Si on prend 5 et on enlève 3, on obtient 2.

    On peut refaire le processus dans l’autre sens, prendre 2, ajouter 3 et obtenir 5.

    Le processus peut être mené dans un va-et-vient incessant, rien ne vient l’empêcher.

    Or, tout processus est contradictoire et tout processus connaît un saut qualitatif.

    Pour cette raison, on peut considérer que 5 – 3 = 2 et 2 + 3 = 5 sont des opposés.

    Cependant, où est alors le saut qualitatif ?

    Pour le voir, il faut se tourner vers les opposés.

    5 – 3 = 2

    2 + 3 = 5

    Dans un cas, on a une soustraction, dans l’autre cas une addition. Dans le premier cas, on enlève quelque chose à 5, dans le second cas, on le lui remet.

    Or, si on peut lui remettre ce qui a été enlevé, cela implique que ce qui a été enlevé relève de 5, sans quoi on ne pourrait pas le lui remettre ensuite.

    Cela veut dire que 5, devenu 2 une fois qu’on lui enlève 3, reste 5 d’une certaine manière, sans quoi il ne pourrait pas redevenir 5 quand on lui remet 3.

    Mieux encore, lorsqu’on a 5 – 3 = 2, il faut considérer que le 2 est le 5 à qui on a enlevé 3.

    On a donc : 5 – 5 = 5, au moins relativement.

    Or, si on enlève 5 à 5, on a 0.

    Donc 5 – 5 = 0.

    Et comme 5 – 5 = 5, alors 5 – 5 = 5 = 0, donc 5 = 0.

    Est-ce juste ? Bien sûr si on a compris que 0, c’est l’infini.

    En fait, chaque nombre relève de l’infini (des nombres) et porte en lui-même l’infini. C’est la dialectique du fini et de l’infini, qui est la nature de notre univers en lui-même.

    On a bien un saut dialectique lorsqu’on a :

    5 – 3 = 2

    2 + 3 = 5

    Le saut dialectique tient à ce qu’on peut recomposer ce qui a été décomposé, puis décomposer ce qui a été recomposé.

    C’est un mouvement infini, qui puise dans le caractère infini du fini, dans le « 0 » qu’on retrouve dans chaque nombre fini.

    Regardons maintenant du côté de la multiplication et de la division.

    Prenons 4 x 2 = 8.

    C’est l’équivalent de 4 pris deux fois, ce qui donne 8.

    C’est également l’équivalent de 2 pris 4 fois, ce qui donne 8.

    On a ici une identité entre 2 et 4, puisqu’on peut échanger leur place.

    Et leur identité implique qu’ils s’annulent : leur existence, se dépasse. Ils reviennent à 0, produisant un saut dialectique en même temps, qui donne 8.

    Maintenant, de par l’opposition entre la multiplication et la division, on peut faire le mouvement « en arrière ».

    On a ainsi

    8 : 4 = 2

    et

    8 : 2 = 4.

    Ici, on voit tout de suite le problème : quel est le contraire de 4 x 2 = 8 ?

    Est-ce 8 : 4 = 2 ou 8 : 2 = 4 ?

    On pourrait décider d’affecter arbitrairement une valeur à l’ordre des nombres dans la multiplication, en disant que le contraire 4 x 2 = 8 est 8 : 4 = 2, et que le contraire de 2 x 4 = 8 est 8 : 2 = 4.

    Mais ce serait nier que 2 x 4 = 8 et 4 x 2 = 8 sont strictement équivalents.

    On a ainsi une contradiction : 2 x 4 = 8 et 4 x 2 = 8 sont équivalents, mais pas 8 : 4 = 2 et 8 : 2 = 4.

    Cela veut dire que 1 devient 2, c’est la dialectique : 2 x 4 = 8 et 4 x 2 = 8 sont identiques, mais produisent deux choses et non une seule si on veut faire le processus inverse.

    Maintenant, revenons en arrière. On a posé que pour l’addition et la soustraction, le mouvement inverse ramenait bien au point de départ.

    5 – 3 = 2

    2 + 3 = 5

    Cependant, cela n’a été vrai que parce qu’on a posé la soustraction avant l’addition. On aurait le même problème que pour la multiplication et la division si on avait posé :

    2 + 3 = 5

    5 – 3 = 2

    On aurait eu alors à se demander si le contraire de 2 + 3 = 5 est 5 – 3 = 2 ou bien 5 – 2 = 3.

    On a maintenant compris ici le processus contradictoire et le saut qualitatif.

    Si on commence par la négation ou la division, alors on peut tomber sur la soustraction et la multiplication, et recommence le processus à l’infini si on suit ce qui a été posé au point de départ.

    Par contre, si on pose l’addition et la multiplication comme étant en premier, on se retrouve coincé si on veut aller en arrière, car la négation ou la division impliquent un ordre, une valeur à l’emplacement des nombres par rapport au signe.

    Or, le matérialisme dialectique enseigne que tout processus va forcément de l’avant. Cela veut dire que, dans la matière, l’addition et la multiplication priment sur la négation ou la division.

    Il n’y a jamais d’abord la négation ou la division, il y a toujours au début l’addition et la multiplication.

    Quant au processus « compliqué » de la soustraction et de la division qui exigent d’avoir un ordre dans les nombres qui n’est pas apparent dans l’addition et la multiplication, ils expriment le reflet du processus d’avancée, du progrès.

    La négation et de la division sont des contraires de l’addition et la multiplication en tant que reflets de ceux-ci comme processus de développement.

    D’où la question de l’emplacement par rapport au signe dans la négation et de la division, comme expression de la nature « miroir » de ces opérations : il s’agit de reflets symétriques, ou non.

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  • Le Xe congrès du Parti Communiste Français

    Le Xe congrès du Parti Communiste Français se tient à Paris du 26 au 30 juin 1945 ; il est présenté comme le « congrès de la Renaissance française » et l’atmosphère est triomphaliste.

    L’idée est qu’il va y avoir une vague « républicaine » ; le Parti Communiste Français représente une nouvelle légitimité et lui-même va se dépasser dans la perspective républicaine.

    Le Xe congrès s’oriente ainsi autour de trois axes : « produire », « renouveler la démocratie par la Constituante », « former le Parti ouvrier français comme fondement de l’union de tous les républicains ».

    Cela implique de reconnaître l’économie capitaliste, puisqu’il faut « produire ». Ici, l’existence des nationalisations dans le cadre du programme de la résistance est censée changer la nature de l’économie, aux yeux du Parti Communiste Français et justifier un tel mot d’ordre.

    Cela implique de reconnaître le régime comme une « démocratie », qui doit être améliorée ou renouvelée. En tout cas, il ne s’agit pas de lutter les armes à la main pour renverser les institutions.

    Cela implique une liquidation des fondements même du Parti, puisqu’il faut passer au « Parti Ouvrier Français » et même à un parti plus large encore, « républicain », si c’est possible.

    Voici les propos extraits de l’intervention de Maurice Thorez au congrès.

    « Le sabotage des patrons défaitistes rejoignait l’incapacité et l’imprévoyance d’un état-major routinier.

    En dépit de tant d’avertissements, le grand état-major français ne croyait pas à la guerre des moteurs. Il s’en tenait aux conceptions périmées de la guerre de position, telle qu’elle s’était déroulée de 1914 à 1918 (…).

    Nombre de grands chefs militaires et d’officiers supérieurs étaient hostiles au peuple et à la République.

    C’est chez eux que la Cagoule recruta ses premiers adhérents : le général Dusseigneur, le colonel Groussard, le commandant Lacanau-Loustau, de l’état-major de Pétain.

    En 1937, les cagoulards comptaient, à Paris seulement, six à sept mille hommes, armés par Hitler et Mussolini, groupés en brigades, régiments et bataillons avec un état-major à quatre bureaux.

    Les cagoulards se livrèrent à de nombreux assassinats, à des provocations criminelles comme celle de la rue de Presbourg [à Paris], où ils firent sauter un immeuble patronal pour accuser de ce crime les militants ouvriers (…).

    Jusque dans les rangs de la classe ouvrière, des hommes comme Paul Faure, secrétaire général du Parti socialiste [aux côtés de Léon Blum, et ayant rallié Vichy], et [René] Belin, secrétait général [en fait en pratique le numéro 2] de la CGT [qui devint ministre du Travail de Vichy, rédigea la charte du travail, devint un des acteurs anticommunistes liés à la CIA par la suite], accomplissaient une abominable besogne de division des forces ouvrières, au profit de Hitler.

    Ils minaient le Front populaire. Ils contribuaient à la désagrégation des forces nationales. Ils professaient un pacifisme pleurnichard et réactionnaire qui tendait à désarmer idéologiquement et matériellement notre classe ouvrière, notre peuple, en face d’un ennemi armé jusqu’aux dents et guettant l’heure favorable pour bondir sur la France comme sur une proie facile (…).

    Les Allemands avaient prétendu nous effrayer, nous terroriser et briser dans l’œuf l’organisation naissante des Francs-Tireurs et Partisans. Le peuple de France riposta en décuplant son effort de lutte. Les détachements de patriotes armés devinrent toujours plus nombreux, plus hardis.

    Certains, cédant à la menace de l’ennemi, avaient dit à la radio : « Ne tuez plus d’Allemands ». Le peuple répondit : « Tuons-en davantage. Vengeons les martyrs. Mort aux envahisseurs. Mort aux traîtres ! ».

    Et les trains allemands déraillèrent ; et les bombes éclatèrent dans les locaux allemands ; et les Francs-Tireurs et Partisans tendirent leurs embuscades, attaquèrent à la grenade et à la mitraillette les détachements hitlériens (…).

    Camarades, le patriotisme des masses populaires a fait échec à la trahison des trusts. La France compte au rang des nations victorieuses.

    Mais notre pays a terriblement souffert (…). Il ne faut pas se le dissimuler : la grandeur de la France est à refaire (…).

    Dix mois après la libération, le tableau de notre situation économique est plutôt sombre et décevant, et les perspectives proches sont loin d’être brillantes (…).

    Partout, incurie, malveillance, sabotage. Le péril est extrême. Il semble que l’on se trouve en présence d’un plan concerté.

    Un même plan de ruine, mis à exécution par les mêmes gens et les mêmes groupements qui avaient conduit le pays à la défaite et à l’invasion.

    Le ministre de l’Économie ne l’a-t-il pas reconnu, lorsqu’il évoqua en termes fleuris la « rétention de la production » ? Les 200 familles, plutôt que de se laisser limiter leurs privilèges, n’hésitent pas à saboter la reprise économique, à désorganiser, à ruiner nos faibles possibilités de production.

    Les trusts poussent la France à l’abîme (…).

    La première condition du redressement de la France, c’est la liquidation totale de Vichy, de l’esprit de Vichy, des méthodes de Vichy, des institutions de Vichy.

    C’est la suppression de toute cette bureaucratie qui a la prétention de tout diriger, de tout réglementer, de fixer arbitrairement les prix et les salaires, de pratiquer ce qu’on appelle pompeusement l’économie dirigée (…).

    La démocratie a vaincu le fascisme. Dans cette bataille gigantesque, où se décidait le sort de la civilisation et de l’humanité, la démocratie s’est avérée supérieure au fascisme et dans tous les domaines : militaire, économique, politique et moral (…).

    La démocratie est une création continue. Déjà, à l’époque du Front populaire, nos assemblées, nos congrès soulignaient que les républicains unis rendaient toute sa valeur au beau mot République (…).

    Le Parti a connu un grand succès aux dernières élections municipales. En moyenne, un Français ou une Française sur quatre a voté pour les listes présentées ou soutenues par notre Parti communiste.

    À Paris, la proportion est d’un sur trois. Dans la banlieue parisienne, les listes communistes ou soutenues par les communistes ont obtenu dès le premier tour près de 60 % des suffrages exprimés. Nos militants administrent 60 des 80 communes du département de la Seine.

    Pour la première fois, des villes de plus de 100 000 habitants (Nantes, Reims, Toulon) ont un maire communiste. De même pour une dizaine de préfectures (dont Limoges, Nîmes, Périgueux, Ajaccio, Tarbes) et une vingtaine de sous-préfectures.

    La statistique officielle a dû reconnaître que nous étions devenus le premier parti dans l’administration des villes de plus de 4 000 habitants (…).

    Idéologiquement, l’arme incomparable du matérialisme dialectique, du marxisme-léninisme, nous a permis de faire exactement le point dans les situations compliquées, de prévoir le déroulement probable des événements, de déterminer en conséquence une politique juste, de formuler des mots d’ordre justes, appropriés aux conditions, aux circonstances du moment, mais tenant compte, chaque fois, des intérêts d’avenir de la classe ouvrière et du peuple de France (…).

    Nous devons être partout à la hauteur de nos responsabilités devant le Parti et devant le pays. Pour parler très clairement, si nos militants étaient avant guerre d’excellents propagandistes, s’ils ont été pendant la guerre les organisateurs et les chefs intrépides des groupes de combat contre les Allemands et leurs complices vichyssois, ils doivent maintenant devenir des hommes politiques, les organisateurs et les guides des grandes masses populaires.

    Selon le mot de Lénine, nous devons maintenant compter par millions (…).

    Quelles considérations doivent nous guider dans le choix des cadres ?

    1. Le dévouement le plus absolu à la cause des travailleurs, à la cause du peuple de France, la fidélité au Parti, dévouement et fidélité vérifiés dans le combat, dans les épreuves ;

    2. La liaison la plus étroite avec les masses. Pas de doctrinaires pédants, mais des chefs populaires, connaissant bien les masses, et connus d’elles ;

    3. L’esprit d’initiative et de responsabilité, la capacité de s’orienter rapidement et de prendre soi-même une décision dans toutes les situations ;

    4. L’esprit de discipline, la fermeté du communiste aussi bien dans la lutte contre les ennemis du peuple que dans l’intransigeance à l’égard de toutes les déviations du marxisme-léninisme, et dans l’application résolue de toutes les décisions prises par les organismes réguliers du Parti (…).

    Par exemple, quelles sont nos tâches dans l’immédiat. Les voici :

    1. Hâter la reconstruction, développer la production ;

    2.Élire l’Assemblée nationale souveraine, qui donnera à la France sa nouvelle Constitution ;

    3. Constituer avec nos frères socialistes le grand Parti ouvrier français (…).

    Notre conclusion, c’est que, tous ensemble, Français et Françaises, nous devons nous atteler résolument à la tâche, tous ensemble et sans tarder, nous devons entreprendre un effort tenace et prolongé, afin de :

    Relever notre économie nationale ;

    Produire et rétablir nos échanges avec l’extérieur ;

    Acheter et vendre ;

    c’est-à-dire :

    Refaire effectivement la grandeur de la France ;

    Assurer les conditions matérielles de son indépendance ;

    Et, pour mener à bien l’œuvre immense de reconstruction économique et de rénovation politique, morale et intellectuelle, nous devons, tous ensemble, Français et Françaises :

    Abattre à jamais la puissance des trusts ;

    Frapper impitoyablement les traîtres ;

    Liquider le vichysme, le pétainisme ;

    Consacrer dans nos prochaines institutions le triomphe de la démocratie.

    Unir, combattre et travailler. Voilà qui demeure notre loi, la loi pour tous les Français, pour toutes les Françaises.

    Unis dans le culte de nos morts glorieux et dans l’amour de notre pays, nous combattrons et nous vaincrons les forces obscures de la réaction, obstacle au progrès et au bonheur, nous travaillerons et nous parviendrons à faire une France démocratique et indépendante, une France libre, forte et heureuse.

    Vive le Parti communiste français !

    Vive la France !

    Vive la République ! »

    Le Xe congrès du Parti Communiste Français se termine sur un Manifeste à la nation. Il est dit clairement que le programme, c’est le programme du Conseil National de la Résistance.

    « Pour que l’effort de production remporte un plein succès, il est indispensable que ceux qui travaillent mangent à leur faim.

    Pour cela, il faut gagner la bataille du ravitaillement, payer des salaires et des traitements suffisants, revaloriser les prix des produits agricoles, augmenter la retraite des vieux travailleurs en l’étendant aux vieux paysans, artisans et petits commerçants, établir une fiscalité équitable et confisquer les biens des traîtres.

    Il est non moins indispensable que l’épuration soit faite résolument dans toutes les branches de l’économie et dans la haute administration. Il est indispensable que soient balayées toutes les institutions odieuses de Vichy, tous les vestiges du fascisme.

    Il est indispensable que les traîtres, à commencer par Pétain, soient rapidement et implacablement châtiés. Il faut enfin que, très vite, les grands moyens de production et d’échange, les monopoles de fait retournent à la nation, que soient supprimés les trusts sans patrie, traîtres à la France.

    Il faut, en un mot, que soit appliqué le programme du Conseil National de la Résistance. »

    Le Parti Communiste Français a enfin réussi à être accepté dans le paysage politique français. Mais cela implique sa propre acceptation de la « France républicaine ».

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    Le Parti Communiste Français
    de la lutte armée à l’acceptation

  • Ce que représente le Parti Communiste Français à la veille de son Xe congrès

    Le Parti Communiste Français tient son Xe congrès en juin 1945 ; c’est le premier après celui de 1937.

    Si on ne doit pas s’étonner qu’il n’ait pas été en mesure d’en tenir un dans la période 1940-1945, il est significatif qu’il n’y en ait pas un qui se soit tenu en 1938 ou en 1939.

    Durant ces deux années, le Front populaire s’est effondré, tout en étant officiellement maintenu, et en disposant d’ailleurs du gouvernement. Le Parti Communiste Français n’a pas voulu affronter une question remettant en cause sa confiance absolue en la « république ».

    Cela se lit dans l’état d’esprit en 1945. Obnubilé par son gauchisme des années 1920 ayant amené son isolement social et culturel, politique et idéologique, le Parti Communiste Français s’est rétabli au moyen de la direction de Maurice Thorez.

    Celui-ci a cependant établi une ligne opportuniste de droite, offrant littéralement le Parti à la « république ». On a la même chose en 1945, de manière encore plus marquée.

    Le Parti, déjà très faible idéologiquement, a ouvert de manière massive ses rangs. D’un côté, il triomphe, puisqu’il y a un million de membres. De l’autre, il est absolument impossible de former ces membres : il n’y a ni les cadres, ni le niveau idéologique.

    Il faut donc, pour tenir, sans cesse renforcer le moteur du légitimisme, la logique « du meilleur élève ».

    L’exemple le plus parlant, c’est le changement de nom de la Jeunesse Communiste. Celle-ci, désormais forte de 500 000 membres, s’appelle désormais Union de la Jeunesse Républicaine de France.

    C’est une liquidation. La dimension politique disparaît d’ailleurs : cette Union édite à partir de juin 1945 l’hebdomadaire Vaillant, qui prend le relais du Jeune Patriote fondé en 1942, qui publiait des textes illustrés sur la Résistance. Et Vaillant deviendra Vaillant le journal le plus captivant, puis Vaillant le journal de Pif, avant de terminer en Pif gadget.

    Un excellent exemple de cette ligne est la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT). Elle est passée d’un peu plus de 50 000 licenciés en août 1945 à un peu plus de 250 000 un an après.

    Mais son identité s’est encore plus adaptée à l’esprit « républicain », puisqu’elle propose la naissance d’une grande fédération unique multisports, avec un article 1 des statuts qui précise qu’il s’agit de former un « citoyen au service d’une République Laïque et Démocratique ».

    C’est une démarche où la stratégie est de former un grand parti républicain, au sens strict même « le » parti républicain unique.

    On a, pour cette raison qui se veut nationale et républicaine, une systématisation de l’adjectif « français ».

    Le Secours Populaire de France et des Colonies devient le Secours Populaire Français. Initialement, le nom était Secours Rouge ! On est clairement dans le révisionnisme, la liquidation.

    Le Front National Universitaire fusionne avec des comités de la zone sud pour former l’Union Française Universitaire. On a l’Union des Femmes Françaises née en 1941 et son association sœur Les amies de l’Union, avec autour de 628 000 membres.

    Le Parti Communiste Français fait comme au moment du Front populaire : il est prêt à tout saborder pour obtenir la reconnaissance, et son activité tient à se présenter comme le « meilleur élève ».

    On a un opportunisme où il est considéré que la France serait une nation allant de manière naturelle au socialisme si l’on empêche une infime minorité d’agir. Il n’y a plus de bourgeoisie, seulement les ouvriers, les paysans, les couches intellectuelles, les classes moyennes et l’oligarchie.

    Le Parti Communiste Français tente donc de mettre en place un vaste front républicain organisé à lui tout seul.

    Les organismes sont absolument tous structurés en fonction de cette conception. On a l’unification en mars 1945 dans une Confédération Générale de l’Agriculture de l’ancienne Confédération générale des Paysans travailleurs avec les Comités de défense et d’action paysanne.

    On a un Comité National des Écrivains, fondé dans l’occupation par Jacques Decour, tout comme on a des organisations rassemblant, par catégories, cadres, techniciens, artistes, avocats, médecins ou encore l’Union des vieux de France.

    Reste la surface. Rien que le million de membres du Parti représente 36 000 cellules, dont un quart sont des cellules d’entreprise.

    Cela permet un écho ininterrompu dans la société. Le Parti diffuse ainsi 11 quotidiens nationaux et 75 hebdomadaires, pour ce qui représente pratiquement le quart de la presse nationale en termes de diffusion.

    Le Parti Communiste Français a également réussi à prendre le contrôle de la CGT reconstitué à la Libération. Celle-ci dispose de 5,5 millions d’adhérents.

    La quantité est donc là. Mais la seule qualité présente, c’est la « république ». Tous les problèmes théoriques, culturels, idéologiques… sont systématiquement résolus en s’appuyant sur le concept de « république française ».

    Immanquablement, il faut ici considérer que c’est la ligne de Jean Jaurès ; en 1945, le Parti Communiste Français apparaît comme la social-démocratie que l’Allemagne a connu avant 1914, ni plus, ni moins.

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    Le Parti Communiste Français
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  • La réponse des socialistes à la proposition du PCF d’un Parti Ouvrier Français

    La réponse du Parti socialiste-SFIO au « Projet de charte d’unité de la classe ouvrière de France »  de juin 1945 fut la suivante, quelques jours plus tard après sa publication.

    « Une mise au point

    L’« HUMANITÉ » du 12 juin a publié un « projet de charte d’unité de la classe ouvrière de France » qui appelle quelques commentaires.

    Le congrès extraordinaire que le Parti socialiste a tenu en novembre 1944 avait réaffirmé la volonté du Parti « d’unir tous les travailleurs intellectuels et manuels en une seule et même organisation », et avait « renouvelé solennellement au Parti communiste français, avec sa loyauté et sa traditionnelle bonne foi, l’offre d’unité déjà faite dans la lutte clandestine ».

    Le Parti communiste étant revenu sur son refus, opposé dans la clandestinité, de créer un comité d’entente, les délégués des deux partis se sont réunis le 4 décembre au siège du Parti communiste, sous la présidence de Vincent Auriol.

    Aux termes du communiqué commun publié à l’issue de cette réunion, « les délégués ont été unanimes :

    1° Pour établir entre les deux partis un climat de compréhension, de cordialité et d’amicale collaboration ;

    2° Pour créer un comité permanent d’entente dans le but d’étudier en commun les problèmes d’actualité et les conditions d’une collaboration confiante en ces matières, ainsi que les modalités de la réalisation de politique de la France laborieuse. »

    Trois sous-commissions furent instituées par comité d’entente ainsi créé : commission d’arbitrage, d’unité d’action, et d’unité organique.

    Les deux premières ont travaillé avec assiduité, tandis qu’il fut entendu, pour ce qui concerne la troisième, que chaque parti présenterait un projet de charte constitutive à l’étude de cette commission et avant toute présentation publique.

    Toutefois, des incidents se sont produits entre militants et organisations locales, incidents qui se sont multipliés pendant et après la campagne électorale.

    Les délégués socialistes au comité d’entente ont saisi les délégués communistes d’un grand nombre de faits regrettables.

    Or, les conditions préalables et les bases solides de toute unité réelle et durable sont la confiance réciproque et la loyauté mutuelle.

    Ces conditions prévues dans la déclaration liminaire, ne paraissant pas remplies, la délégation socialiste a informé les camarades de l’autre délégation que le plus sage et le plus utile était de poursuivre l’unité d’action avant d’examiner les mémoires relatifs à l’unité organique.

    Aussi le comité directeur du Parti socialiste a-t-il été surpris de lire dans l’ « Humanité » un projet de charte qui ne lui avait pas été préalablement communiqué.

    Mais, soucieux de ne rien faire qui puisse provoquer de nouveaux dissentiments, il se refuse à discuter l’opportunité et le fond de ce texte — sur lequel il a tant de réserves à faire ; il estime que le meilleur moyen de préparer l’unité, c’est d’éviter tous incidents et toutes manœuvres de division ou de noyautage et de s’efforcer en chaque occasion de maintenir et de resserrer l’unité d’action sur le plan national pour les grands problèmes.

    Au surplus, la proximité des congrès du Parti communiste (26 au 30 juin) et du Parti socialiste (11 au 15 août) oblige le comité directeur à soumettre l’ensemble de la question à tous les militants du Parti.

    En agissant ainsi, le comité directeur est convaincu qu’il préserve toutes les possibilités d’unité organique à laquelle les socialistes demeurent toujours attachés, cette unité étant une condition du succès de la démocratie et de la République.

    D’autre part, et sans autre polémique publique, le comité directeur a décidé de saisir le comité d’entente de l’ensemble des faits dont il est question ci-dessus.

    LE COMITE DIRECTEUR DU PARTI SOCIALISTE (S.F.I.O.) »

    Au Xe congrès du Parti Communiste Français, en juin 1945, c’est Jacques Duclos qui se chargea du rapport sur l’unité de la classe ouvrière et il y eut de nouveau une tentative de forcer la main aux socialistes.

    Cette fois, cela passa par sept propositions mises en avant pour être remises au Comité directeur du Parti Socialiste « en vue de hâter l’unité ».

    « 1. Le Comité directeur du Parti Socialiste et le Comité central du Parti Communiste se réuniront désormais deux fois par mois en commun pour procéder à l’examen de la situation, pour prendre les décisions que commande cette situation et pour en assurer l’exécution ;

    2. Les Bureaux et les Commissions exécutives des Fédérations Socialistes, les Bureaux et les Comités Régionaux des Régions Communistes agiront de même. Les Sections Socialistes et Communistes se réuniront également en commun ;

    3. Les représentants des deux partis au sein du gouvernement adopteront une position identique sur les problèmes soumis à leur examen ;

    4. Les représentants des deux partis dans les diverses assemblées agiront de concert ; ils tiendront des réunions communes afin d’examiner ensemble les questions soumises aux assemblées dont ils dépendent et déterminer une attitude commune ;

    5. Les deux partis réaliseront, en tout état de cause, l’unité de candidature dès les prochaines élections sans préjudice des accords qui pourraient être conclus avec d’autres groupements, selon les circonstances ;

    6. La propagande sera désormais organisée en commun à travers tout le pays en rassemblant les hommes et les moyens dont disposent les deux partis ;

    7. Un accord interviendra sans délai pour régler la collaboration de camarades socialistes à l’Humanité et à l’ensemble de la presse communiste ainsi que la collaboration de camarades communistes au Populaire et à l’ensemble de la presse socialiste. »

    Le Parti socialiste-SFIO répondit à l’occasion de son congrès, à la mi-août 1945. Une motion fut votée de manière extrêmement large, avec 10112 mandats, 274 contre, 212 abstentions et 5 absents.

    Elle dit : oui à l’unité, mais il faut un climat pour cela, il faut « la loyauté et la confiance mutuelles ». De plus, il y a la question de l’unité internationale qui se pose.

    Enfin, il y a des « décisions pratiques » :

    « 1. Il n’est possible de retenir comme une base utile d’unification ni le projet de charte publié par le Parti communiste ni les propositions de quasi-fusion mises en avant par lui à son congrès de juin ;

    2. Le Comité d’entente se réunira sans délai pour assurer, durant la période électorale prochaine, une unité d’action analogue à celle de 1936, chaque Parti défendant clairement son programme et s’engageant, s’il y a lieu, à se désister pour l’autre au deuxième tour des élections cantonales ainsi qu’à tout mettre en œuvre pour faire triompher les réformes de structure définies dans le manifeste commun du 2 mars 1945 ;

    3. Aussitôt les élections terminées, le Comité d’entente reprendra les pourparlers en vue de réaliser l’unité organique, pourparlers qui ont été provisoirement suspendus, sans toutefois avoir jamais été rompus.

    Chaque délégation signalera à l’autre tous faits ou attitudes de nature à nuire à cette réalisation afin que l’un ou l’autre Parti puisse rectifier sa position et préparer un état de fait rendant l’unité possible.

    Des congrès nationaux des deux Partis examineront simultanément et séparément les résultats atteints durant cette période et décideront si les conditions préalables sont d’autre considérées comme remplies et si, en conséquence, un congrès commun peut être convoqué ;

    4. Durant cette même période, l’unité d’action sera maintenue sur les bases fixées par le Comité d’entente le 19 décembre 1944, étant rappelé qu’il n’existera de comité d’entente qu’à l’échelon national, mais que des délégations communes pourront, pour des motifs strictement limités, se réunir sur le plan fédéral ou local, sans jamais avoir de caractère permanent. »

    Autrement dit : pas d’unité à la base, uniquement des accords par en haut, priorité à l’alliance électorale (ici les socialistes veulent une « réunion rapide), et surtout tout est fait pour temporiser pour des motifs techniques.

    La mauvaise foi de la direction socialiste est évidente, mais le Parti Communiste ne le voit pas. Il est grisé par son succès ; il voit que dans certaines parties du pays, les socialistes sont largement favorables à l’unité (région parisienne, Bordeaux).

    Surtout, il est trop faible sur le plan de l’économie politique et il ne voit pas du tout comment les socialistes se sont placés dans l’orbite américaine, ce qui était pourtant déjà flagrant dans le cadre du Front populaire.

    Il est également très naïf. Les socialistes insistent en permanence sur la « démocratie interne », ce qui réfute par principe le centralisme démocratique.

    Les socialistes affirment également de moins en moins le marxisme, pour peu qu’ils l’aient jamais réellement assumé par ailleurs. De ce fait, comment peut-on imaginer une seule seconde qu’ils aillent dans le sens d’assumer le matérialisme dialectique de Marx et Engels, développé par Lénine et Staline ?

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